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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1012 - juillet 2001 > Le fric contre la santé

 

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L’espérance de vie humaine a considérablement augmenté au XXe siècle. L’essentiel en revient à l’amélioration de l’hygiène et des conditions de vie, car la médecine n’y a que peu contribué, 10 à 15 % selon certaines études.

Ayant assisté à une conférence donnée sur les médicaments par un médecin, B. Topuz, Caroline Eckert a voulu en savoir plus. Le livre dont elle analyse ici la première partie, consacrée aux médicaments, l’a tellement édifiée qu’elle se promet d’aborder ensuite les autres (sur les produits toxiques dans l’environnement, sur l’amiante, le tabac et l’alcool).

Le fric contre la santé

par C. ECKERT
juillet 2001

Roger Lenglet est philo-sophe et journaliste, Bernard Topuz est médecin de santé publique. Leur ouvrage [1] est l’aboutissement de plusieurs années d’enquête. En dépit du nombre de médicaments, de laboratoires, d’organismes et de personnes nommément citées, ce livre n’a, jusqu’à ce jour, été l’objet d’aucun procès, ce qui donne une idée de l’exactitude des faits dénoncés.

Les auteurs commencent par un exemple : « La diarrhée infantile est un trouble banal », qui guérit en général spontanément, mais « dans de très rares situations, cela tourne au drame ». Elle induit en effet une déshydratation qui, en France, cause chaque année le décès de dizaines de nourrissons alors qu’il suffit d’administrer des sels de réhydratation orale qui retiennent l’eau et empêchent sa fuite dans le tube digestif. Au lieu de cela, « les médecins continuent de prescrire le plus souvent des médicaments [...] tels que le Smecta, l’Ultralevure, l’Imodium et de nombreux autres dont l’usage chez l’enfant est déconseillé par l’Organisation mondiale de la santé ». Tout cela parce que « les sels de réhydratation n’ont pas en France le statut de médicament » et qu’ils « ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale alors qu’une grande partie des antidiarrhéiques » le sont. Le fait qu’ils ne soient pas fa-briqués par des laboratoires pharmaceutiques mais par des nutritionnistes n’arrange pas les choses. Pas plus d’ailleurs que la promotion faite par les laboratoires pour leurs produits. Par le biais de la Société française de pédiatrie et celle de Santé publique, une pression sur les autorités sanitaires a été organisée afin qu’elles reconnaissent les sels de réhydratation comme un médicament. Mais sans succès jusqu’à présent.

C’est que l’intérêt financier pousse évidemment les laboratoires à médicaliser toute notre vie : « L’enfant sort de la maternité accompagné d’une ribambelle de médicaments ». Parmi eux se trouve le fluor car il prévient les caries dentaires. Mais la limite semble être atteinte depuis que la fluorose, une intoxication au fluor qui rend les dents noires et cassantes, est apparue dans les années 1990. Cette intoxication provient d’une part de l’étroitesse de la limite entre doses préventive et toxique. D’autre part du fait qu’on croyait que la période de formation de la dent est celle où l’effet préventif du fluor est le meilleur, ce qui est faux. De plus, « le fluor est de plus en plus présent sur nos tables sans qu’on le sache », notamment dans certains sels de cuisine, eaux minérales et eaux du robinet. Il est donc nécessaire de dresser un bilan des apports fluorés avant chaque prescription. Mais cela n’arrange pas tout le monde. De sorte que le laboratoire Novartis a distribué aux médecins une brochure indiquant que « la prescription médicamenteuse de fluor doit commencer dès la première année de la vie ».

D’autres laboratoires préfèrent associer le fluor à des hormones de croissance ou à la vitamine D, elles aussi prescrites dès la naissance.

Autre exemple : à la naissance, le sphincter d’un bébé n’est pas tout à fait formé, ce qui explique le fait qu’il régurgite en buvant, d’où l’invention du bavoir… Mais pour le laboratoire Jansen-Cilag « chaque manifestaion corporelle est un marché potentiel », alors il a mis au point le Prepulsid, un médicament anti-reflux gastrique. L’ennui est que ce médicament est un neuroleptique et qu’il « peut provoquer des troubles cardiaques potentiellement mortels ». Les états-Unis l’ont retiré du marché, mais en France, une enquête effectuée en 1996 « dans 106 crèches du département des Yvelines a révélé [qu’]un enfant sur trois de moins de 6 mois prenait un traitement anti-reflux. »

Si « la France détient le record du monde de la consommation de psychotropes » les états-Unis sont sur le point de les utiliser contre l’agressivité au volant. Récemment, une publicité pour amener à consoimmer l’Atarax est allée jusqu’à présenter le départ des enfants en classe de neige comme une situation anxiogène ! Elle a été condamnée. En Angleterre, un laboratoire a été condamné « pour avoir dissimulé les effets nocifs de l’Halcion ». L’administration de Ritaline, un médicament inscrit sur la liste des stupéfiants en France, est une pratique devenue tout à fait habituelle aux états-Unis et au Canada.

« Plus les raisons de prescrire un produit sont nombreuses et surtout vagues, plus il est vendu », ce qui explique que les vasodilatateurs cérébraux soient très employés malgré « la faiblesse de l’évaluation de ces médicaments ». Il suffit que « l’image de l’irrigation sanguine du cerveau » apparaisse comme « une solution miracle pour remédier aux déficiences cérébrales ». Ces médicaments sont surtout prescrits aux personnes âgées, ce qui ne fait qu’aggraver leur surmédication. Plusieurs études, auprès de patients des troisième et quatrième ages ont montré que 30% d’entre eux en consomment 5, ou plus, dont plusieurs « alourdissent inutilement les ordonnances et rendent le suivi du traitement périlleux » car leur efficacité n’est pas prouvée.

Pourquoi ce dysfonctionnement ?

Le problème vient de ce que les la-boratoires ont la maitrise des moyens d’information et qu’ils noyautent les autorités sanitaires … quand ils ne vont pas jusqu’à réécrire la médecine. On comprend pourquoi « les résultats des recherches […] varient fortement suivant que les chercheurs sont ou non financés par l’industrie ». Par exemple, le passage de 14/9 à 13/9 des normes de la tension artérielle a créé un nouveau marché de trois millions d’hypertendus. Les médecins « reçoivent gratuitement deux ou trois journaux médicaux par jour, en moyenne ». Cette presse est financée par l’industrie pharmaceutique et est sous son étroit contrôle. De même, le contenu des congrès est déterminé par les laboratoires qui les financent.

La manipulation de la population est assurée en invitant « tout ce que les grands médias comptent de journa-listes assurant la rubrique “santé“ » à des colloques dans des endroits de rêve. La formation continue des médecins est obligatoire depuis 1996, elle se déroule généralement en soirée, dans des restaurant avec orchestre : « ces réunions festives [reçoivent] souvent un soutien financier important des laboratoires quand elles ne sont pas tout bonnement organisées par eux » bien que « des garanties doivent être prises quant à [leur] financement ».

À propos des visiteurs médicaux, une étude a montré que 74% des médecins considèrent leurs visites « comme une source d’information importante », cependant, « dans un tiers des visites observées, les indications thérapeutiques alléguées par les visiteurs ne correspondent pas aux indications officiellement validées ».

Cela explique qu’un ancien pré-sident de l’Ordre des médecins ait pu déclarer que « le médecin n’est pas assez entraîné à distinguer ce qui relève de l’information, de la publicité ou de la formation au sens strict. »

Les écoliers sont eux aussi devenus une cible puisque les laboratoires ont créé des programmes d’éducation dont l’aspect attractif aide à « développer chez les enfants un réflexe de consommation là où le besoin du produit ne se fait pas sentir ». Ils acquièrent ainsi des réflexes : « prendre un médicament au moindre petit mal ou n’envisager l’issue d’une consultation que par la prescription de médicaments. »

Certains laboratoires « ne voient pas très clairement la limite entre les pratiques d’influence et la franche corruption ». L’un d’entre eux, français, a réussi à obtenir l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament sans efficacité prouvée, au prix qu’il souhaitait et avec un remboursement à 70%. Quelques années plus tard, cette si-tuation a étonné les personnes chargées de la mise à jour de la liste des médicaments efficaces. Une enquête a alors révélé que ledit la-boratoire avait fait construire une usine de production dans la circonscription du ministre en charge de la santé à l’époque des faits…

Tout ceci montre que la pléthore de médicaments est motivée par la recherche de profit bien plus que par celle de la santé publique. « S’il est logique que les industries cherchent à vendre toujours plus leurs produits », le rôle des autorités sanitaires est d’y mettre bon ordre. La situation actuelle est dommageable pour tout le monde. Les médecins sont submergés par le nombre de nouveaux médicaments, la recherche tourne à vide car elle est plus attirée par le souci d’accaparer de nouvelles parts de marché que par le développement de médicaments bénéfiques et « la santé publique n’a rien à y gagner, sinon des risques supplémentaires d’accidents médi-camenteux ».

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[1] Les lobbies contre la santé, par Roger Lenglet et Bernard Topuz, Syros éditeur.

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