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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1017 - janvier 2002 > III. Eviter que l’être se fasse avoir

 

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ARGUMENTS

Voici la troisième et derniére partie du travail d’Alain Lavie sur l’éclairage qu’apportent les travaux d’Henri Laborit sur les comportements humains, apportant de solides arguments aux distributistes : Sans les autres, le moi n’est rien, c’est pourquoi baser l’organisation de la civilisation sur l’individualisme est absurde. Mais ne pas tenir compte des besoins et des aspirations de chacun ne peut créer que désordre, frustations et violence. Les hiérarchies de valeur doivent donc laisser la place aux hiérarchies de fonctions, à l’instar de tout organisme vivant où chaque cellule, chaque organe, informe les autres du maintien de sa structure, de son homéostatie.

III. Eviter que l’être se fasse avoir

par A. LAVIE
janvier 2002

La civilisation, ou plutôt son organisation, doit être le reflet des aspirations de tous, avec toutes les fluctuations possibles auxquelles il faut s’attendre ; les seules contraintes à respecter étant la gestion des ressources de la planète, le respect de l’environnement (dans lequel nous ne sommes que locataires mais non propriétaires) et des autres espèces habitant la Terre au même titre que nous. La demande par un individu d’un surplus de revenu, par exemple de la part d’un comédien talentueux, d’un sportif exceptionnel, d’un artisan apprécié d’une très nombreuse clientèle, serait justifiée si la performance réalisée provenait exclusivement de l’individu. Nous l’avons vu, le mérite n’existe pas. Tout cela, génétique et informations, chromosomes et apprentissages, fait partie de la construction de la personne par les autres, de la constitution physique et mentale à laquelle l’individu ne peut rien. Cette réclamation serait donc un abus, un manque de reconnaissance vis à vis de tous ceux qui ont participé à sa formation et à ce qu’il est. Sa meilleure récompense n’est-elle pas de jouir de la notoriété ? De plus, dans l’objectif d’assurer le bien-être et la gratification au plus grand nombre, son prestige sera encore plus important quand il divulguera son savoir à des adeptes.

Dans le même registre se situent ceux qui consacrent beaucoup de leur temps à l’exercice d’une activité, professionnelle ou autre. Il faut leur souhaiter qu’il s’agisse d’une dépense d’énergie gratifiante où plaisir et dominance constituent leurs récompenses. « L’homme est un être de désir. Le travail ne peut qu’assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant au premier. Ceux-là ne travaillent jamais [1]. » Souhaitons que, dans ce domaine aussi, nous passions de la rareté à l’abondance. Celui qui réalise des activités en se faisant mal, soit est à plaindre si cette souffrance est non consentie, soit, si elle l’est, doit penser à consulter afin de soigner ce conditionnement nocif et tenter de mettre à jour un traumatisme inconscient.

Le mérite, le dévouement, sont surtout utilisés dans les discours des manipulateurs de population pour leur propre intérêt et pour celui de qui ils reçoivent de grasses rétributions. Il est aisé d’appâter les individus en agissant justement sur les instincts de plaisir et de dominance afin de les rendre dociles et s’attribuer leur service.

L’avènement de l’abondance, même potentielle, représente certainement la plus grande force révolutionnaire puisqu’immanente, enfantée par ce système libéral tant controversé. Grâce à elle la société peut envisager d’élaborer une nouvelle organisation qui satisfasse l’Etre et réduise l’influence de l’Avoir jusqu’à empêcher son retour au premier plan. En comparaison avec l’organisme humain dans lequel l’ensemble des cellules, des organes, s’échangent la totalité des informations reçues, afin que chacun se nourrisse de celles qui lui permetttent de maintenir au mieux sa structure et avec pour objectif l’homéostasie générale, la civilisation formée des individus, des régions, des nations, doit donc favoriser la circulation et la transmission de l’information généralisée. Celleci, bien plus étoffée, plus complète que l’information spécialisée et professionnelle, permet à chacun de trouver à assouvir l’ensemble de ses besoins et à s’exprimer dans les domaines favoris de son imagination.

« La société post-industrielle, la société de connaissance opposée à celle de consommation, la société scientifique pour tout dire, sera d’abord une société des sciences biologiques ou elle ne sera pas. L’homme doit dès maintenant tourner son regard curieux, non plus seulement vers son environnement, mais sur lui-même [2] ». Cette circulation libre de la connaissance permettra l’acquisition de la pluridisciplinarité essentielle à l’avènement de la créativité. Celle-ci représente une caractéristique fondamentale de l’homme, « non pas créatrice seulement de marchandises, mais créatrice de nouvelles structures enrichissant ses connaissances du monde... et celles de ses comportements ». La motivation favorable à cette créativité, chacun la trouve en lui-même par l’expression des instincts de plaisir et de dominance (reconnaissance sociale) en situation sociale et surtout par la conscience de sa fragilité existentielle, « celle que les sociétés hiérarchiques et paternalisantes s’efforcent d’obscurcir.

Dans un système où règnent les hiérarchies de valeurs, la créativité n’a pas sa place, puisqu’elles se protègent par le conformisme. Elles empêchent toute créativité n’aboutissant pas à la création de marchandises » ou de l’objet sur lequel reposent ces hiérarchies. Aujourd’hui on demande à l’individu de reproduire et non pas de créer des structures nouvelles. On lui demande d’apprendre et de réciter et non pas d’inventer, à moins, bien sûr, que son invention se vende et à condition qu’elle ne mette pas en cause le système socio-culturel du moment. Ce qui se vend le mieux, c’est toujours ce qui crée le moins d’inquiétude, à savoir l’expression des lieux communs et des préjugés d’une époque. Aujourd’hui, cette motivation à la créativité est détournée, par l’incitation à la promotion sociale, à gravir les échelons hiérarchiques.

LES NOTIONS ACTUELLES DE TRAVAIL ET DE LOISIR S’ESTOMPENT

Dans une nouvelle civilisation de l’Etre, finies les notions de travail et de loisir. Chacun, à l’aide de la connaissance, agit pour le maintien de sa structure et de celle de l’ensemble dont il dépend en fonctionnant, tel un système ouvert, réceptionnant l’information généralisée, l’enrichissant de son analyse et s’exprimant pour, lui-même, informer. Comment parler de travail et de loisir quand le plaisir et la dominance sont assurés, garantissant de la sorte la gratification essentielle à l’équilibre ? Cependant, la créativité ne s’arrête pas à l’exercice du métier ou de l’art, elle doit aussi s’exprimer dans le domaine politique. De la même façon, la connaissance est primordiale pour l’exercice de la fonction de citoyen. « L’autogestion n’a de chance d’être efficace que si l’information généralisée est largement diffusée et que si, en conséquence, l’on donne à chaque individu le temps nécessaire pour la recevoir et pour l’intégrer [3] ».

« Les nouvelles sociétés ici ou là n’ont jamais envisagé, ni le temps nécessaire à chaque individu, ni le polymorphisme de l’information, ni les structures scientifiques, sociobiologiques, en particulier, dans lesquelles cette information généralisée doit s’inscrire [4] ».

La satisfaction d’un rôle politique réel a besoin de s’exprimer en chacun. Aujourd’hui, conditionné par les médias, par le paternalisme des “supérieurs”, chacun ne peut s’exprimer que par le bulletin de vote dont il choisira la couleur « suivant qu’il est satisfait ou non de sa dominance ».

Une société fondée sur les libertés d’action et d’expression, mais consciente de l’absence de cette “liberté individuelle” (notion clé du capitalisme), ne peut se construire que sur des structures socialistes. Cependant « l’écueil fondamental à [sa] réalisation est avant tout constitué par les hiérarchies, par la distribution du pouvoir économique et politique suivant une échelle de valeurs, elle-même établie en fonction de la productivité en marchandises [5]. ».

Une société, une civilisation, doit être la résultante des expressions de chacun. Le pouvoir n’a pas non plus à être imposé par une caste de privilégiés qui décideront en fonction du maintien de leur dominance. « Tant que les informations seront entre les mains de quelques-uns, que leur diffusion se fera de haut en bas, après filtrage, et qu’elles seront reçues à travers la grille imposée par ceux qui ne désirent pas, pour la satisfaction de leur dominance, que cette grille soit contestée ou qu’elle se transforme, la démocratie est un vain mot, la fausse monnaie du socialisme [6] ».

Il serait une erreur de croire que l’homme n’est fait que pour produire, et même suicidaire. Ce serait nier ses véritables facultés et risquer de passer à côté d’une destination plus digne. L’humain est avant tout fait pour l’imagination et la créativité que peut lui permettre l’existence du cortex cérébral développé, à la différence des autres espèces. Il serait temps qu’il pense à utiliser plus souvent ce formidable outil que l’évolution biologique lui a attribué et qu’il n’en reste pas trop souvent à des réactions hypothalamiques. « Nous entrons dans une ère où toutes les “valeurs” anciennes établies pour favoriser la dominance hiérarchique doivent s’effondrer. Les règles morales, les lois, le travail, la propriété, tous ces réglements de manoeuvre qui sentent la caserne ou le camp de concentration ne résultent que de l’inconscience de l’homme ayant abouti à des structures socio-économiques imparfaites, où les dominances ont besoin de la police, de l’armée et de l’Etat pour se maintenir en place [7] ».

UNE REMISE EN QUESTION PERMANENTE

Certes, il est temps de révolutionner la civilisation, les conditions nous y incitent, abondance et tentative de mondialisation financière et culturelle, c’est-à-dire volonté d’hégémonie du monde occidental. Mais cette révolution sera-t-elle assez lucide pour ne pas aboutir sur un nouveau conformisme et une nouvelle hiérarchie de valeurs ? Pour éviter ce piège, ne faut-il pas parler de révolution permanente, sans but objectif, capable d’une remise en question constante suivant l’évolution de la connaissance, les fluctutations de l’imagination et la créativité ? « Et finalement, n’estce pas souhaitable, car la poursuite d’un but qui n’est jamais le même, et qui n’est jamais atteint, est sans doute le seul remède à l’habituation, à l’indifférence et à la satiété [8] ».

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[1] Henri Laborit, Eloge de la fuite, page 109.

[2] Henri Laborit, L’homme imaginant page 116.

[3] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 272.

[4] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 187.

[5] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 189.

[6] Henri Laborit, La nouvelle grille, page176.

[7] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 334.

[8] Henri Laborit, Éloge de la fuite, page 157.

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