La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 63`· septembre 1938

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N° 63`· septembre 1938

La paix ne peut s’édifier que dans l’abondance   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

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La paix ne peut s’édifier que dans l’abondance

par J. DUBOIN
septembre 1938

1938 ! La grande presse de tous les pays s’écriait, il y a quinze jours : le monde s’inquiète de la récolte pléthorique du blé ! Et on nous exposait gravement que le blé était en excédent dans tous les pays producteurs[...]. Horreur ! L’Institut International d’Agriculture estime que la récolte mondiale de blé en 1938 dépassera non seulement et de beaucoup celle de 1937, mais encore les meilleures de toutes les années précédentes.

Qu’on n’oublie pas que partout des mesures de restriction avaient été prises et qu’on avait diminué obligatoirement les emblavements dans le monde. Rien n’y a fait.[...]. Même en France, nos bons économistes officiels déplorent l’existence de 20 millions de quintaux excédentaires. On va les transformer en essence.

1938 ! La guerre rôde partout. Au lieu de se réjouir tous en chœur de n’avoir jamais été plus riches et d’avoir enfin vaincu la disette, les hommes, après avoir engrangé une quantité inusitée d’excellent froment, se hâtent aux frontières. On va les armer pour s’entre-tuer. Ils vont assassiner femmes et enfants dans les pays voisins et on en fera autant chez eux ; ils vont détruire le fruit du travail de toutes les générations. Voilà des siècles qu’ils édifient le plus gigantesque outillage économique et [...] voilà qu’ils s’apprêtent à tout briser en se livrant à un carnage qui, lui aussi, battra tous les records connus...

Est-ce possible ? Oui, c’est possible ; c’est même inévitable si les hommes ne veulent pas consentir enfin à se distribuer tout ce qu’ils produisent d’utile au lieu de se distribuer la mort.

Et pourquoi ne peuvent-ils pas se distribuer les choses utiles qu’ils créent aujourd’hui en aussi grande quantité que leurs besoins l’exigent ?

Tout simplement parce qu’ils ne veulent pas transformer leur code social qui fonctionnait tant bien que mal aux temps de la disette, mais qui ne fonctionne plus du tout au temps de l’abondance.

Et ces malheureux veulent tous la paix ! Mais ils ont la faiblesse de croire qu’elle s’instaurera toute seule sans le petit effort que tous doivent accomplir pour s’adapter à une situation entièrement nouvelle et pour laquelle il est vain d’aller chercher des précédents dans l’Histoire. Il n’y en a pas.

Résumons le problème, une fois de plus [...]. Autrefois [...] chacun trouvait à peu près son compte [...dans l’échange marchand entre matières premières et produits finis...]. Pour se procurer ce qui leur est indispensable, les pays industriels se sont servi de leur or tant qu’ils en ont eu [...]. Personne ne voit donc, parmi les dirigeants de tous les pays, que tous ces expédients sont aujourd’hui sans effet et que la situation s’aggrave de jour en jour ? La misère gagne tous les pays, aussi bien ceux qui n’ont pas de matières premières que ceux qui en regorgent et les détruisent. La vieille machine connue sous le nome de commerce international ne fonctionne plus. Veut-on un exemple entre mille [...celui du blé...].

Une seule solution : c’est de faire distribuer gratuitement , par un organisme international, l’excédent de ce que chaque nation peut produire en abondance, qu’il s’agisse de produits fabriqués ou de matières premières. Oh, ne haussez pas les épaules, cher lecteur. Ne se propose-t-on pas déjà de distribuer gratuitement, de l’autre côté de la frontière les gaz, les obus, les torpilles, et autres engins de mort que les pays fabriquent sans arrêt en se ruinant ? Et cette distribution de mort, je vous assure qu’on la souhaite vraiment gratuite, c’est-à-dire sans aucune contrepartie, si possible, de la part des destinataires.

Quant à l’organisme à créer, il existe déjà et il suffit de remanier sa charte constitutive : c’est la Société des Nations. Jusqu’ici, elle n’est pas une société, car, au sens juridique du mot, la société est un être distinct auquel des associés viennent apporter quelque chose qui leur appartient et dont ils se dépouillent en sa faveur. Or, les nations faisant partie de la Société des Nations, n’ont rien apporté du tout. Elles ont conservé jalousement l’intégralité de leur souveraineté. [...]

Il faut donc donner à Genève un rôle économique qui lui permettra ensuite d’unir réellement les peuples sur le plan politique [...] . Ce serait le moyen de faire entrer toutes les nations dans un véritable organisme international, où chaque pays apporterait le surplus de ce qu’il ne peut plus écouler normalement. cet apport, consenti au nom de la paix mondiale, assurerait à chaque peuple la possibilité de vivre décemment des fruits de la coopération de tous...et ceci dit pour ceux qui ne se préoccupent que des questions de gros sous, cela ne coûterait pas mille millions par jour.

Je le répète : c’est folie de demander des sacrifices aux Tchécoslovaques, aux Ethiopiens, aux Chinois. C’est à tous les hommes qu’ils faut demander le sacrifice de leurs préjugés, de leur régime de comptes, de leurs mesquins profits qui s’effondrent. Ou l’abondance pour tous, ou la misère pour chacun : voilà le dilemme qui se pose aux hommes de 1938.

Mais qu’ils sachent bien que guerre ou pas guerre, le régime des échanges individuels est mort. Il serait absurde de le suivre au tombeau.

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Au fil des jours

septembre 1938

Les gens que l’on appelle les Allemands des Sudètes ont éprouvé depuis peu le désir frénétique de devenir hitlériens. C’est assez curieux [...], il faut remonter de sept siècles et demi dans le temps pour trouver des habitants des Sudètes faisant partie de l’Empire germanique [...]. Ce besoin bizarre ne s’est manifesté qu’après que les Autrichiens ne fussent devenus hitlériens [...] On porta donc la question sur le plan diplomatique [...]. Mais l’un des diplomates avait eu soin de mettre sa puissante armée sur le pied de guerre en racontant qu’il procédait à quelques maneuvres ordinaires. Puis le même diplomate fit entendre à Nuremberg un discours fort clair : ou l’on ferait ce qu’il voulait, ou il entrait en force en tchécoslovaquie.

Devant cette menace de guerre, il faut bien reconnaîte que les pays démocratiques n’ont pas réagi d’une manière bien courageuse [...] .L’homme le plus pacifique est bien obligé de se défendre si on l’attaque [...] En réalité, si l’on ne se porte pas au secours d’un allié lorsqu’il est attaqué, on renie simplement la parole donnée [...]. Et à lire et à entendre certains hommes politiques français, on n’en a que plus d’admiration pour les Américains venus se battre à nos côtés au cours de la dernière guerre, alors qu’aucun traité ne les y obligeait [...]. Les voyages formant la jeunesse, M.N.Chamberlain s’envola pour l’Allemagne. On nous a dit qu’il allait renseigner le führer sur les intentions de l’Angleterre en cas de conflit. Il revint fixé surtout sur les intentions de l’Allemagne [...].

Alors les démocraties traitèrent la Tchécoslovaquie comme elles ont l’habitude de traiter leurs embarras financiers. On dévaluerait la Tchécoslovaquie. Elle serait amputée de sa frontière naturelle et de ses fortifications. En échange, on lui offrait le tiers consolidé, c’est-à-dire qu’on lui garantissait le reste [...].

Mais qui garantirait le reste ? Les puissances qui prétendaient garantir le tout ? D’ailleurs une combinaison aussi ridicule ne pouvait déjà plus être proposée. Entre temps, on finissait par s’apercevoir que les Allemands des Sudètes n’étaient qu’un...prétexte. [...].Ce magnifique recul stratégique, élaboré dimanche dernier à Londres, devait permettre dans l’esprit de ses auteurs de résister beaucoup mieux en cas de guerre ? M.N.Chamberlain fait un second voyage pour rendre compte que les ordres ont été fidèlement et rapidement exécutés. Il va en recevoir d’autres qui lui paraîtront, nous l’espérons du moins, plus délicats à transmettre aux malheureux Tchécoslovaques, puisqu’il va s’agir tout simplement de leur disparition.

Le plus tragique, c’est que ni le peuple français, ni le peuple anglais, ni le peuple allemand, ni le peuple italien ne veulent se battre. Mais comme tous ces peuples tolèrent des armements à outrance, il y a gros à parier qu’ils seront bien obligés de s’en servir.

Surtout s’ils continuent à tourner le dos à la seule solution qui leur assurerait la paix éternelle : la distribution des produits utiles à la vie remplaçant la distribution de ceux qui sèment la mort.

Car il est fou de s’imaginer que la paix va s’installer sans qu’on ne fasse rien pour elle, et simplement parce qu’on aura braillé qu’on est pacifique !

Elle ne s’établira pas en demandant des sacrifices aux Tchécoslovaques ; c’est aux bénéficiaires de la rareté qu’il faut en exiger.

On n’est pacifique que si l’on est partisan de l’abondance pour tous les peuples. A ce moment-là, la question de puissance nationale ne se pose plus, ni celle du prestige national, ni celle des frontières, ni celle des races, ni celle des religions.

Et les hommes n’ont plus à remettre leur sort et celui de leur famille à un dictateur. Toute la question est donc de savoir si les hommes comprendront avant ou après le carnage ? Mais qu’on se hâte, car la guerre rôde, même pour les pacifiques.