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Soit dit en passant
Le Français, on le sait, et du reste il s’en
vante, s’est acquis depuis longtemps une solide réputation de
râleur dans le monde entier. Ce qui rend notre cher et vieux pays
parfaitement ingouvernable. C’est bien triste. Et il faut vraiment que
nos ministres aient un sacré courage et beaucoup de temps à
perdre pour entreprendre de faire le bonheur de ce peuple impossible.
Certes, tout ne va pas pour le mieux chez nous et les occasions de rouspéter
ne manquent pas. Mais il n’y a que les Français que l’on entend
critiquer systématiquement leur gouvernement. On ne voit pas
ça dans les pays de l’Est. Ni au Chili. Et puis, ça avance
à quoi ?
Tout le monde, je sais, et c’est fort heureux, ne râle pas en
France. Je connais même un brave octogénaire qui aurait
eu de bonnes raisons de ne pas être content, lui, après
s’être fait piquer 800 millions par un truand, et qui n’a même
pas porté plainte. En plus, il a fait l’objet d’un redressement
fiscal d’un milliard et demi, et il garde toujours le moral. De quoi
se flinguer, pourtant. Comme ce malheureux épicier, l’autre jour,
en apprenant la visite des contrôleurs du fisc. L’octogénaire
en question, qui n’aura peut-être plus que sa retraite des vieux
pour finir ses jours à Nanterre, a tenu le coup. C’est beau.
Il nous donne ainsi à tous un bel exemple de civisme.
Je ne puis affirmer que j’en ferais autant si j’étais à
sa place. Tout le monde n’est pas un héros. Et j’admets volontiers
que l’on peut avoir parfois des raisons de manifester sa grogne. Je
vous accorde même qu’après deux années de règne
giscardien, et en pleine société libérale avancée,
il y a comme des bavures dans le système. Et si vous insistez,
je dirai que ça va même plutôt mal. Mais ça
pourrait aller plus mal encore, on n’a pas tout vu. Alors ?
Du reste, notre Président fait ce qu’il peut. Que feriez-vous
à sa place, gros malins ? Il a viré son premier ministre,
un bon à rien, ou tout comme, pour le remplacer par le meilleur
économiste français. Les choses ne se sont pas beaucoup
arrangées depuis, le franc continue à fluctuer et à
mergiturer, la Bourse, n’en parlons pas, le fric prend le chemin de
la Suisse, le chômage atteint le million et les prix grimpent
toujours. Mais si les premiers résultats du plan Barre ne sont
pas très encourageants, grâce à l’augmentation de
la vignette-auto tous les espoirs restent permis.
Seulement faut attendre. Ce n’est pas. en gueulant dans la rue : «
Giscard des sous ! » que cela ira plus vite.
Je sais bien que certains utopistes, pour ne pas dire de doux farfelus,
vous expliqueront que toutes ces difficultés que traversent les
pays occidentaux sont sans remède dans notre système économique.
Car, s’il en existait un, de remède, cela se saurait. A les croire
c’est le système économique qu’il faut changer. C’est
la forteresse de l’Argent qu’il faut abattre. Et sur les décombres
du libéralisme et de l’économie de marché devenue
caduque, fonder le socialisme distributif qu’imposent les progrès
des sciences et des techniques du XXe siècle.
Mais allez dire à M. Giscard d’Estaing, patron de notre économie
depuis dix ans, allez lui dire, même gentiment, qu’il n’est pas
plus fortiche que les autres, ça ne lui ferait peut-être
pas plaisir, à cet homme.