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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1087 - mai 2008 > La faillite du modèle américain est reconnue...

 

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La faillite du modèle américain est reconnue...

par J.-P. MON
31 mai 2008

Le journaliste Eric Le Boucher, chroniqueur économiste au quotidien Le Monde, est déçu par la campagne électorale américaine « parce que les candidats ne vont pas au fond des choses » [1]. On peut lui répliquer que ce n’est pas une spécificité américaine ! Il voudrait voir « l’Amérique réinventer un modèle de société unie pour le XXIème siècle ». Le malheur viendrait de ce que, comme l’écrit Paul Friedman, éditorialiste au New York Times « nous avons perdu de notre puissance ces dernières décennies, et les valeurs de nos parents, le travail dur, l’étude, l’épargne, l’investissement, la vie selon ses moyens, ont été adoptées par les Asiatiques, tandis qu’ici, elles cédaient le pas devant les valeurs des subprimes ». C’est pourquoi, écrit Le Boucher, « les Américains rêvent qu’un terme soit mis à la longue dérive vers l’égoïsme, l’injustice sociale, la mauvaise qualité des infrastructures et la restriction des droits civiques, dont l’ère Bush aura été le paroxysme. Moral au plus bas à cause des crises immobilière, financière et des échecs en Irak, l’Amérique est à un tournant ». N’ayant pas peur des contradictions, ou ne les voyant pas, il ajoute : « Il y a trente ans, l’Amérique engageait la révolution libérale reaganienne, et elle a bénéficié depuis, d’une économie brillante, tirant les meilleurs profits de le technologie, de l’immigration et de la mondialisation ». Comme si ce n’était pas le libéralisme qui encourageait l’égoïsme (c’est par votre seul mérite que vous deviendrez riche, puissant et admiré…), comme si ce n’était pas la politique reaganienne avec ses baisses d’impôts pour les plus riches, son opposition à l’instauration d’une sécurité sociale pour tous et à un véritable système de retraites, la baisse des investissements publics, les déréglementations financières, etc. qui étaient la cause des maux que dénonce Le Boucher ! Il semble en découvrir soudain les dégâts : « Mais aujourd’hui, les institutions sont mises à mal au point de mettre en péril le rêve américain lui-même : la possibilité donnée à tous de réussir. Le salaire médian ne progresse plus, les fruits de la croissance ne sont plus partagés, la classe moyenne est poussée hors de l’ascenseur social ». Selon lui encore, les thèmes abordés dans les campagnes de Barack Obama, d’Hillary Clinton et de John McCain sont les bons, mais les contenus concrets font défaut « sauf à verser dans la démagogie, comme si la solution au post-libéralisme se trouvait dans un retour aux années 1960 ». Tiens, tiens… les économistes seraient-ils en train de l’enterrer ? Les années 60 seraient donc l’horreur absolue ? Je crois pourtant me souvenir qu’elles faisaient partie des célèbres “Trente glorieuses”. Cela rappelle la réaction inattendue d’une militante d’ATTAC, qui enseigne de l’économie et participe au groupe national de réflexion sur la monnaie : elle s’est écriée, à l’évocation par un de nos camarades des bienfaits de l’inflation de ces années, qu’elle ne voudrait à aucun prix revivre cette époque. Comprenne qui pourra, car cette inflation a permis à de nombreux salariés modestes de devenir propriétaires de leur logement. Il est vrai qu’à l’époque les salaires étaient indexés sur l’inflation des prix et que les banques consentaient des prêts à taux fixe ce qui ne leur permettait pas les profits qu’elles réalisent aujourd’hui ! Elles ont depuis lors corrigé le tir…

Comme il veut absolument éviter le retour aux doctrines en vigueur dans les années 1960, É. Le Boucher est très angoissé : « la crise des subprimes […] souligne l’urgence de trouver un autre moteur de croissance que l’endettement ; Lequel ? […] L’Amérique doit-elle réhabiliter l’impôt afin de commencer à resserrer les inégalités et de relancer les dépenses d’infrastructures (routes et ponts, qui sont tiersmondisés) ? […] En ce qui concerne les retraites, comment régler le curseur entre assurances privées et couverture publique ? […] Comment éviter que les candidats, mais aussi de nombreux élus à Washington, ne cèdent à la tentation protectionniste ? […] Existe-t-il un nouveau partage des gains de la croissance ? »

Quoiqu’il en soit, conclut-il, « le choix américain sera en tous cas suivi de très près ici, en Europe, où la classe politique de droite comme de gauche n’est guère plus avancée sur cette même interrogation : comment reconstruire la nation ? »

En résumé, le post libéralisme est moribond, il a amené l’Amérique et, avec elle, le monde dans l’état catastrophique où il se trouve, mais on ne sait pas par quoi le remplacer.

Dans le même ordre d’idées, les éditions Dermopolis viennent de publier la traduction en Français d’un livre [2] écrit en 2006 par Louis Uchitelle, chef du service économique du New York Times, qui donne une description assez peu encourageante du “paradis” américain. Il écrit que depuis le début de la présidence Reagan, (1980), plus de 30 millions d’Américains ont perdu leur travail. La stabilité de l’emploi, caractéristique des années d’après guerre, a fait place, sous l’influence des doctrines ultra-libérales propagées par “l’école de Chicago”, à un recours systématique aux suppressions de postes. Les licenciements sont devenus une méthode de gestion courante des entreprises. L’enquête de Uchitter fait apparaître le processus par lequel l’opinion américaine est devenue indifférente, voire consentante, aux licenciements : « Chaque licenciement est devenu l’affaire ou la faute de la victime, non plus celle de la société […] Les fusions, l’externalisation, les restructurations permanentes d’entreprises en quête de profits à court terme, la migration d’usines et de bureaux dans des villes et des pays à bas salaires, la stagnation des revenus, le recul ou l’abandon de pans entiers de l’industrie, tous ces facteurs requièrent un assentiment aux licenciements ». C’est, bien sûr, la nécessité de s’adapter à la mondialisation qui est avancée pour justifier ces restructurations permanentes. Et les partisans du système proclament qu’une fois l’adaptation achevée, le plein emploi reviendra, la précarité disparaîtra, …bref ce sera le paradis. Uchitelle démontre, à l’aide de nombreux exemples, qu’en fait il n’en est rien. On assiste à un immense gâchis. Après celle de Reagan, les administrations Bush et Clinton sont tout aussi responsables. Celle de Clinton, qui n’a su qu’emboîter le pas à l’idéologie dominante, a même contribué à l’accélération de la désagrégation des solidarités et de la perte d’influence des syndicats au profit de l’entreprise toute puissante.

On se croirait en France ou en Europe dans une alternance droite-gauche !

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[1] Le Monde 11-12/05/2008.

[2] The disposable American. traduit sous le titre : “Le salarié jetable”

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