La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 1 Nouvelle Série - 1er juin 1945

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N° 1 Nouvelle Série - 1er juin 1945

La Grande Relève va reparaître...

Il est si difficile de se procurer du papier qu’elle revêtira provisoirement la forme d’un simple bulletin intérieur pour documenter nos camarades et établir entre eux la liaison nécessaire.

La Grande Relève ne remplace donc pas Vers l’Abondance que nos camarades de Marseille rédigent avec autant de compétence que de talent. Vers l’Abondance reste l’organe de propagande du M.F.A., ancien Droit au Travail.

Aux militants de l’abondance   (Afficher article seul)

L’effort des industries mécaniques américaines   (Afficher article seul)

Un aspect de la révolution mécanicienne   (Afficher article seul)

Les échos du monde   (Afficher article seul)

Nos déportés - Nos prisonniers   (Afficher article seul)

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Aux militants de l’abondance

par J. DUBOIN
1er juin 1945

Il peut paraître paradoxal de parler de l’abondance à nos contemporains quand tant d’entre eux sont sous-alimentés. On se fait moquer de soi, m’écrit un camarade, car personne ne peut y croire.

Y croyait-on davantage avant la guerre ? Et pourtant nous avons maintenant la preuve qu’elle était très supérieure à ce que nous disions. Réfléchissons un instant :

180 millions d’hommes et de femmes ont été mobilisés. Leur unique occupation a été de fabriquer du matériel de guerre et de s’en servir pour tout détruire. Pendant soixante-huit mois, ils se sont livrés à cette sinistre besogne et l’humanité n’est pas morte de faim. Fallait-il que l’abondance fut considerable ! Qui fera le compte des milliers de navires chargés de victuailles qui furent envoyés au fond de la mer, et des innombrables pétroliers qui allèrent les rejoindre ; et des immenses stocks d’essence qu’on a fait sauter ; et des montagnes d’approvisionnements de tous genres qui ont été anéanties par les bombardements, les incendies et les inondations ; et des cultures ravagées et du bétail décimé par ces armées motorisées se battant sur des milliers et des milliers de kilomètres ?

En fait, l’abondance a été détournée de ses fins naturelles pour s’épanouir dans la fabrication en série des navires de guerre, des avions, des chars de combat, des locomotives, des camions, des fusils, des mitrailleuses, des explosifs, etc. Ce sont les engins de mort qui ont absorbé l’énergie qu’on ne pouvait plus vendre.

Mais voici des esprits forts qui grognent : attendez au moins que I’abondance utile soit revenue, avant de nous parler de vos réformes. Il faudrait tout de même s’entendre : De l’abondance utile, nous n’avons guère connu que le potentiel, car, dès qu’elle apparaissait, on s’empressait de la détruire en affirmant que c’était de la sur-production. Les trusts ont-ils jamais eu d’autre objet que de faire disparaître la concurrence qui les gêne, et de raréfier les produits ? Et ce même but n’est-il pas poursuivi par ces ententes industrielles qu’on voudrait faire renaître ? Ne se souvient-on déjà plus que tous les gouvernements (celui de la Russie excepté), se réunissaient en conférences internationales pour limiter les emblavures de blé, les plantations de caoutchouc, de cannes à sucre, de betteraves, etc. Qu’en France, on dénaturait légalement du blé, on arrachait obligatoirement des vignes, on restreignait la pêche du poisson, la fabrication des chaussures et d’autres produits de première nécessité ?

Est-on vraiment sûr que la guerre et ses destructions massives ont supprimé pour longtemps toute possibilité d’abondance des choses utiles ? En France, les gens qui pouvaient s’adresser au marché noir n’ont pas manqué de grand’chose ; à la campagne, beaucoup de paysans n’ont pas eu trop à se plaindre ; et si les citadins ont souffert, c’est peut-être plus de la désorganisation des transports que de la pénurie des produits alimentaires. Malgré le cataclysme qui s’est abattu sur la terre, l’abondance est toujours là ; oh ! ce n’est pas moi qui le dit, c’est la Société des Nations qui l’écrit dans son dernier rapport : les stocks visibles de blé représentent plus du double de la moyenne des cinq années antérieures à la guerre ; les stocks de coton sont supérieurs à ceux d’avant-guerre malgré la consommation exceptionnelle de pneus et d’explosifs ; les stocks de laine ont sextuplé. Voilà, il me semble, des constatations qui devraient nous rassurer. Qu’en pensent ceux qui ne savent que nous traiter d’utopistes ?

En vérité, la guerre a fait faire aux techniques d’immenses progrès. Pour fabriquer le matériel réclamé par les gigantesques armées modernes, comme aussi pour les doter d’énormes approvisionnements et de rapides moyens de transports, elle a posé des problèmes de masse qui ont été résolus. De plus, quand 180 millions de travailleurs manquent à la production du temps de paix, c’est le plus souvent par des machines qu’on les remplace. On créera donc demain plus de richesses qu’hier, d’où nécessité de réformes de structure pour que fout le monde puisse en profiter. En effet, quand les hommes constitués en dignité, escortés de leurs économistes distingués et de leurs experts, confient à toutes les ondes de l’atmosphère que plus on travaillera, plus la part de chacun sera grosse, ils se trompent et nous trompent grossièrement. Voilà ce qu’il faut répéter inlassablement, même si cette évidence est désagréable pour tant de nos compatriotes. Demain, comme hier, la capacité de production dépassera la capacité d’achat. Si donc on persiste dans le régime économique et social actuel, techniciens, ouvriers, employés auront beau se donner du mal et travailler d’arrache-pied, ils n’en seront pas plus riches, car la loi d’airain jouera inexorablement contre eux, puis on les congédiera dès que les produits abonderont. N’a-t-on pas refusé du travail aux 40 millions de chômeurs des nations capitalistes sous prétexte qu’on avait déjà produit trop de tout ? Ils retrouveront leur misère du temps où l’abondance existait... Peut-être leur laissera-t-on la liberté ; mais c’est un maigre cadeau pour ceux dont l’existence dépend du profit que d’autres trouvent à ce qu’ils vivent.

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Et les réparations. Nous en reparlerons si le hasard permettait de les financer. Pour l’instant, mettons-nous bien dans la tête que l’abondance tient plus encore aux techniciens dont se sert la production, qu’aux moyens dont elle dispose. Si certains moyens ont disparu ou sont endommagés, les techniques demeurent en progressant, et elles permettent les plus splendides réalisations.

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TECHNIQUES

L’effort des industries mécaniques américaines

1er juin 1945

Des études publiées par divers organes et, notamment par l’Agence France-Presse, donnent quelques chiffres précis concernant le gigantesque effort accompli par les Etats-Unis, pendant la guerre et les progrès quantitatifs et techniques réalisés par l’industrie de ce pays. Ceux-ci se sont manifesté dans tous les domaines intéressant la guerre, puisque, entre 1941 et 1943, une armée de dix millions d’hommes, a été pourvue de canons, de tanks et d’équipements divers, mais très spécialement dans certaines branches de la construction mécanique : avions, navires, machines-outils.

Au cours de ces trois dernières années, les Etats-Unis ont produit 153.061 avions et 1.657.840 camions militaires.

La production d’avions n’a cessé de progresser, si bien que, dans le seul mois de décembre 1913, le poids des engins construits a excédé celui de l’année 1941 tout entière. En effet, non seulement on sort de plus en plus d’avions, mais ils sont de types plus lourds :

1941, nombre d’appareils : 19.403 ; poids 83.500.000 livres.

1942, nombre d’appareils : 47.696 ; poids 276.500.000 livres.

1943, nombre d’appareils : 86.OO0 ; poids 667.500.000 livres.

De juillet 1940 à décembre 1943, 167.000 avions ont été construits, soit un chiffre supérieur à celui de la production du reste du monde et plus que double de celui de la production des pays de l’axe.

En ce qui concerne les constructions navales, les chiffres suivants font ressortir une ascension extraordinairement rapide :

341.219 tonnes « dead-weight » en 1939
637.860 1940
1.139.293 1941
8.089.732 1942
19.238.626 1943

....De 1941 à 1943, les navires construits se répartissent de la façon suivante :

746 navires de guerre ;

1.899 bateaux du type Liberty ;

702 navires de commerce

28.285 bateaux secondaires, dont 23.867 péniches de débarquement.

Pour obtenir ce résultat, la standardisalion a été poussée encore davantage. Le principe de la préfabrication appliquée nouvellement à l’aéronautique est employé depuis plusieurs années déjà dans l’industrie navale. Il consiste dans la construction autonome des différentes parties du navire, travail qui se fait dans 47 Etats sur 48. Ces éléments sont ensuite amenés par rail dans un atelier spécial de la côte ou de l’intérieur et montés rapidement. L’assemblage de la coque ne se fait plus par rivetage, mais par soudure. Ce procédé a permis de réduire la durée de la construction des navires du type Liberty de 600.000 heures à 400.000, et même au temps record de 320.000. Ce système rapide et économique paraît avoir fait ses preuves et subsistera probablement après la guerre. La technique, elle aussi, s’est améliorée. C’est ainsi que l’on se sert actuelIement d’un, « Doigt Electro » pour la fabrication des hélices de grands navires de guerre et de commerce. Le découpage de ces hélices. dont la courbe doit être réalisée avec une précision méticuleuse, durait deux semaines, lorsqu’elle s’effectuait à la main, tandis que le nouveau doigt robot en acier, accomplit ce travail en deux jours.

La branche des machines-outils a dû répondre à des demandes très fortes à partir de 1939, et a connu dès lors une ascension extrêmement rapide jusqu’en avril 1943.

De 1941 à 1943, ii a été livré 700.000 machines-outils de toutes sortes pour une 50mme de 3.250.000.009 de dollars, soit une production quinze fois plus forte que dans les bonnes années d’avant guerre. A partir du mois d’avril 1943, les commandes ont régulièrement diminué, les besoins de l’industrie anglo-américaine ayant été satisfaits et la production a suivi le même mouvement.

Années Valeur moyenne mensuelle des livraisons
1939 16.660.000
1940 26.890.000
1941 64.290.000
1942 110.150.000
1943 (1er mois) 130.000.000
1943 98.350.000
1943 (fin d’année) 60.000.000

Cette baisse très rapide est due comme on l’a dit, à la forte diminution des commandes. En 1944, la moyenne des commandes mensuelles est tombée à 25 millions de dollars. Etant donné le rythme accéléré de la construction pendant ces dernières années, les besoins des Etats-Unis en machines-outils paraissent couverts pour dix ans, et les Industriels intéressés se montrent très inquiets, ils espèrent qu’une politique favorisant l’exportation permettra l’écoulement du surplus de la production.

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Un aspect de la révolution mécanicienne

par J. D.
1er juin 1945

On sait que l’aluminium et le magnésium figurent couramment de nos jours dans les statistiques de la production mondiale des matières premières. Il s’agit là d’un aspect de cette révolution dans les choses qui est la caractéristique de l’époque que nous vivons.

Pendant tout le XIXe siècle, le fer fut le roi incontesté de tous les métaux. Son sort parait lié à celui de la machine à vapeur qu’il sert à construire. Qui possède le fer détient la puissance industrielle. Les métaux ferreux (fer, fonte et acier), sont aussi indispensables à la métallurgie que le froment à la nourriture des hommes.

Et, brusquement, une évolution se dessine. D’autres métaux dits non-ferreux (cuivre, zinc, plomb, étain), commencent à gagner du terrain, puis les métaux légers (aluminium et magnésium) entrent à leur tour dans la lice. Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il n’y a qu’à comparer la locomotive construite au XIXe siècle, avec celle dont on se sert aujourd’hui.

Celle du XIXe siècle ne se compose guère que de métaux ferreux. Ce sont les accessoires qu’on fabrique avec des métaux non ferreux : la chaudronnerie est en cuivre, la robinetterie en laiton ou en bronze, les parties soumises au frottement sont en cuivre, étain, ou en plomb traité à l’antimoine. Remarquons que les pressions ne sont pas très élevées.

La locomotive d’aujourd’hui est différente, bien qu’elle soit restée fidèle à la machine à vapeur, c’est-à-dire au charbon. On l’a allégée dans toute la mesure du possible en substituant l’acier à la fonte (notamment dans les roues) et au cuivre.

Pour les antifrictions, on se sert encore d’alliages de plomb et de zinc mais sous forme de pellicules. La soudure autogène a fait son apparition. Les pressions sont devenues plus fortes et la vitesse s’est accrue. Avec celle du siècle précédent, il y a la différence entre un pur-sang et un cheval de labour.

Mais voici l’automobile avec laquelle on recherche encore plus de légèreté et de vitesse. La machine à vapeur est donc mise au rancart et remplacée par le moteur à explosions. Les aciers et surtout les aciers spéciaux vont dominer, accompagnés des métaux non-ferreux. Et voici les métaux légers qui apparaissent avec l’aluminium. Ce dernier remplacera les aciers spéciaux comme l’acier a remplacé la fonte. Ainsi les pistons seront en aluminium ou à base d’aluminium ; les métaux non-ferreux, comme le cuivre, le plomb et le nickel entreront dans la fabrication de l’appareillage électrique, de la tuyauterie et de la robinetterie. Dans la carrosserie, l’acier a pris la place du bois, et l’aluminium et les matières plastiques prennent la place de l’acier.

Enfin, l’avion, presque contemporain de l’auto, prendra une prodigieuse expansion après la première guerre mondiale et surtout pendant la deuxième, ici encore on va chercher la légèreté pour atteindre la vitesse mais sans perdre de vue la résistance. L’essentiel se compose d’un bloc moteur-hélice avec appareillage électrique, et d’une cellule. C’est ici que les métaux légers vont triompher en compagnie des aciers spéciaux. L’aluminium et ses alliages (magnésium), vont fournir les pôles de la cellule. On atteint ainsi des vitesses inconnues.

Ainsi le fer, sous forme d’acier, ne conserve sa royauté que dans l’équipement ferroviaire (rails, locomotives, châssis), les navires, les ponts, les machines à vapeur. Peut-être trouvera-t-il un nouveau débouché dans le bâtiment, où le ciment lui fait une rude concurrence.

Mais l’automobile et l’avion ne veulent plus de lui. Les métaux non-ferreux et les métaux légers l’ont définitivement supplanté. Cependant, le charbon reste encore indispensabe pour la fabrication de ces nouveaux-venus.

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Les échos du monde

1er juin 1945

LA PRODUCTION D’OR DANS LE MONDE

Les chiffres publiés par Samuel Montagu Co., à Londres, montrent que la production d’or dans le monde, après avoir régulièrement augmenté de 1933 à 1940, n’a pas cessé de diminuer depuis cette époque. Elle est passée de 782 tonnes en 1933 à 1260 tonnes en 1940, puis à 1.240 en 1941, 1.160 en 1942, à 930 en 1943, à 855 en 1944.

Ces statistiques sont, il est vrai, incomplètes. En ce qui concerne la Russie, notamment, on en est réduit à des évaluations. La production d’or soviétique aurait augmenté. Elle est estimée à 160 tonnes par an depuis 1942.

Dans le principal pays producteur, l’Union sud-africaine, la production est passée de 447 tonnes en 1941 à 381 en 1944 ; au Canada, de 166 tonnes en 1941 à 90 tonnes en 1944 ; aux Etats-Unis, de 151 tonnes en 1940 à 31 tonnes en 1944.

Journal de Genève, 13 mai 45.

CHRONIQUE DE BOURSES

On sait qu’au cours de cette guerre, les principales entreprises qui exploitent des gisements de cuivre n’ont pas été en mesure de réaliser des bénéfices particulièrement substantiels. Que ce soit en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, où sont domiciliées la plupart des grandes sociétés cuprifères mondiales, le prix de vente du métal rouge a subi une baisse appréciable. Un manque de contrôle dans la production, la concurrence d’autres métaux, notamment de l’aluminium, sont autant de facteurs qui ont milité en faveur d’un amoindrissement des bénéfices de ces entreprises. Les grandes compagnies américaines ont, néanmoins encore réalisé des bénéfices qui ont permis la distribution de dividendes rentant normalement le capital. Sur le plan boursier, on a observé qu’à Wall-Street la tendance générale des « coppers » se détachait nettement de l’allure de l’ensemble du marché. Les augures en la matière ne prédisent pas un avenir très brillant à l’industrie cuprifère, si la situation ne se modifie pas profondément.

Tout récemment, à l’assemblée générale de la Kennecott Copper, l’une des plus importantes compagnies du nouveau monde, les actionnaires ont été priés de voter en faveur d’une extension du champ d’activité de l’entreprise, qui désirerait, en particulier, pour mieux équilibrer ses risques, utiliser une partie de ses abondantes liquidités dans la prospection de gisements de pétrole et de gaz naturel. Il y a là une orientation nouvelle dont il sera fort intéressant de suivre le développement.

Journal de Genève.

CHANGEMENTS A TRAVERS LE MONDE

Entre 1937 et 1942, la production du tissu de coton en Grande-Bretagne (en millions de yard carrés) est tombée de 3.806 à 1.850. L’exportation a baissé pendant le même laps de temps de 1.921 à 485.

Cependant, le Brésil, à la faveur de la guerre, a vu sa production passer de 900 à 1.400 et l’exportation de 7 à 250.

On estime que la production brésilienne d’articles de coton de 1943 égale sensiblement celle du Lancashire.

Ce qui est un des aspects de la révolution économique que cette guerre a provoquée.

Liberté, 1er juin.

UNE GRANDE NOUVELLE

Elle nous vient des Etats-Unis. On sait qu’une certaine loi « Johnson », interdisait aux Américains de consentir des crédits aux pays qui n’avaient pas remboursé leurs énormes dettes de la première guerre mondiale. La France était du nombre. Cette loi serait bientôt abrogée. Les Américains recommenceraient donc à prêter de l’argent, à condition qu’on leur achète leurs produits. S’imagineraient-ils être remboursés cette lois-ci ? Non, mais l’économie américaine retrouverait quelques débouchés. La conséquence est facile à prévoir : si nous nous obstinons à ne rien changer à notre structure économique, ce sont les ouvriers français qui chômeront à la place des ouvriers américains.

L’ABONDANCE PENDANT LA GUERRE

On va bientôt pouvoir mesurer l’étendue des progrès de l’Abondance pendant la guerre. Voici déjà un exemple pris chez un des belligérants : le Canada.

Ce pays immense a onze fois la superficie de la France. A-t-il onze fois sa population ? Un peu plus du tiers de la nôtre, alors qu’il pourrait faire vivre 300 millions d’habitants, sauf dans le Nord couvert de forêts, ses terres sont parmi les plus fertiles de la planète. Autrefois, ii ouvrait sa porte toute grande aux immigrants, mais il a été obligé de la fermer. Pourquoi ?

Parce que ses moyens de production, ultra-modernes, sont si puissants qu’il n’a besoin que d’un nombre infime de travailleurs. Il doit se contenter d’une population ridiculement faible puisqu’elle atteint 11 millions et demi d’habitants. Ce pays extraordinaire comptait déjà des chômeurs avant la guerre et comme il ne désire rien changer à son régime social...

Survient la guerre, pour laquelle il va faire un effort considérable en mobilisant près de 800.000 hommes et femmes.

Voici donc 800.000 travailleurs de moins dans un pays comptant onze millions et demi d’habitants

Intervient alors le progrès technique, qui va permettre d’obtenir les résultats que voici :

Le Canada trouve moyen d’équiper 90 chantiers navals au lieu de 30.

Il construit 700.000 véhicules de transport et plus de 45.000 chars de combat.

Il fabrique 15.000 avions, 1.400.000 fusils et mitrailleuses, 1.500.000 tonnes d’explosifs, etc. Ses fabriques de munitions auraient permis de distribuer deux cartouches à chacun des deux milliards d’êtres humains qui peuplaient la terre d’avant-guerre.

Pendant les hostilités, le Canada a fabriqué plus d’acier qu’il en faudrait pour construire une double voie ferrée qui ceinturerait notre globe.

Ne récoltant pas de caoutchouc, il a construit des usines de caoutchouc synthétique qui ont fourni 85 millions de tonnes.

Le lecteur croit peut-être que cette production guerrière colossale n’a pu être obtenue qu’en sacrifiant celle du temps de paix. Cependant le Canada, pays autrefois essentiellement agricole, a récolté pendant la guerre plus de blé qu’autrefois. Il en a tellement récolté qu’il a dû restreindre légalement ses emblavures. Et pourtant 400.000 hommes et 100.000 femmes ont quitté la terre pour travailler dans les usines de guerre. Le voilà bien l’exemple de la production croissant en même temps que le chômage...

Depuis 1939, le Canada a exporté plus de 1.300 millions de boisseaux de blé. (4 boisseaux et demi pèsent 90 kilos) : et il reste 628 millions de boisseaux dans les silos.

Inutile d’ajouter que le Canada va s’efforcer d’exporter en Angleterre tout ce qu’il en importait autrefois.

Et il n’a pas de réparations à effectuer sur son territoire,

LA C. F. T. C. ET LES RÉFORMES DE STRUCTURE

Avec la Libération et le retour au droit d’organisation, le mouvement syndical français a connu un essor semblable à celui de 1936. La Confédération Française des Travailleurs Chrétiens a bénéficié de cet essor et compte actuellement environ cinq cent mille adhérents. Bien que cette force ne puisse être comparée à celle de la C.G.T., elle est tout de même assez grande pour ne pas l’ignorer, et surtout pour ne pas considérer le syndicalisme chrétien comme une simple création artificielle en vue de faire échec à la C. G. T.

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Il est intéressant de suivre l’évolution de la C. F. T. C., non seulement en ce qui concerne sa force physique, mais aussi sur sa position dans le problème social : position qui évolue nettement vers le collectivisme. Cette évolution est incontestablement influencée par les événements et favorisée par les récentes déclarations du pape sur la propriété privée.

Déjà, en novembre 1940, un manifeste commun de la C. G. T. et de la C. F. T. C. marquait nettement cette orientation du syndicalisme chrétien.

Ce manifeste donne comme un des principes du syndicalisme francais qu’ « au régime capitaliste doit succéder un régime d’économie dirigée au service de la collectivité. La notion du profit collectif doit se substituer à celle du profit individuel », et précise que « la lutte de classes, qui a été jusqu’ici un fait plus qu’un principe, ne peut disparaître que par la transformation du régime du profit ».

Ainsi, d’un commun accord avec la C. G. T., la C. F. T. C. affirme comme son but : la suppression du régime capitaliste.

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Nos déportés - Nos prisonniers

par A. C.
1er juin 1945

Les Américains nous promettent de ramener, d’Allemagne en France 5.000 déportés par avions et par jour. Nous enregistrons cette promesse avec joie et satisfaction.

Mais de nombreuses inquiétudes subsistent. Il est affirmé, en effet, que le camp de Dachau, notamment, est décimé par le typhus. Plus de 100 décès y auraient été enregistrés le 6 mai, alors que des médecins déportés appellent des décisions immédiates.

Après tant de carence ministérielle, nous souhaitons que cet appel impératif des camps soit entendu. Des ordres, s’ils ne le sont, doivent être donnés sur le champ pour secourir nos malheureux compatriotes et les arracher à la mort.

Au surplus il faut éviter d’envoyer des délégations de curieux qui veulent apporter leur sollicitude ou s’apitoyer sur la déchéance physique de ces malheureux. La sollicitude doit se manifester par des faits et non par des paroles.

Enfin, il y a lieu de rechercher les responsabilités encourues parmi tous les écheIons de l’Administration et de sanctionner sévèrement les coupables, qui, à nos yeux, sont aussi impardonnables que ceux qui ont vendu leurs frères, lesquels sont appelés traitres.

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Nos prisonniers continuent à nous revenir, mais à une cadence trop lente. Les premiers contacts qu’ils prennent avec les organisations de prisonniers les laissent dans une certaine désillusion, et l’accueil qu’ils reçoivent de leurs concitoyens est froid, indifférent.

Sans doute, les Français sont soucieux de se trouver chaque jour devant des difficultés matérielles et inquiets de l’avenir. Toutefois, il semble que l’égoïsme a une large part dans l’indifférence qu’ils manifestent à l’égard de nos prisonniers.

Ceux qui parmi ces derniers ont effectué leur voyage de retour par la Belgique, ont été fêtés d’une façon inoubliable. Concevez alors leur désillusion en trouvant, dans leur pays, le désintéressement de leurs compatriotes !

Nous vous invitons, chers camarades, à prendre contact avec ceux qui sont revenus de là-bas, pour déterminer des entretiens avec les organisations de prisonniers et déportés, afin de prendre toutes décisions avec celles-ci, ou en se substituant à elles, afin que ceux qui sont sur le chemin du retour trouvent, en arrivant dans leur ville, une atmosphère de chaude sympathie et d’affection.

Les contacts que vous prendrez avec les prisonniers vous permettront de constater que leurs idées sur les gens et les choses sont complètement changées et imprégnées de nouveautés, et que leurs espoirs les disposent aux théories de l’abondance.