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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 937 - octobre 1994 > Psychoses ?

 

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Éditorial

Psychoses ?

par M.-L. DUBOIN
octobre 1994

C’est certes une banalité, maintes fois répétée ici, de dire que l’opinion publique est fabriquée, au point que bien peu de nos contemporains jugent vraiment par eux-mêmes les faits et l’opinion exprimée doctement par les “gens en vue”. L’idéologie qui prévaut aujourd’hui et qu’on dit “libérale”, a, on le sait, le culte du travail, et pense que l’emploi rémunéré est la seule manifestation reconnue de l’insertion d’un individu dans notre société. En témoigne le débat récent sur l’exclusion que vient d’organiser pendant une semaine France Inter [1]. On ne s’étonne donc pas de voir que les champions du libéralisme en sont encore à chercher dans notre système la quadrature du cercle, sous forme de plein emploi à plein temps pour tous, comme il y a quarante ans. VGE en est un exemple entre mille, qui vient de découvrir que les entreprises embaucheraient spontanément, deux millions de chômeurs si le gouvernement décidait de réduire sérieusement les taxes patronales sur les bas salaires. Et puisque dans le système dont il n’ose pas sortir, il lui faut trouver une compensation à cette réduction des taxes, son idée géniale, largement développée dans Le Figaro, consiste à…augmenter la TVA !

Bref, tous les candidats qui s’agitent déjà en vue des prochaines élections vont encore nous proposer avec beaucoup de bruit des réformes, qui toutes vont échouer, comme toutes les précédentes, coincées qu’elles sont à l’intérieur d’un cadre étroit qu’on n’imagine pas changer [2].

Par contre, on peut s’étonner que quelqu’un comme Martine Aubry qui, à la fois, se veut progressiste par principe, devrait avoir acquis une sérieuse connaissance du problème quand elle a été ministre du Travail et a créé une association pour prendre des initiatives “sur le tas”, puisse se borner à vouloir créer des emplois quels qu’ils soient, des emplois-pour-l’emploi, fussent-ils nuisibles et mal payés, et déclarer qu’il faut pour cela cesser de remplacer l’homme par la machine ! A ses yeux, l’homme doit être aliéné au travail, c’est son destin. Au diable l’idée qu’il puisse avoir inventé les moyens de sa libération !

Sur l’impact que peut avoir sur les esprits l’idéologie qui domine, l’interview télévisée de François Mitterrand vient d’apporter témoignage. Loin de moi l’intention d’entrer ici dans un débat sur le livre de Péan, que je n’ai pas lu, ni de juger si le Président devait ou non prendre la peine de décrire publiquement ses états d’âme de jeunesse et répondre à toutes les suspicions dont il fait l’objet [3]. Je ne veux pas non plus entrer dans la polémique sur le procès qui est fait aujourd’hui a tant de résistants qui ont commencé par suivre Pétain en juin 40. Ce que je veux souligner c’est que F.Mitterrand a rappelé que régnait alors un certain "consensus" de loyauté à l’égard du vainqueur de Verdun. L’armistice a été accueilli avec soulagement parce qu’il était la fin d’un cauchemar impossible à supporter plus longtemps. Bien sûr, on préférerait qu’il en ait été autrement ! C’est d’ailleurs pour cela que le film “Français, si vous saviez” a été si longtemps interdit. Mais c’est un fait historique : au début, l’idéologie majoritaire, celle des milieux “bien pensants”, était derrière Pétain. Certains ont vite secoué le carcan et remis en cause cette idéologie, d’autres ont mis plus de temps à juger et n’ont cessé de suivre que plus tard. D’autres enfin n’ont jamais évolué. Le cheminement de la pensée d’un peuple est un fait d’Histoire qui dépend évidemment des hommes en vue et des médias de l’époque. Il faut lire à ce propos l’article d’un historien reconnu, Bernard Comte, qui, dans les colonnes du Monde du 23 septembre, sous le titre “Jeunesses des années de guerre” montre les cheminements suivis alors par d’autres jeunes gens que F.Mitterrand sous l’Occupation : il explique, par exemple, que « le scoutisme catholique est imprégné d’un idéal de chrétienté chevaleresque qui le rend perméable à l’idéologie officielle, d’autant plus que plusieurs de ses anciens dirigeants ont des fonctions au Secrétariat Général à la Jeunesse », qui était alors dirigé par Lamirand, « …catholique “social” et apolitique, entièrement dévoué au Maréchal et à une révolution nationale de tonalité morale et patriotique. Cette révolution nationale est accueillie avec plus de circonspection chez ceux qui, plus frottés de sens politique ou plus attachés aux valeurs démocratiques, entendent la juger sur preuve. Les éléments qui la rendent à nos yeux vaine et odieuse…ne sont pas clairement perçus dans la confusion ambiante. » Mais les itinéraires divergent. « Un Lamirand jusqu’à sa démission en 1943, un général de la Porte du Theil jusqu’à son…arrestation en 1944, ont servi la politique du Maréchal en pensant limiter les dégâts. Un Tournemire aux Compagnons, un Schaeffer à Jeune France, un Dunoyer de Ségonzac s’en sont progressivement détachés. Ce dernier…a été convaincu par ses amis intellectuels, Hubert Beuve-Méry en tête, de rompre l’allégeance qu’il avait d’abord faite au pouvoir de Vichy. »

Ne faut-il pas de même chercher l’empreinte d’une idéologie ancestrale quand on voit l’imagination que déploient tous ceux qui cherchent encore des rafistolages au système, des rustines pour colmater quelques brèches alors que le bateau coule, et cela simplement par une peur atavique de sauter dans un autre qui les attend ? Cette peur n’est pas consciente. Je pense au dernier livre de R.Sue, qui pour décrire l’économie distributive [4] parle du revenu social et du service social mais “oublie” l’essentiel, la monnaie distributive qui les rend possibles. Je pense à Claude Julien qui, dans le Monde Diplomatique de septembre dans un article remarquablepour sortir de l’impasse libérale écrit « Depuis des décennies, des esprits clairvoyants ont contesté les théories encore largement acceptées aujourd’hui et ils ont plaidé en faveur d’une autre logique économique. Dés 1958, Galbraith annonce le déclin des emplois directement productifs… Trois ans plus tard, Buckingham… prophétisait que le chômage allait menacer la structure de notre système économique… Hansen constatait en 1960 que l’automation peut porter la production de biens matériels au point où la masse de notre énergie productive pourra être consacrée à satisfaire les besoins de l’esprit… ». Quelle peur le retient de citer Duboin qu’il connait pourtant ? Je pense enfin à beaucoup de nos correspondants, qui, tout en se disant distributistes, cherchent encore, eux aussi, comme VGE, comme Martine Aubry et comme tant d’autres, des réformes, des rustines, pour ne pas avouer qu’il faut changer la logique de notre système économique.

On dirait qu’ils ont peur, par idéologie, par atavisme, de paraître révolutionnaires. Alors que ce sont les faits qui sont révolutionnaires. Nous ne faisons qu’imaginer le meilleur moyen de s’y adapter pour que tout le monde en profite !

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[1] J’en ai entendu une bonne partie. Seules deux voix sortaient des sentiers battus, celle du Pr.Jacquard et celle de René Lenoir. Celui-ci demandait ce matin, en substance, pourquoi un peuple comme le nôtre, qui entre 1982 et 1992 a multiplié par 3 son portefeuille d’actions, ne serait-il pas capable d’inventer une autre société, sans exclus ?

[2] sauf, mais en paroles vagues, un Ph. Seguin qui vient de déclarer à Colmar que l’enjeu du débat présidentiel est : « d’imaginer une autre société, une société nouvelle, dont les règles demeurent à inventer » ?

[3] jusques et y compris de la part des politiciens qui lui doivent tant et que Roland Dumas a magistralement remis à leur place.

[4] Lui, il nous cite, ce que tant d’autres, même parmi ceux que nous inspirons, n’ont pas l’honnêteté de faire.

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