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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 880 - juillet 1989 > Démocratie

 

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"La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation". (Déclaration des Droits de l’Homme de 1789)

Démocratie

par P. HERDNER
juillet 1989

J’ai écrit (1) que le mode de fonctionnement, matériel en quelque sorte, d’un système économique s’explique en fin de compte par la structure des pouvoirs. Je me propose d’approfondir, dans cette optique, l’opposition entre échangisme et économie distributive : après avoir rappelé quels sont les principes de la démocratie, je montrerai pourquoi, et à quelles conditions, l’économie distributive peut être regardée comme la réalisation la plus parfaite de la démocratie économique.
Définie sur un plan général, la démocratie est le système qui exclut tout privilège, grâce à une répartition équitable des pouvoirs et des libertés. Or cet idéal ne peut être atteint que si deux conditions sont remplies
- le pouvoir réside dans la collectivité tout entière, autrement dit tous les individus participent à la formation du pouvoir (2)
- la défense de la liberté est assurée grâce à la pluralité des pouvoirs, qui se limitent et se contrôlent mutuellement.

Le premier de ces impératifs risquerait fort, s’il n’était corrigé par le second, d’aboutir en fait à un régime oppressif, centralisé et bureaucratique. La démocratie est faussée quand le pouvoir réel échappe aux individus qui l’ont délégué à leurs représentants. La "volonté générale" définie par Rousseau est une fiction dangereuse. C’est pourquoi pour une foule de penseurs politiques, dont les opinions s’étendent sur un large éventail, l’Etat est l’ennemi n° 1.

La pluralité des pouvoirs implique beaucoup plus que les trois pouvoirs de Montesquieu. Chaque pouvoir doit, dans la mesure du possible, être limité par un contre-pouvoir  : le jeu des oppositions, la capacité d’exprimer une opinion sur les décisions à prendre, d’exercer un contrôle ou une résistance sont autant de contrepouvoirs dont l’importance est souvent décisive. D’autre part le fédéralisme, en multipliant les pouvoirs et en empêchant les concentrations excessives, améliore et renforce la démocratie.
Les deux structures de pouvoirs qui s’opposent totalement aux principes démocratiques sont le despotisme et l’anarchie (au sens de désordre). Le despotisme est le fait d’un centre de décision unique qui exerce son pouvoir, dans un espace donné, sans contrôle ni limitation. L’anarchie résulte de la pluralité des centres de décision, quand elle met en compétition, sans possibilité d’arbitrage, des pouvoirs rivaux.
L’antipathie qu’éveille souvent la notion même de pouvoir n’est pas justifiée tant que son autorité ne s’exerce pas de façon abusive. Un pouvoir démocratique est appelé à remplir - en vue précisément de s’opposer aux deux structures les plus néfastes - deux fonctions indispensables  : protéger et organiser.

Le pouvoir

Contre les despotismes de toute sorte, il doit protéger les individus et les groupes dont les droits sont menacés. Contre l’anarchie, il doit organiser la vie collective ; sans organisation, il n’est pas de vie collective, et il n’est pas d’organisation sans pouvoir (3).

L’économie

Ces principes généraux, que j’ai rappelés en pensant de préférence à l’organisation politique, s’appliquent exactement à l’économie. Dans les structures actuelles, le pouvoir économique appartient aux grands producteurs et aux financiers. Pouvoir antidémocratique, dont le mode d’action est tout à la fois despotique et anarchique. Despotique par le profit, partout où des privilégiés imposent leur loi tant aux travailleurs qu’aux consommateurs, voire à la société tout entière (4) affirmation qui doit évidemment être atténuée dans la mesure où des entraves ont été apportées à ce pouvoir par les associations de travailleurs, de consommateurs et d’écologistes, qui sont des contrepouvoirs. Anarchique par la concurrence entre pouvoirs rivaux, qui aboutit encore au despotisme quand le gagnant domine le perdant ; nous avons vu que de tout temps elle a provoqué sur le plan économique des déséquilibres et sur le plan social des inégalités. Et nul n’ignore comment, par les moyens de pression dont elle dispose, cette féodalité fausse le jeu de la démocratie politique elle-même.
Les partisans de ce système l’exaltent comme le règne de la liberté ! Mais la liberté de restreindre celle des autres devrait plutôt être définie comme un pouvoir.

Et un pouvoir singulièrement abusif...

Le pouvoir économique

A ces structures s’opposent celles de l’économie distributive. En donnant le pouvoir économique à la société tout entière, c’est-à-dire aux consommateurs, également concernés par les problèmes de l’environnement, le distributisme répond parfaitement au premier impératif de la démocratie. Bien mieux que la théorie des socialistes d’autrefois, qui réservaient au prolétariat la totalité du pouvoir. Bien mieux aussi que le projet de certains anarchistes, enclins à favoriser les petits groupes de producteurs (5). Et il faut noter encore que les efforts en faveur d’une participation des travailleurs à la gestion des entreprises sont orientés, certes, vers la démocratie, mais bien plus sur le plan social que sur le plan économique.

Institutions fédérales

Mais le distributisme ne sera parfaitement démocratique que s’il tient largement compte du second impératif. Justement parce que la souveraineté économique est dévolue à la "volonté générale", la concentration bureaucratique est un danger grave que nous devons prendre très au sérieux. Il est donc essentiel qu’un contrôle rigoureux s’exerce sur les représentants qui agiront au nom de la collectivité des consommateurs. De plus, dans tout pays de quelque importance, il faudra envisager des institutions fédérales. Enfin, nouvelle application des principes fédéralistes, les entreprises devront jouir, au sein de la collectivité qui leur assigne leur fonction, d’une véritable autonomie. Leur finalité est de satisfaire les besoins en respectant l’environnement, mais on ne leur refusera pas le droit de choisir les moyens appropriés en s’organisant à leur guise. Ce système permet une grande diversité (6). Il favorise aussi une saine émulation, qui n’a rien de commun avec la compétition inhérente au libéralisme.
Dans une structure aussi équilibrée, le pouvoir des consommateurs, bien loin d’être oppressif, est apte à remplir la double fonction, protectrice et organisatrice, d’un pouvoir démocratique.

Contrats d’échanges internationaux

Mais il reste à étendre aux relations internationales, et particulièrement intra-européennes, notre conception distributiste, fédéraliste et démocratique de l’économie. Supposons notre pays acquis à l’essentiel de nos thèses. Dans ce domaine où il n’est pas entièrement maitre de son destin, il devra se contenter de suggérer à nos partenaires européens la solution la plus rationnelle : l’élimination de la concurrence commerciale. Cela suppose l’émergence d’un pouvoir économique capable de dominer les intérêts nationaux ou corporatifs ; ou tout au moins, en attendant mieux, la signature de conventions visant au même but et loyalement appliquées. Dans le système de style fédéral qui peut être envisagé, rappelons-le une fois de plus, les nations gardent leur autonomie, la répartition des excédents de leurs productions étant seule réglée au niveau supérieur. Sinon l’Europe sera une jungle où les forces économiques joueront d’une manière anarchique (la concurrence est fatale aux perdants), et en même temps despotique (les nations sont soumises à la loi du libéralisme et le monde du travail aux impératifs de la rigueur).

Puisque de toute façon et quelle que soit leur organisation interne, les différents pays ont des surplus à échanger, cette démocratisation des relations économiques pourrait s’amorcer sans que ces pays aient fait un premier pas en direction du socialisme distributif.

Une doctrine économique

En résumé, nous pouvons identifier notre doctrine à la doctrine économique. Mais la démocratie, si l’on entre dans le détail de son fonctionnement, n’a pas de définition monolithique. Comme l’a écrit (7) Jean Duvignaud, il est « dangereux de dogmatiser - fût-ce la démocratie elle-même », et la liberté humaine est une "effervescence" dont les formes sont imprévisibles . En politique, de multiples constitutions peuvent être élaborées et mises à l’épreuve. En économie, il y a place également pour différentes manières de construire le socialisme distributif : un immense champ ouvert à la recherche et à l’invention.


(1) G.R. N° 877
(2) Voir encadré ci-dessus.
(3) Certains jugeront que la démocratie ainsi conçue implique trop de contraintes et lui préféreront l’anarchie (au sens noble du mot). J’aimerais mieux, quant à moi, rapprocher les deux idées, qui se concilient presque jusqu’à se confondre pourvu qu’elles reçoivent une définition appropriée. A moins de verser dans l’utopie, les anarchistes ne peuvent abolir totalement le pouvoir ; ni éviter toute délégation de celui-ci à des représentants, vu que même dans des petits groupes d’inspiration libertaire une autorité est fatalement accordée à quelquesuns, qui au reste ne représentent qu’une majorité. . Et les valeurs fondamentales défendues par les anarchistes les plus lucides, telles que "l’originalité créatrice et la responsabilité personnelle" (Henri Arvon), et bien sûr la liberté, sont aussi celles de la démocratie.
(4) Quand on voit, par exemple, une entreprise rejeter tout contrôle et invoquer le secret industriel, alors que l’intérêt de l’humanité est en jeu.
(5) Francisco Ferrer, entre autres, concevait la société future comme "une association libre et spontanée de tous les producteurs" (Henri Arvon).
(6) G.R. N° 777 et 868 .
(7) "Introduction à la sociologie" (1966).

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