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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1014 - octobre 2001 > Renouer le lien social

 

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Lectures

Pour Roger Sue, l’avenir est au développement de ce qu’il appelle le secteur quaternaire, celui dans lequel la logique associative se substitue à la logique compétitive de la société de marché. Lucien de Somer nous présente son dernier ouvrage :

Renouer le lien social

Liberté, Egalité, Association
par L. de SOMER
octobre 2001

L’auteur de ce livre [1] constate la décomposition du lien social, que ce soit le lien familial, celui, symbolique, du politique ou le lien civil de l’économie. ll souligne le paradoxe entre cette “déliaison” sociale et le foisonnement des nouvelles techniques de communication qui ne créent pas pour autant, de lien social. Pour Roger Sue, seul le lien d’association évitera « la double impasse de l’individualisme contractualiste du marché et la réaction communautariste sur base ethnique ou nationaliste ». Son ouvrage s’attache à montrer le rôle dynamique que peut jouer l’association pour transformer notre société.

La déliaison sociale et l’illusion contractuelle

Roger Sue déploie et analyse l’éventail des causes de ce qu’il qualifie “d’atomisation sociale” : une crise économique qui aggrave le manque de solidarité et un individualisme où « le commerce des hommes se dilue dans celui des choses ». à cela s’ajoute le règne du “virtuel”, la mobilité sociale, l’urbanisme vertical. L’auteur souligne surtout l’évolution qui a fait disparaître le lien social communautaire, hiérarchisé, lié au territoire et à l’ethnie, aux usages et aux traditions. à ce statut s’est substitué le contrat qui régit un vaste ensemble d’individus libres et égaux, se donnant leurs propres règles et répartissant les pouvoirs au sein de la société. L’auteur note que le lien communautaire était fort, homogène, chaleureux, et que la société fondée sur la liberté individuelle, soumet, en fait, l’homme fonctionnel et utilitaire, à la loi du plus fort, détenteur du véritable pouvoir, essentiellement financier.

Au désarroi de la jeunesse en 1968, au faux espoir de « changer la vie » de 1981, succède l’accroissement de l’inégalité des chances et des revenus. L’état-nation se banalise et se laisse déborder par la mondialisation. Le travail ne crée plus de lien social. Flexibilité, mobilité, temps partiel, interim, ont fait éclater la condition salariale et les taux de syndicalisation. Demeure le contrat, qui n’est pas un lien social mais « sa mise en forme juridique ». Il traduit un rapport de force, et l’adhésion est plus souvent faite de résignation que de libre consentement. Dans un climat d’insécurité, de violence et de chômage, l’individu recourt à la médiation juridique. Pèse sur l’Europe un système analogue à celui des lawyers américains qui conduit « à transformer certains cabinets d’avocats en véritables marchands de droit ». Cette priorité donnée à la justice, divise plus qu’elle ne lie, et l’auteur conclut que « ni le droit, ni le contrat n’apportent de réponse au déficit du lien social et sont plutôt des aveux d’impuissance ».

L’illusion contractuelle tient à ce que le contrat a perdu ce qu’il a symbolisé à l’origine, c’est à dire la libération de l’individu. S’inspirant de J.J. Rousseau, l’auteur pense, en effet, que « c’est l’association d’hommes naturellement libres et égaux qui est à la base du contrat social ». Pour Adam Smith, lui-même, le lien social fonde le marché qui est « la transposition, dans le domaine économique, de la sociabilité naturelle et bienveillante des hommes entre eux ». Que dirait-il, aujourd’hui, en voyant la “main invisible”, conçue pour l’harmonie distributive, transformée en poigne oppressive ?

L’expansion inéluctable et diversifiée des associations

Ces associés libres, chers à Rousseau, vont être contraints d’adopter le système de la représentation et de l’élection des plus capables, aboutissant à un élitisme républicain, amorce d’un clivage social. Dans le même temps, la loi Le Chapelier supprime jurandes, maîtrises et corporations qui représentent des intérêts intermédiaires, opposés à l’intérêt général, symbo-lisé par la République une et indivisible. On sait combien sera longue la lutte pour aboutir, peu à peu, à la loi de 1901, et le contrat demeurera longtemps encore, le modèle du lien social. Contre cette réalite sociologique contraignante va s’opérer une lente remontée du phénomène associatif. L’auteur en décrit les aspects et constate que le déficit de lien social a « suscité sa recomposition et dopé les technologies de communication ». Mai 1968, la formation des bandes de jeunes, les expériences professionnelles multiples, sont des étapes que couronnera Internet dont « la tonalité de départ est clairement estudiantine et libertaire ».

Cette nouvelle identité ne se relie plus à la communauté d’appartenance, ni à la classe sociale, ni à la profession. L’individu devient “pluriel”. Le travail est désacralisé, les engagements associatifs, toujours ardents, sont limités dans le temps et l’individu est pris dans une variété de relations et d’expériences qui l’influencent et le conditionnent. Mais « paradoxalement, c’est de la multiplication des déterminations souvent contradictoires que naît le sentiment de liberté ».

Même si le marché, par ses contraintes, est unificateur, l’élévation du niveau intellectuel, les revendications d’égalité, le désaveu des élites, font que la société apparaît désormais comme une construction plus horizontale que verticale ou pyramidale. Et même si de petites communautés se restructurent, dans un souci identitaire, face à la mondialisation, elles n’ont rien à voir avec les communautés traditionnelles mais se fondent sur des affinités électives, des choix et des inclinations. Ces communautés sont, le plus souvent, des groupements de fait qui ne se déclarent comme associations loi de 1901 que pour bénéficier d’une capacité juridique. Et c’est ainsi que l’on est passé, sans rupture, en changeant simplement d’échelle, de la relation de proximité, de la bande d’amis ou du comité de quartier, aux immenses ONG. Celles-ci pèsent d’un poids social et politique sur les grands problèmes de société qui touchent à la santé, à l’environnement et aux droits de l’homme.

L’association facteur de développement économique et de démocratie

L’économie “immatérielle” et la révolution informaticienne placent les associations au cœur de cette mutation. Désormais « nos sociétés fonctionnent à l’information, au savoir et au capital humain comme elles ont pu fonctionner à l’électri-cité ou à l’électronique ». Pour Roger Sue cette transformation change l’individu “facteur” de production en individu “sujet” de la production. Il s’agit donc, à travers « tous les aspects de la vie individuelle, au travail et hors travail » d’œuvrer à la réalisation de soi. Les associations, soucieuses de santé, d’éducation, de social, y sont prêtes. Toutefois, la tendance actuelle de l’État est de renoncer à la pure délégation de service public en matière sociale et, sous couvert de respect de la libre concurrence, de procéder par appel d’offres, ce qui place sur le même plan entreprises et associations, dont les modes d’intervention sont différents. En matière éducative c’est Bruxelles qui, sous la poussée libérale, envisage la privatisation de l’enseignement car « l’éducation doit être consi-dérée comme un service rendu au monde économique ». En ce qui touche à la santé, le même vœu de privatisation se fait jour, en dépit des échos fournis par les indicateurs de santé et de morbidité aux États-Unis.

Le monde associatif ne peut accepter « le risque de produire de “l’humain” (corps et âme) selon les mêmes lois et parfois les mêmes méthodes que n’importe quel bien de consommation ». Il faut donc rechercher une nouvelle forme de régulation économique. L’association est capable de va-loriser le capital humain en apportant à l’individu d’autres qualités que celles qui assurent son « employabilité ». L’entreprise peut exploiter ces atouts nés d’une formation qu’elle ne peut dispenser elle-même. Ce partenariat commence à s’étendre. La place des expériences associatives dans la valorisation du capital humain est désormais reconnue puisqu’elles figurent dans les bilans de compétences. Notant que cette formation s’apparente à un véritable emploi, Roger Sue propose que la France incite les chômeurs à participer à des actions associatives. L’expérience des “emplois-jeunes” pourrait, selon lui, être étendue à tous les chômeurs qui disposeront ainsi d’un SMIC. Le tiers secteur, dont l’utilité économique est incontestable s’imposera peu à peu, à parité avec le secteur marchand des entreprises.

L’association citoyenne et son rôle politique

C’est l’évolution des mœurs et l’avènement d’une économie plurielle qui donnent désormais une autre dimension à l’association. Celle-ci, dotée d’un « statut d’utilité économique et sociale », verrait reconnue sa valeur citoyenne. Ce statut, fondé sur des critères de pratique démocratique, de transparence financière, d’ouverture, de services rendus et de capacité à s’unir en réseaux, donnerait des droits parti-culiers d’accès aux financements et de facilités fiscales. D’organe consultatif et d’appoint subsidiaire à l’action de l’État, l’association deviendrait un véritable acteur politique. Au-delà d’une telle réforme, Roger Sue propose que le Conseil Économique et Social s’ouvre plus largement aux associations, parents pauvres d’une assemblée où elles ne comptent que 6 membres sur 231. Le social ne se réduit plus au monde du travail et s’exprime par d’autres voies que celles des syndicats. Bien au-delà, c’est à une Chambre des associations que songe l’auteur, élaborant et formulant des projets à inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Le type de représentation politique, largement contesté doit être rénové. La complexité du monde d’aujourd’hui fait que personne ne peut représenter quiconque sur tous les sujets, de façon permanente. Cette fiction ne tient plus. La décision politique justifie, en amont une représentation qui ne se conçoit qu’à travers une série de délégations de durée limitée, sur des sujets précis.

Roger Sue dénonce le marché qui satisfait les producteurs et non les demandeurs dans leurs besoins prioritaires. Il rejette de même le pouvoir politique qui fait le jeu de la cooptation et d’une sélection qui trahit la véritable sociologie du corps électoral, lequel compte 5% de fonctionnaires occupant 41% des sièges de l’Assemblée Nationale !

Le monde associatif pèse en France sur les pouvoirs publics et est à la source de plusieurs lois d’intérêt social. Il joue un rôle croissant à l’échelle internationale. « Les associations, sous forme d’ONG, participent à la constitution d’une mondialisation citoyenne face à la globalisation des marchés, et sont peut-être en train de réussir à susciter une conscience sociale aux dimensions de la planète ».

Ce dernier propos renvoie aux secousses du dernier sommet de Gênes et au trouble des gouvernants. Mais tout l’ouvrage se situe au cœur des angoisses et des espoirs de notre société.

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[1] Publié en 2001 chez Odile Jacob, éditeur.

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