La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 72 - 19 juin 1939

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N° 72 - 19 juin 1939

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Les réprouvés de la planète !   (Afficher article seul)

Choses et autres   (Afficher article seul)

Progrès techniques   (Afficher article seul)

Peut-on opter entre « l’intelligence » et la « force » ?   (Afficher article seul)

Pour en finir avec les deux plus beaux bijoux de la Foire !   (Afficher article seul)

Point de vue et façon de voir   (Afficher article seul)

L’équipement du monde   (Afficher article seul)

L’abondance et la religion   (Afficher article seul)

Abondance de richesses   (Afficher article seul)

Destruction de richesses   (Afficher article seul)

Mirage de la liberté   (Afficher article seul)

Misère   (Afficher article seul)

Communiqués   (Afficher article seul)

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Au fil des jours

19 juin 1939

Grandes fêtes à Hambourg pour recevoir et fêter les « Volontaires » allemands retour de la guerre d’Espagne.

Que pensez-vous de ces guerriers ?

N’est-il pas effrayant de penser que des hommes puissent - sur un ordre - aller assassiner la population dun peuple qui n’a même pas l’excuse d’être en guerre avec le leur ?

Car on ne nous fera jamais oublier que l’aviation allemande et l’aviation italienne ont bombardé sans arrêt des villages et des villages, et pulvérisé des non-combattants, et que sans ces assassinats Franco ne serait jamais venu à bout des républicains espagnols.

***

Si vous en doutez, vous n’avez qu’à lire la presse italienne qui rappelle à Franco les petits services rendus au nom de la non-intervention.

Plusieurs unités de guerre à Majorque, 100.000 soldats volontaires (sic), 4.300 camions, 40.000 tonnes de matériel, 750 canons, participation à la guerre sous-marine sur la côte d’Espagne et jusque dans le canal de Sicile, etc...

Pour l’aviation italienne : 135.265 heures de vol, 11 millions et demi de kilos d’explosifs généreusement distribués, 1.042.712 balles tirées. Enfin, 5.318 bombardements aériens.

Tous les chiffres ont été reproduits par notre grande presse, qui néglige de rappeler que le gouvernement de Mussolini n’a pas cessé de siéger à Londres au fameux comité de non-intervention. Pouah !

***

Tout cela pour que l’armée des rebelles espagnols « soit victorieuse du parti le plus sombre et le plus sinistre de tous, celui qui éteint, là où il étend son empire, la fierté d’être homme  ». Cette dernière phrase est de M. Abel Bonnard, de l’Académie française. Il faut qu’elle passe à la postérité pour montrer l’aveuglement et la passion cynique de certains de nos hommes de lettres. Nous réclamons que cet immortel soit placé, avec son épée, en première ligne, si jamais son ami Franco voulait franchir les Pyrénées.

***

Va-t-on bientôt cesser de plaisanter les Allemands sur les mesures de restrictions alimentaires et vestimentaires qu’ils sont obligés d’endurer ? Croit-on vraiment que c’est de gaieté de coeur qu’ils s’infligent des mortifications ?

La presse hitlérienne ne manque jamais de se servir de nos brocards pour exciter la population contre les voisins de l’Ouest.

Et quand on voit la campagne faite dans certains milieux pour provoquer le blocus économique de l’Allemagne, on se demande si elle n’émane pas de véritables provocateurs qui tirent les ficelles de quelques pantins. Des réfugiés allemands nous confirment qu’on fait ainsi le jeu du nazisme.

***

Il parait que le chômage anglais a diminué. De 1.800.000, il aurait passé à 1.5OO.OOO.

C’est là tout le résultat d’un programme d’armements gigantesques, comportant la construction d’usines géantes. Et aussi les effets de la construction de casernes nombreuses et même encore de la conscription... Cela n’aura cependant pas encore ouvert les yeux de M. Eden ?

On connaît maintenant le plan Eden pour sortir de la crise. Des grands travaux et des camps de travail, ces derniers devant rester ouverts jusqu’à ce que les chômeurs soient résorbés. Et M. Eden est, paraît-il, l’espoir des réformateurs anglais ! L’espoir des jeunes Anglais !

***

A bas le fascisme ! A bas le fascisme ! A bas le fascisme ! Et puis après ? Quand on aura bien crié, bien vitupéré, en sera-t-on plus avancé ? S’imagine-t-on que c’est avec des réunions et des articles de journaux qu’on empêchera le fascisme de s’instaurer en France ?

Le seul moyen d’éviter le fascisme est d’accomplir les réformes de structure.

Le fascisme est l’aboutissement logique des démocraties qui s’abandonnent. Attendre le miracle de la reprise économique, c’est préparer le fascisme.

Nos bons révolutionnaires ne se sont pas mis encore dans la tête que le fascisme n’est que la fin autoritaire du régime aux abois.

Car le fascisme n’arrange rien ; le fascisme n’est pas un régime économique qui vient se substituer à celui qui s’effondre ; le fascisme n’est qu’un moyen de consolider, très momentanément et de la façon la plus désagréable, le régime capitaliste lui-même. Demandez donc à Hitler ou à Mussolini ce qu’ils feront demain ? Ils n’en savent rien, car ils sont poussés par une force qui les entraîne, comme elle entraîne les démocraties.

Au lieu de crier : à bas le fascisme ! faites les réformes de structure.

***

Trois sous-marins engloutis. Un submersible américain, un submersible anglais, un submersible français. Que de familles en deuil pleurent la fin particulièrement affreuse d’un père et d’un époux. C’est évidemment très triste. Mais ce qui est plus triste encore, ce sont les sous-marins. Que des peuples civilisés aient besoin de sous-marins. .

***

On continue à faire risette à la Russie, en même temps que notre grande presse traite les Russes de bandits, d’assassins, de porcs...

Est-ce que ce joli spectacle va continuer longtemps ?

Qui dit que la Russie ne va pas s’entendre avec les Allemands ? Ces deux pays ont des économies complémentaires en ce sens que l’Allemagne peut se procurer en Russie des produits alimentaires en échange d’outillage dont les Russes ont encore momentanément besoin.

Une entente économique ne devrait pas surprendre ceux qui savent que c’est l’économique qui commande le politique.

Cela ne voudrait pas dire que la Russie deviendrait hitlérienne...

En Allemagne, le régime social est en régression sur l’équipement ; en Russie, il est en avance sur l’équipement. Nous n’en disons pas davantage.

***

Pourquoi se disputer sur la réforme électorale quand on sait que la Chambre du Front populaire va être prorogée par ses adversaires ?

Et pourquoi chercher le moyen le plus astucieux pour se faire élire, puisque, une fois élu, on ne vote que des pleins pouvoirs ?

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Les réprouvés de la planète !

par J. DUBOIN
19 juin 1939

La terre donne aux hommes des récoltes comme ils n’en ont jamais espérées ; à aucun moment, ces mêmes hommes n’ont été capables de créer autant de richesses avec aussi peu de peine ; jamais l’humanité n’a donc été aussi riche qu’aujourd’hui.

L’âge d’or devrait régner, puisque les moyens dont nous disposons sont plus que suffisants pour assurer un large bien-être à tous !

Au contraire, la misère étend ses ravages, des malheureux souffrent de la faim, et voilà que d’autres sont chassés de partout comme des indésirables.

Des trains entiers remplis de réfugiés stationnent dans certaines garés à la limite politique des États. On se refuse d’accueillir ces déshérités ; ailleurs, on les parque dans des camps retranchés où ils sont moins tien traités que bétail à la foire ; ailleurs, c’est un navire chargé d’un millier d’israélites qui, vainement, cherche à débarquer ses passagers, mais aucun port ne consent à ce qu’ils descendent à terre.

Ce sont des réprouvés, ce sont des travailleurs ! Dans un monde où de sinistres farceurs vantent encore la sainteté du travail, toutes les frontières sont fermées aux hommes qui offrent leur intelligence ou leurs bras ; le travailleur est devenu le concurrent, le travailleur, c’est l’ennemi !

*

POURQUOI ces horreurs ? Parce que le travail devient moins nécessaire ; parce qu’il est maintenant une denrée rare que les hommes se disputent comme les chiens se battent quand un seul os est à leur disposition.

*

Nous devenons, pour nos contemporains, de véritables monstres, des êtres inférieurs à ce que nous osons appeler nos frères inférieurs : car jamais un singe n’a eu l’idée de faire faire ta grande penitence à ses petits sous prétexte que les noix de coco étaient trop abondantes ; jamais un ours n’a pourchassé ses congénères sous prétexte que les cavernes sont trop nombreuses.

Le travailleur, c’est l’ennemi ! Je le répète, puisqu’aucun pays n’accepte plus de le recevoir sur son sol. Qu’on refuse des bouches inutiles en période de disette, c’est compréhensible, mais avoir le front de refuser des travailleurs alors qu’on se plaint de traverser des temps difficiles et qu’on répète à satiété qu’il faut produire, n’est-ce pas le dernier mot de l’hypocrisie ?

Et de quel droit les hommes qui, aujourd’hui, prétendent posséder la Terre, en élimineraient-ils d’autres hommes en leur refusant la possibilité de travailler pour vivre ?

De sorte que si, demain, Jésus-Christ revenait parmi nous, il serait encore plus mal reçu que la première

fois, puisqu’on ne le recevrait plus du tout. On lui refuserait sa carte de séjour et le ministre de l’Intérieur le ferait refouler à la frontière.

*

0Ul, pourquoi toutes ces horreurs ? Parce, qu’on s’entête à conserver un régime social qui est capable de tout produire, mais sera bientôt incapable de rien distribuer.

Alors les gens à qui le régime donne encore des revenus prétendent limiter à leur petit nombre la population énorme que leur pays pourrait faire vivre et bien vivre.

Un exemple pris au hasard. Voici le Canada que leurs Majestés Britanniques sont allées visiter ces jours-ci, Quel est le spectacle qui leur a été offert ? Celui d’un pays qui est aussi grand que l’Europe, aussi riche que les Etats-Unis et qui pourrait, au bas mot, faire vivre deux cents millions, d’êtres humains. Je n’exagère en rien, car cet immense pays n’est pas seulement d’une richesse extrême, il est encore complètement équipé au sens moderne du mot. N’avez-vous jamais entendu parler de la province de Québec, aussi grande que la France, qu’arrose et fertilise le Saint-Laurent, et de la magnifique province d’Ontario et des terres noires du Manitoba qui peuvent fournir du blé en quantité astronomique, et des régions plantureuses de l’Alberta et du Saskatchewan avec leurs ranches et leurs troupeaux innombrables, et des vergers gigantesques de la Colombie Britannique et des richesses minières inépuisables, et des réserves forestières du Nord qui sont les plus riches du monde ? Trois lignes transcontinentales vous transportent en plusieurs jours de l’Atlantique au Pacifique à travers les pays les plus divers et d’une fertilité exceptionnelle. Ce sont des immigrants européens qui ont tout défriché, tout mis en valeur. Ils ont construit un outillage de premier ordre et de grandes et belles villes modernes comme Québec, Montréal, Toronto, Winnipeg. Je répète que le Canada pourrait nourrir deux cents millions d’habitants. Eh bien ! sa population actuelle pourrait presque tenir dans la ville de Londres ! Le Canada, dont la superficie est de plus de 9 millions de kilomètres carrés, compte 1 habitant virgule 15 au kilomètre carré. Est-ce imaginable ?

Tout simplement parce que le Canada ne veut pas un être humain de plus. Il a cadenassé sa frontière à tous les immigrants, bien qu’iIs édifièrent sa fortune. Le Canada a un équipement qui pourrait produire pour les besoins d’une population vingt fois supérieure mais comme cet équipement ne crée de revenus qu’à onze millions d’habitants, on refuse d’en recevoir un de plus ! Pensez donc, on ne réussit pas à vendre tout ce qu’on produit et on compte déjà des chômeurs !

*

CE que je dis du Canada est encore vrai pour l’immense Australie qui n’a guère que dix millions d’habitants. J’en pourrais dire autant du Brésil, de l’Argentine et de bien d’autres pays qui nourriraient facilement une population cinq à dix foie supérieure à la leur ; je pourrais le dire de notre Empire français, des colonies hollandaises, du Congo belge, des anciennes colonies allemandes et de bien d’autres pays, y compris le nôtre !

Souvenez-vous donc que les hommes n’ont encore tiré parti jusqu’ici - et un parti très faible
- que du sol le plus facile à cultiver. Les plus belles terres, les plus fertiles, celles capables de fournir chaque année plusieurs récoltes superbes sont encore presque à l’état de nature. L’homme d’autrefois ne disposait pas des moyens puissants qui sont nécessaires pour lutter contre l’exubérance des terrains semi-tropicaux ; or, l’exubérance de la végétation, c’est la fertilité ! La centième partie du globe terrestre, entendez-vous bien, est à peine convenablement exploitée. Par le drainage, l’irrigation, l’emploi judicieux des engrais corrigeant l’insuffisance des éléments du sol, la sélection des semences, or augmenterait prodigieusement le rendement de la plupart des terres.

Tout cela est possible. Mais, dans le régime actuel, la production ne solvabilise que les besoins d’une minorité. Alors, à la porte les travailleurs ! Gardons ce qui nous est nécessaire, et détruisons le reste !

*

A dire la vérité, un vent de folie furieuse souffle sur le monde, ou, plus exactement, nos contemporains apparaissent comme totalement abrutis. Et cependant, chacun aurait à se donner infiniment moins de peine pour assurer le bien-être de tous, qu’il en prend pour conserver une situation infiniment précaire. Rien n’y fait, l’homme a tellement peur de la nouveauté en matière sociale, il a une venette si intense de l’abondance, qu’il n’ose utiliser l’outillage fantastique dont il dispose que pour des œuvres de mort !

*

Désolidarisons-nous, au plus vite, d’un régime qui oblige tous ces gens à marcher comme des somnambules, indifférents au spectacle de la misère qui monte, et sans soupçonner l’abîme qui s’ouvre sous leurs pas.

Et intensifions la propagande pendant qu’il en est temps encore !

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Choses et autres

19 juin 1939

A notre époque de confusionnisme c’est ainsi que cela s’appelle, on dirait que des gens prennent un malin plaisir à brouiller encore les esprits, en compliquant les choses les plus simples. Avez-vous jeté un coup d’oeil sur le programme du G.E.P.H., qui a dû siéger à Pontigny pendant les fêtes de la Pentecôte ? Relevons ces perles :

PRECIS DE TRANSHUMANISME : CONSEQUENCES MORALES ET ESTHETIQUES ( ?).

HUMANISATIONS ET SOCIALISATIONS ( ?).

Et, à côté de ces sujets hermétiques, des questions de ce genre :

« Conditions d’équilibre intérieur des personnes humaines. »

Il semble qu’un bon estomac, une bonne digestion, une bonne circulation du sang, etc..., devraient faciliter beaucoup cet équilibre des personnes humaines.

« Conditions d’équilibre des groupes humains entre eux. »

Ici, une seule réponse logique : le regime de l’abondance.

Mais nous sommes certainement très loin des discussions et, si jamais un compte rendu en est publié, nous mesurerons l’étendue de notre ignorance.

***

« Celui qui achète est utile à son pays ! » On pouvait lire cette profonde pensée à la devanture d’un grand nombre de magasins. Et comme la publicité ne perd jamais ses droits, l’écriteau nous prévenait qu’il s’agissait là d’une initiative du « Figaro ». O Romier, quo « non descendam » ?

***

Devinette : quel est le journaliste (hum !) qui trouve moyen d’aboyer sans lâcher sa sibile ?

Et quel est le farouche prophète de la Révolution TOTALE qui a acheté un beau paquet de mines d’or et se délasse en détachant des coupons ?

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« Gare aux bêtises ! » C’est le titre choisi par M. André Tardieu pour son dernier article.

Si vous l’avez lu, vous n’avez pas le droit de vous plaindre : il vous avait loyalement prévenu.

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Avez-vous lu le compte rendu du dernier Congrès de Nantes ? Allons, ne riez doué pas comme ça.

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Notre grande presse nous a fourni un portrait de M. Paul Reynaud Par la princesse Bibesco. N’allez surtout pas croire qu’elle s’est payé sa tête !

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M. Joseph Caillaux a écrit un article intitulé : « Le travail, c’est l’ennemi » ! On se doute de ce qu’il contenait.

A quand l’article : « Le travailleur, c’est l’ennemi » ! avec une recapitulation des mesures draconiennes qui sont prises dans tous les pays, pour que ces indésirables ne pénètrent pas sur le sol national ? Cet article aurait beaucoup plus de succès encore.

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M. Lucien Descaves s’est moque agréablement dans le « Journal » de la théorie du pouvoir d’achat. Mais, un peu plus loin, il déplorait les exigences de son percepteur qui allaient priver l’homme de lettres d’une partie de ses vacances. C’est donc qu’il a remarqué l’importance du pouvoir d’achat. Alors pourquoi ne pas faire un petit effort pour comprendre ?

Si nous nous mêlions de critique littéraire, M. Laden Descves se moquerait agréablement de nous. Nous devrions le lui rendre lorsqu’il se mêle des questions économiques, sans se douter qu’il est nécessaire de l’étudier.

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Alors que des milliers d’enfants sont sous-alimentés et que la détresse de l’enfance malheureuse est telle qu’on fait des quêtes pour elle dans la rue, quelle est la campagne qu’organise la grande presse ? Elle crie dans toutes ses colonnes qu’il faut augmenter le nombre des enfants.

Croit-on que c’est avec des mesures de répression qu’on résoudra le problème de la natalité ? Qu’en pense M. Boverat ?

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Progrès techniques

19 juin 1939

Les miracles de l’électricité

Cette énergie princière n’a pas fini de nous étonner. Son application trouve chaque jour de nouveaux emplois dans des domaines imprévus.

Actuellement, dans toutes les branches de la céramique, le four électrique tend à éliminer les fours à combustibles.

Le séchage électrique des bois permet de réduire considérablement la durée du stockage.

Dans l’horticulture, l’énergie électrique s’emploie de plus en plus pour créer en hiver les conditions nécessaires à la croissance des fleurs et légumes hors saison. La culture dans de bacs d’eu enrichie de solutions nutritives est sortie du stade du laboratoire. Elle procure des rendements extraordinairement élevés, à la condition que le chauffage électrique, tant des parties sous-aquatiques des plantes que de leurs parties aériennes, soit convenablement réglé.

Dans le domaine de la radiodiffusion, une nouvelle application des ondes hertziennes a été faite. Plusieurs organes de la presse américaine s’en servent pour transmettre à des abonnés, ayant complété par un dispositif spécial leur récepteur radiophonique, un journal parlé de 9 pages à quatre colonnes. Le récepteur est mis automatiquement en marche vers 5 heures du matin. Le journal sort imprimé à domicile, avec de nombreuses photos, deux heures plus tard.

Barrage de Genissiat

A l’époque où fut conçu le projet (1933) on objecta que nos disponibilités, en l’espèce l’électricité, étaient supérieures à nos besoins...

Depuis lors, les conditions ont changé.

Un décret de reconnaissance d’utilité publique des travaux n’a paru au Journal officiel que le 3 juillet 1938.

Les travaux préparatoires seront terminés cette année 1939. Ils consistent en :

 - La déviation du Rhone, ainsi que la coupure du fleuve ;

 - Le déblaiement de son lit et la mise à nu du rocher de fondation ;

 - La pose, sur le plateau de la rive droite, d’une voie ferrée se reliant à celle de Genève, par où arriveront des trains complets de ciment ;

 - Enfin, la construction d’une route accrochée aux flancs de la gorge et qui doit conduire aux usines (ces deux ouvrages sont terminés).

Les chantiers sont équipés au moyen de :

4 transporteurs à câbles ;

1 usine à béton en plein fonctionnement ;

1 poste de transformation de 2.000 kilowatts qui reçoit un courant de 45.000 volts pour les alimenter en énergie électrique

1 canalisation e 1.600 mètres pour l’adduction des eaux d’une source dont le débit est de 15 litres par seconde

1 construction d’un village pour 700 ouvriers (gorge sauvage éloignée de tout).

Pour détourner le fleuve pendant la construction du barrage, on a creusé deux souterrains. un sur chaque rive. Celui de droite a 530 mètres de longueur et celui de gauche 600 mètres.

Il reste à leur donner leur largeur qui sera supérieure a celle des tunnels de chemins de fer à double voie et à les revêtir en béton (la section en sera de 80 m2).

Pour le déblaiement, deux petites pelles : l’une de 200 litres, l’autre de 150 litres, fonctionnent depuis le 1er avril 1938.

En plus des camions, on se sert de télécharges pour remonter à une centaine de mètres au-dessus du niveau du fleuve les déblais à déverser sur Ie plateau de la rive droite.

Pour se rendre compte de l’importance de cette opération, il convient de retenir que les déblais des quatre têtes des souterrains représentent 105.000 mètre cubes auxquels viennent s’ajoutent 120.000 m3 de déblais de ces souterrains, ce qui donne déjà un total de 225.000 mètres cubes ; mais le total général ne sera pas moindre de 450.000 m3.

Le barrage définitif sera du type poids, à profil triangulaire, en béton il aura la forme d’un arc de cercle de 500 à 600 mètres de rayon ; sa hauteur sera de 75 m. au-dessus du niveau du fleuve et de 100 m, au-dessus des fondations. On réalisera de cette manière une hauteur de chute de 65 mètres avec un débit maximum de 900 m3 par seconde. Son volume total atteindra 150.000 m3.

Au pied du barrage seront construite deux usines hydro-électriques, une sur chaque rive : la puissance de chacune sera de 220.000 kws ; la premiere usine devra être terminée pour 1943, la seconde pour 1945. Il est intéressant de faire, à 13 ans d’intervalle, la comparaison entre ces deux usines et celle du barrage de Kembs, qui date de 1002. Pour Kembs, la puissance installée et de 160.000 kws, la production annuelle de 800 millions de kWh. Les frais d’établissement se montent â 500 millions de francs, ce qui donne 3.160 francs par kilowatt installé et O fr. 62 par kilowattheure.

Pour Génissiat, la puissance sera de 416.000 kws et sa production de 1 milliard 810.000.000 de kwh par an. L’estimation des frais annuels donne le même chiffre pour le premier établissement : 1.200 francs par kilowatt installé et O fr. 28 par kilowatt-heure. La Nature (n° 3.036 du 1-11-38).

Progrès dans le forage

Au point de vu des forages, l’année 1938 a battu tous les records de profondeur, avec la sonde de Kern County Land, de la Continental Oil Cy de Californie, avec une profondeur de 4.546 mètres.

L’année 1938 a également consacré de remarquables performances de vitesse. Plusieurs sondes de plus de 3.3OO mètres ont été forées en un peu plus de 60 jours.

Grâce aux progrès de la technique et au progrès parallèles de l’organisation des exploitations, le prix moyen du forage Etat-Unis (exception faite bien entendu des sondes exceptionneIlement profondes) ne dépasse pas aujourd’hui la moitié de ce qu’il était il y a dix ans, soit environ 23 dollars par mètre.

Enfin, parmi les progrès récents auxquels a donné lieu le développement la technique du forage, il faut citer la mise an point des méthodes de forage directionnel, qui permettent de pratiquer des déviations obliques à des profondeurs variables sur une même sonde initiale, de manière à atteindre des horizons pétrolifères différents, à des distances parfois considérables du pied de la sonde mère.

De la soie artificielle tirée... du gaz d’éclairage

On communique de Londres : L’ingénieur De witt-Smit a inventé un procédé de préparation de la soie artificielle au moyen du gaz d’éclairage. Les fils obtenus à l’aide de ce procédé ont le brillant et la souplesse de la sole, en plus, leur solidité est supérieure.

(Extrait du quotidien russe de Paris Poslechnya Novosti.)

Une machine à récolter le maïs

A l’occasion de la récolte de cette année, on a essayé avec succès, en Argentine, une machine à récolter le maïs, invention d’un ingénieur.

La machine en question cueille et égrène le maïs et serait susceptible de traiter jusqu’à six hectares par jour.

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Peut-on opter entre « l’intelligence » et la « force » ?

par G. LARRAZET
19 juin 1939

Dans un précédent article, nous avions envisagé la contrainte comme un élément probablement indispensable à une organisation de l’Abondance. Il semble qu’il sera aussi dur aux générations de la rareté de s’adapter aux nouvelles valeurs, basées sur la consommation des richesses, qu’il est pénible à un convalescent anémié de se rééduquer au contact des éléments naturels. Une telle transition ne peut s’opérer qu’à la faveur d’une discipline de tous les instants, afin de respecter les lois de progressivité qui règlent la plupart des rétablissements de circulation, tant sociale qu’alimentaire, sanguine ou aérienne (après un jeûne, une gelure, une asphyxie, etc.). Cette contrainte, cette discipline ne sont pas fatalement des manifestations régimentaires, on peut les concevoir comme issues d’une intelligence des nécessités, au moment où celles-ci deviennent impérieuses. Mais à un tel stade, intelligence devient synonyme d’instinct de conservation, pour la collectivité des individus. Or cet instinct, quoique destiné à conquérir à l’être sa « liberté », lui impose le maximum de contrainte, l’état de siège de tous ses besoins. Une révolution par le « libre » exercice de la logique ne peut être que l’apanage d’une minorité d’avant-garde, et l’application de cette logique « au bénéfice » d’une majorité passive redevient de la contrainte.

De quelque façon qu’on envisage le problème, il aboutit à des actes autotitaires, sur soi-même ou sur les autres. Que l’obéissance soit conditionnée ou non par la raison, elle est toujours le fruit de la contrainte du milieu et des lois qui commandent son évolution.

Notre article sur « Abondance et Contrainte » nous avait valu une lettre substantielle et inquiète de notre camarade Fouéré, à laquelle, par le mécanisme déplorable des remises au lendemain (pour le bon motif), nous n’avons pas répondu plus tôt.

Fouéré accuse la contrainte d’être une conception « mécaniste », née d’une tendance indstrielle traiter l’Homme comme de la matière brute, à coups d’autorité venue de lui-même ou de l’extérieur. Ce serait une manière d’impuissance à concevoir une vie naturelle et spontanée. La lettre de notre camarade mériterait d’être citée intégralement, tellement elle est intéressante. Malgré cela, je ne suis pas d’accord avec le postulat qui la détermine.

Fouéré nous dit ceci : « Or il y a deux manières d’établir ou de rétablir l’ordre : la force, c’est-à-dire l’autorité, ou l’intelligence. L’emploi de la force, de la contrainte, à l’extérieur comme à l’intérieur, est le signe d’une incompréhension certaine. Quand nous comprenons pleinement l’absurdité d’un geste, nous n’avons aucune envie de le commettre et il n’est pas besoin de qui que ce soit, fût-ce de nous-mêmes, pour nous retenir. Le problème posé n’est donc pas un problème de force, mais d’intelligence. »

Et il ajoute plus loin : « L’heure est venue, pour tout homme, d’ opter entre l’intelligence et la force. » Et de même : « Après tout, la vie humaine étant irrémédiablement subjective, la contrainte du milieu est aussi, en définitive, une contrainte intérieure. »

Si Fouéré trouve un caractère « mécaniste » à la contrainte, nous pouvons lui répondre que sa conception de « l’intelligence », pure et autonome, est empreinte « d’idéalisme » libertaire à tendance utopique.

Comment opter entre « l’intelligence » et la « force », alors qu’elles ne sont que deux aspects d’un même phénomène en perpétuelle transmutation ? D’ailleurs il faut se méfier de ces termes généraux dont l’imprécision appartient au vocabulaire des régimes du passé. (Exemple : « liberté », « démocratie », « union », « honneur », « héroïsme », etc., etc.). S’il y a contrainte mortelle, c’est bien de la part de tous ces mets que nous prononçons sans méfiance, alors qu’ils cachent de véritables escroqueries aux dépens de la réalité.

Fouéré n’admet sans doute pas que, dans l’évolution cyclique des rapports entre les société humaines et leur milieu, il y ait des périodes de synthèse où les forces ambiantes sont plus «  intelligentes » que les hommes, alors que, dans d’autres périodes qui leur font suite, c’est l’analyse des faits par les intelligences qui prime la force déclinante des événements. Dans les premières, on voit les individus tendre à s’intégrer dans leur milieu dynamique, d’où les pyramides, les temples grecs, les cathédrales, les jazz, etc., etc. (expressions culturelles anonymes d’organisation sociale. Predominance des forces extérieures). Dans les secondes, les individus tendent à se désintégrer du milieu devenu statique, par l’analyse et la connaissance (décadence hellénique, Renaissance, les encyclopédistes, le capitalisme «  démocratique »). Prédominance des forces intérieures. Du côté synthèse, orientation centripète de « l’intelligence », disciplinée par le milieu. Du côté analyse, renversement centrifuge pour discipliner le milieu.

En d’autres termes, l’évolution des sociétés serait faite d’une série d’alternances entre la contraction active du milieu qui groupe les individus et sa décontraction passive qui les disperse. La contraction exprime « l’intelligence » des lois bio-naturelles par rapport à l’impuissance des individualismes « trop » intelligents. Elle est la contrainte salutaire qui bat le rappel des instincts de la conservation unitaire. La décontraction annonce la stabilisation relative du milieu et le réveil de l’individu. Les instincts essentiels de défense qui bloquaient ce dernier dans le collectivité cèdent peu à peu la place à des rapports humains plus nuancés ou s’aiguise « l’intelligence ». L’apogée culturelle se place au moment où, dans chaque individuation, s’équilibrent les anciens instincts collectifs et les nouvelles connaissances rationnelles (cathédrales, jazz, etc.). La décadence et la catastrophe se produisent par excès de « raisons », du fait celles Individus sont devenues disparates et myopes par rapport à la pression logique des faits.

C’est ce que nous observons actuellement. D’après cette loi d’évolution (due au génie d’Elie Faure), nous devons fatalement réagir à la contrainte des lois économiques par un blocage collectif d’urgence dont le Fascisme, entré plus tôt que nous dans la paralysie des échanges, représente une formule déjà agonisante.

Un tel bloquage est indispensable, sous une forme ou sous une autre, pour fondre les anciennes valeurs dans le creuset social d’où sortira le nouvel ordre humain. Dans tout cela, comment opter contre « I’intelligence » et la « Force » ? Il est probable que la force de l’évolution, due au progrès, nous rendra intelligents par nécessité de défense et d’organisation collectives. Action égale réaction. Fouéré parle comme si « l’intelligence » était l’action. Or, elle n’est, comme la vie, qu’une réaction au milieu. Dans le cas contraire, on tombe dans la genèse du bon Dieu, avec Adam et Eve, et « l’intelligence » toute cuite (avec ou sans pomme).

Quant à vouloir supprimer la contrainte, il n’y faut pas songer, car la vie est un échange de contraintes entre l’être vivant et son milieu. Seule la vie Intelligente modifie la contrainte, en l’augmentant. Tout progrès de l’intelligence ne se fait qu’au prix de l’acquisition tie nouveaux automatismes qui exigent une contrainte. Il faut se contraindre pour apprendre à lire, après quoi, on peut comprendre la chose écrite. Mais ensuite, il faut se contraindra penser les choses écrites afin de pouvoir écrire des choses pensées.

L’accouchement des sociétés nouvelles doit répondre aux mêmes lois, Il n’y a pas de « liberté  », ne serait-ce qu’à cause de la pesanteur. Il n’y a qu’une impression de liberté lorsqu’ on automatise une contrainte et qu’on s’élance vers une nouvelle aventure dont on n’éprouve pas encore les contraintes. La « liberté » ne serait donc que la conscience plus ou moins fugitive de notre orientation évolutive dans le temps et l’espace. Elle est tissée dans le déterminisme de nos contraintes nées de l’expérience, et c’est cela qui me semble être la mesure à la fois de notre force et de notre intelligence.

Notre contrainte primordiale et immuable résidera toujours dans la nécessité de défendre sa vie ou celle de son espèce. Voilà le critère de base. Lorsqu’il s’estompe, par inertie du milieu, la vie dégénère. Lorsqu’il devient tyrannique, le réflexe nous domine aux dépens de la raison. Dans le premier cas, la « liberté » est mise en péril par la « décentralisation » au sein d’un milieu « mou ». Dans le second, elle étouffe sous l’étreinte d’un milieu « dur » qui nous «  centralise ». Pour en sortir, il faudrait pouvoir s’adapter à ces deux urgences extrêmes au moyen de la raison, individuelle et collective, et de facon que l’acte volontaire soit aussi parfait que l’acte réflexe ancestral. Noue opposerions alors la force de l’intelligence à celle 4e l’évolution. Nous devrions nous contraindre à être perpétuellement intelligents dans un -milieu immobilisa, sans drames, c’est-à-dire sans le ferment de « l’intelligence ». On ne saurait imaginer de pire contrainte. Si le drame n’existait pas, il faudrait l’inventer. Périodiquement, les pulsations du coeur social balancent les hommes de la contrainte instinctive à la décontraction intelligente, selon l’orientation, centripète ou centrifuge, des forces de leur milieu évolutif.

Nous en sommes actuellement au premier de ces stades. Il y a contraction du milieu social sous l’action logique des impératifs économiques d’Abondance, qui tendent à cristalliser de force les anciennes valeurs nées de l’échangisme bourgeois. Ces dernières sont d’autant plus rétives qu’elles étaient plus différenciées. Aussi paradoxal que cela paraisse, c’est par excès et dispersion des intelligences que le Monde actuel n’accepte pas spontanément l’évidence du régime nouveau. Inaptes à réaliser volontairement la synthèse qu’impose l’évolution, les hommes se contractent instinctivement dans leurs anciens réflexes bourgeois.

Ils se « défendent » en luttant contre la loi d’Abondance qui les talonne. Finalement, c’est cette dernière qui réalisera, par la force, a cristallisation inévitable. C’est pourquoi, actuellement « opter pour l’intelligence » se réduit à opter pour la force d’une « raison » supérieure, et pour les disciplines que cela nous imposera.

Nous entrons dans le cycle de la contrainte qui précède la naissance. En de tels moments, «  l’intelligence » la plus utile est encore la e force » autoritaire qui commande de pousser.

Docteur G. LARRAZET.

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Pour en finir avec les deux plus beaux bijoux de la Foire !

par J. DUBOIN
19 juin 1939

Des camarades avaient signalé un artide de Nouvel Age contenant quelques aménités de ce genre : « Duboin fait le jeu de l’adversaire... théoriquement il préconise l’abondance, pratiquement il la torpille... en d’autre termes, il met son idéal au service d’une combine..., etc., etc... »

Dans notre dernier numéro, je m’étais permis de dire que, vu son origine, ce fatras ne méritait aucune attention.

Avec sa congénitale outrecuidance, Gressent dit Valois n’a pas hésité une seconde (dans Nouvel Age du 7 juin) à nier effrontément l’exactitude de ces citations, et il a accompagné son démenti d’un flot d’injures nouvelles :

« Jacques Duboin est un menteur et un faussaire (sic). Les phrases qu’il met entre guillemets ne se trouvent dans aucun des articles que j’ai publiés sur lui... C’est donc par un faux caractérisé (re-sic) qu’il se dérobe à la discussion, à laquelle on lui faisait l’honneur de l’inviter, etc., etc... »

Ainsi nous avons la preuve, qu’à quelques jours d’intervalle, Gressent dit Valois complètement oublié les grossièretés dont son journal est farci.

J’ai donc été dans la nécessité de lui fourrer son nez dans son... papier,

Devant l’évidence, il s’est empressé de décider son associé Gustave Rodrigues à assumer la paternité d’un article qu’un moment auparavant il avait juré n’avoir jamais existé. Avec un ridicule solennel, Rodrigues s’en est donc déclaré l’auteur dans une lettre qu’on a pu lire dans Nouvel Age du 15 juin. Mais cet aveu en exigeait un deuxième, à savoir que ce prophète, avec une ingénuité navrante, se sert sans vergogne des initiales S.D. (qui ne sont pas les siennes ! pour signer les articles dont il décline les risques et les périls. C’est ainsi qu’il comprend son apostolat !

Alors comment reconnaître celui des deux compères qui cache làchement sa triste personnalité derrière des initiales qui n’appartiennent ni au premier ni au second ?

Après une défaite aussi miteuse, vous pensez peut-être que Gressent dit Valois a eu la pudeur de se taire ?

Jamais ! Il remet ça dans son numéro du 16 juin en corsant un peu plus ses invectives.

« Je suis obligé de conclure, une deuxième fois, mais plus fortement que la première fois, (sic) que Duboin est un faussaire et un menteur (re-sic). Il me sera désormais impossible de lui accorder un crédit intellectuel quelconque. »

Je lui aurais, une fois de plus, opposé mon mépris intellectuel - bien qu’il en abuse - si cet ennemi du sens commun ne m’avait menacé de revelations accablantes dont il aurait un dossier tout bourré. Dans ces conditions, c’est en correctionnelle que je donne rendez-vous à Gressent dit Valois, afin qu’après avoir jeté son venin, il puisse se dégonfler tout à son aise.

J.D. (ce sont mes initiales.)

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Point de vue et façon de voir

19 juin 1939

Héros, fou ou... inconscient

Dans un article paru dans le Front Economique, M. Pecquery La Brède déclare qu’il faut être un héros ou un fou pour tenir actuellement un commerce. Enumérant tous les malheurs qui fondent successivement sur le malheureux commerçant, il conclut ainsi :

Avec tout cela, avec quoi voulez-vous que vive le petit ou moyen commerçant. Il songe alors tout naturellement à vendre son affaire. Mais, ô stupeur, il s’aperçoit, là aussi, qu’on lui a supprimé sa seule planche de salut. Par suite des lois sur les billets de fonds, les rares acheteurs de commerces n’ont pas toujours de bonnes intentions. C’est qui roulera l’autre !

Qu’est-ce que vous dites de ce commerçant qui, ne faisant plus d’affaires, ne pouvant plus vivre dans son commerce, cherche tout naturellement une poire pour le remplacer, et qui est stupéfait de ne pouvoir la trouver. Pour un peu, il accuserait l’Etat de l’empêcher de trouver l’imbécile assez sot pour le remplacer.

Et comment ne pas donner raison à l’acheteur éventuel d’une pareille affaire, si s’apercevant qu’il a été trompé et roulé, il jure qu’il ne paiera pas un billet de fonds ?

Si les commerçants n’ont pour leur expliquer les causes de leurs malheurs que des hommes comme M. Pecquery La Brède, ils n’ont en effet qu’a choisir entre les trois solutions qu’il leur indique en fin d’article, mourir, à moins que U. Pecquery La Brède puisse leur procurer un emploi de fonctionnaire ou de salarié.

Quelques voeux contradictoires de Chambres de Commerce

Celle de Toulouse demande que les usines Bata ne puissent ni s’agrandir, ni augmenter leur production de chaussures, ni s’installer en Afrique du Nord.

Celle de Nancy, considérant que vendre à l’étranger devient de plus en plus difficile demande que les exportations soient dégrevées d’impôts plus substantiellement que jusqu’à present, que des tarifs plus réduits leur soient consentis pour leurs frais de transport.

Celle d’Avignon, considérant que la France est tributaire de l’Amérique pour les fruits conservée au sirop, demande que des avantages soient accordés sous forme d’exonération des taxes intérieures sur le sucre toute l’industrie fruitière.

Celle d’Agen demande qu’on établisse pendant 15 ans une taxe de 10 francs par quintal sur les prunes et pruneaux étrangers, qu’on crée des contingentements nouveaux et que l’on modifie le tarif douanier en vigueur.

L’assemblée des présidente des Chambres d’agriculture demande, en prevision. d’une récolte d’orge considérable en Afrique du Nord, que l’on perçoive immédiatement une taxe de 15 francs sur toutes les céréales secondaires importées en France et en Algérie, et provenant soit de l’étranger, soit de nos propres colonies ou protectorats. Elle demande également que l’on réexporte aux frais des contribuables les maïs que nous allons recevoir des pays danubiens et insiste pour que l’on supprime tout crédit officiel de propagande en faveur de la consommation humaine ou animale des riz d’Indochine et d’ailleurs.

Tous ces vœux contradictoires n’empêchent pa M. Gentin, notre ministre du Commerce, de déclarer, lors de l’ouverture de la «  Semaine française du Commerce extérieur » :

Adressons à toutes les nations pacifiques qui, comme nous, sont persuadées que le développement des échanges internationaux est une des conditions essentielles de l’entente des peuples, le témoignage de la volonté de collaboration de la France libre, travailleuse et unie.

Où serions-nous, grands dieux, si M. Gentin n’en était pas persuade ?

La guerre financière est déclarée

C’est M. A.-L. Jeune, dans un article de Paris-Soir du 3 juin 1939, qui nous le confirme. Nous le savions déjà, hélas ! comme nous savons que l’Allemagne dépense 1 milliard tous les deux jours pour ses armements ; l’Angleterre 1 milliard tous les trois jours ; le Japon, 1 milliard tous les quatre jours ; l’U.R.S.S., 3 à 4 milliards tous les cinq jours ; la France, 1 milliard par semaine, et le monde entier plus de 2 milliards par jour. Ce que tout un chacun sait également, c’est que l’allemagne pourrait avec l’argent depensé pour ses armements offrir une auto à chaque famille, et la France, avec son budget militaire annuel, pourrait donner en dot à tous les nouveau-nés un capital de 90.000 francs.

Mais ce que personne ne sait ou, le sachant, se garde de l’écrire, c’est qu’il est impossible dans le régime capitaliste d’offrir une auto à chaque famille ou 90.000 francs chaque nouveau-né français.

Faute de le savoir et faute par ceux le sachant d’en instruire les hommes, nous aurons après la guerre financière la guerre tout court.

Bah ! après moi le déluge, semblent penser les responsables.

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L’équipement du monde

19 juin 1939

EN CHINE

Malgré la guerre et à cause de la guerre, l’équipement de la Chine se poursuit. Grâce à de l’outillage anglais et américain, les mines de fer, d’étain et de tungstène ont été réorganisées complètement. Une fonderie d’acier a été créée dans le Szechuan et une autre est en construction près de Chimg King.

Cent mines d’étain sont exploitées au lieu de 48 ii y a deux ans. L’industrie cotonnière complètement détruite et aux mains des japonais, se rétablit dans les régions non occupées. 200.000 broches et 1.000 métiers ont déjà été remontés.

Un effort considérable a été accompli en ce qui concerne les chemins de fer. La ligne reliant le Yunnan à la Birmanie doit fonctionner en 1941. Celle du Yunnan à l’Indochine voit son trafic s’accroître sans cesse.

Près de 1.000 milles de lignes locales sont en construction. Un effort gigantesque est entrepris pour amener cet immense pays au niveau des peuples occidentaux.

EN IRAN

Voici, communiqués par le Temps, quelques chiffres se rapportant au développement rapide de l’industrialisation dans ce pays.

Agriculture. Coton : la superficie ensemencée a passé de 52.700 hectares en 1935 à 257.000 hectares en 1938. Ces résultats pourront être considérablement augmentés par des travaux d’irrigation.

Industrie. 8 sucreries pour le traitement de la betterave ont été construites. 21 filatures pour les cotonnades. La production du pétrole est passée de 5.900.000 tonnes en 1930 à 11 millions de tonnes en 1938. Une grande raffinerie a été construite à Kermanchah. Une usine métallurgique avec deux hauts fourneaux pour le traitement du minerai de fer est en construction près de Téhéran.

Voies de communication. Le réseau de routes atteint aujourd’hui 18.000 kilomètres et permet au trafic automobile d’atteindre toutes les provinces. Quant aux chemins de fer, le Transiranien d’une longueur de 1.394 kilomètres, reliant la mer Caspienne au golfe Persique, est maintenant achevé, malgré les difficultés techniques considérables qu’il a fallu surmonter, notamment l’escalade de la chaîne de I’Elbrouz, à 2.500 mètres au-dessus de la Caspienne. A peine le Transiranien était-il terminé, que déjà la grande ligne transversale ouest-est était commencée. Reliant à travers l’Iran, par Tabriz et Mesched, le réseau russe au réseau des Indes Anglaises, elle permettra sous peu d’aller directement par chemin de fer de Calais à Calcutta.

Inutile de dire que cet équipement s’est fait sous le double signe de l’autarcie (le financement du Transiranien notamment a été entièrement assuré par de l’argent iranien) et de l’étatisation ; part prépondérante de l’Etat aussi bien dans l’industrie que dans le commerce et les finances ; monopole de presque tout le commerce extérieur, contrôle de changes, système des trocs. et...

Décidément, le Persan de Montesquieu devrait chercher ailleurs que chez nous des sujets d’étonnement ou d’admiration !

AU CHILI

Une commission spéciale géologique et industrielle chilienne étudie en ce moment les gisements de minerai de fer qui viennent d’être découverts non loin de Talca, à cinq heures de chemin de fer de Santiago. Ces gisements, dont le minerai contient du vanadium, suffiraient à une exploitation de 50.000 tonnes par an pendant 50 ans. Il est question d’édifier à pied d’œuvve des hauts fourneaux électriques, des aciéries et des laminoirs.

On envisage d’obtenir des machines et les installations nécessaires à cet effet contre des livraisons de minerai.

EN TURQUIE

Le sous-sol de la Turquie est extrêmement riche en chrome, plomp cuivre, lignite et charbon. En ce qui concerne le chrome, la Turquie et le premier pays fournisseur de l’Europe. Sa production a été de 163.000 tonnes en 1936. Elle est le troisième producteur du monde, venant après la Rhodésie et l’Union Sud-Africaine : la plus grande partie de cette production est exportée vers l’Allemagne (58.400 tonnes en 1937) et la Suède (45.900 tonnes en 1937).

Pour ce qui est du charbon, de nouveaux gisements ont été découverts il y a quelques semaines, près des mines de fer de Divrik. Nul doute qu’un centre métallurgique n’y soit rapidement créé. L’accroissement de sa production de houille va, de plus, libérer la Turquie des importations allemandes.

Sa position géographique fera d’elle le fournisseur naturel de I’Egypte, de la Roumanie, de la Grèce et de la Hongrie Pour le charbon, le cuivre et le fer. Enfin, la Turquie a exporté en 1937, 12.000 tonnes d’émeri (environ 7.000 tonnes en 1938).

SYRIE

Les Syriens sont devenus producteurs de coton en 1924. Devenus producteurs de coton, ils ont voulu devenir fabricants de cotonnades. On a commencé par monter à Alep deux usines de fabrication de filets de coton, l’une de 6.000 broches, l’autre de 10.000. Une troisième usine est actuellement en cours de construction à Damas.

Ainsi, première étape, culture de la plante ; deuxième étape, fabrication de filets de coton et, enfin, troisième étape, tissage.

On a installé des métiers modernes et construit des fabriques nouvelles de lissage à Tripoli, Alep, et bientôt une troisième à Damas. L’industrie est en plein essor et songe déjà à... exporter.

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LES CONFÉRENCES DE LA SALLE POISSONNIÈRE

L’abondance et la religion

par l’abbé MONIN, curé de Jouarre
par Abbé MONIN
19 juin 1939

CONFERENCE DU 21 AVRIL 1939

Cette conférence a eu un très vif succès, l’assistance étant particulièrement nombreuse et attentive.

On entendit d’abord le R.P. Delorme, des Frères Prêcheurs, sur l’attitude de l’Eglise vis-à-vis du prêt à intérêt. Il rappela qu’elle l’avait toujours condamné et que sans l’intérêt du capital, le régime social serait tout différent de ce qu’il est devenu aujourd’hui. Cette conference très documentée fut beaucoup applaudie.

Ensuite M. l’abbé Monin, curé de Jouarre, fit une intervention qu’acclama l’assistance tout entière. Nous la reproduisons ci-dessous :

 Mesdames, messieurs.

Voici deux ans environ que mon attention a été, attirée vers la doctrine de l’Abondance, si lumineusement conçue et propagée par M. Jacques Duboin. Tout de suite, je fus conquis. Depuis ce temps, je cherche en vain, contre cette doctrine, des objections sérieuses du point de vue économique. Je n’en trouve pas. Vous non plus, probablement, puisque la plupart d’entre vous sont, je pense, les auditeurs assidus de cette tribune de l’ABONDANCE.

Mais, je me suis demandé, et un certain nombre d’entre vous ont peut-être aussi la curiosité de savoir, s’il n’y aurait pas, à cette doctrine, des objections du point de vue religieux. Je n’en trouve pas non plus. Bien mieux, je pense que l’instauration du régime de l’Abondance favoriserait l’essor religieux d’un grand nombre d’âmes de bonne volonté. Je me contenterai de vous en signaler deux preuves qui me paraissent éminentes parmi beaucoup d’autres :

1° La disparition du profit, nid à injustices et à crimes ;

2° La possibilité offerte à tous, sans exception, de parvenir à la plus haute culture intellectuelle dont chacun sera capable.

Deux progrès dont nous devons nous réjouir hautement du point de vue moral, c’est-à-dire du point de vue religieux.

Je dois d’abord vous déclarer que, prêtre catholique, je ne suis venu ici que de mon propre mouvement, invité par quelques amis, n’ayant reçu mandat d’aucun de mes chefs, donc n’engageant que ma responsabilité personnelle. Attaché à une institution que je m’efforce de servir depuis le temps où je gazouillais sur les genoux de ma mère, je serais fâché qu’une maladresse d’expression, ou de pensée, pût contrarier en quoi que ce soit l’autorité spirituelle à laquelle je veux être dévoué. C’est dire que j’accepte d’avance toute observation qui pourrait m’être faite de source compétente. De même, appréciant l’avantage de vivre en pays de liberté, je vous expose ma façon de penser en vous assurant qu’en toute simplicité je la soumets à vos libres discussions.

D’ailleurs, je me rassure en me rappelant que le cardinal Pacelli - dans son magistral discours Notre-Dame de paris, il y a deux ans, et aussi dans l’allocution que, à Pâques dernières, devenu le pape Pie XII, il a donnée pour définir les conditions de la paix - a évoqué le progrès technique prodigieux réalisé ces derniers temps, et affirmé la nécessité d’en répartir équitablement les produits, en deux passages où il nous et permis d’apercevoir une allusion transparente, je ne dis pas à la personne même de M. Jacques Duboin, mais du moins à son oeuvre, la doctrine de l’Abondance.

Nous nous rappelons aussi que M. le chanoine Chevrot - depuis hier Mgr Chevrot - dans une de ses récentes conférences à Notre-Dame, a vigoureusement affirmé le droit pour tout homme, dès l’instant qu’il arrive à l’existence, de trouver sur la terre tous les moyens qui lui sont nécessaires pour réaliser sa destinée.

Enfin, s’il m’arrive d’égratigner un peu le régime capitaliste, je prie mes coreligionnaires de ne point s’en offusquer. Ce n’est pas moi qui ai commencé : c’est le pape Pie XI, dans son Encyclique Quadragesimo anno. D’ailleurs, si je m’autorise de sa sévérité envers les déviations actuelles du capitalisme, je m’efforcerai d’imiter sa charité envers les possesseurs de capitaux. Sévérité envers le régime ; indulgence envers les personnes. A part quelques bandits, il y a une grande masse de braves gens, possesseurs de capitaux, qui commettent des injustices sans le vouloir et le plus honnêtement du monde, parce qu’ils sont pris dans l’engrenage du régime : ils ne seront délivrés que lorsque, messieurs de l’Abondance, vous aurez changé le mécanisme économique.

A. - DISPARITION DU PROFIT

Je serai sévère pour le profit, et je vous félicite, messieurs, de travailler à le faire disparaître. Déjà, il agonise en fait ; vous allez, en droit, l’achever.

Le profit est un élément essentiel du régime capitaliste. En ce régime, impossible de vivre sans le profit.

Qu’est-ce donc que le profit ?

C’est l’art de faire passer dans sa poche l’argent qui est dans la poche des autres.

Les moyens pour y réussir sont très variés et beaucoup de ces moyens sont colorés des apparences de la plus parfaite honnêteté. Mais avouons que cet art est de nature très apparentée au vol.

Il peut se faire qu’au début des civilisations, lorsque la vie et -les transactions étaient extrêmement simples, le profit fût légitime parce qu’il dérivait d’un contrat librement consenti.

 - Passe-moi ta hache de silex et je te donnerai trois moutons.

L’un possède une multitude de moutons, et il considère que le sacrifice est minime d’en abandonner trois pour avoir une hache de silex. L’autre, fatigué peut-être d’un long régime végétarien, aimerait bien goûter au rôti de mouton, et pense que pour cette joie entrevue il peut bien abandonner sa hache. Les avantages, de part et d’autre, quoique de nature bien différente, s’équilibrent dans l’opinion des contractants. Il y a profit des deux côtés, et profit équitable parce que le contrat a été librement discuté et consenti.

Mais aujourd’hui, avec la complexité de la vie moderne, les contrats de ce genre ne peuvent plus être librement discutée ni consentis. Les contractants ne peuvent même pas se rencontrer : ils sont anonymes l’un pour l’autre.

Exemple : Me paroissiens, cultivatours, savent combien je suis heureux pour eux que des améliorations sociales leur permettent d’être plus raisonnablement récompensés de leur labeur assidu. Ils travaillent dur ; ils sont à la merci des intempéries : il est juste que leurs produits se vendent bien. J’applaudis, d’ailleurs, à tous les progrès sociaux réalisés à notre époque pour les diverses catégories de citoyens.

Mais, dans le régime capitaliste, ces progrès se réalisent toujours aux dépens de quelqu’un. Progrès intéressants, oui ! Mais il faut que quelqu’un les paie, et les paie sans être libre de discuter, malgré notre régime de liberté.

Croyez-vous que je puisse aller trouver mon boulanger et lui confier que mes ressources trop modestes m’empêchent absolument de payer le pain si cher ? Il me plaindra de toute son âme ; mais il ne baissera pas ses prix. Ce sera pour moi à prendre ou à laisser : je devrai ou payer le prix, ou me passer de pain.

Quand les acheteurs de pain s’apercevront que le poids des améliorations agricoles retombe sur eux, ils se grouperont à leur tour, obtiendront des pouvoirs publics une amelioration, laquelle retombera sur une autre catégorie de citoyens. Ceux-ci, à leur tour, finiront par s’apercevoir que la charge s’alourdit : ils se grouperont, réclameront... Et ainsi de suite, de cascade en cascade, les améliorations et les surchargea se pousseront mutuellement : elles changeront de place, mais ne s’équilibreront jamais. En régime capitaliste, le profit ne se réalise qu’aux dépens d’un tiers, ou d’une multitude de tiers.

Pour me permettre de juger sévèrement cet élément essentiel du capitalisme, le profit, faisons une distinction qui peut vous paraître artificielle, mais sans laquelle nous ne pourrions, dans un problème de morale, porter un jugement équitable. Distinguons d’une part le profit lui-même, ce phénomène social, inhérent au capitalisme, qui consiste à dériver vers sol l’argent des autres, et, d’autre part, les personnes qui bénéficient de ce profit. Le fait, d’un côté ; les personnes, de l’autre. L’acte, d’un côté ; l’argent, de l’autre.

Vous admettez facilement cette distinction dans le cas du mécanicien de locomotive qui, engageant son train dans une descente, s’aperçoit avec terreur que ses freins ne fonctionnent plus. Les lois da la pesanteur, de l’accélération de la vitesse, agissent impitoyablement : c’est la catastrophe ! Comment jugez-vous le fait d’une part, l’agent, de l’autre ? Le fait est effroyabIe. L’agent, le mécanicien, n’est pas coupable. Il aurait fallu renouveler ses freins.

Ainsi en est-il dans l’organisme social. Le profit est une vilaine chose ; mais, à part quelques bandits, la grande masse des bénéficiaires du profit ne sont pas coupables. Ils sont pris dans l’engrenage capitaliste, et, sous peine de se laisser broyer, ils doivent réaliser des profits, le plus de profits possible. En régime capitaliste, le profit est une nécessité ; plus que cela : un devoir. Le malheur est que ce profit se réalise toujours aux dépens des autres. Il est facteur de lutte et non de concorde. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on s’indigne contre un régime dont la loi est de lancer tous les hommes à l’assaut du profit, aux dépens de leurs semblables. Puisque le profit est actuellement indispensable à la vie, chacun essaye de devancer ses concurrents, par la vitesse, par l’habileté. Tant mieux pour les plus habiles ! Malheur aux faibles ! Chacun veut vivre, et ventre affamé n’a point d’oreilles ! De là naissent les ambitions, les vilenies, les ruses, le banditisme, les guerres. Stigmatisons un régime qui porte en soi un tel germe de violences ! Plaignons les hommes qui sont obligés de vivre dans ce mécanisme sans pitié !

Mais voici que, sur les champs meurtris de la grande guerre, s’élève une aube de progrès technique d’une beauté et d’une fécondité prodigieuses. Les forces de la nature, disciplinées, font des miracles et produisent du blé, du vin, du café, du sucre, des autos à ne plus savoir qu’en faire ; les récréations, de l’art, de la musique répandus jusque dans les villages les plus reculés. Et une nouvelle Economie, faisant fi de l’argent d’autrefois, propose de répartir ces richesses vitales entre tous, sans exception, de façon que tout être humain, arrivant à l’existence, soit assuré de recevoir sa part de confortable sans que ce prélèvement nuise à la part des autres. C’est, à la loi de la jungle, substituer la loi de l’amour. Comment ne pas vous applaudir, Messieurs de l’ABONDANCE, au nom de la morale, c’est-à-dire de la religion ?

Et ici je veux répondre, toujours au nom de la morale, à une objection :

 - si vous supprimez le profit, puissant stimulant de l’activité humaine, par quoi le remplacerez-vous ? N’allez-vous pas rendre tout le monde paresseux ?

 - Je reconnais que le profit est un puissant stimulant de l’activité. Toutefois, pour tempérer notre regret de le voir disparaître, n’oublions pas que, s’il est stimulant du labeur honnête, il est aussi stimulant du crime. Ce n’est pas une médaille pure c’est une médaille au revers effroyable.

Par quoi le remplacer ?

Mais, tout simplement, par l’amour-propre du travail bien fait et du travail accompli pour le bonheur de tous. Je ne crois pas que l’homme soit ; naturellement paresseux. La paresse et une déviation morbide. Qu’est-ce qui fatigue l’homme et le rend paresseux ? C’est le travail qui n’aboutit pas, le travail qui ne sert à rien, le labeur perdu, malgré lequel l’homme trouvera, ce soir, en rentrant, la misère cramponnée, comme hier, son foyer, sans qu’aucune amélioration puisse être raisonnablement entrevue. Voilà ce qui fatigue l’homme et le démoralise. Mais le travail fécond, dont on voit les résultats naître, grandir, s’amplifier et apporter à soi-même et aux siens l’aisance et le confortable, ce travail, lorsque chacun saura qu’il peine, non pas pour un actionnaire anonyme, mais pour toute la communauté, et que son travail est la condition nécessaire et suffisante pour que chaque membre de la grande famille humaine, sans exception, ait sa juste part de confortable et d’aisance ! Les conditions psychologiques du travail seront complètement renouvelées. Dans ce nouveau régime, on ne pourra plus trouver de petits manœuvres qui se glorifient d’être les « mange-bénéfices du patron ». Vous imaginez tous avec quel entrain, quel enthousiasme chacun fournira son « service social » lorsque, sur un chantier, dans un atelier, ou dans un bureau d’études, tombera cette apostrophe :

« Camarades ! Vous savez pour qui vous travaillez ! Pas de fainéants parmi nous ! »

B. - Généralisation de la haute culture intellectuelle

Le manque d’argent ne sera plus un obstacle. Tout enfant qui sera suffisamment doué aura toutes les facilités pour accéder à la plus haute culture dont il sera capable. Mise en valeur de notre capital intellectuel. c’est un progrès !

Permettez-moi un souvenir personnel.

Je suis né de modestes cultivateurs, et jamais je n’aurais pu faire d’études, en ce temps-là, si l’Eglise ne m’avait pas accordé l’instruction gratuite. Je me souviens toujours de l’impression profonde que j’ai ressentie, un jour, au cours de mes études, lorsque je commençais à découvrir, avec ravissement, le maniement de la pensée. Je revois encore la place, la table d’études en bois noir, où comparant le plaisir délicat qui se révélait à moi avec les occupations de mes camardes laissés au village et restés laboureurs, maçons, sabotiers, je me sentis pénétré d’une intense émotion de reconnaissance à l’égard de ceux qui avaient pris soin de mon éducation.

Pourquoi donc ces joies intellectuelles, élevées et élevantes, ne seraient-elles pas offertes à tous les enfants qui en sont capables ? La diffusion gratuite de l’instruction a fait des progrès auxquels j’applaudis. Mais on peut et on doit faire mieux. Il y a sûrement, parmi les pauvres, des enfants intelligents, qui, cultivés, deviendraient des lumières. Il faut exploiter ce capital intellectuel.

 - Mais, dira-t-on, vous allez encombrer le monde de déclassés !

 - Le monde capitaliste, oui ! Mais pas le monde de l’ABONDANCE ! D’ailleurs, il n’y aura plus de classes. Mais j’accepte quand même cette appellation de «  déclassés  », en ce sens que quantité d’êtres humains seront sortis de la classe misérable où les aurait maintenus leur ignorance, d’une classe où toute leur vie ils auraient dépensé une énergie qu’on ne peut évaluer qu’en kilogrammètres, - comme l’énergie d’un cheval - et qu’au contraire ils accéderont à une région supérieure, où les préoccupations scientifiques, littéraires, artistiques, religieuses, leur permettront de mener, véritablement à l’abri du souci matériel, une vie d’homme.

Ceci, du point de vue moral, est un progrès indéniable.

Et vous avez peur qu’on ne trouve plus personne pour les travaux manuels ? Ne savez-vous pas qu’aujourd’hui les travaux les plus salissants se font en pantalon blanc, par des employés sélects, qui n’ont qu’à surveiller un cadran et à peser sur quelques boutons ? Ce sera bien plus parfait encore dans le régime de l’Abondance. Mettons les choses au pire. Supposons que nos ingénieurs n’arrivent pas, malgré leur ingéniosité et leurs règles à calcul, à rendre automatiques certains travaux humiliants, j’ai confiance que les hommes cultivés j’entends par « homme cultivé » l’homme complet, qui ne se cantonne pas exclusivement dans ses spéculations théoriques, mais qui sait, quand il le faut, mettre la main à la pâte - j’ai confiance que les hommes cultivés, dans le régime de l’Abondance, accompliront joyeusement le service social qui leur sera demandé et qu’ils sauraient même, l’on ne pouvait faire autrement, chausser les bottes de caoutchouc, assurés chacun que les facilités d’hygiène auront été portées au maximum.

Vous plaçant strictement sur le plan économique, vous réalisez les conditions matérielles nécessaires à l’épanouissement complet de la personne humaine. Vous n’êtes pas un mouvement confessionnel et vous ne pouvez pas l’être. Mais vous avez la sagesse de ne pas amputer l’homme de ce qui fait sa noblesse, de ses aspirations vers l’idéal. C’est justement pour faciliter l’ascension de chacun, selon son attrait personnel, vers le sommets de la science, de la littérature, de l’art de la religion, que vous voulez, par la technique et par l’organisation, alléger le poids des difficultés matérielles qui, pesant encore si lourdement sur tant de gens, compriment des élans qui pourraient être si généreux. Vous ne poursuivez pas un but religieux. Mais, en réalisant la justice, vous nous offrez, comme à tout le monde, une demeure matérielle où nos aspirations se trouveront à l’aise. Quelles facilités, pour notre ministère paroissial, pour nos séminaires, pour notre apostolat, si, en échange de quelques heures de « service social », nous pouvions être dégagés de tout souci matériel !

Donc, de notre point de vue religieux, nous ne pouvons que nous réjouir de si alléchantes perspectives et souhaiter prompt succès aux théoriciens et aux techniciens de l’Abondance.

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Abondance de richesses

19 juin 1939

Quand nous serons à cent

Encore une économie ! L’inventeur est cette fois M. Eccles, président du Federal Reserve Board, Américain, vous l’avez deviné.

Elle peut se résumer ainsi. L’économie américaine est « mûre ». Elle est arrivée à un degré de maturité telle que les occasions de procéder de nouveaux investissements rentables sont insignifiantes par rapport à l’abondance des disponibilités monétaires, etc., etc.

Saluons donc cette nouvelle économie dite mûrissante sans oublier qu’on peut être mûr pour être cueilli ou pour être enfermé.

En voulez-vous des capitaux ?

L’Amérique en a tellement qu’elle ne sait qu’en faire. Certaines banques de Chicago parlent de supprimer tout intérêt sur les comptes privés. Les taux à court terme sont arrivés à être pratiquement inutilisables, ce qui veut dire que personne n’est preneur de capitaux a courte échéance.

Les fonds d’Etat ne rapportent que 2 1/2 %. Pour les prêts ou obligations à moins de 15 années, le taux est de 2 %. Des bons à échéance de huit années ont été récemment émis avec garantie de l’Etat à 1 1/2 %. Jamais, au cours de l’histoire des Etats-Unis, les taux d’argent n’ont été aussi bas.

Ces conditions témoignant d’une désorganisation monétaire internationale ont désolé le critique financier de la « Journée Industrielle » du 14 juin.

Pauvre capitalisme ! de qui le même critique écrivait, le 17 janvier, « qu’il avait subi de rudes assauts, nous en conviendrons, mais il renaîtra toujours parce qu’il est essentiellement perfectible, qu’il a un pouvoir d’adaptation insoupsonné ».

Qu’est’ce qu’ils attendent, ces capitaux, pour s’adapter ? 12 millions de chômeurs Ieur tendent les bras et sont prêts à collaborer avec eux.

Fibres artificielles

En 1933, la production mondiale de fibres textiles artificielles a dépassé au total un milliard de kilogrammes, dont le cinquième environ, soit 200 millions de kilogrammes, est revenu à l’Allemagne. La matière première que transforme la puissante industrie moderne des textiles de synthèse existe, dans le monde, en quantités pratiquement inépuisables. Il s’agit principalement du bois et, dans les pays qui en disposent, des déchets de coton ; suivant les procédés mis en oeuvre, les opérations industrielles de fabrication exigent également en quantités importantes soit du soufre (fibres de viscose), soit de l’acide acétique (fibres à l’acétate). Ces deux produits existent en abondance ; le premier s’extrait des gisements de pyrites pour les pays qui en sont dépourvus, des gaz de fours à coke ; quant à l’acide acétique, il constitue un dérivé du carbure de calcium préparé au four électrique, a partir de la chaux et du charbon, matières universellement répandues.

Les fibres artificielles précédentes sont d’origine végétale ; on sait qu’il en existe d’autres d’origine animale, préparées a partir de matières albuminoïdes du lait (lanital) ou des poissons. Il est probable que ces fibres douées de propriétés précieuses, au lieu d’être filées et tissées seules, seront de plus en plus à l’ avenir mélangées aux autres fibres d’origine vegétale pour donner des produits intermédiaires qui n’existent pas dans la nature. En outre, nous allons voir apparaître prochainement des fibres textiles entièrement nouvelles dont l’origine ne sera ni animale, ni végétale. On a signalé récemment l’apparition des tissus en fils de verre, incombustibles, inattaquables aux acides, et doués d’une grande résistance mécanique. Voici que l’on envisage maintenant de fabriquer de nouveaux textiles à l’aide de résines synthétiques. De telles fibres, mélangées avec les autres produits déjà existants, naturels ou artificiels, seraient susceptibles de donner des tissus d’aspects entièrement nouveaux. Rappelons que la fabrication de ces fibres en résines synthétiques réaliserait vraiment une synthèse totale, par voie purement chimique, puisque les matières premières mises en œuvre pourraient être uniquement, mis à part les gaz de l’air, le charbon et la chaux, les mêmes que pour la fabrication du caoutchouc artificiel.

En 1937, la production mondiale des fibres artificielles a atteint 60 % de celle de la laine naturelle ; en 1938, elle a dépassé 75 % . Attendons-nous, dans peu d’années, à voir la laine naturelle céder le pas aux textiles de synthèse.

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Destruction de richesses

19 juin 1939

Les ennemis de l’« Abondance »

Combien faudra-t-il de temps et de misère pour faire comprendre certains producteurs que les moyens de production de richesses consommables ne sont plus ceux que leurs arrière grands-parents ont connus, et qu’il faut, sous peine de guerre et de révolution, s’adapter à une forme de vie nouvelle.

Le compte rendu de « L’union des Syndicats Horticoles », paru dans le « Paysan de l’Yonne » du 10 mai 1939, est un exemple typique de cet acharnement dans l’incompréhension.

Ne concevant qu’une forme de société, celle dans laquelle ils vivent, la croyant éternelle, incapables d’en concevoir une autre ; ils s’efforcent, en détruisant les produits, de lutter contre l’abondance, espoir de toute l’humanité et cauchemar de leur cervelle.

Un M. du Frétay rappelle avec orgueil que c’est sa Confédération qui a eu le mérite d’avoir, dès 1936, préparé et soumis aux pouvoirs publics un projet de carte professionnelle limitant la culture maraîchère.

Un M. Parent proteste contre les distributions d’arbres par la S. N. C. F., qui encourage ainsi la surproduction.

Un M. Briquet s’élève contre la propagande aveugle faite en faveur des plantations fruitières, alors que M. Héricotte regrette les avantages procurés aux jardins ouvriers.

A l’unanimité, l’assemblée donne Mandat à son bureau d’agir auprès des pouvoirs publics afin d’ interdire des cultures nouvelles, de réduire éventuellement les grosses productions, de stabiliser les petites cultures, etc.

A tous ces hommes prisonniers du passé, incapables de se dégager de routines ancestrales, confondent vraies richesses avec argent, rappelons que leur inertie et leur résistance à tout changement entraînera ce qu’ils redoutent le plus : la guerre civile.

Contre la baisse du beurre

Le Conseil de l’Association des 140 beurreries coopératives des Charentes et du Poitou, sous la présidence de M. Maurice Palmade sénateur, vient de décider d’entraver la baisse des prix du beurre, de recourir à l’exportation du beurre de qualité sur le marché de Londres. Les ministres des Finances et de l’Agriculture ont donné les autorisations nécessaires

Encore le cuivre

Si le manque de matières premières est le cauchemar des pays qui en manquent, leur abondance est également le cauchemar de ceux qui les possèdent.

Aux Etats-Unis, les stocks considérables ont incité l’Anaconda Copper Company fermer la mine Steward, à Butte.

La « Journée Industrielle » du 8 juin nous écrit qu’on espère que les autres producteurs anéricains prendront les mesures nécessaires pour restreindre la production.

La lutte contre l’« Abondance »

Les Etats-Unis poursuivent leurs efforts pour la réunion d’une conférence internationale du coton. Jusqu’à present, il semble qu’il sera difficile de mettre d’accord les principaux pays exportateurs pour la répartition des marchés. Le département de l’Agriculture avait compté que la conférence pourrait se réunir fin mai ou fin juin, mais la peu d’enthousiasme des partenaires l’oblige à remettre à plus tard la conférence.

Il en est de même pour la conférence internationale ayant pour but de contrôler le marché du blé, le comité préparatoire, qui tient ses assises à Londres depuis le 13 avril, vient de reporter au 7 juillet la grande conférence qui doit marquer le commencement de la lutte contre le blé.

Mais l’accord est loin de régner au sein des producteurs. Chacun voulant l’abondance pour lui et la rareté pour les autres.

70.000 sardines jetées à la mer la semaine dernière 20.000 maintenant

Un grand nombre de sardines, pêchées par ded pinasses à moteur, avaient été apportées à La Rochelle, mais toutes ne purent être vendues en raison de l’abondance de ces poissons, des crustacés mis en vente et aussi du fait que les usines de conserves ne sont pas encore ouvertes.

Aussi, environ 20.000 sardines ont dû être rejetées à la mer.

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Mirage de la liberté

par B. MALAN
19 juin 1939

Nos camarades liront avec intérêt le bel article que nous adresse M. Bernard Malan, auteur du livre « La Religion du Bonheur », dont nous rendrons compte dans notre prochain numéro.

S’il est un bien dont la possession marque le privilège des démocraties, c’est la liberté dont on y jouit. Cette liberté constitue pour ainsi dire la raison d’être des régimes qui la protègent ; elle leur procure un incomparable prestige, et tout libéral s’effraye à l’idée de voir quelque jour s’évanouir la déesse adorée. A proportion, les dictateurs sont honnis qui la tiennent en mépris.

La liberté, il est vrai, est le seul qui subsiste des trois grands principes pour lesquels les peuples firent les révolutions. On sait, en effet, ce qu’il advint de la fraternité, qu’on prétendit instaurer en dressant la guillotine. Quant à l’égalité, elle fut la première victime de la liberté, de cette liberté « du renard libre dans le poulailler libre » dont on fit imprudemment présent aux hommes. Ils s’empressèrent d’en user pour se jeter sur les profits et les privilèges dans un mouvement de féroce égoïsme.

A ce jeu d’accaparements abusifs, la liberté perdit rapidement la pureté de son visage ; celui que nous lui voyons aujourd’hui ressemble fort peu au symbole qu’imaginèrent nos grands-pères, car il est singulièrement enlaidi de grimaces. Telle que nous la connaissons, cette liberté autorise de dangereux abus, ceux des trusts comme ceux des syndicats ; elle consacre le faste insolent des uns à côté de la misère des autres. Mais, si dégradée qu’elle apparaisse, si contrefaite qu’elle soit devenue, les masses, tant de droite que de gauche, n’en continuent pas moins de l’adorer, en vertu d’une sorte de fétichisme indéfectibIe.

Cependant, depuis la Révolution, les champions même les plus sincères de la liberté, ne furent pas sans s’alarmer des excès commis en son nom, et c’est pourquoi, au fur et à mesure que ceux-ci s’aggravaient, des lois restrictives furent décrétées, visant à limiter les abus. Ainsi s’organisa une sorte de course entre ces abus et leur limitation. Pour faire échec aux trusts, on institua le droit de grève. La spéculation fut soumise à certaines restrictions et formalités boursières. L’assurance ouvrière devint pour l’employeur une obligation. La cession des biens, par voie de négoce ou d’héritage, reçut le contrôle administratif, plus récemment, dans les rues, pallier aux encombrements, furent institués les « sens uniques » et les interdictions de stationnement. L’administration prétendit insinuer également son contrôle dans les affaires privées de l’industrie et du commerce, pour y faire figure d’associé exigeant et irresponsable. De nos jours, un propriétaire ne peut plus renvoyer un locataire comme il l’entend, ni un patron ses ouvriers. Un viticulteur n’a pas le droit de planter des vignes à son gré un ouvrier syndiqué ne petit changer de métier à son idée, et chacun sait que deux conjoints ne peuvent divorcer sans motifs légaux, etc...

A tout moment, en société, et de plus en plus, les individus sont donc contraints de réformer leurs projets, de refréner leurs désirs, de modifier leurs plans. De rigoureuses restrictions viennent constamment entraver leur libre choix. Or, c’est précisément dans l’exercice de ce choix que réside la liberté même. Et non seulement les restrictions légales s’y opposent, mais encore toutes autres sortes d’obligations sociales ou mondaines ; de préjugés et d’obstacles divers qui bornent à tout moment notre liberté. Chacun connaît les difficultés qui se dressent entre deux fiancés si les conditions optima de rang et de fortune ne conviennent pas. Nul n’ignore l’impuissance du jeune homme à trouver une situation s’il est dépourvu d’appuis et de relations ; bien souvent il lui faudra renoncer la carrière de son choix et accepter un métier pour lequel il n’a ni goût, ni aptitude.

Mais, parmi tous les obstacles qui s’opposent implacablement à l’exercice du choix, et ainsi mutilent les élans et les prédilections, il faut accorder le premier rang à ces fléaux que sont l’impécuniosité et l’absence de loisirs. En effet, quiconque a le désir d’entreprendre un voyage, de pratiquer un sport, de poursuivre des travaux d’érudition, s’il ne dispose ni de l’argent ni du temps nécessaires, doit y renoncer.

C’est pourquoi la liberté que peuvent connaître les déshérités est proprement dérisoire. «  Celui - disait Jaurès - qui est déprimé par la pauvreté et la faim, n’a plus sa liberté intacte  ». Car la liberté de s’inscrire au bureau de chômage et d’apprécier la misère est trop souvent, de nos jours, la seule dont jouissent des millions d’êtres sans travail.

Et l’ignorance n’est pas une entrave moins tyrannique ; car elle limite fâcheusement aussi le choix de celui qui en subit la rigueur restrictive en lui tenant fermée la porte miraculeuse du savoir et de la compréhension sans lesquels l’esprit n’est que dérision. Or, qu’est-ce qu’un homme privé d’intelligence sinon une sorte d’animal ne disposant que d’un choix dérisoire ? Par là, il est assimilable au ruminant. Louis Blanc avait bien raison de dire : « Ils parlent de liberté, et ils ne comprennent pas que l’ignorance et la misère constituent le plus dur de tous les genres d’esclavages ».

Ainsi, d’une part, cette liberté imprudemment offerte aux hommes s’est transformée pour nombre d’entre eux en une mortelle ennemie, vu les abus commis sous son couvert par des parasites et des profiteurs sans scrupules. Par ailleurs et dans le même temps, elle est devenue dérisoire pour certains autres du fait de son continuel rétrécissement.

En définitive, qu’attendaient de la liberté les citoyens du siècle dernier ? Le bonheur. Qu’en attendons-nous encore ? Toujours le bonheur. Mais celui qu’elle nous procure est singulièrement plus illusoire que réel.

Et pourtant, la privation éventuelle de cette liberté - si chétive ou abusive qu’elle soit devenue - nous apparait comme la négation absolue du bonheur, c’est-à-dire le malheur même. Car il nous reste du moins cette liberté chère entre toutes, de penser et de parler sans contrainte, qui apparaît si indispensable à notre dignité intérieure. Sans elle, c’en serait fait de la camaraderie et de la confiance amicale, que la crainte et l’ignominie de la délation ruineraient à jamais.

Mais cette liberté de conscience et d’expression qui nous apparaît, en démocratie, comme le bien suprême, n’est souvent ni appréciée, ni désirée dans les pays totalitaires où les individus abdiquent volontiers toute prétention de critiquer ou d’apprécier, en faveur des disciplines auxquelles ils se soumettent sans répugnance, pour si strictes qu’elles soient. Il ne nous est donc pas permis de décider si un Français, jouissant des libertés démocratiquea, est plus heureux qu’un Allemand sous la férule de son dictateur. Nous pouvons seulement supposer qu’un Français souffrirait abominablement en dictature tandis qu’un Allemand s’accommoderait sans doute du régime libéral. Et cela nous suffit à proclamer la primauté de ce dernier.

Mais si la crainte de perdre la liberté détermine chez nous une épouvante panique, on ne saurait dire qu’il s’y pratique un véritable culte de cette liberté, tant du moins que celle-ci n’est pas menacée. On se contente alors d’en profiter du mieux possible, sans pour cela la célébrer outre mesure. La liberté apparaît donc en somme comme un bien mésestimé dans le positif et apprécié seulement dans le négatif, c’est-à-dire lorsqu’on nous en a dépossédés.

De même, nous n’apprécions vraiment qu’en temps de guerre les bienfaits de la paix, étant inaptes à les savourer, lorsqu’ils nous sont donnés en partage. Parallèlement, nous n’apercevons le prix de l’équité que lorsque nous en sommes spoliés et que l’injustice nous frappe.

C’est pourquoi la possession de ces biens : liberté, paix, équité, ne nous exalte pas. Nous nous contentons d’en jouir statiquement et ne sommes prêts à entrer en émoi à leur sujet que lorsque l’angoisse nous étreint de les perdre. Ainsi, les démocraties se révèlent incapables de se donner un idéal, puisqu’elles ne savent pas s’enthousiasmer pour le biens auxquels elles tiennent par-dessus tout, mais seulement les pleurer lorsqu’on les leur ravit.

Toute autre est l’attitude des totalitaires, imprégnés d’un idéal de puissance, de plus grande puissance. On les voit, eux, animés d’un dynamisme impavide et travailler inlassablement à la réalisation du programme dressé, qui est de prestige et de gloire. Il est inutile d’insister, pour illustrer ce qui précède, sur les immenses travaux de réorganisation et de conquêtes accomplis par les Allemands et les Italiens et cela, sans or comme sans secours.

Pourquoi ce contraste entre l’indifférence des uns pour des biens cependant chéris, et l’enthousiasme des autres en faveur d’un idéal de puissance qui procède pourtant de l’erreur et même du crime, puisqu’il conduit la guerre ? Tout simplement parce que la conquête de la puissance s’accompagne de progrès visibles, contrôlables et rapides et que chaque nouveau progrès conduit à un palier d’où les foules voient approcher le but solidairement poursuivi. Ainsi, leur impatience et leur dynamisme trouvent-ils un aliment constant dans l’oeuvre à laquelle il leur est prescrit de se dévouer et qui est de perfectionner sans relâche l’instrument de force à édifier.

Au contraire, la liberté - nous l’avons vu - a cessé de s’accroître en qualité comme en prestige, pour se rétrécir sans cesse sous la pression des lois limitatives. La paix, elle, n’a jamais pu trouver son perfectionnement que dans celui des armements au moyen desquels il convient d’intimider l’adversaire ; comment enthousiasmer les masses pour un bien qui ne s’affermit que dans l’épanouissement de son contraire ? L’équité, enfin, dans la civilisation que nous connaissons, étant basée sur un principe de profit, égoïste mais légitimé, n’est susceptible que d’un perfectionnement très lent et peu appreciable dans les limites d’une génération, en admettant même qu’elle soit perfectible.

Si donc il apparaissait souhaitable de rendre l’enthousiasme aux foules démocratiques de façon à leur donner la force de résister à l’élan inverse des totalitaires, il faudrait trouver à leur proposer un idéal également susceptible de progrès observables, afin de susciter chez elles l’esprit de solidarité, de dévouement et de sacrifice sans lesquels rien de grand ne saurait s’accomplir.

Visant cette fin, il faudrait dénoncer tout d’abord l’erreur majeure commise lorsque - en dépit de la logique - la liberté, la paix et l’équité sont proposées aux peuples démocratiques comme des buts propres à être magnifiés. En réalité, ce ne sont pas des buts, ce ne sont que des moyens.

En effet, pourquoi les hommes désirent-ils jouir de la liberté ? Pour être heureux. De la paix ? Pour être heureux. De l’équité ? Pour être heureux. Ainsi de tout. Chaque fois qu’ils aspirent à l’acquisition d’un bien quelconque, c’est dans l’espoir d’accroître leur bonheur. Mais ils ne le savent pas.

De ce qui précède, il est permis de conclure que le seul but vraiment rationnel et magnifique qui puisse être proposé aux hommes, c’est le bonheur. Mais ceux-ci ne l’ont pas compris. Pour avoir coupablement abandonné les admirables recherches entreprises par Aristote et Epicure touchant la découverte des lois du bonheur, ils en sont encore à ignorer quel est le but que véritablement ils poursuivent. Et c’est pourquoi dans leur aveuglement et leur désarroi, ils se découragent ou s’irritent, se désespèrent ou se révoltent. Car ils sentent confusément que ce bonheur est réalisable, qu’il est même à leur portée et qu’ainsi ils pourraient en exiger le partage, si seulement ils savaient où il se trouve et comment l’atteindre.

Et par bonheur, il faut entendre bonheur collectif : « le plus grand bonheur du plus grand nombre », suivant la belle formule de Bentham. Mais de ce bonheur-là les démocrates ne se souviennent pas, car on ne les a accoutumés qu’à la poursuite de profits personnels. Collectivement, ils ne savent travailler qu’à écarter du mieux possible les fléaux lorsqu’ils les assaillent, à résoudre au jour le jour les problèmes sociaux ou politiques qui se posent, et cela avec le minimum de dérangements et d’efforts comme avec le maximum de disputes parlementaires. Ainsi se sont-ils résignés à pratiquer à la petite semaine une misérable politique de moindre malheur qui, par son étroitesse et son statisme, interdit tout progrès appréciable et vivifiant.

Bien au contraire, si l’humanité prenait enfin la résolution de se donner pour but le bonheur universel, c’est dans un délirant enthousiasme que les hommes de pensée et de science se rassembleraient pour entreprendre l’œuvre de rénovation totale devenue nécessaire. Car ce ne serait plus pour perfectionner leurs instruments de mort que les ingénieurs seraient convoqués, mais pour imaginer enfin les systèmes les plus propres à dispenser le bonheur, c’est-à-dire la vie même.

Les psychologues, les sociologues, les éducateurs, les médecins, les urbanistes, les techniciens - réunis - auraient tôt fait de discerner que tout est à refaire dans notre triste civilisation - fondée sur les accaparements égoïstes - pour y faire régner le bonheur unanime. Car celui-ci ne saurait s’organiser et s’épanouir que dans la bienveillance et grâce au partage équitable des biens disponibles.

Quels admirables plans seraient alors élaborés par cette élite de penseurs et d’inventeurs pour reconstruire le monde sur de nouvelles bases, cette fois fraternelles ! Avec quelle attention passionnée les peuples n’assisteraient-ils, pas à l’édification des nouvelles cités où toutes choses seraient désormais organisées en vue du bonheur humain. Quelle ne serait pas leur délivrance de sentir enfin s’apaiser en eux les épouvantes et les haines qui les tourmentent depuis le fond des siècles et qui toujours les condamnèrent à consacrer aux œuvres de guerre et de destruction, le meilleur de leurs énergies et de leurs efforts !

Débarrassés de ce tyrannique et criminel esclavage, les hommes pourraient alors reprendre les admirables travaux des Hellènes visant la découverte du « souverain bien », c’est-à-dire des lois du bonheur. Une fois celles-ci découvertes, il resterait à leur assortir des règles de vie devant permettre aux hommes de vivre collectivement heureux, comme ils le désirent désespérément. Ainsi s’édifierait, dans la science et la sagesse, ce code du bonheur qui fit toujours si tragiquement défaut aux êtres et aux peuples. Grâce à lui, l’apaisement succéderait au tourment, la stabilité à l’incertitude ; car ce code contiendrait toutes les prescriptions nécessaires quant à la conduite individuelle et sociale et proposerait enfin les disciplines qui - volontairement acceptées - assureraient désormais le bonheur de tous par le perfectionnement de chacun.

A mesure qu’ils sauront mieux se désaltérer aux sources inépuisables du bonheur, les hommes sentiront peu à peu s’étancher la soif de liberté qui les altère encore. Ils connaîtront alors que cette soif leur vient d’un mirage trompeur, d’un mirage emprunté à quelques illusions à vrai dire périmées.

Car, en vérité, qui est heureux est libre.

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Misère

19 juin 1939

Un rapport de Chambre de Commerce

La Chambre de Commerce de Rouen vient de dresser le bilan de la situation industrielle et commerciale de sa circonscription dans le premier trimestre 1939.

Nous en extrayons ce qui suit :

« L’évolution qui se dessinait fin 1938 a été complètement brisée.

« Le tonnage importé a diminué de près de 20 %, portant principalement sur la houille.

« En tissage de coton, seules les cornmandes de l’Etat pour la défense nationale ont fonctionné à plein. Mais ces commandes étant passées par adjudication, ne peuvent être également réparties entre tous les fabricants et on assiste à la marche forcée de certains tissages, alors que d’autres sont contraints au chômage.

« En ce qui concerne les industries métallurgiques, une amélioration est constatée pour celles dont l’activité est orientée vers les travaux de la défense nationale, alors que celles consacrées i aux fabrications de paix voient le nombre de leurs commandes diminuer.

« En tannerie, seules les tanneries spécialisées dans la fabrication des cuirs pour l’armée sont favorisées.

« En vins et spiritueux, stagnation générale à des chiffres inférieurs à ceux de 1937.

« En importation de bois du Nord, diminution considérable des bois importés. »

Ainsi, malgré ce que proclame M. Paul Reynaud, tout n’est pas parfait dans certaines régions de France.

Quant à trouver dans le rapport de cette Chambre de Commerce (comme d’ailleurs dans toutes les autres) autre chose que des lieux communs et des banalités pour expliquer ce marasme. il n’y faut point songer. Leur comprehension des formidables événements qui bouleversent le monde n’est guère supérieure à celle de Laguillaumette, cavalier de 2e classe du 60e hussards. Les faits les dépassent.

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Communiqués

19 juin 1939

LIGUE D’AMITIE INTERNATIONALE

Comme chaque année, la Ligue d’Amitié Internationale ouvrira, cet été, ses Centres de Vacances en Allemagne, Belgique. Hongrie, Suede, Norvège, Angleterre, Finlande, Esthonie. Hollande, etc.

En France, des Centres fonctionneront à Paris-Fontenay, Pau, Munster, Thonon, Trouville, Saint-Malo-de-la-Lande, etc...

Jeunes, passez d’heureuses et agréables vacances avec vos amis de la Ligue.

Pour tous renseignements, s’adresser la Ligue d’amitié internationale, 11, rue des Petites-Ecuries, à Paris (10e).

L’ERE DU VERSEAU, par Paul Le Cour.

Nous signalons cet ouvrage à nos lecteurs parce que sur un plan different du nôtre, iI le complète néanmoins. L’auteur s’appuyant, tant sur les données de l’astrologie religieuse (bien différente de l’astrologie profane) que, sur les diverses traditions antiques, nous montre que nous marchons vers une profonde transformation au monde, vers une ère de paix et de justice annoncée depuis des millénaires.

Toutefois, comme tout enfantement, cette transformation ne peut s’accomplir qu’à travers de douloureuses épreuves qu’il est de notre devoir d’abréger.

Un vol. 18 fr. en vente notre librairie.

Le Syndicat des Journalistes du Mouvemement social demande à nouveau aux organisations syndicales et aux groupements à tendance sociale, de bleu vouloir déposer ou envoyer, au Bureau de la Presse, salle n° 2 bis, 1er étage, Bourse du Travail, 3, rue du Château-d’Eau, Paris (10e), au moins un exemplaire de leurs communiqués, en plus de ceux adressés directement aux journaux ouvriers ou autres.

Pour les communiqués longs, ou ayant quelque importance, il est préférable, si possible, d’en envoyer plusieurs exemplaires.

Il leur est également demandé d’envoyer à la même adresse deux exemplaires de leurs organes corporatifs, bulletins, journaux et autres publications.

Pour le Bureau syndical : Le secrétaire général : Adrien Briollet.