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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 782 - octobre 1980 > On n’arrête pas le progrès

 

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SOIT DIT EN PASSANT

On n’arrête pas le progrès

par G. LAFONT
octobre 1980

Le Père Noël est en avance cette année. Et généreux. Il a dû gagner au Loto. Au début de juillet Giscard d’Estaing, déguisé pour la circonstance en Père Noël qui aurait laissé sa barbe au vestiaire, en présentant, tout fiérot, le dernier joujou nucléaire pour militaires désoeuvrés en préparation dans nos arsenaux, nous a annoncé que les intéressés - les militaires en question - pourront, s’ils sont bien sages, trouver ce gadget hors de prix dans leur sabots le 25 décembre prochain. Sinon, mais ce ne sera pas de sa faute, le soir de Noël 1982.
J’en suis heureux pour nos braves généraux que la dureté des temps condamnait à jouer les Cincinnatus dans leur Limousin natal. Mais ça va faire des jaloux. « Et nous ? » vont dire les chercheurs de l’INSERM. Ils attendront.
S’il faut en croire les spécialistes, ce joujou tout neuf est une pure merveille. La bombe à neutrons qu’on l’appelle, ou bombe à rayonnement renforcé. Ce qui se fait de mieux dans l’art de trucider. On n’arrête pas le progrès, je vous dis.
Certes, ce n’est pas un de ces articles qu’on trouve chez le premier quincailler venu ou qu’un bricoleur du dimanche peut se fabriquer avec des boîtes de conserve. La bombe à neutrons c’est du sérieux. C’est la bombe propre. Celle qui occit les combattants embarqués dans une guerre fraîche et joyeuse, les civils qui n’ont pas eu le temps de se débiner, et les animaux traînant dans les parages, oies, canards, lapins, et même les moustiques, mais qui laisse intact le matériel et tout l’environnement. Un exemple  : si la bombe éclate au-dessus de chez vous à l’heure du communiqué tandis que le Zitrone de service commente à la radio les opérations pour vous remonter le moral, gardez votre sang-froid. Vous et votre famille serez proprement vitrifiés, mais il n’y aura pas un carreau de cassé dans la baraque. Le poisson rouge aura le ventre en l’air mais l’aquarium pas une félure. C’est un progrès, non ?
Ainsi la France, et quoiqu’en pensent les grincheux, est toujours dans le peloton de tête des nations nucléaires. Il faut reconnaître qu’on n’a pas roupillé au Commissariat à l’Energie Atomique. Pas comme à Matignon où l’on cherche toujours, mais sans conviction, le truc infaillible pour résoudre le problème de l’inflation et du chômage. Les études sur la bombe à neutrons ont commencé en 1976 et il ne reste plus qu’une dernière mise au point pour que l’on puisse enfin jouer avec.
Le prix ? On ne sait pas. C’est la surprise. Mais pas question de mégoter comme pour la Sécurité Sociale. Nous l’aurons notre bombe. Dommage seulement qu’elle n’ait pas été lancée le 6 août pour le trentième anniversaire de celle de Hiroshima. Ce n’est que partie remise. Le jour où nous l’aurons, Giscard, parodiant Joseph Prud’homme, lequel ne disposait alors que d’un sabre, pourra remercier les contribuables en disant : « Cette bombe est le plus beau jour de ma vie. »
Il était temps. L’inflation galopante, le chômage, le marasme clés affaires, le bâtiment en panne, la bagnole en perte de vitesse, les scandales mal étouffés, la grogne dans l’opposition, la rogne dans la majorité, le je m’enfoutisme chez les autres, tel était l’état dans lequel Giscard laissait le pays après sept années de pouvoir. Il fallait en sortir. Sous peine de se faire lui-même sortir de l’Elysée en 1981.
En sortir, mais comment ?
Comment relancer les affaires, ranimer la Bourse, créer des emplois, rendre espoir aux jeunes, bref sortir de la pagaille dont la société libérale, fut-elle avancée, nous offre le spectacle, et que les progrès des sciences et des techniques condamnent à disparaître, comme ont disparu les pharaons, l’empire byzantin et le régime féodal ?
Tout le monde sait aujourd’hui, ou devrait savoir, depuis Jacques Duboin, que l’industrie du casse-pipes, dont la bombe à neutrons est le fleuron, ne connaît pas de crises. Elle est la seule à avoir traversé sans dégâts, bien au contraire, les moments difficiles d’après guerre que connaît l’économie capitaliste. Mais qui peut nous dire où finit l’après-guerre et où commence l’avant-guerre ?
Pour ne pas être pris au dépourvu, les marchands de mort subite et tous ceux qui vivent de cette noble industrie et de son fructueux trafic soucieux de relancer l’économie moribonde et, accessoirement se faire un peu d’argent de poche pour leurs vieux jours, sont prêts à faire un gros effort avec leur bombe à neutrons.
C’est bien ce qui m’inquiète. Je sais. J’ai entendu dire que « marcher sur un neutron ça porte bonheur ». Mais je ne me sens pas rassuré pour autant.

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