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   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
 
 
 
 
 
AED La Grande Relève Articles N° 1026 - novembre 2002 > Mondialisation financière et terrorisme

 

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Lectures

Le marché du livre, comme les autres marchés, s’est “modernisé”, ce qui signifie qu’il a cédé au productivisme : imposer des marques, publier beaucoup d’ouvrages mais disponibles très peu de temps, choisir les auteurs pour leur notoriété et non pour leur qualité, et privilégier les sujets à la mode plutôt que pour leur originalité ou le sérieux de leurs réflexions.

Il faut donc souligner le mérite des éditeurs et des auteurs qui ont le courage de résister, mais risquent ainsi d’être beaucoup plus mal diffusés.

C’est ce qu’a fait René Passet avec son dernier ouvrage, analysé ci-dessous. Il a choisi une collection intitulée “Enjeux Planète”, publiée avec le concours de la Fondation pour le progrès de l’Homme et de “l’Alliance des éditeurs indépendants pour une autre mondialisation”.

Mondialisation financière et terrorisme

Changer le pouvoir financier à sa racine… mais pas à sa source ??!
par M.-L. DUBOIN
novembre 2002

Quelles sont les mesures prises par les États-Unis et leurs alliés pour mettre fin au terrorisme ? — Une croisade militaire à l’issue incertaine, bafouant les droits de l’Homme et les principes de la démocratie, mais pratiquement rien sur le terrain économique et financier, rien contre ces inégalités qui offrent au terrorisme les moyens et les prétextes pour agir.

Tel est le bilan qui s’impose un an après les attentats du 11 septembre et que dressent René Passet et Jean Liberman [1]. Ils montrent que le terrorisme est le fruit empoisonné de la mondialisation libérale, un fruit qui a trouvé son terreau dans la misère, le délitement des valeurs « d’une société de marché qui n’a plus que l’argent comme finalité » et dans l’humiliation des déshérités, de ces individus déracinés pour lesquels « l’impossibilité de bâtir un projet de vie conduit à une sorte de fascination de la mort ». Car en imposant la dictature de la finance les sociétés dominantes ont montré qu’elles sacrifiaient les valeurs humaines qui étaient pourtant censées fonder la démocratie. Il faut avoir le courage de regarder les choses en face, par exemple en méditant cette analyse d’un écrivain uruguayen, Eduardo Galeano [2] : « Entre les assassins de quelque 3.000 citoyens écrasés sous les tours de Manhattan et le massacre (dans les années 1970-80) de 200.000 Guatémaltèques, essentiellement indigènes, par des militaires terroristes, inspirés et financés par Washington, sans que la télévision leur prête la moindre attention, il y a le même mépris de la vie humaine. » Ce fruit empoisonné a trouvé son engrais dans l’argent sale parce que les économies criminelle et légale sont complètement mélangées : « Argent propre, argent sale, même combat ! ». Preuves de cette collusion : les sources de financement du réseau de Ben Laden, qui sont à la fois mafieuses et légales, les spéculations boursières qui ont eu lieu la veille des attentats et celles qui, misant sur l’horreur, ont eu lieu le lendemain, et enfin ce qu’une bonne partie de la presse américaine a dénoncé sans être démentie, les intérêts de la famille Ben Laden dans les affaires pétrolières de la famille de G.W. Bush.

Rappelant, dans une seconde partie, que les nouvelles technologies de la communication offrent les mêmes possibilités et imposent les mêmes principes d’organisation au système libéral et à ceux qui ont entrepris de le combattre par le terrorisme, les auteurs montrent que les liens entre les deux mondialisations, l’économique libérale et la terroriste, se nouent en trois étapes : 1- la financiarisation généralisée renforce les réseaux mafieux, 2- l’opacité des transactions, contre laquelle les États ont abandonné tout leur pouvoir, donne libre cours à la globalisation du terrorisme, et 3 - celle-ci devient le prétexte à la militarisation de la planète aux ordres d’une superpuissance, ivre d’impérialisme. On note au passage que « l’addition des budgets militaires russe, chinois, français, allemand et britannique est inférieure à la somme allouée au Pentagone qui culmine à 344 milliards de dollars pour 2002. »

Hier, soulignent nos auteurs, on invoquait le couple démocratie-marché : le citoyen exprimait son choix politique par son bulletin de vote et son choix économique par ses billets de banque. La Maison Blanche lui a substitué un autre couple, celui de la sécurité et du terrorisme. « La priorité au sécuritaire ne tend-elle pas à devenir la norme en Europe avec des poussées antidémocratiques croissantes ?… Cette montée de l’impératif sécuritaire des deux côtés de l’Atlantique élevée au rang de finalité est en train de mettre à mal les valeurs au nom desquelles on prétend combattre la barbarie terroriste ». Selon une enquête publiée par le New York Times, « 60% des Américains étaient favorables à une guerre même si des milliers de citoyens innocents devaient être tués ». Cette extension de la barbarie là-bas, et la crise profonde de la démocratie ici, dont témoigne le ralliement, en avril dernier, de l’électorat modeste à l’extrémisme de droite, ont vraiment de quoi inquiéter.

*

Alors, que faire ?

Les auteurs constatent que la question qui s’impose est celle de trouver les meilleures formes du combat politique contre la tyrannie du marché « car on ne changera pas la logique du système tant qu’on ne s’attaquera pas aux racines du pouvoir dont elle est issue ».

Tout ce qui précède collant parfaitement avec notre analyse, les distributistes seront avides d’aborder la dernière partie de ce livre pour voir comment les auteurs proposent (enfin !) de s’attaquer aux racines du mal et maîtriser l’avenir.

Pour eux comme pour nous, il faut d’abord rejeter deux attitudes aussi inefficaces l’une que l’autre : celle des révolutionnaires, qui prétendent tout changer d’un seul coup, et celle des réformistes, qui est bien trop timorée. Le discours des premiers se limite à une hardiesse verbale ; et Passet et Liberman estiment que ces extrémistes sont ou bien incapables d’esquisser quelque reconstruction que ce soit, ou bien ils proposent de mettre en place des systèmes achevés, prêts à porter, mais sortis « tout droit de leurs cerveaux fiévreux », faisant table rase du passé sans en avoir tiré les leçons : c’est ce qu’ont fait Hitler, Staline, Pol Pot, Ceaucescu, et autres tyrans qui ont substitué à l’idéal « de bonheur universel de leurs prétendus inspirateurs marxistes le règne sanguinaire d’un parti unique » alors que, rappellent nos auteurs, Marx a montré qu’on peut accélérer l’histoire mais qu’on ne la violente pas.

À l’opposé, les “réformistes timorés” prônent « un social-libéralisme qui ne transforme rien parce qu’il s’arrête au seuil même des pouvoirs qu’il faudrait remettre en cause », et c’est bien cette attitude que nous avons reprochée ici au gouvernement de Lionel “J’ose pas”. Une mesure vraiment sociale telle que la couverture maladie universelle ne remet pas en cause le pouvoir de la finance sur le monde actuel. Il s’agit seulement d’être un peu plus généreux (ce que rappelle notre slogan repris de V.Hugo « vous voulez les pauvres secourus, nous voulons la misère supprimée »).

Or, pour la première fois peut-être, un grand pas en ce sens semble franchi dans ce livre, où on lit, à propos des mesures adoptées à la suite des attentats du 11 septembre, qu’elles« s’arrêtèrent au seuil même des mécanismes et des pouvoirs qu’il aurait fallu remettre en cause ». Quelques lignes plus bas, nos auteurs tirent la conclusion de façon encore plus précise : « Et l’on se garde bien de soulever la véritable question qui est celle du pouvoir financier » et ils font le même constat à propos des “huit pistes pour réformer le capitalisme” que treize éminentes personnalités ont exprimées dans Le Monde du 19 juillet dernier en se contentant de suggérer des réformes de la comptabilité afin d’éviter de nouvelles escroqueries du type de celle d’Enron. La conclusion critique des auteurs rejoint donc la nôtre : il ne s’agit en somme que de « gérer le système, sans toucher à son esprit ».

*

Que proposent de plus René Passet et Jean Liberman ?— Ce qu’ils appellent, en reprenant une expression d’André Gorz, un réformisme radical. Il s’agit « de transformer la logique du système… en changeant à la racine la nature des pouvoirs qui le régissent. Rien de profond, rien de durable ne peut être fait sans cela dans le sens d’une mondialisation à finalité humaine. » Inutile de souligner que nous avions envie de hurler notre approbation enthousiaste en lisant un tel projet.

Sa mise en œuvre est difficile, ce que nous savons depuis belle lurette et pourtant, pour les auteurs, il ne s’agit, semble-t-il, que de réimposer des régulations au système capitaliste, celles, ou à peu près, qui ont été supprimées au début des années 1980 à l’initiative des gouvernements libéraux Thatcher-Reagan. Mais est-ce réaliste ? Il faudrait « d’abord saisir pourquoi la régulation politique et étatique des mécanismes économiques de l’époque fordiste (celle de Keynes) est structurellement dépassée par celle de la globalisation financière ». La dérégulation économique libérale, dont ils rappellent l’histoire, étant maintenant internationale, elle ne peut être remise en cause qu’au niveau mondial. Il faut donc redonner aux États la capacité de maîtriser les mouvements de capitaux, pour en réguler la circulation, rétablir la suprématie de la finalité humaine sur l’économique et la finance, subordonner la loi marchande au respect de normes sociales et environnementales (est-ce compatible avec le capitalisme, la question n’est pas posée), et pour cela, commencer par rétablir les véritables finalités des grandes institutions internationales que sont l’ONU, le FMI, la Banque mondiale et l’OMC.

Réguler les mouvements de capitaux, contrôler la circulation des actifs financiers, soit. Mais nos auteurs sont étrangement, dramatiquement, absolument muets sur la création monétaire elle-même !! À croire qu’ils veulent s’attaquer à la racine du pouvoir financier, mais pas à sa source !! Comprenne qui pourra cette nuance !

À moins qu’ils acceptent de nous l’expliquer eux-mêmes ?

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[1] Sous le titre Mondialisation financière et terrorisme. La donne a-t-elle changé depuis le 11 septembre ? en septembre 2002.

[2] dans L’Empire en guerre, éd. Le Temps des Cerises, EPO, 2001.

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