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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1089 - juillet 2008 > Savoir garder ses paysans

 

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Témoignage

En ces temps de crise alimentaire, qualitative et quantitative, D.Vuillon, l’initiateur des AMAP en France, témoigne de ce qu’il a pu observer de l’agriculture telle qu’elle est pratiquée au Japon.

Il y a là vraiment une leçon à tirer :

Savoir garder ses paysans

par D. VUILLON
31 juillet 2008

Invité à intervenir dans le cadre d’un symposium concernant le réchauffement climatique et ses conséquences sur la souveraineté alimentaire et les productions agricoles, à Kobé, du 23 au 25 Mai, je fais part ici de mes observations sur ce que j’ai pu voir et ressentir, plutôt qu’un compte rendu détaillé des multiples rencontres et visites que j’ai pu faire dans un temps pourtant très court.

Une généralité tout a fait étonnante : le Japon, 150 millions d’habitants, est le seul pays développé (la 2ème puissance économique mondiale) à avoir su garder ses paysans : 15 millions, soit 10 % de la population ! ( 0,8 % en France !!!). En plus, cette agriculture n’est pas du tout exportatrice mais essentiellement nourricière de proximité. Et même si aujourd’hui elle ne couvre que 40 % des besoins de la population, elle est capable de la nourrir toute …

Pourquoi ce constat ? — À mon avis plusieurs raisons :

• Dès 1945, à cause de l’insularité du Japon, puis de son relief, puis de sa densité de population, les autorités japonaises ont préservé de toutes autres activités les bonnes terres agricoles.

• Dès les années 60, à cause de l’insécurité alimentaire, les mères de famille ont crée les Teïkeï véritable bouée de sauvetage des petites fermes.

• Les Japonais sont très attachés à leur tradition culinaire, leur cuisine, excessivement diversifiée, utilise énormément de produits différents.

• Ils ont la culture de la perfection, de la précision et du raffinement ; d’où une très grande exigence sur la qualité des produits qu’ils consomment, dont la fraîcheur, ils veulent donc proximité et circuits courts.

• Autre constatation : en dehors des Sumo ( !) on ne voit pas d’obésité dans la rue, ce qui sous-entend une bonne nourriture, riche mais équilibrée, car ils ont une puissance de travail fantastique.

Les Teïkeï

Première observation : il en existe une très grande quantité encore aujourd’hui. Mais ce mouvement n’est jamais arrivé à se fédérer, ni à s’organiser au niveau régional, et encore moins au national (tiens, tiens !), les acteurs du mouvement se disputant continuellement entre les puristes 100 % en Teïkeï, les bio et moins bio et les dérives, dont les grandes coopératives de consommateurs.

Cela signifierait-il que ce mouvement est inorganisable ? Pourtant l’ambiance, dans chacun d’entre eux, reste géniale d’après ses acteurs. Toujours est-il qu’il est très difficile de connaître leur nombre d’une façon précise.

Pour les jeunes, ce mouvement, maintenant ancien au Japon, est un peu ringard. Ils recherchent des formes plus dynamiques pour la commercialisation [1] de leur production. Mais quelle ne fut pas leur surprise lorsque je rendis hommage à leur initiative en leur montrant que leur concept contenait des principes universels, qui se développent ainsi dans tous les pays, riches ou pas, au Nord comme au Sud ; qu’il était l’expression d’un grand modernisme, puisque porté par des jeunes !

Celà a beaucoup ému les anciens, producteurs et consommateurs, créateurs du concept : ils ignoraient que leur idée connait aujourd’hui un essor impressionnant partout sur la planète !

J’espère que ce témoignage participera à une relance du concept chez eux. Et que les jeunes, producteurs comme consommateurs, auront compris son actualité.

La “bio”

Sur le débat, qui est continuel aussi au Japon, sur la bio, certifiée ou non, une constatation : 5.000 paysans sont bio certifiés, 225.000 sont bio sans certification (en particulier ceux qui sont en teïkeï). La certification est très onéreuse et très contestée. Depuis deux ans les pouvoirs publics encouragent une agriculture propre et en particulier l’agriculture biologique. Les exploitations agricoles sont minuscules. Ainsi, dans la région de Kobé où j’étais, il y a 100.000 fermes dont la moyenne de surface est de 0,7 hectare. Sur ces fermes on cultive d’abord du riz, puis des légumes et, si c’est en couple, de la volaille.

Les fermes sont trop petites pour pouvoir embaucher. La plupart du temps, le paysan travaille seul, aidé par sa famille. La petite mécanisation est très développée, surtout pour la production de riz, même pour les petites fermes.

La culture sous serres-tunnels est présente, mais le risque de typhons freine son développement.

La région de Kobé participe au soutien de son agriculture par la construction de 500 marchés couverts, dispersés sur le territoire ; mais les paysans peuvent difficilement quitter leur ferme pour la vente directe, sauf s’ils travaillent en famille.

Un des très gros challenges de l’agriculture japonaise est le renouvellement des générations : 40 % des agriculteurs japonais ont plus de 65 ans ! Les jeunes sont plus attirés par l’extrême modernisme des villes que par le traditionalisme des campagnes. Redonner une image positive de l’agriculture est absolument nécessaire avec, en plus, des mesures incitatives à l’installation.

Une autre constatation laisse rêveur : la seule filière agricole qui a connu une forte diminution du nombre d’agriculteurs est la filière lait, mais c’est aussi la seule filière dont le prix était garanti par l’État à un niveau très rémunérateur. Y a-t-il un lien ? Toujours est-il que dans cette filière le nombre d’éleveurs, sur tout le Japon, est passé de 1.500 à 20 ! Mais le nombre de vaches est resté le même ! Sur ces exploitations restantes le nombre de vaches laitières varie de 1.000 à 1.500 … Bonjour la traite ! Je n’ai pas pu visiter ce type d’élevage, il se pratique beaucoup plus au Nord, dans la région d’Hokkaïdo.

Concernant la bio-diversité, aucun frein n’existe à son maintien : seulement des mesures phytosanitaires sur l’importation de semences (par exemple le doryphore n’existe pas au Japon, d’où des contrôles sur les importations de semences de pomme de terre).

Je voudrais remercier Rudi Berli, paysan du Jardin de Cocagne de Genève (qui n’a rien à voir avec les Jardins de Cocagne français) qui a participé avec moi au symposium et qui a eu la gentillesse d’assurer la traduction pendant tout mon séjour, car notre guide permanent japonais s’exprimait en anglais. Nos nombreux échanges pendant ce voyage m’ont fait découvrir plus en détail l’agriculture suisse, et je pense qu’il serait très intéressant d’organiser début 2009 un voyage en Suisse à la découverte de cette agriculture, exemplaire sur bien des côtés ! Toujours est-il qu’en Suisse les ACP (Agriculture Contractuelle de Proximité = les AMAP chez nous) connaissent un fort développement en ce moment. Elles se sont fédérées ce printemps dans la Fédération Romande pour l’Agriculture Contractuelle de Proximité.

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[1] NDLR C’est nous qui soulignons pour montrer que, là encore, c’est l’aspect financier, l’argent qu’on peut tirer, qui passe avant tout autre considération.

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