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AED La Grande Relève Articles N° 1079 - août-septembre 2007 > Témoignage pour l’Histoire

 

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Témoignage

Nous avons la chance d’avoir parmi nos fidèles collaborateurs Gérad-Henri Brissé qui a acquis une grande expérience des milieux de réflexion, politiques en particulier. En cette époque où la gauche est en plein désarroi, espérons que cette mémoire vivante pourra être utile, en particulier à tous les jeunes qui ne connaissaent pas l’histoire qu’il a vécue et qu’il veut bien évoquer pour nous :

Témoignage pour l’Histoire

par G.-H. BRISSÉ
31 août 2007

Le concept de “contre-gouvernement” que j’avais énoncé dans La Grande Relève 1077 (juin 2007) n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. J’écrivais en effet : « Il convient d’instaurer au sommet, un contre-gouvernement solide suscitant la confiance et la crédibilité, qui approuve les décisions du gouvernement lorsqu’elles s’avèrent justes et qui formule des contre-propositions dans le cas contraire ».

A été évoqué effectivement le projet d’élaboration d’un contre-gouvernement, d’abord qualifié de “shadow cabinet” à la mode britannique, limité à la désignation de six parlementaires.

Je crains cependant que cette initiative ne se réduise à un effet d’annonce et rien de plus ! Je sais ce dont je parle, puisque j’ai été l’initiateur de ce projet dès la mi-1963 !

Une longue histoire

À cette époque - les plus anciens de nos lecteurs s’en souviennent très certainement - existait un malaise autour des formations politiques traditionnelles au pouvoir. La vieille SFIO était alors animée par Guy Mollet qui demeurera très certainement dans l’Histoire comme l’un des principaux responsables du fiasco de l’affaire de Suez. Nous étions encore dans la lancée de la défaite de Dien Bien Phu (7 mai 1954), des tribulations de la France en Tunisie et au Maroc. Et déjà surgissaient les prémices de la guerre d’Algérie qui entraîneront le retour du général de Gaulle au pouvoir en mai 1958.

Il n’existait à l’époque ni Internet, ni “blogs”, et cependant on sentait monter au début des années 1960 un bouillonnement intellectuel qui se manifestait par l’apparition de multiples publications, de clubs, de cercles philosophiques, de courants para-syndicaux. En marge de la SFIO perçait le PSA, sous le Parti Radical émergeaient les Radicaux de Gauche. Des militants de la Jeune République, du PSA, des Radicaux de Gauche, etc. s’associèrent pour fonder le Parti Socialiste Unifié (PSU) tandis qu’au sein de la CFTC d’inspiration chrétienne surgissait le mouvement “Reconstruction”, animé par Albert Detraz, qui allait devenir la CFDT.

D’autres animateurs de formations diverses se retrouvaient au sein des Colloques socialistes.

Dans le quotidien Combat grâce à l’initiative de Philippe Tesson, en charge de la partie politique, je fis l’inventaire de quelque 120 clubs et mouvements de pensée auxquels je consacrais à partir de 1961 des monographies bi-hebdomadaires, des enquêtes, des interviews de leurs animateurs. En réalité, j’en avais recensé, en 1963, plus de 300 !

Ces mouvements d’idées, en marge des grandes formations politiques de ce temps-là, eurent ainsi, en toute indépendance d’esprit, une publicité qu’ils n’auraient pas eue autrement. Ils étaient condamnés à demeurer dans un relatif anonymat ; quelquefois, du reste, leurs propositions faisaient double emploi !

En dresser l’inventaire s’avérait passionnant car ils recelaient un vivier de renouvellement de la vie politique française à ce moment là. Je suis persuadé qu’ils furent la base du mouvement “ébertiste” de mai 1968 et certains de leurs animateurs y participèrent. D’autres occuperont des fonctions importantes, voire des postes ministériels, dans les gouvernements successifs formés par M. Mitterrand à partir de 1981, puis dans celui de M. Jospin.

Pour ma part, alors étudiant, je passais le plus clair de mon temps à explorer l’immense Bibliothèque Sainte Geneviève qui était ouverte le soir jusqu’à 22 heures.

Un obscur politicien nommé François Mitterrand.

Parmi ces modestes formations politiques, j’en remarque une particulièrement ; elle se dénomme UDSR (Union des Socialistes de la Résistance) et dispose de plusieurs représentants au Parlement. Je m’efforce en vain d’avoir un entretien avec son président mais à chacune de ces démarches il se dérobe.

Vient le temps où ce travail d’analyse et de synthèse trouve son aboutissement naturel dans un projet de rassemblement de toutes ces initiatives. La première, “La Jeune République” (JR), propose de réaliser une vaste confédération générale des forces de gauche non communiste et en marge de la SFIO et du Parti Radical. Ce projet eut un écho certain dans les médias. Plusieurs propositions me furent faites dans ce sens : je retins finalement la proposition de “convention” formulée par Jean Louis Febvre. Cet ancien résistant, fondateur de la revue Renaissance, anthropologue de métier, auteur de plusieurs ouvrages dont Le Crépuscule Inca, Les Fils du Vent, La Yougoslavie à l’heure de Tito, etc. me paraissait offrir toutes les garanties organisationnelles et financières pour coordonner et animer de tels débats.

Dès le mois de mai 1963 se profile la réunion d’une grande Convention de la Renaisance française qui se tiendra dans les premiers jours de novembre à l’Abbaye de Royaumont. Jean-Louis Febvre et son équipe recensent quelque 235 mouvements volontaires pour participer à des réunions de travail sur des thèmes précis, préalablement fixés ou à déterminer.

Que s’est-il passé par la suite ? François Mitterrand opposa un refus catégorique à participer à une telle manifestation. Il était clair dès cette époque qu’il voulait conduire lui-même son propre rassemblement. Et dès le début juin 1963 il intima l’ordre à « ses » clubs de ne pas y participer.

Lorsque j’eus connaissance de ces dispositions, véritable “coup de Jarnac”, je donnai suite à une proposition de journaliste-correspondant de presse qu’on m’avait alors offerte à l’étranger, dans un pays francophone situé à quelque 12.000 kilomètres de là. J’ai estimé que dans ces conditions cette convention était vouée à l’échec, et que mon rôle dans cette affaire était terminé. À d’autres d’assumer des responsabilités conformes à leurs ambitions personnelles !

François Mitterrand fait “son” rassemblement avec les Assises de la démocratie à Vichy (18 organisations présentes), puis crée le Centre des actions institutionnelles, la Convention des institutions républicaines en juin 1964 à l’Hôtel d’Orsay. Après l’échec aux élections présidentielles de 1965 avec l’opération “Horizon 80” menée par Gaston Deferre (5% des suffrages), il fonde la Fédération de la gauche démocrate et socialiste, le tout devant déboucher sur l’expérience avortée du “contre gouvernement” (1966).

De ma contrée lointaine d’affectation j’ai travaillé à la finition d’un gros manuscrit consacré à cette “France souterraine” à laquelle j’avais tant donné. Je crois en effet que si par la suite F. Mitterrand a pu se hisser au pouvoir, bien plus tard, en 1981, c’est bien grâce à ce travail de fourmi qui a porté à la connaissance du public ce bouillonnement intellectuel qui n’était sans doute pas étranger au mouvement de mai 1968, mais qui s’est déroulé dans le plus grand désordre et dont la gauche non-communiste n’a pu tirer parti.

J’ai adressé ce manuscrit à un directeur de collection des Éditions Julliard, qui a fondé depuis lors sa propre maison et dont je tairai le nom. Je l’avais rencontré peu de temps avant mon départ et il s’était montré fort intéressé par ce projet. Ce document a dû se perdre entre deux avions. En tout cas, je n’en ai plus aucune trace… Pierre Viansson Ponté note mélancoliquement dans l’Année dans le monde (1964) : « La déception ressentie entraîne dès l’automne un net recul des clubs, le dépérissement ou l’hibernation de certains d’entre eux au point qu’on pouvait se demander à la fin de l’année si une forme d’intervention apparue depuis peu et surestimée dans ses possibilités n’était pas inéluctable et sérieusement amorcée ».

En réalité près de la moitié des clubs et mouvements de pensée recensés à l’origine et volontaires pour participer à des actions communes en vue de définir un programme en forme de plus petit commun multiple sont restés sur la berge. L’opération “rassemblement des forces de gauche” a débouché en réalité sur un programme commun amphygourique et inapplicable, dans la pratique.

Un contre-gouvernement, pour quoi faire ?

Pour en revenir au contre-gouvernement déjà institué dès 1966, ce “machin” n’a pas résisté aux prétentions de son fondateur parce que trop “politicien”.

Le concept n’est pas mauvais en soi. Les citoyens français aiment savoir par qui et comment ils seront gouvernés dans l’hypothèse d’une alternance politique.

Puisque l’on relance ce projet de contre-gouvemement, il convient de lui allouer, alors que l’on se targue en haut lieu de méditer sur la réforme des institutions, un authentique statut. Il faut surtout éviter de renouveler les erreurs du passé.

Six députés désignés, quelles que soient leur compétences propres qui ne sont ici en aucun cas remises en cause, ne suffisent pas à constituer un contre-gouvemement, qui doit être réellement représentatif d’une opposition constructive, réunissant toutes les sensibilités, des opinions centristes aux socialistes, radicaux, chrétiens de gauche, écologistes, alter-mondialistes, etc. Il convient de songer d’abord à une réforme du découpage électoral et du mode de scrutin particulièrement injuste qui rejette hors de la représentation nationale un certain nombre de courants politiques qui ne peuvent s’exprimer que dans la rue.

On sait déjà que cette majorité, qui ignore délibérément la moitié de l’opinion, est vouée à l’échec. Un contre-gouvemement digne de ce nom doit pouvoir refléter tous les courants d’opinions, rassembler des compétences non seulement au sein de l’Assemblée mais d’un Sénat recomposé, voire de la société civile, des milieux socio-professionnels, syndicaux, etc.

En bref, un contre-gouvernement doit être représentatif de tous les courants d’opinions, et particulièrement des milieux déçus par les orientations autoritaires du pouvoir, des mouvements alternatifs qui souhaitent proposer un autre type de société, et d’autres réformistes environnementaux.

Il ne pourra éluder la préoccupation d’œuvrer à l’élaboration d’une méta-politique pour notre temps et d’un programme d’action qui fait si cruellement défaut aujourd’hui. Les schémas élaborés il y a une quarantaine d’années sont toujours porteurs d’espérance ; seul le contexte a changé : on n’évoquait pas les mesures à prendre pour faire face au réchauffement de la planète et l’emploi était assuré pour une large majorité. Je me souviens cependant avoir assisté à la Bourse du Travail à Paris à des réunions d’études consacrées (déjà !) au logement social ou à la priorité absolue à accorder dans les villes aux transports en commun.

L’équipe chargée de mettre en œuvre tous ces projets doit apparaître en permanence comme opérationnelle. C’est à ce titre, et à ce titre seulement, que l’on pourra évoquer l’existence d’un authentique contre-gouvernement.

PS - Le 22 juillet 1972, en tant que membre d’une délégation de trois membres de la Jeune République, j’eus l’honneur, en marge du Congrès d’Epinay, de rencontrer, à la Cité Malesherbes alors siège de la SFIO, François Mitterrand, qui nous proposa une adhésion individuelle au futur PS, en contrepartie de la création d’un courant spécifique au sein de ce Parti. La majorité des militants de la JR refusa cette proposition, s’en tenant au projet initial de Confédération générale des forces de gauche (non-communistes).

François Mitterrand l’a emporté, mais qu’a-t-il fait de sa victoire ? En fin de course, c‘est l’ultra-libéralisme qui a triomphé. Ni le socialisme, ni la social-démocratie, n’ont pu ou n’ont su réaliser une mutation salutaire.

Les forces alter-mondialistes l’oseront sans doute, mais à quel prix ? Et selon quel processus ?

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