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AED La Grande Relève Articles N° 1021 - mai 2002 > Une histoire de piscine

 

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À l’heure où on veut nous faire croire que la répression peut venir à bout de la violence, je trouve magnifique le travail de certains, qui, anonymement, nous font voir que nous ne sommes pas impuissants et qu’il est possible de réorienter l’énergie de la violence en énergie constructive. Je vous livre ci-dessous l’histoire de la piscine, telle que me l’a racontée B., une institutrice qui essaie de donner la responsabilité des évènements qui se passent dans sa classe à l’ensemble des individus qui la composent, elle y compris. Elle apprend à ses élèves le principe de “une personne = une voix”. Elle cherche comment mettre en valeur les compétences de chacun, inviter ses élèves à trouver euxmêmes une solution aux problèmes, au lieu de chercher à qui en revient la faute. En posant des règles de fonctionnement, en annonçant les risques encourus pour le manquement à ces règles, en montrant ce qu’apporte l’écoute des autres, et en donnant une valeur égale à la parole de chacun, elle a su créer un espace dans lequel la parole, les idées et les opinions circulent, et où les enfants trouvent ensemble les solutions. En faisant cela, elle a augmenté la motivation de ses élèves pour l’étude, elle leur a appris l’entraide, la coopération (car on peut se dire les choses dans ce cadre protecteur). Elle en fait des citoyens responsables, elle les conforte dans leur dignité, elle leur a montré qu’on peut vivre en laissant de côté la compétition au profit de la coopération.

Lily.

Une histoire de piscine

par Lily
mai 2002

Le lundi matin, à partir du 3ème trimestre, notre classe se rend à la piscine. Nous y allons avec une classe CP-CE1 d’un village voisin, et les enfants s’en réjouissent.

La première séance se passe sans difficulté ; le maître nageur fait les groupes, j’ai les nageurs, 12 élèves dont 3 de l’autre classe : Arthur (A), Yannick (Y) et Georges (G). Je demande à chaque élève du groupe de se présenter puisque nous allons travailler ensemble tous les lundis.

La deuxième séance se passe aussi sans difficultés réelles : A est absent.

Mais à la troisième séance tout se complique : A, Y et G sont agressifs, ils crient, ils sont toujours tous les trois ensemble, à part, ils n’écoutent pas, ils dépassent les autres. Y pousse G dans l’eau, G fait la tête toute la séance. Les “miens” commencent à se plaindre : « on perd du temps avec eux ! » Tout finit en bagarre et insultes dans le bus de retour, avec des menaces de noyade à l’intention des miens pour la semaine prochaine...

Je rentre “remontée” à l’école : j’explique à la directrice que je ne vais pas à la piscine pour faire de la discipline, que ces trois gamins n’en ont rien à faire de moi, que pour eux je ne suis pas un “référent” et qu’ils sont en opposition totale avec les élèves de mon groupe. Comment peut-on gérer une séance de piscine dans ces conditions ? Je tire la sonnette d’alarme.

Il faudrait que je mette en place une “relation de communication”. Est-ce possible ? Coup de téléphone au conseiller pédagogique qui nous dit de séparer les perturbateurs dans les groupes de non-nageurs. Coup de téléphone à leur institutrice qui n’est pas franchement d’accord. Comment gérer alors ces groupes ? Elle va quand même leur en parler. Moi non plus je ne suis pas d’accord : ces trois élèves souffrent. Ils ont un à deux ans de retard. Fautil une fois de plus les dévaloriser dans une discipline, la natation, où ils pourraient enfin “briller” ?

Je réfléchis tout le week-end ; je vais tenter autre chose, un dialogue qui pourrait être positif. Mais pour cela j’ai besoin de mes élèves, alors je décide de tout leur expliquer. Et le lundi matin en arrivant en classe, je les laisse parler de leur week-end et puis j’enchaîne avec le problème de la semaine dernière à la piscine. Je les avais prévenus que je voulais que l’on parle de ce qui s’était passé.

Je commence :

-’aimerais vous parler d’A, de Y et de G.

Et j’écris ces trois noms au tableau. Ils demandent des précisions :

-’est le blond ? Y celui qui a la peau marron et G celui qui est gros ?

- Ces trois enfants ne sont pas tout à fait comme vous ; le soir après l’école vous rentrez chez vous ; eux non, ils ne rentrent pas dans leurs familles, ils sont dans une maison qui accueille les enfants qui ne peuvent pas rentrer chez eux parce que leurs familles ont trop de problèmes.

C’est le silence, je sens que les enfants sont émus, surpris peut-être ? Je continue :

- Ces enfants souffrent, ils sont très négatifs. En plus, ils ne sont pas bien dans leur classe.

- Oui, ils sont plus grands que les autres.

- Et dans notre groupe ils sont 3 alors que vous êtes 9, est-ce qu’ils peuvent être à l’aise ?

Je leur demande comment ils les perçoivent, je les écoute mais je dois leur expliquer : il y a deux “chefs”, A et Y, le troisième, G, les suit. Et je continue :

- Ces enfants ne savent pas communiquer autrement qu’en étant violents et avec des insultes [...] Ils ne savent pas parce qu’ils n’ont pas appris » [...] Ils sont en opposition avec nous ; entre eux et nous il y a une relation négative, et j’ai besoin de vous pour que ça change. Alors comment peut-on faire ?

- Moi s’ils me tapent, je les tape.

- Oui mais alors tu es toujours dans le négatif, tu n’ouvres pas sur autre chose.

C’est Patricia qui a la réponse :

- On peut devenir amis.

Alors je me suis tournée vers elle et je lui ai dit :

-’est exactement ça, tu as raison, on va essayer de devenir amis. Est-ce que vous êtes d’accord pour devenir amis avec eux, pour que cette relation devienne positive ?

Ils ont répondu : oui. Et je les ai trouvés formidables.

- Mais s’ils ne veulent pas ?

-’ils ne veulent pas je vous expliquerai ce qui se passera après (...) Voilà comment on va faire d’abord pour devenir amis : on va leur dire qu’on a discuté, qu’entre eux et nous, eh bien ! pour le moment ça ne va pas, qu’on est comme ça (et j’ai tapé mes deux poings l’un contre l’autre) et qu’on aimerait devenir leurs amis... S’ils sont d’accord, je leur demanderai de choisir un de vous pour travailler avec lui. Je demanderai au maître nageur de bien surveiller. S’il y a un problème, l’enfant sortira du bain et restera à côté du maître nageur. S’ils ne veulent pas, ils changeront alors de groupe et rejoindront les non-nageurs. Et puis aussi, vous allez faire attention et vous mélanger à eux, pour qu’ils ne soient pas eux d’un côté et nous de l’autre. Je vous préviens, nous allons essayer. Ce n’est pas dit que ça marche, mais nous allons essayer quand même.

Je préviens les enfants que nous ne monterons pas tout de suite au bain mais que nous resterons dans les vestiaires. Ce jour-là, par chance, je n’ai que quatre élèves de ma classe, le groupe est donc plus équilibré.

J’ai prévenu l’autre institutrice dans le bus ; elle réplique qu’elle pense que ça ne marchera pas. Je préviens les trois élèves que nous avons à discuter et que nous restons dans le vestiaire. Mes 4 élèves sont assis en face d’A, Y et G. Ces trois enfants sont nerveux, ils ne me laissent pas parler et jouent avec leurs bonnets de bain.

- Si vous ne me laissez pas parler, vous changez de groupe, vous allez avec les non-nageurs, vous n’avez pas le choix.

J’obtiens le silence. Je leur raconte ce que nous avons décidé avec mes élèves et je leur demande si eux aussi veulent devenir nos amis. G est d’accord mais ni Y, ni A. Alors je continue quand même en m’adressant à G. Et je lui demande :

- Comment on va faire ? Comment devenir amis ?

Il me répond :

-’est faire la paix.

J’approuve :

- Tu sais que c’est beau ce que tu dis : tu as raison, c’est faire la paix.

Et je l’ai encouragé pour qu’il continue :

-’est être potes.

Il s’est levé et il a rejoint mes élèves. Ensuite, c’est Y qui a parlé, il a demandé ce qui se passerait s’il refusait ; je lui ai expliqué ; il hésitait et puis il a dit :

-’abord il faut se dire pardon.

Là aussi je suis allée dans son sens pour qu’il rejoigne G :

- Tu as raison, mais bien sûr avant vous devez vous dire pardon.

Il ne restait plus qu’A qui a finalement lui aussi serré la main de mes élèves. Ils ont choisi un partenaire et comme par hasard ils voulaient tous être avec Charles, celui avec lequel ils s’étaient battus.

Problème de communication, non ?

Nous sommes alors tous montés à la piscine. Arrivés là, j’ai demandé au maître nageur d’être vigilant devant A, Y et G pour qu’ils se rappellent le contrat et qu’ils se rendent compte que ce n’était pas de la rigolade. Et tout s’est bien passé ! Le lendemain nous en avons parlé avec toute la classe. La semaine suivante, le lundi étant férié, nous n’avons pas été à la piscine. Ensuite, j’étais à nouveau inquiète : comment après 15 jours allait évoluer notre relation avec Y, A et G, où allait-elle en être ? Je décidais juste de mettre en garde mes élèves en leur disant que Y, G et A n’avaient passé le contrat qu’avec la moitié du groupe et que je ne savais pas comment ils allaient réagir avec les autres. Peut-être allait-il falloir recommencer ?

Dans le bus, A est absent. Son institutrice me dit qu’il est puni parce qu’il a tabassé Y à l’école pour une histoire de goûter et de gros mots. Nous descendons du bus, direction la piscine puis les vestiaires. Et là Evelyne se plaint, Y l’a traitée de ... . Je sais donc à quoi m’en tenir, tout est à recommencer avec l’autre moitié du groupe.

Nous restons à nouveau dans les vestiaires, les deux groupes face à face. Y et G égrènent tous les gros mots qu’ils connaissent à l’encontre d’Evelyne. Je suis obligée comme l’autre fois de brandir la menace de les changer de groupe s’ils ne se calment pas. Nous reprenons les pourparlers et comme l’autre fois c’est G qui sauve la situation. Soulagés, nous nous levons, Y est prêt à partir par la porte de derrière, il le dit à G :

- Viens, on se casse ! »

Mais G suit les miens, direction la piscine, heureusement !

Les deux dernières séances sont plus sereines, leur instituteur titulaire est revenu.

À la fin Y glisse dans la conversation que l’année prochaine il rejoint sa mère. Je demande à l’instituteur ce qu’il en est pour G et A. A rejoint lui aussi sa mère. Mais G, lui, reste au foyer. C’est donc pour cela qu’à la sortie de la piscine, dans le rang, il avait posé la main sur l’épaule de Michel et lui avait demandé :

-’emmènes chez toi ?

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