La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 73 - 27 juillet 1939

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N° 73 - 27 juillet 1939

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Le problème des matières premières   (Afficher article seul)

Français !   (Afficher article seul)

Choses et autres   (Afficher article seul)

Congrès de la pensée socialiste   (Afficher article seul)

Trois livres à lire   (Afficher article seul)

L’insigne de l’abondance   (Afficher article seul)

Congrès annuel du Droit au Travail dans l’Abondance   (Afficher article seul)

Destructions de richesses   (Afficher article seul)

L’abondance au Maroc   (Afficher article seul)

Progrès techniques   (Afficher article seul)

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Au fil des jours

27 juillet 1939

Toujours la question de savoir si on va avoir la guerre. On dirait que cela dépend d’une puissance extra- humaine.

Disons que les hommes ont perdu la tête, et qu’avec des gens pareils on ne sait pas très exactement ce qu’ils vont faire.

En tout cas, si la guerre n’éclate pas dans le courant du mois d’août, il y a des chances pour qu’on n’en perle plus. Il restera à régler la question des armements. C’est la que nous attendons les économistes distingués.

***

On fera comme on faisait avant, disait l’un d’eux cette semaine. Il oublie qu’on a fait des armements parce. qu’on ne pouvait plus vendre ce qu’on faisait avant.

***

Dans le « Journal » on signalait ce que notre confrère appelle un curieux document. C’est une missive, attachée à un cerf-volant venu d’Allemagne, dans laquelle une mère de famille allemande disait que, dans son pays, on espérait bien que la guerre n’aurait pas lieu. Curieux document, n’est-ce pas ? Mais plus curieux encore le journaliste qui trouve cela curieux. Une mère allemande qui ne veut pas qu’on tue ses enfants ! Car à force de représenter la masse allemande comme une masse de monstres déchaînés, certains écrivains ( ?) se laissent prendre à leurs écrits.

***

On vient de découvrir la vénalité de la presse. Quelle indignation vertueuse chez nos grands confrères ! Avouons cependant que si quelques articles et la publication de photos de la propagande hitlérienne n’ont rien rapporté à nos confrères, c’est que ces gens-là travaillent gracieusement pou ; le roi de Prusse. Après tout, tout est possible, n’est-il pas vrai ? Mais ce sont des gâcheurs.

***

Bien de drôle comme la feinte indignation de ceux qui dénoncent les livraisons de minerai français à l’Allemagne. On dirait que ces gens-là ignorent que, même en temps de guerre, le petit commerce international s’arrête pas. À plus forte raison en temps de paix, où l’échange est à la base de toute l’activité économique. Nous livrons du minerai aux Allemands. Les Allemands vendent au Français de l’outillage dont nous nous servons dans les armements. Les Allemands fournissent aussi du materiel de guerre aux Chinois qui se défendent contre les Japonais, alliés des Allemands. Les Allemands arment des peuples qui, en cas de conflit, ne seront certainement pas à leur, côté. Ainsi va le régime capitaliste.

***

Et la vente des bateaux de guerre de l’Italie à l’U.R.S.S. contre du pétrole continue de plus belle. Si notre grande presse n’en parle pas, c’est pour que ne tombent pas en pâmoison nos conservateurs sociaux. Et l’on mande de Berlin que les Allemands vont ouvrir des crédits à l’U.R.S.S. pour vendre de l’outillage à l’industrie soviétique.

***

Et l’« Ordre » signale que l’Italie vient de rappeler les officiers italiens qui suivent les cours de notre Ecole de Guerre. Il parait que c’est très grave, parce que ces cours ne se terminent que le 31 juillet. Mais qu’est- ce qui vous étonne le plus : le rappel de ces officiers, ou le fait que notre Ecole de Guerre enseigne l’art de la guerre aux militaires de l’Axe ?

***

En attendant, nos confrères de la grande presse se réjouissent de la défaite des troupes chinoises. Il paraît que l’armée des rouges Chinois est définitivement battue par nos amis du Japon. Mais ces Chinois, jaunes au propre, devenus rouges au figure, n’est-ce pas joli ?

***

Grosse déception : les Américains n’auraient pas du tout le désir de venir à nos côtés en cas de guerre européenne.

La naïveté de ceux qui font l’opinion en France est incommensurable. Ils ont déjà oublié que le Président Wilson a dû faire campagne - pendant deux ans et en pleine guerre - pour décider les Américains à se mêler au dernier conflit.

Alors, vraiment on les croyait fin prêts à remettre ça ?

***

En Espagne le torchon brûle. Les gens qui n’ont été capables que de détruire, ne tarderont pas à se détruire entre eux.

***

Pour l’instant, personne ne songe à l’effondrement monétaire qui va se produire en automne. Que va-t-il rester de l’accord tripartite lorsque la livre aura l’accès de faiblesse que la perte de la moitié de son stock d’or devrait cependant faire prévoir à nos brillants spécialistes de la monnaie ? Et croit- on que les Etats-Unis conserveront alors l’étalon-or ? Et quand les Etats- Unis auront abandonné l’étalon-or, que restera-t-il de la valeur de l’or lui-même ?

***

Certes, on nous répondra que nous l’annonçâmes déjà il y a deux ans. C’est exact : nous ne pensions pas que les hommes accepteraient de fabriquer pour 2 milliards 300 millions d’armements par jour sur la planète. On oubliait que la bêtise humaine, seule, donne l’idée de l’infini. On ne croit jamais le monde aussi bête qu’il est disait déjà Madame de Tencin.

Mais si les événements retardent un peu sur les prévisions, ils ne s’en produisent pas moins.

***

Tant de gens sont disposés à prendre leurs désirs pour des réalités, que, pour beaucoup, notre situation financière est définitivement réglée.

N’affirme-t-on pas que le budget ordinaire est en équilibre ? Or, budget ordinaire et budget tout court sont deux expressions que l’on confond fa- cilement.

Je dépense cinquante mille francs alors que je n’en gagne que vingt mille. Mon budget est terriblement dé- séquilibré. Pardon, votre budget ordinaire est en équilibre. En effet, il suffit de faire deux parts de vos dépenses : l’une, de l’importance de vos recettes ; l’autre, de tout ce qui les dépasse. Ne vous occupez que de la première, et affirmez que votre budget ordinaire est équilibré.

Ainsi, en 1939, notre budget ordinaire est équilibré par définition. Reste l’autre : il n’a jamais connu plus grand déficit. On en reparlera au mois d’octobre.

***

Car enfin hausse des impôts, hausse du prix de la vie, c’est une forme de redressement que M. Reynaud, doublé de M Rueff, ne pourra pas continuer pendant 3 ans.

***

Nous ne tarderons pas à nous montrer tout nus Si le redressement Paul Reynaud continue.

***

M. Coutrot, déjà l’éminence grise de M. Spinasse, est devenu l’Egérie de M. Patenôtre. Toujours avec le même succès.

On trouve que le secteur de guerre va bien, mais que le secteur ordinaire ne bat que d’une aile. Alors M. Coutrot voudrait remettre en route le secteur ordinaire.

Pauvre M. Coutrot qui n’a pas encore compris (ou ne veut pas comprendre) que, si le secteur ordinaire marche encore, c’est à l’importance du secteur de guerre qu’il le doit. Voilà où l’on en est quand on maintient le régime capitaliste à grand renfort d’intégrales. Quand M. Coutrot comprendra-t-il qu’il est intégralement dans l’erreur ?

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Le problème des matières premières

est insoluble dans l’économie mercantile
par J. DUBOIN
27 juillet 1939

JUSQU’À présent - avec quel succès ! - on cherchait d’abord à résoudre les difficultés extérieures après quoi l’on se pencherait peut-être sur les proBlèmes économiques. Maintenant, on commence à s’apercevoir que les difficultés économiques pourraient être la cause profonde des remous si inquiétants de la situation extérieure, et l’on songe à régler l’économique avant le politique. C’est un progrès à condition de sortir des chemins battus, puisque c’est en les suivant que nous sommes parvenus à l’impasse présente. Or, la proposition Roosevelt d’une conférence internationale pour la reprise du commerce extérieur, les offres de crédits ( ?) à l’Allemagne d’un jeune ministre aux vieilles idées, sont autant de cautères sur jambe de bois. La reprise du commerce extérieur ? Si elle était possible, les pays re vivraient pas dans l’autarcie. - Prêter de l’argent à l’Allemagne ? Quand l’Allemagne s’en sera servie, elle sera Gros-Jean comme devant, avec un prêt non remboursé de plus sur la conscience.

Tout ceci, c’est de la pharmacopée mercantile, autrement dit de l’histoire ancienne.

*

REPRENONS les faits :

Tout l’équilibre économique du XlXe siècle était fondé sur les échanges complémentaires d’une Europe industrielle et d’un monde extra-européen, fournisseur de matières premières, car ces dernières ont été réparties dans le monde sans aucun souci des frontières politiques. Cet équilibre, déjà très instable depuis le commencement du XXe siècle, est aujourd’hui périmé. Les pays détenteurs de matières premières ont été industrialisés par ceux qui l’étaient déjà ; ils produisent eux-mêmes les produits manufacturés que les autres leur fournissaient n échange des matières premières qui leur manquaient.

Nous retrouvons donc, sur le plan extérieur, la même paralysie des échanges que sur le plan intérieur, des nations.

En matière de commerce international, les achats et les ventes portent le nom d’importations et d’exportations. Un pays importe ce qui Iui manque, en particulier les matières premières s’il en est dépourvu ; il exporte, en principe, ce qu’il ne réussit pas à vendre à l’intérieur de ses, frontières.

Depuis plusieurs années, le volume et la valeur des importations et des exportations ne cessent de diminuer. Cette baisse du commerce international tend même à s’accélérer constamment.

Jugez vous-même en contemplant les petits tableaux ci-dessous qu’il faut que je vous explique. J’ai pris la mesure du commerce extérieur de chaque nation en 1929, année où il a battu son plein. Bien entendu, j’ai mesuré en or afin que les calculs ne soient pas faussés par les multiples dévaluations monétaires. J’ai donné le chiffre 100 au total des importations et des exportations de chaque pays en 1929. Voici ce que ce chiffre est devenu en 1938 ; vous le trouverez indiqué à’ côté du nom du pays.

D’abord les importations :

Pays Imporations Pays Imporations
États-Unis 26,6 Roumanie 44,3
Chine 16,7 Norvège 60,1
Japon 45 Hollande 41,6
France 34,3 Argentine 31,9
Italie 30,5 Yougoslavie 50,9
Belgique 46,1 Suède 64,3
Canada 30,9 Danemark 46,2
Brésil 41,5 U.R.S.S 36
Suisse 40,4 Pologne 41,8
Chili 30,5 Allemagne 45
Angleterre 46,2   

Passons aux exportations. Je vous rappelle qu’elles ont le coefficient 100 en 1929. Voici ce qu’il est devenu en 1938 :

Pays Exporations Pays Exporations
Argentine 28,5 Hongrie 50,3
Chine 20,7 Suède 56,3
Roumanie 54,2 Hollande 42,2
Chili 28,7 France 26,3
Egypte 33,6 Etats-Unis 35
U.R.S.S. 32,8 Norvège 56,5
Yougoslavie 40,4 Allemagne 44,4
Canada 46,2 Danemark 46,3
Belgique 48,7 Pologne 42,1
Japon 46,5 Italie 40,5
Brésil 38 Suisse 43,8
Angleterre 46,2   

Conclusion : la chute est générale ; aucun pays n’y échappe, qu’il soit jeune ou vieux, qu’il soit totalitaire, démocratique ou socialiste-échangiste comme l’U.R.S.S., qu’il soit dirige-par des gens de droite, de gauche ou du centre, qu’il soit front populaire ou front impopulaire.

Pourquoi ? Parce qu’ils pratiquent tous l’échange par la voie traditionnelle des achats et des ventes, et que ce système est périmé. Les matières premières s’entassent inutiles dans les pays qui en possèdent et font défaut dans les pays industrialisés qui n’ont plus les moyens d’en acheter, puisqu’ils écoulent de plus en plus difficilement leurs produits manufacturés.

*

QUANT à la façon dont les matières premières sont réparties sur le globe, vous allez voir que le bon Dieu n’a pas tenu compte des frontières politiques ; ainsi les États-Unis, qui n’occupent que le douzième de la surface de la terre et dont la popu- lation ne représente que 6 % de la race humaine, vien- nent souvent au premier rang.

Nous découvrons que 34 % de la houille extraite de la planète sort du sot des Etats-Unis. L’empire britannique vient au second rang avec 24,7 % . Puis la Russie avec 8,5 % et la France avec 4,4 %. Vous voyez que le reste du monde est bien mal avantagé.

Pour le pétrole, le premier rang de la production revient encore au États-Unis qui s’adjugent modestement 60 % de la production mondiale. Puis viennent la Russie avec 11,7% et les Pays-Bas avec 2,9 %. De sorte que le reste du monde dispose à peine du quart de la production du naphte.

Pour le fer, c’est la Fratccqui arrive en 28 %. On sait qu’elle en vends à l’AlIemagne qui l’utilise pour ses armements. Les États-Unis viennent ensuite avec 20 %, la Russie avec 18 %, l’empire britannique avec 12,2%. Il reste donc 20 % pour le reste du monde.

Pour le cuivre, les États-Unis reprennent la tête avec 15,9 % de la production mondiale. L’empire britannique suit de près avec 12,2 %, puis la Russie avec 3,4 %.

Pour le plomb, c’est l’inverse. L’empire britannique tient la tête avec 43 % et les Etats-Unis suivent avec 19,5 %.

Pour le zinc, l’empire britannique produit, à lui seul, 31,8 % de la production mondiale. Les Etats-Unis tiennent le second rang avec 28 %.

Pour l’étain, l’empire britannique s’adjuge 42 % de la production mondiale. ’Viennent- ensuite les Pays- Bas avec 16%.

Pour la bauxite, c’est la France qui tient le pre- mier rang avec 42 %. Viennent ensuite les Etats-Unis avec 12,6 %.

Pour le soufre, les États-Unis battent tous les pays. Ils extraient 72 de la production totale du globe.

Pour le caoutchouc, l’empire britannique tient la tête avec 58 %. Les Pays-Bas en récoltent 37,4 %. Notre Indo-Chine en fournit 2 % qui suffisent à notre consommation.

Pour le coton, le premier rang est tenu par les Etats-Unis avec 49 % de la récolte mondiale. Ils ne savent d’ailleurs pas qu’en faire... L’empire britannique vient après avec 17,3 % et la Russie avec 7,1 %.

Pour la laine, ’empire britannique s’adjuge la moitié de la production mondiale. Les Etats-Unis en produisent 12,5 %.

Pour les arachides, l’empire britannique tient en core le premier rang avec 62 %, la France tient le second avec 14 % et les Etats-Unis, le troisième avec 7 %.

Dans cette répartition des matières premières, vous avez constaté que l’Allemagne ne- figure pas , et cependant elle a une population de plus de 80 millions d’habitants. Au risque de passer pour un stipendié de la propagande allemande (et cependant elle néglige constamment ce point de vue pour s’en tenir à la race, ce qui est une stupidité) je suis bien obligé de reconnaître que l’Allemagne est obligée d’importer du blé, du lait, du beurre, des pommes de terre, du maïs, du seigle, de l’avoine, du coton, de la laine, du cacao, du thé,, du tabac, du cuivre, du plomb, de l’étain, du zinc, du nickel, de la pâte de bois, des cuirs et peaux, du minerai de fer, du lin, du chanvre, du jute, etc...

L’Allemagne achète 20 % de la production mondiale du cuivre, 1 1 % de celle de la laine, 10 % de celle du coton, -7 % de celle du caoutchouc.

Etonnez-vous donc que certains pays n’aient plus d’or ! Ils s’en sont servis pour acheter ce qui leur manque, car l’or, en régime capitaliste et en matière de commerce extérieur, n’a jamais servi qu’à solder la balance des comptes. Par le jeu des échanges commerciaux, l’or va donc en Amérique où il prend la place des matières premières. Les Etats-Unis regorgent d’or au point qu’ils le stérilisent. Et la misère en Amérique n’a jamais été plus grande qu’aujourd’hui.

*

Donc pas de solution dans le régime mercantile. Il faut, au contraire, s’en évader.

S’évader du régime mercantile, c’est concevoir, et réaliser un orgarusme international auquel chaque nation apporterait l’ excedent de sa production , après que tous les besoins réels de ses nationaux auront été satisfaits. Cet organisme répartirait les, excédents sans tenir compte de leur ex-valeur marchande et en ne se préoccupant que des humains.

Un tel organisme ferait disparaître la cause de tous les conflits.

L’idée de fournitures gratuites à des pays étrangers choque notre mentalité actuelle, car nous ne concevons de don gracieux aux gens de l’autre côté des frontières, que sous forme d’obus et de gaz asphy- xiants. A cet égard, la générosité des nations ne connaît plus bornes. Mais elles se ruinent à fabriquer ces prestations meutrières au moment où elles détruisent sur leur territoire les produits qui sont indispensables à l’existence des voisins.

Le salut consiste donc dans la réalisation de la proposition que formulaient trop tôt en 1803, Saint-Simon et ensuite Augustin Thierry, de créer un Parle ment général, placé au-dessus des gouvernements nationaux. C’est lui qu’on ’chargerait de coordonner les économies de tous les pays en distribuant les matières premières dont chaque pays a besoin pour faire vivre ses nationaux.

Utopie !... vous n’avez que cette réponse-là à me faire je vous rappelle que la route que nous suivons conduit directement à la guerre.

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Français !

27 juillet 1939

SACHEZ UNE BONNE FOIS POUR TOUTES :

- qu’en régime libéral ou capitaliste, chômage et misère croissent maintenant en même temps que la produc- tion : c’est la misère dans l’Abondance

- qu’en régime fasciste et capitaliste, si le chômage décroît c’est qu’on fabrique des armements à outrance, car les grands travaux n’avaient apporté qu’une solution provisoire.
Or, les armements MAINTIENNENT LA MISÈRE ET CONDUISENT A LA GUERRE ;

- que le régime de l’Abondance, seul, supprime chômage, misère et guerre, car les hommes ne font plus que des travaux utiles : c’est la Paix par l’Abondance,

- que notre salut à tous n’est possible qu’avec cette Civilisation Nouvelle qu’on ne voit pas parce qu’on nous la cache ;

- que tout ceci n’est pas affirmé mais prouvé dans les conférences publiques et contradictoires faites dans toute la France par notre groupement.

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Choses et autres

27 juillet 1939

Nous vivons vraiment des temps difficiles - comme dit l’autre. Figurez-vous que l’Office du blé a encore 18 millions de quintaux de blé sur les bras ! C’est l’excédent de la dernière récolte.

Au même moment, on déplore que la campagne se dépeuple et que l’agriculture manque de bras. Mais si l’agriculture avait quelques bras de plus, l’Office du blé croulerait sous le poids de nouveaux excédents. Et il y a encore des aveugles pour nier l’abondance.

***

Evidemment l’abondance n’existe pas : c’est la surproduction ; ce sont

des excédents de récoltes, bref c’est tout ce que vous voudrez, sauf de l’abondance. Interrogez là-dessus MM. Belin, joseph Caillaux, Coutrot, Rist, Quenille, etc., etc...

***

En attendant, que va-t-on faire de ces 18 millions de quintaux d’excellent froment ? Les Anglais veulent bien les payer 55 francs, mais pas un sou de plus.

Comme l’Office du blé a acheté chaque quintal de blé excédentaire au prix de 200 francs, c’est donc un petit cadeau de 145 francs par quintal que nous allons faire aux Anglais, pour les décider à manger du pain tait avec notre blé.

Comme nous leur donnons déjà ’J francs par kilo de beurre pour : qu’ils achètent le nôtre pour mettre sur notre pain.

Qu’en pensent MM. Coutrot, Gailtaux. Queuille, Rist, Belin et autres économistes orthodoxes qui nient l’abondance ?

En somme, ils ne paraissent comprendre l’abondance que pour les armements. Tout le reste ce sont des excédents à résorber... comme les chômeurs sont des excédents de travailleurs...,

***

Bref, nous nous ruinons au profit de nos alliés, les Anglais. Une prospérité folle doit donc régner en Angleterre, n’est-il pas vrai ?

Ce n’est toujours pas l’avis du doyen de la cathédrale de Canterbury qui, lui aussi, fulmine contre ceux qui maintiennent la misère dans l’abondance.

***

A cet égard, le doyen de la cathé drale de Canterbury est plus courageux que Son Eminence le cardinal Verdier, car il n’hésite pas à dénoncer que des millions de jeunes Anglais sont sous- alimentés. Lisez sa brochure Act now (« Agissez tout de suite... ») qu’il vient de faire paraître à Londres, et vous serez édifiés sur la révolution qui couve en Angleterre.

***

Nous avons, chez nous aussi, des centaines de milliers d’enfants qui vivent dans des taudis. M. Herriot aurait peut-être pu s’en souvenir alors que, sous prétexte de célébrer la Révolution de 89, on avait habillé les enfants des écoles en bleu, blanc et rouge, pour faire un immense drapeau tricolore sur la place de l’Hôtel-de-Ville, pendant que M. Herriot glorifiait les grands ancêtres du haut du balcon de la maison commune.

Quand M. Herriot, président de la Chambre embaumée, voudra-t-il bien se pencher sur le problème de l’estomac ? Il n’en est pas de plus respectable et le cri de la misère est de beaucoup le plus perçant. Or, des milliers d’enfants de la Ville de Paris ne mangent pas à leur faim, alors que le prix du pain augmente et qu’on prétend ne pas savoir que faire des 18 millions de quintaux de blé excédentaires que l’Office du blé a sur les bras.

C’est un problème moins noble en apparence, moins digne de figurer sur les bannières, mais qui n’en est pas moins sacré.

Et on pourrait peut-être l’étudier au lieu de nous hypnotiser sur les exploits des grands ancêtres.

Car les qrands ancêtres firent leur devoir en 1789, alors que nous ne faisons pas le nôtre en 1939.

***

Voilà notre grande presse qui verse des pleurs sur les orages qui anéantissent des récoltes et font des millions de dégâts. C’est cependant autant que nous n’aurons pas à détruire, ô étourneaux de la grande presse. De quoi vous plaignez-vous si le bon Dieu procède lui-même à l’assainissement des marchés ?

***

M. François de Champeaux est un député qui est allé récemment découvrir l’Amérique. Comme il se targue d’être, par-dessus le marché, un jeune économiste distingué, il a confié ses observations au journal de son beau-papa. Voici ses conclusions : II n’en reste pas moins vrai que si la paix s’affermissait dans l’univers, si le gouvernement donnait tant soit peu de confiance au monde du négoce et des entreprises, l’immense mécanisme de précision de la prospérité américaine démarrerait à nouveau pour longtemps. »

C’est tout simplement effarant. Notre homme a déjà oublié que l’immense mécanisme de la prospérité américaine s’est arrêté définitivement il y a dix ans ; que c’est poux cela qu’on a appelé Roosevelt ; que malgré tous les milliards que cet homme a dépensés, malgré les folles destructions de récoltes, etc., les 11 millions de chômeurs sont toujours là. M. de Champeaux n’a rien vu de tout cela, ou a déjà oublié l’histoire de ces dernières années. Le pauvre croit encore à la crise cyclique et s’imagine crue l’économie américaine va démarrer...

Pour cela, il suffirait que la paix voulût bien s’affermir dans le monde  !...

Mais la paix ne peut s’affermir dans le monde, que si l’économie pouvait démarrer.

Si notre excellente tante...

***

Que pensez-vous du Tour de France ? Un admirable exemple de l’exploitation de l’homme par l’homme. Car on suppose bien que vous ne prenez pas ça pour du sport !

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A bas le fascisme t crient les intellectuels antifascistes. Mais faute d’avoir réclamé les réformes de structure capables d’éviter le fascisme, on y glisse tout naturellement...

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Congrès de la pensée socialiste

par D.T.A.
27 juillet 1939

Nos camarades J.E.U.N.E.S. ont eu l’idée audacieuse de convoquer tous les partis politiques et groupements qui se réclament plus ou moins du socialisme, en un Congrès où l’on s’efforcerait de définir la pensée et l’action socialistes à la lumière des faits économiques de 1939.

Le D.T.A., à l’avance d’accord, sur l’utilité de cette mise au point, a participé aux quatre seances de discussion qui se sont tenues du 28 juin au 4 juillet 1939.

Voici quel était le programme du Congrès :

1° Estimez-vous que le capitalisme puisse encore fournir une carrière, ou qu’il soit en train de succomber ?

2° Dans le premier cas, peut-il revêtir une autre forme que celle du fascisme ?
Dans le second cas, quel régime économique et social doit, selon vous, lui succéder ?

3° Si c’est le socialisme, quelle définition en donnez-vous aujourd’hui ? Et quelles sont le réformes de structure nécessaires ?

4° Comment envisagez-vous le passage dans ce nouveau régime afin d’éviter la catastrophe économique et la guerre civile qui accompagneraient l’effondrement naturel du capitalisme ?

5° La menace fasciste à l’extérieur et à l’intérieur ne provient-elle pas d’une même cause ?

La place nous manque pour donner un compte rendu complet des débats, mais nous reproduisons, d’après l’organe des J.E.U.N.E.S.« Libération », les principales motions votées, avec indication des groupements et des partis dont l’accord a été enregistré.

Voici d’abord les participants :

Parti communiste (P.C.), représenté par M. Cotes, député de Boulogne ;

Parti Frontiste (Frontisme), représenté par MM. Hunebelle et Cohen ;

Parti socialiste Ouvrier et Paysan

(P.S.O.P.), représenté par MM. Marceau Pivert, Roger Stibbe, Mme Nicolitch

Jeune République (Jne Rép.), représentée par M. A Bossin ;

Jeunesses Socialistes Républicaines (J.S.R.), représentées par M.  Loubet ;

Droit au Travail dans l’Abondance (D.T.A.) représentée par J. Duboin, J. Maillot et Chabridon ;

Mouvement Maximiste (Mar.), représenté par M Berthler ;

Et les jeunes équipes unies pour une nouvelle économie sociale.

PARTICIPANTS AUX DEBATS (à titre personnel) :

M. CaiIIaud, de la Ligue des Droits de l’Homme

M. Francis Delaisi, économiste

M. Maurice Weber, agrégé de l’Université, du Bureau du C.V.I.A. ;

M. Zyromski, de la S.F.I.O.

L’ouverture des débats est précédée d’une courte allocution d’Henri-Claude précisant les raisons qui ont dicté aux J.E.U.N.E.S. la convocation de cette assemblée.

Le président met ensuite en discussion le premier point du questionnaire :

1° Estimez-vous que le capitalisme puisse encore fournir une carriers, ou qu’il soit en train de succomber ?

Après discussion, les motions suivante sont mises aux voix :

1° Le régime capitaliste, caractérisé par la propriété’ privée des moyens de production et d’échange entraînant l’exploitation de l’homme par l’homme, est aujourd’hui irrémédiablement condamné par les contradictions qu’il engendre.

Pour : P.C., ; Frontisme ; P.S.O.P. ; Jne Rép. ; .J.S.R. ; D.T.A. ; Max. ; J.E.U.N.E.S. ; Zyrcanski ; M. Weber.

Contre : F. Delaisi.

2° Il (le régime du profit...) succombe en raison de sen Incapacité à distribuer une production qui pourrait devenir gigantesque étant donnés les moyens modernes de production.

Pour : Frontisme ; P.S.O.P. ; J.S.R. ; Jne Rép. ; D.T.A. ; J.E.U.N.E.S. ; M. Zyromski ; M. Weber.

Contre : P.O. et Max, (qui estiment la texte incomplet - Ils décident d’en proposer un autre à la séance suivante.)

3° L’incapacité du régime capitaliste à fonctionner normalement se manifeste dans tous les pays supérieurement équipés à l’instant où le volume de la production peut croître en même temps que le chômage.

Unanimité P.C. Frontisme ; P.S. O.P. ; Jne Rép. ; JSR. ; D.T.A. ; Max. ; J.E.U.N.E.S. ; M F Delaisi ; M Weber : Zyromski.

4° A ce moment la production est obligée de freiner faute de clients, c’est-à-dire de consommateurs solvables, car en régime capitaliste c’est la production qui solvabilise les besoins des Consommateurs. Plus la production est obtenue par des moyens scientifiques, moins elle distribue de pouvoir d’achat, de sorte que la misère étend ses ravages au moment où l’abondance devrait régner.

Pour : P.C. ; Frontisme ; P.S.O.P. ; Jne Rép. ; J.S.R. ; D.T.A. ; Max. ; J.E.U.N.ES.

Abstention : Francis Delaisi.

5° Les armements massifs sont devenus aujourd’hui une nécessité pour le régime du profit des échanges qui augmente ainsi le nombre de consommateurs solvables sans augmenter parallèlement la production offerte à ces mêmes clients. Les armements dépassent en ce moment les 2 milliards par jour pour la Planète.

Pour : Frontisme ; P. Radical ; P.S. O.P. ; D.T.A. ; Max. ; J.E.U.N.E.S. ; MM. M. Weber et Zyromski.

Contre : J.S.R. (conteste le mot nécessité)

6° Malgré cet énorme appoint, la baisse de ta consommation solvable se poursuit sans arrêt. Unanimité.

7° L’industrialisation progressive des pays détenteurs de matières premières leur, permet de les manufacturer. Les autres pays, anciens vendeurs de produits fabriqués, se voient donc prives de leur moyen d’échange ; II s’ensuit une paralysie progressive dans le commerce international.

Comme sur le plan national il y a coexistence de la pénurie et de l’abondance.

Unanimité.

Le fascisme est la dernière forme que peut prendre le capitalisme avant de s’effondrer.

Pour : P.S.O.P. ; D.T.A. ; J.E.U.N.E.S. et M. Zyromski.

Contre : J.S.R. ; Frontisme : P. Radical.

« Le fascisme semble être la dernière forme... »

Pour : M. Weber ; Max.

Pour mémoire : texte qui avait été proposé par le Frontisme :

L’autorité en matière économique est la dernière forme que peut prendre le capitalisme.

Lorsque les automatismes de l’économie dite libérale ne fonctionnent plus, les oligarchies capitalistes n’ont plus de recours qu’à l’autorité...

Pour : P.S.O.P. ; D.T.A. ; Max. ; J.E.U.N.E.S. ; MM. Weber et Zyromski.

Contre : Frontisme ; J.S R. ; P. Radical (qui estiment que l’autorité peut être utilisée pour juguler les oligarchies).

...En même temps, le fascisme est obligé de considérer de plus en plus l’homme comme un instrument, comme un moyen d’exploitation asservi à l’extrême aux exigences du profit. Dans ce but, il détruit toutes les libertés individuelles, toutes les organisations syndicales libres comme autant d’obstacles à l’abaissement du niveau de vie matériel et moral de tous les travailleurs.

Unanimité.

Le fascisme n’est donc pas seulement le produit de la volonté d’un dictateur ou d’un parti.

Unanimité.

Mais, malgré toutes ces mesures, l’effondrement du capitalisme - même fasciste - se poursuit inexorablement en vertu du phénomène décrit sous le n° 1 et par la force de choses les fascismes sont contraints eux aussi à créer les conditions matérielles qui préparent leur chute.

Unanimité.

Le Socialisme de l’Abondance conciste à réaliser à tout instant le maximum de production possible, étant donné l’état de la technique et les rassources en matières premières et en main-d’œuvre.

Unanimité : Frontisme ; P.S.O.P. ; Jeune République ; Maximisme ; D.T. A. ; J.E.U.N.E.S. et M. Weber.

A organiser le circuit Production-Distribution-consommation de telle sorte que le besoin du consommateur soit l’unique moteur de l’activité productrice.

Pour : Frontisme ; P.S.O.P. ; D.T.A. ; JE.U.N.E.S. ; M. Weber.

Contre : Jeune République ; Maximisme.

A établir un juste équilibre entre la demande de la consommation et les possibilités de la production, afin de réserver aux producteurs le maximum de loisirs compatibles avec l’Etat de la technique.

Unanimité.

A fournir à tous les citoyens les moyens culturels nécessaires à l’expansion entière de leur personnalité.

Unanimité.

Les transformations nécessaires sont la mise en application des principes suivants

1° Travail et chômage doivent être répartis entre tous pour devenir service social et loisirs.

Unanimité.

2° La production devient donc une fonction sociale ce qui supprime l’appropriation privée des moyens de production et, par voie de conséquence, met fin à l’exploitation de l’homme par l’homme.

Unanimité.

3° Le service social, chargé d’assurer la pérennité de la production, deviendra de plus en plus court grâce au progrès technique. C’est le triomphe de l’Humanisme, puisque en possession d’une culture aussi complète que possible tout le monde va pouvoir accéder à la vie supérieure.

Pour : P.S.O.P. ; Jeune République ; Max. ; D.T.A. ; J.E.U N.E.S. ; M. Weber.

Abstention Frontisme (qui réserve son approbation en raison de l’expression « service social », ternie qu’il ne peut accepter sans en connaître au préalable la définition précise).

4° Grâce au service social, l’outillage peut fonctionner sans relâche et fourfir ainsi le, maximum de produits.

Pour : P.S.O.P. ; Jeune République ; Max. ; DTA. ; J.E.U.N.E.S. ; M. Weber.

Abstention : Frontisme (pour les mêmes raisons que précédemment)

Le Socialisme de l’Abondance est-il techniquement réalisable en 1939 ?

MM. Maillot et Duboin font successivement un exposé sur la question.

Après discussion, la motion suivante est mise aux voix :

Le Congrès déclare qu’en 1939, du seul point de vue technique, l’état et les possibilités des moyens de production pourraient permettre la réalisation du Socialisme de l’Abondance dans toutes les Nations supérieurement équipées. Ces possibilités pouvant s’étendre très rapidement au cadre le plus largement international.

Unanimité, moins abstention personnelle de M. Stibbe qui ne se considère pas comme suffisamment convaincu de la réalité de l’Abondance.

Le Congrès décide ensuite de s’ajourner à fin septembre pour permettre à ses membres d’étudier de plus près la question qui fera alors l’objet du débat, à savoir si le socialisme de l’abondance est politiquement réalisable.

Avant de se séparer, les congressistes, sur la proposition de M. Weber, félicitent le Groupement des J.E.U.N.E.S. de l’heureuse initiative qu ’il a prise, initiative qui a dès maintenant obtenu des résultats substantiels et qui doit aboutir à des consequences dont l’importance dans l’évolution du mouvement socialiste doit être considérable.

Nous n’ajouterons rien à ce compte-rendu car les motions votées sont assez éloquentes pour ne pas avoir besoin d’explications, et nous souhaitons aux J.E.U.N.E.S. d’achever en septembre le beau travail déjà realisé.

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Trois livres à lire

27 juillet 1939

Il nous arrive rarement de signaler des productions littéraires. On leur fait par ailleurs une publicité d’autant plus bruyante que le contenu du bouquin est plus insipide ou nocif. Insipide, lorsqu’il flatte lee préjugés invétérés de nos contemporains ; nocif, lorsqu’il porte la signature d’un de ces académiciens qui se font des rentes en pratiquant l’art d’exciter les passions les plus viles et les égoïsmes les plus odieux.

En revanche, quelle admirable conspiration du silence - oui, du silence complet, du silence de la mort - lorsque parait un ouvrage qui cherche à débourrer les crânes ! L’attaquer, le vilipender le défigurer, ce serait encore attirer l’attention sur lui. Alors nos grands critiques littéraires ( ?) se taisent et l’on peut dire que c’est à ce moment-là qu’ils font le mieux briller leur talent.

Trois livres méritent donc ; ces jours-ci, notre attention, puisque personne n’en a parlé.

M. Brèhat publie Scopies aux Editions Denoëlle. Ce sont ses observations journalières sur les événements de l’année. Scopies ! Vous devinez que l’auteur est médecin. Mais c’est un médecin qui a pigé et dont les scopies sont savoureuses. De plus, comme il est partisan de la médecine sociale, il vous apporte un train d’arguments de premier ordre.

Quelques-unes de ses remarques, en marge de l’actualité, seraient dignes de figurer dans l’Abondance, et nous serions heureux de compter le docteur Bréhat parmi nos collaborateurs. Ainsi, entre beaucoup d’autres, il signale les cocasseries des gens qui ne veulent prêter leur argent è l’Etat que si le dernier de leurs sous est employé fabriquer des canons et des munitions. Au point qu’un des récents emprunta a été placé sous les auspices d’un vieux général tout chamarré auquel on a remis, ensuite, la clef du coffre-fort. Quel désastre si l’on avait détourné quelque chose pour donner à manger aux vieux travailleurs !

Continuez, docteur, sans vous décourager, même si votre livre n’a pas la diffusion qu’il mérite.

***

Autre auteur courageux, M. Jacques Mancelle nous invite è faire avec lui un Voyage en Francimanie (Editions Denoëlle). Vous devinez qu’il s’agit d’un pays qui, en pleine abondance, s’entête à vivre comme si régnait la disette bref, d’un pays que nous connaissons, hélas ! trop bien, Mais M. Jacques Mancelle a tellement d’esprit - et du meilleur - qu’il nous fait assister à des scènes du plus haut comique. Je cite par exemple le compte rendu de la fête de l’Agriculture, dans un chef-lieu de canton, dont le clou consiste è, brûler la récolte de blé. Impossible de ne pas corser le programme des discours du Préfet, du Sénateur - président du Conseil général et de toutes les légumes locales, si j’ose dire. - Alors, vous vous cloutez bien de tout ce clue ces gens vont raconter ! Ils vous servent toutes les sornettes orthodoxes, mais avec tellement de naturel inconscient que la charge est presque inexistante. M. Jacques Mancelle est un observateur déluré qui vous campe des personnages criants de vérité.

Je jure que le Préfet peut être tiré a un millier d’exemplaires et placé à la tête de n’importe quel département. Quant au Sénateur-président du Conseil général, il serait chez lui dans toute cérémonie officielle tant il sait pétrir la pate électorale comme le plus roué de nos pères conscrits. D’ordinaire, ce galimatias n’est qu’un ronronnement agréable qu’on goûté particulièrement la distance où les mots ne sont plus perceptibles, male comme ici l’on cherche à justifier les folies économiques de nos dirigeants, il devient de la bouffonnerie dont on serait désolé de perdre une miette.

Tout le livre est écrit dans cette forme alerte et primesautière. Comme vous faites le voyage avec quelques joyeux drilles originaires d’un pays ou l’on reconduit à la frontière, non pas les travailleurs qui cherchent du travail, mais les économistes distingués qui en vantent l’éternelle nécessité, vous devinez qu’ils ne vous laisseront pas (les joyeux drilles !) vous morfondre une seconde.

A lire et à faire lire aux Cranes, bourrés.

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A la Maison des Intellectuels (22. avenue de l’Opéra), M. Bernard Malan pubile la Religion du Bonheur. L’auteur, industriel, n’est pas un Inconnu pour nos lecteurs puisqu’il nous a donné récemment un article de premier ordre sur le mirage de cette fameuse liberté dont on nous rebat les oreilles. La liberté, en effet, existait dans la forêt de Bondy C’est pour cela qu’il était assez périlleux de s’y aventurer.

M. Bernard Malan consacre 350 pages, en véritable disciple d’Epicure, à montrer que le bonheur est la fin dernière de l’homme. Il explique que ce dont les hommes souffrent le plus c’est de ne pas savoir où ils vont, ou, s’ils le savent, c’est le plus souvent parce qu’ils ont une fausse conception du bonheur. Et la difficulté c’est de les convaincre qu’ils font fausse route.

M. Bernard Malan dans un premier livre, Eloi ou la technique du bonheur, avait imaginé des jeunes gens instruits, et de nationalités différentes, lancés à la recherche du bonheur parmi tous les obstacles que dresse la vie moderne. Ils interrompaient leur vie aventureuse pour discuter entre eux, rie loin en loin, ce qui leur permettait de faire le point.

Dans le nouveau livre, nous retrouvons nos personnages, mais ils discutent constamment, grace à l’appoint d’une documentation plus riche. Par ce procédé, l’auteur trouve moyen d’exposer complètement sa these sans rien laisser dans l’ombre, tout en maintenant l’intérêt dans un débat qui, a priori, apparaît très aride au lecteur moyen.

En fin de compte, l’auteur prêche la réconciliation qui lui apparaît inévitable dès que les hommes auront compris que c’est d’elle que sortira le bonheur de tous. Ecoutons-le :

Ce geste, capable de réconcilier les hommes, ce n’est pas du monde politique qu’il pourra s’élever, qu’il soit démocratique ou autoritaire Pour éveiller les grands espoirs unanimes, ce geste ne saurait être que religieux. Car seule, en effet, une religion a le pouvoir de « relier » les êtres dans une foi commune et de susciter les sacrifices sans lesquels rien de noble ni d’important ne saurait s’accomplir. Si l’on songe aux innombrables ferveurs qui s’élèvent chaque jour des foules humaines, en supplications ou en actions de grâce, vers les dieux mystérieux et divers qu’elles se sont donnés, on ne peut être qu’ému par l’idée des immenses forces ascensionnelles qui, se développent ainsi et peut-être se perdent dans le néant. Que par miracle ces forces soient simultanément captées et dirigées en un prodigieux faisceau, vers une divinité nouvelle, et celle-ci se trouvera disposer incontinent d’un irrésistible courant d’énergies créatrices. Et si : cette divinité privilégiée pouvait être ; l’humanité elle-même ou plutôt l’image d’une humanité heureuse, telle qu’elle devrait le devenir, on verrait, grâce à ces énergies immenses et impatientes, s’opérer de merveilleux progrès dans le royaume terrestre qui deviendrait bientot, par l’effet d’une sorte de rédemption, le paradis retrouvé.

On voit que M. Bernard Malan défend la même cause que nous : à savoir qua le bonheur de chacun ne pourra être trouvé que dans le bonheur de tous. Disciple d’Aristote, d’Epicure et des utilitaristes, on sent qu’en économie politique l’auteur et un admirateur de Fourier. Ce n’est pas nous qui l’en blâmerons. Tout au plus n’insiste-t-il pas assez sur l’absence d’option qui caractérise, selon nous, l’époque actuelle. Ou les hommes régresseront, ou ils auront un bonheur collectif : il n’y a pas possibilité de s’en tenir au statu quo.

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L’insigne de l’abondance

27 juillet 1939

C’est le symbole d’alliance de tous les êtres humains de bonne volonté, unis pour hâter l’ère de l’Abondance.

Au centre de l’« A », figure le signe « + » (plus) représentant l’Abondance par opposition au signe« - » (moins) qui est celui de la disette.

Quand vous rencontrez cet insigne, sachez qu’il est porté par un artisan de votre libération.

« Le Droit au Travail » expédie cet insigne (écusson bleu, lettre et filet or), franco contre 10 fr.

L’ennemi de l’abondance est l’ennemi de l’homme

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Actualités

Congrès annuel du Droit au Travail dans l’Abondance

27 juillet 1939

Notre Congrès annuel s’est tenu à Paris, dans un amphithéâtre de la Sorbonne, les 1er et 2 juillet 1939.

Un grand nombre de sections de Paris et de province étaient représentées et de nombreux camarades ont pris part aux débats.

La première séance s’est ouverte à 14 heures. Notre camarade Decroix fut lu président par acclamation les camarades Chabridon et Converset furent nommés secrétaires-scrutateurs.

Après justification des pouvoirs, Decroix a cédé la présidence à Converset pour donner lecture de son rapport sur l’activité de notre groupement.

RAPPORT DECROIX

Mes chers Camarades,

Il m’échoit à nouveau la fastidieuse mission de vous promener quelques courts instants dans le domaine comptable où cascadent les unités moribondes dont nous sonnons le glas depuis six ans.

Oh ! nous ne méconnaîtrons pas la vitalité apparente et prolongée desdites unités.

La pharmacopée financière dispose de ces stimulants qui renflouent les valeurs déficientes selon des principes employés par ailleurs à des fins toutes différentes.

Nonobstant, s’il est vrai que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, il lui arrive à revers de ne pouvoir prendre que ce qu’on lut donne.

Nous devons donc à la lumineuse bonne volonté de nos contemporains de vous rendre compte aujourd’hui de notre activité considérée sous l’angle d’un système comptable officiel dont les unités dopées appartiennent désormais au domaine des paradis artificiels.

J’ai l’impression de reprendre, après l’avoir, terminé hier, le compte rendu financier que je vous al développé l’an dernier. Je vous proposais de ménager notre monture, faute de pouvoir en changer le conseil a été sagement suivi et le dernier exercice - compte tenu des événements que nous vivons - n’a pas cette allure de catastrophe que des esprits chagrins auraient pu imaginer.

Que nous soyons en déficit n’étonnera personne Nous n’avons, en effet, jamais eu l’allure d’une société de capitalisation Cependant, si par impossible l’un d’entre nous sentait poindre quelques regrets, qu’il se console en pensant que pour la première fois depuis sa fondation, notre institut d’émission, laminé par une politique de prestige, ne fera pas de report à nouveau.

Nous sommes donc entre gens de bonne compagnie et ma tâche est élémentaire. J’ai éprouvé quelques scrupules en prenant mon stylo pour vous commenter un compte rendu de gestion, un bilan et des observations présentés avec clarté par notre ami Ruby, vérifiés avec compétence et soin par vos commissaires au Compte.

Ces documents se suffiraient amplement à eux-mêmes. Il a fallu l’insistance amicale de Duboin et le secret désir de bavarder un peu avec vous, pour vous faire subir le présent développement.

Dans les observations présentées par la trésorerie sur la gestion et le bilan 1938, vous avez vu qu’une chute de 5.500 francs de nos ventes de librairie était compensée, par une augmentation du poste « Ventes Journal », même en tenant compté d’une rentrée exceptionnelle dont il convient de ne pas escompter le renouvellement.

Les postes « Cotisations » et « Dons » traduisent une augmentation réconfortante dans les mois que nous vivons.

Les dépenses nous font apparaître le gros effort accompli par notre équipe du journal qui compense une dépense de 74.000 francs par une recette de 81.000. Si l’on se reporte à la gestion précédente qui accusait 56.000 fr. de recettes et 85.000 fr. de prix de revient, on constate malgré la hausse des prix, l’heureux aboutissement des efforts de nos camarades.

Les frais de gestion ont augmenté de 8.000 fr., mais en se reportant à l’accroissement de nos budgets particuliers nous ne pouvons nous en étonner.

Le bilan ne nous apprend rien que nous ne connaissions déjà l’an dernier. Le déficit des gestions antérieures ne s’est pas amélioré, puisque l’exercice 1938 est lui-même déficitaire.

En bref, nous avons tenu dans le plan comptable une place que plus d’une collectivité à la recherche de profit souhaiterait trouver. Bien entendu, il faut trouver la cause de ce miracle dans le dévouement de tous nos amis, dans le désintéressement qu’ils apportent au service de notre idéal et dans la fertilité de certains cerveaux d’organisateurs aux idées intelligentes et toujours fécondes.

Ainsi donc, avec un mouvement de fonds de 130.000 francs dans l’armée, nous pouvons constater que, par affiches, tracts, conférences, nous avons remué l’opinion plus que n’ont pu le faire d’autres groupements disposant de millions. Cela prouve que si l’argent peut encore troubler des intelligences averties qui violentent délibérément leur conscience pour quelque poste avantageux, ou certaine rosette tentatrice, son destin est impuissant désormais à masquer la fulgurante vérité des faits.

Et puis, ceux qui se vendent après avoir défini scientifiquement en raison même de leur culture, la précarité de la cause qui les achète, son essoufflement sénile et son monstrueux aboutissement, peuvent-ils avoir le dynamisme d’une foi comme la nôtre, se vérifiant implacablement de jour en jour, de mois en mois, d’année en année ?...

On peut retarder par incompréhension ou par calcul l’avènement de l’Abondance. On s’y emploie d’ailleurs désespérément. On ne peut pas la juguler sans un effondrement mondial de la civilisation.

Tant que subsistera un cerveau humain meublé des possibilités de notre ère tant qu’en un point quelconque de notre globe se réfugieront les données techniques des machines et de l’énergie conquises, on pourra déchaîner sur le reste de l’humanité les plus épouvantables cataclysmes, l’Abondance renaîtra du foyer oublié ; Que l’on s’en félicite ou qu’on le déplore, le fait est indéniable ; il est de plus Indiscutable pour les hommes cultivés et de bonne fol.

Hélas ! il est pénible aussi pour ceux de nos contemporains qui étalonnent leur bonheur sur la misère des autres. Pour ceux-là tout est bon, même l’horrible, pour lutter contre cette égalité économique que le progrès scientifique impose aux hommes.

Nous pourrions nous gausser des efforts ridicules de ces nautoniers fiers comme les gnomes de Paracelse auprès de leur trésor et dont le ton doctrinal ou suprêmement ironique pretend traduire la vie quand la mort se précise.

Nous devons veiller, hélas aux ré- flexes dangereux de ces mal-bâtis dont les oeuvres contre nature nous prépa- rent d’effrayants lendemains.

Les mois que nous vivons sont pla- cés sous le signe de l’hypocrisie et de l’épouvante.

Plus particulièrement depuis septem- bre 1938. l’incohérence submerge notre entendement logique. Nous vivons comme la girouette prétentieuse des sommets soumise aux vents contraires, mais bien incapable d’une progression dans un quelconque azimut. Notre opinion publique flotte au gré des souffles intéressés que lancent la presse et la radio. On joue de la grande peur qu’on érige en système.

Sur le plan politique, les contradictions internes ridiculisent les Congrès politiques. Devant les problèmes ardus de l’angoissante actualité l’unique ambition de ces assemblées d’un autre âge est la rédaction d’une motion vide de substance. Il faut, en effet, réunir, a n’importe quel prix, une majorité sur un texte, et les chefs de tendance penchent, leurs fronts humides sur des termes hypocrites et vagues qu’ils triturent douloureusement.

Sur le plan économique et financier, c’est l’évolution rapide de l’incohérence vers l’absurde. C’est la négation du bon sens, la création continue du fantasque, de l’irréel et de l’odieux, bouleversant la compréhension, démembrant la logique, mais génératrices de doute, de trouble, d’abandons et de crainte.

Sur le plan social, c’est la récupération avide et vengeresse des concessions léchées dans la surprise et dans la peur. C’est le retour offensif vers l’exploitation de l’homme. C’est la peine humaine qui, à nouveau, doit suer du profit ou crever de misère.

Le travail humain glorifié par nos pères, c’est désormais l’outil de mort qui l’accapare en prolongeant par une effrayante antinomie la vie du régime capitaliste.

C’est aussi le masque hypocrite des lâchetés d’un système qui laisse crever de faim les vieux travailleurs après avoir ruiné leur épargne et toléré la stagnation révoltante des règlements d’assistance d’une autre ère dont les coefficients de secours font rougir les initiés.

C’est la voix pitoyable des chômeurs qui demandent par affiches la permission de manger le dimanche.

C’est l’opposition du gouvernement à la Commission législative quand on propose l’augmentation des « rentes » des victimes du travail et... des compagnies d’assurance.

Sur le plan juridique, c’est la naissance des décrets-lois à une cadence que seule pourrait concurrencer la reine pondeuse des termitières.

Ces lois hâtivement établies, se heurtent, s’annulent, se contredisent. Leur existence est si brève qu’on connaît parfois en même temps leur naissance et leur mort. La décret-loi du 7 mai 1939 sur le chômage comporte à son article n° 159 l’abrogation de vingt et un décrets qui l’ont précédé sur la question, et le dernier en date n’était que du 20 mars de la même année.

C’est le calfatage précipité et inutile d’un bâtiment qui sombré. C’est le naufrage sans remède auquel nous condamnent des capitaines imprévoyants ou complices.

Devant ces forces qui s’agitent vainement et contradictoirement, nous répétons notre credo sans y rien changer. Nous demandons aux hommes affolés de marquer un temps d’arrêt, et à l’exemple d’un militaire célèbre de se poser la question « De quoi s’agit-il ? »

Puis nous les invitons à se tourner vers nous avec tout leur esprit critique, leur philosophie, les dogmes de leur confession, leurs idées saines sur la morale, les arts, tout ce qui forme enfin une personnalité humaine caractérisée. Nous ne leur demandons pour juger notre thèse que leur bonne foi, elle nous suffit toujours pour conquérir leur intelligence et leur coeur.

A cela s’emploient quotidiennement ceux qui vous ont groupés ici, ceux qui vous parlent dans les conférences, ceux que vous lisez dans « L’Abondance ». Et puis aussi tous les autres dont le travail obscur contribue à notre existence, et qui jamais ne bénéficient du spectacle réconfortant d’une salle enlevée, conquise par un orateur heureux. A tous ces humbles qui assurent de leur mieux et avec discrétion la diffusion de nos idées, je veux avant tous autres adresser notre chaleureuse reconnaissance. Ce sont les bons ouvriers sans lesquels orateurs et journalistes ne pourraient porter leur effort.

Et cet effort n’est jamais mesuré.

C’est ici notre Président qui aurait dû garder la chambre, il y a peu de semaines encore, et dont les cordes vocales réclamaient un impérieux repos. Il était pourtant à sort bureau, pour convaincre et animer et aussi... pour secouer au téléphone ceux de ses collaborateurs qui ne donnaient pas toute leur mesure.

C’est un Jean Maillot qui a don d’ubiquité et un optimisme contagieux comme la peste. Il a aussi un secret de Jouvence dont l’heureuse formule est une alternance d’aspirine et de Beaujolais.

C’est un Jules Leclerc à l’esprit toujours en éveil - jugeant les faits sous l’angle favorable à l’Abondance - et réalisant avec nos moyens réduits des prodiges de propagande. Vibrant et chatouilleux comme à vingt ans, les années n’ont pas de prise sur lui et les échecs se lassent de sa persévérance.

C’est lui qui assure le dur métier de la mise en page de "Abondance, et j’ai trop longtemps enduré le supplice du rédacteur en chef de journaux d’opinion pour ne pas lui témoigner ici ma reconnaissance pour son activité intelligente et dévouée.

C’est encore lui le « Père » des « Compagnons de l’Abondaace » dont les initiatives généreuses calment les angoisses de notre bon Ruby quand ses bras, ses sourcils et ses moustaches lancent le signe de détresse.

Et puis, il y a tous ceux qui forment à travers la France cette admirable équipe de propagande, disposant de moyens infimes, mais animés de cette foi qui soulève les montagnes de l’indifférence et du scepticisme.

A tous merci de vos effort. et de votre action bénévole, des sacrifices de temps et d’argent que vous vous imposez pour que les aveugles et les sourds connaissent plus tôt un bonheur matériel auquel ils s’obstinent à tourner résolument le dos.

Avant de vous quitter, je veux vous conter un fait fréquent, mais dont on ne perçoit pas toujours les réconfortantes incidences.

Il y a quelques semaines, en banlieue, un organisateur s’excusait avec son équipe du public peu nombreux pour lequel il m’avait sollicité. Bien entendu je me suis efforcé de consoler ces excellents amis, mais ce qui m’a le plus frappé dans leurs propos, c’était l’oubli absolu de leur propre peine. Ils ne pensaient plus aux affiches posées, aux convocations rédigées, mises sous enveloppes, portées à domicile, aux frais engagés. De tout ce travail qu’ils avaient arraché à leur repos et à leurs loisirs, restait la préoccupation dominante du déplacement d’un camarade de combat pour un auditoire réduit.

En les quittant, e pensais qu’avec de tels hommes animés d’une semblable générosité, il serait aisé de créer dans l’enthousiasme une civilisation propre et belle, qui flous réconcilierait enfin avec nous-mêmes.

J’évoquais alors le témoignage des voyageurs qui nom montrent les yeux du monde désemparé fixés sur la France comme sur le foyer dont on attend le salut.

Aussi bien sans nul souci de ridicule, je laissais renaître en moi des profondeurs de mon enfance la fierté d’une patrie qui serait Intelligente et humaine.

Elle ne serait plus le champ de manœuvre des agioteurs de tous ordres.

On ne canaliserait plus les élans de son naturel généreux et sensible dans les fossés malodorante d’une presse vénale et bête.

On ne lancerait plus ses enfante les uns contre lés autres en agitant criminellement des idées fausses ravalant l’individu à se instincts de la préhistoire.

On ne briderait plus stun cette légèreté heureuse de vivre, éprise de liberté et de fantaisie, mais aimant à constater le bonheur autour d’elle.

C’est à ce moment que je voyais s’accomplir la reconciliation que flous appelons tous et dont les augures douteux font adroitement leur cheval de bataille.

Nous ne pourrons toutefois retrouver cette union souhaitée qu’en dehors des politiciens repus ou affamés et sur des principes qui ne s’opposeront pas à la science et au bon sens.

Nous serons à nouveau des hommes aptes à la Vie en société quand nous n’ aurons plus la honte de nos actes individuels et collectifs, quand nous aurons retrouvé la foi dans la destinée humaine, quand nous cesserons cette existence Inutile à la petite semaine.

Qu’un peuple sache où il va, qu’on lui enlève les ferments de haine et d’oppression que la conquête d’un profit exsangue distille chaque jour, qu’il ait la certitude que les jeunes travailleront gaiement et que les vieux se reposeront dignement, son dynamisme sera de telle nature que sa sécurité sera assurée.

Si cependant, contre toute vraisemblance, un voisin désaxé précisait une menace, la question se résoudrait â quelques heures de travail supplémentaires par semaine et par individu.

L’emploi de toutes les ressources mécaniques de la nation, de toutes les énergies disponibles permettraient - s’effectuant en dehors du prix de revient - de porter le potentiel de défense â un niveau tel que les plus fous d’entre les fous n’oseraient tenter la grande aventure.

Et les jeunes camarades de banlieue n’ont jamais Soupçonné qu’en rentrant chez moi, leur amicale attitude me fit considérer avec une confiance accrue les rayons de ma bibliothèque où s’affirment, volume par volume les prémices d’un Monde Nouveau. »

Le Congrès applaudit chaleureusement ce magnifique exposé et décida, à l’unanimité, que le rapport Decroix serait inséré in-extenso dans l’Abondance.

Decroix reprend la présidence et donne la parole à Leclerc pour lecture de son rapport sur la propagande.

RAPPORT LECLERC

Mes chers Camarades,

Je viens vous faire le compte rendu sur la propagande au cours de l’année 1938.

Je serai bref, car il est préférable d’employer surtout notre temps à la critique des expériences passées, afin d’en tirer leçon pour dresser le plan d’action de notre prochaine saison de propagande. Je mue bornerai donc à énumérer les faits saillants de notre activité pendant 1938. Les voici :

PROPAGANDE PAR L’ECRIT

1° Journal.

Le tirage de la Grande Relève a été bimensuel jusqu’à fin juin. En juillet, un numéro special est tiré à six pages et sert à nos camarades pour faire la propagande sur les problèmes du blé, du vin et de la pêche maritime. Nous ne paraissons pas en août. Le 26 septembre notre journal devient l’Abondance, suivi, en sous-titre, de La Grande Relève des Hommes par la Science. En novembre, un numéro spécial, destiné à diffuser la thèse de l’abondance, est tiré à 30.000, sur lesquels il ne reste plus à l’heure actuelle que 5.000 exemplaires.

J’ai le plaisir de vous annoncer qu’avec l’appui des « Compagnons de l’Abondance » nous espérons reprendre, en septembre prochain, la parution bimensuelle de notre journal l’Abondance, Merci à ces amis, dont le soutien financier nous a été des plus précieux pendant 1938.

2° Livre.

En février 1938, un nouveau livre de notre président : Lettre à tout le monde, est édité chez Fustier. Cet ouvrage traite de la nature des réformes de structure et de la constituante.

3° Affiche.

En mars 1938, une campagne par affiches de grand format (2 m. 40 x 1 mètre 60) a intéressé très vivement le public, mais n’a pas donné de résultat appréciable en ce qui concerne les adhésions.

4° Message.

En février une plaquette dc 16 pages intitulée : Message des membres du Droit au Travail, est éditée pour permettre à nos auditeurs de conserver par devers eux le texte du message émis par disque lors de nos conférences.

Sur un tirage de 4.300 plaquettes, il ne nous en reste plus que 1.300.

5° Timbre.

En juillet, nous avons fait éditer des timbres de propagande dont il reste un stock assez important. Avis à tous ceux qui peuvent aider la trésorerie en achetant ces timbres, dont le prix de vente, à partir d’aujourd’hui, est ramené à 2 francs le carnet de 3 timbres.

PROPAGANDE ORALE

1° Radio-phono.

Notre président a pu parler deux fois à la radio, et sa première causerie, faite au poste des P.T.T., a été enregistrée. L’audition de cette conference, intitulée L’Abondance, comporte deux disques. Le Message des membres du Droit au Travail a été également enregistré sur disque.

Il nous reste encore 90 de ces disques sur une édition de 270. Je vous rappelle que ces documents parlés sont cédés au prix de 15 francs le disque. Achetez-les et faites-les acheter et entendre partout.

2° Conférences.

Nos camarades ont organisé de très nombreuses réunions de propagande dans les milieux les plus divers, au cours desquelles notre président et Jean Maillot, l’infatigable, se sont dépensés sans compter.

En mars 1938, une grande conférence est organisée à la salle Wagram par les sections d’entreprises. Par la suite, profitant de notre campagne par affiches de grand format, nous avons créé La Tribune de l’Abondance, salle Poissonnière, 7, rue du Faubourg- Poissonnière, en plein centre de Paris. Nous y avons déjà donné 19 conférences, dont 6 d’avril à juin 1938. Les auditeurs y viennent de plus en plus nombreux.

CONCLUSION

Considérant nos faibles ressources, nous avons le sentiment d’avoir tiré le maximum de rendement des moyens de propagande dont nous disposions.

Malgré les mesquineries d’une certaine presse, la passivité et l’apathie des foules depuis les événements de septembre dernier, je reste optimiste pour demain, car l’Abondance ne peut pas ne pas triompher de la bêtise.

Ayant - grâce à notre président - capté la lumière notre devoir est de continuer à la répandre dans tous les milieux, afin que les hommes voient l’avenir magnifique qui s’offre à eux.

Mes chers camarades, accentuons nos efforts !

Voici, pour terminer, un moyen de pouvoir intensifier considérablement notre propagande : que tous nos membres, amis et sympathisants, abandonnent, en 1939, une journée de salaire pour hâter l’ère de l’Abondance.

Qui veut la fin veut les moyens

***

La fin de ce rapport est particulièrement applaudie, et le Congrès, à l’unanimité, décide que le rapport du camarade Leclere sera publié in-extenso dans l’Abondance.

Le camarade Beslin donna ensuite lecture de son rapport sur le journal, il fut adopté, comme les deux autres, à l’unanimité.

Une discussion générale sur la propagande s’ouvrit alors, à laquelle nos camarades Pargoire, Regreny, Delannoy, Sarger et Duboin prirent part. Elle se termina par la nomination d’une Commission chargée de rechercher les moyens de donner satisfaction à tous les abonnés de l’Abondance et à en augmenter le nombre.

Furent élus membres de cette commission : les camarades Pargoire, Regreny, Dupoux et Duplessis.

Une discussion s’engagea alors sur le fonctionnement des sections de province. Il a été décidé, sur l’intervention de notre camarade Rimli, que celle de Marseille deviendrait un centre régional auquel on donnerait les facilités administratives dont bénéficie le centre.

Avant l’examen des motions, le Congrès élut son bureau permanent pour l’exercice à venir. Sont élus : Duboin, président, et Maillot, secrétaire général ; membres : lea camarades Sour, Chabridon, Charpentier, Colmar, Converset, Decroix, Frottier, Garnet, Gauchet, Heurgué, Jaworski, Leclere, Pargoire, Pétrin, Poncin, Regreny, Rolf, Sarger.

La discussion s’est engagée ensuite sut la création d’un bulletin d’inter-sections. Les camarades Rimli, Poncin et Duplessis prirent la parole et le Congréa adopta à l’unanimité une resolution invitant les sections à prendre une part active à la diffusion de ce bulletin.

Le camarade Sarger exposa ensuite des vues très intéressantes pour intensifier la propagande  ; la section de Boulogne-Billancourt, sur la propagande particulière à faire auprès des techniciens ; la section du Raincy-Villemomble, sur l’avantage que procurerait la fusion de l’Abondance et du journal Libération, organe des J.E.U.N.E.S.

Toutes ces motions, ont été renvoyées à l’étude du bureau permanent, et le Congrès a clos sa première séance en décidant qu’un déjeuner amical serait organisé après la séance matinale du lendemain.

La seconde séance, présidée par notre camarade Rolf, a été consacrée, en partie, à la discussion des motions présentées par la Fédération des sections de la rive gauche l’une, relative au plan de campagne 1939, l’autre, à l’organisation de la paix.

Au cours d’une longue et intéressante discussion, il est fait allusion au Congrès de la Chambre de commerce internationale, qui se tient en ce moment à Copenhague, et notamment à une déclaration de l’industriel Italien Pirelli, à savoir : « Que nul n’ignore la profonde stupidité d’un phénomène tel que celui de la misère dans l’abondance qui dénonce évidemment un défaut de fonctionnement du mécanisme économique mondial. »

A la lecture de cet aveu, le Congrès, sur la proposition de Leclerc, décide de télégraphier ses félicitations à la Chambre de commerce internationale pour avoir enfin découvert que la paix ne pouvait s’édifier que dans l’abondance.

Une longue discussion s’engage ensuite - et la place nous manque pour en rendre compte - sur différents prolets concernant la propagande. Elle se termine par le renvoi de toutes les propositions au bureau permanent.

Le camarade Cacheu, justement préoccupé du travail qui incombe au siege, propose de créer, au sein du D.T.A., un embryon de service social auquel s’astreindraient les camarades disposant d’un peu de loisirs. Cette proposition est votée d’enthousiasme et le bureau permanent est chargé de la mettre en pratique.

Notre camarade Chabanon, élève à l’Ecole normale supérieure, rend compte de l’état d’esprit actuel dans le monde des étudiants.

Enfin, Jacques Duboin prend la parole, résume les débats et, en fin de seance, la motion qu’on va lire clot le Congrès ordinaire de 1939.

MOTION VOTEE A L’UNANIMITE

Les membres du « Droit au travail dans l’Abondance », réunis en Congrès annuel le 3 juillet 1939 :

« Dénoncent une fois de plus les limitations apportées à la production, les destructions de produits agricoles, les primes à l’exportation et toutes les mesures d’assainissement des marchés pratiquées dans le monde, dans le but de raréfier les produits et de maintenir artificiellement le régime du profit ;

« Constatent que la seule abondance tolérée est celle des armements dont l’accroissement de plus en plus rapide dans tous les pays modernement équipés mesure l’effondrement du régime des échanges et précipite les peuples dans line catastrophe sans précédent. »

« Rappellent que le chef actuel du gouvernement reconnaissait, dès novembre 1936, que nous étions parvenus à une époque où le monde a été formé, où la science a fait éclater la nature, et où le seul problème était celui de la répartition de l’abondance et de la distribution des produits. Qu’il est donc invraisemblable que cet homme d’Etat, parvenu au pouvoir sur un programme aussi net, en prenne constamment et systématiquement le contrepied ;

« Qu’il est vain d’ajourner les réformes nécessaires, sous prétexte que des menaces de guerre nous obligent à observer la plus stricte passivité ;

« Qu’en effet, toutes les nations supérieurement outillées souffrent de la même paralysie des échanges qui, en les privant d’exporter leurs produits fabriqués, les placent dans l’impossibilité de se procurer des matières premières ; de sorte que la tension extérieure n’est, en définitive, qu’une conséquence du délabrement de l’économie interne de toutes les nations.

« Invitent le gouvernement français, au moment où il s’attarde dans l’admiration des hommes de 89, à prendre l’initiative d’une Conférence Internationale, où les problèmes économiques seront examinés sous leur aspect réel et non plus sous celui du mercantilisme dont la faillite est définitive ; qui préparera la réconciliation des peuples en leur fournissant les moyens d’avoir tous accès à l’abondance ; et qui essuiera ainsi aux générations futures cette paix bienfaisante à laquelle aspirent les hommes dignes de ce nom, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur patrie. »

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Destructions de richesses

27 juillet 1939

Victoire de destructeurs

Les Américains sont contents. Ils tiennent enfin de remporter une première victoire contre la hideuse abondance de coton. Les surfaces ensemencées pour la campagne 1939-1940 sont tombées à leur niveau le plus faible depuis 40 ans. Il faut en effet retourner à l’année 1899 pour trouver des surfaces ensemencées aussi faibles. On espère même qu’au moment de la récolte les surfaces plantées auront encore diminué car certains terrains sont toujours abandonnés au cours de la campagne.

Devant de si belles perspectives de rareté, la joie s’est emparée de la Bourse de Liverpool et les prix (en style boursier) se sont raffermis. Malheureusement les excédents de récoltes antérieurs pèsent toujours très lourdement sur le marché.

Quel dommage !...

L’émulation dans la sottise

En matière de lutte contre l’abondance, les jeunes nations d’Amérique n’ont plus de leçons à recevoir de leur sœur aînée, l’Europe. Ainsi, en Argentine, il ne s’agit plus de limiter la plantation du maté, ni de procéder à l’arrachage de plants. Ce stade, quoique toujours en vigueur, est aujourd’hui dépassé.

D’après la nouvelle réglementation, les arbustes de plus de 4 ans ne devront produire cette année que 300 grammes chacun de maté. Le surplus devra être détruit. Il faut ajouter d’ailleurs que l’année dernière ces plants ne devaient rien produire.

Ainsi l’Etat Argentin non content de régler la production de chaque proprié- taire va maintenant analyser l’ âge de chaque plant et autoriser la production en grammes. A quand le calcul de l’âge de chaque ceps et l’expertise sur le nombre des grains qu’on peut récolter sur chaque grappe. Si le ridicule pouvait tuer, la moitié du monde serait foudroyée.

Le crime universel

Les organismes représentatifs de l’industrie cotonnière britannique continuent à étudier divers projets destinés à améliorer la situation de cette industrie. Le dernier de ceux-ci porte sur la suppression des métiers à tisser en excédent.

En effet, vu la réduction de l’activité de l’industrie cotonnière britannique, et plus particulièrement la baisse de ses exportations, le nombre des métiers existant dépasse sensiblement les besoins (solvables). On estime qu’il y aurait actuellement environ 60.000 métiers en trop, sur un total de 480.000.

Le projet mis sur pied pour la destruction de ces métiers est analogue à celui qui est appliqué depuis trois ans dans les filatures, où la situation est semblable et OÙ il y a un excédent considérable de broches à filer. Il s’agit de créer un comité de rachat qui, grâce au produit d’une taxe sur tous les métiers existants, rachèterait les métiers en surplus, les détruirait et les vendrait à la ferraille.

Malgré l’amélioration qui s’est produite dans l’industrie textile, par suite des importantes commandes par le gouvernement pour l’armée, l’activité des usines reste très inférieure à leur capacité de production et l’entretien des métiers utilisés constitue une charge sérieuse pour les entreprises. La suppression de l’excédent d’outillage déjà réalisé en grande partie en ce qui concerne les broches à filer, permettrait sans doute de réduire les prix de revient et ainsi de faciliter les exportations.

La Commission d’Alsace-Lorraine de la Chambre de Commerce, accompagnée du préfet du Haut-Rhin et de nombreux parlementaires a visité un certain nom- bre d’usines textiles de la région de Mulhouse.

Elle a manifesté sa très grande émotion à voir des usines, dont plusieurs étaient pourvues d’un outillage très récent, actuellement arrêtées ou en cours de démolition. Certaines usines qui occupaient, en 1930, 3.500 ouvriers sont actuellement complètement fer- mées. Le nombre des ouvriers a dimi- nué de 54 %.

(Journée Industrielle, 27 juin 1939).

La grande peur des hommes

A lire certains articles de presse, on se demande si nos contemporains ne sont pas devenus fous. La terreur que devait éprouver nos ancêtres devant une inondation ravageant leur récolte ne devait pas être pire que celle éprouvée par nos contemporains devant les perspectives d’une récolte abondante.

Du Ministre, aux agriculteurs, en passant par les journalistes spécialisés, c’est la même hantise.

Lisez cette prose rageuse parue dans « L’Agriculture de l’Ouest », paraissant à Angers, en date du 23 juin 1939 :

« La campagne 1939 s’annonce sous un bien, mauvais jour. Qu’il s’agisse de fruits, de tous les fruits, ou de légumes, on est en droit de s’attendre à une très forte récolte. »

« Une récolte dépassant les besoins de ici consommation ».

Admirez l’assurance de l’auteur. Sa consommation à lui est certainement assurée, par conséquent celle des autres l’est aussi. Il oublie d’ajouter à consommation le mot solvable. Si le mot solvable l’effarouche, qu’il vienne faire une enquête parmi les fruitiers de Paris. Le premier venu lui expliquera que, faute de solvabilité de sa clientèle, celle-ci ne peut satisfaire à ses besoins qui sont cependant bien grands.

« Une récolte dont nous avons depuis des mois dénoncé les risques et dangers aux pouvoirs publics ».

Danger d’abondance de produits bien entendu !

Comment y parer !

Suit une liste de réformes tendant toutes à réduire la production, cloisonner les producteurs, empêcher l’importation, favoriser l’exportation, bref un ensemble de mesures propres à nous ramener à l’époque de Louis XV ou à nous mener tous à l’asile de Saint-Maurice.

Quant à entrevoir une autre forme de Société où les produits de la terre seraient produits pour être consommés, et leur abondance un bienfait, vous chercheriez en vain, vous ne trouveriez rien, rien. Ce serait trop exiger.

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L’abondance au Maroc

27 juillet 1939

Elle fait son entrée triomphalement et déborde de tous côtés comme en témoigne l’envoyé spécial de la « journée Industrielle » dans un article paru le 27 juin et que nous reproduisons ci-après :

Les dernières récoltes ont été magnifiques. Celles de l’exercice précédent avaient déjà été bien au-dessus de la moyenne. Celles actuellement en cours les dépassent de très loin. En blé tendre on passe de 2.650.000 quintaux à 3.800.000 ; en blé dur, de 3.650.000 à un peu plus de 6.000.000 en orge, c’est encore bien mieux : de 10.850.000 quintaux, on saute en douze mois à 20 millions 500.000 quintaux.

Ce qu’il faut noter, c’est que non seulement le rendement à l’hectare est passé, en blé par exemple, de 7 à 9, mais encore que les superficies cultivées sont toutes très sensiblement supérieures aux années précédentes.

En blé dur, elles sont passées de 836.000 hectares à 854.000.

En blé tendre, de 375.000 à 419.000.

En orge, de 1.600.000 à 1.980.000.

Nous ne sommes donc pas seulement en présence d’un rapport exceptionnel dû à des circonstances climatériques anormales, mais à une progression constante des méthodes de culture en même temps qu’à un élargissement incessant de l’activité.

Ce qui le démontre bien, c’est l’examen des autres branches de l’activité marocaine.

Les plantations d’agrumes n’ont cessé de se poursuivre. Il y a dix ans, il n’y avait qu’un millier d’hectares plantés en orangers, citronniers...

Aujourd’hui, il y en a 7.400. L’accroissement se poursuit au rythme de 1.000 à 1.200 hectares par an. On compte que, dans une dizaine d’années, la production annuelle d’oranges, qui en 1929 n’était que de 50.000 quintaux et qui atteint aujourd’hui 400.000, sera de l’ordre de 2 millions et demi.

Mêmes progrès dans l’exploitation forestière. Le protectorat, sous l’impulsion de Lyautey, continuée par le general Nogués, avait entrepris une gigantesque oeuvre de reboisement. Elle commence à porter ses fruits, puisque les revenus domaniaux, qui étaient en 1936 de 11 millions, sont en 1937 passés à 15 millions et en 1938 à 22 millions.

La récolte vinicole, qui était l’année dernière de 580.000 hectolitres, dépasse maintenant 800.000. Le crin végétal a vu ses exportations monter de 38 millions à 52.

Le cheptel est monté de 7 millions de têtes en 1932 à 12 millions, et cependant non seulement la consommation indigène de la viande s’est accrue, mais encore les exportations ont augmenté dans les proportions suivantes au cours des seuls derniers douze mois :

En moutons 1937, 1.925.000 kilos 1938, 2.754.000 kilos ; augmentation 42 p. 100 ;

En ovins : 1937, 136.000 têtes ; 1938, 211.000 têtes ; augmentation 55 pour 100.

En bovins :1937, 21,000 têtes ; 1938, 44.000 têtes ; augmentation : 115 pour 100.

La pêche est, elle, si j’ose dire, montée en flèche. La flottille de pêche a en une année augmenté de 2 pour 100. Rien qu’en 1938, du premier au deuxième semestre, le poisson débarqué est passé de 99.000 quintaux à 212.000 quintaux. L’industrie des conserves de poissons s’est développée d’une façon fantastique. Les exportations sont montées de 90.000 quintaux en 1936 à 118.000 quintaux en 1937 et 139.000 quintaux en 1938. Il y a dix ans, il y avait trois usines au Maroc ; à l’heure actuelle, on en compte 39, et l’empire chérifien est aujourd’hui susceptible d’une production égale à celle du Portugal qui est le pre- mier pays producteur du monde.

Dans les mines, même progrès. En 1937 les exportations de minerais étaient de 160.000 tonnes ; en 1938, elles sont de 500.000.

Quant aux superphosphates, en une seule année, ses exportations ont tout simplement triplé.

MISERE ET RUINE EN PERSPECTIVE

Cet hosanna d’allégresse ; ce tableau enchanteur ont malheureusement leur revers, dont le correspondant de la « Journée Industrielle » a omis d’informer ses lecteurs.

Cette abondance de produits, loin d’enrichir leur producteur, les conduit à ta ruine financière. Pour t’éviter, ils prennent, concernant certains produits, les mêmes mesures criminelles que partout ailleurs ; ils détruisent. La destruction du blé, appelée dénaturation, est maintenant comme en France passée dans les moeurs. L’abondance de primeurs jetant la perturbation sur le marché français, un comité, dit d’harmonisation, a essayé de réaliser un accord entre les producteurs de la métropole, de l’Algérie et du Maroc.

Mais en vain. A peine cet accord est-il signé qu’il est violé. Le fruit du travail des hommes, l’ABONDANCE, se moque éperdument des signatures et des décrets ’et, renverse toutes les barrières qu’on lui oppose.

Chacun veut et croit s’enrichir financièrement en produisant beaucoup, oubliant que le fonctionnement de notre régime est basé sur la rareté et qu’il est vain d’espérer obtenir beaucoup d’argent en échange de produits abondants sur le marché. Cette situation de fin de régime affole les hommes et les conduit à accumuler toutes les contradictions. Lorsque la pêche est abondante, les usines, tout comme en France, refusent le poisson. On cite des milliers de kilos de maquereaux ayant servi à faire du fumier.

A Casablanca, les colis de primeurs s’entassent sur le quais et dans les camions. Ils pourrissent ainsi sur place. Des parcs dénommés « parcs à pourrir » ont été installés spécialement pour recueillir tout ce qui ne peut pas être vendu ou exporté.

Tout récemment, au cours d’une tournée, le général Brissault-Desmaillet a pu voir lui-même 50 tonnes de tomates en train de pourrir, appartenant à un seul propriétaire. Devant la montagne de colis de tomates qui allaient se gâter, les maraîchers révoltés ont obligé l’administration à autoriser l’expédition tie 48.000 caisses de tomates supplémentaires, rompant ainsi l’accord d’harmonisation.

Dans les s’entassent à une telle allure qu’on 5 jours leur nombre est passé à 117.300. Cette situation fait dire à la Fédération qu’il vaut mieux détruire la vieille marchandise et exclure les apports de celle qui a séjourné de 2 à 5 jours au soleil.

Le journal « Le Maroc Primeur », ayant prévu cette calamité d’ABONDANCE, écrivait : « Nous savons qu’une partie de la récolte doit être défruite. Mais nous n’admettons pas que tous les maraîchers subissent tout le poids d’un état de fait dont ils ne sont pas responsables. »

Nous séparant de notre confrère, nous déclarons que ces destructions sont des crimes dont la Société tout entière est responsable.

Travailler et peiner, transformer des terres arides en Eden, obtenir des récoltes prodigieuses, puis devant l’impossibilité de transformer en argent ces vraies richesses, se jeter les uns sur les autres, ce n’est pas une solution. Au delà de cette monstrueuse civilisation où tous les hommes vont finir par s’éventrer, il y en a une autre. L’humanité ne va pas arrêter son évolution sous prétexte de conserver aux produits une valeur d’échange.

Il dépend des hommes eux-mêmes, s’ils ne veulent pas périr de chercher à comprendre et, ayant compris, de faire comprendre à leurs semblables. Il est vain de s’insurger contre les faits économiques. Ils émanent des hommes et ne peuvent être dirigés et coordonnes, pour le bien de tous que par eux-mêmes. II faut de toute urgence changer les fondations juridiques de toute la Société, sinon nous finirons par nous entr’égorger sur des montagnes de produits.

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Progrès techniques

27 juillet 1939

La machine à drainer le terres arables

La pose de tuyaux de drainage était naguère une opération longue et dispendieuse : elle exigeait - pour creuser les fossés au fond desquels on posait les drains (achetés tout faits) et pour refermer ces fossés - une main-d’œuvre nombreuse et expérimentée. Une machine récemment inventée va permettre (avec un ingénieur agricole ayant procédé au nivellement préalable du sol et un seul ouvrier), de procéder très rapidement à la pose de tuyaux de béton fabriqués par la machine elle-même au fur et à mesure de la pose.

Le sable, le ciment, et l’eau nécessaires à la fabrication des drains en béton sont verses, en pleine marche, dans une trémie qui se trouve au-dessus de la machine, tramée par tracteur. La machine, sorte d’énorme charrue, ne creuse qu’un sillon très étroit dont l’ingénieur règle la profondeur et qui est comblé aussitôt après la pose du drain. Les frais sont réduits de 80 %.

L’empaquetage du café

Par rapport aux anciennes méthodes de travail, les torréfacteurs de café trouvent de nos jours d’importantes facilités en ce qui concerne l’approvisionnement des sachets, le pesage du café et son empaquetage.

Tandis que, jadis, il fallait s’approvisionner de sachets au dehors pour les prendre alors un à un en vue de les ouvrir péniblement, faire la pesée plus ou moins lente et ensacher le café, plier le haut du paquet, tant bien que mal et coller enfin une étiquette dessus, opérations qui, toutes, demandaient pas mal de temps et coûtaient en conséquence bien cher, on trouve aujourd’hui dans les brûleries modernes des machines empaqueteuses qui font toutes ces opérations automatiquement, fabrication des sachets comprise.

Et ce qu’il y a de plus étonnant encore, en voyant fonctionner une machine de ce genre, c’est qu’elle tourne à une cadence d’environ 65 paquets à la minute, c’est-à-dire plus de 25.000 paquets en 8 heures de travail Pour réaliser cette production impor- tante, la machine ne réclame qu’une seule ouvrière pour la conduire.

(Journée industrielle).

400 kgs de noix ouvertes à l’heure

La Californie est une grosse production de noix. Elle en produit 30.000 tonnes annuellement, dont environ la moitié est vendue décortiquée. Le travail de décortiquage doit être fait avec beaucoup de soin, le fruit devant rester intact.

Un ouvrier habile peut atteindre un rendement de 15 kgs à l’heure.

Deux inventeurs américains ont mis au point une machine qui ouvre 400 kgs de noix à l’heure, soit une augmentation de rendement de 28 fois.

Son fonctionnement est simple. Les noix sont amenées entre deux courroies sans fin, devant une petite scie circulaire qui pratique une fine entaille dans la coquille. Les noix glissent ensuite sur un rail qui s’engage dans cette entaille. Ce rail miniature comporte de petits orifices reliés à un mélange détonant d’oxygène et d’acétylène. A un bout du rail, on enflamme le mélange. L’explosion sépare les deux coquilles et le fruit intact tombe dans un entonnoir.

Cette machine consomme 800 litres de mélange gazeux à l’heure.

(Mechanical Engineering, mars 1939).

Les aménagements électriques d’une manufacture anglaise de biscuits

Les biscuits assortis sont nais dans des boites métalliques au premier étage. Deux convoyeurs superposes, divises en 4 sections, entourent complètement la salle : les boites vides arrivent par le convoyeur inférieur ; les bottes remplies s’en vont par le convoyeur supérieur et passent ensuite dans l’ancien bâtiment où se trouvent les services de livraison. Chacune des quatre sections est entraînée par un moteur de 3 CV L’alimentation a u convoyeur inferieur est réglée par un équipement à relais photoélectrique : si, pendant 7 secondes, aucune boite n’intercepte le faisceau lumineux qui excite la cellule, le convoyeur d’alimentation se met en marche automatiquement et fournit des boites vides au convoyeur inférieur lorsqu’un certain nombre de boites se sont accumulées, elles interceptent de nouveau le faisceau lumineux et arrêtent ainsi le convoyeur d’alimentation. La mise en boîtes se fait au moyen de 8 plateaux rotatifs conduits par des moteurs de 1,25 CV, à vitesse variable les boites passent successivement devant les ouvriers groupés autour des plateaux, qui y mettent chacun une sorte particulière de biscuite. Notons, en passant, que l’on contrôle en même temps la qualité ces produits en observant leur couleur. A cette fin, on utilise un certain nombre de lampes spéciales.

L’empaquetage en boîtes de carton a lieu au deuxième étage. Des moteurs de 1,25 CV à vitesse variable permettent le réglage, en fonction des assortiments, de la vitesse de 10 convoyeurs utilisés. Pour une partie des emballages (cartons étanches à l’air), on emploie une machine spéciale qui débite 55 paquets par minute, tin dispositif compteur à cellule photoélectrique contrôle la production. Les boites en carton destinées à l’exportation sont scellées à la paraffine après qu’une machine spéciale a fixé sur les bords un bourrelet métallique protecteur. La paraffine est chauffée dans des réservoirs comportant 3 thermo-plongeurs de 2 kilowatts contrôlés par des commutateurs à. 3 allures.

Dix-huit machines, dont les plans ont été fournis par l’usine elle-même, sont utilisées pour introduire de la crème dans certains biscuits. Elles fonction- nent par groupes de 6 : chaque groupe est entraîné par un moteur de 5 CV qui conduit également les convoyeurs qui emportent les biscuits achevés.