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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1016 - décembre 2001 > Nicole

 

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Témoignage

Un autre aspect de l’économie distributive concerne chaque citoyen personnellement : le fait d’être assuré de recevoir réglièrement un revenu décent lui permet de déterminer son activité en fonction de ses aspirations et de son talent. Le témoignage que Roland Poquet rapporte ci-dessous permet de complèter au niveau individuel la comparaison avec le système actuel :

Nicole

par R. POQUET
décembre 2001

Nous l’appellerons Nicole. Puisque de toutes façons elle s’appelle Nicole et que son parcours, assez exceptionnel, n’appartient qu’à elle. Quoique…

Suite à un épisode inattendu de sa vie affective, Nicole a dû interrompre ses études au Lycée technique de la ville, alors qu’elle s’apprêtait à passer les épreuves du Baccalauréat. J’ai rencontré Nicole il y a quelques mois : c’est une femme intelligente, équilibrée, heureuse quand elle peut se mettre au service des autres : « on a la “fibre sociale” ou on ne l’a pas », s’emploie-t-elle à dire. Cela tombe bien. à près de cinquante ans, Nicole vient de trouver son premier vrai travail, un contrat pour un emploi à temps plein et à durée indéterminée, auprès du PACT de la ville, association aux responsabilités multiples pour assurer notamment un service d’action sociale avec suivi personnalisé en faveur des familles en difficulté… Tout un programme. Nicole avoue être heureuse car cette activité, qui l’oblige cependant à un don de soi exténuant, répond exactement à ses aspirations et à ses dispositions les plus profondes.

*

Il n’est pas rare qu’une femme effectue son premier vrai travail à plus de quarante ans, me direz-vous. Certes. Ce qui est moins banal, c’est que Nicole a passé quinze années de sa vie à multiplier les stages les plus divers, et parfois les plus inattendus, dans l’espoir de trouver un travail.

De 1986 à 2001, Nicole a participé à une dizaine de stages, de durée plus ou moins longue chacun, entrecoupés de petits boulots ou de périodes de chômage (la plus longue vacance intervenant de 1995 à 1997), stages placés sous l’égide de l’Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) qui dépend du Ministère de l’emploi et de la solidarité ; la rémunération mensuelle dépassant rarement le plafond des 4.000 F.

Le détail de ces périodes de formation est instructif :

• En 1986-1987, stage de secrétariat, niveau 4 (Bac Technique) pendant neuf mois.

• De 1987 à 1992, plusieurs périodes de travail temporaire, notamment au sein d’une association de prévention spécialisée “La Bouée des Jeunes” pendant un an et demi.

• En 1992-1993, à l’issue d’une période de dix mois, obtention d’un brevet de technicien comptable d’entreprise. La fin de l’année 93, puis l’année 1994 se passent en multiples démarches à la recherche d’un emploi répondant à cette qualification ; deux opportunités se présentent mais l’absence d’expérience professionnelle à faire valoir conduit à un double échec.

• De 1995 à 1997, ce sont les années-découragement. Vers quelles formations se tourner quand les perspectives de travail se dérobent ?

• En 1997, Nicole repart à l’assaut. Toujours sous l’égide de l’AFPA, elle effectue un stage “d’agent de fabrication industrielle”, assorti de deux PAE (périodes d’application en entreprise) d’un mois chacune chez un orthopédiste, au cours desquelles elle pense s’initier au travail du cuir, de la résine et des matières plastiques. Mais, comme il s’agit d’un premier stage de ce type en France, le matériel arrive en fin de formation, ce qui enlève à celle-ci toute efficacité. Aussi la psychologue du travail propose-t-elle aux personnes intéressées une autre formation.

• En 1998, Nicole se lance alors dans un stage de neuf mois (niveau 5) comme “chaudronnier tuyauteur des matières plastiques”. Les débouchés existent mais, lui est-il répondu, « pas pour les femmes et les étrangers »…

• En 1999, nouvelle période de découragement. Pour son plaisir personnel, Nicole suit un stage de “redynamisation par le théâtre” sous la direction d’un metteur en scène et comédien de haut niveau. C’est la révélation : Nicole, s’avèrant plus douée pour les planches, et donc pour la relation à autrui, que pour le façonnement des matières plastiques, intègre une troupe de théâtre amateur. Mais nous sommes, bien évidemment, en plein bénévolat.

• En 2000, Nicole entrevoit enfin une éclaircie. Au cours d’un CES (contrat emploi solidarité), en secrétariat à l’AFPA, elle découvre, dans le cadre de ses activités, une fiche décrivant une formation susceptible de déboucher sur un métier de “conseiller en insertion professionnelle”. Attirée par la dimension sociale de cette formation, elle effectue un stage AFPA de huit mois, en partenariat avec l’IRTS (Institut régional de travailleurs sociaux) ; le stage a lieu à cinquante kilomètres de chez elle, mais l’obstacle ne la rebute pas. Elle obtient un diplôme de niveau 3.

•En 2001, le PACT lui offre son premier emploi à temps plein et à durée indéterminée.

*

Essayons de tirer quelques enseignements d’un tel parcours :

1. A une époque où le travail change de nature et, pour le moins, n’a plus la stabilité et l’étendue des registres qu’il avait autrefois, la route qui mène à l’obtention d’un emploi à plein temps et à durée indéterminée est de plus en plus longue et de plus en plus incertaine. Je puis témoigner que Nicole avait pourtant toutes les qualités requises pour y parvenir : un rare équilibre psychologique, une intelligence supérieure à la moyenne et une volonté rarement prise en défaut. Qu’en est-il de tous ceux et de toutes celles qui perdent rapidement leurs repères d’espace et de temps ou qui, n’en ayant jamais eu, se sentent définitivement inaptes à toute intégration par le travail ?

2. Malgré les efforts accomplis et traduits en actes par le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité (via l’AFPA et autres organismes), les stages, même répétés et diversifiés, n’ouvrent pas automatiquement le chemin de l’emploi et, en aucun cas, n’accordent une garantie quelconque au demandeur d’emploi ; l’incontestable acquis de connaissances et de savoir-faire est leur seul aspect positif.

3. Cet exemple évoque a contrario les catégories de personnes hors du champ de l’emploi, de façon provisoire ou définitive
- jeunes ou moins jeunes à la recherche d’un premier emploi,
- personnes ballottées d’un stage de formation à un, avec petits boulots à la clé,
- préretraités et retraités qui souhaiteraient encore participer à un travail ou à une activité socialement reconnus.

Bien entendu, les statistiques du chômage ne prennent pas en compte ces trois catégories de personnes ; il serait cependant intéressant de connaître, à un moment donné, le nombre de participants à des stages de formation officiellement reconnus : existe-t-il des statistiques à ce sujet ? et parmi ces participants, et d’une année sur l’autre, combien sont-ils à avoir réussi à décrocher un emploi ayant un rapport avec la formation suivie ?

4. Tout au long de ces quinze années, combien de pé-riodes de doute et de lassitude qui entraînent la plupart du temps la perte de confiance en soi ? Combien de moments de détresse accentués par l’insuffisance des revenus ? Combien de rancœurs accumulées au regard d’une société qui étale avec impudeur ses richesses et refuse de prendre les mesures nécessaires à leur harmonieuse distribution ?

*

La solution à ce problème de l’emploi nous la connaissons : c’est la rupture du lien entre l’emploi et le revenu. Un revenu à chacun en fonction de son statut social et selon des critères à définir démocratiquement : c’est un devoir auquel nos sociétés se doivent de répondre. Déconnecté du revenu, l’emploi peut alors diminuer et, a fortiori, être réparti entre tous les citoyens.

Dans la douloureuse attente de l’adoption d’une telle mesure – que tout le monde trouve utopique, bien entendu, mais la détresse et la misère, elles, sont bien réelles – faut-il militer dans l’immédiat pour l’instauration d’un “revenu minimum garanti” accordé à tous afin qu’en bénéficient en priorité ceux qui, comme Nicole, parviennent difficilement à s’insérer dans notre société du travail ?

Mais dans le système du marché la mise en place d’une telle mesure n’est pas simple…

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