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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1022 - juin 2002 > Le gâchis

 

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Tribune libre

Le gâchis

par G.-H. BRISSÉ
juin 2002

Décidément, cette campagne électorale s’est révélée bien surréaliste. On attendait, sans trop y croire, un leitmotiv, quelques idées directrices, porteuses d’un avenir à bâtir. Il nous a été infligé un catalogue multiple de toutes les revendications catégorielles, voire corporatistes, les promesses les plus insensées, une chimie politicienne très éloignées des attentes des citoyens.

“Les Français inquiets, les politiques déphasés”, titrait Jérôme Jaffré, dans Le Monde du 20 décembre 2001. Les électeurs ont, une fois de plus, le sentiment d’avoir été floués.

L’Histoire retiendra sans doute, toute référence idéologique mise à part, la grande compétence, la rigueur intellectuelle, l’honnêteté foncière, l’éminente dignité d’un Lionel Jospin, la capa-cité de rassembleur d’un Jacques Chirac, plébiscité à plus de 80 % des voix, l’irrésistible montée d’un Front National que, peu de temps auparavant, on présentait comme moribond, miné par des luttes intestines ; enfin, l’élan mobilisateur qui a animé tout un peuple contre les extrémismes, plus particulièrement une jeunesse en quête de repères.

L’Histoire notera aussi que près de 30 % d’électeurs se sont abstenus au premier tour, et près de 20 % au second. Ce phénomène, qui n’est pas spécifique à la France, mériterait plus qu’une simple mention. Il faudra bien un jour comptabiliser et expliciter les votes blancs et nuls et donner un sens à l’attitude abstentionniste. Ou rendre le vote citoyen obligatoire. Comme en Belgique.

L’Histoire montrera du doigt aussi le travers de ces campagnes à l’américaine, qui portent aux nues des héros dont la popularité peut passer, en deux semaines, de 18 à 82 % des voix comme dans un spectacle de “Loft Story” —mais se dégonfler tout aussi vite sur le thème du “qui t’a fait roi” de ce troisième tour que constituent les législatives — et les perspectives d’un quatrième tour “social”. La coupe d’hydromel offert au vainqueur pourrait alors révéler son lot de fiel !

L’Histoire, enfin, mettra en valeur tout également la montée des extrêmes, de droite comme de gauche, et, mutatis mutandis, les distorsions d’une Constitution naguère taillée à la mesure d’un seul homme —le général De Gaulle— et en y apportant des modifications conformes aux besoins de notre époque :

• En faisant coïncider la date du deuxième tour des présidentielles avec l’organisation des législatives, permettant ainsi de dégager une majorité cohérente et d’éviter la cohabitation.

• En flanquant le Président de la République de deux vice-présidents, dont l’un ferait fonction de Premier ministre.

• En conviant les citoyens à voter pour une équipe gouvernementale, et non pour un seul homme ; ils sauront ainsi très exactement par qui ils seront gouvernés, en fonction d’un idéal, d’un programme clairement et préalablement définis, et d’une équipe ayant pour mission de les appliquer : autrement dit, d’un contrat de législature.

• En invitant l’opposition (quelle qu’elle soit) à présenter un contre-gouvernement, indiquant ainsi les voies d’une politique et d’une équipe de rechange.

Ces stipulations préalables étant précisées et réunies, elles rendraient obsolète le saut d’obstacles épuisant et inutile des cinq cents signatures, lequel, l’expérience l’a montré, n’est pas un frein à la multiplicité des candidatures...

L’architecte et les maçons

Suffit-il pour autant d’accumuler les réformes “en veux-tu, en voilà”, avec la meilleure volonté du monde, d’élaborer chaque année quelque 7.000 pages de projets de lois —dont la plupart, faute de décrets d’application, demeureront dans les cartons— pour hisser notre société à la hauteur des enjeux du XXIème siècle ? Un tas de briques ne constitue pas encore une maison. Il en est certes la matière première, indispensable, mais pour lui donner forme, il faut du ciment, un architecte et des maçons, élaborer un plan et le mettre en œuvre.

La gauche plurielle a fait irruption avec quelques grosses pelleteuses remplies de matériaux divers qu’elle a entassés deci delà, en fonction des chantiers disponibles. Mais de grand architecte —cohabitation oblige— il n’y eut vraiment point. Ni de suprême coordinateur des espérances de tout un peuple auquel doit le lier une incommensurable dimension affective — en évitant le risque, toujours présent, de tomber dans la démagogie ou le populisme.

Les résultats de ce scrutin reflètent en réalité une réelle inquiétude, liée tout à la fois au développement de la grande pauvreté, de la précarité et de l’insécurité, nationales et internationales et à l’absence de perspectives globalisantes et concrètes pour y faire face efficacement.

Les citoyens qui ont mis un bulletin dans l’urne en faveur du Front National sont, pour une large part, des transfuges du Parti communiste ou de formations de gauche. Ils ont voulu donner un avertissement aux cohabitationnistes. Jeu dangereux, en vérité...

Lionel Jospin s’étant retiré de la compétition, jugeant à tort, selon moi, que son bilan était un échec personnel, les autres candidats s’avancent, masqués, sur le devant de la scène politique, en jurant qu’ils ont “compris” le message du peuple. Du grand théâtre...

Qu’ont-ils compris, au juste ? Et se sont-ils appropriés les moyens de leur “compréhension” ? Je me surprends à en douter. Le réveil risque de s’avèrer douloureux.

Les partisans d’une économie distributive savent hélas, par expérience, que leurs thèses risquent, encore longtemps, de demeurer enfouies au fond des tiroirs.

Pourtant, l’attribution à tous, sans exclusives a priori, d’un revenu social garanti sur la base de l’introduction d’une monnaie de consommation non thésaurisable et fondante, en échange d’une activité utile à la société sous la forme d’un pacte anthropolitique —ou contrat civique — apporte déjà une réponse concrète au besoin de sécurité quant aux revenus et aux perspectives de plein emploi, de considération des individus en tant que personnes.

Assortie de mesures de ré-urbanisation à l’échelle humaine, de la construction de trois millions de logements sociaux sur cinq ans, d’une politique d’anti-violence active, d’aide à la formation permanente, de réforme fiscale en profondeur, elle devrait constituer le premier acte constitutif de tout gouvernement issu des élections législatives.

Associée à un plan de sauvegarde de notre environnement naturel, que nous évoquerons ultérieurement, cette stratégie conditionne tout l’avenir de notre nation et de notre peuple. Il s’agit bien, en vérité, d’une stratégie de survie.

Ne nous faisons toutefois pas trop d’illusions : ce faisant, nos politiciens et autres responsables syndicaux redoutent de perdre leur clientèle, et donc leur raison d’exister.

Les équipes changent, les mêmes problèmes demeurent, sans grand espoir d’être résolus.

Faudra-t-il que survienne une révolution “chaude” pour permettre l’émergence de perspectives d’évolution à la hauteur des exigences de notre époque ?

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