La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 1060 - décembre 2005

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N° 1060 - décembre 2005

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Ce sont les financiers qui commandent, pas les élus, comme le prouvent encore de nouveaux exemples notés par JEAN-PIERRE MON dans l’actualité récente.

Ouf ??   (Afficher article seul)

Depuis vingt ans, nos gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche dilapident notre héritage commun, au lieu de le gérer au mieux. Saurons-nous y voir clair avant la faillite ?

Longue vie au service public    (Afficher article seul)

Le solide plaidoyer du philosophe HENRI PENA-RUIZ.

OPA sur la France   (Afficher article seul)

MARIE-LOUISE DUBOIN analyse le bilan, établi par le Commissaire aux comptes JEAN ROUX, de l’état actuel du patrimoine que la France possédait encore en 1984.

Une piste méconnue   (Afficher article seul)

Les écrits restent...    (Afficher article seul)

PAUL VINCENT constate que le Président de notre République avait fort bien décrit les causes du malaise actuel dans son programme de 1994, malheureusement, il est loin d’avoir appliqué les remèdes qu’il proposait.

La politique du logement, entre spéculation et service public.    (Afficher article seul)

GÉRARD-HENRI BRISSÉ expose son analyse du drame des banlieues.

Réenchanter le socialisme   (Afficher article seul)

Le socialisme est à réinventer, ROLAND POQUET montre comment l’adapter à notre époque.

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CHRONIQUE

Au fil des jours

par J.-P. MON
2 décembre 2005

DETTE PUBLIQUE

Entre 1980 et 2004, la dette publique de la France est passée de 20% à 65% de son PIB. Ce qui représente plus de 1.000 milliards d’euros. Malgré cela la France reste un excellent payeur, ce qui lui vaut d’appartenir au club très fermé des pays auxquels les agences de notations accordent la note AAA (car les pays sont notés par des agences privées comme de simples entreprises, c’est dire en quelle estime sont tenus leurs gouvernants et plus généralement leurs hommes politiques !). L’agence Standard & Poor’s commence cependant à s’inquiéter des piètres performances de la France qui est à la traîne du club des AAA. Ce qui l’a conduite à souligner dans le rapport intitulé “La République française tend vers le bas de la catégorie AAA”qu’elle vient de publier le 17 novembre : « La France possède une économie riche, diversifiée et capable de supporter un environnement difficile. Cependant, ses principaux ratios financiers s’éloignent des niveaux médians pour la catégorie AAA et de ceux des autres États notés AAA, à l’exception de l’Allemagne ». Ces mauvaises performances sont dues suivant l’agence « aux prestations sociales et aux dépenses de personnel qui représentaient plus des deux tiers des dépenses des administrations publiques en 2004 » mais aussi « aux réformes insuffisantes en matière de retraites, de sécurité sociale ou de fonction publique ». Il va donc falloir coiffer M. de Villepin d’un bonnet d’âne (rouge ?) et ce n’est pas demain que l’on réduira la fracture sociale, chère à M. Chirac !

Faudra-t-il brûler Paris pour que les hommes politiques comprennent enfin qu’ils se sont eux-mêmes rendus impuissants en abandonnant leur pouvoir régalien de “battre la monnaie” à des institutions financières privées ?

LE RIDICULE NE TUE PLUS

Autre grande institution capitaliste, l’OCDE dans le rapport qu’elle a publié le 22 novembre sur Le vieillissement et la politique de l’emploi en Allemagne, presse le nouveau gouvernement allemand d’avancer la date de mise en application de la loi augmentant l’âge légal de départ à la retraite (de 65 à 67 ans, pour l’instant !) et d’amplifier sa politique de maintien dans l’emploi des salariés de plus de 55 ans. Aujourd’hui, 39,2% des personnes âgées de 55 à 64 ans ont un emploi en Allemagne (contre 40,6% en France, 56% au Royaume-Uni, 60% aux États-Unis). Pour justifier ses conseils, l’OCDE avance que « les comparaisons montrent que le chômage global tend à être plus faible lorsque le taux d’emploi des travailleurs âgés est élevé ». Il faut vraiment avoir fait de très longues études pour arriver à cette conclusion ! Plus fort encore, d’après, M. Prinz, l’auteur du rapport : « deux composantes sont nécessaires pour maintenir les seniors dans l’emploi : une reprise du marché du travail et une politique volontariste ».

Toutes ces évidences n’ont pas l’air de beaucoup troubler les entreprises allemandes. DaimlerCrysler offre dans son plan de départs volontaires de septembre dernier une possibilité de préretraite à partir de 52 ans avec 80% du dernier salaire. De son côté, Deutsche Telekom qui a annoncé début novembre 32.000 suppressions de postes, négocie avec l’État un accord de préretraite pour ses salariés ayant le statut de fonctionnaire. Ce qui permet au bon Prinz de découvrir que « aussi longtemps que ce type de solution sera possible, les entreprises n’investiront pas à long terme dans leurs salariés et préféreront les remplacer par des salariés plus jeunes et meilleur marché », à moins que ça ne soit par des machines ! Mais, pour l’OCDE, il faut des mesures encore plus draconiennes. Aussi recommande-t-elle que les chômeurs de plus de 58 ans ne soient plus dispensés, comme cela peut être le cas, de rechercher un emploi.

Ne pourrait-on pas mettre d’office M. Prinz à la retraite ?

« COMME NOUS, SOYEZ RAISONNABLES »

C’est, en substance, ce que dit Angelica SchwallDüren, vice présidente du groupe social démocrate au Bundestag, dans une adresse à ses amis socialistes français intitulée « Amis français, donnez-vous la peine de comprendre les bonnes raisons qui ont conduit les sociaux-démocrates allemands à accepter de gouverner avec l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel ». La dame ne manque pas d’aplomb ! Selon elle, Schröder a voulu redonner la parole aux citoyens allemands en provoquant les élections de septembre qui étaient, en quelque sorte, l’équivalent du référendum français sur le projet de traité constitutionnel. « La question posée aux citoyens était au fond la suivante : voulez-vous un virage vers le néolibéralisme, oui ou non ? C’est aussi, je pense, la question à laquelle ont répondu les électeurs français le 29 mai, même si cela n’était pas la question posée. Et chez nous aussi le peuple a dit “nein” ». Comme si la politique menée, jusque là, par Schröder était une politique sociale avec sa destruction du système de protection sociale allemand ! Comme si Schröder n’avait pas pratiqué une politique néo-libérale ! Et Angelica ajoute froidement : « Il faut préciser que les élections ont dégagé une majorité de gauche au Bundestag, mais une majorité rouge-verte. Or, il nous est impossible de coopérer avec des gauchistes qui exigent une annulation des réformes déjà en vigueur et qui font des promesses impossibles à réaliser et à financer étant donné le déficit allemand actuel - par exemple une hausse des allocations chômage ». Après quoi elle conclut que « la gauche allemande est bien au gouvernement et qu’elle s’est fixée comme objectif le maintien de la ligne de réformes de Schröder afin de consolider la croissance qui revient peu à peu dans notre pays. Croissance qui aidera à créer des emplois, réformes qui permettront de faire face aux défis de la mondialisation. Tout en préservant les exigences sociales de nos citoyens ». Ainsi soit-il !

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ÉDITORIAL

Ouf ??

par M.-L. DUBOIN
2 décembre 2005

L ’ordre est revenu ! La “racaille” des banlieues est en prison, deux tours de HLM “vétustes” ont été dynamitées à Mantes La Jolie, un ministre a empêché la publication d’un livre qui lui déplaisait, et les cheminots, qui “ne cherchent que des prétextes pour ne rien faire”, viennent de cesser de “prendre la population laborieuse en otage”. L’important maintenant, comme les médias nous y invitent, est de penser aux ravages que pourrait faire la grippe aviaire si des oiseaux migrateurs en transportaient le virus chez nous, s’il était alors communiqué à des animaux domestiques, et s’il pouvait alors s’attaquer à nous. À ce sujet on nous fait savoir combien toutes les précautions ont été prises, que non seulement l’institut Pasteur prépare pour le monde entier l’antivirus adéquat, mais qu’en outre des équipes de vétérinaires font partout des démonstrations d’efficacité indiscutable, avec alertes fictives et simulations d’urgence et ont mis sur pied de guerre des équipes de choc prêtes à intervenir dès la moindre alarme. Nous sommes désormais protégés des épidémies comme de la canicule ! Nous sommes bien gouvernés !

Et, en plus, le PS a su “faire la synthèse” !

Tout va très bien ? L’avenir sera radieux ?

Pourquoi se poser des questions puisque les anciens usagers des transports en commun sont satisfaits d’être devenus, sans qu’on leur demande rien, les clients d’entreprises de services au public ? Pourquoi ne pas croire, comme l’immense majorité des Français, soit que la SNCF, puisque cela a été promis-juré en haut lieu, ne sera pas privatisée, soit que tout ira encore mieux pour tout le monde quand elle le sera ?

Mais parce qu’il est dramatique que si peu de gens prennent conscience que les privatisations ne sont rien moins qu’une entreprise systématique de destruction d’un formidable patrimoine dont nous étions tous copropriétaires. Et que non seulement la politique suivie depuis vingt ans augmente les dettes la nation, mais qu’elle la mène à la faillite en la dépouillant des moyens de “se refaire” ! Nous nous sommes laissés déposséder par ceux-là même à qui nous avions confié la mission de faire fructifier notre héritage. « Leur maison brûle et ils regardent par la fenêtre ! », comme l’a si bien dit naguère... un de ces pyromanes !

Le public a d’autant plus de mal à ouvrir les yeux que la même politique est soutenue partout, et qu’elle l’est par la droite et par la gauche.

Dans ces conditions, où trouver l’objectivité nécessaire pour juger ? Pour l’y aider, nous proposons dans ce numéro le point de vue d’un philosophe, en incitant nos lecteurs à lire son œuvre, puis celui d’un expert-comptable, qui dans son dernier livre répond à des questions très simples. A-t-on idée, par exemple, de la formidable richesse dont les Français disposaient en commun à la fin des “Trente glorieuses” ? De quel énorme potentiel serions-nous tous co-propriétaires aujourd’hui si “nos responsables” avaient pris soin de nous conserver cet héritage, ou mieux, s’ils l’avaient géré “en bon père de famille” ? Il procède méthodiquement, examine tous les domaines, et débouche sur des chiffres atterrants. Puis il compare toutes nos “rentrées financières” à la dette de notre nation. Et il constate à quel point ces rentrées, alors qu’elles sont présentées comme destinées à combler nos déficits, sont loin de faire le compte. La dette publique grimpant toujours, et à toute allure, qu’est-ce qui nous attend au bout, quand nous n’aurons plus rien à vendre ? Quand nous aurons asséché toutes ces sources de rentrées, qui sont en réalité des “sorties” de vraies richesses ?

Il faut savoir ce qu’est la faillite d’un État pour ne pas avoir à le découvrir aussi brutalement que les Argentins en décembre 2001. Leur exemple est une leçon. Deux films-documentaires, “Histoire d’un saccage”et “L’argent” [1], retracent leur histoire à l’aide de bandes d’actualité, ils interviewent des témoins, expliquent le mécanisme de la crise, montrent les résultats, la détresse des survivants, leur ruine et leur colère. Le second, “L’argent”, fait en plus un parallèle avec la situation de la Turquie qui a vécu une situation semblable peu avant.

La France n’est ni l’Argentine, ni la Turquie, ni un de ces pays du Tiers monde où la corruption fait loi... Serait-elle donc à l’abri de tels drames ? Notre expert-comptable a comparé la gestion de l’Argentine au cours de la décennie 1990, avec celle de la France au cours des vingt dernières années. Et cette comparaison montre à l’évidence que nos gouvernements, de droite comme de gauche, n’ont rien à envier à l’Argentine en fait de gestion calamiteuse.

Que ceux que les chiffres rebutent, et que réfléchir fatigue continuent à regarder la “télé réalité”. Ils se ménagent une surprise.

Nous préférons insister sur le rôle de l’argent, comme nous venons de le faire au cours du colloque “Monnaies et Solidarités”, organisé minovembre autour de la Maison de Citoyenneté Mondiale de Mulhouse. Nous en reparlerons plus largement. Disons ici que nous sommes heureux d’y avoir rencontré des gens qui cherchent comment bâtir un monde plus humain en créant eux-mêmes une monnaie d’échanges.

Espérons que c’est par cet intermédiaire qu’ils organiseront la société solidaire.

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[1] d’Isaac Isatan, on peut les voir dans les cinémas “d’art et d’essais”, ceux de la chaîne Utopia, par exemple.

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Profitons des leçons de HENRI PENA-RUIZ, l’auteur du texte ci-dessous, dont les intertitres sont de la rédaction. Son dernier ouvrage philosophique paru est intitulé “Leçons sur le bonheur” et il est publié chez Flammarion.

Longue vie au service public

par H. PENA-RUIZ
2 décembre 2005

Qui pourrait prétendre que les soins dispensés à un grand blessé de la route doivent se proportionner à l’importance de ses cotisations ? Personne, à l’évidence. Les soins seront prodigués selon les besoins d’une vie à sauver, d’une santé à rétablir. Il faut donc admettre que les principes du libéralisme économique doivent s’arrêter au seuil des grands services publics, et des conquêtes sociales qui en leur temps forcèrent le capitalisme à s’humaniser. La Sécurité Sociale, qui veut que l’on cotise selon ses moyens et que l’on soit pris en charge selon ses besoins, reste à cet égard la pierre de touche d’un usage civilisé de la richesse produite. La santé est un bien exemplaire que jamais on ne pourra définir comme une prestation mercantile. Il en est de même de l’instruction, et de tout ce qui contribue à l’accomplissement d’une vie d’homme.

UNE EXIGENCE DE SOLIDARITÉ

Aurait-on construit des voies ferrées sur tout le territoire de la République si seule avait prévalu la logique du marché-profit ? La rentabilité à court terme aurait alors dénié l’égalité des droits aux citoyens des régions enclavées ou coûteuses à desservir. Dans le même esprit, aurait-on acheminé l’électricité là où il ne semblait pas d’emblée “rentable” de le faire ? Qu’un citoyen puisse payer le kilowatt-heure le même prix quelle que soit la variation du coût de production ou d’acheminement n’est pas un luxe providentiel. Qu’un villageois puisse utiliser une cabine téléphonique publique là où son coût d’entretien excède les recettes n’est pas non plus un luxe. Qu’en chaque commune un bureau de poste remplisse sa fonction de service public, et crée du lien social, au-delà de toute considération strictement comptable, n’est pas non plus un luxe. Dans tous les cas, il s’agit d’une exigence de solidarité. Cette exigence est aussi celle de l’égalité, qui veut que nul ne soit victime de son lieu de résidence, ou de sa situation sociale, voire souvent des deux. Son coût, puisque désormais ce critère est devenu obsessionnel, peut d’ailleurs être largement assumé par la péréquation qui fait que les équipements générateurs de profit compensent ceux qui sont jugés déficitaires. Quand bien même cette compensation n’existerait pas, faudrait-il accepter qu’en matière de service public seule règne la loi du marché ? Naguère, une France beaucoup moins riche a su assumer le coût de grands services publics sans que l’État fasse pour autant faillite. Pourquoi ne le pourrait-elle plus ? Il est étrange qu’une société qui produit aujourd’hui bien plus de richesse qu’hier puisse tenir pour insupportable le coût des services publics, et que ceux-ci soient constamment sur la sellette. « Les temps ont changé » diront tous les conformistes qui refusent de se poser la question du sens et croient devoir s’agenouiller devant tout ce qui advient du fait d’une mondialisation libérale dont les effets sont donnés comme inscrits dans la fatalité. Le triste exemple des chemins de fer britanniques, cassés par leur dévolution à des sociétés privées indifférentes à toute idée de service public, n’est pourtant pas si loin. Il nous instruit suffisamment de l’aberration et de l’inhumanité d’une application aveugle du sacro-saint principe de l’ultra-libéralisme économique, là où des hommes sont en droit de donner vie aux exigences de la solidarité, de la justice sociale due à tous, et incarnent ainsi, n’en déplaise aux tenants du profit immédiat, l’intérêt économique bien compris, qui va de pair avec une anticipation du sort global de la communauté humaine.

LE CYNISME D’UNE CROYANCE

Qu’un opérateur public de télécommunications, naguère, ait pu envisager de supprimer des cabines publiques de téléphone de village sous prétexte de rentabilité en dit long. Comment admettre le cynisme que peut atteindre le credo du marché lorsqu’il contamine ceux-là mêmes qui devraient tenir pour un honneur de faire vivre le service public et les valeurs de solidarité qui le sous-tendent ? Quelle régression ! Veut-on se satisfaire désormais de la charité, en lieu et place de la justice sociale ? Marx parlait jadis des « eaux glacées du calcul égoïste »et remarquait que la religion était souvent instrumentalisée comme « supplément d’âme d’un monde sans âme » au lieu d’être cultivée comme une forme libre de spiritualité. Nous y sommes, à nouveau. Le credo capitaliste mondial, pudiquement rebaptisé “libéral”, entend s’assujettir tous les champs de l’activité humaine, et s’imposer là où profit et rentabilité n’ont pourtant pas de sens, sauf si le pari sur l’avenir délivre des visions bornées, pour rappeler que l’intérêt à long terme est préservé, justement, par les services publics.

VISIONS BORNÉES

Qui ne se souvient de la catastrophique politique du “tout route”, conduite sous prétexte que le rail était “trop cher” ? Aujourd’hui, la pollution, et les méfaits d’une multiplication des poids lourds sur les routes, rappellent que ceux qu’hier on taxait de réactionnaires parce qu’ils mettaient en garde contre des risques bien réels, font figure aujourd’hui d’avant-garde. Faut-il rappeler des évidences ? Car enfin la santé, l’éducation et l’instruction, l’accès à la communication et à l’énergie, ne sont pas de simples prestations commerciales.

C’est pourquoi les grands services publics, qu’il s’agisse de la distribution d’énergie ou des postes et télécommunication, de l’école ou de la santé, doivent être pris en considération comme tels, dans leur fonction sociale irréductible à une prestation mercantile. Il en va du bien commun, sans l’existence duquel toute société se défait et chavire dans le conflit qui naît des fossés qui existent entre les conditions de vie, et rend difficilement crédible l’idée d’un monde commun à tous les hommes.

ENTREPRISES IRRESPONSABLES

À noter d’ailleurs la singulière contradiction hébergée, si l’on y réfléchit bien, par l’idéologie de l’ultra-libéralisme économique. Celle-ci ne cesse d’en appeler à une responsabilisation des “acteurs économiques”, qu’elle croit devoir brandir contre “l’assistanat” que représenterait l’action de l’État en faveur des services publics. Ainsi, au nom de la vérité des prix et du refus des subventions publiques, il faudrait que le prix du ticket de métro intègre en lui tous ses éléments de coût. Mais que penser alors du fait que nombre d’entreprises n’assument pas quant à elles la totalité des éléments de coût de leurs produits ? Laisser à la charge de la collectivité la lutte contre les effets de la pollution, les soins prodigués à ceux qui sombrent dans la dépression après avoir perdu leur emploi, l’action contre la déshumanisation des quartiers désertés par les entreprises pour cause de délocalisation, n’est-ce pas se montrer irresponsable au sens même où l’entendent les “libéraux” ? On appelle pudiquement “externalisation” le transfert implicite à la collectivité publique de tous ces éléments de coût. Il serait temps de prendre au mot ceux qui vilipendent les droits sociaux qu’ils osent appeler “avantages” alors qu’ils font silence sur leurs juteuses augmentations, et les stock-option qu’ils s’arrogent. Responsabilité ? Soit ! Que l’on réimpute aux entreprises les frais qu’elles laissent à la charge de la collectivité ! Évidemment, ce défi ne sera pas relevé, mais sa force polémique est utile pour rappeler au capitalisme mondialisé qu’il est lui aussi, objectivement, en situation d’assisté, puisqu’il n’assume pas tout ce que coûtent sa production et sa gestion. Prenons ainsi la mesure du caractère insensé des discours sempiternels qui raillent “l’assistance” promue par l’État social de droit, qu’on ose appeler “État-Providence”, comme si les droits sociaux qui humanisèrent le capitalisme avaient quelque chose à voir avec une manne providentielle tombée un jour sur le désert.

UN PROCÈS IDÉOLOGIQUE FAIT AU SERVICE PUBLIC

Certes, il ne s’agit pas de contester l’existence de dysfonctionnements dans les services publics. Et il est légitime de chercher à optimiser ces services, en épargnant les deniers du contribuable, notamment par la chasse au gaspillage, lorsqu’il existe, ou au refuge dans l’anonymat lorsqu’il sert à refuser d’assumer la responsabilité d’un acte ou d’un propos. Mais de ce légitime souci, on ne peut en aucun cas glisser, sans mauvaise foi, à la mise en cause des services publics comme tels et de leur principe constitutif. Le procès qui leur est fait sous l’emprise de l’idéologie libérale contraste singulièrement avec le silence sur les erreurs de gestion induites par la course effrénée au profit qui coûte si cher aux salariés licenciés, voire les dérives de cette course jusqu’aux confins de la légalité. Cessons, de grâce, de dénoncer les prétendus privilèges des fonctionnaires quand on ne s’interroge pas sur les stock options et le train de vie que permet le régime fiscal des frais généraux des entreprises !

PEUPLE, OÙ EST TA SOUVERAINETÉ ?

L’Europe à venir sera-t-elle l’espace de progrès qu’elle prétend être - ou devenir ? Si elle entend transférer tous les services publics aux normes du marché, on peut en douter. Car la dimension sociale sera nécessairement absente d’une logique mercantile uniquement soucieuse de profits.

[...] Il est d’ailleurs paradoxal qu’on ne cesse d’exalter l’Europe comme espace de démocratie et de souveraineté populaire, de citoyenneté accomplie, alors que les citoyens, justement, sont de plus en plus dessaisis de leur droit de regard au nom de la prétendue objectivité des “lois économiques”. On a même cru devoir forger un terme péjoratif, le “souverainisme”, pour désigner l’attachement à l’exercice de la souveraineté populaire, qui est pourtant une conquête de la Révolution française étendue depuis à tous les pays démocratiques.

Quelle Europe voulons-nous ? La question insiste, et elle est essentielle en ce qui concerne les services publics, dont le principe n’est pas plus français que la pénicilline n’est écossaise ou que l’habeas corpus n’est anglais. En Espagne, en Allemagne, en Grande Bretagne, et ailleurs, l’idée d’une promotion sociale d’un bien commun soustrait au diktat du marché est aussi à l’ordre du jour, et au cœur des luttes pour la justice. La notion de service d’intérêt général, substituée à celle de service public dans le traité constitutionnel européen, constituait à l’évidence une régression. En effet, dans le cadre de la libéralisation des services, dévolus par principe à l’initiative privée, la nature publique du service, tant dans sa conception essentielle que dans sa raison d’être, cèdera la place à une prestation commerciale dont la finalité devra composer avec l’intérêt privé.

Pendant ce temps, dans le ciel de la mondialisation, les nouveaux maîtres du monde jouent leur mobilité sociale en classe affaire, et cherchent sans cesse à rattraper par la géographie ce qu’ils avaient perdu par l’histoire : grâce aux délocalisations ils reconstituent les conditions d’exploitation dont ils jouissaient à l’âge du capitalisme primitif. Le travail des enfants est passé de l’Europe à l’Asie ou à l’Afrique (« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? » Victor Hugo.)

SCÈNE COURANTE.

Il n’est pas rare de voir dans certaines stations du métro parisien des SDF allongés, au petit matin, sur des banquettes que surplombent d’immenses publicités où l’on peut lire : “on aurait tort de se priver”.

Étrange monde en vérité que celui où le scandale a cessé de faire scandale, où la misère moderne fait crever ses bulles de souffrance dans l’eau multicolore des magies médiatiques. Comment y vivre heureux, de ce bonheur qui s’augmente d’être partagé ? Comment y jouir de ce bien de chacun qui s’accroît d’être le bien de tous ? Réveillons-nous. « Il ne faut pas de tout pour faire un monde ; il faut du bonheur et rien d’autre ». (Paul Eluard).

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LECTURES

OPA sur la France

par M.-L. DUBOIN
2 décembre 2005

Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements chargés de gérer la France, gauche et droite confondues, exercent sur elle une gigantesque “offre publique d’achat”. Ceci n’est ni “un scoop”, ni une opinion ou seulement un sentiment, c’est la constatation d’un fait, effectuée en quelque trois mille cinqcents heures de travail pendant cinq années, par quelqu’un d’éminemment compétent, puisqu’il s’agit d’un commissaire aux comptes, fiscaliste international et historien, et même lauréat du Conseil supérieur de l’Ordre national des experts-comptables. C’est la synthèse de 180.000 articles de presse économique et financière que JEAN ROUX vient de publier en moins de 300 pages sous le titre “La grande braderie du patrimoine public des Français” [1].

Qu’on ne s’imagine surtout pas que ce livre est illisible sous prétexte qu’il est écrit par quelqu’un qui a l’habitude de manier les chiffres. Les chiffres ne sont là que pour prouver que rien n’est inventé. Car le style est très clair et l’exposé bien mené.

L’objectif de Jean Roux est de faire l’estimation aussi complète que possible de ce dont la France pourrait disposer si elle avait été gérée “en bon père de famille”, ses gouvernements lui ayant conservé tout son patrimoine et maintenu la dette de l’Etat à son niveau de 1986.

D’abord, nous posséderions encore les entreprises productives du secteur public. Pour pousuivre les nationalisations de la Libération, la gauche entreprit en 1981 de développer ce secteur, puis y renonça. Sa dénationalisation a commencé avec le retour de la droite en 1986 et s’est poursuivie pendant 20 ans. Quand elle sera achevée, en 2007, nous ne produirons plus rien. Les entreprises productrices ont été liquidées, souvent en les bradant, et parfois après avoir été presque acculées à la faillite (Jean Roux rappelle au passage le scandale du Crédit Lyonnais qui a coûté 30 milliards d’euros aux contribuables français, et le comportement des ministres des finances dans l’affaire Executive Life qui va leur coûter 1,7 milliard de plus). Le produit de ces ventes entre 1986 et fin 2004 est environ de 110 milliards d’euros (actualisés à fin 2007), dont 60 quand la droite était aux affaires et 50 sous la gauche. Le produit de celles de 2005 et de celles qui sont programmées pour 2006-2007 est évalué à 140 milliards d’euros. Elles auront donc rapporté 250 milliards. Il faudrait en plus réactualiser ces sommes pour tenir compte de l’augmentation boursière depuis 1986 des anciennes sociétés nationales (par exemple, Total, bradé en 1992, représente une capitalisation boursière de 125 milliards en 2005 et son bénéfice net a approché 6 milliards au premier semestre). Où est passé le produit de la liquidation de ces centaines de sociétés ? Gaspillé !

Gaspillées aussi les sommes que ces sociétés nationales ou ex-nationales (France Télécom, EDF, Vivendi, etc.) avaient mises dans des opérations “à l’internationale” sous prétexte de s’ouvrir de nouveaux marchés, et qui ont été des fiascos. Ces pertes “commerciales” sont évaluées à 120 milliards d’euros (dont 70 par France Télécom).

Nous ne possèderons plus non plus ni les immeubles ni les terrains de ces entreprises. Dilapidés, les 1.181 immeubles de France Télécom, les 30.000 logements d’EDF, les 140.000 m2 de 15 bureaux et centres de tri de la Poste, le siège social et les bureaux parisiens de la SNCF, les 100.000 m2 de Suez ou encore les 60.000 m2 parisiens (dont 12.500 place Vendôme) du Crédit foncier de France vendus à un groupe du Qatar.

Jean Roux dévoile les techniques financières et fiscales qui sont mises en œuvre pour déposséder les peuples, et comment externalisations, titrisations et “achats à effet de levier” (LBO pour les initiés) facilitent l’acquisition par les fonds spéculatifs.

Notre Commissaire aux comptes explique par exemple qu’une loi affirmait que le domaine public est inaliénable, c’est-à-dire que les biens appartenant directement à l’État (et l’État, c’est nous) ne pouvaient pas être vendus. Eh bien cette loi a été discrétement abrogée le 11 décembre 2001, et du coup, la braderie des 5.000 immeubles de la Poste aurait déjà commencé. Une autre loi stipulait que les locaux administratifs, s’ils étaient “déclassés”, c’est-à-dire s’ils cessaient d’être utilisés par l’administration, devaient être réinvestis en logements. Non seulement cette obligation a été supprimée, mais pour accélérer la vente de ces locaux par blocs entiers (ce qui en diminue le prix) Sarkozy a fait passer au Conseil des ministres du 19 août 2004 une ordonnance qui permet même de les vendre sans avoir à les “déclasser”, cette “vente spéculative à la découpe” permet de sérieux profits aux fonds de pension (américains) acquéreurs.

Une première Mission ministérielle avait été créée en 1987 pour vendre les actifs du Ministère de la défense. Les recettes de la vente de 2.500 casernes devaient être affectées « au désendettement de l’État et aux retraites ». Ont été vendus en outre l’hôtel Rohan-Chabot de Poitiers, le château de Mercy, sans oublier sémaphores, aérodromes et camps militaires. Est prévue ensuite la vente des gares parisiennes et des 40.000 logements de la Gendarmerie nationale, et même des biens immobiliers des ambassades de France à l’étranger.

Une autre Mission ministérielle a été mise en place en novembre 2004 pour organiser la vente du patrimoine immobilier des ministères. La première liste concernait des immeubles bien situés, au centre de Paris, qui seront massivement achetés par des capitaux étrangers. Dans la braderie en cours, Jean Roux cite les principaux immeubles des Douanes, du CEA, de l’ENA de Paris, les hôpitaux Laennec, Broussais et Saint-Vincent-de-Paul.

Or la valeur de tout cet immobilier public (des entreprises productives, des administrations et militaires) a progressé de 60 à 70% depuis 1998, l’État (et c’est nous) aurait donc profité du doublement de la valeur de ces biens s’ils n’avaient pas été cédés à des fonds d’investissements étrangers.

Et en outre, si notre patrimoine historique et artistique n’est pas vendu, il est si mal entretenu, et il souffre de tant de vols et de pillages qui pourraient être évités, qu’il se dégrade irrémédiablement et à vive allure.

Jean Roux arrive ainsi à chiffrer les actifs dont les Français devraient être propriétaires indivis, en 2007, s’ils n’en avaient pas été frustrés par leurs gouvernements, « autour de 500 milliards d’euros, voire 600. » Il faut rapprocher ce chiffre de notre dette publique. Elle était de 180 milliards d’euros en 1984, elle approche aujourd’hui les 1.070 milliards d’euros. De sorte que malgré la vente de tous nos “bijoux de famille” notre dette aura été multipliée par 6 ou 7.

Grâce à ce travail d’expert-comptable il suffit donc de quelques heures à tout lecteur, et en particulier à tout responsable politique, pour comprendre que le dérapage de nos finances progresse depuis vingt ans à une cadence annuelle supérieure de moitié à celle qui entraîna la faillite de la République Argentine en 2001. La France sera, en 2007, dans la situation d’une entreprise privée dont le passif serait égal à 80% de son chiffre d’affaires et dont les engagements non provisionnés correspondraient à 50% de ce chiffre ! Ainsi, en 2010, nos budgets publics et sociaux seront en état de cessation de paiement ou, selon les critères du droit commercial, en état de banqueroute frauduleuse.

Cette dépossession des peuples au profit des grands groupes financiers de la planète (en majorité, américains) est un phénomène mondial. Il est urgent d’en prendre conscience. Jean Roux propose pour cela que soit enfin mise en place une véritable comptabilité nationale, capable d’évaluer le patrimoine et de contrôler en permanence la façon dont il est géré.

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[1] chez l’éditeur : F-X de Guilbert, 3 rue J-F Gerbillon, 75006, Paris adresse internet : www.fxguilbert.com.

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Une piste méconnue

par M.-L. DUBOIN
2 décembre 2005

L’économie distributive, que défend l’auteur des “Aventuriers de l’abondance” (voir GR 987 d’avril 1999) serait une piste méconnue, selon l’éditeur, Yves Michel, de son nouveau livre intitulé « Rendre la création monétaire à la Société Civile » ! Notre ami PHILIPPE DERUDDER contribue à faire connaître et comprendre “cette piste” en s’y exprimant avec clarté. Il insiste sur le fait que pour mettre en cohérence notre système économique et financier avec l’abondance matérielle, il n’est plus question de chercher comment produire plus, mais d’identifier les besoins de tous et que l’économie cherche à les satisfaire sans nuire à la planète, car, dit-il, c’est « ce qu’il conviendrait de faire évoluer pour que les règles économiques et financières s’harmonisent avec le contexte actuel, si nouveau dans l’histoire de l’humanité »... laquelle s’applique plutôt à « scier la branche sur laquelle elle est assise ». Il souligne que l’erreur du capitalisme est d’affirmer que l’intérêt collectif se réduit à la somme des intérêts particuliers et que toute décision collective serait un frein à l’enrichissement. Et il met judicieusement l’accent sur l’essentiel : que la société civile reprenne la main sur sa monnaie, et qu’il n’y a inflation que si la masse monétaire est trop importante par rapport aux richesses produites.

Le même éditeur publie une autre présentation de l’économie distributive, mais sous le vocable original d’écosociétalisme, auquel tient son auteur, ANDRÉ-JACQUES HOLBECQ, qui en fait un exposé bien plus technique.

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Beaucoup de ses amis de l’étranger adressent à Paul Vincent des messages pour lui demander son opinion sur ce qui se passe en France. Il y répond par le texte ci-dessous :

Les écrits restent...

par P. VINCENT
2 décembre 2005

Ce n’est sans doute pas majoritaire. Bien sûr qu’il y a des écarts grandissants dans la situation des Français. Mais c’est la même chose dans tous les pays, et en en faisant l’addition c’est la même chose au plan mondial. Les derniers chiffres que j’avais en tête étaient que les 300 personnes les plus riches de la planète possédaient autant que les 2 milliards les plus pauvres. En France les 5 personnes les plus riches possédent ensemble 50 milliards d’euros, 20% de plus que ce que les 8 pays les plus riches ont promis de donner comme aide aux pays les plus pauvres lors de leur dernier sommet (le G8) à Edimbourg.

Pour ce qui est de la situation actuelle en France, qui mieux que notre Président connaît les causes du malaise des Français et plus particulièrement des jeunes ? Voici quelques citations exemplaires de ce que Jacques Chirac a écrit dans “La France pour tous” [1], son programme en 1994, et qui reste sans doute encore valable puisque qu’il ne l’a toujours pas réalisé, bien que déjà élu deux fois président :

- (p.58) : « Ni les opérateurs des grandes Bourses mondiales, ni les technocrates de la Commission européenne ne doivent régenter notre destin » (donc c’est la faute à l’Europe et à la mondialisation ?) ;
- (p. 68) : « Cessons de valoriser ceux qui trichent avec succès, volent l’État, s’enrichissent sans profit pour l’économie » ;
- (p. 71) : « La logique qui prévaut depuis dix ans est conservatrice. Le refus de cette logique est au cœur de ma motivation » ; et le bien-être de tous sont les seuls critères d’une réussite politique. Il n’est pas fatal que le travail soit taxé plus que le capital, que le coût de la protection sociale repose essentiellement sur des salaires qui stagnent... » ;
- (p. 81) : « Il faut, dès l’élection du nouveau président de la République, qu’une campagne nationale d’insertion débouche rapidement sur la définition d’un droit nouveau : le droit à l’activité ... L’urgence, enfin, c’est la possibilité pour chacun d’être logé décemment ... une telle politique libérera des logements sociaux pour les plus démunis » ;
- (p. 83) : « Maire d’une grande ville, je connais trop leur détresse pour n’être pas résolu à agir vite » ;
- (p. 116) : « Les problèmes de l’emploi qui obsèdent les jeunes ne sont pas insolubles. Le règne del’argent, qui les écœure, n’est pas inéluctable »

Cela viendra peut-être un jour mais son gouvernement avait encore récemment bien d’autres préoccupations prioritaires : réduire les impôts des plus riches, augmenter de 12% le prix du gaz récemment privatisé pour encourager les candidats aux autres privatisations annoncées, ne pas désespérer les buralistes, ne pas mécontenter les fumeurs, ne pas trop taxer les bénéfices des laboratoires pharmaceutiques, etc.

Les jeunes des banlieues font-ils preuve de trop d’impatience ? Depuis des années toutes les associations humanitaires : Secours Populaire, Secours Catholique, Restos du Coeur, Emmaüs, etc. poussent un cri d’alarme en constatant que la misère progresse et que des tas de gens sont dans des situations désespérées. Et les plus récentes statistiques du Quidfont état de plus de 10.000 suicides déclarés, dont 14% de jeunes de moins de 25 ans.

N’y a-t-il pas aussi un autre impatient qui aurait mis un peu d’huile sur le feu ? En tout cas on est maintenant en présence d’une “intifada” qui incite le bon peuple à appeler de ses voeux un homme à poigne. En voyez-vous un autre que Nicolas Sarkozy ?

Alors, opération réussie ?

Peut-être, à moins que la situation ne devienne incontrôlable, même pour un homme à poigne.

Les banlieues s’enflamment de partout mais on ne sait toujours pas à qui l’on a affaire. On a arrêté plus de 1.000 individus, mais on ne voit aucun lien entre eux. La seule demi-douzaine reconnus comme constituant une bande organisée et qui fabriquaient en série des cocktails Molotov “travaillaient” dans un sous-sol désaffecté appartenant à la police !

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[1] Nil Editions

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La politique du logement, entre spéculation et service public.

par G.-H. BRISSÉ
2 décembre 2005

Parmi les causes des dérives que nous observons dans nos quartiers excentrés, nous avons relevé la volonté délibérée du gouvernement issu du scrutin du 21 avril 2002 de prendre le contre-pied de ce qu’avaient entrepris leurs prédécesseurs : rupture du plan “emplois jeunes”, aide aux associations, instauration d’une police de proximité.

On a substitué à ces mesures de bon sens, encore certes trop modestes, mais qui s’inscrivaient dans la continuité et sur le long terme, l’intervention musclée des forces de police, en particulier dans ces zones de “nondroit” où de petits caïds locaux s’adonnaient à des trafics en tout genre et imposaient leur loi.

Le résultat de cette démarche musclée de provocation délibérée a été une flambée de violences généralisées. On a présenté en haut lieu ces actions de répression comme une victoire de “l’État de droit” et on a condamné les délinquants pris en flagrant délit à de lourdes peines de prison ou d’amendes tandis que les citoyens d’origine étrangère étaient reconduits dans leur pays d’origine.

Sans doute convenait-il de mettre hors d’état de nuire les plus excités parmi ces délinquants, ils constituaient un réel danger pour le maintien de l’ordre public et la sécurité des citoyens. Les paisibles habitants de ces quartiers, qui sont la majorité, ne méritent certes pas de vivre dans la peur permanente ou les menaces de racket.

Gageons toutefois que les principaux caïds courent toujours et qu’à la première occasion ils reprendront le cours de leurs activités souterraines, aussi longtemps du moins que l’on n’offrira pas à tous la possibilité d’accéder à un revenu, un logement et une activité décents.

“À LA DÉCOUPE”

Avez-vous remarqué ce spam diffusé sur la Toile, si discret qu’il en passa inaperçu : « À vendre en plein cœur du quartier de l’Étoile monument en pierre de taille et son terrain alentour » ?

Il s’agit, vous l’avez deviné, d’un canular. Mais, en fin de compte, pas si absurde qu’il n’en a l’air. On a en effet prélevé l’ADN du Soldat Inconnu, découvert son identité. Et une entreprise s’est constituée pour identifier de la sorte tous les soldats tombés au champ d’honneur en remontant l’Histoire à travers les siècles. On a donc, en haut lieu, perçu l’inutilité de ce site historique, dédié symboliquement à un soldat désigné à l’origine comme “inconnu”, dès lors qu’aura été mis en terre le dernier poilu survivant.

Mais la “vente à la découpe” du parc immobilier parisien n’est pas, quant à elle, un canular ; elle confine à la réalité, pour le plus grand profit de spéculateurs à la recherche de profits faciles, de fonds de pension américains à la recherche de dividendes juteux, de sociétés immobilières cotées en Bourse, encouragées par de multiples cadeaux fiscaux.

Selon la même source cauchemardesque, lesdits fonds de pension associés auraient sous-traité avec une firme taïwanaise la construction d’une tour de 1.500 mètres de haut, laquelle hébergera en sa partie inférieure des commerces de luxe et au-dessus, des lofts avec vue imprenable sur la capitale, destinés à une clientèle huppée qui libérerait de la sorte des logements anciens à réhabiliter pour le loger des mal logés !

Pas si absurde que cela, en effet, quand on compte 9 millions de personnes mal logées, 1.300.000 demandes de HLM dont 300.000 en région parisienne, lesquelles ne peuvent espérer obtenir satisfaction que dans un délai moyen de dix ans, et que 65% des ménages ne peuvent se loger aux prix du marché.

Lorsque nous avons proclamé et écrit noir sur blanc depuis des années qu’il s’avère urgent d’élaborer un plan prioritaire pour la construction immédiate d’au moins un million de logements dits “sociaux”, on ne nous a pas entendus.

On ne nous a pas non plus écoutés lorsque nous avons dénoncé la montée de la spéculation foncière et immobilière, à telle enseigne qu’il convenait de porter le fer dans la plaie.

Il est bien tard, désormais.

Il s’agit de savoir si on va continuer à considérer le secteur du logement social comme un vulgaire service marchand ou le rendre au service public...

C’EST TOUTE LA CONCEPTION DE L’URBANISME QUI EST À REVOIR

On construit aujourd’hui n’importe quoi, n’importe où, ces immeubles de verre et d’acier, grands dévoreurs de climatisation et d’énergie, sur le même modèle à Pékin et à Moscou, à New York ou à Bobigny. Ce n’est pas par la démarche qui consiste à démolir spectaculairement quelques tours pour les remplacer par des immeubles plus modestes, que l’on résoudra le problème. On n’a aménagé que 75.000 logements sociaux en 2004, une misère ! C’est une injure perçue comme telle pour tous ceux qui sont sur des listes d’attentes. Et la solution ne réside pas non plus dans le pourcentage de 20% de logements sociaux que chaque municipalité est contrainte de bâtir, sous peine de pénalités. Comment, face à cette carence qui perdure, des jeunes sans avenir prévisible ne se révolteraient-ils pas ?

METTRE LE FEU

Les quartiers dits sensibles, parlons- en ! Rappelonsnous à quoi ressemblaient la plupart de nos banlieues, dans les années d’après-guerre. On a démoli des bidonvilles, rasé des constructions vétustes érigées dans un fatras hétéroclite, pour bâtir des barres et des tours que l’on a surnommées des “cités-dortoirs”.

Tous ceux qui étaient alors hébergés dans des taudis sans confort, le plus souvent dépourvus de salles de bains et dotés de sanitaires collectifs, accueillirent favorablement ces transferts dans des appartements propres, avec cuisine intégrée, même s’ils se trouvaient parfois fort éloignés de leur lieu de travail.

La population immigrée était alors peu nombreuse. Elle s’est réellement accrue à partir de la seconde partie des années 1970, lorsque des chefs d’entreprise firent eux-même le déplacement dans des pays du Maghreb ou des nations limitrophes pour y trouver la main d’œuvre bon marché qui leur faisait défaut. Ce n’est que quelques années plus tard que se posa le problème des “familles rejoignantes” : fallait-il que les migrants restent célibataires, au risque de courir derrière les filles de leur quartier, ou qu’ils retrouvent la compagnie de leurs femmes et enfants ? Plus tard la notion de “famille rejoignante” fut élargie aux frères cousins, concubines, la polygamie étant une pratique courante chez certaines populations africaines...

À l’époque des “Trente Glorieuses”, la plupart avait un emploi et les transports en commun leur permettaient de quitter les “villes nouvelles” à l’aube et n’y revenir qu’à la nuit tombée. Jusqu’au jour où le chômage contraignit les résidents à demeurer sur place, les plus jeunes livrés à eux-mêmes, à s’organiser en bandes à la recherche de commerces souterrains plus lucratifs. Les trafics de drogue font leur apparition.

Les phénomènes d’insurrection violente furent observés dès la fin des années 60 aux États-Unis, puis on vit apparaître ces courants de mode qui défient les mœurs de la société bourgeoise, les grandes “messes collectives” où l’alcool coule à flot et qui constituent une manière de provocation. Y compris les tags.

Par la suite, l’usage du feu apparaît comme un rituel de purification et de destruction des signes les plus visibles de cette société de consommation à laquelle ils n’ont pas accès.

Au temps de la guerre froide, on multipliait les conférences, les “sommets” pour tenter de mettre un terme et éventuellement détruire avant utilisation les armes dites de destruction massive, en particulier l’arme nucléaire.

À présent, on s’aperçoit qu’il suffit d’un simple couteau pour manifester son agressivité, la mener à son terme ultime. Un certain Roger Schultz, prieur de l’Abbaye de Taizé, l’homme de la réconciliation et du dialogue œcuménique, en a fait la tragique expérience. Avant lui, bien des apôtres de la non-violence, les Gandhi, Luther King entre autres, sont morts sous les balles d’un assassin.

La pulsion d’agressivité, l’idée de vengeance se terrent au tréfonds du cerveau humain et, à de rares exceptions près qui relèvent de la psychiatrie, seule l’éducation peut permettre de les maîtriser et empêcher de passer à l’acte. À tout moment, chacun de nous est placé devant le choix de la vie ou de la mort, sur nousmême (suicide, démarche d’auto-destruction) sur autrui (meurtre) et sur notre environnement.

À tout instant de son existence, chaque personne humaine est confrontée aux dures échéances de sa survie matérielle dans une société de compétition, et la recherche de son insertion harmonieuse au sein d’une ou plusieurs communautés ouvertes.

À LA RECHERCHE DE POINTS D’ANCRAGE

Avec la sécurité matérielle par le revenu social garanti, il est urgent d’offrir des perspectives concrètes d’épanouissement personnel, tout en apportant sa participation à la construction de la société tout entière.

La réhabilitation de la notion de service public s’insère dans ce schéma. La préoccupation première d’un prochain gouvernement dont la formation ne saurait tarder, devra être de mettre un terme à la casse du service public systématiquement organisée au nom d’une idéologie malsaine fondée sur la primauté des mécanismes du marché, du système de concurrence forcenée, d’obligation de résultats au mépris des règles minima de solidarité humaine, de l’individualisme destructeur qui prime sur les notions de personne, de sociétés de personnes, de communautés ouvertes, d’économie solidaire.

J’y ajoute la nécessité de promouvoir l’anti-violence active dans les relations entre les personnes et groupes de personnes. Il devient urgent de redéfinir la notion d’anti-violence active et ses applications dans les activités quotidiennes. Et l’apprentissage doit en être fait dès l’école.

Aujourd’hui, les médias, tous modes d’expression confondus, déversent sur nos cerveaux mal préparés, en particulier ceux des jeunes, des tonnes d’actions violentes en tous genres jusqu’à l’insupportable. Ce ne sont pas les médias qu’il faut stigmatiser : ils font leur métier en relatant des évènements qui retiennent l’attention, peuvent augmenter l’audimat ou le nombre de lecteurs. Grâce à eux, nous sommes informés de ce qui se passe.

C’est à chacun de nous qu’il appartient de faire un choix. Les adultes ont la capacité de le faire, entre fiction et réalité. Mais chez les jeunes, l’image et le son s’inscrivent sur un écran vierge. Ils doivent faire l’apprentissage de l’existence d’adulte. Bien sûr, on peut prendre connaissance sur nos écrans de télévision des mentions désormais plus lisibles : “interdit aux moins de...” Mais l’expérience a montré, et démontre chaque jour qui passe, que les interdits n’ont de saveur, hélas, que lorsqu’ils sont transgressés. Et à l’heure de l’interactivité des médias, où le téléphone portable, donc extrêmement mobile, joue tout à la fois le rôle de télécopieur, d’écran de télévision, de radio, d’appareil photo, etc., la diffusion d’actes de violence, fut-elle fictive, finit par s’incruster dans les comportements. Comme un tsunami, elle se propage à une vitesse foudroyante et balaye tout sur son passage. La tendance à l’imitation, l’effet de mode, font le reste. L’explication vient après, lorsque le mal est fait.

C’est la raison pour laquelle nous accordons une priorité aux actions de prévention “sur le terrain” dans toutes les orientations de la vie sociale. Encore convient-il que dans cet univers qui relève de l’éphémère, elles s’accrochent à une visée eschatologique suffisamment crédible pour servir de points d’ancrage à nos esprits déboussolés.

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Réenchanter le socialisme

par R. POQUET
2 décembre 2005

Après avoir pris connaissance des principes de base de l’économie distributive, les pessimistes diront qu’elle relève d’une hypothèse, les optimistes qu’elle constitue une perspective.

Elle n’a pourtant pas surgi du néant : sa construction relève d’une analyse sans concession des dysfonctionnements de notre système économique et financier. Et il serait aisé de prouver que son application porterait remède à bon nombre de maux qui accablent nos sociétés : chômage, précarité, stress, hantise du lendemain, destruction des valeurs, violences...

Comme nous nous rangeons dans le camp des optimistes, nous pensons que si cette perspective économique a quelque peu perdu de son opportunité depuis que Léon Blum a « vidé le socialisme de sa force de transformation sociale » [1], dans le même temps, elle nous est plus que jamais nécessaire pour “réenchanter” le socialisme, en dessinant des pistes qui répondent aux nécessités du moment.

Mais rappelons tout d’abord quels enseignements et quelles conséquences nous pouvons tirer de l’évolution et de la transformation du capitalisme depuis les années 1930.

Les pays supérieurement équipés, et la France notamment, ont franchi le cap de la rareté et sont en mesure de fournir un minimum de biens et de services nécessaires au bien-être matériel de leurs populations. Et pourtant les inégalités se creusent : la richesse se réfugie dans le capital et la spéculation, abandonne peu à peu les classes moyennes et la classe ouvrière, et délaisse quinze millions de nos concitoyens. La raison nous en est connue. Le capitalisme est un système qui n’a pas son pareil pour développer la production des biens et des services en période de rareté (les taux de croissance actuels d’un certain nombre de pays comme l’Inde, la Chine, voire le Brésil, en sont la preuve), mais qui peine à répartir ses productions dès qu’elles deviennent abondantes, ce qui ralentit l’investissement des capitaux en vue de productions renouvelées et réduit la croissance. Mentionnons une autre tare non négligeable : son incapacité à prendre en compte la dimension écologique et environnementale si elle ne répond pas à ses impératifs de rentabilité financière.

Dans les années 19960, la pénurie de l’après guerre ayant disparu, le capitalisme se trouva confronté au même problème qu’en 1929 : comment éviter une nouvelle crise de surproduction ? Sa faculté d’adaptation lui permit de trouver la parade : on le vit non plus réduire volontairement la production, mais au contraire dépasser le stade de la satisfaction des besoins élémentaires en excitant les désirs des consommateurs par une offre de produits diversifiés, voire superflus, grâce à une publicité de plus en plus délirante, et dans le même temps en réduisant systématiquement les durées d’usage afin de mettre la machine économique en sur-régime et provoquer un “turn over” de plus en plus rapide, consacrant ainsi l’ère du “jetable”. Soulignons au passage que ces deux phénomènes conjugués provoquent un énorme gaspillage de temps de travail, de matières premières et d’énergies, et propulsent chaque consommateur dans une fascinante course à l’avoir qui met souvent au second plan le développement humain (santé, éducation, culture, logement agréable...). Machine aveugle qui balaiera tout ce qui lui fait obstacle, le capitalisme vit et prospère sur le terreau de ce “toujours plus de biens” qui entraîne le “toujours plus de services”, dans une course folle qui semble ne plus devoir s’arrêter.

RÉSUMONS

La raison d’être du capitalisme est la production et la reproduction des objets.

Son impératif est la rentabilité économique. Sa finalité est le profit et l’accumulation de l’argent.

En raison des attaques qu’il subit perpétuellement mais aussi de ses phases évolutives, le capitalisme accepte les appellations les plus diverses : économie marchande, économie de marché, économie néo-libérale, économie actionnariale... plus rarement économie de l’échange. Cette dénomination nous paraît aussi justifiée que les précédentes dans la mesure où la production et la distribution sont assujetties à un cycle bien repérable. On pourrait schématiser celui-ci de la façon suivante : « moi ouvrier, employé, cadre, pour réaliser tel produit ou pour rendre tel service, j’échange mes capacités contre un salaire qui permettra d’acheter telle production ou bénéficier de tel service, ce qui dégagera un bénéficeou un profitque le producteur réinvestira pour relancer la production, et ainsi de suite ». Si, en raison d’une mécanisation de plus en plus poussée, d’une concurrence mondiale de plus en plus vive et de délocalisations de plus en plus nombreuses, la masse salariale s’est raréfiée en amont(en vingt ans, la part des salaires dans le produit national est passée de 67% à 55%, et en trente ans le nombre des chômeurs a grossi de 300.000 à 3 millions), en aval le profit peine à se former par amenuisement de la vente : seules quelques firmes influentes (celles du CAC 40 notamment) dégagent des bénéfices colossaux, au détriment des multiples entreprises de plus en plus fragilisées.

QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CES CONSTATS ?

Le plein emploi, c’est fini, définitivement, si nous persistons à maintenir les mécanismes de l’échange dont il est l’élément moteur. Et pourtant, la campagne des présidentielles de 2007 s’ouvre sur l’affirmation que l’emploi sera la priorité des priorités.

Le plein revenu est devenu indispensable pour ces millions de personnes privées de tout travail ou de toute activité rémunérée. « Pas de travail, pas de revenu », nous dit l’orthodoxie libérale. Mais peut-on laisser dans la détresse la plus complète un habitant sur cinq, alors que la richesse nationale n’a jamais été aussi grande ? Aussi assiste-t-on à une gigantesque redistribution des revenus grâce à une aggravation sans précédent de la fiscalité et avec le concours d’une très lourde bureaucratie. Dilemme insoluble : d’un côté, les entrepreneurs réclament une réduction des charges afin que leurs produits soient compétitifs et se vendent mieux, et de l’autre, les laissés-pour-compte-qui-n’enpeuvent-mais réclament des revenus pour vivre, le travail leur étant devenu inaccessible.

LES CONSÉQUENCES SONT VISIBLES.

Tout dépôt de bilan jette à la rue des milliers de salariés et freine l’essor de l’économie. Toute disparition de l’emploi (et souvent de perspective de vie) provoque des traumatismes profonds dans la population touchée directement et indirectement, et met à mal la notion de travail comme valeur essentielle de nos sociétés.

Nous touchons du doigt le dysfonctionnement majeur de nos économiesfondées sur l’échange : la richesse existe, grâce à une mécanisation et à une organisation de plus en plus poussées, mais si l’emploi se raréfie, les revenus du travail s’amenuisent dans les mêmes proportions, et il est illusoire de penser que les revenus du capital continueront à croître, une croissance “molle” est là pour nous le rappeler.

LA SOLUTION RADICALE

La solution radicale consisterait à opérer le divorce entre emplois et revenus, à indexer la totalité des revenus non plus sur l’emploi mais sur la richesse nationale globale du pays et à distribuer chaque revenu en fonction de critères à définir ou à redéfinir en partant de l’existant, grâce à une monnaie chargée de faire passer rapidement la production à la consommation ; dissocié du processus de formation des revenus, le temps de travail serait réparti entre tous les actifs, tout au long d’un cycle de vie au cours duquel alterneraient travail, formations de l’individu et du citoyen, bénévolat au service de causes diverses, périodes de loisirs ...

Soyons réalistes. Cette rupture entre emplois et revenus se fera progressivement mais irrévocablement, nous en avons la conviction, l’ensemble des revenus accordés indépendamment du travail fourni ne cessant de croître avec la raréfaction de l’emploi. Ne voit-on pas que cette bureaucratie mise en place uniquement pour redistribuer les revenus a ses limites ? Dans la fiscalité, mais aussi dans l’utilisation de ressources humaines qui trouveraient dans d’autres tâches une meilleure motivation. À moins que par leur seule présence ils empêchent avant tout l’explosion du chômage ...

Les désordres sociaux auxquels nous assistons nous incitent à interpeller de toute urgence nos décideurs, en leur proposant quelques pistes de réflexion et d’action relatives à l’emploi et à la monnaie.

Employons-nous à leur faire admettre que l’on ne retrouvera plus le plein emploi dans les structures économiques actuelles. Bien sûr, il faut continuer à défendre l’emploi, mais il est navrant de constater que le droit au revenu est rarement évoqué. La richesse augmente chaque année, ne l’oublions pas. Réclamer un revenu décent pour chaque citoyen est une mesure de salut public.

Certaines revendications reviennent de façon récurrente.

Rappelons-les et insistons pour qu’elles soient réexaminées avec la plus grande attention :
- un revenu minimum garantipour tous qui irait de pair avec le relèvement progressif du smic.
- Dans un premier temps, un revenu de base pour les étudiantsafin qu’ils poursuivent plus sereinement leurs études sans mettre en danger leur santé par l’accumulation des petits boulots ; évidemment, ils constituent dans les grandes villes une proie facile pour les exploiteurs...
- Mais aussi, ainsi que le réclame la CGT et Nicolas Sarkozy (si, si), une sécurité sociale professionnelleafin que toute personne qui vient de perdre son emploi bénéficie d’un plein revenu jusqu’à ce qu’elle retrouve un nouvel emploi ou accède à la retraite.

Mais où trouver l’argent ?

diront les tenants de l’orthodoxie financière. Bonne question qui nous permet d’aborder le sacro-saint domaine de la monnaie.

Nos économies ne disposent pas de moyens de paiement suffisants pour se développer ? Remettons en question l’un des critères de Maastricht selon lequel le déficit annuel de chaque État de la Communauté ne devrait pas dépasser les 3% de son budget, décision arbitraire et stupide que le gouvernement des États-Unis se garde bien d’adopter, lui qui favorise un déficit annuel bien supérieur à ces 3% lorsque son économie demande à être relancée. Les bonnes âmes chargées de garder les portes du trésor européen et de juguler l’inflation, afin de conserver à l’argent le plus de valeur possible et de ne pas nuire aux petits épargnants (sic), perdent le sommeil à l’idée que l’accumulation des déficits a porté la dette publique en France à 1100 milliards d’euros ou à l’annonce que la croissance montre frileusement le bout de son nez. Vite, s’exclame Jean-Claude Trichet, l’ineffable président de la BCE (Banque Centrale Européenne), relevons les taux d’intérêt à court terme dès ce 1er décembre. Mesure qui a le don d’inquiéter les responsables d’entreprises, tel Henri Lachmann, PDG de Schneider Electric : « Jean-Claude Trichet se trompe d’ennemi : l’adversaire n’est pas l’inflation mais plutôt le chômage, qui est la conséquence d’une croissance insuffisante. Or, en montant les taux d’intérêt, la B.C.E. va pénaliser la croissance et l’emploi » [2].

Vieille querelle : ou l’on favorise la monnaie ou l’on favorise l’économie, mais comme l’économie est asservie à la finance... Quant à ces 1.100 milliards d’euros, comment les rembourser puisque nous les avons empruntés ? Dormez en paix, bonnes gens : à qui et comment rembourser puisque cet argent a été créé du néant comme toute monnaie bancaire ! ? Réfléchissez plutôt au moyen d’instaurer une monnaie (simple bon d’achat) qui s’annulerait à l’utilisation, ce qui lui ôterait tout pouvoir de thésauriser et de spéculer, et qui représenterait une part de la richesse du pays.

Dans cette attente, est-il possible de desserrer l’étau financier ? Partir à l’assaut d’un tel pouvoir n’est pas chose aisée.

- Un économiste, partisan du non au récent referendum, estimait qu’il était possible de doter la direction de la BCE (Président et Conseil des Gouverneurs) d’un pouvoir élargi à une direction collégiale, plus représentative des intérêts de tous. Parions que la lutte sera chaude.
- Certains militent en faveur de la mise en circulation de monnaies parallèles, monnaies affectées à certains produits invendus ou services collectifs, et remises à des catégories de populations déshéritées. Simples bons d’échange, ces monnaies disparaîtraient aussitôt qu’utilisées. On retrouve le principe défini plus haut qui avait le mérite d’être radical en remplaçant le système monétaire actuel par un système sur lequel la spéculation n’aurait aucune prise. L’adoption de monnaies parallèles est rendue difficile, on s’en doute, au sein d’un régime financier qui veille jalousement sur ses prérogatives : devant la justice, des partisans d’un SEL (système d’échanges local) ont perdu leurs illusions ...
- Veut-on assouplir la mesure des 3% de déficit ? La Commission de Bruxelles distribue les mauvaises notes et inflige des amendes substantielles aux Etats “hors-la-loi” qui finissent par passer sous ses fourches caudines.
- Faut-il réclamer un plan en faveur du microcrédit, comme le suggère Jacques Attali, président de PlaNet Finance ? C’est une forme de prêt qui permettrait aux chômeurs et aux RMIstes de créer leur entreprise dans les banlieues, les organismes de microcrédit étant autorisés à pratiquer des taux d’intérêt en rapport avec leurs frais. Le gouvernement vient de refuser en s’abritant derrière les mesures incitatives prévues par la loi Borloo... Les banques seraient-elles plus intéressées par les macrocrédits ?

Comme on le voit, la marge de manœuvre est faible, tant le pouvoir financier international suit avec la plus grande vigilance toute tentative iconoclaste.

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Réenchanter le socialisme, disions-nous. Les illusions perdues en 1936 ne sont pas près de faire leur réapparition et le militantisme n’a plus l’engagement et la vigueur qu’il avait à cette époque en raison, sans doute, de conditions moins favorables. Quoi qu’il en soit et dans ce chaos qui s’annonce, nous devons nous attendre à voir s’affronter des forces d’une violence encore insoupçonnée. Rien à perdre, tout à gagner : c’était le pari de Pascal, c’est maintenant celui des révoltés des banlieues.

Pour quel avenir ?

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[1] “Fragments mécréants” de Daniel Bensaid, éd. Lignes, 2005

[2] Le Monde, 23 novembre 2005.