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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 783 - novembre 1980 > L’écologie et nous

 

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L’écologie et nous

par M.-L. DUBOIN
novembre 1980

A la suite d’une information parue dans la presse, et qui nous classait parmi les écologistes français, nous avons reçu un abondant courrier nous demandant de préciser notre action écologique . Ce courrier met en relief la prise de conscience d’un grand nombre de nos contemporains à propos de la dégradation de notre environnement, mais manifeste en même temps une certaine déception devant la dispersion, et par conséquent le manque de force, des groupements qu’on réunit communément sous le nom vague d’écologistes.

L’écologie, en fait, est la science des rapports entre les êtres vivants et leur milieu naturel. C’est bien faire de l’écologie que de constater, comme nous le faisons, que l’homme a acquis depuis peu un pouvoir considérable sur son environnement. Depuis un siècle (ce qui n’est rien en comparaison des centaines de milliers d’années pendant lesquelles il n’agissait pas beaucoup plus que d’autres mammifères) il a mis la nature à son service. Et depuis quelques dizaines d’années il a même mis au point des moyens tellement gigantesques qu’il est capable de détruire la planète. Comment ne pas se soucier d’une aussi épouvantable responsabilité ?

La prise de conscience ne s’est cependant pas faite au niveau des « responsables », c’est-à-dire des élus et des gouvernants. Elle s’est faite d’abord au niveau de « marginaux », c’est-à-dire de ceux qui pensent tout seuls, ce qui leur permet de s’affranchir des idées toutes faites qui pour les autres constituent le plus souvent des œillères. Certains ont été sensibilisés par l’atmosphère polluée qui règne dans les grandes villes. D’autres, par la désertification des campagnes et la transformation des pâturages de montagne en stations de sports d’hiver. D’autres par l’épuisement, physique et mental, qu’entraîne une vie de travail passée à la chaîne ou à faire un boulot sans aucun intérêt. D’autres sont outrés par la publicité déchaînée qui fait de tout être humain une « cible » qu’il faut amener, par tous les moyens, et surtout en agissant lâchement sur son subconscient et sur ses faiblesses, à consommer, consommer n’importe quoi, consommer n’importe comment. Ce sont peut-être ces derniers qui ont, jusqu’ici, crié le plus fort, en mai 68 surtout, pour dénoncer la « société de consommation ». Il est à prévoir qu’un autre mouvement de révolte, plus violent et encore plus général, s’élèvera pour dénoncer le crime qui consiste à utiliser les ressources de la nature et l’ingéniosité humaine pour fabriquer des armes dont la puissance est à peine imaginable, alors que le dixième des sommes qui y sont consacrées pourrait empêcher qu’un milliard d’êtres humains vivent dans la misère, à côté.

*

Nous avons, dans ces colonnes, dénoncé depuis quelque quarante ans toutes ces nuisances, toutes ces inepties et tous ces crimes. Mais en y réfléchissant, nous allons plus loin, nous allons jusqu’à la racine : nous dénonçons la cause qui nous apparaît commune à ce qu’une multitude de groupes et d’associations dénoncent séparément.

Pour nous, la racine du mal est dans le maintien de relations économiques qui sont totalement périmées. On a voulu conserver les lois économiques issues de l’ère de la rareté, de l’époque où l’homme devait nécessairement, pour obtenir quoi que ce soit, l’échanger contre quelque chose, son travail par exemple. Aujourd’hui, le chômage ne cesse de croître dans des pays qui ne savent plus à qui vendre tout ce qu’ils produisent ! Cette absurdité engendre tous les maux qui sont dénoncés çà et là. Passons-les brièvement en revue.

Les campagnes sont désertées. Pourquoi ? Dans l’agriculture comme dans l’industrie, la loi du marché est faite par les plus « gros », ceux qui ont le plus de moyens. Et comme ils suffisent à approvisionner le marché, les entreprises familiales disparaissent. D’autant que la spéculation sur les terrains va bon train, si bien qu’un paysan trouve son avantage à vendre ses terres à un promoteur plutôt qu’à les cultiver. Et les beaux pâturages se recouvrent d’immeubles de béton.

Dans bien des pays où les pauvres meurent de faim, la dégradation du sol est au moins aussi grave, pour des raisons semblables, dénoncées, par exemple, par F. Foulon [1] : les riches ont acheté les bonnes terres que, le plus souvent ils laissent en friche. Alors les pauvres doivent se contenter des plus mauvaises terres, celles qui sont mal placées, plus haut, par exemple, là où la culture, souvent mal conduite, par nécessité ou ignorance, dégrade le terrain d’une façon qui peut être irrémédiable.

La pollution de l’air ? Il faudrait des pages pour en analyser les causes [2], mais sous chacune d’elles se cache un profit pour quelqu’un : les industriels ne veulent pas payer pour nettoyer les rejets qui vont dans l’air ou dans l’eau. Et cela durera jusqu’à ce que les marchands d’appareils d’épuration aient imposé leur intérêt. Et combien de salaires et de profits seraient perdus si le rail avait le pas sur la route pour le transport des marchandises ?

Bien des travaux épuisants, abrutissants, peuvent être supprimés encore par l’automation et l’informatique . Ils le seront dès que cette transformation sera rentable pour le patron. Mais les syndicats s’élèveront contre cette libérations parce qu’ils n’imaginent pas, pour un ouvrier, un revenu sans travail. Par contre, on développera encore les emplois de la publicité et tous ceux qui poussent à la consommation, à la création de soi-disant besoins » inventés de toute pièce pour « faire marcher l’industrie ».

Et les armements ? Quel meilleur moyen de faire marcher l’industrie et d’apporter d’énormes bénéfices aux industriels et aux banques qui les aident à investir ? La dépense mondiale en armements est prodigieuse : un million de dollars par minute  [3] ! Pourquoi trouve-t-on des crédits pour fabriquer des armes au lieu de consacrer ce potentiel à ceux qui ont faim ? Parce que ceux qui ont faim n’ont pas d’argent ! ! En un mot, il n’est pas rentable de nourrir, ni d’instruire, ni de soigner les pauvres. Il est plus rentable de faire et vendre des armes pour les tuer.

Et cela durera ou bien jusqu’à ce que ceux-ci s’organisent pour se révolter contre la loi impitoyable du marché qui les condamne à mort, dès lors qu’ils n’ont rien à offrir dont les riches aient besoin ; ou bien jusqu’à ce que la compétition entre les puissances industrielles nous mène à l’explosion finale ; ou bien jusqu’à ce que tous ceux qui se sentent responsables de l’avenir aient compris comme nous qu’il faut renoncer au système des prix-salaires-profits [4].

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[1] Dans « Un écologiste accuse ». Voir page 11.

[2] Voir ci-dessous l’article de M. Dubois.

[3] Voir « Courrier de l’Unesco », septembre 1980.

[4] Selon l’expression de J. Duboin.

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