La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 1098 - mai 2009

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N° 1098 - mai 2009

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Jean-Pierre Mon pique quelques faits de l’actualité.

Léthargie   (Afficher article seul)

Philippe Robichon enrage contre la léthargie de ses concitoyens.

Où est l’issue ?   (Afficher article seul)

Marie-Louise Duboin devant l’incapacité du monde politique, ne voit d’espoir que dans la “révolution silencieuse” que développent tous ceux qui, dans la société “civique” cherchent comment faire fonctionner une “économie sociale et solidaire”.

La division internationale du travail, un fléau pour les peuples   (Afficher article seul)

Christian Aubin démonte un mythe : la division internationale du travail, au lieu d’apporter la prospérité aux populations, détruit les liens sociaux et les cultures : elle ravage à grande échelle les équilibres naturels et la biodiversité.

Vendre sa force de travail   (Afficher article seul)

Caroline Eckert a apprécié les lettres de non-motivation publiées par J.Prévieux.

La force des mots   (Afficher article seul)

Gilbert Rachmuhl dénonce avec A. Bihr l’effet pervers de l’emploi de certaines expressions.

La fleur au fusil   (Afficher article seul)

Bernard Vaudour-Faguet montre que « la liberté, signe de ralliement des démocrates et des humanistes, est le meilleur outil idéologique pour appuyer énergiquement les guerres.

Sarkopositivité   (Afficher article seul)

Paul Vincent montre que l’abstinence entraînée par le chômage et la baisse de pouvoir d’achat fait chuter la “sarkopositivité” des ménages.

II. Quel(s) équilibre(s) démographique(s) sur notre planète ?   (Afficher article seul)

Guy Evrard trouve dans l’approche scientifique un appui solide pour trouver de vraies solutions à la crise.

Je suis inquiet, très, très inquiet...   (Afficher article seul)

Des collégiens face aux C.R.S.   (Afficher article seul)

On “modernise” les services publics ?   (Afficher article seul)

Des témoins montrent comment on commence par le discréditer avant de le démolir.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
30 mai 2009

Enfonçons le clou

Dans le numéro d’avril (GR 1097), je donnais, une fois de plus, des précisions sur ce que l’on entend généralement par “allocation universelle”, et ce qu’est le revenu social proposé par Jacques Duboin. Je rappelais que c’étaient plus les obstacles psychologiques que financiers qui constituaient le principal obstacle à son instauration. Un événement récent vient de renforcer ma conviction : des étudiant de l’université, en grève depuis de nombreuses semaines contre les réformes prévues par le gouvernement, sont allés chercher du renfort du côté de Sciences Po. Ils en ont été rapidement chassés, insultés, qualifiés de futurs chômeurs par les étudiants de Sciences Po qui ne voulaient pas, selon leurs propres termes, « payer leur RMI ». Leur réaction aurait sans doute été encore plus violente s’il s’était agi de payer une quelconque allocation universelle à des gens qui ne travaillent pas !

En ce qui concerne l’allocation versée à tous les habitants de l’Alaska depuis quelques années que Bernard Maris et Baptiste Mylondo, après Yoland Bresson, ont monté en épingle, elle vient de recevoir un rude coup. Le fonds de financement de l’allocation, tiré des bénéfices pétroliers du pays, vient en effet de perdre en quelques mois 30 % de sa valeur, passant de 40 à 28 milliards de dollars [1]. Pourquoi ? — Mais parce qu’il avait été investi dans des portefeuilles d’actions très touchées par la crise, ce qui va poser des problèmes pour financer cette allocation dans les années à venir … et ce qui montre, une fois encore, que l’allocation universelle est incompatible avec le système financier actuel.

Le rosé nouveau va arriver !

La France a adopté en janvier un projet de règlement de la Commission européenne autorisant le coupage des vins pour permettre, entre autres turpitudes, de “fabriquer” du vin rosé en mélangeant des vins rouges et des vins blancs ! C’est une telle ineptie qu’un sondage IFOP paru dans Sud-Ouest et dans Midi-libre le 12 avril révèle que 87 % des Français y sont opposés. Alors on vient d’apprendre que le vote définitif du projet au niveau européen est reporté au 19 juin … c’est-à-dire après les élections européennes ! Nos responsables européens sont vraiment très courageux ! De vrais faux-culs ! Électeurs, souvenez-vous de cette histoire lorsque vous irez voter le 7 juin !

La fille de son père…

Lançant à Toulouse la campagne du PS pour les élections européennes, Martine Aubry a mis en avant « le programme commun du Parti Socialiste Européen (PSE) pour changer le cours de l’Europe » et n’a pas eu peur d’affirmer : « une autre Europe est possible », oubliant sans doute que son père Jacques Delors avait fortement contribué à la “libéralisation” débridée de l’Union Européenne durant les dix ans de sa présidence de la Commission. Elle n’a pas craint non plus de citer Jean Jaurès en réclamant « une Europe un peu moins sauvage » [2]. C’est plutôt modeste comme programme, alors que le monde est plongée dans une crise économique, sociale et écologique sans précédent. Ce n’est pas avec de tels slogans que le PS attirera des électeurs.

Les copains d’abord

Bien que de fieffés coquins l’aient reçue, la légion d’honneur a été créée pour récompenser les mérites des serviteurs de l’État ou remercier des personnalités s’étant distinguées dans l’intérêt public. Notre hyperprésident en a une tout autre conception : il vient de remettre à son copain le philosophe André Glucksmann (qualifié par Le Monde « d’intellectuel de gauche et de militant maoïste changé en anti-totalitariste »…) les insignes d’officier de la légion d’honneur. Devinez pourquoi ? —Pour le remercier de son « monumental article » [3], intitulé « Pourquoi je choisis Nicolas Sarkozy », paru dans Le Monde avant les élections présidentielles. En le remerciant, Glucksmann a déclaré : « Peut-être que la seule chose qui restera de ta présidence de l’Europe est que tu aies réussi à arrêter le déferlement des chars russes ». Ses copains Kouchner et Bernard Henri Levy l’ont embrassé. C’était vraiment touchant à en pleurer !

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[1] Chiffres publiés par USBIG Newsletter, hiver 2009, revuede la branche américaine de l’association BIEN.

[2] Dernier article de Jean Jaurès dans la Dépêche du Midi, 1914.

[3] Tels sont les termes employés par Sarko.

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Au fil des jours

Léthargie

par P. ROBICHON
30 mai 2009

Un soi-disant cataclysme mondial vient de se produire.

Des banques ont fait faillite. Des “traders” ont amassé des milliards en capitaux imaginaires. Des entreprises jettent à la rue les travailleurs qui leur coûtent trop cher, pour rouvrir les mêmes usines ailleurs et payer d’autres travailleurs moitié moins pour le même travail. Alors que rien n’a bougé : la capacité planétaire à engendrer de la richesse matérielle ou culturelle n’est pas détruite, la terre produit toujours de quoi nourrir les hommes et les outils de production sont intacts ...

Rien ne se passe.

Les “pauvres” patrons appellent l’État au secours.

Les travailleurs, qui n’ont rien compris, demandent du travail …mais pas de “dividendes” !

Alors quoi ? N’aurions nous rien appris ? Serait-ce que personne ne veut voir ? Serait-ce que la télé est soporifique au point que ceux qui pourraient faire basculer ce régime économique se mettent la tête sous l’aile ?

La vérité, pourtant, devient éclatante : la puissance et la richesse sont capturées, confisquées, accaparées par un tout petit nombre d’hommes soutenus par des théories économiques délirantes.

Quoi, les commandes de cette machine folle sont à notre portée, et nous refuserions d’ouvrir les yeux ?

D’où vient cette cécité collective, ce refus de voir ce qui s’offre à nous comme un spectacle obscène ?

Pourquoi sommes nous devenus “des voyants aveugles” ?

Qui parviendra jamais à expliquer que cette vérité éblouissante conduit tant de millions d’humains à refuser de lire la page qu’ils ont sous les yeux ?

Le capitalisme se meurt en public. Et en plus, il s’est empoisonné lui-même ! Le seul espoir des “spectateurs” que nous sommes consiste t-il à espérer la “sortie de crise” qui ressuscitera ce moribond ? Ce serait à désespérer du 21ème siècle...

Philippe Robichon, ahuri chronique.

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Éditorial

Où est l’issue ?

par M.-L. DUBOIN
30 mai 2009

Notre humanité apprentie-sorcière s’est mise dans une situation catastrophique en abandonnant son sort à un système … qui s’avère une machine à pomper les richesses de la planète vers une infime minorité qu’Erwin Wagenhofer (le producteur de Let’s make money [1]) estime à 3 % (200 millions de personnes).

Comment-va-t-elle s’en sortir… si elle s’en sort ?

Peut-on rêver que ce soit par la raison, par la sagesse des “décideurs” avouant qu’ils se sont trompés en affirmant que le seul système possible à leurs yeux était la panacée qu’ils promettaient ? Ce n’est hélas pas probable : peu de gouvernements osent choisir cette voie qui les oppose à tous les autres. En tout cas, même dans les pays qui se prétendent démocratiques, cette issue n’est pas imaginée.

Et moins encore dans notre monarchie française : le parti majoritaire y disposant de tous les moyens et sans contrôle, ne démord pas de sa dévotion au maître et à ceux qui ont financé sa promotion. Donc même si cette attitude est de plus en plus difficile à tenir, il continue à affirmer et à promettre.

L’opposition politique est-elle en mesure de dénoncer l’énorme aberration économique et financière, alors que ce qu’on appelle “la crise” où celle-ci nous a plongés lui en offre l’occasion ? Hélas non. Le PS a fait ses preuves en tant que “parti de gouvernement” : il a tellement renoncé à tout idéal et à toute contestation de la religion du marché, il est responsable de tant de dérives, qu’il a ruiné tout l’espoir que la foule du 10 mai 1981 avait manifesté dans la joie. Il n’offre plus que le spectacle calamiteux de politiciens tout aussi obnubilés que leurs “adversaires” par leur ambition personnelle et leurs rivalités internes, totalement incapables de sortir des poncifs de la pensée unique pour oser concevoir un véritable projet de civilisation. La déception de ses anciens électeurs va grossir le parti des abstentionnistes aux prochaines élections, ce qui ne fera qu’augmenter le pourcentage des votes de droite…

Ce pourcentage sera également renforcé du fait qu’il s’agit de choisir des députés européens dans le cadre qui a été massivement refusé par référendum.

L’espoir d’une dénonciation des méfaits du système n’est donc porté, sur le plan politique, que par ceux que les grands médias français, pour faire peur, évoquent comme une gauche “extrême”, et que les Allemands désignent tout simplement comme étant la vraie gauche : die Linke. Il sera sans doute difficile de les entendre au cours de la prochaine campagne électorale, car déjà les grands médias les ridiculisent en évoquant le “parti du facteur”. Espérons que leur programme, puisqu’il se dit anticapitaliste, ne passera pas à côté du vrai problème et saura donc s’appuyer sur le refus total du prêt à intérêt sur lequel repose la monnaie capitaliste émise par les banques (privées).

Et les syndicats, peut-on compter sur leur poids ? Jusqu’ici, le monarque en exercice a voulu ignorer leurs justes revendications et s’est montré insensible à leurs manifestations, pourtant massives. Cette attitude a eu au moins pour effet de les unir dans leur refus de voir les citoyens contraints de faire les frais des dérives du système financier, auquel les gouvernements se sont empressés de porter secours. L’histoire dira si cette union aura des suites. On aimerait les voir oublier, eux aussi, leurs rivalités, et rester unis dans la défense des intérêts non pas seulement des “travailleuses, travailleurs”, mais de tous les citoyens, dont ceux qui n’ont pas de travail du tout, et ceux qui n’ont qu’un emploi trop précaire pour pouvoir se syndiquer.

Il reste que toute la sécurité qu’apportaient l’État-Providence et ses services publics … est systématiquement détruite. La montée des mécontentements qui en résultent et des mesures policières prises pour les étouffer (elles sont telles [2] qu’Amnesty International s’en émeut) font évidemment craindre que cette escalade de la violence mène à de terribles conflits, bien pires encore que ceux du passé…

Face à toutes ces raisons de protester ou de désespérer, une révolution silencieuse tente pourtant, obstinément, de se développer : c’est celle de la société civile, ou plutôt civique, mais non formelle, non institutionnelle, celle de tous ceux qui, comme nous-mêmes, aspirent à une “économie sociale et solidaire” (terme maintenant consacré). Nos voies sont multiples et disparates, certains cherchent d’abord à comprendre, à analyser quels sont les mécanismes à supprimer et par quoi les remplacer, d’autres, les plus nombreux, préfèrent tenter des expériences “de terrain”. Toutes ces voies sont pleines d’écueils, dans un contexte hostile et tout puissant qui conditionne fort les mentalités. Mais les conclusions d’une étude publiée par le CETIM [3] et portant sur les plus riches d’enseignement parmi ces expériences, sont fort encourageantes. Je n’ai pas la place ici pour les rapporter, ce sera pour le mois prochain.

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[1] Voir GR 1097, page 3.

[2] Faute de place, nous n’en évoquons, ci-dessous, page 13, que deux parmi toutes celles dont nous avons eu écho.

[3] Produire de la richesse autrement étude publiée par le Centre Europe-Tiers Monde, 6 rue Amat, 1202 Genève.

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La division internationale du travail, un fléau pour les peuples

30 mai 2009

Pour le capitalisme, le profit est la valeur suprême. Rien n’a plus d’importance aux yeux de ses propagandistes et il convient d’y assujettir au mieux les sociétés humaines afin que la maîtrise du système économique par le marché soit assurée à son optimum. Cette logique doit donc s’imposer comme seul mode de relations sociales et c’est sans l’ombre d’un scrupule que depuis les années 1980, Reagan et les dirigeants des principaux pays industriels se sont employés, suivant les préceptes de l’école de Chicago, à “déconstruire” ce qui n’a pas lieu d’être car, comme disait Margaret Thatcher : « la société, ça n’existe pas, il n’y a que le marché ».

La France n’est pas en reste. Les principales actions du gouvernement s’inscrivent précisément dans cette stratégie, où le leitmotiv de la “réforme” désigne scandaleusement la destruction des services publics et des acquis sociaux, richesses pourtant tenues pour essentielles par une écrasante majorité d’entre nous.

La nocivité sociale de cette politique est si grave que les prétextes de modernisation mis en avant pour la justifier deviennent impuissants à la faire accepter, y compris dans les rangs de ceux qui y sont acquis de longue date. D’autant que la crédibilité du système capitaliste pour gérer l’avenir de l’humanité est fortement plombée par l’ampleur d’une crise qui, en quelques mois, a détruit plus du quart des richesses monétaires du monde. Et les tenants de ce système le confirment dans leur fuite en avant au G20 de Londres en décidant d’engloutir encore des milliers de milliards de dollars de fonds publics dans un système bancaire privé qui fait eau de toute part. Ce radeau de la méduse ressemble de plus en plus à un naufrage de fin de règne.

Utopie d’une exploitation sans limite

Il faut donc imaginer, pour comprendre l’obstination des politiciens au pouvoir à poursuivre cette politique désastreuse et dévastatrice, que l’utopie de l’exploitation sans limites du travail des êtres humains reste à leurs yeux le dogme indépassable “tombé du ciel” que rien ne saurait contredire.

L’oligarchie régnant sur le capitalisme mondial a ainsi réussi à faire en sorte qu’une part croissante des richesses que nous produisons soit affectée au perfectionnement de son système, en particulier pour développer sans cesse la “division internationale du travail (DIT)” qui est devenue sa pièce maîtresse.

Mise en place à la fin des trente glorieuses, la DIT reposait sur une spécialisation néo-coloniale des échanges commerciaux : aux pays pauvres les matières premières ou agricoles, aux riches la production industrielle (là où les gains de productivité liés au progrès technique stimulaient l’élévation du niveau de vie). Les activités jugées les moins efficaces économiquement face aux importations concurrentes (selon les critères du profit capitaliste) furent ensuite abandonnées pour affecter les ressources ainsi libérées (hommes, capitaux, matières premières…) aux activités “les plus efficaces” sur les marchés d’exportation.

La recherche d’une rentabilité accrue des investissements a ainsi conduit progressivement au développement d’unités de production de grande échelle pour réduire les coûts, ce qui fut imposé aux pays dits “en développement” par les injonctions des plans d’ajustement structurel du FMI, par la libéralisation des échanges au sein de l’OMC et par les investissements des firmes étrangères à la recherche de nouveaux marchés ou de sites de production au coût attractif.

Le développement rapide de cette stratégie après le premier choc pétrolier a profondément modifié le paysage de l’industrie mondiale. Les pays en développement se sont spécialisés dans les activités à fort taux de main d’œuvre, exportant des produits à bas prix sur les marchés des pays riches, tandis que l’Europe et les États-Unis déversaient sur les marchés mondiaux des surplus agricoles fortement subventionnés, contraignant ainsi les pays du sud à réorienter leur économie selon les plans d’une DIT dévolue aux multinationales des pays industrialisés (abandon des cultures vivrières traditionnelles devenues non compétitives, réduction drastique des dépenses publiques de transport, santé, éducation…). Celles-ci ont d’ailleurs très vite développé des échanges croisés au sein des industries, en contradiction avec le principe de spécialisation des pays. Plutôt que de dupliquer leurs unités de production dans leurs différentes implantations, elles se sont réorganisées sur une base globale, fractionnant la chaîne de valeur ajoutée entre leurs différentes filiales, et délocalisant ou sous-traitant une partie de leurs productions.

Un effet d’amplification

Sans pouvoir donner ici une analyse technique plus approfondie des conséquences de la DIT généralisée, nous pouvons cependant insister sur l’effet d’amplification qu’elle joue dans le développement de la crise majeure actuelle du système.

Elle y contribue fortement en soumettant aux marchés spéculatifs l’appropriation privée et l’adaptation accélérée de l’ensemble des structures d’échange et de production de la quasi-totalité des pays du globe.

Avec en complément l’explosion des marchés bancaires de produits dérivés “pourris” en pleine crise, c’est ainsi que le système apporte sa réponse aux exigences de profits faramineux à court terme d’un système liant banques et actionnaires dans une totale irresponsabilité, démontrée par des affaires innombrables de fraudes, faillites, détournements massifs et délits d’initiés dans les plus grands établissements et entreprises de la planète (banques, compagnies d’assurances, agences de cotation, énergie, transport, armement...).

Les contradictions entre cette politique globale et l’intérêt des populations locales sont tenues pour négligeables, malgré l’explosion du chômage qui en résulte et les contraintes économiques très lourdes qu’elles imposent.

Le résultat

Il faut malheureusement bien admettre qu’en ravageant les liens sociaux et les cultures, par delà les continents, en maintenant dans un état de misère extrême des centaines de millions de nos semblables, en détruisant à grande échelle les équilibres naturels et la biodiversité, en poussant à la privatisation de toutes les richesses collectives, y compris par des brevets sur le vivant, l’utopie totalitaire d’un capitalisme régissant le monde sans partage, est en passe d’être réalisée.

Le rôle joué par la division internationale du travail, dans la domination des peuples est généralement passé sous silence, ou évoqué d’une façon très vague. Sans doute est-ce le résultat des mesures draconiennes prises pour tenir les populations dans l’ignorance de projets dont elles ne connaissent, après coup, que les conséquences locales lorsque leurs emplois sont en jeu. Les secrets sont bien gardés, et depuis fort longtemps, comme des témoignages directs recueillis lors des premières grandes délocalisations des usines de construction automobiles françaises nous le montraient déjà. Pour que rien ne filtre des projets en cours, les responsables des sociétés d’équipements fournissant des pièces ou des sous-ensembles aux chaînes d’assemblages des véhicules étaient convoqués dans les bureaux du constructeur automobile pour des réunions “informelles”, durant lesquelles il leur était interdit de prendre des notes, la teneur des échanges devant rester strictement confidentielle. Lors de ces réunions, les équipementiers étaient tenus de préciser les mesures qu’ils s’engageaient à prendre pour “accompagner” les délocalisations du constructeur, c’est à dire quelle part de l’activité de leur propre société serait également délocalisée. Il va de soi qu’aucune réserve sur ces délocalisations n’était concevable : elle aurait conduit à l’élimination pure et simple de l’équipementier du panel des fournisseurs du constructeur.

On constate aujourd’hui que ces pratiques sont non seulement toujours en vigueur, mais se sont multipliées et généralisées. Par exemple, ces derniers jours, l’interception d’accords écrits entre le constructeur français PSA et l’équipementier américain Molex ont révélé aux salariés de l’usine de fabrication de connecteurs électriques de Villemur-sur-Tarn que la fermeture de leur usine et le transfert à l’étranger de ses fabrications n’avaient rien à voir avec la crise actuelle, comme on tentait de leur faire croire. Elle avait été préparée de longue date, dans le cadre des restructurations industrielles programmées (pour accroître les profits des actionnaires des groupes en question au détriment des salariés, cela va sans dire).

Les grandes manœuvres industrielles et commerciales de ce type, qui modifient sans cesse les structures de production, donc la nature et la localisation des emplois, sont totalement déconnectées de processus décisionnels publics et démocratiques, interdisant ainsi aux peuples d’intervenir dans ce domaine économique majeur qui conditionne largement leur avenir et celui des générations futures. Le système politique s’est progressivement dessaisi de tout pouvoir en la matière au point d’avoir supprimé, en France, son Ministère de l’Industrie. Laissant le champ libre à la cupidité des “investisseurs”, le pouvoir ne conserve en réalité comme prérogatives que les replâtrages censés remédier aux conséquences sociales et environnementales de la DIT. Comme le déclare en substance, avec suffisance et mépris, l’un des acteurs de ces ravages dans le remarquable film documentaire Let’s make money d’Erwin Wagenhofer : « Je ne pense pas que l’investisseur doive être responsable de l’éthique, de la pollution ou de quoi que ce soit que produise la société dans laquelle il investit. Ce n’est pas son boulot. Son boulot est d’investir et de gagner de l’argent pour ses clients ».

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Lectures

Vendre sa force de travail

par C. ECKERT
30 mai 2009

« Le salarié n’est pas vendu, mais il se vend lui-même » a-t-on pu lire dans la GR de mai 2008 [1], ou plutôt il vend sa force de travail comme c’est précisé plus loin. Ainsi, à l’instar des carottes qui se vendent sur le marché des fruits et légumes ou des actions qui se vendent sur le marché des valeurs boursières, le salarié se vend sur le marché du travail, par le biais d’annonces d’offre d’emploi.

Les salariés…

Comme beaucoup d’entre nous, Julien Prévieux a répondu à de multiples annonces d’offre d’emploi en envoyant un curriculum vitae accompagné d’une lettre de motivation. Alors en quête d’une activité salariée, il a sans doute commencé par des lettres conventionnelles afin de ne pas effrayer le destinataire, de faire croire en ses capacités à remplir la fonction et finalement d’obtenir le poste. Le temps passant, et les refus ou les non-réponses s’accumulant, on imagine aisément qu’il a fini par ne plus s’attendre à recevoir un retour positif.

C’est là que son parcours diverge de celui du commun des mortels puisqu’il s’est ensuite mis à envoyer des lettres de non-motivation, lettres dont une trentaine sont rassemblées dans un ouvrage [2] paru en 2007. Dans des styles très divers, alliant sérieux, humour et absurde, toutes ces lettres expliquent à leur destinataire pourquoi Julien Prévieux refuse le poste proposé.

Dans l’une, il détaille comment sa passion des tests de logique lui a permis de découvrir, pense-t-il, l’identité de la « grande entreprise de transport public de la Région Parisienne » mentionnée dans l’annonce avant de refuser l’offre car « une entreprise qui ne donne pas son nom [...] ne [lui] semble pas très fiable ». À un spécialiste de la biométrie il répond qu’il n’a « aucune envie de participer à l’implantation de techniques dangereuses pour les libertés d’autrui », tandis qu’à une entreprise de télécommunication il objecte que « travailler chez [...], c’est vraiment trop nul de toute façon ».

Les offres d’emploi ne manquent pas d’intérêt non plus, surtout qu’elles présentent des propositions très variées. Peut-être Julien Prévieux n’avait-il pas une idée très précise du type d’emploi qu’il recherchait, peut-être s’est-il pris au jeu et laissé guidé par la perspective d’une lettre de non-motivation particulièrement originale, les raisons de leur sélection peuvent être nombreuses. Toujours est-il que du manutentionnaire au manager, en passant par le comptable et le discothécaire, toutes sortes de métiers sont passés en revue, avec le jargon afférent qui se révèle souvent instructif. Pour ma part, j’ai appris, entre autres, que de grandes enseignes appellent “centre de profit” ce que le langage courant nommerait tout simplement un magasin.

Enfin, la lecture des réponses reçues montre que la plupart des destinataires des lettres de non-motivation ne semblent même pas avoir lu le courrier, adressant à notre auteur une lettre type (Nous avons bien reçu votre candidature … Nous sommes au regret de ...), cependant que l’un ou l’autre prend acte de sa non-candidature.

Mais les plus savoureuses sont celles émanant de personnes qui, selon toute vraissemblance, se sont laissé berner, s’évertuant à répliquer aux critiques formulées. Alors que l’augmentation du chômage laisse prévoir que les envois de courriers liés à la recherche d’emploi vont grandement profiter à l’industrie papetière, la démarche entreprise par Julien Prévieux rappelle utilement que « la lettre de motivation est un jeu social dont personne n’est dupe », pour reprendre la note de l’éditeur [3], « un jeu factice, mensonger [...] [qui] apparaît comme la mise en scène de l’infériorité du demandeur et de la toute puissance de l’entreprise ».

…Et les autres

Pour en revenir à l’article cité plus haut [1], s’il fustige à juste titre la nécessité de vendre sa force de travail, il a, me semble-t-il, le tort de ne considérer que le salariat comme asservissant. Le salariat a longtemps été présenté et perçu comme un progrès social, et reste certainement préférable à certaines formes qui perdurent, telles que l’embauche à la journée. De plus, les autres formes d’activité professionnelle supposent, elles aussi, de vendre sa force de travail. Ainsi, n’importe quel boucher doit trouver des clients à qui vendre ses escalopes, n’importe quel dentiste des patients à soigner et même n’importe quel artiste-peintre des collectionneurs à enthousiasmer.

La nécessité de vendre sa force de travail n’est pas propre au salariat, car les autres types de profession sont soumises au même impératif. Dans le système économique actuel la contrainte ne vient pas de telle ou telle forme d’emploi, mais du contexte. Vendre sa force de travail suppose d’entrer en négociation avec un acheteur. Le vendeur peut être aussi bien l’impétrant salarié que le boucher, le dentiste ou l’artiste-peintre, l’acheteur étant tour à tour l’employeur, le client, le patient ou le collectionneur, peu importe. Le résultat dépend du rapport de forces.

Dans une période de plein-emploi le rapport de forces est en faveur non seulement du salarié mais aussi des autres formes d’activité puisque le plein-emploi ne peut advenir que lorsque la situation économique est florissante et que le développement de tous les secteurs est alors favorisé.

Il n’en va pas de même lorsque le chômage s’incruste, voire s’aggrave [4]. Depuis quelques mois chacun peut facilement constater que les salariés ne sont pas les seuls touchés par la crise. Les secteurs du bâtiment et de la restauration rencontrent déjà de grandes difficultés, en attendant d’autres. Il ne s’agit pas de minimiser la souffrance des chômeurs, simplement de pointer que leurs problèmes ne sont pas uniquement dus à leur ancienne condition de salarié mais plus généralement à la nécessité de vendre sa force de travail.

Pour les salariés, comme pour les autres formes d’activité, retrouver son libre arbitre, sa vraie liberté, demanderait donc de ne plus être obligé de vendre sa force de travail. Autrement dit de ne plus dépendre de son travail pour vivre dignement. C’est ce que permettrait le revenu social d’existence proposé en son temps par Jacques Duboin et depuis repris par d’autres, notamment par Marie-Louise Duboin.

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[1] La Grande Relève n°1087, p.12

[2] Lettres de non-motivation, par Julien Prévieux, Ed. La Découverte, 2007 (peut être lu sur www.previeux.net et une sélection peut y être téléchargée).

[3] Lettres de non-motivation, par Julien Prévieux, Ed. La Découverte, 2007 (peut être lu sur www.previeux.net et une sélection peut y être téléchargée).

[4] voir à ce sujet l’article de Jean-Louis Glory paru dans GR 1096, de mars 2009, p.10.

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Lectures

La force des mots

par G. RACHMUHL
30 mai 2009

« Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que du vent ». C’est par ces mots très actuels de George Orwell (bien qu’écrits il y a plus de 50 ans) qu’Alain Bihr commence son livre [1] La Novlangue Néolibérale. Il y traite en profondeur un certain nombre de mots et d’expressions qui sont employés quasi systématiquement dans tous les discours de ceux qui nous dirigent et font partie de la novlangue néolibérale.

Citons par exemple : les charges sociales, la flexibilité, l’insécurité, le marché, la propriété, la dette publique.

Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant, c’est l’étude approfondie que l’auteur fait de chacun des termes qu’il cite. Il ne se satisfait pas d’une simple explication de la terminologie employée. Il analyse en profondeur le concept, en se basant le plus souvent sur une analyse marxiste, et il en déduit les conséquences idéologiques qu’en tirent les néolibéraux pour formater les esprits à leur volonté. C’est pourquoi, en 194 pages de texte, il ne décline que 18 expressions de cette “langue” qui en comporte en fait beaucoup d’autres, mais, probablement, pour cet auteur, moins essentielles.

Prenons l’exemple de la dette publique. Alors que la novlangue cherche à nous culpabiliser individuellement, nous qui, vivant au-dessus de nos moyens, allons léguer à nos enfants le soin de rembourser des sommes importantes, l’auteur écrit : « L’État n’est pas endetté comme l’est un ménage, parce que son train de vie excède ses recettes, il est endetté parce qu’il a décidé de restreindre ses recettes pour des raisons essentiellement politiques. En somme, la dette publique est un pur artefact » et il montre plus loin que cette dette publique est un double cadeau fait par l’État à la bourgeoisie aujourd’hui.

Chaque expression est démontée, démystifiée en quelque sorte. Il en est ainsi de la propriété : la novlangue fait volontairement la confusion entre propriété individuelle et propriété collective, ce qui permet, en fait, que « l’appropriation par une minorité (la classe capitaliste) des moyens sociaux de production a pour conséquence inéluctable la dépossession de l’immense majorité des membres de la société … Exemple qui consiste à exalter une forme de propriété qui repose sur l’expropriation de la majeure partie de l’humanité, synonyme pour une fraction importante d’entre elle de pauvreté,… en définitive d’absence pour elle de toute forme de propriété. »

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Ce qui est important dans cet essai, c’est qu’il démontre que, par la terminologie utilisée, toute une idéologie se diffuse subrepticement, tant dans la forme que dans le fond. En forçant l’utilisation de ces termes dans les discours quotidiens, on fait pénétrer cette idéologie dans nos cerveaux. La preuve : même les acteurs qui se battent contre l’emprise du néolibéralisme utilisent cette novlangue pour s’exprimer et se faire comprendre, sans la dénoncer, minimisant ainsi la forme du langage par rapport au fond, et se plaçant du même coup sur le terrain idéologique où leurs adversaires ont souhaité les conduire.

Ils ne se rendent pas compte qu’en manquant de rigueur dans l’utilisation du langage, ils partent avec un handicap important dans la confrontation des idées.

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[1] Cahiers libres, Editions Page Deux, 2007.

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La fleur au fusil

par B. VAUDOUR-FAGUET
31 mai 2009

Dans nos démocraties (évoluées) la guerre commence toujours par la prononciation solennelle d’une rhétorique euphorisante, glorieuse et bien déterminée. C’est la posture médiatique privilégiée des dirigeants élus de la majorité qui adoptent volontiers, dans ces moments, un ton emphatique et boursouflé. Les propos d’un Président de la République, quand ils accompagnent le processus militaire initial (départ des troupes) ont un impact essentiel sur la vie du pays. Les mots, les vocabulaires choisis, doivent être “ajustés ” avec une précision mécanique aux circonstances les plus graves. Pourquoi ? — Parce qu’il convient de créer une tension mentale (morale) capable d’encourager, de stimuler, les intervenants de cette “aventure” (soldats, citoyens, parents). Un “souffle” patriotique doit apparaître afin de faire oublier, afin d’atténuer, le sentiment de trouble, d’inquiétude, inhérent à ce type d’option armée.

D’où le recours systématique aux nobles valeurs : celles qui vont exalter la Nation entière dans son engagement, celles qui vont favoriser un courant de soutien au drapeau. Dans ce genre d’évocation, inutile de citer la fraternité ou la solidarité ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ! Non ! C’est la liberté qui s’avère être le meilleur outil idéologique pour appuyer énergiquement la manœuvre guerrière. La liberté… signe de ralliement des démocrates et des humanistes, thème exemplaire qui se plie à toutes les contorsions acrobatiques, à toutes les démonstrations les plus tordues ou les plus vicieuses… tant son rayon d’action est large, modifiable à souhait !

Observons au passage que les dictatures n’éprouvent nullement ce genre de scrupule verbal ; elles ne justifient jamais devant les opinions publiques leurs velléités répressives (soit pour mater une minorité rebelle, soit pour rectifier un tracé de frontière). Dans un régime autoritaire le “coup de force” est naturel, il est le prolongement logique, génétique, d’une volonté étatique non discutée. Agressivité et vindicte règnent en maître au cœur d’un État “fermé” ; les foules, privées d’expression électorale autonome, sont conditionnées au bellicisme par le biais d’une atmosphère policière obsidionale composée de ressentiments, d’hostilités, d’animosités lourdes. En somme, des populations soumises ne se choquent pas au début d’une conquête de type colonial ou impérial, d’autant qu’elles ont peu de chances techniques d’en critiquer la forme ou le fond.

On distille de la haine ; on distille du mépris.

Mais revenons un instant sur cette instrumentalisation de la liberté comme outil classique destiné à légitimer l’usage des armes. Ceux qui emploient cette sémantique savent d’instinct que la démarche visée à travers une “occupation” ou une “pacification” risque bien d’être hasardeuse, perverse, voire odieuse. C’est un cheminement compliqué (cf. l’Afghanistan) qui serpente au milieu des victimes, des blessés, des souffrances imprévues, des explosions inattendues, des colères, des interrogations cruciales. Les leaders d’une démocratie ont besoin de montrer beaucoup de tact, de la séduction, pour rendre crédible la mobilisation. Laquelle mobilisation est déclarée libératrice au cours des premiers affrontements… et peut ensuite se révéler liberticide après la fréquentation des brutalités ou des épisodes violents. Mieux vaut chanter les louanges de la dignité… avant que les médias retentissent de rumeurs gênantes ou d’incidents qui ont le profil du déshonneur.

La guerre est une séquence chronologique qui plonge une société dans l’inhumain. Dans l’inhumanité provisoire (par essence elle est une régression dans les ténèbres). On va tuer ; on va se faire tuer. On distille de la haine ; on distille du mépris. Les envies de meurtre se répandent ; le désir de comprendre se réduit. Ces considérations grossières, cyniques, carrées, sont poliment évitées parce qu’elles feraient frémir le grand public. Le choc du réel (du vrai) est pudiquement dissimulé grâce à des fumées mensongères distribuées dans les nuages de la haute atmosphère (de la haute politique).

Le civilisé en reître ou en centurion

Les régiments qui décollent de métropole pour Kaboul ne sont pas barbares a priori : ils risquent de le devenir (si la guerre dure, si les erreurs tactiques se multiplient, si les attaques sont dommageables…). À la télévision, dans la presse, autour des assemblées, il est capital d’honorer le courage, le sacrifice, l’abnégation de ces hommes. Ces vertus sont célébrées avec juste raison ; elles campent dans les têtes, bien en place, bien calées dans les préliminaires de l’action. C’est un “bagage” philosophique conforme à nos idéaux républicains. On veut “penser” l’univers selon des critères d’intégrité, de souveraineté, de respect absolu des personnes.

Mais les péripéties du terrain sont ingrates. Elles sont imprévisibles, parfois scélérates. Elles sont à même de transformer notre civilisé en reître ou en centurion. La ligne droite d’une conviction (énoncée depuis un podium) va avoir du mal à garder le cap au contact des cruautés jaillissant des entrailles de cette montagne où l’on s’accroche à l’arme lourde… Bombardements “ciblés”, opérations nocturnes, villages “nettoyés”, incendies occasionnels, destructions préventives, exécutions arbitraires… La panoplie criminelle de toutes les armées en campagne qui “séjournent” en territoire ennemi offre d’inquiétantes similitudes (cf le Vietnam, l’Algérie, la Tchétchénie). Les messages humanistes les plus volontaristes se diluent en miettes de néant quand les patrouilles de nuit, fourbues, lasses, hallucinées, posent leurs sacs à dos au bord d’une route ponctuée de flaques de sang…

L’escalade vertigineuse des angoisses refoulées, des peurs terribles, des vengeances les plus sombres, toute cette accumulation de pulsions entraîne des confusions dans les comportements. En particulier cette misérable hésitation entre la notion d’insurgés (à combattre) et la notion de paysans (à laisser en paix). La distinction réclame du doigté ! Dans la précipitation d’un affrontement bref, dense, le mélange des situations déclenche le drame…

Les grandeurs théoriques de la démocratie se fracassent le crâne sur le chaos des répressions qui vont de villages en villages dérouler des spirales d’âcreté venimeuse. Les modèles idylliques (manichéens et irrigués par la pureté métaphysique) s’éparpillent en grincements sinistres… Les tirs de mitrailleuses mettent un terme à tous les idéaux.

Méditer sur des récits d’épouvante

D’autant que sur place, là-bas, la domination colonialiste “fabrique” ses propres adversaires. Chaque sortie de chars engendre des tensions féroces qui se convertissent en recrutement de candidats maquisards. Les commandants qui dirigent l’insurrection n’ont qu’à patienter un peu entre deux pitons de montagnes : cachés au milieu de leur aridité caillouteuse ils seront vite rejoints par des individus bafoués dans leur identité, écrasés par des occupants hostiles. Les Européens, les Américains, en dépit de leur supériorité matérielle et technologique, ne représentent que des imposteurs de passage. Ils se rendent possesseurs d’un sol qui ne leur appartient pas. Comment ne pas voir le malaise ? Le fantasme fondamentaliste, même s’il est nourri par des aberrations irrationnelles, même s’il combine l’archaïsme à l’abêtissement, ne peut être dominé (et combattu) par un déferlement de missiles, de gens casqués et bottés.

Nous aurons, hélas !, l’occasion de tirer les leçons de cet aveuglement sommaire. Notre “présence” est subie par ces populations : toutes nos considérations diplomatiques, anti-terroristes, ne pèsent pas lourd face à ce refus catégorique. La leçon en question sera une méditation sur des récits d’épouvante qui vont nous parvenir de cette zone, des cadavres mutilés, des pièges sournois, des embuscades tendues alors qu’on ne s’y prépare pas… Ces vérités nues et douloureuses vont “ouvrir les yeux” de nos concitoyens, trop insouciants sur l’avenir du problème, ces concitoyens qui se bercent d’illusions “arrangées” par des élus plus habiles que perspicaces. Le doute germera dans les intelligences. L’héroïsme sera remisé dans les placards aux souvenirs.

Le désert Afghan, constellé de taches rouges à l’aube des petits matins, a déjà fait couler trop d’amères désespérances. Sous peu la réflexion, la parole, la sagesse et la clairvoyance vont reprendre le dessus. Canons et hélicoptères nous mènent dans un four, dans un labyrinthe sans futur.

Il faudra alors réinventer des solutions politiques négociées, — aussi courageuses que les affrontements interminables que nous conduisons. Notre démocratie retrouvera dans cette trajectoire sa vraie inspiration, sa vraie nature et sa véritable vocation internationale. D’ici là combien d’innocents auront été martyrisés ?

Corrigé d’après l’erratum paru dans le N°1099.

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Sarkopositivité

par P. VINCENT
31 mai 2009

Le moine Luther, grâce à sa “Réforme”, avait attiré à lui des foules de “protestants”. Suite aux siennes, ce sont de même des “protestataires” que notre très charismatique chanoine de Latran réussit aujourd’hui à rassembler en grand nombre.

À son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy laissait entendre que le stock de chômeurs dont il héritait, certes d’un septennat de droite mais entaché de socialisme (Ah ! cette maudite semaine de 35 heures !), n’était constitué que de paresseux ou d’incapables. Il allait donc mettre les premiers en demeure d’accepter un emploi, les autres un stage de formation dans des domaines où ils pourraient immédiatement trouver du travail, et le problème était réglé. On vit alors fleurir les stages non ou peu rémunérés débouchant sur des emplois précaires (CDD ou intérim). Première désillusion. Tout ceci bien avant que l’on ne nous parle de crise. C’était alors inenvisageable, puisque le système libéral dont nous bénéficions est le régime idéal pour créer indéfiniment de la richesse, comme l’affirmaient des économistes réputés infaillibles. Mais depuis quelques mois la situation est devenue préoccupante, et il est difficile de nous faire croire que les 80.000 chômeurs de plus du mois dernier sont des gens qui seraient devenus tout d’un coup incompétents ou paresseux. Le problème serait plutôt du côté des employeurs. On aimerait y rencontrer davantage de vrais entrepreneurs plutôt que des acquéreurs d’entreprises dont le seul objectif est de gagner beaucoup d’argent à court terme, pour eux et leurs gros actionnaires, à coup de licenciements et de délocalisations, bref des fossoyeurs d’entreprises. Et pourquoi, à leur place, l’État ne s’y mettrait-il pas, au lieu de subventionner leurs défaillances ? De la part de ceux qui se disent encore gaullistes quand cela les arrange, ce ne serait pas renier de Gaulle. Mieux valait son dirigisme en soutien à de grands projets, ou à des PME comme la Société de l’ingénieur Jean Bertin, dont l’« aérotrain », que torpillera plus tard Giscard d’Estaing, fut longtemps en avance sur le “transrapid” de Siemens qu’ont aujourd’hui acheté les Chinois. Et personne ne soutiendra, sauf peut-être Jean-Marie Messier, que l’eau privatisée nous était alors vendue à un plus juste prix que de l’électricité ou du gaz étatisés.

J’avais bien aimé le titre « Que les gros salaires baissent la tête ! » d’un ouvrage paru en 2005. Cette recommandation n’est toujours pas suivie. De même que demeure la liberté accordée aux riches de planquer leur fortune dans des paradis fiscaux. Dangereux exemple. Si malheureusement la Patrie était à nouveau en danger, il me paraîtrait difficile d’empêcher celui qui n’a que sa peau à sauver d’aller lui aussi la mettre à l’abri en Suisse. Je ne comprendrais pas qu’on osât lui faire la morale dans une société du “chacun pour soi” où l’on se porte mieux d’avoir des ancêtres négriers que d’avoir eu un père mort pour la France. Que restera-t-il d’ailleurs du patrimoine commun que nous aurions à défendre ? En ce qui concerne le patrimoine matériel, on est en train d’en achever la privatisation et il ne nous restera bientôt plus en commun que les dettes de l’État et celles héritées des banques. Quant au souvenir glorieux de nos victoires militaires et de nos conquêtes sociales, ce ne sera pas un patrimoine trop lourd à emporter et ce n’est pas ce qui restera de la Patrie sous la semelle de ses souliers qui sera de nature à retenir quiconque.

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A l’issue de la première partie (GR 1097, où sont renseignées les références 1 à 13), qui restituait brièvement l’aventure humaine et le peuplement de la Terre dans le temps et l’espace, il devenait évident que les défis à affronter pour assurer un avenir à l’humanité se posent aujourd’hui à l’échelle d’une vie d’homme.

Guy Evrard découvre maintenant que l’approche scientifique des questions démographiques peut constituer un appui solide dans la lutte pour de vraies solutions à la crise.

II. Quel(s) équilibre(s) démographique(s) sur notre planète ?

par G. ÉVRARD
31 mai 2009

Toute la Terre habitable a été de nos jours reconnue, relevée, partagée entre des nations. L’ère des terrains vagues, des territoires libres, des lieux qui ne sont à personne, donc l’ère de la libre expansion est close. (…) Le temps du monde fini commence ». Paul Valéry prend ainsi acte de la portée de l’évènement en 1931 dans son livre Regards sur le monde actuel [14]. Albert Jacquard se réapproprie la sentence Voici le temps du monde fini [15] en titre d’un ouvrage publié en 1991.

Citons quelques articles, parmi beaucoup d’autres, parus ces derniers mois, qui confirment qu’il n’est plus temps de se réfugier la tête dans le sable. Les Échos, d’après le rapport Planète vivante publié en 2008 par le WWF [**] : « Notre empreinte écologique dépasse aujourd’hui la capacité de régénération de la planète de 30 %. (…) Deux planètes seront nécessaires pour satisfaire nos besoins en 2030 » [16]. Le mensuel syndical de l’UGICT-CGT [***], Options, dans un article évoquant Paul Virilio (urbaniste) et Raymond Depardon (photographe) et leur propre regard sur le monde : « Cette Terre que l’on épuise en rêvant de la quitter » [17]. Dans un Atlas de l’océan mondial, un article consacré à l’habitat essentiel que constituent les côtes précise : « On estime qu’au début du 21ème siècle, plus de la moitié des hommes vit près des côtes et ce serait 75 % d’ici à 2025 (6,3 milliards de personnes, soit la population mondiale actuelle). En Afrique, (…) 86 % de la population subsaharienne vit sur le littoral. Actuellement, 70 % des grandes villes du monde sont côtières. La plupart vont connaître une véritable explosion démographique au cours des années à venir. La ville de Lagos, au Nigeria, comptait 1,9 millions d’habitants en 1975 et 10,1 millions en 2003 ! L’approvisionnement en eau potable, le traitement des eaux usées et des déchets sont déjà insuffisants et la santé des populations en souffre. La demande en terres cultivables, en bois ou en produits de la pêche s’accroît, accentuant encore la pression sur les écosystèmes, la pauvreté et provoquant des conflits » [18]. Enfin, dans un dossier de Philosophie Magazine, sur le thème “être anticapitaliste”, la critique écologique, évoquant également l’explosion démographique des grandes villes et s’appuyant sur la discrimination entre riches et pauvres face aux ravages de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans en 2005 : « Ouragans, montée des eaux, désertification… Voici que se profile le temps des catastrophes majeures provoquées par l’homme. Pour survivre, nos sociétés vont désormais devoir accepter de limiter deux valeurs qu’elles pensaient intouchables : le progrès et le profit » [19].

Ces quelques exemples suffisent à rappeler la globalité de la crise et montrent que la démographie, sans en être la cause profonde, n’en est pas moins un paramètre majeur, mais peut-être aussi une force dans le défi pour la maîtrise de notre devenir.

Vers le mur

Nous avons vu dans la première partie que, dès le néolithique, l’expansion de l’homme est presque mécaniquement liée à l’accroissement démographique, conséquence d’une plus grande disponibilité de ressources alimentaires fournies par l’agriculture, rendue possible grâce à la sédentarisation. En raccourci, et paradoxe apparent, l’expansion passe par la sédentarisation. Les agriculteurs éliminent progressivement les chasseurs-cueilleurs et commencent à détruire les espèces considérées inutiles. Les premières structures étatiques, hiérarchiques, inégalitaires et leur cortège de violence font leur apparition, prémices des sociétés féodales, monarchiques, puis libérales et dans certains cas totalitaires de l’époque moderne. Face aux idées actuelles « d’une croissance indéfinie et du libéralisme mondialisé comme seul horizon indépassable », qui s’imposerait « comme une sorte de loi naturelle transcendante », Jean-Paul Demoule [12] souligne que l’archéologie et l’histoire nous révèlent aussi des exemples de trajets et de choix bien plus variés et complexes. Ces disciplines nous enseignent également que des sociétés ont disparu à la suite de mauvais choix, les Mayas ou les habitants de l’île de Pâques par exemple. Autre conséquence : le devenir biologique des espèces domestiquées dont notre alimentation est aujourd’hui totalement dépendante n’est pas forcément maîtrisé et nous prenons maintenant conscience du risque que nous fait courir la perte rapide de la biodiversité, notre seul recours possible dans ce domaine. L’analyse apporte au passage un argument aux idées de l’économie distributive : « Le néolithique ne présentait pas que des avantages. (…) Les chasseurs-cueilleurs passaient beaucoup moins de temps à acquérir leur nourriture que les agriculteurs. C’est pourquoi, dans les années 1970, l’idée a été défendue que les sociétés paléolithiques auraient été les seules sociétés d’abondance ».

Si la démographie de la préhistoire est donc déjà analysée comme un paramètre fort des comportements humains, elle n’apparaît évidemment pas encore comme une menace globale pour le devenir de la planète. D’autant moins que la densification humaine et la cohabitation avec les animaux sont sans doute à l’origine des premières épidémies. Ainsi, mesuré à l’échelle de la Terre, l’accroissement de la population reste modéré jusqu’à la Renaissance ou jusqu’à l’aube de la révolution industrielle. Il est néanmoins intéressant de comparer les évolutions démographiques sur les différents continents. Des régressions temporaires significatives sont observées dans certaines régions, que démographes et historiens savent interpréter : la grande peste noire de 1343 en Europe et en Asie (premier graphique), les maladies apportées par les Conquistadores sur le continent américain et qui décimèrent les Amérindiens à partir de 1500, puis les conséquences dans l’Afrique subsaharienne de l’esclavage dans les années qui suivirent (second graphique). En fait, les diminutions de populations résultent non seulement des violences directes, mais aussi des saccages des champs et de la désorganisation des sociétés qu’elles entraînent. Ainsi, au Proche-Orient, berceau de premières grandes civilisations, et au Nord de l’Afrique, la dépopulation progressive entamée vers le début de notre ère est attribuée aux invasions qui détruisirent le tissu urbain et le tissu rural, en même temps qu’à des événements écologiques tels que l’épuisement des sols [1].

Hervé Le Bras [1] tente une analogie avec la théorie des équilibres ponctués, d’après les travaux de Stephen Jay Gould autour des mécanismes de l’évolution, pour montrer que la croissance de la population a plutôt procédé par sauts discontinus, en relation avec les trois grands modes de production pratiqués par l’humanité jusqu’à aujourd’hui (troisième graphique) : la chasse et la cueillette à l’origine, l’agriculture traditionnelle à partir du néolithique, puis l’agriculture moderne dont la naissance et la transformation accompagnent celles de l’industrie, avec une hypothèse de stabilisation tendant maintenant plutôt vers 9-10 milliards d’habitants. Si une telle représentation confirme, en première analyse, qu’une régulation semble établie entre le niveau de population et la maîtrise de techniques agricoles propres à assurer sa subsistance, elle ignore les soubresauts de l’histoire et lisse les effets d’une amélioration progressive de la productivité au cours de chaque période. On peut aussi se demander si l’approche demeure pertinente dans la période actuelle, alors que la population se concentre dans les villes, perdant justement peu à peu ses repères par rapport aux contraintes de la production des ressources alimentaires, dans une organisation sociale démultipliée et de plus en plus complexe.

Reconnaître une régulation implique néanmoins d’admettre une certaine maîtrise de la fécondité, même inconsciente ou approximative, mais en tout cas inscrite dans le mode de vie et que les démographes s’efforcent d’analyser : union plus ou moins tardive, durée de l’allaitement, abstinence sous la pression religieuse, avant les méthodes contraceptives modernes. Le nombre d’enfants maximum mis au monde par femme en âge de procréer (7 à 8) n’aurait en effet jamais atteint la fertilité naturelle (10 à 15 enfants), fonction bien entendu de l’espérance de vie à l’époque considérée [20], [21].

En fait, c’est vers 1750 qu’a pris naissance “l’explosion démographique” qui contribue aujourd’hui à notre prise de conscience des limites de la planète. Mais, très longtemps, c’est plutôt la crainte de dépopulation qui a hanté les esprits. Ainsi Montesquieu, au siècle des Lumières, préoccupé par la démographie et se représentant à tort une population mondiale en décroissance, incrimine dans les Lettres persanes, en 1721 : causes naturelles, polygamie et esclavage dans les pays musulmans, prohibition du divorce, célibat des religieux en Occident, mortalité liée à la traite des Noirs et à la colonisation.

La question démographique rejoignant plus loin le domaine politique lorsqu’il décrit les effets ravageurs du despotisme [22].

De nos jours, l’explosion démographique n’est plus interprétée comme un phénomène plus ou moins irrationnel répondant, sinon à l’injonction de la Genèse, du moins à l’idée que l’accroissement de la population est aussi symbole de l’avancée d’une nation. Elle est analysée strictement comme la conséquence du déphasage inéluctable entre l’allongement de l’espérance de vie et la baisse de la fécondité qui accompagnent tôt ou tard l’accès à une alimentation suffisante, aux soins médicaux et à l’éducation, notamment des femmes ; c’est-à-dire l’accès au progrès. Les démographes l’appellent transition démographique [20], [21].

Les Nations Unies en suivent l’analyse détaillée [23]. Ainsi, les pays développés ont aujourd’hui à peu près achevé cette transition, avec un taux de fécondité voisin ou inférieur à deux enfants par femme, c’est-à-dire n’assurant plus à terme le renouvellement de leur population :

Monde . Estimation 2009

Pays Population totale (en milliers) Taux de natalité Taux de mortalitéEspérance de vie Mortalité infantile Nombre d’enfant(s) par femme Taux de croissance naturelle Population de >65 ans (en milliers)
Afrique 1 009 362 35,6 13,0 53,2 84,9 4,57 22,6 34 814
Amérique latine et Caraïbes 586 590 19,4 6,9 73,7 20,5 2,32 13,4 39 572
Amérique du Nord 345 34513,6 8,2 78,7 6,1 2,00 5,4 43 909
Europe730 848 10,2 11,8 74,9 8,2 1,46 -1,6 117 731
Océanie 35 084 16,4 7,5 75,5 25,0 2,28 8,9 3 796
Asie 4 120 925 18,7 7,4 69,5 41,6 2,31 11,3 277 228
Monde 6 828 157 20,1 8,6 67,6 48,1 2,52 11,5 517 050

Estimation 2009 Pays Institut National d’Études Démographiques (INED) Source et définitions : World Population Prospects, Nations Unies.

À l’opposé, dans de nombreuses régions d’Afrique que le contexte géopolitique maintient dans une situation d’extrême pauvreté, sauf l’Afrique du nord et l’Afrique australe, certains pays ne sont pas encore entrés dans cette transition. Dans une étude démographique du monde musulman, Youssef Courbage et Emmanuel Todd montrent que la fécondité des femmes est tombée de 6,8 enfants en 1975 à 3,7 aujourd’hui [24]. En Iran, la fécondité a chuté de 6,5 enfants avant 1985 à 2 aujourd’hui, phénomène que l’on ne saurait attribuer [1] à la “révolution islamique” de 1979. En moyenne, dans le monde, le nombre d’enfants par femme, encore à 2,52 aujourd’hui, devrait descendre à 2 en 2050.

Si, pour les démographes, l’explosion démographique apparaît en voie d’être maîtrisée, il reste que l’inertie du système est grande et que piloter la croissance ou la décroissance de la population est un exercice périlleux, tant de petites incertitudes sur l’un des paramètres (mortalité, fécondité…) peuvent se traduire par de très grandes variations à moyen terme ; comme on peut le constater par quelques simulations accessibles à tous sur le site de l’INED [25].

En même temps, cette maîtrise relative de la dimension démographique, en crédibilisant les alertes lancées depuis plusieurs décennies, fournit des bases plus solides pour la recherche de vraies solutions à la crise globale à laquelle l’humanité est aujourd’hui confrontée sur la Terre, sans perspective sérieuse de pouvoir quitter un jour en masse notre planète.

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[14] Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, Librairie Stock, Delamain et Boutelleau, Paris, 1931. Citation dans Philosophie Magazine, dossier Être anticapitaliste, Que faire ?, n°26, fév. 2009, p. 55.

[15] Albert Jacquard, Voici le temps du monde fini, Seuil éd., 1991.

[**] WWF : World Wide Fund for Nature. On peut consulter WWF-France

[16] Les Échos, 30 octobre 2008, p.5. Le rapport Planète vivante : http://www.lesechos.fr/medias/2008/1030//300305067.pdf

[***] UGICT-CGT : Union Générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens CGT

[17] Options, n°544, février 2009, p.40.

[18] Jean-Michel Cousteau et Philippe Vallette, Atlas de l’océan mondial - Pour une politique durable de la planète mer, p.28, Un littoral sous pression, éd. Autrement avec Nausicaa, 2007.

[19] Frédéric Joignot, Quand la croissance détruit la planète, Philosophie Magazine, n°26, février 2009, p.52.

[12] Jean-Paul Demoule, Les origines de la culture, La révolution néolithique, Le Pommier éd., Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris, 2008.

[1] Hervé Le Bras, L’avenir de la population mondiale : explosion ou implosion ? Cycle de conférences Démographie et développement durable à la Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris, 27 nov. - 11 déc. 2008.

[20] Hervé Le Bras, Les différences de fécondité : régulation naturelle ou régulation sociale, Cycle de conférences Démographie et développement durable à la Cité des Sciences et de l’Industrie, Paris, 27/11 - 11/12/2008.

[21] Henri Leridon, Démographie, fin de la transition, Chaire européenne Développement durable, Environnement, Energie et Société, Collège de France, 2008-2009.

[22] David Galand, Connaissance d’une œuvre, Montesquieu, Lettres Persanes, Bréal éd., 2003, p.33.

[23] World Population Prospects : The 2008 Revision, http://esa.un.org/unpp

[24] Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, La République des Idées, Seuil éd., 2007.

[25] Site de l’INED http://www.ined.fr/ Simulateur de population : http://www.ined.fr/fr/tout_savoir_population/jouer_population/simulateur_population/

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Notre correspondant dans l’Ile Maurice nous a fait parvenir le message qu’un de ses amis, journaliste à Politis et chargé de cours à l’Université Paris 8, souhaite voir largement diffusé :

Je suis inquiet, très, très inquiet...

par C.-M. VADROT
31 mai 2009

J’enseigne depuis 20 ans à l’Université Paris 8 et je donne habituellement mes cours dans les locaux du département de Géographie. Vendredi dernier, à titre de solidarité avec mes collègues enseignants et chercheurs de l’Éducation Nationale engagés, en tant que titulaires, dans une opposition difficile à Valérie Pécresse, j’ai décidé de tenir mon cours sur la biodiversité et l’origine de la protection des espèces et des espaces, au Jardin des Plantes, qui fait partie du Muséum National d’Histoire Naturelle, donc là où fut inventée la protection de la nature. Ce « cours hors les murs » était ainsi à la fois une façon d’être solidaire avec la grogne actuelle et de faire découvrir ces lieux historiques aux étudiants, mais sans les pénaliser avant leurs examens partiels.

Le mardi, arrivant à 14 h 30, avant les étudiants, j’ai eu la surprise de me voir interpeller, dés l’entrée franchie, par le chef du service de sécurité et de constater que les deux portes du Jardin des Plantes, 36 rue Geoffroy Saint-Hilaire étaient gardées par des vigiles...

— Monsieur Vadrot ?

— Euh... oui

— Je suis chargé de vous signifier que l’accès du Jardin des Plantes vous est interdit.

— Interdit ! Pourquoi ?

— Je n’ai pas à vous donner d’explication...

— Pouvez vous me remettre un papier me signifiant cette interdiction ?

— Non. Les manifestations sont interdites dans le Muséum.

— Il ne s’agit pas d’une manifestation, mais d’un cours en plein air, sans la moindre pancarte...

— C’est non....

Les étudiants, qui se baladent déjà dans le jardin, reviennent vers le lieu du rendez-vous, et le cours se fait donc, pendant une heure et demie, dans la rue, devant l’entrée du Muséum. Un cours qui porte sur l’histoire du Muséum, sur Buffon et sur l’histoire de la protection de la nature. À la fin du cours, je demande à entrer pour effectuer une visite commentée du jardin. Nouveau refus, seuls les étudiants peuvent entrer, pas leur enseignant. Ils entrent donc. Et moi je décide de tenter ma chance par une autre porte, celle de la rue de Buffon. Et là je retrouve des membres du service de sécurité qui, manifestement, possèdent mon signalement et, comme les premiers, ils m’interdisent à nouveau l’entrée.

Évidemment, je finis pas me fâcher. Et j’exige, sous peine de bousculer les vigiles, la présence du Directeur de la surveillance du Jardin des Plantes, qui arrive quand le scandale menace. Il se montre d’abord parfaitement méprisant, et il me récite mon CV et le contenu de mon blog !! Cela ressemble à un procès politique, avec description de mes opinions et de mes faits et gestes.

D’autres enseignants du département de Géographie se joignent à moi, dont le Directeur, Olivier Archambeau, qui est Président du Club des Explorateurs, Alain Bué et Christian Weiss. Ils insistent. Alors le directeur de la surveillance du Muséum, qui dit agir au nom du Directeur du Muséum (où je suis honorablement connu), mais qui commence sans doute à sentir le ridicule de sa situation, finit par nous faire une proposition incroyable, du genre de celles que j’ai pu entendre autrefois en Union soviétique quand j’étais journaliste :

— Ecoutez, si vous me promettez de ne pas parler de politique à vos étudiants et aux autres professeurs, je vous laisse entrer et rejoindre les étudiants...

J’entre donc, mais avec l’horrible certitude que, d’ordre du Directeur et probablement du ministère de l’Education Nationale, je fais l’objet d’une « interdiction politique ». Et pour la première fois de mon existence, en France !

Je n’ai réalisé que plus tard, après la fin de la visite qui s’est terminée au labyrinthe du Jardin des Plantes, à quel point cet incident était extra-ordinaire et révélateur d’un glissement angoissant de notre société. Et j’ai peur, très peur...

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Nous avons reçu de nombreux témoignages semblables, tous dénonçant des violences policières stupéfiantes.

Voici par exemple l’expression de l’inquiètude du président FCPE d’un collège :

Des collégiens face aux C.R.S.

31 mai 2009

Les personnels et l’ensemble des parents d’élèves du collège Jean Jaurès de Cenon dénoncent les agressions subies par des élèves d’une classe de troisième et leurs enseignants.

Ces faits se sont déroulés le jeudi 5 mars au retour d’une sortie pédagogique à l’Assemblée Nationale dans le cadre de l’éducation à la citoyenneté.

Alors que les élèves attendaient leur train, les CRS ont chargé dans la gare Montparnasse, sans discernement, les manifestants auxquels nos élèves ont été mêlés. Ils ont alors été traités avec la plus grande violence.

Comme en témoignent les certificats médicaux délivrés sur place, plus de dix élèves ont été bousculés, frappés, jetés à terre, blessés. Tous les élèves gardent un souvenir terrorisé de cette expérience.

Les enseignantes responsables et encadrant la sortie pédagogique ont été également malmenées, au point de se voir délivrer un arrêt de travail.

Nous témoignons aux élèves et à leurs collègues victimes de ces violences policières inacceptables notre totale solidarité. Ce comportement brutal met gravement en cause toutes les mesures éducatives et citoyennes mises en place par les personnels de l’établissement pour les élèves d’un collège situé par ailleurs en zone d’éducation prioritaire.

C’est pourquoi nous ne saurions admettre ces violences policières et décidons collectivement de déposer plainte pour coups et blessures.

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Témoignages

On “modernise” les services publics ?

31 mai 2009

Je n’utilise plus beaucoup les services de mon bureau de poste. Pour tout ce qui est texte, j’ai internet, et pour les envois de documents, j’ai tout ce qu’il faut chez moi, j’affranchis moi-même et je jette dans n’importe quelle boîte aux lettres. Mais ayant à faire un envoi en recommandé avec AR, je m’étais ce matin exceptionnellement adressé à un guichet. L’employée m’a prévenu que pour cela aussi il fallait que je me débrouille moi-même, avec éventuellement l’aide de leur machine à affranchir, car désormais le guichetier doit se contenter de prendre ma lettre et de me donner un coup de tampon à date sur le récépissé. Il paraît que d’ici quelques mois, au lieu de quatre guichets aujourd’hui, le plus souvent partiellement ouverts, on allait réaménager le bureau pour n’en garder qu’un seul et faire de la place à d’autres machines automatiques.

Je ne sais pas si les machines automatiques cotiseront pour les retraités et les chômeurs, et je me demande qui se chargera de la promotion des dizaines de timbres spéciaux s’adressant à des clientèles spécialisées (du genre : “C’est un garçon !”), ou de la vente des centaines de cartes postales, crayons de couleur et autres produits de papeterie actuellement offerts au public. Automatisation d’un côté, mais de l’autre, retour à la petite épicerie d’autrefois…

Sans doute La Poste envisage-t-elle aussi d’abandonner aux banques privées ses livrets A pour ne pas s’attirer le mêmes ennuis que la Caisse d’Épargne, qui avait eu l’audace de s’accrocher aux siens. Bon courage et patience.

Nos infatigables réformateurs finiront bien par avoir fait le tour de toutes les âneries imaginables et ils ne pourront plus alors faire de nouvelles réformes qu’en revenant à ce qui se faisait avant.

On a l’impression que la Direction actuelle de La Poste a été mise en place pour discréditer de service public afin de pouvoir plus facilement achever de le faire disparaître. Que penser, en effet, de cette Direction qui n’a pas honte de faire une campagne publicitaire tonitruante en exploitant l’argument que l’un de ses tarifs avait baissé de 35 % quand elle a fait passer de 1,15 euros à 0,75 euros les frais trimestriels de tenue de compte ? Il est absolument insensé d’oser se livrer à d’aussi ridicules pitreries, qui sont certainement coûteuses : changement des prix dans toute la comptabilité et sur tous les tarifs et autres documents, en plus de la campagne de pub.

Paul Vincent.

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J’ai été moi aussi très étonné lors d’un récent dépôt de chèques. J’ai attendu plus de 20 minutes pour rien, car désormais les guichetiers n’enregistrent plus les remises de chèques : il faut tout faire soi-même avec des machines. J’ai pourtant insisté pour que ce chèque soit enregistré le jour-même, mais la guichetière n’a pas voulu effectuer cette opération. En ce qui concerne les envois, on m’a menacé de taxer mes courriers volumineux affranchis au tarif “Lettre”. Ils veulent m’imposer un de leurs produits spéciaux (colissimo, lettre max, etc...) qui sont hors de prix !

C’est un véritable désastre pour le service postal, et pour les emplois...

Pierre.

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Le hall de la gare proche de chez moi vient de subir de grands travaux. Embellissements ? Meilleur accés ? Pas du tout : on a supprimé les guichets où des employés étaient à la disposition du public pour la vente des billets. Maintenant il n’y a plus personne, il faut faire la queue devant une machine et, moi qui ne vois pas bien clair, j’ai du faire attendre beaucoup de monde avant de savoir m’en servir, aidé par des usagers craignant rater leur train s’ils ne me venaient pas en aide !

Cette modernisation est en fait une vaste entreprise de désocialisation : c’est maintenant chacun pour soi, pourvu qu’il y ait moins de fonctionnaires à payer pour assurer le service public.

Jean.