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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1018 - février 2002 > La vie, mode d’emploi

 

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La vie, mode d’emploi

par P. VINCENT
février 2002

Pour laisser l’empreinte de notre passage sur la Terre, comment s’y prendre ? Nous en voyons qui ont fondé une religion ou un empire, réussi une révolution, réalisé un canal, écrit une chanson à succès ou inventé le moulin à légumes. Ce que tous ces créateurs célèbres ont en commun, c’est d’avoir su inspirer confiance à quelquesuns autour deux, puis plus ou moins rapidement, enthousiasmer les foules.

Comment s’y sont-ils pris, en dehors d’avoir quelque chose de nouveau et a priori d’intéressant à proposer ? Ils ont dû mettre en oeuvre des qualités de persuasion, une bonne compétence en communication et un sens de la publicité. De ceux qui n’avaient pas ces dons, nous ne connaîtrons sans doute jamais ce qu’ils pouvaient avoir d’intéressant, parfois de plus intéressant peut-être, à nous proposer. À l’inverse, ces moyens de s’imposer, employés de façon abusive, notamment dans les domaines commercial ou politique, permettent l’émergence de produits qui ne sont pas toujours de la meilleure qualité, ni même utiles. Ceux que l’on appelle les “grands hommes” ou les “grands créateurs” ont souvent été naturellement doués des compétences nécessaires pour se mettre en valeur et avec eux leurs idées et pouvoir ainsi participer à l’évolution du monde, mais elles ont aussi été enseignées depuis l’Antiquité à des fins diverses.

Étant enfant de choeur, j’étais impressionné de ce que n’importe quel curé de campagne ou jeune vicaire trouvait à raconter dans ses sermons, et c’était à l’époque la principale raison pour laquelle je me voyais inapte à exercer un tel métier. J’aurais pourtant pu faire confiance aux talents des enseignants des séminaires, étant donné que la plupart de ces prêtres venaient du même milieu que les gens simples devant lesquels ils prêchaient et n’y avaient pas davantage d’aptitude. Les pauvres, quant à eux, mendiaient en silence aux portes des églises, alors qu’à entendre les harangues de ceux qui font la manche dans le métro, beaucoup sembleraient maintenant capables de monter en chaire, et je suis épaté de la formation remarquable qu’eux aussi ont reçue, je me demande bien comment. Sans doute avez-vous déjà été confrontés au savoirfaire de ce que l’on appelle des “sectes ”, une qualification aussi difficile à établir qu’à accepter. Peut-être aussi avez-vous vu, sur le plateau de “Ciel, mon mardi”, tenir tête à Chr. Dechavanne un personnage très sûr de lui : Christian Cotten, qui s’était fait remarquer comme candidat atypique lors des élections européennes (274 suffrages retenus, plus 2.365, qui n’auraient pas changé grand-chose aux résultats, annulés de façon un peu mesquine par la Commission nationale de recensement). Psychosociologue, enseignant-fondateur de l’École Française de Programmation Neuro-Linguistique Transpersonnelle (la PNLT pour les initiés), conseil de direction et formateur en management (principales références : EDF, FranceTelecom, Renault, Société générale, Crédit agricole et quantité d’autres), c’est un homme qui ne manque pas de qualités dans les domaines précédemment évoqués. Il m’avait tout de suite séduit en m’adressant une invitation pour un colloque de deux jours sur ces thèmes : “Métamorphoser notre vision du travail et de l’argent ”, “Construire la prospérité collective grâce à de nouveaux systèmes d’échanges économiques et monétaires”, où je voyais une démarche allant dans le même sens que la nôtre. Avec plus de 30 intervenants, dont J.-L. Servan-Schreiber (groupe Expansion), un moine tibétain, le non moins bouddhiste Président du Groupe Tati, le coordinateur des SEL, le Président d’une Association “Nouvelle Économie Fraternelle” (quoi de plus beau ?) et d’autres personnages sans doute aussi intéressants à entendre, il présumait que le Palais des Congrès (seulement 2.500 places !) serait trop petit et pressait de s’y inscrire. J’hésitai, en dépit d’un prix spécial de 1.050 F TTC pour les particuliers au lieu de 2.750F Hors Taxe pour les entreprises et je me trouvai finalement d’autres occupations pour ces deux jours-là. Je ne sais s’il put néanmoins réaliser le chiffre d’affaires de l’ordre de 5 millions de francs que visait pareille entreprise et qui avait permis d’attirer tant d’intervenants de qualité. J’ai continué de recevoir avec un grand intérêt sa revue Stratégique, puis des brochures telles Politique de Vie (Réseau Européen), Motus (le journal qui dit ce qui se tait), Intuitions (le magazine de l’intelligence du coeur), des pamphlets mettant nommément en cause Charles Pasqua et nos services secrets dans l’assassinat (et non le suicide) des membres du Temple Solaire, tout cela portant sa marque. Je le découvris plus difficilement dans Votre Santé, une revue partant en guerre contre les OGM, l’Ordre des Médecins ou les laboratoires pharmaceutiques, avec souvent des arguments susceptibles d’emporter votre adhésion, mais condamnant les vaccinations, et vous orientant vers des remèdes magiques.

C’est quand même un beau palmarès, et si vous voulez essayer de faire aussi bien, apprenez la PNLT. Du stade “Initiation” à celui de “Master”, vous en avez seulement pour 5 mois, et avec des cours rien que deux jours par semaine pendant les week-ends. Vous avez intérêt à continuer de travailler le reste du temps car, pour un particulier, le parcours complet revient à plus de 30.000 F. Pour les entreprises, même en hors taxes, c’est plus de deux fois ce prix, mais, au titre de la formation, elles peuvent en tirer des réductions d’impôts...

Si elle ne vous permet peut-être pas de "savoir guider autrui avec élégance et respect dans un processus de croissance" ou "sur le chemin des sept puissances de la guérison", ni "d’acquérir la compétence à choisir son vécu émotionnel", l’Éducation nationale dispense également, et, pour moins cher, un enseignement de la communication. C’est d’un genre un peu différent, mais ce n’est pas triste pour autant au vu d’un livre récemment publié par une enseignante de Jussieu, Michèle Gabay, sur la communication de crise, dans lequel [1] elle analyse comment dirigeants ou responsables se dépatouillent quand il leur arrive une tuile du genre de celles-ci : - la proscription du boeuf pour la chaîne des restaurants Hippopotamus, - le boycott du groupe Danone après les licenciements chez LU, - le désarroi des clients EDF privés de courant pour une durée indéterminée après une catastrophe, - l’accusation d’avoir, pour préserver Paris, inondé Abbeville en détournant les eaux de la Seine, - la chute des marchés financiers, - et autres événements sur lesquels vous avez pu vous interroger dans un passé récent.

Quand on a acquis des compétences en communication, il est permis de jouer les vedettes. Encore faut-il avoir quelque chose à communiquer. Ou alors il faut se donner comme tâche d’aider les autres à communiquer pour leurs idées auxquelles on croit. À La Grande Relève, il y a un message qu’il vaut la peine certainement de faire passer, mais peu de gens encore sont prêts à l’entendre. Pour la plupart c’est une utopie, d’où ma démarche qui est d’abord de faire campagne en disant que ce qui est utopique, c’est de croire que le système actuel est viable à long terme, alors que cela se terminera comme une partie de Monopoly. Et par ailleurs il faut se trouver des alliés, présents ou passés, nos utopies devant paraître moins utopiques si on démontre quelles sont finalement assez bien partagées, comme le bon sens. La Grande Relève a découvert, grâce à l’ancien PDG de Gillette devenu auteur dramatique, Michel Vinaver, que son fondateur King C.Gillette fut un utopiste de notre espèce. J’ai eu la même surprise concernant le soixantehuitard américain Alan Watts. Et quels échos ne doit pas éveiller en nous cette fable, pas seulement pour enfants, sur laquelle je suis tombé fortuitement dans le bulletin de l’Association Culturelle Franco-Thaïlandaise :

LE TEMPS,
IMPITOYABLE BANQUIER

Supposez qu’une banque vous crédite tous les matins de la somme de 86.400 bahts. Tous les soirs la même banque vous débite tout ce que vous n’avez pas dépensé pendant la journée. Que feriez-vous ? Ne retireriez-vous pas la totalité des 86.400 bahts pour les dépenser ?

Nous possédons tous un tel compte en banque et notre banquier s’appelle “le temps”. Tous les matins, il met à notre disposition 86.400 secondes et toutes les nuits il fait le bilan des secondes inutilisées pour les supprimer. Le lendemain 86.400 nouvelles secondes vous sont créditées et vous ne pouvez pas demander d’avances sur les secondes de demain ni être déficitaire. Il vous faut vivre avec le nombre de secondes actuellement disponibles sur votre compte. Cette somme de secondes, vous pouvez bien sûr la placer pour la faire fructifier, soit dans le bonheur, soit dans la santé, soit dans la réussite. Le sablier du temps continue cependant de s’écouler. Tirez d’aujourd’hui le meilleur.

Pour les économistes politiquement corrects se référant volontiers à des “lois naturelles” qu’y aurait-il de scandaleux à appliquer à l’argent ce qui existe de façon “naturelle” pour le temps ? Quoi que j’entreprenne en ce moment pour faire diversion à la rédaction laborieuse de cet article, tout me ramène à mon sujet. C’est dans un bref moment d’éloignement de mon écran que j’étais tombé sur cette petite histoire thaïlandaise. Une incursion du côté de Michel Houellebecq vient encore d’avoir le même effet. Voici ce que j’y ai trouvé. Rendant compte d’un passage de Flowers de Michel Bulteau racontant sa rencontre à New-York en 1976 avec Valérie Solanas, une virulente féministe d’après le contexte, il signale incidemment à son propos : " La pétulante Valérie développait d’ailleurs des idées sur les sujets les plus variés" ; j’ai noté au passage le "Nous exigeons l’abolition immédiate du système monétaire". Décidément, c’est le moment de rééditer ce texte [2]. Une voix de plus (peut-être deux) à comptabiliser ! N’ai-je pas dit souvent qu’il fallait savoir reconnaître ce que l’on devait aux autres ? On n’en est pas toujours conscient.

J’étais content du titre que j’avais trouvé : La vie : mode d’emploi, et je le suis encore, mais j’en suis moins fier. J’ai en effet réalisé quelques heures plus tard que c’était le titre d’un roman de Georges Pérec et que cela avait pu quelque peu m’influencer !

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[1] M. Gabay, La nouvelle communication de crise, Editions Stratégies, (2001).

[2] Michel Houellebecq, Rester vivant, (1991), réédité en 1999 aux Éditions Librio (livre à 10 F).

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