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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1082 - décembre 2007 > Au fil des jours

 

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Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
31 décembre 2007

Un rapport accablant

À la suite des trois suicides survenus entre octobre 2006 et février 2007 au Technocentre de Guyancourt, où sont conçus la plupart des véhicules de Renault, un rapport a été réalisé par le cabinet d’expertise indépendant Technologia, à la demande du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’entreprise. Il montre qu’avec un taux de 31,2 % de salariés (cadres et ingénieurs) sous tension [1], « le niveau de risques psychosociaux est particulièrement élevé », et souligne que ces situations de tension sont « fortement liées au manque de reconnaissance venant notamment d’un déficit de soutien dans les situations difficiles, et de perspectives de promotion limitées ». La moitié des salariés estiment aller au travail « avec moins d’enthousiasme qu’avant » et chez les salariés sous tension cette proportion monte à 71% : « ils ont le sentiment d’une perte de sens au travail ». Les principales contraintes invoquées par les salariés sont les manques d’informations claires, de temps et d’effectifs. Un chef de projet explique : « Dans la pratique, mes horaires de travail sont 8 heures-20 heures au bureau, travail à la maison de 22 heures à minuit, voire une heure du matin. Ce n’est évidemment pas par plaisir que je fais cela mais parce que c’est la seule façon d’assurer ma fonction ». Plus des deux tiers de salariés estiment travailler plus de 9 heures par jour ; et pour 87,5 % des cadres dirigeants, c’est plus de dix heures par jour. Une directrice de recherche à l’Inserm, spécialiste des questions de santé au travail, précise : « Ce qui est imposé est infaisable dans les délais impartis. Bien qu’ils soient attachés à leur travail, les salariés n’osent pas dire qu’ils n’y arrivent pas, car ils auraient alors le sentiment d’être des incapables, alors ils rattrapent le travail chez eux ». Un responsable d’unité de conception avoue : « Je supporte très bien de travailler 12 heures lorsqu’il s’agit d’une surcharge passagère. Ce temps étant devenu quotidien depuis longtemps, je n’ai plus la capacité d’absorber des surcharges qui nécessiteraient de passer à 14 ou 16 heures ».

La direction de Renault, tout en insistant sur le fait que 74% des personnels [2] estiment que leurs conditions de travail sont plutôt bonnes, a pris quelques mesures pour répondre aux difficultés de ses salariés : elle va embaucher 350 CDI et 200 intérimaires et lancer un plan de “maîtrise du temps de travail”. « Les mesures prises apparaissent significatives et bien orientées en ce sens qu’elles attaquent de front les problèmes révélés par le diagnostic de la situation avec des mesures fortes » se réjouit le cabinet Technologia. À suivre…

CTSC

En juillet dernier, l’hebdomadaire Le Pèlerin publiait le résultat d’un questionnaire qu’il avait commandé à l’institut TNS-Sofres pour connaître « les mots qui décrivent le mieux la façon dont la plupart des gens vivent leur travail aujourd’hui ». 78 % des actifs ont placé en tête « le stress ». Qui plus est, 92% des sondés estimaient que ce « fléau touche aujourd’hui beaucoup plus ou un peu plus leur entourage au travail qu’il y a quelques années ». Rien d’étonnant, d’après les sociologues des organisations et les psychanalystes, car les changements dans l’organisation du travail, l’évaluation individualisée des performances et la concurrence ont profondément modifié les relations au sein des entreprises. Pour Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, « les relations de confiance ont déserté l’univers du travail. La convivialité, le vivre-ensemble ont disparu. Avec les “contrats d’objectifs”, ce qui compte, c’est le résultat ; le chemin par lequel on y parvient n’intéresse pas » [3]. La croissance à tout prix, le culte de l’urgence et du court terme concentrent les efforts sur les moyens au détriment de la fin. La confiance mutuelle n’existe plus, l’action de chacun est fragmentée dans le temps, il faut s’adapter. D’où « une solitude psychique et sociale », de sorte que « les pathologies qui surgissent depuis quinze ans sont des pathologies de la solitude » [3].

Cette évolution de l’ambiance au sein des entreprises a conduit Robert Sutton, Professeur de management à la Standford Engineering School d’établir sa théorie du « coût total des sales cons » (CTSC) qu’il a développée dans un « petit guide de survie [4] face aux connards, despotes, enflures, harceleurs, trous du cul et autres personnes nuisibles qui sévissent au travail ».

En bref, le CTSC, qui peut s’avérer très élevé, serait corrélé à l’absentéisme, aux démissions ou dépressions engendrées au contact direct du « sale con ». Mais « si la chasse aux mauvais managers, à coups de formation au développement personnel et à la gestion des émotions, est de plus en plus courante en entreprise, celle-ci seule, cependant ne saurait arriver à bout du monde de brutes que semble décrire la sociologie des organisations [5] ».

La machine à licencier

L’automatisation étend partout son règne. Les techniques d’embauche sont depuis longtemps largement automatisées. C’est désormais aussi le cas des procédures de licenciement. Accélérer le processus de réduction d’emplois présente, aux yeux de certains, de nombreux avantages : cela améliore la rentabilité de l’opération en payant moins longtemps le futur licencié.

Des logiciels de réduction des effectifs sont déjà commercialisés aux États-Unis et le seront en France en 2008. Un des principaux éditeurs français de programmes de gestion des “ressources humaines”, Vury, est en train d’adapter son logiciel Optimize au droit français. Son directeur ne doute pas que les entreprises françaises seront très intéressées. « Pour ajouter ces logiciels spécialisés à son porte feuille, Vury a acquis, début 2007, la société qui les avait développés. Ce qui l’a amené à licencier… avec célérité ! » [6].

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[1] Selon l’Inserm, 10,30 % de cette catégorie de personnel sont touchés dans l’ensemble de la population française.

[2] Ce pourcentage tombe à 49,3% pour les salariés “sous pression”.

[3] Enjeux, octobre 2007.

[4] Paru en France aux éditions Vuibert sous le titre : “Objectif zéro sale-con”.

[5] Le Monde, 21-22/10/2007.

[6] Le Monde, 10/11/2007.

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