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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 756 - mai 1978 > L’oeuf de Colomb

 

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Aujourd’hui : Vodka-Cola, de Charles Levinson, publié par les Editions Stock.

L’oeuf de Colomb

par H. MULLER
mai 1978

IL fallait y penser. « Produisez dans la région du monde où l’efficacité du coût est la plus favorable, c’est-à-dire en Europe de l’EST, et vendez dans celle où les profits réalises sur les ventes sont, après comparaison, les meilleurs, donc en Occident industrialisé ». Mise en pratique par les Multinationales, la formule allait déboucher, à partir des années 70, sur la plus rocambolesque des opérations politico-économiques jamais imaginées, tracassant défi asséné aux idéologues.
De quoi s’agit-il ? D’opérations de troc ultrasophistiquées, mariant des multinationales américaines, européennes et japonaises, directement aux gouvernements des pays « communistes  » de l’EST. Le troc consiste, ici, à échanger des conditions d’implantation favorables et la mise à disposition d’une main-d’oeuvre à coût et charges réduites, contre une technologie, l’envoi de machines et de personnels aptes à assumer la bonne marche de coproductions, de co-entreprises, aptes à veiller aux normes de qualité exigées pour la vente des produits sur les marchés occidentaux.
Effectuées par les réseaux commerciaux des grandes firmes capitalistes, ces ventes de produits made in Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, URSS, Yougoslavie sont appelées à rembourser les crédits à long terme, publics ou bancaires, dollars et eurodollars accordés aux multinationales pour couvrir leurs dépenses d’implantation dans les pays de l’EST. Selon Lévinson, l’endettement cumulé atteindrait quelque 60 milliards de dollars. Au rythme où se développe ce type d’investissements, le découvert risque davantage d’augmenter que de diminuer ; il explique, mieux que les arguties des « experts », l’inflation dont l’Occident est victime.
Succèdant à 20 années de guerre froide, de violences verbales contre les communistes de l’EST, la détente exigée par les étroits rapports industriels et commerciaux entre l’OUEST et l’EST est- elle du moins garante d’une paix durable ? Ch. Lévinson l’affirme. L’Occident, explique-t-il, ne saurait faire la guerre à un débiteur qui s’est engagé à lui rembourser 60 milliards de dollars en marchandises au cours des 10 à 15 prochaines années, pas plus d’ailleurs qu’il n’est question de détruire les installations, le co-patrimoine des multinationales implantées en pays communistes. Craignons, en revanche, que las de l’exploitation dont il est l’objet, tant de la part de ses gouvernants que des Multinationales, l’ouvrier ne se rebelle, exigeant de ses gouvernants qu’il soit mis fin à son servage. Alors la dénonciation des accords négociés pourrait constituer un casus belli. Il sera tentant, pour l’EST, d’user de ce biais pour se libérer de sa dette.
Une pareille situation exige donc à la fois détente et vigilance. En s’implantant à l’Est, les multi-nationales ont semé un germe de guerre, assez pour procurer au complexe militaro-industriel occi-dental la justification qui lui faisait defaut face a la constance des declarations pacifiques (« l’avalanche de paix ») des dirigeants du Kremlin, de Staline a Brejnev. Ainsi tout va-t-il bien pour le capitalisme assure de ses débouches d’appoint : armements à l’Ouest, vodka-colonisation a l’EST. On a « transformé des consommateurs inintéressants en producteurs peu coûteux  ». On « exploite les travailleurs de l’EST pour exploiter mieux encore ceux de l’OUEST ».
A cette action concertée correspond un Pouvoir économique supra-national. Ch. Levinson en décrit la composition, les buts, les rouages, la liturgie et les rites. Commission trilatérale, groupe de Bildeberg, grandes Fondations et leurs annexes, Gouvernement de Washington, c’est une sorte de confrérie réunissant une élite mondiale : banquiers, hommes politiques, chefs des plus grandes entreprises, universitaires et jusqu’à des syndicalistes de renom, triés sur le volet, cow-boy chargés d’encadrer le troupeau, de l’amadouer, d’empêcher qu’il ne rue dans ses brancards, durant que d’autres ont pour tâche de distraire son attention, de l’abrutir, de paralyser sa réflexion.
Quant aux gouvernements, leur rôle se borne à suivre le coche, à entériner les accords de co-production après que ceux-ci aient été conclus, à camoufler devant l’opinion, la nature et la portée de ce genre d’opérations ignorées des parlements eux-mêmes, enfin à pratiquer une politique d’austérité salariale en vue de combattre l’inexorable montée du chômage. Témoin le cas de l’Italie : « Le pays connaît un curieux phénomène qui réside dans un excès de travailleurs inemployés à la recherche de patrons volatilisés. Le potentiel industriel et financier du pays s’est dispersé entre la Pologne, l’URSS, la Hongrie et les paradis fiscaux, laissant sur le sable de l’Adriatique les ouvriers qui n’ont pas les mêmes possibilités de voyager. Pirelli, Montedison ne sont pas K.O. mais OUT et il faudra vraiment que le P.C. restaure un climat social sûr, pour que les capitalistes transalpins et internationaux se laissent convaincre de réinvestir  ». (p. 321)
Il ne reste plus aux Syndicats qu’à mettre le riez hors de leur bocal, à présent que le couvercle vient d’en être soulevé, et s’ils ne craignent pas la lumière crue.
VODKA-COLA ? un livre grinçant, corrosif, décapant, de nature à déclencher une lame de fond pouvant balayer les fantoches agités par les grands prêtres de ce veau d’or que nos démocraties ont placé au pinacle. VODKA-COLA ? Une information exceptionnellement dense. A lire absolument pour qui recherche un fil conducteur dans l’imbroglio politique et économique du monde d’aujourd’hui.

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