La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 1008 - mars 2001

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N° 1008 - mars 2001

Voter ne suffit pas    (Afficher article seul)

Vous avez dit “refondation sociale” ?   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

« Porto Alegre, j’y étais ! »   (Afficher article seul)

Antigone à Porto Alegre   (Afficher article seul)

Le budget participatif à Porto Alegre.   (Afficher article seul)

Nouvelle citoyenneté pour une démocratie réelle   (Afficher article seul)

L’effet de serre, un défi   (Afficher article seul)

Non au FTAA !    (Afficher article seul)

Dissidence sur le Sida   (Afficher article seul)

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Éditorial

Voter ne suffit pas

par M.-L. DUBOIN
mars 2001

La campagne des élections municipales battant son plein, les candidats apparaissent sur les marchés qu’ils jonchent de tracts remplis d’affirmations et de promesses... assurés que s’ils sont élus, ils pourront décider, au nom de leurs électeurs, le temps de leur mandature. Au moment même où ces électeurs s’aperçoivent que les politiciens, même ceux qui semblaient les mieux intentionnés, n’ont pas pu résister à la dictature de la finance, à l’idéologie libérale qui leur a imposé une politique économique productiviste dont ils découvrent les dangers !

Il est tentant, alors, de dire « Tous pourris ! Gauche ou droite...Blanc bonnet... etc. » et même d’ajouter « Moi, je ne fais pas de politique » comme si cela voulait dire « moi, je suis propre ». Cette attitude un peu facile essaie de dissimuler qu’en fait on a choisi de laisser faire et enlève le droit de critiquer.

Parce qu’on vit en société, on ne peut pas laisser chacun construire sa route où bon lui semble, sans souci pour son voisin. Il faut donc des lois, il y a des décisions politiques à prendre, et dans un état de droit démocratique, c’est un minimum que le peuple puisse de temps en temps exprimer son choix. Choisir entre les candidats qui se présentent est donc un devoir civique.

Mais il faut bien constater que cela ne suffit pas. Et que s’estimer ensuite trop occupé, trop fatigué ou incompétent pour préférer rester chez soi à regarder “Qui veut gagner des millions ?” plutôt que participer à une réunion pour se tenir au courant de la politique et intervenir si celle-ci ne suit pas les mandats confiés, c’est aussi accepter de laisser faire. Certes, il y a pire, telle l’attitude des gros producteurs de bovins, qui consiste, après avoir profité d’une politique tant qu’elle les avantageait, à tout casser quand cette politique est remise en question parce qu’elle présente de graves dangers...pour d’autres. En exerçant cette pression pour être encore subventionnés et continuer à produire sans scrupule, ils ne risquent pas de convaincre qu’ils sont “des victimes” sous prétexte que “ce n’est pas eux qui ont importé des farines animales”.

Face à cette attitude irresponsable, la leçon viendrait-elle du Tiers Monde ? Il faut voir comment les habitants de Porto Alegre et ses bidonvilles ont su prendre leur destin en main et accepter de participer à la gestion du Budget municipal. Cette population était pourtant loin d’être préparée à assumer de telles responsabilités !

C’est la réussite de cette initiative de Porto Alegre qui est à l’origine du choix de cette ville pour le siège du premier Forum social mondial, tenu en parallèle avec le Forum économique mondial de Davos. On jugera ci-dessous, grâce au témoignage de René Passet, lequel des deux Forums était le plus mondial et le plus porteur d’espoir pour l’avenir de l’humanité.

Certes, à Porto Alegre, ville de 1,3 millions d’habitants, l’initiative est venue de l’équipe municipale, alors qu’aucune liste dans une ville européenne de cette importance ne propose pareil programme. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir afin que cet élan de démocratie participative se développe en France. Des citoyens ont pris, ici et là, comme à Châtenay-Malabry, des initiatives en ce sens. Ils ont prouvé que c’est possible.

C’est par ce type d’actions que les citoyens découvriront ensemble les moyens de bâtir une société plus solidaire, telle que celle que nous proposons sur la base d’une économie distributive.

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Vous avez dit “refondation sociale” ?

par A. PRIME
mars 2001

Qui a trouvé cette jolie formule ? Les syndicats ? Non, c’est le Medef. Le projet venant du patronat, mieux valait a priori s’en méfier : il faut toujours chercher à qui profite le crime. La discussion entre les partenaires sociaux durait depuis des mois. L’intransigeance de Seillière et de son bras droit, Denis Kessler [1], a provoqué la grande manifestation du 25 janvier : 300.000 personnes dans les rues des grandes villes.

De quoi s’agit-il ? Précisons tout d’abord que notre but n’est plus de faire un exposé exhaustif du problème des retraites [2], mais de montrer la manoeuvre et le but du Medef.

Premier objectif du patronat : faire sauter la retraite à 60 ans, pour la reporter progressivement à 65, voire 67 ans.

Deuxième objectif : prolonger la durée des cotisations (qui est déjà passée, il y a peu, à 40 ans pour le privé) jusqu’à 42,5 ans, pour atteindre 45 ans en 2023 [3].

Troisième objectif : essayer de démontrer qu’il n’y a pas, pour les retraites complémentaires, d’autre issue que les fonds de pensions. Récemment, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, j’ai entendu un député de droite poser péremptoirement la question au premier ministre.

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En ce qui concerne la retraite à 60 ans, l’argument de base du Medef est qu’il faut tenir compte de l’allongement de la durée de vie. Lionel Jospin a dit son opposition à une modification de l’âge de la retraite :« Le gouvernement reste vigilant, car il n’entend pas que la retraite à 60 ans soit remise en cause... c’est un acquis ». Nicole Notat elle-même, qui avait eu une attitude plutôt ambiguë dans les précédentes discussions, a précisé qu’un « accord ne peut se faire sur la base d’une remise en cause de la retraite à 60 ans ».

Le Medef cite en exemple les autres pays européens et notamment l’Allemagne. Mais lorsqu’on fait remarquer au Baron Seillière que les firmes débauchent [4] massivement à 56/57 ans avec mise en pré-retraite (aux frais de la communauté, bien entendu), il répond évasivement en évoquant la liberté des entreprises !!

S’agissant de la durée des cotisations, les deux compères du Medef se montrent provocateurs et machiavéliques (ou alors, c’est que la droite française, comme au temps de Guy Mollet est restée la plus bête du monde). Le progrès, au sens large, fait que les jeunes entrent dans la vie active, quand ils trouvent du travail, en moyenne à 23 ans. Or 23 + 42,5 ans de cotisations pour avoir une retraite à taux plein = 65,5 ans (et 23 + 45 = 68 ans en 2023). Curieuse adéquation entre progrès technique et progrès social ! Nul ne nie que le déséquilibre qui ira croissant entre le nombre d’actifs et celui des retraités (déséquilibre dû à la fois au progrès technique, à la retraite à 60 ans, à l’augmentation de la durée de vie et au bas taux de fécondité) pose le problème du financement des retraites, mais le Medef avance un scénario catastrophe : 186 milliards de déficit cumulé en 2020. Curieusement l’AGIRC (retraite complémentaire des Cadres) et l’ARRCO (ensemble des salariés) font un calcul diamétralement différent qui aboutit à un solde excédentaire de 198 milliards en 2020... Concluons que ce n’est pas simple et que, d’ici là, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts.

Venons-en à l’objectif clef du patronat, fer de lance du néolibéralisme : les fonds de pensions. Nous serions les seuls, dans les pays avancés, à ne pas les adopter pour résoudre le problème des retraites dans la nouvelle configuration du futur. Il est clair que les milliards en jeu font saliver assureurs [5] et banquiers, tout comme les milliards de dépenses de santé : à Davos, les Américains (de quoi se mêlent-ils ?) ont dénoncé le poids de nos charges sociales et plaidé pour les fonds de pensions.

Le gouvernement Jospin défend sa solution : la constitution d’un fonds de retraite alimenté tout d’abord par les cessions des droits UMTS (nouvelle génération de téléphones portables). Signalons qu’en Allemagne, cette opération a rapporté à l’État 300 milliards et en Angleterre plus de 200. Or en France, le gouvernement escomptait 120 milliards, pour 4 opérateurs. Deux, à l’heure où j’écris, se sont récusés. Si bien que pour le moment l’État ne peut compter que sur 60 milliards. Mais cela peut changer. Son but est d’atteindre 1.000 milliards en 2020, date à laquelle on estime que le problème des retraites entrera dans sa phase aiguë. Ces 1.000 milliards généreraient les sommes nécessaires, que les défenseurs des fonds de pensions prétendent seuls pouvoir offrir. Et si la Bourse s’effondrait ?...

L’imposture suprême du patronat c’est, prenant prétexte que les valeurs boursières françaises sont en grande partie aux mains des fonds de pensions anglo-saxons [6], de prétendre que le but des fonds de pensions français serait de les contrebalancer, de s’y substituer. Comme si l’argent n’allait pas se placer dans le monde là où les profits du moment sont les meilleurs !

***

Compte tenu de l’ampleur de la manifestation du 25 janvier, approuvée par 78 % des Français, le Medef est devenu moins arrogant. Provisoirement ? Il se dit prêt à reprendre les discussions, se défend d’avoir posé un diktat. Il est vrai que des patrons, non des moindres, tel J-M. Meissier de Vivendi, mais aussi des PME, n’ont guère apprécié l’ultimatum de Seillière demandant que l’ASF qui, avec les cotisations patronales qu’elle recueille, est chargée de financer la retraite complémentaire de 60 à 65 ans, cesse de percevoir les cotisations. Dans ce cas, les salariés qui auraient pris leur retraite à partir du premier avril 2001 auraient vu leur complémentaire amputée de 22% !!

Jospin laisse faire les partenaires sociaux. Mais il prévient :« La refondation sociale, ce n’est pas la déstructuration sociale... Je ne resterai pas spectateur si le blocage actuel perdurait ».

Le problème étant explosif, parions qu’il va plus ou moins être mis en sommeil avant que les grandes élections de 2001 et 2002 ne soient passées. Malgré ses imperfections, voire ses reniements, je souhaite personnellement que la gauche les gagne, car, si la droite revient au pouvoir, elle instituera sans tarder les fonds de pensions, puis cédera sans effort au Medef sur l’allongement de la durée des cotisations, et, conséquemment, sur l’âge de la retraite !

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[1] ex-gauchiste, élève de DSK à HEC et devenu ensuite son ami.

[2] Nous l’avons déja fait : voir le dossier retraites, l’intox dans GR-ED N°989 de juin 1999 (des exemplaires en sont encore disponibles) Notons que depuis, de nouveaux chiffres sont venus conforter notre analyse.

[3] La pression de la droite se fait très forte pour dénoncer la différence de durée des cotisations entre les fonctionnaires, 37,5 ans et le privé , 40 ans.

[4] à Stéphane Paoli sur France Inter. Précisons : Les banques prévoient 20.000 mises en pré-retraite. Renault, 15 à 20.000 personnes. L’Union des industries chimiques a mis en place le 15 décembre un dispositif de départ à 57 ans pouvant concerner 65.000 personnes d’ici 4 ans. Les préretraites coûtent à l’État 12 milliards et 9 à l’Unedic, selon le Ministère de l’emploi.

[5] Rappelons que D. Kessler, N°2 du Medef, est aussi le grand patron de la Fédération française des assurances...

[6] Et n’oublions surtout pas à ce sujet que N.Sarkozy a fait voter une loi dispensant les fonds de pension des étrangers de tout impôt sur les dividendes, précisément pour... qu’ils investissent en France. Voir GR-ED N°996 de février 2000.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
mars 2001

Sacré Ernest-Antoine !

Ce cher baron Ernest-Antoine Seillière, président du Medef, héritier de la famille Wendel, est, entre autres choses, patron de la holding Taitbout-Antibes NV (contrôlée par le groupe Alpha et Marine-Wendel) malheureusement actionnaire à 50,5% du groupe aérien français constitué par AOM et Air Liberté (Swissair possèdant les 49,5% restant). Or ce groupe qui voulait tailler des croupières à Air France bat sérieusement de l’aile... Ses pertes avoisineraient 3 milliards de francs malgré la recapitalisation de 1,99 milliards effectuée en décembre dernier par Taitbout-Antibes-NV et Swissair. Un plan drastique de réduction des coûts (les 7.000 salariés du groupe ont compris ce que ça veut dire !) a été annoncé le 5 février et tout laisse penser que le groupe va être rapidement démembré.

Ernest-Antoine, qui passe son temps à reprocher au gouvernement de « gérer l’économie en dépit du bon sens », essaie par tous les moyens de montrer qu’il n’est pas responsable de cette mauvaise gestion de ses affaires personnelles. Cela fait effectivement désordre. Alors qu’il avait jusqu’ici proclamé qu’il était le premier actionnaire d’AOM-Air Liberté avec plus de 50% des parts, le baron prétend maintenant n’en être actionnaire qu’à 25% et se scandalise : « C’est une opération étrange, a-t-il déclaré au Monde, que celle de nous donner une responsabilité dans le dossier AOM-Air Liberté. Notre investissement a été juste un placement financier et, s’étonne la holding qu’il contrôle depuis quand un actionnaire est-il responsable des pertes des sociétés qu’il possède ? » Ben voyons ! Pourtant Ernest-Antoine a pris des précautions... à l’instar de nombreux autres groupes français (ci-devant entreprises citoyennes), comme, par exemple, Aventis, Pinault-Printemps-Redoute, Alcatel, etc. il a choisi de domicilier... aux Pays-Bas plusieurs de ses sociétés et notamment Taitbout-Antibes parce que les obligations fiscales, juridiques et boursières y sont des plus réduites : le taux de l’impôt sur les sociétés est d’à peine 15% contre 33 ou 40% dans les autres pays européens, les stock-options ne sont soumises à aucune taxation et le droit néerlandais sur les sociétés est pratiquement inexistant (les entreprises ne sont pas tenues de donner un objet social ni de publier leurs comptes, la description de leur actionnariat est sommaire, les OPA sont impraticables et la responsabilité des actionnaires peut rarement être engagée).

Et alors ? C’est ça la refondation sociale...

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Suppressions d’emplois

• Afin de réduire ses coûts, l’entreprise américaine Motorola va supprimer 4.000 emplois dans sa division semi-conducteurs [1].

• Le fabricant d’équipements automobiles américain Dana a annoncé la fermeture de 11 sites industriels dans le monde et la suppression de près de 10.000 emplois, soit 13% de ses effectifs [2].

• Prudential, le numéro un britannique de l’assurance-vie va supprimer au cours des douze prochains mois 2.000 emplois dans ses équipes de vente en Grande Bretagne [2].

• En Belgique, afin de s’adapter au commerce électronique, l’opérateur de télécommunications Belgacom s’apprête à supprimer 4.000 emplois sur un effectif de 19.000 tandis que, pour renforcer sa compétitivité, l’électricien Electrabel, détenu par Suez Lyonnaise, annonce la suppression de 1.700 emplois sur un total de 15.235 [3].

• Nortel Network vient d’annoncer la suppression de 11% de ses effectifs, soit 10.000 emplois [4].

• Le constructeur de microordinateurs Dell, qui, en 2.000, avait augmenté ses profits de 24% (équivalent à plus de 15 milliards de francs) supprime 1.700 emplois parce que sa croissance ne dépassera pas cette année 28% [4].

*** Efficace, le nouveau président des é-U !

à peine investi, le nouveau président des États-Unis, Georges W.Bush a décrété le dimanche 21 janvier journée nationale de prière et d’action de grâce... et que toutes les décisions prises par son prédécesseur avant son départ, non encore publiées au journal officiel américain ou pas encore appliquées, seraient bloquées en attendant d’être revues. Celles dont la mise en œuvre a été décidée seront suspendues pendant 60 jours. Ces mesures concernent, entre autres, la protection médicale des personnes âgées, la santé, l’autorisation de la pilule du lendemain, l’environnement... Dans la foulée, n’oubliant pas que sa famille a fait fortune dans le pétrole, il a décidé d’ouvrir rapidement aux forages pétroliers le Parc national de l’Arctique, en Alaska, refuge des caribous et des ours polaires [5].

*** 3.210 francs par seconde

C’est, selon les calculs des journaux britanniques et des associations de consommateurs, ce qu’a gagné l’an dernier la compagnie pétrolière anglaise BP Amoco qui devient ainsi la première entreprise à avoir engrangé le plus grand bénéfice enregistré à ce jour par une entreprise britannique [6].

Le comble, c’est que l’essence britannique est la plus chère d’Europe !

Devant la grogne des consommateurs, un député travailliste a déposé un projet de loi créant une taxe sur ces profits inattendus mais T.Blair (le modèle du “socialisme moderne” a aussitôt fait savoir que le gouvernement ne prendrait aucune décision fondée sur des éléments liés au court terme.

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[1] Le Monde, 11-12 février 2001.

[2] Le Monde, 15 février 2001.

[3] Le Monde, 7 février 2001.

[4] Le Monde, 17 février 2001.

[5] Le Monde, 24 janvier 2001.

[6] Le Monde, 15 février 2001.

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Témoignage

De retour de Porto Alegre, le Professeur René Passet a exprimé ses impressions devant le public de la Maison des sciences de l’Homme, à Paris. Voici ce que M-L Duboin en a retenu :

« Porto Alegre, j’y étais ! »

par M.-L. DUBOIN
mars 2001

En introduction, René Passet a voulu nous faire croire que, tel Fabrice à Waterloo, il ne pourrait pas raconter le premier Forum social du monde. Après quoi il a prouvé le contraire, quitte à nous arracher une larme d’émotion, tant sa joie d’y avoir été était communicative.

Quel contraste, n’a-t-il pu s’empêcher de remarquer d’abord, avec les images qu’on a reçues de Davos, de ses petits hommes gris, tous habillés pareil, se faufilant, dans leurs limousines, à travers les rues quadrillées de policiers (et même de militaires appelés en renfort), pour aller se cacher dans un bunker et y comploter... la mondialisation ! Mais où était-elle, la mondialisation ? à Porto Alegre toutes les couleurs étaient là, celles des vêtements et celles des peaux. Des femmes et des hommes venus du monde entier, formaient une houle paisible. Pas de police (d’ailleurs celle de la ville sympathisait), pas de provocation et pas de casse, même le problème soulevé par José Bové n’a pas tourné au spectacle ou au culte d’une personnalité. On avait l’impression que ceux qu’on a appelés les anti-mondialistes y représentaient, en fait, les peuples du monde.

On avait pensé que 3 à 4.000 personnes feraient le voyage, mais c’est plus de 17.000 qu’il a fallu caser. L’université prévue n’a pas suffi à loger les quelque 400 ateliers de travail, il y en eut dans toute la ville.

Le plus impressionnant fut la “cérémonie de clôture”. Un très grand amphithéâtre, rempli à ras bords, ce qui fait quelque 4.000 personnes, et pour tenir la scène, pas un homme politique et pas de discours !! Mais 50 à 60 représentants des peuples, de toutes les couleurs, et autant de femmes que d’hommes, ont simplement dit, chacun son tour, pourquoi ils étaient venus. L’un d’eux a ému d’une simple remarque « si ce forum avait eu lieu il y a deux cents ans, j’y aurais été enchaîné, car à l’époque mes ancêtres étaient esclaves » et « je suis li-bre !! » s’est-il exclamé.

On nous avait demandé d’apporter chacun une pierre de notre pays pour laisser au sol une marque de cet événement. La plupart l’ont fait, et tout le monde fut ému, bien plus que par un discours, en voyant qu’un israélien et un palestinien ont apporté et présenté ensemble deux pierres identiques, gravées de la même phrase, l’une en yiddish, l’autre en arabe... L’émotion de René Passet s’est communiquée à la salle, quand il a exprimé son bonheur en se rappelant que dix ans plus tôt, dans un article pour Le Monde Diplomatique, il avait souhaité pareil forum, alors qu’il croyait que c’était un rêve irréalisable. Il s’est rendu compte à Porto Alegre que cette utopie venait de devenir réalité. « Et j’y étais ! ! » s’est-il exclamé.

La préparation du Forum n’avait pourtant duré que quelques mois, ce qui est un tour de force quand on considère les moyens dont disposaient les organisateurs... Certes, tout n’a pas été parfait, il y eut des choses remarquables et d’autres moins bonnes, comme lorsqu’un sénateur brésilien tint la parole pendant une heure pour... raconter un film et lire un livre en portugais ! L’important est que tout le monde allait dans la même direction, même si c’est de manières très différentes.

Et ce qui frappait, c’était la très grande qualité d’attention et l’intérêt des échanges.

La publication de l’essentiel des débats et des textes est prévue dans un livre qui sortira plus tard. à ce propos, un journaliste s’est étonné : « Pas de document de synthèse ? », ce qui est un peu fort quand on se rappelle que ceux de Davos, pendant trente ans, n’ont jamais publié le moindre document de synthèse de leur forum économique mondial !

Alors, où était le monde, à Davos ou à Porto Alegre ?

Après cette remarque, René Passet nous confia qu’au départ il était hanté par l’idée qu’il allait se faire dire : « Vous êtes des irresponsables ! Vous n’avez pour vous que votre générosité ! » Il fut réconforté en constatant qu’au sein du Forum de Porto Alegre 350 parlementaires du monde (dont une dizaine de France) se réunirent, et pas pour parlementer, car ils en sortirent avec une résolution que 385 parlementaires signèrent...

Cette déclaration donne chaud au cœur pour continuer, dit-il, car elle ressemble bien à l’ébauche d’un Parlement mondial.

Qu’on en juge à l’aide de ces extraits :

Déclaration finale du
Forum parlementaire mondial

...Nous parlementaires, tenons à affirmer notre solidarité avec les mouvements sociaux et démocratiques réunis dans la capitale de l’Etat de Rio Grande do Sul au Brésil, pays symbole de tant de combats progressistes.

Ce Forum Social Mondial a été l’occasion de mesurer le dynamisme des résistances citoyennes et populaires à la mondialisation néolibérale, de tracer de nouvelles perspectives d’actions solidaires. De mesurer de même les conséquences désastreuses pour la démocratie et les conditions de vie de secteurs croissants de la population au Sud et à l’Est mais aussi au Nord - des politiques impulsées par les institutions financières internationales, l’Organisation mondiale du commerce ou le G7.

Nous sommes confronté(e)s à des enjeux sociaux et environnementaux d’importance croissante et d’envergure véritablement mondiale... On ne saurait répondre à ces enjeux... et assurer un développement durable sur tous les continents sans renforcer la coopération internationale. Mais cette coopération, pour être efficace, ne saurait se déployer sous l’égide du capitalisme et sous la contrainte de la finance. à l’heure de la recolonisation économique du monde, notre soutien au Forum Social Mondial ne doit pas rester sans lendemain. Il est de notre rôle de parlementaires d’agir pour assurer la plus grande transparence et un large débat public associant la société civile, pour tout ce qui touche la négociation et la ratification des accords internationaux.

Il est de notre rôle de parlementaires de soutenir l’action des syndicats et associations à finalité sociale, démocratique ou environnementale qui s’engagent ensemble dans la mise en œuvre d’alternatives à l’ordre néolibéral... Nous nous associons en particulier aux campagnes en cours : contre le mécanisme immoral de la dette et pour l’abolition de la dette des pays pauvres ; pour... l’instauration d’une taxe de type Tobin ; pour la suppression des paradis fiscaux ; pour une réforme profonde de l’OMC et des institutions financières internationales ; pour la mise en œuvre des engagements écologiques pris par nos gouvernements lors de la conférence de Rio en 1992 ; pour le refus du brevetage du vivant ; pour le succès des objectifs de la Marche mondiale des femmes, contre toutes formes de discrimination, de violence et d’atteinte à leur dignité. Nous voulons agir pour le respect de la souveraineté démocratique et populaire, donner la priorité aux objectifs de développement humain... Nous refusons la marchandisation et la privatisation des biens publics et des services publics répondant aux besoins essentiels des populations. à cette fin, nous constituerons un réseau international de parlementaires pour coordonner nos actions sur ces thèmes dans nos assemblées respectives, pour soutenir plus efficacement l’action des mouvements sociaux et citoyens et en faire des interlocuteurs privilégiés de nos assemblées, pour réfléchir ensemble aux solutions alternatives.

Car nous croyons qu’un autre monde est possible.

Porto Alegre, le 28 janvier 2001.

René Passet exprima ensuite ses réflexions et ses craintes :

Pour lui, ceux “d’en face” ne croient pas à leur beau discours, mais ils en ont besoin, c’est pour eux un vêtement de dignité. Personne ne peut croire, en effet, aux belles paroles sur la protection de l’environnement de la part des pays qui viennent de faire échouer la conférence de La Haye. Ceux qui veulent imposer des normes aux pays en voie de développement sont également ceux qui se protègent, par ces mêmes normes, tout en ayant le culot de dire aux autres qu’il faut “qu’ils s’ouvrent” !! Cela est incohérent, et prouve que “le discours néolibéral, ils s’en foutent !” mais ils s’en servent. Vous, à Davos, vous prétendez nous donner LA vérité, apostropha René Passet, mais nous, nous savons voir autre chose dans la marchandise, nous voyons ceux qui la produisent et dans quelles conditions. Pour vous, un quintal de blé est égal à n’importe quel autre quintal de blé. Pour nous, ce qui compte dans un quintal de blé c’est que celui qui le produit ait de quoi en vivre. Nous ne défendons pas votre principe d’égalité entre compétiteurs, nous sommes pour l’inégalité en faveur des plus démunis.

Pour illustrer ceci, René Passet fit deux remarques : Que proposent-ils à Davos ? - De la charité, un peu d’éthique et beaucoup de palabres. Qu’ont fait les citoyens de Porto Alegre ? - Le taux d’analphabétisation y est le plus faible dans cette partie du Brésil, qui est pourtant la plus pauvre.

Prenons conscience du rapport de force. Le déploiement de Davos est le plus cynique et le plus effronté. Il faut que les peuples fassent contre-poids.

Les moyens existent, ajouta l’orateur, puisque les instruments qui permettent aux puissants d’être en contact permanent sont aussi les nôtres [voir à ce sujet la note qui suit ce compte rendu].

R.Passet évoqua les dangers de provocation, pour souligner l’importance de rester unis par une même volonté, au delà des différences. Il importe qu’il n’y ait pas d’enjeu de pouvoir entre nous et de ne pas opposer la démocratie traditionnelle, la démocratie représentative, à la démocratie directe, parce que la première est indispensable, on peut la critiquer, mais c’est encore la seule qui existe ! Il exprima ses “petites craintes” en voyant des parlementaires locaux venus faire de l’électoralisme (un petit dérapage qui ne lui fit que mieux apprécier la cérémonie de clôture). On en a vus, dit-il, qui venaient gérer leur fonds de commerce politique... et on peut craindre que ces gérants de fonds de commerce prennent le dessus (et beaucoup se mordent les doigts de ne pas y avoir pensé plus tôt...). Ce serait un crime. Mais il faut être bien conscients que sans les politiques, on ne peut rien, on a absolument besoin d’eux et de leur rôle de relais.

Il ne s’agit pas, dit-il en conclusion, d’imposer l’idéal tout ficelé d’utopistes aux yeux fiévreux, je m’en méfie... Nous avons décidé d’un Porto Alegre tous les deux ans, et, dans l’intervalle, d’approfondir ensemble des thèmes choisis, mais sans tuer cette merveilleuse agitation.

Quelques remarques complémentaires répondirent à des questions de la salle :

• Nous avons à faire face à deux dangers, celui d’être récupérés et celui de ne pas être récupérés...

• Il a bien plus de chances que l’avenir soit à Porto Alegre qu’à Davos. à Porto Alegre l’imaginaire est en train de gagner.

• Il faut créer des conflits contre la violence.

Note à propos des instruments “communs” : Comme il n’existe pas de droit mondial à propos d’internet, il faut être conscients de toutes les manœuvres déployées pour en contrôler l’accès.

•D’abord le frein mis par l’argent : il faut payer l’instrument, l’accès à la Toile, et souvent aussi la réception de publicités. D’où la rapacité des Time-Warner, et autres Vivendi. La Toile a été tarifée [1] de telle sorte que si un Américain envoie un message électronique à un ami Africain, c’est l’Africain qui paie !

•Dans 45 pays (dont la Chine, qui compte 20 millions d’internautes) l’état contrôle ou filtre l’information sur internet. Et certains, tels que la Birmanie, ont décidé tout simplement d’en interdire totalement l’accès à leurs citoyens...

•Aux privilégiés, se pose alors le problème du tri, tant il y a de sites. Par exemple, Le Monde trompait... son monde en donnant pour site du Forum mondial celui du gouvernement brésilien, pas du tout dans le même esprit que le site de Porto Alegre. Et comme on assiste à cette fameuse “percolation” dont nous avons déjà souvent parlé [2] d’autres sites s’ouvrent pour prendre le train en marche en prétendant (P.Haguenauer par exemple) faire mieux que les précédents. De quoi se perdre en se dispersant. Le plus efficace est de se regrouper autour du site d’Attac, largement responsable du forum citoyen, son adresse internet est : http://attac.org/pa/asso/doc/doc50.htm

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[1] Voir Le Monde, du 11 février 2001, p.2.

[2] Voir GR-ED , N°976,Avril 1998, p.7.

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Antigone à Porto Alegre

par R. POQUET
mars 2001

L’Antigone de Sophocle est une œuvre qui se perpétue de siècle en siècle en raison de l’application presque toujours possible de son thème aux différentes situations historiques. L’affrontement entre la frêle Antigone et Créon le tyran est dans toutes les mémoires. Tirons de l’adaptation qu’en a faite Michel Vinaver l’extrait que voici :

- ...Créon n’est-il pas notre roi ?
- Oui, et il a su en peu de temps imposer son autorité.
- Mais lorsque le roi n’est plus son propre maître mais est devenu l’esclave de son autorité...
- Eh bien ?
- La voie est ouverte aux grands et aux petits désastres, ils ne peuvent que s’accrocher les uns aux autres, à partir du moment où le roi ne nous connaît plus...
- C’est vrai qu’il ne nous regardait plus...
- à partir du moment où il ne se connaît pas lui-même. Où il croit que ce qu’il dit est juste par simple raison qu’il le dit...

L’information circulant, de nos jours, à la vitesse de la lumière, le monde se trouve réduit aux dimensions d’une scène de théâtre. De Porto Alegre, Antigone est en mesure de s‘opposer à Créon, retranché dans son palais de Davos. Il ne s’agit plus d’enterrer Polynice, mais de déterrer les plants de maïs transgénique. Le combat est toujours le même : quelques citoyens du monde, réunis à Porto Alegre, opposent “les lois non écrites et inébranlables” de la conscience à la démarche totalitaire des maîtres de la finance. « Pour les grands patrons présents à Davos, le bilan de la mondialisation ne fait aucun doute et il est positif ». Cette constatation d’un journaliste est à rapprocher du texte ci-dessus : « il croit que ce qu’il dit est juste par simple raison qu’il le dit ».

Permanence des œuvres classiques ! 2.400 ans après Sophocle, les premiers mois de notre troisième millénaire réécrivent la même histoire.

Restons lucides cependant. Combien faudra-t-il de Seattle et de Porto Alegre pour parvenir à enrayer la mécanique impitoyable de l’économie totalitaire qui nous régit ?

De Davos encore, cette remarque de George Soros : « Je ne crois pas trop à l’éthique. On ne peut pas demander aux entreprises de se dénaturer. »

Souvenons-nous qu’Antigone, malgré son obstination inébranlable, n’a pas réussi à renverser Créon...

Alors ? baisser les bras ? Certainement pas. Mais rien ne nous interdit, dans le même temps, de rechercher d’autres voies que celles qu’emprunte l’économie de marché dont les nuisances deviendront bientôt insupportables à l’ensemble des humains.

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Lectures

Le budget participatif à Porto Alegre.

par M.-L. DUBOIN
mars 2001

À l’origine, un constat : « bien qu’inspirés de nobles idéaux, les expériences révolutionnaires menées jusqu’à présent n’ont pas atteint leur but », dit Tarso Genro [1], d’où l’objectif de l’initiative prise à Porto Alegre :« Comment démocratiser radicalement la démocratie ? Comment trouver des mécanismes permettant de répondre aux intérêts de l’immense majorité de la population ? Comment inventer de nouvelles institutions à travers des réformes et des ruptures qui fassent que les décisions engageant l’avenir soient partagées par tous ? » Questions qu’aucun parti politique n’avait encore jamais posées !

L’idée du Budget Participatif est apparue lors de la campagne pour les élections municipales de 1988 pour « permettre à chaque citoyen d’intervenir dans l’élaboration des politiques publiques et dans l’ensemble des décisions de la municipalité qui engagent l’avenir. » Mais le programme municipal n’indiquait ni la manière dont le transfert de pouvoir des élus vers les citoyens devait s’opérer, ni la manière dont les nouvelles institutions de pouvoir populaire émergeraient, ni comment serait résolue la relation avec le Conseil municipal, organisme à qui la Constitution attribue de nombreuses compétences.

Après cette élection, les premières réunions plénières furent organisées. Avant chacune d’elles, de gros efforts d’information sont déployés et des équipes municipales sillonnent la ville pour convaincre ses 1,3 millions d’habitants de venir. Un film tourné par l’équipe de Saga-cités (FR3) montre ces patrouilles faisant du porte à porte pour expliquer aux résidents, y compris ceux de bidonvilles, qu’ils ont des droits et qu’ils peuvent les défendre en participant.

Le résultat fut une affluence massive aux réunions, mais tous voulaient tout en même temps, exigeant de la municipalité qu’elle engage “immédiatement” de grands travaux, dont elle n’avait ni les ressources ni les plans. Les ressources ne pouvaient venir que des impôts locaux et il fallait pour cela réformer la fiscalité, puis payer les dettes des municipalités précédentes avant de commencer les travaux. Deux ans furent nécessaires pour “discuter les recettes” et “programmer les travaux”, de sorte que la participation citoyenne, intense la première année, en 1989, a considérablement diminué. La déception fut grande et la réforme n’eut d’effets sensibles qu’en 1992, quand la majorité des travaux a démarré. Malgré le retard, le “bouche à oreille” a alors commencé, il se disait que « le Budget Participatif, ça vaut la peine », que les travaux entrepris étaient bien ceux qui avaient été décidés avec la participation des habitants organisés et « l’impact de cette réponse concrète aux demandes a été considérable ». « Un fait nouveau dans la manière de gouverner était en train d’émerger, non seulement la réalisation de décisions émanent de la base sociale, mais aussi la transparence de sa gestion a montré que la municipalité ne rejette aucun citoyen pour raison idéologique ou partisane, que tout citoyen peut également défendre les investissements qu’il estime nécessaires, pour cela il suffit qu’il fasse preuve de ses capacités de mobilisation et de participation active au processus de décision. » On estime qu’en moyenne ce sont 20.000 citoyens de Porto Alegre qui participent à la gestion de leur ville.

La première grande réforme fiscale a donc été réalisée avec une large mobilisation de délégués et de représentants, élus par les assemblées plénières suivant un système complexe de proportionnalité en fonction du nombre d’habitants présents. Ces délégués ont un rôle fondamental dans le Budget Participatif : ils assurent la liaison entre la municipalité et les populations des quartiers et ils veillent à l’exécution des décisions prises à la base. L’ensemble des délégués d’un des 16 secteurs de la ville se constitue en un Forum qui a le pouvoir de révoquer les Conseillers au Budget Participatif. Ces derniers sont élus aussi dans les séances plénières, dans un deuxième temps, à raison de deux titulaires et de deux suppléants par secteur. Les séances plénières ont lieu deux fois par an, dans chaque secteur, et seuls les habitants du secteur ont le droit d’y participer. à l’entrée, chacun s’inscrit pour que le quorum soit évalué. Au cours de ces réunions, coupées d’intermèdes relatant les aspects importants de la vie sociale (saynètes, marionnettes, vidéos sur les travaux en cours) chacun peut dire publiquement au maire et à l’équipe municipale tout ce qu’il souhaite, la seule restriction étant le temps de parole, limité à trois minutes. Des coordinateurs veillent à ce que toutes les opinions puissent s’exprimer, des groupes pouvant désigner des porte-parole. C’est le Conseil du Budget Participatif, donc la population, qui établit les règles de fonctionnement de ces 16 assemblées et des 5 commissions thématiques à l’échelle de toute la ville (transports, santé, éducation et culture, économie et fiscalité, développement urbain) et ces règles sont établies pour un an, ce qui permet de les remettre en question si nécessaire pour le budget suivant. Ce processus d’autorégulation est fondamental. La ville a ainsi acquis une intéressante expérience (voir pour plus de détails le livre cité), en particulier pour le rôle des coordinateurs, et donc pour leur formation. La Coordination des Relations avec la Communauté a adopté comme règles qu’un coordinateur ne peut pas exercer son activité dans le secteur où il habite, que son mandat ne peut pas être renouvelé après un certain délai et que les délégués élus sont absolument bénévoles, malgré le très gros sacrifice que cette représentation exige d’eux.

Le reportage de FR3, cité plus haut, montre quelques scènes, tant dans la rue que dans les assemblées plénières. Des témoignages de personnages types ont été recueillis. En voici des exemples, glanés au passage : « Au début, dit quelqu’un, c’est difficile de rater son feuilleton du soir au bénéfice d’un bien-être collectif. Mais la prise de conscience vient petit à petit. » « Avant, dit une femme simple, la politique, c’était pour les politiques, maintenant, la politique, c’est pour le peuple. » Le documentaire montre une femme qui n’avait certainement jamais rien appris de l’art du “BTP” mais qui va sur un chantier pour s’informer, elle veut savoir, elle pose toute sorte de questions techniques : quelle est la composition du ciment, ou du béton... un ouvrier lui répond. Puis elle explique devant la caméra qu’elle, avec d’autres sans doute, se sont ainsi aperçus que le tracé d’une route en construction ne correspondait pas à celui qui avait été programmé. Ils ont fait arrêter les travaux, remonter aux prises de décisions et finalement les travaux ont repris mais en suivant le tracé établi par les citoyens. Elle conclut « c’est nous qui savons le mieux ce dont nous, nous avons besoin. » Un délégué est interviewé, qui, de toute évidence, n’avait aucune expérience quand il a été élu. « Qu’avez-vous appris ? » lui demande le reporteur. « Beaucoup de choses, énormément de choses » répond-il, et il essaie d’énumérer :« j’ai appris ce qu’est un projet, j’ai appris ce qu’est une demande, et tout ce que cela suppose, j’ai appris à fréquenter des gens d’une autre classe que la mienne, des ingénieurs, des sociologues, des géologues, des avocats et j’ai appris à parler avec eux, à vivre avec eux, j’ai appris à être un citoyen. » Une femme entourée de nombreux gosses a cette réflexion édifiante :« j’ai appris à mettre les intérêts de ma rue au même plan que ceux des autres, cette solidarité-là, ça s’apprend. »

Belle leçon ...

Bien sûr, le maire actuel, Raoul Pont, est interviewé par FR3, il en profite pour dire : « Ce sont les utopies qui nous font vivre », pour constater « Ici moins les députés et les maires ont de pouvoir, plus le peuple en a », et pour conclure « Ici, le mot citoyen prend tout son sens ».

Il est significatif que les médias en général, même locaux, ont carrément ignoré cette expérience, ou bien l’ont dénigrée, sans doute parce qu’elle leur enlève un peu de leur pouvoir sur l’opinion. Un journaliste, coordinateur de la Commission sociale de la mairie, pense que pour les patrons de presse, il serait dangereux que cette “manie du contrôle public” devienne à la mode, car ils auraient alors à rendre compte de leur objectivité.

Porto Alegre n’est pas un modèle qui serait applicable partout. Il appartient à chaque région d’inventer, d’établir ses règles, selon ses problèmes, ses aspirations et sa culture. Mais cette expérience fait la preuve que la décision et la gestion citoyennes sont possibles, la preuve que les décisions peuvent être élaborées à partir de la base, par des règles qu’une population est capable d’établir et d’améliorer elle-même. C’est pour nous une mine d’arguments pour faire la preuve irréfutable que nos propositions de démocratie économique sur la base de contrats civiques débattus dans des Conseils économiques et Sociaux, ne relèvent pas de l’utopie irréaliste. Que nous n’avons pas le regard “fièvreux”.

Et que serait-ce si la population avait l’idée de créer sa monnaie distributive !

Pour tous les citoyens du monde, en particulier pour les distributistes et les pacifistes, voilà de quoi « faire de l’action », de quoi faire évoluer la société dans le bon sens. Nous avons déjà indiqué pour cela l’adresse* d’un réseau international intitulé Démocratiser Radicalement la Démocratie qui s’est donné pour objectif de multiplier partout des initiatives de démocratie participative. Ce réseau peut fournir les renseignements utiles à cette fin.

Et puis il y a déjà des exemples qui peuvent inspirer. Le groupe Citoyens unis pour Châtenay-Malabry, dans la banlieue parisienne, a su s’y prendre pour obliger la municipalité à rendre sa gestion transparente, ce qui paraissait au début bien loin d’être possible. Mais la loi l’autorise et il existe des règles à appliquer. Il faut apprendre à le faire, prendre l’initiative puis s’organiser à plusieurs pour se partager le travail, découvrir au passage certaines règles de comptabilité (que beaucoup d’élus ignorent), tout cela demande du temps, souvent beaucoup et bien des efforts, mais en vaut largement la peine.

Nous aimerions publier des témoignages, informer de nouvelles expériences. Car c’est par ce type d’actions que les citoyens découvrent la réalité économique et par conséquent les moyens de bâtir une société plus solidaire, telle que celle que nous proposons sur la base d’une économie distributive. Faute de se prendre ainsi par la main, toute critique est inutile !

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[1] Titre : Quand les habitants gèrent vraiment leur ville Sous-titre : Le budget participatif : l’expérience de Porto Alegre au Brésil auteurs : Tarso Genro et Ubiratan de Souza 105 pages, 35 FF, éditions FPH 3, rue Saint-Sabin, 75011 Paris.

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Voici les informations sur l’initiative des citoyens de Châtenay-Malabry que Jean-Claude Pichot a tirées de plusieurs bulletins de leur association, dont les coordonnées sont :
CUCM BP 28 92292 Châtenay Malabry Tél : 01 47 02 56 67
E-mail : cucm@multimania.com
Site internet : http://www.multimania.com/cucm

Nouvelle citoyenneté pour une démocratie réelle

par J.-C. PICHOT
mars 2001

Le droit

La Déclaration française des Droits de l’Homme, dans son article XIV, stipule : « les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

La déclaration Universelle de 1948, dans son article 21,§1, précise : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. »

L’exemple de Porto Alegre ne peut pas être transposé dans notre pays. Mais de nombreuses expériences tant au sein des majorités en place que dans des oppositions actives existent et montrent qu’il est possible de faire quelque chose pour améliorer nos modes de gestion de la chose publique. Car il est évident que beaucoup reste à faire pour que chacun sache réellement ce que ses représentants d’un jour (celui des élections) font de son argent pendant de longues mandatures sans consultation et puisse intervenir dans la gestion de la cité avant qu’il ne soit trop tard.

La lecture d’un numéro récent de Territoires, revue de la démocratie locale, est à ce titre très instructive. Ainsi on y apprend que les villes d’Amiens, Le Blanc, Brest, Chambéry jusqu’à Nantes et Niort (par ordre alphabétique) ont mis en place maisons de quartier, commissions, journaux, ateliers urbains, carrefours de citoyens, conseils communaux de la citoyenneté, etc. qui sont, non seulement des expériences, mais souvent des solutions éprouvées apportant aux citoyens des occasions de réfléchir et d’agir ensemble au bénéfice de leurs communautés et d’en tirer des mieux dans leurs vies quotidiennes.

Nous poursuivrons cet article en parlant plus particulièrement de l’expérience lancée en 1995 par des habitants de Châtenay Malabry qui ont créé une association qui poursuit courageusement son chemin : “Citoyens Unis pour Châtenay Malabry” (CUCM), dont l’objet est : « rassembler toutes les personnes souhaitant se concerter et agir pour préserver et promouvoir un développement harmonieux de Châtenay Malabry, fondé sur la solidarité, la justice sociale, l’équilibre écologique, un effort soutenu pour l’éducation et la culture, l’essor de la démocratie locale, en contribuant à créer les conditions d’une implication citoyenne active ».

L’accroissement brutal de 75% des impôts locaux imposé par la nouvelle municipalité de 1995 est à l’origine du mouvement lancé par un groupe de gens décidés, qui a conduit à la création d’une association type 1901 très rapidement forte de 200 adhérents. Le but initial était de procéder au contrôle des comptes de la commune, opération éminemment difficile pour des “amateurs” ne disposant que d’un temps limité et qui fut compliquée par les multiples obstacles mis sur leur chemin par les services de la municipalité. Avant de connaître le “cas” de Porto Alegre, ils “inventèrent” une solution qui ressemblait à celle mise en œuvre dans cette ville. Les débuts furent “l’apprentissage” du monde de la comptabilité publique (avant la réforme dite M14), qui les conduisit à en savoir plus que de nombreux élus, anciens ou actuels L’association a développé pour ses propres besoins une approche incluant à la fois formation et information, avec l’objectif de faire sortir le débat budgétaire de la “confidentialité” traditionnelle ; puis elle s’est donné comme but suivant de savoir construire un budget, avec tous les habitants. La dernière étape a été celle de l’établissement d’une liste électorale fonctionnant sur la base de l’expérience acquise, qui se présente aux élections de mars 2001.

À ceux qui n’ont pas encore essayé ce genre d’expérience, qu’ils n’aient pas osé pour cause de crime de “lèse quelque chose” ou par crainte de ne pas réussir, les Châtenaisiens apportent la preuve que la volonté et la ténacité peuvent aboutir à des résultats, en s’appuyant en cas de besoin sur des textes leur permettant d’avoir accès aux documents administratifs : à ce titre, le sésame est la CADA, Commission d’Accès aux Documents Administratifs, à laquelle n’importe quel citoyen peut s’adresser par écrit à l’adresse : 66, rue de Bellechasse - 75700 Paris 07 SP.

L’association CUCM, sur sa lancée et après avoir développé de nombreux groupes de travail sur les grands thèmes de l’action locale (urbanisme, culture, jeunesse, santé-solidarité, etc.), a naturellement développé des réflexions en direction d’une institutionnalisation de la démocratie ainsi pratiquée : peut-on aller vers un fonctionnement réellement démocratique impliquant chacun non pas de manière épisodique mais continue ? sur quelle base territoriale (le quartier,...) ? L’objectif est de (re)donner à la population le goût et les moyens de participer au débat public, après avoir creusé l’analyse de ce qui pose problème aujourd’hui : pouvoir d’initiatives des habitants, pouvoir de proposer aux décideurs des questions nouvelles, capacité à peser sur les décisions, moments où ils seront en situation de participer à l’instruction d’un dossier, information en retour, suivi de la mise en œuvre.

Comme on peut le voir, le défi est de taille. « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » ; aujourd’hui, le mouvement existe, qu’il s’agisse de Porto Alegre pour les plus démunis ou des expériences françaises en cours : dans ce contexte, Guillaume le Conquérant aurait déjà foncé et peut-être réussi. Et il n’est peut-être pas nécessaire de toujours attendre la catastrophe pour réagir.

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L’environnement est un des domaines où le citoyen a intérêt à agir, et sans attendre. Jean-Claude Pichot en a pris conscience au point de chercher à informer ses concitoyens de Garches par une conférence donnée par Benoit Lebot en décembre. Il a commencé dans notre dernier numéro à nous rapporter cette conférence dans un article dont le titre, comme celui de l’éditorial d’ailleurs, a été escamoté par un “flasheur” pas très soucieux de son travail. Voici la suite de ce rapport, sous le même titre, en espérant que le flasheur voudra bien cette fois ne pas le supprimer :

L’effet de serre, un défi

Deuxième partie : Que faire ?
par J.-C. PICHOT
mars 2001

Nous sommes tous face à une situation avérée, ayant déjà des effets identifiés et expliqués, et face à l’annonce d’une évolution inquiétante à l’échelle de la Terre. Ce problème, certainement le plus complexe jamais rencontré, ne peut pas nous laisser insensibles car il touche potentiellement toute la planète ; il n’est plus question d’attendre pour voir : ceux qui ont déjà dû supporter des dérèglements majeurs du climat sont nombreux et en savent quelque chose, et ceux qui n’en ont pas encore connus risquent un jour de les subir à leur tour.

Ce problème met en cause une première dimension : celle de l’économie dominante, basée depuis plus de deux siècles sur la consommation des combustibles fossiles sans lesquels les modes de vie, notamment dans les pays dits développés, ne seraient pas ce qu’ils sont. Qui va oser imposer un arrêt immédiat des activités utilisant le charbon, le pétrole ou le gaz ? Et qui va simplement imaginer une telle éventualité ?

Une autre dimension est mise en lumière : celle de la mondialisation du phénomène, entraînant la nécessité d’une solidarité “géographique” étendue à la Terre entière ; un véritable défi lorsqu’on sait que rien ne peut se traiter à cette échelle sans se référer au marché, ce mot magique qui cache de moins en moins les défauts et les effets pervers qu’il charrie.

Un autre paramètre important est le temps : les phénomènes incriminés, qu’il s’agisse des climats (inertie des masses maritimes ou atmosphériques) ou des comportements humains (liés aux générations), se mesurent en décennies. Cette caractéristique a pour conséquence la nécessité d’une solidarité intergénérationnelle.

Bien sûr, il reste toujours l’espoir que la science, vecteur historique par essence du progrès, trouvera des remèdes comme ceux qu’elle a souvent proposés depuis deux siècles également aux problèmes majeurs rencontrés ; mais il faut prendre en compte son frère cadet désormais bien connu : le principe de précaution.

Faut-il faire quelque chose ?

Les médias nous ont abreuvés, au cours de dernières années, d’informations parfois contradictoires, mais qui nous ont laissé entrevoir des voies possibles pour faire face, d’une manière ou d’une autre. Certaines mesures, de nature essentiellement politique, ont même été décidées au niveau international (par exemple, ralentissement des émissions de gaz à effet de serre et stabilisation à l’horizon 2010) ; mais elles ne sont destinées qu’aux décideurs nationaux et internationaux et aux grands acteurs économiques, et elles ne sont pratiquement pas respectées.

Quelques constats :
•la “machine économique” est engagée dans le processus depuis plusieurs décennies ; si l’on doit faire quelque chose, il est trop tard pour qu’il s’agisse de mesures de prévention ;
•d’une certaine manière, nous faisons déjà quelque chose, tant au point de vue des améliorations des machines thermiques, dont les rendements s’améliorent (indépendamment des réductions de pollution auxquelles nous ne restons pas indifférents), que d’autres mesures destinées à limiter les consommations d’énergie aussi bien que les déperditions de chaleur, etc. ; mais c’est loin de répondre au défi ;
•sommes-nous assez informés et sensibilisés pour être conscients de la nécessité de faire de nouveaux efforts, pour ne pas dire des sacrifices ? Si nous ne sommes pas assez nombreux à croire qu’il est nécessaire d’agir, la démarche est probablement vaine.

L’humanité est partagée en deux grandes catégories d’individus : ceux, les plus nombreux, qui n’ont accès ni à la culture ni à l’information ; subissant les “lois” imposées par les plus puissants, ils n’auront une fois de plus d’autre choix que de suivre et de subir encore ; si les mesures adoptées vont dans le sens d’un ralentissement de la dégradation, à défaut d’une amélioration, ils devraient ( ?) en être bénéficiaires ; les autres, comprenant d’une part les sceptiques, qui refusent les diagnostics et les pronostics, et ceux qui s’intéressent au sujet, et dont dépend l’avenir.

On peut analyser les comportements de ces derniers en termes de volontarisme/fatalisme et d’altruisme/égocentrisme :
•le fataliste égocentrique sera tenté de ne pas s’impliquer et de vivre sa vie ; on peut parier qu’il saura profiter le moment venu des efforts faits par les autres ;
•le fataliste altruiste s’intéressera aux autres pour les aider, comme il le fait déjà pour venir en aide à tous ceux, de plus en plus nombreux, qui sont dans la misère à cause de l’incapacité du système économique dominant à répartir les richesses produites sur la planète ;
•le volontariste égocentrique ne devrait pas exister ; en effet, on imagine mal quelqu’un décidé à changer ses comportements dans le sens du bien commun tout en restant centré sur lui-même ; mais, qui sait ?
•le volontariste altruiste, catégorie dont il faut bien évidemment favoriser le développement, car sans elle, rien de bon ne pourra être fait.

À noter que si on peut dissocier sans ambiguïté le volontarisme du fatalisme, il n’en est pas tout à fait de même avec l’altruisme et l’égocentrisme. En effet, un altruisme bien compris peut participer directement au renforcement d’un confort de type égocentrique : à titre d’exemple, un soutien prolongé à des populations de régions sous-développées peut les aider à se fixer chez elles plutôt que de déferler dans nos pays nantis, et par conséquent nous aider à éviter les problèmes posés par les migrations.

En conclusion :

oui, il faut faire quelque chose, car ne rien faire de particulier entraînerait de toute façon l’obligation d’agir un jour quand même, et dans l’urgence, pour faire face aux conséquences quasi inéluctables que la science est en mesure de prévoir ; et un intérêt bien compris devrait nous inciter à faire ensemble quelque chose de plus intelligent : personne ne s’en porterait plus mal !

Qui doit agir ?

Il est évident que si l’on se contente de laisser faire quelques pays isolés (en supposant qu’ils le décident unilatéralement !), on n’ira pas loin : c’est donc bien l’affaire de tous, d’une manière ou d’une autre. Du fait de leurs missions à vocation de service public (au moins théoriquement), il était “naturel” que les structures étatiques ou supra étatiques soient les premières à se concerter et à s’organiser pour définir et lancer des idées (ce qui ne coûte pas cher) et prendre des mesures (là, c’est un peu plus aventureux : voir les résultats de la conférence de La Haye en novembre 2000 !). Il n’empêche que si rien de significatif n’est rapidement fait à leur niveau, qu’il s’agisse de contraintes ou d’incitations politico-économiques ou d’exem-ples à suivre, il ne se passera pas grand’chose sur la planète.

De leur côté, les grandes entreprises, qui sont toutes plus ou moins impliquées en tant que consommatrices d’énergie fossiles ou évoluées (électricité, par exemple) et qui devraient se sentir concernées, fonctionnent pour la plupart dans un contexte marqué des deux sceaux de la concurrence et du profit individuel d’une part, et du court terme d’autre part, contradictoires de la coopération et du long terme identifiés ci-dessus. Certaines, qui ont commencé à adopter un comportement dit “citoyen” au regard des règles sociales (par exemple dans les cas de sous-traitance dans des pays à main d’œuvre bon marché) ou environnementales, auront peut-être à cœur que l’on dise d’elles qu’elles tiennent aussi compte de l’effet de serre, après la lutte contre les pollutions déjà mises en œuvre ; mais laissées à elles-mêmes, il est peu probable qu’elles prennent rapidement d’elles-mêmes des initiatives significatives. Qu’ils pensent à leurs descendances ou qu’ils en attendent un retour direct pour eux-mêmes (mais dans ce cas, il vaut mieux sans doute être jeune pour en recueillir les résultats dans un certain temps), il reste les volontaristes que ceci ne devrait pas rebuter :
•en tant que citoyens auxquels le droit de vote donne, de temps en temps, un pouvoir malheureusement souvent illusoire ;
•en tant qu’acteurs économiques individuels, responsables de leurs choix en investissements ou en consommation.

C’est donc bien au plus grand nombre à s’engager, chacun à la mesure de ses capacités et des sacrifices qu’il acceptera de faire, dans tout ce qui est susceptible d’apporter un mieux qui ne pourra qu’être bénéfique au plus grand nombre, donc à eux-mêmes.

Avant de développer le paragraphe suivant, il peut être intéressant de rappeler les obstacles majeurs que nous pouvons rencontrer sur notre route : sauf à accepter de vivre hors du système économique dominant (sans voiture, sans électricité, sans fioul), nous dépendons de ce que nous offrent nos magasins, et les entreprises productrices de services et de biens d’équipement ou de consommation n’ont pas nécessairement intérêt pour leurs bilans et leurs actionnaires à faire des efforts dans le sens souhaité. Dans ce contexte, il paraît donc évident que, pendant un certain temps au moins, nous soyons amenés à accepter des sacrifices, et ultérieurement à vivre sur la base de modes de vie nouveaux.

Que faire ?

Certains grands axes d’actions possibles ont été abondamment présentés et développés par les médias. En voici plusieurs :
•réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, principalement le CO2. Il s’agirait là d’un effort de grande envergure, comprenant l’amélioration des rendements des machines de grande taille utilisant les combustibles fossiles (dans les centrales électrique ou les grandes installations industrielles consommatrices de pétrole, de gaz ou de houille), et des moteurs des véhicules en tous genres (poids lourds, voitures particulières, bateaux et... avions, généralement oubliés jusqu’à maintenant dans les statistiques car ils ne sont recensés dans aucun pays particulier !), les économies dans les systèmes de chauffage (meilleure maîtrise, isolation des bâtiments,) ainsi que pour tous les types d’équipements utilisés dans nos bureaux et logements (notamment électroniques), l’utilisation d’autres sources d’énergie (hydraulique, vent, soleil, géothermie, biomasse), sans oublier le nucléaire, qui a permis à notre pays de produire moins de gaz à effet de serre que d’autres pays (80% de l’électricité produite en France proviennent de cette source), mais qui pose d’énormes problèmes pour l’avenir et mériterait un développement particulier qui n’a pas sa place ici ;
•“recyclage” du CO2 dans les processus naturels de photosynthèse : on parle à ce titre de “puits de CO2” constitués de zones forestières nouvelles concentrées près de lieux producteurs de ce gaz (par exemple grandes centrales électriques), et aussi de l’adsorption accélérée par le phyctoplancton, qui est à l’origine de près des 4/5 de la photosynthèse (des expériences ont eu lieu récemment près de l’Australie, par ensemencement de la mer avec des produits chimiques ; mais ces produits n’auront-ils pas, un jour, des effets pervers ?) ;
•séquestration dans le sol du CO2 issu de grandes installations industrielles (des essais sont en cours aux Etats-Unis, où ont été identifiés des sites géologiques susceptibles de conserver en stock pendant quelques siècles de grandes quantités de gaz ; celles-ci retrouveraient alors progressivement un accès à “l’air libre”, à une époque où nous n’aurons peut-être plus de réserves de combustibles à brûler) ;
•actions vis-à-vis d’autres gaz à effet de serre, notamment le méthane issu des activités agroalimentaires, qui pourrait soit être utilisé comme carburant (des expérimentations en vraie grandeur existent en France ; même si cette solution produit du CO2, il faut rappeler que celui-ci est 20 fois moins producteur d’effet de serre que le CH4), soit voir sa production réduite par modification des processus mis en œuvre par exemple dans les rizières (on ne sait malheureusement pas encore modifier le fonctionnement du système digestif des ruminants !).
•réduction volontaire de consommation des énergies à usage domestique (notamment l’électricité) et amélioration des isolations dans les bâtiments : cette voie n’est jamais la première proposée, car elle touche trop les ressorts de notre société de consommation.

Il est peut-être bon de rappeler qu’à ce jour, personne n’a proposé de solution de destruction du CO2 en excès dans l’atmosphère : on entrerait là dans le domaine de la science fiction.

Tous ces grandes solutions, naturellement, posent des problèmes sérieux : choix dans les investissements industriels, incertitudes et coût des dernières solutions imaginées (la science a des idées, mais il faut que leur mise en œuvre soit économiquement supportable et sans incidences ultérieures graves, qu’elles soient imprévues ou cachées), changements de modes de vie (qui est prêt à abandonner l’usage de la voiture ?)

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Tribune libre

Les laboratoires pharmaceutiques facturent le traitement du Sida par trithérapie à des prix inabordables dans le Tiers monde. Le Brésil a pris l’initiative de passer outre aux brevets détenus par ces laboratoires, fabrique ces médicaments à très bon marché et incite d’autres pays pauvres à faire de même. Les états-Unis font pression pour qu’un nouvel accord, le FTAA, interdise cette émancipation. L’association internationale ACT-UP lance un appel pour empêcher que cet accord soit conclu, voulant défendre l’intérêt des malades contre celui des profiteurs de la maladie. Voici l’essentiel de cet appel :

Non au FTAA !

mars 2001

Avec une ampleur qu’on n’a pas connue depuis que la Peste Noire a exterminé un quart de l’Europe, le Sida frappe le Tiers Monde et tout particulièrment l’Afrique. Dans dix à vingt ans, cette maladie aura des conséquences que nous ne pouvons pas même imaginer aujourd’hui. Le monde n’avait encore jamais vu un continent pratiquement mourir parce que ses habitants sont pauvres. Nous, nous le verrons. Le Sida est pourtant une maladie “gérable” ...pour les Occidentaux et les riches : partout où elle est disponible, la trithérapie a permis de faire chuter les taux de mortalité. Mais les industries pharmaceutiques facturent ces traitements de 10.000 à 15.000 dollars par an et par personne. Aucune nation du Tiers-Monde n’a les moyens d’offrir ces traitements et trente millions de personnes sont en train de mourir.

Pourtant la production des médicaments ne coûte presque rien et une poignée de pays du Tiers-Monde commence à les fabriquer. A leur tête le Brésil dont la société civile a obligé le gouvernement à mettre en place un plan de santé publique pour fournir le traitement à chaque malade atteint du Sida. En quelques années, ce programme a réduit de moitié le nombre des décès dus au Sida, et ramené le nombre des contaminations à une fraction infime de ce que les analystes prévoyaient pour 2001. Mais le Brésil fait plus : lors de la conférence qui se tiendra en mai prochain au Burkina-Faso, il se propose d’expliquer à tout pays du Tiers-Monde comment mettre en place son propre système de médicaments génériques. Bien sûr, il le fait au mépris des brevets des firmes, en plaçant les besoins humains au dessus de la rapacité de l’industrie pharmaceutique (l’industrie la plus rentable au monde) qui se retranche derrière ses sacro-saints brevets pour en tirer des milliards de dollars de bénéfices.

L’industrie pharmaceutique soumet le gouvernement brésilien à de lourdes pressions et les Etats-Unis dénoncent officiellement le programme brésilien devant l’OMC. Pour le réduire à néant ils veulent mettre en place un Free Trade American Agrement (FTAA, en Français : Accord de Libre Echange des Amériques) c’est-à-dire de nouvelles lois contraignantes sur la propriété intellectuelle, plus favorables aux intérêts de l’industrie privée. S’ils y parviennent, le système brésilien de médicaments génériques sera balayé, ce sera un désastre pour les malades.

Nous invitons tous ceux qui combattent la mondialisation et le pouvoir des multinationales, ceux qui placent le respect de l’humain au-dessus de l’avidité des laboratoires pharmaceutiques, à se joindre à nos revendications pour que nous travaillions ensemble à la déroute du FTAA.

d’après ACT-UP Philadelphie.
http://www.critpath.org/actup/

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Que les lobbies pharmaceutiques profitent de la maladie de façon éhontée et que les gouvernements néolibéraux, celui des états-Unis en tête, les y aident, c’est flagrant. Mais si le comble était que le traitement anti-Sida que vendent à prix fort ces laboratoires masquait la véritable cause de la mort annoncée de tant de malheureux dans le Tiers monde ? Nous venons de recevoir à ce sujet, de la part d’un abonné qui est médecin, une lettre assez troublante qui met en doute la nature virale du Sida. En voici de larges extraits :

Dissidence sur le Sida

par M. D.
mars 2001

En complément à l’excellent article de Janine Guespin paru dans la GR-ED n°1006, et à titre d’illustration, je voudrais informer les lecteurs de la GR-ED sur la question du SIDA : un exemple typique et dramatique où la rigueur scientifique pervertie par les intérets économiques de la recherche et de l’industrie pharmaceutique a fait place à un parfait conditionnement des esprits dans le sens desdits intérêts et au grand détriment de la vérité et des malades.

En préambule d’un Congrès international sur le Sida... s’est tenue une rencontre scientifique au cours de laquelle, pour la première fois, des scientifiques qui contestent l’hypothèse selon laquelle le Sida est causé par un virus, ont pu débattre avec des scientifiques “orthodoxes”... Cette fois, M. Thabo Mbeki n’a pas voulu se contenter du discours officiel affirmant dogmatiquement depuis 1984 que : leSida est une maladie sexuellement transmissible, causée par le virus HIV, être séropositif c’est être malade du Sida, la prévention c’est le préservatif, la guérison ce sont les traitements antiviraux.

Ces affirmations qui passent pour des évidences aux yeux de tous n’ont jamais été vraiment prouvées selon les critères scientifiques. C’est par leur inlassable répétition et leur énorme médiatisation qu’elles ont fini par tenir lieu de preuve aux yeux du public comme du corps médical. Ce qui au départ était (et est encore) une simple hypothèse (un virus est la cause du Sida) est ainsi devenu, sans preuve, un fait que plus personne ne discute...

le point de vue dissident

Les scientifiques dissidents rappellent un fait : le SIDA n’est pas une nouvelle maladie, c’est un syndrome : un ensemble de nombreux symptômes et maladies (dont aucun n’est nouveau), qui survient dans un contexte d’immuno-déficience, elle-même acquise secondairement, c’est-à-dire apparue suite à quelque chose.

La réponse à la question : quelle est la cause de cette immuno-déficience ? fut d’emblée recherchée dans le domaine virologique, et en avril 1984, Robert Gallo... annonça lors d’une conférence de presse qui reçut une couverture médiatique extraordinaire, qu’il avait découvert le « virus HIV, cause probable du Sida ». Depuis lors, toute la recherche et toute la stratégie thérapeutique se sont figées autour de cet hypothétique virus. Hypothétique, car, Robert Gallo, ni personne d’autre, ne l’a jamais isolé, cultivé, analysé selon les critères de la science virologique ; de ce fait son existence même n’a donc jamais été prouvée. Les photos qui circulent ne sont pas une preuve : elles représentent des particules dont la nature virale n’a aucunement été prouvée [1]. En 1973... furent déterminés les critères permettant d’établir l’existence d’un rétrovirus... ces prétendus HIV ne satisfont à aucun de ces critères... Depuis 1984, ni la recherche fondamentale, ni l’expérience clinique médicale, ni les résultats thérapeutiques n’ont pu fournir la preuve que le Sida est causé par un virus [2]...

On dit que les trithérapies actuelles ont fait baisser de 60% la mortalité. Peut-être, mais encore faut-il comprendre pourquoi : avant on ne traitait (à l’AZT) que les malades du Sida, et peu en réchappaient ; depuis 1995 environ, on traite de plus en plus souvent (par trithérapie) de simples séropositifs asymptomatiques, il n’est pas étonnant que ces non-malades survivent souvent, malgré la toxicité du traitement...

D’autre part, les inhibiteurs de protease (un des constituants de la trithérapie) ont une action directe contre les infections opportunistes : les grands malades ne meurent donc plus de ces infections. Cet effet incontestablement positif n’est donc aucunement un effet antiviral contre un hypothétique HIV. Les résultats thérapeutiques ne fournissent aucune preuve que ces thérapies donnent autre chose qu’un coup de fouet transitoire aux malades...

Tous ces antiviraux sont très toxiques pour les fonctions cellulaires vitales et aggravent la déficience immunitaire qu’ils sont censés combattre. Leurs graves effets secondaires sont d’ailleurs bien connus et redoutés... Tous ces faits infirment l’hypothèse selon laquelle le Sida serait causé par un virus et donnent à penser qu’il est plutôt causé par des facteurs immunosuppresseurs liés aux comportements et modes de vie ...Les facteurs de risque épuisant l’immunité sont essentiellement les drogues, la malnutrition grave (en Afrique c’est le facteur premier), l’usage abusif, répété ou continu d’antibiotiques, d’antiviraux ou d’autres médicaments perturbant l’immunité. Sans oublier le stress et la panique engendrés par le diagnostic de séropositivité... Les nombreux scientifiques contestataires sont rejetés par la communauté “scientifique” car ils menacent évidemment le pouvoir et les intérêts économiques de ceux qui soutiennent l’hypothèse orthodoxe...

le sida en Afrique

En Afrique, les tests de dépistage (qui identifient la présence d’anticorps, et non pas du germe infectieux lui-même) réagissent très souvent positivement à des maladies infectieuses et parasitaires communes dans ces populations... Les tests sont donc non spécifiques et sans valeur. Pour porter le diagnostic de Sida en Afrique, l’OMS a donc défini quatre critères cliniques : fièvre prolongée, toux persistante, diarrhée chronique, perte de poids importante [3].

Mais ces quatre symptômes caractérisent des maladies observées bien avant qu’on ne parle de Sida : dénutrition calorique et protéique, tuberculose, infections et parasitoses intestinales, malaria, etc... C’est cependant sur ces tests et ces symptômes que se fondent les “experts” pour annoncer « 16.000 nouvelles infections HIV chaque jour »... En fait, le Sida africain n’est qu’un autre nom donné à des maladies bien connues depuis longtemps. De nombreux médecins, scientifiques et travailleurs sociaux présents sur place en témoignent [4] : cette prétendue épidémie d’un virus infectieux nouveau n’est que l’expression de l’aggravation en Afrique des conditions sociales, alimentaires et sanitaires, c’est une épidémie de misère.

C’est une erreur fondamentale de croire que la guérison du Sida en Afrique exige des traitements antiviraux. Ces traitements seraient un désastre supplémentaire car ils ruineraient davantage encore le système immunitaire de ces malades qui sont immunodéficients tout simplement parce qu’ils sont carencés, infectés et parasités, parce que les guerres civiles et les funestes conséquences de la mondialisation et des plans d’ajustement structurels imposés par le FMI les ont réduits à la misère, et qu’ils ne reçoivent pas les soins médicaux les plus élémentaires...

Les spécialistes du Sida et les responsables de la santé publique devraient reconnaître que ce sont la malnutrition, les conditions sanitaires déficientes, l’anémie et les infections endémiques qui sont à l’origine des symptômes cliniques du Sida, et non le virus HIV.

Les faits indiquent clairement que la solution pour améliorer la santé des Africains c’est le développement socio-économique, non pas des mesures de répressions sexuelles [5]. »...

M.D., Visé

La plupart des auteurs cités peuvent être consultés sur Internet :
site francophone
http: //perso.wanadoo.fr/sidasante/
site dissident :http: //www.rethinkingaids.com

Rendant compte de la 8ème conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes qui s’est tenue à Chicago du 4 au 8 février, Le Monde souligne que « malgré les progrès des connaissances, les possibilités thérapeutiques transformées en 1995 par l’arrivée des antiprotéases et la multithérapie, n’ont pas été confortées depuis par la mise au point de nouvelles classes thérapeutiques ». Après avoir rappelé qu’il a fallu moins de deux ans après la découverte de la maladie pour que le virus soit isolé et sa composition décryptée par l’équipe du Pr. Luc Montagnier à l’Institut Pasteur (où avaient été mis au point en 1973 les protocoles d’identification des virus), le journal donne une description détaillée des étapes successives de l’infection d’une cellule de l’organisme par un virus et explique les mécanismes d’inhibition des nouvelles thérapies et des traitements actuels. Les congressistes ont aussi souligné les effets néfastes des trithérapies (forte toxicité, nouvelles maladies métaboliques, décalcification, hépatite C, augmentation de la fréquence des infarctus,...) et rappelé que 40% des malades ne répondent pas bien au traitement et sont porteurs de virus devenus résistants aux antiviraux.

Si le problème économique parait évident, par contre celui de la nature de la maladie ne l’est pas, il relève de la virologie, expertise que nous n’avons pas à la rédaction...

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[1] Stefan Lanka (virologue, Dortmund)

[2] Dr Eleni Papadopulos et son équipe de chercheurs (Royal Hospital, Perth)
Dr Et. de Harven (prof. émérite de pathologie à l’Université de Toronto)

[3] Definition de Bangui (1985)

[4] H. Bialy, de nombreux médecins africains, Ph. et Ev. Krynen, Dr Eleni Papadopulos,

[5] Prof. Ch. Geshekter