Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1086 - avril 2008 > Le sort de Marie

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Le sort de Marie

par G.-H. BRISSÉ
30 avril 2008

Elle s’appelle Marie. Elle a 60 ans. Elle a été salariée pendant 22 ans comme caissière dans un hypermarché. Licenciée, placée d’office dans une charrette de réduction d’effectifs, elle n’a pas perçu d’indemnité de licenciement, parce que, avant son départ, elle avait obtenu un congé sans solde que son employeur n’avait pas voulu renouveler. Ayant alors suivi son compagnon, elle s’est occupée de son ménage, de sa famille et s’est inscrite comme demandeuse d’emploi. L’ANPE l’a convoquée à plusieurs reprises, mais ne lui a rien proposé.

Pendant la durée de son contrat, elle effectuait un double travail. Devant rester à la maison, elle effectue encore un travail à domicile, mais ne perçoit aucune allocation de « femme au foyer ». Et pourtant, ce travail domestique, et qui concerne aussi bien les hommes que les femmes, est rémunéré lorsqu’il est effectué par une « femme de service »… Sommes-nous encore au Moyen Age ? Le statut de « femme au foyer » est-il encore si dégradant, en ce temps où l’on fait l’éloge des « services à la personne » sous prétexte qu’ils seraient créateurs d’emplois parce qu’ils sont émiettés et rémunérés avec un lance-pierre ?

Picorer, c’est détourner l’attention

Pour équilibrer son maigre budget, est-il nécessaire de se lever tôt pour travailler plus, de multiplier les petits boulots, puis de regagner son domicile pour y effectuer à titre gracieux des tâche ménagères harassantes, sans cesse recommencées ? Tout cela pour finir à la charge de la Sécurité Sociale parce qu’à force de trimer plus pour gagner plus on a perdu la santé, le plus précieux des biens ?

Comment nommer cela ? De l’arnaque, bien évidemment ! Et comment désigner ceux qui en profitent ? Des charognards ! Il faut avoir le courage d’appeler un chat, un chat !

Entre ceux qui en profitent sans le moindre effort et ceux qui n’ont rien, il y a la masse des autres, les titulaires de retraites ou de salaires modestes, qui n’ont droit à aucun avantage, soit parce qu’ils gagnent quelques euros, voire quelques dizaines d’euros au-dessus du fameux plafond de ressources, soit parce qu’ils disposent de maigres économies.

Marie se situe dans ces eaux-là, mais elle est trop fatiguée à son âge, pour accepter un travail, même à temps partiel, que personne du reste ne lui propose, mais qui lui aurait permis d’arrondir ses fins de mois. Elle n’a d’autre issue que de solliciter un crédit facile, à coups de ces cartes de crédit que les grands magasins délivrent à profusion, ou auprès d’organismes spécialisés dans ce genre de démarches, jusqu’au surendettement !

On a arasé les « régimes spéciaux » de retraites au nom d’une égalité que personne ne réclamait. Ces retraites correspondaient à des métiers dont les conditions d’exercice avaient été âprement négociées. Il fallait, sans doute, revoir ce système, parce qu’il avait accumulé les situations particulières, mais le faire dans le souci d’améliorer le sort des gens, et non pas l’inverse ! Ce n’est pas l’âge de la retraite qui importe, c’est l’état de santé et l’état d’esprit : certains peuvent préfèrer mettre un terme à un travail pénible, répétitif ou sans attrait, à l’âge de 55 ans, et d’autres exercer avec talent et compétence une activité jusqu’à 75 ans. Définir une fourchette d’âges serait dans doute la solution la plus conforme à la réalité.

« Avec une monnaie réservée à la consommation, le revenu versé à un individu a pour objectif de lui donner les moyens de s’épanouir, de développer ses qualités propres et d’exercer au mieux les activités par lesquelles il assume sa participation à la société dont il est membre et qui l’entretient », écrit Marie-Louise Duboin dans Mais où va l’argent ? (éd. du Sextant, page 212). Elle ajoute : « Dans cette optique, le revenu n’est plus versé par les entreprises à ceux qui les emploient et seulement pendant la durée de cet emploi ; il est assuré par la société à tous ses membres et pendant toute leur vie ! » Faute d’un tel revenu social garanti, Marie, l’ex-salariée, est condamnée à survivre chichement de l’air du temps. Ni l’ANPE, ni l’Assedic ne lui ont été d’aucun secours ; et un régime politique animé par un président qui picore au nom de la « rupture » pour amuser la galerie, ne lui offre aucun espoir !

Comme une supermafia

À quelques encablures de l’âge légal de la retraite, qu’elle croyait toujours fixée à 60 ans, Marie a sollicité quelques informations pour une “reconstitution de carrière”. C’était en 2003, et on lui a répondu que le montant global de sa retraite pouvait être évalué à 600 euros nets par mois, ce qui n’était pas grand’chose, mais c’était alors l’équivalent du SMIC …

En 2007, le son de cloche fut différent : si elle souhaitait encore prendre sa retraite à 60 ans, le montant serait réduit de moitié ! Pour l’avoir à taux plein, elle devra attendre d’avoir 65 ans pour la solliciter ! En attendant, usée par des années de dur labeur, harassée par des tâches domestiques, la pauvrette devra se contenter de vivre avec 300 euros par mois !

Cette mesure se nomme une décote. Elle a été instaurée par un gouvernement de droite précédent, pour permettre de renflouer les caisses de retraite. Cet État se comporte en supermafia : il accorde sa protection en échange d’un revenu minoré. Alors qu’il devrait lutter contre les inégalités qu’engendre l’économie de marché, les responsables l’affaiblissent de jour en jour en diminuant drastiquement le nombre de ses fonctionnaires, en bradant le patrimoine national au profit d’intérêts privés. Et voilà qu’on prélève désormais des “franchises” sur les remboursements de frais de maladie, soi-disant pour participer à la solidarité en faveur des victimes de la maladie d’Alzeimer !

Mais les tracasseries polluant l’existence de Marie ne se limitent pas là !

Jeux interdits ou la République des arnaqueurs

Il n’est pas de semaine sans qu’elle ne soit harcelée, par téléphone ou par courrier, par un employé d’un établissement qui organise une loterie et lui fait miroiter des lots faramineux… Mais pour pouvoir gagner des sommes colossales, il faut d’abord qu’elle se manifeste, qu’elle confirme sa candidature à un numéro de téléphone, qui n’est pas gratuit, où elle devra répondre à un questionnaire d’identité, dans l’espoir d’un virement bancaire ou d’une remise d’espèces à domicile. Pour interrompre ce processus, on vous indique un autre numéro de téléphone, mais il figure aux abonnés absent, et, de même, vos objurgations écrites demeurent lettre morte. Dans un premier temps, Marie proposa d’imputer sa contribution à son gain, cela lui coûta un timbre-poste, mais elle ne reçut aucune réponse.

Combien sont-ils ces organisateurs de jeux européens, américains ou australiens, qui vous proposent des gains mirobolants à des loteries mystérieuses, moyennant le versement d’une contribution destinée à couvrir des frais de dossier, d’envoi, de formalités, etc ? Dénoncer ces pratiques auprès des organisations de défense des consommateurs réclame du temps et de l’argent, pour un résultat d’autant plus aléatoire quand le siège de ces entreprises est en général hors de portée.

Marie ne peut s’empêcher de rêver à son sort : si elle gagnait, elle deviendrait millionnaire ! En réalité, ce sont les organisateurs de ces loteries qui le sont : avec les moyens informatiques, on peut réaliser des chefs d’œuvre d’édition, à peu de frais. Et personne ne s’y oppose. Alors Marie de s’interroger : et si je créais moi-même ma petite entreprise ?

Plus facile à dire qu’à faire : un investissement initial est nécessaire, un ordinateur a un prix et il faut envisager un abonnement. Et pourtant… le mystère de la baisse du chômage dans un contexte économique et social morose trouve en partie son explication dans la précarité des emplois offerts et l’évanescence des entreprises. Car il suffit d’un « clic » sur un clavier d’ordinateur, après découverte ou déclaration d’un emploi de plus de 78 heures, pour être radié de la liste des demandeurs d’emploi. Et par ailleur, plusieurs avantages immédiats sont liés à la création d’entreprise par un chômeur. La première année, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : le chef d’entreprise est dispensé du paiement des impôts et autres charges fiscales et sociales ; mais dès la seconde année, les prélèvements obligatoires tombent comme la grêle un jour d’orage : on estime que c’est plus de la moitié des entreprises qui cessent alors leurs activités, faute de pouvoir les assumer !

Si on additionne ces créateurs d’entreprises éphémères, les stagiaires en tout genre qui n’ont pas l’assurance de se réinstaller sur le “marché” de l’emploi, les bénéficiaires du RMI, les cinquantenaires dispensés de contrôle et tous ceux qui sont las pour diverses raisons, de s’inscrire ou de se réinscrire comme demandeurs d’emploi, on découvre la foule des “sans emplois” qui n’entrent pas dans les catégories comptabilisés comme demandeurs d’emplois ; leur nombre est en augmentation, ils contribuent à boursouffler le chômage officiel et faussent les résultats énoncés par les pouvoirs publics. S’y ajoutent les “nouveaux pauvres” : salariés condamnés à l’intérim ou aux contrats précaires, les SDF, étudiants, retraités dont les revenus ne permettent pas un niveau de vie normal. Ce qui explique la totale divergence de vues entre les citoyens confrontés aux difficultés de l’existence et les dirigeants actuels, préoccupés uniquement d’équilibres financiers.

Comment s’en sortir ?

Les éphémères “Maisons de l’Emploi”, telles qu’elles ont été conçues, ont administré la preuve de leur inefficacité : elles ne sont qu’un échelon administratif de plus, alors que l’objectif recherché était d’épargner aux demandeurs d’emplois des démarches multiples !

Lier encore les revenus au travail dans un contexte où ce dernier se délite, se précarise, se morcelle, et où le pouvoir d’achat des salaires s’effondre, est une complète aberration. La raison, tout au contraire, veut qu’on sépare les revenus du travail, que les biens et les services de grande consommation soient accessibles à tous, par le truchement d’un revenu social garanti, grâce à un signe monétaire contrôlé par les pouvoirs publics et excluant toute manœuvre spéculative…

^

e-mail