Recherche
Plan du site
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1020 - avril 2002 > Stabiliser le climat : mission impossible ?

 

Le site est passé à sa troisième version.

N'hésitez-pas à nous transmettre vos commentaires !
Merci de mettre à jour vos liens.

Si vous n'êtes pas transferé automatiquement dans 7 secondes, svp cliquez ici

Il y a un an, J-C Pichot exposait, en quatre articles très clairs, les actions néfastes des gaz à effet de serre sur le climat, puis les mesures envisagées pour, au moins, les ralentir. Depuis, un rapport d’experts internationaux a été publié dont l’essentiel est exposé ici par J.Hamon, qui nous demande de préciser qu’ingénieur agronome, il est ancien sous-directeur général de l’Organisation mondiale de la santé.

Stabiliser le climat : mission impossible ?

par J. HAMON
avril 2002

Pendant des décennies les prédictions d’épuisement des énergies fossiles les plus demandées, pétrole, puis gaz naturel, tenaient de la farce. Le monde disposait toujours d’environ quarante années de réserves, l’épuisement des gisement en exploitation étant compensé par la découverte de nouveaux gisements exploitables aux prix courants du moment. Ces prévisions négligeaient toutefois les besoins des pays du tiers-monde, 80 % de la population mondiale, ayant de grandes ambitions socioéconomiques, et une population croissante.

Ce n’est qu’assez récemment que la situation s’est dégradée, la faiblesse des prix courants ne justifiant ni l’exploitation des gisements connus de pétroles ultra-lourds, ni la récupération du gaz de gisements éloignés des centres de consommation, ni la prospection des zones politiquement ou techniquement difficiles dont l’exploitation n’aurait pas été rentable. La dernière crise énergétique a changé la donne. La capacité installée de production de pétrole et de gaz n’était plus que d’environ 1 % supérieure à la demande, ce dont les compagnies et pays producteurs ont profité. Les prix à la sortie des puits ont triplé. Dans ces nouvelles conditions qui, avec quelques fluctuations, paraissent devoir être durables, sauf crise économique mondiale, les pétroles ultra-lourds sont exploités, le gaz naturel n’est plus brûlé à la sortie des puits, et la prospection et l’exploitation des zones difficiles (gisements sousmarins arctiques ou très profonds, Asie centrale) sont en cours. La pénurie de pétrole et de gaz naturel nous guette toujours, mais à plus longue échéance.

Le climat terrestre a toujours été en perpétuelle évolution, mais raisonnablement stable et favorable à homo sapiens au cours des dernières 100.000 années, bien documentées par les carottages glaciaires et de nombreuses autres technologies. Ce climat résulte d’un équilibre entre l’énergie solaire reçue, et celle renvoyée dans l’espace par le rayonnement terrestre. Cet équilibre dépend de la concentration dans notre atmosphère de gaz à effet de serre, vapeur d’eau, gaz carbonique, méthane (gaz naturel) et autres de moindre importance quantitative. Sans l’influence des gaz à effet de serre, la Terre serait une planète glacée, impropre à la vie. Grâce à ces gaz, la température moyenne de notre planète au niveau du sol est de l’ordre de 15°C depuis des millénaires. Cette stabilité est compromise par la production anthropique croissante de gaz carbonique et de méthane, résultant de l’utilisation massive d’énergies fossiles conventionnelles, lignite, charbon, pétrole, gaz naturel, depuis le début de l’ère industrielle. Pour faciliter les comparaisons, ces émissions anthropiques [1] sont quantifiées en termes de tonnes équivalent carbone. La biosphère peut recycler naturellement, annuellement, quelque trois milliards de tonnes équivalent carbone [2] de gaz à effet de serre, alors que nous en émettons six milliards de tonnes dont les excédents ont une durée de vie de l’ordre du siècle. Réduire les émissions à 50 % de leur présent niveau ne limiterait en rien l’influence des émissions excédentaires antérieures de gaz à effet de serre. Pour compenser 20 années (soit 1981-2000) de production à 200% du niveau tolérable, il faudrait 20 années de production nulle, soit 2001-2020. Le protocole de Kyoto, prônant un retour aux niveaux d’émissions de 1990, relève du cautère sur une jambe de bois.

À partir d’une certaine augmentation de la température terrestre, l’évolution du climat pourrait ne plus dépendre des émissions anthropiques excédentaires de gaz à effet de serre par suite du relargage progressif du gaz carbonique dissous dans la couche supérieure des océans, de la production de méthane par les marécages de la région arctique (cessant d’être gelés la majeure partie de l’année) et, peut-être, par la libération de tout ou partie des hydrates de méthane actuellement immobilisés dans le permafrost [3].

Réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant d’énergies fossiles conventionnelles pose un problème politique majeur. Plus de la moitié de ces émissions proviennent des grands pays indust r ialisés, habités par moins de 17% des terriens : doivent-ils réduire leurs émissions à moins de 5% de leur présent niveau, ou peuvent-ils demander aux pays du tiers monde assurant moins de la moitié de ces émissions et habités par plus de 83% des terriens, de sacrifier leurs perspectives de développement socioéconomique au bénéfice des pays industrialisés ? Depuis Kyoto, en dépit de la modestie des objectifs retenus, toutes les tentatives de concertation internationale sur le partage des restrictions ont échoué sur ce point Le Conseil de l’Europe, très actif dans ce domaine, en est resté aux propositions du Protocole de Kyoto et n’envisage donc aucune action compatible avec l’ampleur du problème à résoudre. La Communauté européenne a recommandé de faire passer à plus de 20% la proportion des énergies renouvelables dans la production d’électricité, qui en moyenne est déjà presque à ce niveau, alors que l’objectif devrait être de faire passer la part des énergies renouvelables à 90%, ou plus, de la consommation totale d’énergie. En France, où cette part est de l’ordre de 8 à 10 %, l’effort à accomplir sera énorme. La sous-estimation communautaire de la gravité de la situation est dramatique.

Différentes options sont envisageables pour réduire la production de gaz à effet de serre d’origine fossile : réduire la demande énergétique, séquestrer le gaz carbonique et faire appel à des puits de carbone.

Une portion notable de l’énergie consommée est gaspillée sans bénéfice pour qui que ce soit. Cela va d’une mauvaise conception des logements, à une politique des transports et de production à flux tendus hyper-gaspilleuse, à des pertes d’énergie électrique en ligne évitables, et à des modes d’occupation des sols, de production et de vie à la limite de l’irresponsabi-lité. Réduire ces gaspillages demandera des décennies, le renouvellement et la rénovation de l’habitat étant très lents, et le remplacement de la route par le rail, au sens large de ces termes, demandant d’énormes investissements et de grandes dépenses énergétiques. Par ailleurs il ne semble pas exister de consensus sur la manière de rendre notre agriculture réellement durable.

Il est technologiquement possible, avec un coût énergétique non négligeable, de capturer le gaz carbonique à la sortie des centrales thermiques puis de le séquestrer dans les profondeurs de la terre : mines de charbon abandonnées, gisements de gaz et de pétrole en fin d’exploitation, aquifères salés, profondeurs marines, cette approche restant expérimentale, ce qui implique évidemment une grande concentration des centrales thermiques et le transport à longue distance tant du gaz carbonique liquéfié que de l’électricité et, éventuellement, de l’hydrogène produit par cracking. Les océanographes ont fait des réserves concernant l’innocuité biologique de l’injection de gaz carbonique dans les profondeurs marines.

Les arbres, lors de leur croissance, absorbent le carbone atmosphérique, et le restituent à l’atmosphère lorsqu’ils meurent, la balance atmosphérique étant nulle. Ce fait a échappé aux négociateurs des conférences sur la stabilisation du climat qui ont proposé de traiter les forêts, et même les sols non cultivés, comme des puits de carbone durables alors que les forêts tropicales disparaissent à vue d’oeil, que les forêts tempérées vont être dévolues à la production prioritaire de bois de chauffe, et toutes les terres arables disponibles utilisées pour la production de biocarburants, libérant en passant la majeure partie de leur carbone.

L’Office parlementaire français d’évaluation des choix scientifiques et technologiques vient de publier un rapport sur l’état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables. Bien que rédigé dans le contexte du Protocole de Kyoto, cette étude constitue une excellente base pour déterminer ce qui paraît possible, et ce qui ne l’est pas. Ce rapport paraît sous-estimer le potentiel de la géothermie et surestimer celui des biocarburants li-quides. Le potentiel de l’énergie marine n’a pas été évoqué. Les auteurs n’accordent pas un grand potentiel à l’éolien ni au photovoltaïque du fait de leur caractère fluctuant, difficilement prévisible dans le cas de l’éolien ; ces points faibles, bien connus ne peuvent être compensés que par des procédés de stockages d’énergie d’un faible rendement ou bien un adossement à des centrales thermiques conventionnelles ; on peut toutefois envisager, dans le contexte d’une généralisation de l’appel au bois de chauffe, de mettre en place une capacité éolienne et photovoltaïque modé-rément excédentaire, d’utiliser cette électricité excédentaire lors des périodes climatologiquement favorables pour plaquetter les grumes puis sécher les plaquettes et, lorsque soleil et vent font défaut, mettre en route des centrales à bois automatisées.

Le climat se modifiant, les prévisions concernant les potentiels énergétiques éolien, hydraulique et des dérivés de la biomasse sont fort aléatoires.

La problématique climatique est maintenant bien documentée au niveau international, ce qui rend puériles, sinon criminelles, les tentatives faites pour en minimiser l’importance ou rechercher des échappatoires à l’action. Une stabilisation du climat terrestre paraît fort improbable au cours du 21ème siècle et le pire, sans être certain, paraît très probables.

RÉFÉRENCES :

L’effet de serre. Allons-nous changer le climat ? par H. Le Treut et J-M Jancovici, éd Flammarion, col. Dominos (125 pages).

L’état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelable par C. Birraux et J-Y Le Déaut, Assemblée nationale, rapport 3415 Sénat, rapport 94 (348 pages).

---------

[1] anthropiques = d’origine humaine.

[2] une tonne équivalent carbone (TEC) = quantité dont l’énergie est égale à celle d’une tonne de carbone.

[3] permafrost = sol gelé en permanence.

^

e-mail