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SOIT DIT EN PASSANT
Le Père Noël est en avance cette année. Et généreux.
Il a dû gagner au Loto. Au début de juillet Giscard d’Estaing,
déguisé pour la circonstance en Père Noël
qui aurait laissé sa barbe au vestiaire, en présentant,
tout fiérot, le dernier joujou nucléaire pour militaires
désoeuvrés en préparation dans nos arsenaux, nous
a annoncé que les intéressés - les militaires en
question - pourront, s’ils sont bien sages, trouver ce gadget hors de
prix dans leur sabots le 25 décembre prochain. Sinon, mais ce
ne sera pas de sa faute, le soir de Noël 1982.
J’en suis heureux pour nos braves généraux que la dureté
des temps condamnait à jouer les Cincinnatus dans leur Limousin
natal. Mais ça va faire des jaloux. « Et nous ? »
vont dire les chercheurs de l’INSERM. Ils attendront.
S’il faut en croire les spécialistes, ce joujou tout neuf est
une pure merveille. La bombe à neutrons qu’on l’appelle, ou bombe
à rayonnement renforcé. Ce qui se fait de mieux dans l’art
de trucider. On n’arrête pas le progrès, je vous dis.
Certes, ce n’est pas un de ces articles qu’on trouve chez le premier
quincailler venu ou qu’un bricoleur du dimanche peut se fabriquer avec
des boîtes de conserve. La bombe à neutrons c’est du sérieux.
C’est la bombe propre. Celle qui occit les combattants embarqués
dans une guerre fraîche et joyeuse, les civils qui n’ont pas eu
le temps de se débiner, et les animaux traînant dans les
parages, oies, canards, lapins, et même les moustiques, mais qui
laisse intact le matériel et tout l’environnement. Un exemple
: si la bombe éclate au-dessus de chez vous à l’heure
du communiqué tandis que le Zitrone de service commente à
la radio les opérations pour vous remonter le moral, gardez votre
sang-froid. Vous et votre famille serez proprement vitrifiés,
mais il n’y aura pas un carreau de cassé dans la baraque. Le
poisson rouge aura le ventre en l’air mais l’aquarium pas une félure.
C’est un progrès, non ?
Ainsi la France, et quoiqu’en pensent les grincheux, est toujours dans
le peloton de tête des nations nucléaires. Il faut reconnaître
qu’on n’a pas roupillé au Commissariat à l’Energie Atomique.
Pas comme à Matignon où l’on cherche toujours, mais sans
conviction, le truc infaillible pour résoudre le problème
de l’inflation et du chômage. Les études sur la bombe à
neutrons ont commencé en 1976 et il ne reste plus qu’une dernière
mise au point pour que l’on puisse enfin jouer avec.
Le prix ? On ne sait pas. C’est la surprise. Mais pas question de mégoter
comme pour la Sécurité Sociale. Nous l’aurons notre bombe.
Dommage seulement qu’elle n’ait pas été lancée
le 6 août pour le trentième anniversaire de celle de Hiroshima.
Ce n’est que partie remise. Le jour où nous l’aurons, Giscard,
parodiant Joseph Prud’homme, lequel ne disposait alors que d’un sabre,
pourra remercier les contribuables en disant : « Cette bombe est
le plus beau jour de ma vie. »
Il était temps. L’inflation galopante, le chômage, le marasme
clés affaires, le bâtiment en panne, la bagnole en perte
de vitesse, les scandales mal étouffés, la grogne dans
l’opposition, la rogne dans la majorité, le je m’enfoutisme chez
les autres, tel était l’état dans lequel Giscard laissait
le pays après sept années de pouvoir. Il fallait en sortir.
Sous peine de se faire lui-même sortir de l’Elysée en 1981.
En sortir, mais comment ?
Comment relancer les affaires, ranimer la Bourse, créer des emplois,
rendre espoir aux jeunes, bref sortir de la pagaille dont la société
libérale, fut-elle avancée, nous offre le spectacle, et
que les progrès des sciences et des techniques condamnent à
disparaître, comme ont disparu les pharaons, l’empire byzantin
et le régime féodal ?
Tout le monde sait aujourd’hui, ou devrait savoir, depuis Jacques Duboin,
que l’industrie du casse-pipes, dont la bombe à neutrons est
le fleuron, ne connaît pas de crises. Elle est la seule à
avoir traversé sans dégâts, bien au contraire, les
moments difficiles d’après guerre que connaît l’économie
capitaliste. Mais qui peut nous dire où finit l’après-guerre
et où commence l’avant-guerre ?
Pour ne pas être pris au dépourvu, les marchands de mort
subite et tous ceux qui vivent de cette noble industrie et de son fructueux
trafic soucieux de relancer l’économie moribonde et, accessoirement
se faire un peu d’argent de poche pour leurs vieux jours, sont prêts
à faire un gros effort avec leur bombe à neutrons.
C’est bien ce qui m’inquiète. Je sais. J’ai entendu dire que
« marcher sur un neutron ça porte bonheur ». Mais
je ne me sens pas rassuré pour autant.