La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 70 - 25 avril 1939

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N° 70 - 25 avril 1939

Français !   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Le message Roosevelt et la paix   (Afficher article seul)

Progrès techniques   (Afficher article seul)

Choses et autres   (Afficher article seul)

Destruction de richesses   (Afficher article seul)

Disciples scandinaves du D.A.T. qui s’ignorent   (Afficher article seul)

Abondance de richesses   (Afficher article seul)

Les mouvements alternés des sociétés humaines   (Afficher article seul)

L’abondance et les destructions légales de richesses   (Afficher article seul)

À M. Daladier, président du Conseil des ministres, Paris,   (Afficher article seul)

Cent ans après…   (Afficher article seul)

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Français !

25 avril 1939

SACHEZ UNE BONNE FOIS POUR TOUTES :

- qu’en régime libéral ou capitaliste, chômage et misère croissent maintenant en même temps que la production : c’est la misère dans l’Abondance ;

- qu’en régime fasciste et capitaliste, si le chômage décroît c’est qu’on fabrique des armements à outrance, car les grands travaux n’avaient apporté qu’une solution provisoire.

Or, les armements MAINTIENNENT LA MISÈRE ET CONDUISENT A LA GUERRE ;

- que le régime de l’Abondance, seul, supprime chômage, misère et guerre, car les hommes ne font plus que des travaux utiles : c’est la Paix par l’Abondance ;

- que notre salut à tous n’est possible qu’avec cette Civilisation Nouvelle qu’on ne voit pas parce qu’on nous la cache ;

- que tout ceci n’est pas affirmé mais prouvé dans les conférences publiques et contradictoires faites dans toute la France par notre groupement.

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Au fil des jours

25 avril 1939

Les événements se précipitent.

Rapt de l’Albanie. A dire la vérité, ce qui surprend le plus, c’est qu’il se trouve des officiers et des soldats pour aller froidement assassiner, sur un ordre, des hommes, des femmes et des enfants qu’ils ne connaissent pas et qui ne leur ont rien fait. Ils n’ont même pas l’excuse d’être en guerre. A moins qu’on ait réussi leur faire croire que les Albanais étaient à la veille d’envahir l’Italie

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L’Angleterre, aussitôt, a offert à quelques Etats des Balkans de garantir elle-même leurs frontières. Cependant comme l’Albanie, paraît-il, avait demandé vainement le secours de l’Angleterre, les autres Etats paraissent peu enclins à recommencer l’expérience. Comme, d’autre part, on sait que nous avions garanti les frontières de l’ancienne Tchéco-Slovaquie...

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On passe l’éponge. Même Pie XII n’a pas eu un mot de protestation. Comme on voit que le cardinal Pacelli n’est plus là !

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En revanche, Pie XII a félicité Franco, auquel les amis de M. de Kérillis avaient déjà envoyé une épée d’honneur. Nous espérons que ces amis voudront bien occuper les premières lignes sur la frontière espagnole si celle-ci avait besoin d’être défendue contre cette épée d’honneur.

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On fait observer que l’Angleterre, dans son désir de protéger ce qui reste des Etats balkaniques, n’oublie qu’une chose : c’est qu’elle n’a pas d’armée. Alors on nous explique que si l’Angleterre adoptait la conscription, tout serait sauvé.

Alors il suffit donc d’établir la conscription pour avoir immédiatement une armée ? Et les cadres ? Et l’instruction des hommes ?

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On commence à regarder du côté de la Russie. Peut-être accepterait-on que les soldats russes se fissent tuer pour défendre les frontières du voisin, mais à condition de ne pas se montrer. L’aviation russe, peut-être, parce qu’elle n’a pas de contact avec la terre. C’est qu’on se méfie de la peste rouge ; on voudrait s’en servir mais ne pas s’en servir, tout en s’en servant.

Tout cela s’étale dans notre magnifique presse à côté d’articles où les mêmes Russes sont traités de porcs.

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On nous explique alors que l’armée russe ne vaut rien. C’est le général NiesseI qui l’affirme, bien qu’il n’en sache rigoureusement rien. Mais ne faut-il pas plaire aux journaux qui acceptent votre prose ?

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Un de nos amis nous adresse la preuve que les mines de fer du Chatellier (Orne) continuent à livrer du minerai de fer à Neuenkirchen (Allemagne).

Ainsi, dit notre correspondant, les wagons transportent à la fois des Français mobilisés, et le minerai qui, transformé en mitraille, fauchera ces mêmes Français. N’est-ce pas révoltant ?

On pourrait ajouter que la France fournit encore à- l’Allemagne de la bauxite, et même des moteurs d’aviation.

Mais cela, à notre avis, prouve avant tout que la guerre n’est pas à craindre puisque, dans le cas contraire, nous aurions d’abord de nombreux traîtres à fusiller.

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La psychose de guerre a pour résultat de faire avaler plus facilement quelques nouveaux décrets-lois. Le redressement Reynaud devait porter ses fruits dans trois ans. Pour l’instant, il ne provoque que de nouveaux sacrifices.

Et l’on s’extasie sur le chômage qui diminue. On oublie de dire que le nombre des mobilisés augmente.

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Et l’équilibre budgétaire ? Voilà qu’il est maintenant complètement perdu de vue, par ceux-là mêmes qui déclaraient qu’aucun redressement n’était possible avant le fameux équilibre.

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On demande respectueusement à M. Baudhuin, de l’Université de Louvain, qui est l’économiste orthodoxe le plus réputé, ce qu’il faut penser de la situation en Belgique. Et comment se porte la fameuse crise mineure ?

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A défaut de cet économiste, l’avis de M. Rist serait volontiers publié dans nos colonnes.

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Il paraît que les pays totalitaires font exprès pour que notre économie se démolisse un petit peu plus chaque jour. C’est du moins la nouvelle explication qu’on nous donne de la tension extérieure. Au même moment, on nous affirme que le redressement Reynaud connaît un succès éclatant. Notre économie est-elle en baisse ou en hausse ? Car enfin, il faudrait s’en tenir à un point de vue et ne pas se contredire constamment.

Acceptons l’hypothèse que les totalitaires font de leur mieux pour nous affaiblir économiquement en nous menaçant de la guerre et en nous obligeant à mobiliser. Ne sont-ils pas victimes eux-mêmes de cette psychose de guerre ? Ne sont-ils pas obligés de mobiliser, eux aussi ?

***

M. Paul Reynaud, toujours content. de lui, nous demande de tenir le dernier quart d’heure.

Et après le dernier quart d’heure ?

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Est-ce qu’après le dernier quart d’heure, tous les peuples vont arrêter leurs armements ?

Alors, l’économie mondiale devra se passer de deux milliards d’armements par jour !

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Le message Roosevelt et la paix

par J. DUBOIN
25 avril 1939

LA presse des pays démocratiques (c’est l’expression consacrée) a fait un grand succès au message du Président Roosevelt, car il a pour conséquence, nous dit-on, de dissiper toutes les équivoques en dénonçant les totalitaires comme les ennemis de la paix publique. C’est dans ce même sens qu’il a été interprété à Berlin et à Rome, mais avec une mauvaise humeur assez compréhensible.

Demandons-nous objectivement si le Président Roosevelt a fait pencher les événements du bon côté, c’est-à-dire du côté de la paix, ou si, au contraire, ce message n’est qu’une manifestation épistolaire de plus.

*

LE Président Roosevelt dénonce très justement les procédés de l’Allemagne hitlérienne vis-à-vis de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie ; ceux de l’Italie vis-à-vis de l’Albanie. A cet égard, il fait preuve d’un peu plus de tempérament que les gouvernements de France et d’Angleterre, lesquels, après avoir rappelé théâtralement leurs ambassadeurs à la suite du dernier coup tchécoslovaque, les font regagner aujourd’hui leur poste à Berlin, en expliquant qu’ils avaient eu besoin d’un petit repos pour leur santé.

*

CECI dit, le Président Roosevelt rappelle aussi très justement que toutes les questions qui divisent les hommes peuvent se régler autour d’un tapis vert. Il suffit que chaque nation désigne quelques délégués ; les délégués se réunissent, discutent, s’entendent, et le tour est joué.

D’accord ; mais à une condition : c’est que les délégués apportent autour du tapis vert autre chose que les préjugés de l’économie libérale. S’ils arrivent bien décidés à se cantonner dans le régime économique actuel, on peut parier à cent contre un que les revendications de chaque pays se heurteront aux revendications de tous les autres, et que le problème qui se pose partout ne recevra même pas un commencement de solution.

A cet égard, le Président Roosevelt ne nous apporte aucun espoir. Que propose-t-il ? Une conférence internationale pour rechercher les moyens qui permettront à toutes les nations « d’acheter et vendre librement ». Autant réunir une conférence de chauves pour rechercher les moyens de retrouver leurs cheveux.

*

LE Président Roosevelt part encore de cette idée simpliste que l’Allemagne, de gaieté de coeur, s’est réfugiée dans l’autarcie. C’est pour distraire les Allemands qu’on leur fait fabriquer des succédanés de tous les produits que les autres pays fournissent en abondance ; c’est pour leur faire aimer le régime hitlérien qu’on les rationne et qu’on leur distribue des cartes de sucre, de beurre, etc.

Le Président Roosevelt ignore encore, en 1939, que tous les peuples veulent vendre et qu’aucun ne veut acheter. Ou, plus exactement, que ceux qui voudraient acheter n’ont pas les moyens de le faire, parce que les autres peuples ne veulent rien leur acheter pour commencer. C’est le cas de l’Allemagne. Ses produits industriels ne trouvent plus preneur nulle part, car la planète s’est équipée à toute allure. Alors comment veut-on que l’Allemagne puisse se procurer les matières premières dont son peuple a besoin ?

Cette impossibilité de vendre paraît surprendre le Président Roosevelt. Il paraît oublier qu’il a lui-même quelque 14 millions de balles de coton (chaque balle pèse 225 kg) dont il ne sait que faire, et qu’il offre vainement à des peuples qui en ont besoin, mais qui ne pourraient les acheter qu’à condition que les Etats-Unis voulussent bien leur permettre de se procurer des dollars ; ce qui, dans le régime, n’est possible que si les Etats-Unis voulaient bien acheter des produits étrangers.

Le Président Roosevelt paraît oublier qu’il portera dans l’histoire le nom du plus grand ennemi de l’abondance. Qu’il a fait détruire une masse prodigieuse de produits alimentaires, sous prétexte que les Américains ne pouvaient pas les vendre ; qu’il a pris des mesures draconiennes pour restreindre ensuite la production du coton, du blé, du riz, du tabac, du maïs, du seigle, de l’orge, du chanvre, du bétail, des porcs, du lait, du sucre de canne, de la betterave, du sorgho et des arachides.

Sa première et sa seconde expérience sont un abominable défi à la misère du peuple américain. Ce n’est pas nous qui le disons : c’est M. Amlie, dans son discours à la Chambre des Représentants, dont le D. A. T. possède une traduction à la disposition de tous ceux qui cherchent à se renseigner.

Ces honteuses destructions de produits et ces restrictions de production future ont pour résultat une détresse atroce qui a été définie ainsi : sur trois Américains, il y en a un qui est à peine nourri, à peine vêtu, et misérablement logé. Et qui a dit cela ? C’est le Président Roosevelt lui-même, dans le discours qui a suivi sa réélection à la présidence des États-Unis ! Douze millions de chômeurs qui,avec femme et enfants, représentent le tiers de la population américaine. A côté d’eux : une masse de produits que l’on détruit légalement. Au-dessous d’eux : de l’or, pour une somme de cent cinquante milliards de francs qu’on stérilise.

Car le Président Roosevelt stérilise tout aux Etats-Unis : les capitaux, la production et les consommateurs.

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COMME cette folle politique n’a d’autre cause que l’impossibilité de vendre, on est surpris que le message Roosevelt paraisse ignorer que l’Allemagne manque de matières premières faute de pouvoir, elle aussi, vendre ses produits fabriqués. Le Président Roosevelt ignore-t-il encore que le commerce international est en train de disparaître presque complètement de la surface du globe, précisément parce que tout le monde veut vendre et que personne ne peut acheter ?

La S.D.N. a fourni, à cet égard, quelques renseignements qui montrent que la chute du commerce international s’accélère sans répit ; Il suffit de comparer les chiffres de 1937 et de 1938, mais, bien entendu, en se servant de valeur-or, afin d’avoir une commune mesure.

Les exportations des Etats-Unis en 1938 représentent 35 % de ce qu’elles étaient en 1929.

A l’égard des importations, les Etats-Unis n’achètent plus que 26 % de ce qu’ils achetaient en 1929. En une seule année, le chiffre de leurs importations a baissé de 35 pour cent.

Prenez tous les pays, un à un, et vous découvrez que tous achètent de moins en moins, parce qu’ils vendent toujours plus péniblement au dehors.

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LE Président Roosevelt, qui a un « brain trust » à sa disposition, devrait savoir que les matières premières ont été distribuées sur la terre sans aucun souci des frontières politiques, ni même des théories des économistes orthodoxes. Les Etats-Unis sont des privilégiés, et, s’ils succombent sous le poids de la misère, c’est en raison de l’entêtement farouche de leurs dirigeants à ne pas vouloir s’adapter au progrès.

Les Etats-Unis ont infiniment plus que leur part des richesses naturelles. Dans la production mondiale, ils ont 34 % de la houille ; 60 % du pétrole ; 50 % du coton ; 72 % du soufre ; 28 % du zinc. Quant aux céréales, le Président Roosevelt est en train de convoquer une autre c

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Progrès techniques

25 avril 1939

Une nouvelle usine pour la construction des moteurs en Angleterre

L’exploitation d’une nouvelle usine, située à Farrington et destinée à la construction de moteurs, vient de commencer. L’installation, elle seule, a coûté 200.000 livres sterling. Les matières premières entrent par un côté, elles sont usinées dans l’un ou dans plusieurs des dix ateliers différents et le moteur ressort, terminé, à l’autre extrémité des ateliers.

La nouvelle usine serait à même de construire plus du double de moteurs, en l’espace de quarante-sept heures, qu’elle ne pouvait le faire durant une période plus longue, d’après l’ancienne méthode. La manutention des pièces des moteurs durant leur construction a été presque entièrement éliminée.

558 soudures en 20 secondes

C’est le résultat obtenu par deux ouvriers utilisant une machine a souder « Hydromatic » dans les ateliers de montage des divers éléments des carrosseries tout acier « Packard » modèle 38.

Ces machines, au nombre de trois, sont installées en file pour souder les dessous de caisses. Elles assemblent plus de 20 pièces par soudure. La mise en place des différentes pièces, le changement de machines et les soudures se font pour un dessous de caisse en une minute, soit une production de soixante dessous de caisse assemblés par heure avec six ouvriers.

L’étiquetage et l’impression des emballages

Le progrès technique a modifié l’étiquetage et l’impression des emballages à des proportions inouïes.

On fabrique actuellement des machines super automatiques réservées à l’impression des tubes dont la cadence peut aller jusqu’à 40.000 par jour.

Dans l’industrie pharmaceutique, le rendement des machines est particulièrement intéressant dans l’impression des ampoules pharmaceutiques.

Celles-cl étant préparées à l’avance, une ouvrière, dans sa journée de huit heures, imprime 1O.OO0 ampoules. La cuisson pour vitrification de ces 10.000 ampoules consomme 16 mètres cubes de gaz et 20 kwh. d’électricité. C’est dire que l’impression d’une ampoule est infiniment plus économique que le collage d’une étiquette.

Le procédé que nous venons d’exposer se répand de plus en plus dans l’industrie. Les lampes électriques et de T.S.F., les ampoules, vases, tubes à graduer, les biberons, etc.. en sont tributaires.

Encore de l’énergie

On a récemment évalué la quantité de vapeur qui pourrait être produite grâce l’incinération des ordures ménagères. Cette quantité équivaudrait à celle produite par 570.000 tonnes de charbon.

Pour que l’installation de pareilles usines fût intéressante, on admet qu’une agglomération d’au moins 30.000 personnes est nécessaire. Des calculs montrent que l’on pourrait utiliser ainsi 2.850.000 tonnes d’ordures ménagères par an.

Une usine hydraulique suédoise télécontrôlée entièrement automatique

L’usine hydraulique d’Axelfors (suède) comporte une turbine Kaplan verticale, conçue pour un débit, de 26 m3, sous une charge de 11,2 m. ; la tension du générateur de 3.000 Kva est élevée de 6,6 à 33 Kv dans un poste extérieur, relié à la station transformatrice Boskasjœn du réseau à 33 Kv, qui est située à 35 kilomètres de là. L’usine fonctionne, sans surveillance directe sous le télécontrôle de l’usine Boras, distante de 36 kilometres. La télécommande provoque le démarrage automatique de la machine, à la suite duquel un synchro-coupleur automatique branche le générateur en parallèle sur le réseau ; l’arrêt du groupe se fait de la même façon. Le réglage de la puissanoe dépend soit des ordres émis par l’usine Boras, soit du débit disponible. Les défauts qui troublent le fonctionnement du groupe sont automatiquement signalés à l’usine Boras et à un surveillant qui habite dans le voisinage.

13.400 bouteilles bouchées par heure

La première exposition internationale de matériel d’embouteillage, qui se tenait au Parc d’Exposition en novembre 1938, présentait une boucheuse automatique assurant 13.400 bouchages dans l’heure. Cette machine, accouplée à une remplisseuse, permet de sortir de 4.000 à 13.000 bouteilles remplies et capsulées dans l’heure.

Une autre machine exposée permet de laver, stériliser, remplir, boucher et étiqueter 3.000 à 4,000 bouteilles à l’heure. Une autre enfin permet de tremper, injecter, tirer, boucher, étiqueter 6000 bouteilles à l’heure. Les bouteilles sortent parées de trois étiquettes et envelopées dans un papier de soie.

Toutes ces machines ne nécessitent qu’une main-d’oeuvre peu nombreuse et libèrent plus de 90 % du personnel employé précédemment.

Deux hommes on remplacent Vingt

En une journée, grace à une machine spéciale, deux hommes tracent à une vitesse accélérée la raie blanche qui départage les routes en deux, aux croisements et aux tournants dangereux. Pour accomplir le même travail précédemment, une équipe de quatre hommes était employée pendant une semaine.

124 chevaux par litre de cylindrée

Ce résultat extraordinaire a été fourni par un moteur à explosion monocylindrique tournant à 10.000 tours avec une consommation d’essence à 68 d’Octane de 114 gr. seulement au ch. h. Le rendement thermique ressort à 50,8.

La distribution est assurée par un organe tournant de forme conique appliqué sur le fond du cyclindre présentant lui-même une forme conique, où aboutissent les tubulures d’admission et d’échappement et portant également la bougie d’allumage.

C’est la Société Aspin, de Bury (Angleterre), qui met au point ce moteur.

La plumée électrique des volailles

La Coopérative agricole de Bourg-en-Bresse pratique la plumée électrique des volailles. Elle utilise pour cela deux machines à plumer électriques qui traitent chacune cent bêtes à l’heure, soit avec un rendement dix fois supérieur au travail fait à la main.

Le duvet est aspiré dans des conduits par un ventilateur électrique et envoyé dans un grenier où il est stocké.

La machine à plumer le contribuable

Contrairement à celle à plumer les volailles, la machine à plumer le contribuable n’est pas électrique. Elle fonctionne à la machine à écrire et au stylo. Perfectionnée sans arrêt depuis dix ans par tous les ministres des Finances, elle atteint à ce jour un rendement étonnant grâce, il faut le reconnaître, à la dextérité hors de pair de notre dernier ministre des Finances. Il est arrivé ainsi à extraire des poches du contribuable près de 54% de son revenu. Accouplée à la précédente, on se demande ce qu’il resterait au malheureux.

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Choses et autres

25 avril 1939

On ne fait pas de fausse monnaie ; on fait des billets qui portent intérêt : ce n’est pas du tout la même chose ! C’est de l’inflation en puissance, disait-on autrefois, mais M. Paul Reynaud ne s’en souvient plus.

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La circulation fiduciaire bat tous les records. Mais ce n’est pas de l’inflation, nous explique « Paris-Midi », car la production d’acier augmente...

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Sous le couvert du nouveau redressement patriotique, on vient de faire avaler l’impôt sur la dépense. II est représenté comme l’impôt le plus juste qui soit au monde et en tous points conforme à la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Que des journalistes ( ?) osent écrire pareille énormité, cela fait lever le coeur !

Prendre sur le strict nécessaire d’une famille dans la misère, le même pourcentage que sur le superflu d’un millionnaire, c’est conforme à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?

Reconnaissons que jamais encore un gouvernement réactionnaire n’avait tenté de prendre mesure aussi odieuse. Il fallait attendre, pour l’oser, une majorité dite de front populaire !

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A quand le décret-loi qui prorogera le mandat des élus du front populaire ? Car on finira par tout voir. Même les conservateurs sociaux maintenant, après expiration de leur mandat, les farouches représentants de la révolution intégrale ! Celui qui, au moment des dernières élections, aurait fait pareille prophétie, se serait fait écharper.

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Un incendie à bord du « Paris ». Immédiatement la grande presse a crié à l’attentat en désignant à la vindicte publique soit les communistes, soit cette pègre étrangère qui, que, etc... Brefs ces étrangers qui cherchent vainement du travail, que les totalitaires expulsent de chez eux et qu’aucun pays ne veut recevoir.

C’est peut-être un républicain espagnol qui a fait le coup !

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En attendant, M. le gouverneur 0llivier, qui est le grand patron de la Transatlantique, continue à assumer les fonctions de Haut-Commissaire de l’Exposition de New-York. A la suite de l’incendie du « Paris », on pourrait lui confier encore la Sûreté générale, et même le corps des sapeurs-pompiers. Un génie comme le sien ne peut cumuler trop de fonctions rémunératrices.

Quant à les exercer, c’est une autre affaire.

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La Loterie Nationale est réhabilitée. Elle a retrouvé toutes ses vertus. Aviez-vous cru qu’elle dispraîtrait avant le régime social lui-même ?

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Le Président Roosevelt cherche à échanger 14 millions de balles de coton, dont il ne sait que faire, contre un stock de caoutchouc ou d’étain ? N’oubliez pas que la balle de coton pèse 225 kilogrammes. Cela vous donne une idée de l’abondance du coton ! Quant à l’étain et au caoutchouc, on les enfermerait quelque part. On les stériliserait comme l’or.

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Le Congrès jubilaire de la J.A.C. s’est terminé en apothéose. Unis pour la moisson, cinq cents jeunes gens ont envahi la piste. A la voix puissante de l’orgue, ils ont recomposé les mouvements éternels du faucheur, du semeur, du moissonneur. C’est l’heure du retour à la terre, concluent les journalistes avec une larme à l’oeil.

Pardon, il manque un tableau : celui de la dénaturation de vingt millions de quintaux d’excellent froment.

Lire au « Journal officiel » les conditions du concours ouvert par le ministre de l’Agriculture pour le meilleur procédé de dénaturation.

Car, aujourd’hui, et même dans notre beau pays de France, on sème, on fauche, on moissonne, puis on dénature. Vive la disette !

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On estime à 150 milliards de francs le stock d’or qui est stérilisé aux Etats-Unis. Mais il n’en faut pas parler, car le jour où les gens ne croiront plus à l’or .... le dernier quart d’heure sera révolu !

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Destruction de richesses

25 avril 1939

Toujours le café

En 1938, le Brésil n’a détruit que 8.004.000 sacs, contre 17.196.000 en 1937. Depuis la mise en application de la politique de destruction, commencée en juin 1931, jusqu’au 31 décembre 1938, le total du café détruit s’élève à 64 millions 733.000 sacs de 60 kilos.

D’après le Département National brésilien du café, les approvisionnements de tous les pays producteurs ont augmenté d’environ 12 % sur 1937.

La bienfaisante rareté

Les producteurs d’étain sont heureux, les prix montent. Ils ont réussi à mener à bien leur lutte contre l’abondance. Ils ont commencé par surveiller attentivement les opérations des membres de leur cartel, puis ils ont constitué un stock qu’ils ont dénommé « stock de battement ».

Une agréable surprise est venue couronner leurs efforts, le gouvernement américain ayant décidé de constituer des stocks de sécurité. Tous leurs voeux sont comblés. Les prix montent.

L’Argentine limite la production du maté

Comme il reste en stock 93.000 tonnes de maté de récoltes précédentes, la commission argentine gouvernementale du maté vient de décider que les récoltes de maté ne devront pas s’élever à plus de 65.000 tonnes en 1939.

Les planteurs de maté ont demandé qu’il ne soit récolté que la moitié de ce qui aura poussé.

La peur de l’abondance

Si nous en croyons ce qu’écrit le Courrier des Pétroles, certaines administrations coloniales n’apportent pas tout l’appui désirable à la recherche du pétrole dans nos colonies :

« On nous avait déjà signalé, écrit-il, pour le Cameroun, et on nous signale pour Madagascar que tous les prospecteurs reçoivent dans cette colonie, comme dans ce pays sous mandat, un accueil systématiquement réfrigérant. On nous a même précisé que dans certaines régions où s’effectuent des forages, on ne sait pas grand’chose de leurs résultats, et l’Administration de la Colonie s’efforce, parait-il, de décourager ceux qui voudraient s’en informer. »

Ces révélations ne nous surprennent pas.

Voilà déjà quelques années que certains hommes et groupements ont engagé une lutte farouche pour empêcher que ne fasse irruption l’objet de leur terreur, l’Abondance.

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Disciples scandinaves du D.A.T. qui s’ignorent

par P. BOUERY
25 avril 1939

Pour administrer la preuve du bien- fondé de leurs théories, les économistes sont gens assez mal partagés. Alors que leurs collègues ès sciences plus ou moins exactes ont la faculté de répéter à loisir leurs experiences, il est interdit aux économistes de pratiquer l’économie in vitro. Quant aux expériences économiques qui se poursuivent actuellement sous le signe de la contrainte politique... et policière, qu’il nous soit permis, sans préjuger de leurs résultats finaux, de demander à connaître le point de vue des « expérimentés » avant d’émettre un jugement sur leur valeur et leurs mérites. On n’a malheureusement pas l’habitude de demander l’avis du cobaye avant de lui injecter le sérum dont il doit mourir.

Ceci dit, il nous paraît qu’il faut chercher ailleurs que dans l’expérience forcée la preuve de la valeur actuelle de certaines théories économiques. A ce point de vue, la rencontre d’esprits sincères venant d’horizons très divers, travaillant sans se connaître ou s’être concertés, dans des pays souvent très éloignés, tant par la distance que par les mœurs, me parait du plus haut intérêt.

C’est précisément cette rencontre entre les tenants de l’économie distributive groupés en France sous la bannière du D. A. T. et certains chefs travaillistes suédois que les lignes suivantes ont pour but de mettre en lumière aujourd’hui.

Ces lignes sont extraites d’un compte rendu paru, sous la signature de M. Stuart Chase, sur l’ouvrage This is Democracy, de M. Marquis W. Childs. Ce compte rendu a été publié dans le numéro de mars 1929 de la grande revue américaine The Yale Review.

EXTRAIT DU COMPTE RENDU paru dans The Yale Review n° mars 1939 sur l’ouvrage This is Democracy, par Marquis W. Childs, Yale University Press

« ...Ce qui m’a le plus intéressé dans cet ouvrage, c’est que certains chefs travaillistes scandinaves regardent au delà de leurs systèmes pourtant parfaits de conventions collectives vers la phase historique qui va suivre. Ils commencent à se demander si le mouvement travailliste n’est pas transitoire, simple intermède dans l’évolution des techniques. Quels avantages, se disent-ils, à faire une juste répartition du revenu national courant quand le besoin essentiel est d’augmenter à la fois la production et le revenu ?

« Pourquoi subventionner les exportations (comme on l’a fait) pour pratiquer sur les marchés étrangers un dumping des produits alimentaires quand il y a tant de gens insuffisamment nourris à l’intérieur du pays ?

« Ces hommes en viennent à être aux prises avec le paradoxe de l’abondance.

« La Suède, après une étude approfondie du régime alimentaire du pays, a commencé à subventionner d’une manière effective le marché interieur en nourrissant les enfants des écoles avec les produits laitiers qui, jusqu’à ce jour, faisaient l’objet d’un dumping sur le marche mondial. »

(Compte rendu par Stuart Chase.)

Quels enseignements tirer de ces lignes sinon qu’on n’échappe pas à l’abondance, qu’elle fait craquer les vieux cadres du profit si équitablement soit-il réparti. Bon gré mal gré, l’abondance s’impose aux hommes de bonne foi quelles que soient les opinions qu’ils professent ou la latitude sous laquelle ils vivent.

Et cependant, nous avons affaire avec la Suède à l’économie capitaliste sans doute la mieux organisée et la plus évoluée : pas de dépenses de guerre ni d’armement écrasant les finances publiques. Organisation coopérative la plus poussée qui existe. Esprit de collaboration confiante entre les patrons et les ouvriers ayant remplacé avantageusement le vieil esprit de lutte de classe [1]. Mentalité et habitudes économiques des plus favorables à une large circulation des capitaux : goût de la vie large et confortable. Pas de thésaurisation.

Néanmoins, l’abondance est là posant ses problèmes inéluctables dispensant la misère ou la richesse suivant l’esprit qui présidera à sa distribution. Le grand mérite des chefs travaillistes suédois, preuve à la fois de la perspicacité de leur esprit et de la droiture de leur caractère, sera précisément d’avoir compris qu’on ne ruse pas avec l’abondance et qu’on ne la domine qu’en s’y soumettant. Puissent certains de nos chefs syndicalistes s’inspirer de leur exemple.

Il y a en tout cas, dans les lignes citées plus haut et inspirées par l’ouvrage de Marquis W. Childs, This is Democracy (Cela, c’est la démocratie), une leçon à tirer, leçon qui doit donner encore plus de confiance aux partisans du D. A. T. C’est, et ce sera là ma conclusion, qu’il faut voir dans l’initiative des chefs travaillistes suédois non la rencontre fortuite de deux familles d’esprit, mais la concordance profonde entre la théorie et l’expérience, concordance démontrant de la façon la plus tangible l’unité économique d’un monde qui périra des mêmes erreurs ou qui se sauvera par le mêmes vérités.

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[1] A Cet égard, il serait particulièrement intéressant de compulser, s’il en a été publié, les comptes rendus des entretiens de Pontigny, entretiens qui ont eu lieu en juin dernier entre les patrons suédois et certains chefs syndicalistes français. On y verrait sans doute exposé le mécanisme d’un système capitaliste, certes, mais fonctionnant dans un autre esprit que chez nous.

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Abondance de richesses

25 avril 1939

Toujours le coton

Chacun sait que l’abondance du coton aux Etats-Unis est le cauchemar de son gouvernement. Tout comme notre ministre de l’Agriculture au sujet du blé, celui de l’Amérique est obsédé par des récoltes abondantes et pléthoriques de coton se succédant sans relâche.

Or, un peu partout dans le monde, de nouveaux concurrents se lèvent. Des essais entrepris en Syrie, voici quelques années, ont pleinement réussi. En 1936, 40.000 hectares ont fourni 200.000 quintaux de coton ; en 1938, 37.000 hectares ont fourni 240.000 quintaux. Avec moins d’hectares cultivés, on a obtenu un rendement supérieur. La production n’est pas encore suffisante pour les besoins locaux, mais elle est en plein essor et les producteurs envisagent le moment où ils pourront essayer... d’exporter.

Quels beaux tournois en perspective entre tous les producteurs du monde.

Un nouveau produit tannant

Le goudron de tourbe est depuis quelque temps employé avec succès par des tanneries soviétiques comme produit tannant.

Ce goudron, étant un produit résiduel, présente sur les autres produits du même genre l’avantage de ne rien coûter.

Abondance de services

Paris-Midi du 22 avril nous apprend que les pourparlers pour le creusement d’un nouveau canal entre la mer Rouge et la Méditerranée ont abouti. Le canal partira de Rafa, près de Gaza, sur la Méditerranée, pour aboutir à Akaba, dans le golfe du même nom. Les travaux dureront cinq ans. Ils seront effectués par une société à prédominance anglaise.

Mais que va devenir la valeur de l’ancien canal ?

La maturation artificielle des fruits, fleurs et légumes

Un agronome italien a construit à Milan d’immenses serres dans lesquelles la maturité des plantes est accélérée grâce à la présence dans l’air d’une forte proportion d’éthylène obtenu comme sous-produit (50 %) de la fabrication de l’azote à la Sociétà Azogeno di Milano. On produit par cette méthode des bananes, citrons et divers fruits tropicaux. Le rendement des serres est considérablement augmenté du fait de la rapidité de croissance des diverses plantes et le capital immobilisé dans ces constructions rapporte davantage.

La cellulose de tiges de maïs

Les laboratoires d’essais d’Ocsa, en Hongrie, viendraient de réussir à extraire de la cellulose des tiges de maïs. Jusqu’à présent, ces tiges, dont la culture hongroise fournit annuellement près de 3 millions de tonnes, servaient simplement aux paysans pour faire du feu.

On estime que 300.000 tonnes de ces tiges suffiraient grandement à couvrir les besoins du pays en cellulose, et les résidus serviraient d’engrais.

Ostréiculture et électricité

Dans une entreprise d’ostréiculture située à l’embouchure d’un petit fleuve côtier, la Sendre, au bord de l’Atlantique, l’éclairage intense des parcs d’élevage au moyen de la lumière électrique a eu pour résultat de porter la production annuelle de quelques milliers de tonnes avant l’installation des lampes à 31000 tonnes en 1986.

La dépense se monte à 19 watt-heures par centaine d’huîtres, et l’emploi de la lumière, d’une composition spéciale, est susceptible d’accroître encore la multiplication des huîtres.

Les nouvelles méthodes de culture en Californie

La ville du Capitole, en Californie, a décidé de fournir elle-même en légumes ses chômeurs et une partie de la population laborieuse. Elle possède maintenant deux serres à plusieurs étages, de 61 mètres de longueur sur 24 mètres, contenant 66 bassins de culture remplis d’eau dans laquelle on fait dissoudre des engrais chimiquement dosés. Cette eau est réchauffée par des câbles électriques de 220 volts.

On a ainsi récolte en une année six fois plus de tomates ou de pommes de terre qu’en pleine terre. De plus, la lutte contre les insectes parasites est considérablement facilitée par cette méthode de culture intensive.

30 milliards de boîtes de conserves

Le Français Nicolas Appert, qui découvrit, dans les premières année du XIXe siècle, le moyen de conserver les aliments dans des récipients clos, après Ies avoir stérilisés par la chaleur, était loin de se douter du développement inoui de son procédé.

Il commença par employer des bouteilles en verre, lourdes et fragiles. Actuellement, on emploie des boites en fer blanc dont I’épaisseur varie en général entre 25 et 35 centièmes de millimètre. Ce fer blanc est obtenu en faisant passer des feuilles d’acier doux à travers de l’étain fondu.

On peut estimer la consommation mondiale de ces boîtes à environ 3O milliards de boîtes par an.

La montée de l’abondance

Les oasis d’In Salah et Tamanrasset n’étaient irriguées que par des foggaras à demi ensablés. A Djanet, l’eau manquait partout. Aujourd’hui, les foggaras ont été remis en état. Des puits ont été forés. De ce fait, la production dattière a pris un gros essor. Dans tous les postes, la culture est devenue possible. On a semé du blé et des légumes, on a planté des arbres fruitiers. Il y a des pêchers à Djanet. Et le Hoggar produit maintenant plus de blé qu’il ne lui en faut pour sa consommation.

Abondance de monnaie

En 1914, nous avions environ 9 milliards de monnaie en circulation ;

En 1929, nous en avions environ 50 milliards ;

En 1937, nous en avions environ 90 milliards ;

En 1938, nous en avions environ 105 milliards ;

Fin 1938, nous en avions environ 111 milliards ;

Au 16 mars 1939, nous en avions environ 113 milliards

Au 23 mars 1939, nous en avions environ 116 milliards ;

Au 30 mars 1939, nous en avions environ 120 milliards ;

Au 13 avril 1939, nous en avions environ 122 Milliards.

Ainsi, en quinze ans, dont cinq de guerre, de 1914 à 1929, l’augmentation à été de 41 milliards.

En neuf ans, de 1929 à 1938, l’augmentation a été de 50 milliards.

En un an, de 1938 à 1939, l’augmentation a été de 10 milliards.

Enfin, en trois mois, de janvier à mars 1939, l’augmentation a été de près de 10 milliards.

Ne nous étonnons donc pas si cette abondance de monnaie en détruit la valeur et qu’en conséquence, les produits de consommation augmentent sans cesse.

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Les mouvements alternés des sociétés humaines

(Suite et fin)
par C. LE TROTER
25 avril 1939

Qui pourrait nier que le monde en général, et la France en particulier, ne soient actuellement victimes de la décomposition de la société ?

C’est seulement aux moments de décomposition sociale que l’on prend conscience de ses buts, que l’on cherche à comprendre les faits sociaux ambiants, à les analyser, à les subordonner les uns aux autres, à les classer, à les construire enfin en un système cohérent.

Un être humain, à moins que ce ne soit son métier, ne s’intéressera vraiment à la structure intérieure de son corps que si l’un de ses organes est malade.

C’est sans doute pourquoi, souffrant les uns et les autres de la décomposition de notre corps social actuel, nous nous intéressons tant, quoique cela ne soit pas notre métier, à toutes les questions sociales et économiques actuelles.

Si nous vivons en société, ce n’est pas, pensons-nous pour être plus malheureux que l’homme sauvage (sauvage étant pris dans son sens étymologique : habitant de la sylve, de la forêt, vivent sans lois, sans civilisation).

Pourquoi notre société ? Nous relisons l’oeuvre de ceux qui en ont jeté les bases, les Constituants de 1791, et nous trouvons ceci : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. » Voilà qui est bien, voilà qui nous plait. Mais nous trouvons encore plus de précision dans l’œuvre des Conventionnels de 1793 : « Le but de toute réunion d’hommes en société étant le maintien de leurs droits naturels, civils et politiques, ces droits sont la base du pacte social. »

Les droits naturels de l’homme sont ceux qu’il tient de sa nature même, de la nécessité où il se trouve de conserver sa propre existence et de l’instinct qui le pousse à conserver son espèce.

Ces droits sont si absolus que parait-il, la théologie catholique enseigne qu’en cas d’extrême nécessité, l’homme non seulement peut, mais doit prendre alors le nécessare où il le trouve  [1].

Les droits civils et politiques du citoyen sont ceux qui résultent pour lui de sa vie dans la cité, dans la société : liberté, égalité, résistance à l’oppression.

Tout au cours du xixe siècle, nous avons certainement oublié nos buts sociaux.

Si nous réunissons un jour une nouvelle Constituante chargée de rédiger le nouveau pacte social nécessité par la rapide modification des moyens de production, insistons bien pour qu’elle décrète, afin que nul à jamais ne l’ignore, que l’énonciation des buts de toute société humaine figure nécessairement en tête de tous les documents des Assemblées législatives a venir.

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Un bébé non encore façonné par la vie en société connaît mieux qu’un adulte ses droits naturels. II sait que sa nourrice doit lui donner du lait. S’il reçoit parfois de celle-ci des fessées, ce n’est qu’à titre accessoire.

Tandis que le citoyen des sociétés modernes, lui, reçoit les fessées au titre principal. Les fessées, pour lui, c’est l’assujettissement au travail, même quand ce travail devient inutile ; c’est l’obligation du service militaire, même quand ce service n’est pas indispensable à la sécurité de la collectivité dont il fait partie ; et c’est encore l’inégalité qui découle pour lui d’obligations sociales qui n’ont d’autre but quo de maintenir cette inégalité.

S’il reçoit de la société la nourriture et le confort physique ou moral, ce n’est qu’en portion congrue et à titre purement accessoire, accidentel.

Chez le bébé, si les sévices priment la nourriture, on plaint l’enfant martyr et on poursuit judiciairement l’auteur des sévices. Chez le citoyen, cette situation est volontiers acceptée ; la société marâtre est déifiée, et les citoyens sont prêts à donner leur vie pour la défendre, tant contre des ennemis extérieurs que contre les récalcitrants qui se plaignent de l’injustice du pacte social en vigueur.

Un jour arrive cependant où, pour maintenir un pacte social archaïque, la société en vient à jeter aux ordures, à souiller, à détruire ce dont les citoyens ont besoin comme minimum vital, et où elle n’a pour ceux-ci que peines afflictives ou infamantes (privation de libertés, restrictions de droits, réquisitions de matériel humain, guerres, etc.). Mais cette situalion ne peut durer longtemps sans appeler, même chez les moins exaltés des citoyens, des réflexes brutaux que l’histoire appelle des révolutions.

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La décomposition sociale de l’Empire Franc des derniers Carolingiens nécessita l’organisation d’un nouvel état de choses. Nous connaissons l’effrayante situation économique de notre pays aux environs de l’an mil. A cette époque, par suite de guerres privées, du brigandage, des incursions des Normands, des Sarrazins, des Hongrois, consécutifs à la faiblesse de l’Etat, la terre reste en friche, la famine sévit à l’état endémique, la production ne peut plus satisfaire au minimum vital des populations.

Le nouvel état de choses, ce fut l’époque féodale, régime social basé sur la dissociation de l’Etat : les individus cherchent à satisfaire leur besoin primordial de sécurité dans l’assujettissement à des puissances inférieures plus proches, dont l’intervention protectrice est plus efficace.

La société féodale se présentait sous la forme d’une gigantesque pyramide ; une foule de dépendants, n’ayant personne sous eux, en forme la base ; la hiérarchie des personnes, doublée de celle des terres, en constitue les assises intermédiaires, de moins en moins larges au fur et à mesure que l’on s’élève ; le roi, seigneur suprême, en constitue le sommet.

Mais il n’y a de relations juridiques que d’un degré à l’autre. Chaque échelon ne connaît que son suzerain et ses vassaux. Les arrière-vassaux sont sans lien avec le seigneur de leur seigneur, qui les ignore.

A ce système, quelques exceptions, restes de l’ordre précédent : les alleux, dont les tenanciers n’ont ni seigneur ni vassaux, tel que le roi d’Yvetot de la chanson.

Ce regime était sans doute en équilibre, puisque, pendant la période féodale, on n’imaginait pas que rien puisse porter atteinte au système féodal en dehors duquel on ne pouvait imaginer de vie possible en société.

C’est pourquoi les féodaux laissèrent se faire une restauration de l’économie monétaire, indispensable aux échanges.

Ce qui caractérisait, dans le domaine économique, le régime féodal, c’était la prepondérance de la terre sur les valeurs mobilières comme moyen de rémunération des services.

L’innovation qu’était la monnaie va permettre aux roturiers d’alors, au Tiers-Etat, de devenir la classe bourgeoise actuelle dans laquelle s’intégreront noblesse et clergé.

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Par la monnaie et les échanges de plus en plus fréquents que permet l’instrument monétaire, la société féodale, dont l’économie normale était le troc, va se décomposer.

Depuis l’avènement de Philippe-le-Bel, en 1285, nous assistons à un mouvement de concentration ; la royauté devenue au gran avantage du peuple, de plus en plus absolue (traduisons : ayant concentré de plus en plus dans ses mains l’administration du pays), détruit petit à petit ce qui restait de féodal dans la structure de la société, au point de réduire, sous Louis XIV, au rang de serviteurs attachés à la personne du roi, les derniers descendants des nobles Croisés, très honorés de la charge de gentilhomme porte-coton.

Nous arrivons ainsi, à travers cinq siècles d’histoire, à la Révolution de 1789 ; qui construira un système cohérent basé sur la concentration du pouvoir de l’Etat.

Et nous voici au xix e siècle, où se trouve réalisé un équilibre social dans la concentration de l’autorité publique et la libération des individualismes.

Nous voyons les législateurs de 1800 codifier les résultats acquis, et les économistes du début du siècle découvrir les lois naturelles, éternelles, immuables et universelles qui régissent notre régime économique actuel.

Hétas ! le progrès suit son petit bonhomme de chemin. Des forces extra-humaines que l’on découvre vont donner de sérieux coups de boutoir dans la structure du régime. Pour mettre en oeuvre ces forces extrahumaines, de grands organismes vont naître, qui bientôt mettront en échec le pouvoir de l’Etat et détruiront les individualismes.

Les progrès techniques qui vont libérer le travail humain, et, par suite, le profit, base du régime, constitueront l’agent de décomposition du système échangiste libéral dénommé système capitaliste.

Déjà, les nécessités financières amènent Napoléon à créer la Banque de France (1800) et à lui accorder des privilèges d’émission de monnaie (1803) ; d’autres banques naissent, notamment le Crédit Foncier, en 1852, dans lequel fusionnent nombre de petits organismes de prêts hypothécaires. Le siècle voit naître également des compagnies d’assurances, des compagnies minières, des compagnies métallurgiques remplaçant les antiques maîtres de forges, des compagnies de chemins de fer, remplaçant les humbles propriétaires de diligences, des compagnies de navigation maritime remplaçant les petits armateurs, des compagnies d’exploitation de canaux maritimes, etc...

Mais ce ne sont encore, en quelque sorte, que des concessionnaires de services publics, restant sous le contrôle très étroit de l’Etat.

La loi de 1867 sur les sociétés permettra à des sociétés anonymes de se former sans l’autorisation du gouvernement (article 21).

Le mouvement de dissociation de l’Etat et de destruction des individualismes va dès lors s’accentuer. Dans le premier quart du xxe siècle, ces sociétés, tout en conservant en droit une certaine autonomie, vont fusionner en trusts ; et l’on s’apercevra bientôt que les mêmes personnes sont à la tête des divers trusts industriels, commerciaux ou bancaires, détiennent tous les leviers de commande de la vie économique du pays et sont en fait les maîtres de l’Etat. C’est cette puissance féodale que l’on a dénommée de nos jours les deux cents familles.

Trouvant de moins en moins de protection dans un Etat défaillant, inféodé à ces puissances financières, le peuple, lui, dans le même temps, se groupe au sein de partis politiques ; les ouvriers se groupent en syndicats qui, impuissants par eux-mêmes, se réunissent en confédérations.

Depuis quelques années, nous voyons les parlementaires représenter près de l’Etat non plus les individus, mais les grands trusts économiques, les partis, les syndicats, qui, à tour de rôle, ont l’oreille du gouvernement.

Et puis, on se passe même du Parlement ; on le met en congé quasi-illimité ; le gouvernement prend directement ordres ou directives de ses grands vassaux, tel un roi de l’époque féodale réunissant sa curia regis, et légifère par décrets-lois.

La faillite du parlementarisme est acquise ; les députés et les sénateurs deviendront bientôt, comme dans certains pays ils la sont déjà devenus, des fonctionnaires dont on prorogera le mandat ou que l’on renverra, selon qu’ils seront plus ou moins dociles ; le Parlement deviendra un organisme inutile que l’on ne conservera plus que par paresse d’esprit, par routine, comme les premiers constructeurs d’automobiles conservaient à ces nouveaux engins, aux brancards près, les caractéristiques des véhicules à traction animale.

Petit à petit, nous voyons se constituer la structure d’un Etat fortement décentralisé.

Pourquoi cette évolution, plus ou moins consciente de notre société ? C’est que l’ordre social établi permet de moins en moins à la production de passer à la consommation ; alors, on rectifie tant bien que mal, plutôt mal que bien, au fur et à mesure qu’un accident se produit, la vieille machine économique ; mais bientôt la machine va sauter l’équilibre économique est rompu ; et les forces de vie, innées chez l’être humain comme chez tout être vivant, nous poussent à la recherche d’un nouvel équilibre économique.

Dans le désordre qui marque la fin du régime actuel, ou plutôt le point de polarisation d’un nouveau régime, la curia regis du gouvernement actuel est devenue une cour du roi Pétaud, où personne ne s’entendra jamais, puisqu’on n’y discute que les petits intérêts particuliers, forcément divergents, des grands feudataires (trusts, confédérations du travail, confédérations du patronat, confédérations de classes moyennes).

Pendant toutes ces palabres, le consommateur, c’est-à-dire tout le monde, souffre de ne pouvoir consommer.

Comme le faisaient les rois de l’époque féodale aux moments critiques, le gouvernement actuel va-t-il se résoudre à réunir une cour plénière pour remplacer sa pétaudière actuelle  ?

Une cour plénière, cela s’est appelé dans les temps modernes des Etats Généraux. M. Daladier sera-t-il aussi hardi que son prédécesseur Philippe, de même nom, pour réunir les Etats Généraux de la Nation Française ?

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Les Et.ats Généraux de 1789 ont marqué le point de polarisation d’un mouvement de concentration de l’Etat.

Cent cinquante ans après, les Etats Généraux de 1939 devront-ils marquer le point de polarisation d’un mouvement de dissociation de l’Etat ?

Tout porte à le croire.

Plus que jamais, il devient nécessaire que « le roi règne, et ne gouverne pas ».

L’homme de 1932 ne peut plus concevoir de souveraineté de l’Elat, que cet Etat soit un gouvernement « démocratique », qu’il soit un« fuhrer » ou un « duce ». Il sent qu’un Etat souverain, quel qu’il soit, ne peut plus que l’asservir et non le protéger. Il sent qu’il ne pourra plus retrouver de liberté et de sécurité que dans des organismes locaux ou régionaux, corporatifs peut-étre, qui, moyennant un service social, lui assureront une vie paisible, heureuse et confortable.

Et il sent surtout qu’avec les puissants moyens de destruction que le progrès a mis à sa disposition, un gouvernement moderne centralisé ne peut plus être qu’un Moloch, avide du sang des enfants de ses adorateurs.

Nos ancêtres de 1789 cherchaient leur liberté et, leur sécurité dans une Nation « une et indivisible ».

N’est-ce pas plutôt dans un Etat dissocié où chaque individu, son service social achevé, sera son propre souverain que nous retrouverons, nous, avec la liberté et la sécurité perdues dans le désordre de notre fin de régime, le bonheur humain, la joie de vivre ?

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« Notre connaissance de ce qui sera est en raison de notre connaissance de ce qui fut », nous enseigne Anatole France dans son livre Sur la Pierre Blanche.

Si, travaillant à forger un nouveau chaînon à la chaîne de l’Histoire de la civilisation, nous suivons cet enseignement, nous éviterons bien des bévues, dues à ce que nous laissons trop volontiers nos idéologies personnelles, traduites en spécieux « slogans » entraîner notre raisonnement.

Dressant le schéma des mouvements généraux des sociétés humaines dans la voie du progrès humain, nous discernons rapidement ce qui fut progrès et ce qui fut réaction.

Nous concevons ainsi, contrairement peut-être à nos idéologies personnelles, que la royauté, dans la période de concentration du pouvoir qui se poursuivit durant les cinq siècles qui précédèrent la Révolution de 1789, ait pu agir dans le sens du progrès humain.

Ce qui, à un moment donné, put devenir contraire au progrès humain, c’est la notion de propriété personelle des rois sur la nation, notion dont fit justice la Revolution de 1789.

En parallèle, examinons la question des trusts. Nous pouvons concevoir que la formation des trusts fut un progrès humain ; l’individualisme étant devenu incompatible avec les progrès techniques modernes.

Dans l’institution des trusts, ce qui est devenu néfaste, contraire au progrès humain, c’est la propriété capitaliste des moyens de production, qui nécessite la poursuite du profit, vestige de l’ordre passé qui ne permet plus à la production de passer à la consommation.

C’est ce à quoi doit mettre fin la révolution économique que nous appelons de tous nos voeux.

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[1] Cf. : « De la propriété capitaliste à la propriété humaine », d’Emm. Mounier. (Ed. Desclée, de Brouwer et Cie, 76 bis et 78, rue des Saints-Pères, Paris.)

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Les conférences de la salle Poissonnière

Une très intéressante conférence de notre camarade Regras. Il va traiter des destructions légales de richesses, non pas dans le monde entier, mais simplement dans notre beau pays de France, renommé, comme chacun sait, par son esprit d’ordre et d’économie. Regras va aussi nous indiquer quelques unes des mesures législatives et gouvernementales prises pour diminuer la production française. Insistons bien sur le point que toutes ces mesures sont encore en vigueur, même au moment où M. Herriot demande aux Français une production héroïque !

L’abondance et les destructions légales de richesses

par A. REGRAS
25 avril 1939

À plusieurs reprises, qu’il s’agisse d’informations parues dans notre journal ou d’indication données au cours des conférences faites à la Salle Poissonnière, nous avons attiré l’attention de nos lecteurs et de nos auditeurs sur les mesures de destructions et de richesses, qu’on appelle en style parlementaire des « mesures d’assainissement ».

N’ayant pu signaler les principales lois et les principaux décrets qu’au fur et à mesure de leur parution, et n’ayant été à même de préciser leur portée que lors de leur application, nous avons estimé que le moment était venu de faire en quelque sorte le bilan de cette politique de destruction économique instauré officiellement en 1934, autant en vue de mettre sous les yeux de nos lecteurs une documentation aussi complète que possible, que dans celui de tirer des conclusions d’une étude concernant des faits s’échelonnant sur cinq ans.

À vrai dire, il y a longtemps que notre président Jacques Duboin a expliqué les raisons desdites mesures et leurs conséquences inéluctables :

a) Raisons dont la principale consiste à rétablir la rareté de manière à maintenir la valeur, ce qui entraîne l’abondance de la production tout en réduisant la consommation ;

b) Conséquences inéluctables dont la résultante est la chute d’autant plus rapide du régime capitaliste que les moyens employés pour le maintenir sont de plus en plus contraires aux principes mêmes du libéralisme.

Parmi les gens qui nous lisent et nous écoutent, nombreux sont encore ceux qui pensent que nous exagérons, et que notre seul programme consiste en la critique acerbe de mesures qui vont évidemment contre la logique mais qui, après tout, « sont obligatoires tant que la production est supérieur à la consommation » ; car ils ont bien entendu parler de destructions massives aux Etats-Unis et dans les autres pays de l’Amérique, puis en Hollande, etc., etc., mais la presse française faisant un silence presque complet sur ce qui se passe chez nous au point de vue économique, ils en déduisent que nous avons tord lorsque nous prétendons que l’abondance existe pour la plus grande partie des besoins normaux de la population française.

C’est donc en vue de leur ouvrir les yeux que, nous appuyant sur des documents officiels dont nous donnons les références, et qu’ils pourront vérifier le cas échéant, nous avons rassemblé les principales mesures qui ont été prises depuis cinq ans, soit qu’il s’agisse de destructions de richesses après récoltes ou après fabrication (distillation, dénaturation, par exemple) ou de destructions de richesses avant récolte ou avant fabrication (telles que arrachages de vignes, interdiction d’ouvrir de nouveaux magasins de chaussures). C’est sous une forme aussi schématique que possible, dont le but est plutôt de documenter que de forcer à la lecture par une tournure littéraire, que vous trouverez ci-dessous l’énumération des plus importantes mesures d’assainissement dont M. Paul Reynaud écrivait lui-même, en 1936, dans son livre : « Jeunesse, quelle France veux-tu ? » :

« Quant à a doctrine économique de nos dirigeants, celle du blé mouillé, de la vigne arrachée et de la vache qui avorte, elle fait hausser les épaules aux jeunes. Et quand on leur parle de grande pénitence, ils demandent pour quel péché. »

« Ils ne voient pas, ces bourgeois, qu’en prolongeant la crise, ils se ruinent en même temps le capitalisme qui leur est cher. »

Il faut dire, à la vérité, qu’après avoir stigmatisé comme il convenait une politique qui avait été commencée par quelques-uns de ses amis, M. Paul Reynaud a continué à appliquer de semblables mesures ; il aura ainsi le plaisir d’écrire d’ici quelques années un nouveau livre dans lequel il pourra se critiquer lui-même, ce qui est, après tout, une satisfaction comme une autre.

Il est tout d’abord indispensable de rappeler que les décrets, lois et circulaires qui vont être mentionnés ci-dessous ont été votés, ou approuvés, ou appliqués par tous les ministres, tous les gouvernements, tous les parlementaires depuis 1934, quelle que soit leur couleur politique ; en somme, la lutte contre l’abondance des productions agricole ou industrielle est le seul programme sur lequel ils aient tous réussi à faire, sans aucune défaillance, l’unanimité complète.

Il ne faut donc pas prendre les précisions que nous allons donner pour des attaques dirigées contre un parti ou contre un autre, ou contre une tendance de gauche ou de droite, mais uniquement pour une constatation de laquelle il résulte, sans aucun doute, une méconnaissance sinon intentionnelle, du moins savamment entretenue des questions économiques.

Au « Journal officiel » du 17 juillet 1935, le rapport du président du Conseil précise entre autres qu’il a l’intention absolue de faire baisser les prix de détail : le charbon, l’électricité, le gaz, le pain, etc… Tout est trop cher pour le consommateur.

Par contre, remarquant que les producteurs en peuvent vendre autrement qu’à perte, des dispositions sont prises par l’intermédiaire de plusieurs décrets pour faire remonter les prix de gros :

Loi du 24 décembre 1934. – Dénaturation du blé, limites des emblavements (Les lois et décrets concernant le blé et le vin ne comporteront aucun commentaire, sauf à la fin de cet article, où la question du blé et du vin sera étudiée à part.).

Loi du 16 avril 1935 (article 11). – Abattage des bovins.

Cette loi avait prévu l’abattage de 150.000 vaches présumées tuberculeuses, mais le ministère de l’Agriculture communiquait (ce qui a été confirmé par le « Journal officiel » du 26 mars 1936) que 35.000 animaux seulement avaient été abattus, car il n’est pas aussi facile qu’on le pense de trouver en France des vaches tuberculeuses.

Cette note constatait entre autre qu’à la suite de cet abattage, « le prix maximum prévu par ces achats avait été fixé à 1 franc le kilo vif, mais qu’à la suite de cette première opération les cours à la production s’étant relevés dans des proportions assez importantes, il avait semblé indispensable de relever également le prix limite, et de le porter à 1 fr. 50 le kilo vif (décret du 24 avril 1936) ».

Cette comportait la conclusion suivante que nous soumettons à la réflexion des consommateurs de rumsteack et de rotsbeef : « Cette disposition permettra de poursuivre en vue de la revalorisation et de développer le programme d’assainissement du marché de la viande qui a donné des résultats plein d’intérêt. »

Soulignons en passant que cette politique n’a donné les résultats qu’on en attendait, puisqu’à la « Commission d’Agriculture du Sénat », réunie sous la présidence de Marcel Donon dans la semaine du 11 au 18 décembre 1938, on a été jusqu’à envisager la création d’un office de la viande, l’assainissement du marché ne pouvant être obtenu que par un programme étendu de réfrigération.

Décret du 30 juillet 1935 prescrivant l’arrachage des vignes. Une circulaire n° 659, du 13 août 1935, signée de Monsieur le directeur général Boisanger, prescrit l’arrachage de 150.000 hectares de vignes à vin au prix de 7.000 francs l’hectare. Cette circulaire mentionne qu’à défaut d’arrachage volontaire, effectué au prix ci-dessus avant le 31 mars 1936, il y aura application d’une astreinte de 100 francs par hectare et par jour de retard, puis ensuite arrachage obligatoire, avec indemnité réduite de 50% ; il y a lieu de noter que cet arrachage doit s’accompagner d’un engagement de ne pas replanter avant trente ans.

Enfin, le statut du vin prescrivait aussi l’arrachage de vignes à raisin de table.

Un décret du 30 octobre 1935 instituait un régime de restriction de la production d’électricité sous le masque de l’autorisation préalable à l’ouverture de nouvelles usines, au renforcement des usines existantes et au contrôle de la production aussi bien intérieure qu’extérieure (c’est-à-dire de l’importation).

Comment peut-on penser faire ainsi baisser le prix de l’électricité prescrit par le décret du 16 juillet 1935 ?

À vrai dire, un décret du 17 juin 1938 a amélioré la situation en autorisant, sous certaines conditions, la remise en marche de l’équipement électrique de la France. Mais, comme il faut, d’après les techniciens, une dizaine d’années pour qu’une usine hydro-électrique soit en état de rendement (cinq ans d’études, cinq ans de construction), nous avons perdu quatre ans et, pendant ce temps, nous devrons continuer à acheter du charbon à l’étranger, ce qui ne peut en aucun cas améliorer notre balance commerciale.

Un décret du 30 octobre 1935 interdit la création de nouveaux moulins à farine, ainsi que la réouverture des moulins fermés, limitant en même temps la capacité d’extension et la capacité d’écrasement des moulins en activité.

U décret du 30 octobre 1935 contingente la production de sucre en vue de la proportionner aux besoins du pays (entendez les besoins solvables).

Les agriculteurs ayant été, par les mesures concernant le blé, la vigne et la betterave à sucre, quelque peu découragés, on estime que, pour éviter les causes qui les poussent à abandonner la terre, il est indispensable de lutter contre le morcellement de la discontinuité des parcelles, et c’est alors le décret du 30 octobre 1935 concernant le remembrement de la propriété rurale.

Ce décret n’a vraisemblablement été pris qu’en vue de favoriser les gros agriculteurs, qui pourront ainsi arguer d’un nombre d’hectares de plus en plus important en vue d’avoir une base de production qui les mette en posture d’avoir un rendement de plus en plus grand.

Deux décrets du 30 octobre 1935, absolument contradictoires, concernent les filatures de soie : Le premier (page 11.536 du « Journal officiel ») modifie la loi du 2 avril 1931 en ce qui concerne les primes allouées aux filateurs de soie, car « il y a lieu de craindre que des industriels ne soient incités à remettre en activité un outillage périmé ».

Le second (page 11.547) rend obligatoire les accords professionnels dans l’industrie de la soierie, car « il est bien entendu qu’il ne s’agit en aucune façon de fermer les usines actuellement en activité, ni par conséquent d’augmenter le chômage ». S’il est interdit de remettre en activité un outillage périmé, les industriels vont s’efforcer, pour satisfaire au second décret, de mettre en activité un outillage moderne qui, malgré les dispositions prises, ne pourra faire autrement que d’augmenter la production en même temps que le chômage ; les accords professionnels seront alors appliqués en vue de réduire la production.

Un décret du 30 octobre 1935 interdit la mise en circulation de nouveaux camions-bazars, organisations qui permettaient aux consommateurs d’obtenir à bas prix des articles qu’ils ne pourront plus se procurer à partir du moment où ils seront vendus à un prix plus élevé.

Un décret du 30 octobre 1935 interdit la création de nouveaux moyens de transport ; c’est ce qu’on appelle la coordination du rail et de la route, qui, ainsi qu’on peut le constater, entraîne la destruction des services, c’est-à-dire la diminution du nombre de trains en circulation, la diminution du nombre de rames de métro et la suppression de lignes d’autobus. Ce qui a été traduit pour le voyageur de la région parisienne, par la formule suivante : Tous dans le trou ou tous à pied.

Le résultat pour la région parisienne, a été le suivant :

20.286.000 voyageurs transportés en moins par les autobus de la T.C.R.P. dans le quatrième trimestre 1938 par rapport au quatrième trimestre 1937 ;

15.153.000 voyageurs transportés en moins dans le Métropolitain dans le quatrième trimestre 1938 par rapport au quatrième trimestre 1937.

La loi Le Poullen du 23 mars 1936 interdit l’ouverture d’une nouvelle usine ou d’un nouveau magasin de chaussures, ainsi que d’une nouvelle échoppe de réparations ; cette loi a été prorogée une première fois pour un an, puisqu’elle n’était applicable que pour deux ans, et une seconde fois pour trois mois… car on a vraisemblablement pensé qu’à partir du mois de juin 1939 il serait indispensable d’ouvrir de nouvelles usines de chaussures pour la fabrication de godillots. En attendant, des gens sont condamnés pour essayer de vendre en fabricant des articles nécessaires à plusieurs de leurs contemporains, car tous les Français sont loin d’avoir des paires de chaussures à profusion. C’est ainsi que la Cour d’Appel de Riom a condamné un industriel qui s’était mis à fabriquer des galoches, sous prétexte que la galoche de bois recouverte de cuir rentre dans l’interdiction légale de fabriquer des chaussures en toutes matières.

Un décret du 30 octobre 1935 supprime les offices agricoles créés par la loi du 6 janvier 1919, qui, de l’avis de tous, avait amené, ainsi que le précisait le rapport de MM. Pierre Laval, Pierre Cathala et Marcel Régnier au Président de la République, « l’agriculteur à réaliser de profondes améliorations techniques et porter sa production à un niveau élevé ».

La loi du 15 mai 1935 subordonne la fabrication d’un bateau automoteur de 350 tonnes à la disparition d’autres automoteurs de 350 tonnes ou de un ou plusieurs bateaux ordinaires jaugeant au total 700 tonnes.

M. William Bertrand, ministre de la Marine marchande, en une circulaire mémorable, oblige les pêcheurs à élargir de 2 m/m les mailles de leurs filets, car ils prennent trop de poissons ; mais cette mesure n’est pas suffisante et les poissons continuent à vouloir renverser le ministère ? C’est alors qu’un décret du 21 novembre 1935 réglemente les sorties des bateaux de pêche jusqu’à les empêcher, si nécessaire ; il est renforcé par celui du 24 mai 1938… et on rejette des sardines et des maquereaux à la mer.

Les décrets des 23 décembre 1937, du 17 juin 1938, du 27 janvier 1939 prescrivent, en application du statut du vin (en souvenir duquel nous éléverons certainement une statue à M ; Barthe), la destruction par distillations de plusieurs millions d’hectolitres de vins.

Un décret du 27 août 1937 prescrit l’interdiction de la construction de nouvelles sucreries dans nos colonies, bien avant que l’on ait découvert l’Empire Français, naturellement ; il fait prévoir en même temps des réductions de culture de cannes à sucre et frappe d’une quadruple taxe les sucres coloniaux importés en France.

Devant ces mesures draconiennes, les planteurs et les sucriers coloniaux protestent et ils obtiennent une circulaire, parue dans le « Journal officiel » du 11 janvier 1938 (page 529), qui permet l’importation de sucre de canne sans limite de quantité et supprime les pénalités prévues par le décret du 27 août 1937. C’est alors que les betteraviers de la métropole fulminent et la « Commission d’Agriculture » obtient du ministre la suspension de la l’application de la circulaire qui suspendait l’application du décret ! ! ! !

Cette comédie se termine par un décret du 8 mars 1938, qui represcrit l’application du décret précité sur la base des accords interprofessionnels du 7 mars ; cet accord fixe la part de la production coloniale sur le total de la production que l’on voudra bien nous permettre de consommer, dans les proportions suivantes :

Du 1er octobre 1937 au 30 septembre 1938 ……. 14 %
Du 1er octobre 1938 au 30 septembre 1939 ……. 14,75 %
Du 1er octobre 1939 (sans aucune limite) ...……. 15 %

Ce qui revient à dire que malgré tous les avantages que peut avoir le sucre de canne tant au point de vue nutritif qu’au point de vue prix de revient, les Français de la métropole ne pourront pas en manger plus de 15%. Il est évidemment regrettable pour les betteraviers métropolitains que l’Empire Français produise de la canne à sucre.

La production du sucre dans le monde est, du reste, aussi catastrophique que la production de plusieurs autres matières premières ; c’est ainsi que les nations productrices se sont réunies l’année dernière et elles sont arrivées à un résultat que M. Paul Elbel a précisé, au cours d’un discours qu’il a prononcé le 19 janvier dernier, à la Chambre des Députés, de la façon suivante :

« À la suite d’une conférence du sucre, qui s’est réunie il y a quelque mois à Londres, on a pu dire : « Excellente opération ! On a réussi à normaliser le cours du sucre pour la campagne 1938-1939 en réduisant à 3 millions de tonnes les quantités exportables. »

« Traduisons, si vous le voulez bien, cette opération en chiffres connus. Les pays producteurs vont donc vendre aux pays consommateurs trois milliards de kilogrammes de sucre. Les pays producteurs représentent 320 millions d’habitants ; les pays consommateurs, c’est-à-dire tous les autres, 1.800 millions. Si vous divisez maintenant 30 par 18, vous trouvez un peu plus de 1,6 ; c’est-à-dire que chaque consommateur, dans les pays qui n’ont pas la chance d’être producteurs, aura droit annuellement à 1 kg 600 de sucre, soit 4 grammes et demi par jour, la moitié d’un morceau de sucre ! Et l’on vient dire aux gens : « Consommez du sucre, il donnes des jambes aux coureurs et de l’énergie aux penseurs ! » (Applaudissements)

Un décret du 31 décembre 1938 concernant les bananes du même Empire Français, prescrivait, entre autres : « Il ne pourra être alloué des prêts ou subvention aux organismes coopératifs de production et de vente… répartis entre les producteurs qu’au prorata des quantités de bananes qui n’auront pas été expédiées sur le marché de la métropole. »

Ce qui équivaut à dire : « Moins vous exportez de bananes vers la France, plus vous toucherez de subventions », et nous voyons toujours sur les murs de Paris une superbe affiche qui nous recommande de manger de la banane française.

Un décret du 31 janvier 1938 limite le contingent global de chicorée à récolter et à vendre en France. L’augmentation du prix du café entraînait fatalement une consommation plus grande de chicorée ; il devient donc indispensable, de limiter la production afin que la chicorée soit de moins en moins accessible aux consommateurs !

Un décret du 9 mars 1938 réduit la quantité de rhum de nos colonies qu’on aura le droit de vendre si son prix vient à baisser. Autrement dit, il prescrit le blocage du rhum dans les ports.

Un rapport de la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre contient, entre autres, les phrases suivantes, qui se passent de tout commentaire :

« Le blocage dans les ports, qui était une mesure préventive indispensable dans l’attente de l’établissement du statut définitif du rhum, devient catastrophique en se prolongeant anormalement. »

« En effet les négociants importateurs ont leur trésorerie immobilisée avec les rhums bloqués et ils sont, de ce fait, dans l’impossibilité d’acheter du rhum libre à ceux qui en détiennent. »

« Ils n’ont d’autre ressource que de ne pas livrer leurs contrats à l’intérieur, en arguant du cas de force majeure que constitue le déblocage et c’est ainsi que l’on organise la sous-consommation du rhum. »

Un décret du 12 novembre 1938 prescrit la distillation des pommes et des poires excédentaires, cependant qu’une circulaire du ministère de l’Agriculture augmente le contingent de d’importation de pommes de Bulgarie. »

Un décret du 12 novembre 1938 aggrave les mesures de limitation des emblavements car, d’après le Rapport au Président de la République, qui précède ce décret, « on pourrait craindre que, considérant la protection accordée au blé par les législateurs, certains producteurs ne soient incités à accroître leurs emblavures, risquant ainsi de déséquilibrer davantage par une production supplémentaire un marché encombré ».

Ce décret prévoit une amende de 2.000 francs par hectare emblavé en sus de la surface autorisée ; il y a lieu de supposer qu’un prochain décret considérant l’amende comme inopérante, prescrira la peine de mort.

Nous passons sur les nombreuses circulaires touchant les agrumes, les tomates, le coton, etc…, de nos possessions coloniales, circulaires dirigées dans le même but : restreindre la production pour en obtenir la revalorisation, ce qui n’entraîne d’autre conséquence qu’une diminution de la consommation.

Nous citons encore les lois votées seulement à la Chambre concernant l’interdiction d’ouvrir de nouvelles boulangeries et l’ouverture de nouveaux salons de coiffure.

Enfin, la « Commission d’Agriculture de la Chambre », sur l’initiative du Parti Communiste, a fait rapporter et approuver à l’unanimité par son rapporteur, Waldeck Rochet, un projet de loi destiné à limiter la culture maraîchère. « L’Humanité », en ses numéros du 10 février et 11 avril 1938, a donné intégralement le texte du rapport et du projet de loi, document dans lequel on peut lire qu’il est nécessaire de limiter la production, c’est-à-dire d’empêcher la création de nouvelles cultures maraîchères ; ce projet de loi tend à munir, non seulement les agriculteurs, mais encore les particuliers, d’une carte de culture maraîchère dont le résultat serait de leur imposer une limite de choux et de carottes qu’ils ne devraient pas dépasser. Ce projet, déposé sur le bureau de la Chambre le 22 mars 1938, sous le numéro 3821, n’a heureusement pas été discuté.

Toutes ces mesures, prises séparément, ne sont pas susceptibles de donner une idée exacte des résultats que l’on obtient lorsqu’on veut limiter l’abondance, c’est-à-dire lorsqu’on veut ramener la production à l’étiage de la consommation solvable. C’est pourquoi nous avons estimé indispensable d’étudier spécialement la question du vin et la question du blé. Nous montrerons que, pour ces deux produits, toutes les mesures applicables en régime capitaliste qui ont été votées ou décrétées n’ont atteint d’autre but que d’augmenter cette abondance contre laquelle on veut lutter.

VIN. – Tout d’abord quelques chiffres :

SUPERFICIE DU VIGNOBLE FRANÇAIS
En 1875 …… 2.400.000 hectares
En 1936 …… 1.600.000
PRODUCTION
Hectolitres
1901 à 1913, moyenne .. 43.500.000
1924 ………………….. 67.000.000
1930 ………………….. 42.000.000
1934 ………………….. 75.000.000
1936 ………………….. 78.000.000

En présence de cette progression constante à l’augmentation de la production, en dépit de la diminution de la superficie du vignoble, voici brièvement rappelées les mesures de restriction qui ont été décrétées :

1° LIMITATION DES PLANTATIONS DE NOUVELLES VIGNES :

En 1931, interdiction d’augmenter la superficie de plus de 10 hectares.
En 1933, interdiction d’augmenter la superficie de plus de 3 hectares.
En 1934, interdiction d’augmenter la superficie de plus de 1 hectare.
Interdiction complète par la suite.

2° BLOCAGE ET DISTILLATION OBLIGATOIRES :

Le blocage, c’est-à-dire la mise en réserve, est une opération qui peut se défendre en vue de parer aux récoltes déficitaires.

Quant à la distillation, c’est, à proprement parler, une destruction dont le prix de revient est très élevé.

Les frais de distillation viennent s’ajouter à la perte résultant de la revente aux raffineurs d’essences de quantité d’alcools qui, quoique étant achetées par l’Office des Alcools pour le Service des Poudres, ne peuvent être utilisées par ce dernier.

À titre d’exemple, ont été distillés en 1936 et 1937 : 30.000.000 d’hectolitres par an pour en tirer 2.500.000 hectolitres d’alcool.

La moitié, soit environ 1.250.000 hectolitres, a été mélangée à l’essence. L’État achetait l’hectolitre à une moyenne de 480 francs et le revendait au raffineur au prix de 90 francs, soit une perte de 390 francs par hectolitre d’alcool.

En outre, du fait de la non-circulation du vin, l’État perdait la taxe de 26 fr. l’hectolitre, ce qui, au total, représente un milliard par an.

Nous citons, en passant, à titre de conséquences, la perte pour l’État des droits de douane perçus sur l’essence remplacée par l’alcool y incorporé, la perte de travail national consécutive à la suppression de la circulation de 30.000.000 d’hectolitres de vin : transport par fer, camionnage, verrerie, bouchage, étiquetage, etc…

Actuellement, l’hectolitre d’alcool est acheté à 987 francs et revendu au raffineur 235 francs. Mais il parait que l’office d’alcool boucle son budget en revendant le même alcool à 100° à la parfumerie (qui se contentait d’alcool à 70°) à raison de 17 francs le degré. Il est à prévoir que cette augmentation considérable imposée aux parfumeurs, la consommation se ressentira ; le budget de l’Office des Alcools aura alors besoin d’être équilibré au moyen d’une nouvelle taxe.

3° PÉNALISATION DES RENDEMENTS IMPORTANTS (Loi du 8 juillet 1933).

4° ÉLIMINATION DE CÉPAGES ET VINS DITS DE QUALITÉ INFÉRIEURE

5° ARRACHAGE DES VIGNES :

Opération sur laquelle nous nous sommes déjà expliqués précédemment.

On pourrait supposer, en présence de toutes ces mesures, que la consommation est satisfaite et qu’elles sont par conséquent logiques ; pourquoi alors constate-t-on qu’une campagne de publicité d’environ 8 millions par an, payée par l’État, rappelle « qu’un repas sans vin est une journée sans soleil ».

Nous rappelons, d’autre part, que la consommation du raisin de table, beaucoup plus recommandée que celle du vin, atteint à peine une moyenne de 5 kilos par tête d’habitant et par an ; elle pourrait être portée avec avantage à 11 kilos et c’est alors qu’il faudrait replanter 75.000 hectares de vignes, à l’encontre des engagements trentenaires qui ont été pris en vue de pouvoir bénéficier de 7.000 francs par hectare arraché.

Il est évident que « la remise de la France au travail », comme on l’entend, n’est pas destinée à augmenter la consommation du raisin mais plutôt celle des « pruneaux » qui risquent d’être de plus en plus envoyés par-dessus les frontières.

Le résultat de cette politique de restriction s’aperçoit immédiatement dans les chiffres ci-dessous :

EXPORTATION. – De 1870 à 1880, la France exportait environ 3 millions d’hectolitres par an.

Actuellement l’exportation est d’environ 6 à 700.000 hectolitres.

CONSOMMATION :

hectolitres
4e trimestre 1936 …….. 17.512.000
4e trimestre 1937 …….. 16.815.000
4e trimestre 1938 …….. 16.276.000

Ces résultats ne sont pas encore suffisants puisqu’on pouvait lire dans le Bulletin Officiel de la Ville de Paris du 10 février 1939, qu’un conseiller municipal, M. Lanote, demandait que « l’on limite ainsi qu’on l’a fait par la voie législative pour le commerce de la chaussure le nombre des marchands de vin ». Nous parions que cette mesure ne sera pas adoptée aussi rapidement qu’elle l’a été pour les autres commerces.

Enfin l’intergroupe parlementaire a adopté, lors de sa réunion du 6 avril 1939, une série de résolutions demandant le maintien du régime et aussi le maintien des modalités de résorption des excédents, souscrites dans les lois précédentes et ce sous la présidence de M. Barthe, naturellement.

BLÉ. – Tout d’abord quelques chiffres :

PRODUCTION :

Quintaux
1815-1824.. à peine 40.000.000
1902-1912 ……….
(Importation 2.600.000 quintaux)
89.000.000
1922-1931 ……… 75.000.000
1936 …………… 67.000.000
1938 …………… 97.500.000

La répartition de la consommation du blé pendant la période 1902-1912, soit 92 millions de quintaux environ était la suivante :

70 à 80 transformés en farine ;
8 à 9 pour les semences ;
3 à 4 pour l’industrie des pâtes, semoule et biscuits ;
2 correspondant aux pertes et aux petits grains pour les animaux.

1 kilo de blé donnant 1 kilo de pain, en raison du déchet de son, compensé par l’eau ajoutée à la farine, on obtenait à cette époque pour 39.000.000 de Français une moyenne de 200 kilos par an, soit 540 grammes par jour.

La diminution de la récolte pendant la période 1922-1931 était consécutive à la réduction de la surface consacrée au blé, malgré l’adjonction des territoires de l’Alsace-Lorraine, puisque au lieu de 6.700.000 hectares avant-guerre, il n’y avait plus que 5.400.000 hectares cultivés. Elle était due également au mauvais état des cultures et terres délaissées pendant la guerre.

On dut alors avoir recours à l’importation de 13 millions de quintaux.

Parallèlement, il faut noter la diminution de plus en plus grande des surfaces emblavées.

hectares
1913 …………........ 6.300.000
1935 ……………… 5.263.000
1938 ……………… 4.998.000

Quelles on été les mesures prises dans le sens de la restriction de la production ?...

1° Ralentissement et arrêt complet de l’importation ;

À l’heure actuelle, l’importation est uniquement autorisée contre la réexportation des produits correspondants de mouture (régime de l’admission temporaire).

2° Stockage et reports ;

Sages mesures en raison de l’irrégularité des récoltes.

3° Début de l’intervention de l’État. – (Loi du 10 juillet 1933.)

L’État fixe le prix minimum de 115 francs le quintal plus 1 fr. 50 par mois jusqu’à la récolte suivante. Mais cette mesure n’est réalisable que si l’État achète le blé, ce qui n’est pas le cas. Il en résulte alors soit la fraude (blé vendu 90-70 et 60 francs aux intermédiaires qui le revendent à 115 francs et à 130 francs) soit la spéculation (on se souvient des bénéfices scandaleux faits par les minotiers et les boulangers à l’époque, et les années 1933 et 1934 se signalent par les hausses excessives des fonds de boulangerie).

Car malgré la fraude et la spéculation, le pain continue à être vendu sur la base officielle.

Devant ces résultas, on décide à revenir à la liberté du commerce par la loi du 24 décembre 1934, c’est-à-dire à la liberté de la spéculation.

5° Prime à l’exportation (c’est-à-dire dumping). Dénaturation, limite des emblavements. De juillet 1933 à la récolte de 1935 :

13 millions de quintaux ont été ainsi exportés moyennant une prime variant de 60 à 90 francs ;
11 millions de quintaux ont été dénaturés moyennant une prime de 40 à 50 francs ;
D’après un document officiel la défense du marché du blé a coûté 2 milliards et demi.

6° Décret du 31 octobre 1935 qui prescrit :

a) Interdiction aux moulins d’écraser plus de blé qu’en 1932, 34 et 35 ;

b) Contingentement de chaque moulin au dessous de cette limite ;

c) Interdiction d’extension de capacité des moulins en activité, de la réouverture des moulins abandonnés, et de la création de nouveaux moulins, ce qui n’a d’autre conséquence que de consolider le privilège des grands minotiers d’après des chiffres qui leur sont entièrement favorables alors qu’ils sont défavorables aux petits ;

d) Élimination des excédents de farine par expropriation, dénaturation, stock de réserve ;

e) Interdiction de cultiver blé après blé dans le même champ et accroître les surfaces cultivées en blé dans la même ferme, toutes mesures accompagnées naturellement de pénalités.

C’est ainsi qu’on arrive à l’année 1936 pendant laquelle on n’a récolté que 67 millions de quintaux ; cette mauvaise récolte est signalée par l’ « Information » du 16 janvier 1936 comme constituant un potentiel de reprise et ce dans les termes suivants :

« Des indications fournies hier par M. Marcel Régnier au Conseil des ministres, sur les symptômes de reprise qui se font jour dans l’économie nationale, quelques unes méritent d’être soulignées. »

« Au point de vue agricole, les positions statistiques sont incontestablement meilleures, du fait que les stocks de 1934 et 1935, charançonnés, sont devenus invendables et que les inondations réduiront certainement la récolte de 1936. »

Gerville Reache (L’ « Information », 16 janvier 1936).

7° Création de l’Office du Blé, par la loi du 15 août 1936 ;

Il faut préciser là qu’il s’agit d’un organisme socialiste situé dans un régime capitaliste d’où possibilité de fonctionner normalement seulement en présence d’une récolte normale ou déficitaire, et impossibilité de remplir son rôle dès que l’abondance existe. C’est ce qui se produit actuellement et c’est ce qui explique que M. Joseph Barthélémy, parlant de l’Office du Blé, écrivait le 12 avril 1939 dans le « Capital » « qu’il était indispensable de le supprimer du fait qu’il était encore le « symbole de l’ « bolcheviste ».

Il est assez symptomatique de constater qu’au moment où l’abondance du blé submerge le monde entier, la seule solution envisagée sur le plan national soit non pas la distribution de cette denrée, mais la suppression d’un organisme éventuel de distribution.

La catastrophe est mondiale puisqu’en 1938 l’hémisphère nord du globe a produit autant de blé que la terre entière en 1928, et si sur le plan national, on recule devant la seule solution qui s’impose, il en est de même au point de vue international puisque les 21 nations qui se sont réunies le 13 janvier 1939 à Londres, afin de s’entendre pour réduire la production de blé, se sont séparées sans avoir abouti à rien.

8° Devant cette impossibilité d’empêcher l’abondance sur le plan national, malgré les amendes, malgré l’Office du Blé, malgré les diminutions d’emblavements, les stockages, etc., etc., un décret du 17 juin 1938 instaure pour le blé un moyen de destruction héroïque : sa distillation aux frais des automobilistes. « Évidemment, dit M. Queuille, ministre de l’Agriculture, le 9 juin 1938 au Sénat, ce n’est pas une opération avantageuse au point de vue purement comptable ».

Ainsi, qu’il s’agisse de la droite ou de la gauche, du Front National ou du Front Populaire, les moyens employés sont les mêmes et tous font l’unanimité sur les mesures prises. Pour vous en convaincre, il n’y a qu’à lire le journal « Le Temps » du 22 juin 1938, le « Populaire » du 28 juin 1938, sous la signature de M. Monnet, l’ « Humanité » du 29 juin 1938, sous la signature de M . Renaud Jean, le discours de M. Queuille, prononcé au Sénat le 9 juin 1938 et celui qu’il prononça le 27 novembre au cours d’une manifestation agricole à Pithiviers. Nous vous en reproduisons ci-dessous quelques extraits en vous certifiant qu’ils ne proviennent nullement du « Canard Enchaîné ».

Au Sénat, le 9 juin : « Le problème serrait en effet résolu si des récoltes déficitaires succédaient à des récoltes excédentaires. Il ne le serait pas si les récoltes excédentaires se succèdent. Vous me permettrez bien de me rappeler avec un peu d’amertume que j’ai connu à la suite trois récoltes excédentaires. »

Pauvre M. Queuille, il espérait bien en sortir par la porte de l’Élysée.

À Phitiviers, 27 novembre :

« Vous l’avez compris d’ailleurs en acceptant de prendre à votre charge les taxes nécessaires à la résorption des excédents de blé. Les viticulteurs l’ont compris et ils se sont pliés à l’obligation imposée par les législateurs d’une limitation des plantations de vignes. C’est grâce à la discipline librement consentie de l’organisation professionnelle qu’il a été possible de faire, hier encore, face à la situation difficile causée par une récolte surabondante de pommes. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. Bien au contraire, il s’agit de tirer d’abord du sol tout ce qu’il peut donner. Quand un pays doit sacrifier une partie de son économie à des travaux improductifs, tels que ceux que lui impose sa défense, il doit par un redoublement d’effort compenser en richesse productives les heures de travail perdues. Rien ne doit être gaspillé. »

RIEN NE DOIT ÊTRE GASPILLÉ

C’est M. Queuille qui l’a dit au moment même qu’il prône la destruction.

Tous, sans distinction de politique, tous sont d’accord pour lutter contre l’abondance, mais l’abondance se moque d’eux et continue son chemin malgré toutes les mesures énumérées.

En effet, dans le « Journal officiel » (débat parlementaire du 7 février 1939) on peut en trouver la preuve suivante :

La répartition de la bonne récolte (puisqu’elle était déficitaire) de 67 millions de quintaux de 1936 était la suivante :

25 millions pour la consommation directe ;
42 millions vendus à l’Office et dont la provenance était la suivante :
14 millions par les producteurs de moins de 50 quintaux ;
24 millions par les producteurs de 50 à 800 quintaux ;

En présence de la récolte de 1938, évaluée tout d’abord à 95 millions de quintaux (et qui a été réellement de 97 millions et demi) la défalcation des 25 millions de quintaux destinés à la consommation directe laissait 70 millions vendus à l’office provenant d’une production ainsi répartie :

19 millions par les producteurs de moins de 50 quintaux (soit un excédent de 5 millions sur 1936, pour 1.300.000 producteurs : environ 17,8 %) ;

42 millions de quintaux par les producteurs de 50 à 800 quintaux (soit un excédent de 23 millions en 1936 pour 293.000 producteurs environ 82 %) ;

9 millions par les producteurs de plus de 800 quintaux (soit un excédent de 5 millions sur 1936 pour 3.824 producteurs ; plus de 100 % !).

Il est a noté que cet excédent de 5 millions obtenu par 3.824 gros producteurs est égal à celui qu’on a obtenu, dans la même année. 1.300.000 petits producteurs, et ce malgré une diminution des surfaces emblavées, de 169.000 hectares par rapport à 1936.

Comment peut-on encore espérer que des mesures, quelques draconiennes qu’elles soient, puissent arriver à empêcher l’abondance dans un régime qui ne peut allier l’intérêt général à l’intérêt particulier. L’intérêt particulier exige la rareté des autres et l’abondance pour soi, ainsi que le prouve l’exemple ci-dessus, et il en résulte une abondance généralisée.

Nous signalons en passant que si on voulait appliquer le décret sur le remembrement des terrains cultivés, on n’aurait plus d’autre ressource que de décréter, comme aux États-Unis, le versement d’indemnités importantes aux agriculteurs qui, mettant leur terrain en friche, se déclareraient « non producteurs de blé ».

C’est ce moment qu’a choisi M. Paul Reynaud pour décréter, comme nous l’avons déjà dit plus haut, le 12 novembre 1938, des mesures de plus en plus sévères contre ceux qui augmenteront les surfaces emblavées en blé.

C’est ce moment également qu’a choisi la nature pour détruire par les gelées de décembre dernier 1 million d’hectares consacrés à la culture de blé, ce qui n’empêchera certainement pas pour 1939 une récolte excédentaire. Et après avoir payé des impôts à la caisse des calamités agricoles, nous paierons encore des impôts pour la destruction des excédents, et le kilo de pain augmentera de plus belle.

Après la lecture de cette longue documentation qui est forcément incomplète, en raison du nombre de incalculable d’autres mesures aussi inopérantes, qui ont été prises en d’autres domaines, nous ne pensons pas qu’il soit encore possible de considérer que les thèses que nous soutenons relèvent de la pure fantaisie.

La fantaisie et l’utopie résident uniquement dans l’esprit de ceux qui estiment que les nécessités comptables d’un ordre sénile doivent durer encore longtemps au prix d’une violation intolérable des nécessités humaines les plus élémentaires.

La fantaisie, l’utopie, le crime de ceux qui se raccrochent désespérément au radeau du capitalisme, c’est d’abord de croire qu’ils seront plus mains que les autres, et surtout de laisser faire toutes les monstruosités, toutes les stupidités dont les détails viennent de vous être donnés, sans protester, sans hurler de colère, sans s’associer à nous qui depuis 5 ans nous efforçons d’ouvrir les yeux qui ne veulent pas voir la vérité.

Car ceci entraînant cela, les destructions de richesses avant ou après la production entraîneront la destruction des hommes par la faim ou par la guerre.

Nous nous approchons de plus en plus du gouffre, à un tel point que certains en ont le vertige.

Nous contenterons-nous de gémir en craignant la mort dans la rareté ou agirons-nous enfin pour créer la vie dans l’abondance ?

Toute la question est là.

Des applaudissements répétés saluent les conclusions du conférencier qui a su maintenir l’intérêt de son auditoire pendant ce long exposé, entrecoupé fréquemment de manifestations d’indignation contre la folie des dirigeants du régime.

Notre président vient ensuite remercier Regras pour son bel effort et demande si quelqu’un doute encore de l’Abondance et de la lutte implacable qui lui est livrée dans tous les pays modernement équipés. Il ajoute que Regras a dû se restreindre, lui aussi, car il n’a pas parlé de toutes les restrictives françaises. Il n’a signalé que les principales pour ne pas fatiguer l’auditoire.

Notre président fait aussi une allusion aux deux expériences Roosevelt qui furent et sont encore accompagnées de destructions beaucoup plus nombreuses et portant sur des quantités prodigieuses de produits. Quant aux restrictions légales de production, ce hardi réformateur, qui s’appelle le président Roosevelt, bat tous les records capitalistes du monde entier. D’ailleurs une partie d’entre elles ont été dénoncées par Amlie à la Chambre des Représentants. Son discours, traduit en français, est en vente à l’entrée de la salle.

Notre président termine en montrant que cette honteuse page de l’humanité : la lutte contre l’abondance, a pour contrepartie de ruiner les producteurs eux aussi, alors qu’on espérait venir à leur aide. L’explication de ce phénomène est à la portée de toutes les intelligences. C’est le point de départ de la doctrine du D.A.T. Notre président espère que ceux qui souhaitent que cette triste époque ne se termine pas dans le sang viendront grossir nos rangs pour intensifier notre propagande.

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COMMUNIQUÉ

Nous recevons d’un de nos amis de Villemomble une lettre qui a été envoyée au président du Conseil des ministres, revêtue de la signature d’une trentaine d’anciens combattants authentiques (nous disons authentiques, car ils ont fait suivre leur signature du numéro de leur carte de combattant).

Nous la reproduisons ci-dessous, estimant qu’elle résume complètement ce que nous disons déjà depuis plusieurs années :

À M. Daladier, président du Conseil des ministres, Paris,

Monsieur le président du Conseil,
25 avril 1939

Anciens combattants comme vous, les soussignés, se souvenant de la fraternité qui, au front, les unissait en dehors de toute conception idéologique pour la défense du droit et de la liberté, et de la rude franchise qui, entre eux, en était la conséquence,

Ont estimé qu’en présence des dangers de plus en plus graves qui menacent notre pays, à l’intérieur comme à l’extérieur, ils avaient le droit d’abandonner toute réserve protocolaire à l’égard d’un ancien camarade de guerre devenu chef du gouvernement,

Et, en conséquence, rompant avec les flatteries des thuriféraires dont vos services ont exalté l’esprit de sacrifice, en des communiqués dont la fréquence paraît s’être ralentie depuis quelques jours,

Les anciens combattants et mutilés soussignés ont décidé de vous faire parvenir l’ordre du jour suivant, adopté par des hommes qui, venant d’horizons politiques différents, ont pu sans peine faire l’unanimité sur son texte :

ORDRE DU JOUR

Considérant que le devoir d’un gouvernement, quel qu’il soit, est d’assurer le droit à la vie de tous ses ressortissants, leur permettant ainsi, par voie de conséquence, d’assurer le droit à l’existence et la pérennité de la collectivité nationale ;

Estimant que, dans ce but, les vraies richesses d’un pays doivent en tout premier lieu contribuer à faire disparaître la misère, puis à élever le niveau d’existence de ses habitants ;

Constatant d’autre part, que la principale, sinon l’unique source des conflits internationaux qui menacent et menaceront encore la paix du monde réside dans un déséquilibre économique provenant d’un mode défectueux de répartition des matières premières ;

Se révoltent de plus en plus à la pensée que des milliers d’êtres et en particulier d’enfants, sont dans notre propre pays en état de sous-alimentation, cependant qu’on détruit des récoltes soi-disant trop abondantes en dépit des mesures de limitation décrétées ou votées depuis 1935 ;

S’insurgent contre le gaspillage de milliards de francs employés à la dénaturation du blé, aux primes d’arrachages des vignes, à la distillation des du blé, du vin, au contingentement du sucre, et à autres monstruosités rendues légales avec l’accord plus ou moins conscient de tous les parlementaires, cependant qu’on pleure hypocritement sur le sort des vieux travailleurs en prétendant manquer d’argent pour l’octroi d’une retraite qui ne soit pas une aumône ;

S’indignent de voir que la guerre est côtoyée à chaque instant pour des raisons que connaissent les gouvernements et que commencent à voir les peuples parmi lesquels naît l’idée qu’il serait simple et humain de rendre cette catastrophe complètement sans objet en donnant aux nations qui en manquent les matières premières dont la production est ou détruite, ou contingentée, ou freinée par les trusts internationaux et les ententes industrielles avec l’appui des gouvernements.

Les anciens combattants soussignés vous demandent en conséquence :

1° D’abroger les décrets-lois de misère, les vrais, c’est-à-dire ceux qui, sans que vous vous en doutiez organisent la faim, la misère, le taudis, le crime, la tuberculose, etc…, et parmi lesquels il faut citer les suivants qui déshonorent la France :

(Suit la liste des principaux décrets dont l’énumération a paru dans le n° 65.)

Distillation des pommes et poires excédentaires. (Décret du 12 novembre 1938) ;

Aggravation des mesures de limitation des emblavements. (Même décret.)

Et toutes autres mesures du même genre touchant les agrumes, les tomates, etc…, de notre Empire français qui sont un défi au bon sens et à votre slogan : « Remettre la France au travail. »

2° De crier au monde entier, par le moyen des ondes, que le peuple français est prêt à apporter sa contribution à une paix constructive en faisant apport à une véritable société des nations des matières premières qu’il a en excédent de sa consommation réelle, ce qui fera au moins l’économie des frais de destruction, invitant en même temps tous les autres peuples démocratiques à en faire autant au cours d’une conférence internationale proposée déjà par le président Roosevelt, à titre de prélude, à une conférence mondiale au cours de laquelle les États totalitaires, mis au pied du mur, se verraient offrir autre chose que des barrières armées et des rodomontades patriotiques dont ne profitent que Schneider, Krupp, Vickers, l’Union Européenne, la Banque Anglo-Tchécoslovaque et l’Anglo International Bank.

Et vous adjurent, vous ancien combattant, vous qui, à Évreux, le 30 novembre 1936, déclariez : « Nous sommes à une époque où le monde a été transformé. La science a fait éclater la nature. Le problème, c’est celui de la répartition de l’abondance, de la distribution des produits », de ne pas reculer, si cela était nécessaire, devant le remplacement du régime capitaliste par un nouveau régime économique qui, prolongeant l’esprit des principes immortels de la Révolution française, rendrait à notre pays, vers lequel se tournent les espérances de tous les autres peuples, son rôle de libérateur de l’humanité.

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Lecture

Cent ans après…

de Edward Bellamy
par J. DUBOIN
25 avril 1939

Nos camarades Fustier viennent de rééditer l’œuvre de Bellamy : Looking Backward. Pourquoi l’intituler Cent ans après ? Le titre exact serait : Regards sur le passé. C’est en effet l’histoire d’un homme qui a dormi cent ans et qui se réveille dans une nouvelle civilisation. Il la trouve si belle qu’il frémit en jetant un regard sur le passé. Il frémit tellement qu’il a peur d’être le jouet d’une hallucination.

Le livre est donc une anticipation portant la date de 1888. Bellamy entrevoit la civilisation de l’abondance et la décrit à ses contemporains. Ceux-ci, comme de juste, et sauf un tout petit nombre, le traitent d’utopiste.

Et cependant ! Bellamy est loin de deviner les progrès qui devraient s’accompagner simplement au cours des cinquante années qui allaient suivre : il ne soupçonnait ni l’aviation, ni les ondes hertziennes, ni l’emploi prodigieux des forces extra-humaines, ni même les découvertes de l’agronome qui allaient permettre aux hommes de réaliser l’abondance, même dans le domaine alimentaire.

Ainsi, pour donner ce seul exemple, Bellamy stupéfie son lecteur de 1888 en lui faisant écouter de la musique lointaine ; mais celle-ci ne parvient aux oreilles de l’auditeur que par l’intermédiaire du téléphone. Nous avons aujourd’hui la T.S.F. et les disques. De sorte que non seulement nous captons la musique qui est faite sur n’importe quel point du globe, mais nous la conservons encore pour que les générations à venir puissent l’entendre aussi si cela leur plaît.

Néanmoins, la lecture de ce livre reste captivante, ne serait-ce que pour mesurer le chemin parcouru. De plus, Bellamy répond victorieusement aux objections qu’on lui faisait en 1888, et que nos camarades du D.A.T. connaissent bien, car ils les entendent encore en 1939.

Car les hommes n’ont pas plus compris en 1939 qu’en 1888. Ils n’ont pas compris qu’il était déjà beaucoup moins pénible, pour chaque individu, de réaliser le bonheur de tous, que d’assurer tout seul son petit bonheur particulier.

Mais aujourd’hui Bellamy tiendrait un autre langage. Comme nous, il dirait à ses contemporains : vous n’avez plus le choix ! En persistant dans votre régime social du temps de la disette, vous n’allez créer tous les jours qu’un peu plus de misère. Aujourd’hui plus qu’hier ; demain plus qu’aujourd’hui ; après-demain plus que demain…

Et ce qui vous guette, c’est la guerre ou la révolution. Peut-être même les deux à la fois.

Alors que l’abondance pour tous serait plus facile à réaliser que du temps de Bellamy !