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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 752 - décembre 1977 > La fuite en avant

 

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LES QUESTIONS AGRICOLES :

Répondant à l’appel de J. MESTRALLET, notre camarade Jean MATEU nous parle des problèmes du midi méditerranéen.
Nous remercions ces camarades d’avoir répondu à notre demande d’engager de tels dialogues dans nos colonnes.
C’est un exemple à suivre !

La fuite en avant

par J. MATEU
décembre 1977

D’EMBLEE je me déclare entièrement d’accord avec J. MESTRALLET en reconnaissant la supériorité de la culture agrobiologique sur la culture agrochimique, son antithèse. Mais est-ce là le problème ? Je ne le pense pas : en effet, quels que soient les mérites des adeptes de l’agrobiologie, et les résultats qu’ils obtiennent, et qui sont évidents, il n’en reste pas moins que la généralisation de la culture agrobiologique butera toujours contre les impératifs de l’économie marchande.
Pour réussir pleinement, la culture agrobiologique, comme toute autre manifestation d’ordre écologique, postule une planification rationnelle - j’entends humaniste, non totalitaire - dont l’avènement n’est pas pour demain. Au surplus, le mal est fait : les oiseaux sont partis, sinon pour toujours, du moins pour très longtemps.
En attendant, le producteur ne voit d’autre solution à ses problèmes que dans la fuite en avant, visant avant toute considération de diététique ou de morale, l’obtention de hauts rendements.
Le Roussillon ne fait pas exception à la règle, en appliquant justement les méthodes de « forcing » en complément du soleil, avantage naturel gratuit, et inappréciable pour une région à vocation primeuriste.
D’où, pour les cultures maraîchères et fruitières, irrigation, engrais à doses massives, traitements polluants intensifs, cultures sous serre, utilisation de toute la gamme des fongicides, tailles appropriées, éclaircissage selon les variétés, etc...
Bref, mise en oeuvre de toutes les techniques visant au même résultat  : précocité des récoltes et production maximale avec de moins en moins de main-d’oeuvre.
Le résultat ? des récoltes optimales.
Le hic, c’est lorsqu’il s’agit de commercialiser une récolte dépassant la capacité d’absorption du marché solvable. C’est cet aspect de la question qui. à mon avis, prime tout.
En ce qui concerne, la vigne, dont les traitements de base restent encore le soufre et le sulfate de cuivre (rien donc de changé quant aux innovations biologiques), il faut distinguer les ténements de faible ou moyenne production mais à haut degré, souvent plantés sur des sols ne se prêtant pas à d’autres cultures, de ceux à haut rendement mais à faible degré, produisant des vins médiocres sollicitant le coupage.
C’est ce dernier secteur de la viticulture, particulièrement, développé dans le midi méditerranéen, qui est le plus touché par l’évolution des progrès techniques. Nous n’en sommes plus à la révolte de 1907 mais Montredon reste trop présent à nos mémoires pour ne pas souhaiter qu’un effort soit fait en vue de populariser nos thèses parmi les viticulteurs.
Nous assistons en effet, et ce depuis longtemps déjà, à une mutation complète des activités rurales sans que les dirigeants des instances professionnelles veuillent bien se donner la peine d’éclairer leurs mandants sur ses conséquences.
Il m’est arrivé de m’adresser à plus d’un représentant qualifié et de lui demander, par exemple, ce qu’il entendait (dans le régime) par « solution socialiste dirigiste ». L’un d’eux écrivait dans un des plus importants quotidiens du Midi : « Dans un univers capitaliste, le sort des hommes est déterminé par les lois du marché fondées sur le profit. Tout le reste est littérature et manipulation. »
Peu après, M. Verdale, à Nîmes, s’exprimait ainsi  : « Nous croyons qu’il est impensable que le marché viticole continue dans la voie du libéralisme. » Je pourrais à l’infini multiplier les citations. A quoi bon ? Tout le monde est d’accord pour condamner un système qui n’apporte qu’insatisfaction quand ce n’est pas le désordre, avec toutes ses conséquences. D’où, pour nous, l’impérieux devoir d’essayer de faire admettre, au plus grand nombre possible, l’idée, qui nous tient à coeur, d’un REVENU SOCIAL.
Des milliers de petits exploitants se trouvent virtuellement exclus du circuit des échanges, ne subsistant nue grâce aux subterfuges propres au système qui vont des prêts aux subventions, en passant par les indemnisations pour cause de sinistre et finissant à la maigre retraite où à l’indemnisation viagère de départ après intervention des S.A.F.E.R., faisant d’eux des assistés permanents. Il faut expliquer à tous ces exclus qu’ils n’ont rien à perdre en troquant leur statut d’exploitant pour celui de fonctionnaire appointé au même titre nue nombre d’autres participants à des activités similaires qui bénéficient, eux, des avantages de la sécurité de l’emploi et d’un traitement garanti.
Un jour de barrage de route et autres aménités, il m’est arrivé de demander : « à quoi rime tout ce gaspillage de forces, ce déploiement de banderoles, ces brimades envers les passants, puisque vous allez vous retrouver gros jean comme devant avec vos chais débordant de vin que vous ne pare venez pas à écouler avec profit ? »
Un brave manifestant de ma connaissance me répondit devant plusieurs de ses collègues : « J’ai souvent pensé à ce que vous me disiez un jour qu’on ne lutte pas contre l’abondance et que ce n’est pas tout de produire mais qu’il faut encore vendre. Et il est évident que, devant des stocks dépassant les besoins solvables, il n’y a rien à faire. » « Sauf distiller, ajoutai-je, et aux frais de tous. Est-ce une solution ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour vous, producteurs, continuer à produire sans souci de débouchés ? En fait de soucis, vous avez déjà ceux, et ils sont sérieux, de faire «  venir une récolte ». Pourquoi devoir y ajouter ceux de son écoulement ? A la collectivité le soin d’y veiller, à vous de produire et c’est tout. En échange, bien entendu, d’un revenu que nous appelons social. Pensez-y ! »
Songeons donc à l’impact que cela produirait si quelques exemplaires de « La Grande Relève » traitant de ces questions pouvaient être diffusés parmi les intéressés, dirigeants compris. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, parmi eux, se trouvent déjà ceux qui ont eu l’occasion de se déclarer « insolidaires » du régime des échanges (sans parvenir, il est vrai, à en tirer les conclusions adéquates). En leur mettant sous leurs yeux leurs propres déclarations suivies de nos arguments, cela permettrait d’attaquer efficacement tout l’arsenal de préjugés et de lieux communs dont ils abreuvent leurs troupes.
Quant au paysan de « base », il répugne à la destruction de denrées, sous forme de distillation pour le vin, de retraits pour les fruits et les légumes. Il a conscience de l’absurdité de tels procédés. Qu’on lui montre, argumentation irréfutable à l’appui, la possibilité d’échapper à cette situation et le voilà devenu réceptif à d’autres solutions. Il va se mettre à réfléchir. Le reste suivra. Fi comme personne d’autre que nous ne peut lui exposer un raisonnement convainquant...
Il y a là un effort à faire.

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