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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1018 - février 2002 > Se réapproprier l’avenir

 

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EDITORIAL

Se réapproprier l’avenir

par M.-L. DUBOIN
février 2002

Tel est le programme que s’est donné l’association Attac et auquel, bien évidemment, nous ne pouvons que souscrire. Et nous ne sommes pas seuls : il fallait voir l’enthousiasme de tous ceux que ce mot d’ordre avait attirés, ce samedi 19 janvier ! On attentait 3.000 personnes, nous nous retrouvâmes 7.000 en arrivant... au Zénith [1]. Dans les 41 pays où existe maintenant une association Attac, et qui seront représentés au second forum social de Porto Alegre à la fin de ce mois (où ce sont maintenant des dizaines de milliers de personnes qui sont attendues) une volonté se dessine, résumée en trois points : construire ensemble un monde plus juste, plus solidaire et durable. Mais pour se réapproprier l’avenir, il faut d’abord comprendre les erreurs du présent, d’où ce travail d’information, de réflexion collective et de pédagogie vers l’extérieur, auquel de nombreux distributistes tiennent à participer. Jean-Pierre et moi-même étant parmi les tout premiers à avoir adhéré, c’est dans cet esprit que nous avons entrepris, au sein de notre groupe départemental, d’étudier la monnaie en général, son évolution au cours de l’histoire et, en particulier, ses énormes transformations qui viennent, en une vingtaine d’années environ, de changer la face du monde. Notre groupe de travail a déjà pris conscience que la majorité des obstacles qui s’opposent à cet autre monde qui est possible et que nous voulons, tournent autour de l’argent, mais on sent bien qu’on touche là à un domaine tabou : la complexité des questions financières et les symboles liés à la monnaie entretiennent des idées fausses dans les esprits, et répandent la conviction qu’il faut être fou pour oser s’y frotter...

Or le conseil scientifique d’Attac a changé de président : René Passet a cédé la place à Dominique Plihon. Le “sortant” est un économiste hors norme, dont nos lecteurs connaissent la rigueur scientifique et apprécient le courage : il est l’auteur d’un travail puissant, dont la portée est à très long terme : “L’économique et le vivant”, d’une satire de l’économie actuelle écrite avec humour pour un sujet a priori austère : “Une économie de rêve”, de deux récents ouvrages : “L’illusion néolibérale” (voir GR 1001, juillet 2000) et “Éloge du mondialisme - par un anti présumé” (Voir GR 1011, juin 2001) qui apportent tous les arguments solides dont ceux qui contestent la mondialisation libérale et perverse peuvent avoir besoin ; enfin son enthousiasme raisonné pour l’initiative de Porto Alegre, l’an dernier, était manifeste, on l’a bien senti dans le rapport que nous avons publié sous le titre “Porto Alegre, j’y étais” (GR 1008, de mars dernier). Son remplaçant est docteur de l’Université de l’État de New York, il enseigne à l’Université Paris-Nord où il dirige le DESS “Banque, finance, gestion des risques”, il fut chargé de mission à la Banque de France (1974-1983), au Commissariat général au Plan (1983-1998) et consultant auprès de la Commission bancaire de 1995 à 1998, il est co-rédacteur en chef de la revue Économie internationale et également membre du Conseil d’orientation économique de L. Jospin... Quelles conséquences pourrait avoir ce changement, à propos duquel les membres d’Attac n’ont pas été consultés, sur l’orientation d’un si formidable mouvement citoyen ?

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LE NOUVEAU CAPITALISME

Bien entendu, c’est l’avenir qui répondra à cette question. J’avais déja lu “La monnaie et ses mécanismes” [2] de D. Plihon, c’est une excellente référence pour le travail de notre groupe d’étude cité ci-contre, et ses articles dans la revue Alternatives économiques sont utiles et très clairs. Mais pour me faire une idée de ce que peuvent être les conseils de ce conseiller, et conseillée moi-même par René Passet, j’ai entrepris de lire “Le nouveau capitalisme” qu’il vient de publier [3]. Il commence par décrire le bouleversement de l’économie par les nouvelles techniques, ce qu’il appelle la 3ème révolution industrielle : il s’agit en fait d’une révolution dans le traitement de l’information mais qui, comme l’a décrit Robert Reich [4] nous a fait passer d’une économie de production de masse de biens standardisés à celle de services spécialisés, voire même individualisés : pour résumer, au lieu d’acheter des voitures, on les louera. Ceci se traduit par une complète réorganisation des entreprises : leurs installations physiques deviennent secondaires, c’est l’intelligence et la flexibilité qui priment afin de s’adapter le plus vite possible aux changements, c’est-à-dire aux nouveaux besoins créés chez les clients. L’industrie du téléphone en est un bon exemple : l’instrument devient un gadget dont le coût ne dépend pas de la quantité produite, ce qui importe c’est que les clients l’utilisent le plus possible. Il s’en suit évidemment une forte réduction du personnel de production, l’emploi se concentre surtout sur la chasse au client et sur la conception de nouveaux produits, mais celle-ci n’est pas le fait des salariés de l’entreprise.

Dans ce nouveau marché, le plus gros fournisseur bénéficie d’un avantage immense, d’où la course aux fusions-concentrations (ex. AOL-Time Warner, voir “10 01 00, naissance de Big Brother ?”) [5]. D.Plihon souligne clairement qu’on est donc aux antipodes de la concurrence pure et parfaite que suppose la théorie libérale quand elle cherche à prouver les mérites qu’elle voit dans le “Marché” ! De sorte que les NTIC [6] et cette économie non plus de production de biens mais de la connaissance, remettent en question la thèse de la “main invisible” et posent, par conséquent, le problème de la régulation des marchés et du rôle des pouvoirs publics. L’auteur constate, d’autre part, que ces technologies font des progrès avec une accélération encore jamais observée dans l’histoire et que leurs produits n’ont jamais été aussi éphémères : il cite les produits de l’électronique japonaise qui ont une durée moyenne de vie de trois mois !

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SILENCE SUR LE PROBLÈME ESSENTIEL : OÙ TROUVER DE NOUVEAUX “DÉBOUCHÉS” ?

Après avoir bien rappelé que cette révolution technologique est née des efforts de recherche suscités par la seconde guerre mondiale, notre économiste ne s’arrête pas sur le point de vue économique de l’histoire. N’ayant pas rappelé que la remise en route, rendue nécessaire par ces conflits, avait valu à l’économie une période glorieuse au cours de laquelle les causes de la crise dite de surproduction d’avant guerre paraissaient oubliées, puisqu’on l’avait provisoirement résolue par des destructions massives, il passe ainsi sous silence le problème de fond que pose la transformation des méthodes de production, et qui est réapparu alors, et qui est toujours là, et qui est le véritable casse-tête des économistes classiques et des producteurs dits modernes : où trouver de nouveaux “débouchés” ? À qui vendre ce qu’on sait produire sans avoir besoin pour cela de payer des employés (qui de clients se transforment en chômeurs) ?

En spécialiste des questions financières, notre Professeur d’économie ne se demande pas si d’autres façons d’utiliser les nouvelles techniques étaient possibles, il n’imagine pas, par exemple, qu’on aurait pu répartir les biens d’usage autrement que proportionnellement au travail humain fourni pour les produire. En omettant de souligner qu’on a continué à inventer de nouveaux besoins marchands pour les seuls clients solvables, il se dispense de remettre en cause cette façon de gérer l’économie ! Ce qui revient à l’admettre et c’est ce qui peut être lourd de conséquences pour Attac...

Il se borne donc à constater que l’utilisation qui a été faite des NTIC a permis ces nouveaux débouchés rentables à une économie qui en manquait, puis il explique fort bien comment la finance internationale a profité, à partir des années 70, de la révolution des techniques pour mettre le monde à sa merci. Il reconnaît en passant qu’à cette époque l’économie était en perte de vitesse, que les entreprises subissaient une baisse spectaculaire de leurs profits et, le système monétaire international s’effondrant, que les milieux industriels et financiers ont fait pression sur les gouvernements pour qu’ils sauvent le capitalisme. C’est ainsi qu’au début des années 80 a été mise en oeuvre la “révolution conservatrice” de M. Thatcher et R. Reagan, conseillés par les monétaristes. Le dogme désormais proclamé est que les États ne sont pas compétents pour gérer l’économie. Il faut laisser faire partout le marché et pour cela supprimer toute réglementation financière. En donnant toute l a titude aux entreprises et en exaltant l’individualisme, on est sûr, paraît-il, de déboucher sur un bien-être généralisé. C’est ainsi que la doctrine libérale a entrepris de détruire l’Étatprovidence et tout ce qui pourrait ressembler à de la solidarité, en proclamant haut et fort, grâce à ses moyens médiatiques, qu’il n’y a pas d’alternative : c’est comme ça. Pour protéger les détenteurs de l’épargne et autres organisateurs du crédit, le mot d’ordre a été d’éviter à tout prix l’inflation, et puis d’alléger le fardeau fiscal des entreprises, de supprimer tout obstacle à la mobilité des capitaux ou toute réglementation qui pourrait en altérer la rentabilité, et enfin de permettre toute nouvelle mise en valeur des capitaux, ce qui implique, mais tant pis, la réduction des programmes sociaux et des dépenses publiques, et la déréglementation du marché du travail. D. Plihon retrace l’historique de cette révolution “financière” qui a commencé aux États-Unis par le “coup de 1979” assurant aux créanciers des taux d’intérêt alors jamais atteints, et qui a valu à la finance internationale une croissance vertigineuse.

*
LE CAPITALISME ACTIONNARIAL

Le processus est maintenant organisé à l’échelle de la planète : les “trop riches” (par rapport à leurs besoins immédiats) épargnent, ils confient leur épargne, pensant qu’elle leur rapportera des intérêts, aux investisseurs institutionnels (les “zinzins” : fonds de pensions, et autres banqueassurances) qui, bien évidemment en vivent, et profitent de l’énorme pouvoir que ces capitaux leur confèrent pour orienter l’économie suivant des critères qui sont générateurs de déséquilibre en faveur de ce monde des actionnaires et au détriment des moins instruits. L’économie ne tirant plus profit de la production de biens de consommation de première nécessité s’en est détournée et c’est l’immatériel qui se développe, et, comme il n’est rentable que très peu de temps, il oblige à créer très vite de nouveaux besoins. C’est l’émergence du “capitalisme actionnarial” : D.Plihon décrit magistralement, avec force informations, schémas et références, les principes de la “gouvernance d’entreprise” (qui consiste à attribuer le pouvoir aux gros actionnaires et les risques aux employés). Le lecteur pourra comparer ces “fondements idéologiques de la nouvelle société” avec le programme défendu par le MEDEF (7) pour la refondation sociale, il verra qu’il s’agit plutôt de la mort de toute société au bénéfice de l’individualisme le plus forcené et exalté dans ses moindres retranchements : pas de conventions collectives, pas de syndicats, pas de fonds de répartition pour les retraites, c’est chacun pour soi, chacun négocie son propre salaire en vantant son propre mérite puis place ce qu’il peut, quand il peut, pour se constituer éventuellement une retraite ; bref, que chacun apprenne à se défendre contre tous et que le meilleur gagne !

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IL N’Y AURAIT QU’À CORRIGER LES ABUS ?

Que propose le nouveau président du conseil scientifique d’une association qui s’est formée contre la marchandisation en affirmant qu’un autre monde est possible ? Hélas, les quelques pages qui, pour finir le livre, abordent cette “maîtrise de la mondialisation” risquent fort de décevoir beaucoup de monde : le capitalisme ayant évolué vers moins de régulation, il faut simplement se battre pour plus de régulations ! Il n’y a qu’à limiter l’emprise du capital financier, il n’y a qu’à corriger les abus du nouveau capitalisme, il n’y a qu’à domestiquer la finance internationale. La situation, profondément inégalitaire, ne pourra changer sans que de nouvelles règles soient imposées, permettant aux pays qui le souhaitent de se protéger contre les mouvements de capitaux. Il n’y a donc qu’à éliminer les paradis fiscaux, puisqu’ils permettent à ces capitaux d’échapper aux lois nationales. Il faut annuler la dette des PPTE (ce sigle désigne les pays pauvres les plus endettés). Il faut freiner le processus de marchandisation en créant un fonds commun mondial de connaissance, accessible gratuitement à tout le monde (ça, c’est une bonne idée). Il faut opter pour un développement durable réunissant trois critères : justice sociale, prudence écologique et efficacité économique. Etc.

Tout ceci « implique une nouvelle organisation de l’économie mondiale »... Mais celle-ci ne peut que rester capitaliste !

C’est cette dernière remarque, qui transparaît sous toute cette étude, qui la limite a priori, et c’est rudement dommage.

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[1] dont 1.000 refusés par les services de sécurité.

[2] Par D. Plihon, Collection Repères, aux éditions La Découverte, septembre 2000.

[3] chez Flammarion, Collection Dominos, octobre 2001.

[4] “L’économie mondialisée”, Dunod 1997.

[5] éditorial de mars 2000, GR N° 997.

[6] NTIC = Nouvelles techniques de l’information et de la communication

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