La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 999 — mai 2000

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N° 999 — mai 2000

Empêcher toute émancipation   (Afficher article seul)

Pour que l’idéologie libérale s’impose elle empêche l’opinion, et d’abord les jeunes, de juger. L’attitude d’Allègre et l’exposition sur l’utopie à la BNF agissent en ce sens.

Et puis quoi encore ?   (Afficher article seul)

Mais quand c’est le patronat qui veut refaire la société, ce n’est pas de l’utopie.

Merci patrons !    (Afficher article seul)

Un témoignage, encore d’actualité.

Former pour émanciper   (Afficher article seul)

Comment serait une bonne réforme de l’enseignement ?

« Nos luttes construisent l’avenir »   (Afficher article seul)

Le monde n’est pas une marchandise ! Analyse par A.Prime du livre de J.Bové et F.Dufour

Parlons dromologie…   (Afficher article seul)

Dangereuse folie très à la mode : la vitesse, et dans tous les domaines.

Pour le contrôle citoyen de l’organisation mondiale du commerce (OMC)   (Afficher article seul)

In medio stat virtus   (Afficher article seul)

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Éditorial

Empêcher toute émancipation

par M.-L. DUBOIN
mai 2000

Si l’opinion prenait conscience que les moyens techniques existent désormais pour assurer à plusieurs milliards de terriens de quoi vivre décemment et développer leurs facultés propres dans d’excellentes conditions, elle remettrait en cause l’idéologie libérale, qui permet à seulement quelques millions d’humains d’accaparer l’essentiel des richesses. Pour empêcher pareille émancipation, il faut donc verrouiller l’opinion par tous les moyens. Les journalistes “chiens de garde” et les publicitaires s’y emploient, ce n’est pas nouveau.

Cela pourrait ne plus suffire, puisqu’une contestation des abus manifestes de l’appropriation du monde par quelques uns a commencé à s’organiser à l’échelle planétaire. Seattle ayant fait peur, quelques déclarations d’intentions généreuses, à Davos ou ailleurs, ont tenté de ramener l’ordre libéral. Et voilà maintenant que des manifestations soulignent les méfaits du FMI et de la BM et qu’en plus, les jeunes qui font preuve de courage physique pour lutter contre les forces policières, sont soutenus par des observateurs, des juristes, des chercheurs et une foule d’organisations non gouvernementales qui savent trouver les moyens de s’informer et de dénoncer !

Gageons que les médias parleront de moins en moins de ces manifestations : on sait depuis la guerre du Golfe par exemple (cf le Kosovo) qu’ils savent faire passer ce que bon leur semble…

Or il est un moyen encore plus sûr d’imposer une idéologie, c’est de former les esprits à ne pas penser du tout. L’idéal est de commencer dès l’enfance, par l’école. Il y a déjà en France des enseignants qui, devant l’obligation qui leur est faite maintenant, non plus d’enseigner, mais d’assurer l’éducation des enfants, les parents ayant démissionné de cette tâche, se contentent de faire apprendre par cœur. Après tout, puisque les parents n’attendent de l’école que des diplômes pour leurs enfants, leur faire apprendre par cœur est ce qui demande le moins d’effort à tout le monde. En plus, cela permettra bientôt de remplacer des milliers de profs capables de contester, par des ordinateurs qui peuvent rapporter gros aux entreprises qui les commercialiseront ! Il reste pourtant des enseignants [1] qui s’obstinent à penser qu’enseigner c’est ouvrir les esprits, c’est apprendre à apprendre, à comprendre au lieu de suivre des recettes, à réfléchir puis juger pour ne pas être des moutons qui gobent tout ce qu’on leur affirme. Sans compter leurs efforts, ils inventent toujours de nouvelles méthodes, trouvent la façon d’expliquer qui s’adapte à la personnalité de l’élève, etc. Pour eux, former des jeunes c’est mettre tous les moyens nécessaires pour les amener à s’émanciper, mais de tels moyens, quand il y a tout à faire pour des enfants qui ne reçoivent chez eux aucun soutien compétent, il en faut de plus en plus… En insultant ceux qui voulaient une réforme en ce sens, l’ancien ministre Allègre a réussi un grand coup : non seulement il les a démoralisés, mais il a achevé de monter l’opinion contre eux. C’est tout à fait réussi et j’en ai une preuve sous les yeux : un livre qui vient de paraître et nous a été envoyé, sans doute par son auteur, qui écrit : « les enseignants sont repliés sur eux-mêmes, ne s’intéressant plus qu’à leur confort et cherchant à obtenir le maximum d’avantages de leur fonction… ils sont devenus des privilégiés de la nation car l’état-patron a cédé continuellement à leurs revendications. » Il a même le culot d’ajouter : « Comment accepter que l’éducation nationale ait sa propre société de ventes par correspondance, la CAMIF, et sa propre compagnie d’assurances, la MAIF, toutes deux gérées par les fonds de l’état », cette contre-vérité prouve qu’il écrit n’importe quoi. Allègre avait donc bien raison de déclarer : « les enseignants sont mal aimés, la preuve, quand je les engueule, je prends 25 points dans les sondages. » Un professeur de lycée explique « si certains élèves ne respectent plus leurs profs, c’est aussi parce que la société ne les respecte pas. » Des lycéens vont encore pouvoir leur cracher dessus, surtout si les parents soutiennent leurs rejetons…

Les enseignants disent bien que leurs élèves sont incapables de faire l’effort de se concentrer plus de dix minutes : on pouvait apprendre quelque chose à toute une classe tranquille, même de 50 enfants, mais dès qu’un seul commence à distraire les autres, c’est fini, tous ne veulent plus que s’amuser, même s’ils ne sont que 20. L’instruction passe après l’éducation, et celle-ci commence à la maison. Des profs voient bien quel est l’enjeu : l’un d’eux remarque : « Les problèmes dépassent largement l’école. Le drame, c’est l’accroissement des inégalités, j’ai la sensation de servir d’alibi social, d’être un couvercle pour empêcher la marmite de déborder. » Un autre explique : « nous avons de plus en plus d’enfants en difficulté sociale, familiale, donc scolaire. » Et un autre constate : « Ce gouvernement de gauche casse l’école pour tous et dissimule sous une réforme pédagogique le démantèlement du service public ».

Car le vrai problème est bien là, pour beaucoup « se profile le modèle anglo-saxon avec un lycée public qui assurerait le minimum, tout en étant divertissant, et des écoles privées, qui capteraient les bons élèves. » Les enseignants se voient « réduits à un rôle “d’animateurs” encadrant des “intervenants extérieurs” » disent-ils en employant le langage “moderne”.

Sachant que le nombre d’emplois précaires est évalué à 95.000 personnes dans l’E.N., dont 48.000 CES, comparez avec ce qui se passe à la Poste ou avec les internes des hôpitaux, et jugez vous-mêmes…

On avait au Ministère de l’éducation nationale un génie qui voulait mettre en place LA réforme-qui-y-est-nécessaire, mais ces mammouths d’enseignants s’y sont opposés ! Son successeur permettra-t-il seulement au public de savoir vraiment quelle est la réforme que les enseignants voulaient [2] ?

Quand la BNF présente l’utopie

À côté de ces gros efforts pour contrôler l’opinion, il ne faut pas sous-estimer ceux qui, de moindre envergure, sont faits pour agir dans le même sens, mais de façon moins évidente, en sorte que leur but pourrait passer inaperçu. Un exemple en est offert par l’exposition de la Bibliothèque Nationale de France sur l’utopie. Trois cents documents, peintures, cartes, dessins et illustrations, depuis un portrait de T. More jusqu’à des maquettes de C.N. Ledoux, architecte des Salines royales d’Arc-et-Senans, y sont réunis. Fort bien, très intéressant, rien à redire pensez-vous, une exposition de documents ne peut être qu’objective… C’est ce qu’on croit quand on a été entraîné, justement, à tout gober, à ne surtout pas se fatiguer pour chercher à comprendre.

Pour notre part, nous avions un doute. Pour la simple raison qu’un ami, ancien directeur d’une scène nationale, s’était dit que puisqu’on nous reproche d’être utopistes, autant saisir l’occasion d’être cités, et il avait fait parvenir quelques documents à un responsable. Le refus qui lui a été fait de les présenter prenait prétexte qu’il s’agit d’une exposition, alors que nos propositions ne prêtent pas à iconographie… Soit, mais un sociologue, consulté, eut une autre explication de ce refus : “le mot d’ordre pour cette exposition est de ne pas faire de vagues”.

Notre doute a été confirmé par la lecture de la page “culturelle” qu’y consacre Le Monde , journal qui n’a pourtant pas la réputation d’être le porte-parole de la pensée unique.

Observons d’abord les titres. Celui de l’exposition est apparemment objectif :“Utopie, quête de la société idéale en Occident”. Mais dans le quotidien il devient : “Utopie, épopée humanitaire et sanglante” (c’est moi qui souligne), ce qui l’est beaucoup moins. À l’idée d’utopie, quête d’un idéal humanitaire, il ajoute d’emblée, arbitrairement, une image sanglante. Laissez-vous impressionner.

Et la suite enfonce le clou. On apprend que l’utopie « trouve un tragique dénouement au XXe siècle, lorsque les utopies deviennent réalité ». D’où ça sort ? Du fait que c’est la fin de l’histoire ? Qu’on ne pourra jamais plus imaginer autre chose, que le XXIe ne verra aucune recherche vers un autre type de société ?

Le journaliste, décrivant l’exposition, estime que celle-ci étant « un voyage tous azimuts, il faut autant que faire se peut séparer la cavalerie de l’imaginaire et de ses romanciers de l’infanterie des utopistes, diversement obsédés par l’idée de réorganiser la terre, et clarifier un parcours que chacun peu (sic) comprendre à l’aune de ses propres lubies. » Cette phrase, pas vraiment claire, laisse en tout cas deviner que son auteur ne risque pas d’être effleuré par une lubie aussi saugrenue que celle qui consiste à penser que la société pourrait s’organiser autrement !

Mieux encore, il décrit ainsi la dernière partie de l’exposition, consacrée à l’urbanisme utopique : « elle tend à organiser la perfection de l’homme : usines, prisons, ou hôpitaux, familistères ou phalanstères ». Si tel est vraiment l’idéal de tous les utopistes, alors, non, nous n’en sommes pas ! Mais si, comme il le décrit ensuite, l’exposition classe parmi les utopies « manifestes politiques… propagande, avant-gardes plus ou moins hallucinées », c’est bien la preuve d’un parti pris discutable de la part de ses organisateurs. Et on aimerait savoir ce que le journaliste classe lui-même, pour finir, dans ce qu’il appelle « la folie des autres » ?

L’article qui suit est différent. Sous prétexte d’expliquer qui était Thomas More, auteur en 1516 de “Utopie, traité sur la meilleure forme de république et sur une île nouvelle”, il force le public à faire l’amalgame entre utopie et tout ce qui est farfelu, fou, démesuré et irréaliste. Car le clou qui était enfoncé ci-dessus sort maintenant de la planche : il ne sera plus jamais question, dans les siècles à venir, d’imaginer une autre organisation de la société, parce que ceci « signifie désormais une chose impossible, une chimère, une illusion, un mirage ». Encore une fois, pourquoi ?— Mais c’est bien simple : parce qu’imaginer c’est contester l’ordre établi. Et l’exposition impose cette confusion en présentant sous la bannière de l’utopie les divers mouvements de contestations de 68, et en mélangeant la contestation des provos d’Amsterdam et des hippies américains avec celle des militants pacifistes ou écologistes d’aujourd’hui ! Ils apprécieront, je suppose…

Et savez-vous, bonnes gens, où mènerait forcément une pensée différente, une pensée qui aurait réfléchi pour décrire une autre organisation possible ? La réponse est imposée par la présence d’affiches soviétiques, comprenez : cela mène au goulag ! Mettez-vous ça dans le crâne, répétez-le et ne discutez pas !

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[1] Je n’ai pas l’expérience du secondaire, mais de 40 ans d’université. À Paris 7, j’ai eu en physique nombre de collègues remarquables, en particulier par leurs efforts de pédagogie et leur volonté d’innover pour transmettre intelligemment leur expérience aux étudiants, mais ayant eu également Claude Allègre pour collègue, je peux témoigner de sa suffisance et de sa démesure dans les propos quand il s’agit d’imposer son point de vue. Par contre, à l’université de Marne la Vallée, j’ai été choquée de voir que le mot d’ordre était général : donner la priorité à la recherche parce c’est la clé de la promotion personnelle et ne pas passer une seule minute à chercher à être pédagogue : faire tous le même cours copié dans un manuel, faire apprendre par cœur et noter très vite, en se gardant bien de vérifier si l’étudiant a compris quelque chose. Ce mot d’ordre venait, à l’époque, de la présidence de cette université…

[2] Les médias informeront-ils un jour l’opinion sur la mobilisation de centaines de profs qui sont volontaires pour appliquer de nouvelles méthodes (par exemple la pédagogie Freinet) pour “enseigner autrement” et répondre ainsi aux nouvelles difficultés rencontrées ? Ils sont “partants” pour la prochaine rentrée et plusieurs milliers de personnes ont déjà signé pour cela le manifeste “Halte au massacre des intelligences”. Mais il faut que le gouvernement donne son feu vert à des enseignants qui proposent cette saine réforme. Quelles sont ses véritables intentions, quels moyens est-il prêt à y mettre, et…peut-on faire confiance à Jack Lang ???

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Changer radicalement la société est pourtant tout à fait possible. Ce n’est plus une “utopie” si la volonté de transformation est conforme à l’idéologie libérale et si elle est présentée comme une nécessité pour répondre aux impérieux besoins de rentabilité des entreprises. De tels arguments sont alors pris en considération : après avoir menacé pendant plusieurs mois de quitter l’Unedic [*], le Medef a finalement décidé d’y rester encore un an à condition que les syndicats acceptent d’utiliser ce délai pour réfléchir à une “refondation sociale”. De quoi s’agit-il ?

Et puis quoi encore ?

par J.-P. MON
mai 2000

Les licenciements facilités

Il s’agit tout simplement de remettre en cause les contrats de travail à durée indéterminée (CDI) qui jusqu’ici constituent la norme pour le Code du travail [1]. Le Medef veut à leur place créer des “contrats de mission” dont la durée serait limitée à cinq ans maximum, car, pour les patrons, les contrats à durée déterminée (CDD) et le travail temporaire « ne suffisent plus pour faire face aux exigences de la nouvelle économie ». Pour mieux faire passer la pilule, ils parent leur nouveau contrat de mille fleurs : « nous sommes entrés dans l’ère du management en réseau qui valorise l’autonomie du salarié qui va devenir un chef de projet, … » En y regardant de plus près, on voit que ces contrats de mission seraient négociés au niveau de l’entreprise, niveau où la présence syndicale est la plus faible. À défaut, ils seraient subordonnés à un accord de branche. Ils sont présentés comme une “innovation”, inspirée des contrats de chantiers qui existent déjà dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics mais ils ne sont en réalité que l’aboutissement des réflexions entreprises depuis de longues années par l’Union des industries métalliques et minières (UIMM), la branche la plus réactionnaire du Medef. Pour Dominique de Calan, l’un des responsables de l’UIMM, il s’agit de mettre fin « au mythe du CDI, contrat inventé pour un monde taylorien ». Il ne craint pas d’ajouter : « En France, au lieu de dire merci au patron qui embauche, on l’engueule. Quand on débauche, on est des méchants. Là, on serait beaucoup plus libre ». On voit que l’homme ne manque pas de cynisme.

Mais la véritable raison de cette nouvelle offensive patronale est de faire accepter un dispositif qui mettrait les entreprises à l’abri de toute intervention des juges en matière de “plans sociaux”. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 1997 imposant la réintégration de salariés licenciés pour motifs économiques après l’annulation d’un plan social par un tribunal a fortement marqué le medef.

La mort du droit du travail

Les contrats de mission rendraient caduc le recours au droit du travail et donc aux procédures judiciaires en cas de licenciement. Cela n’a pas échappé aux spécialistes du droit du travail :

• « C’est une attaque frontale par rapport au droit du travail, un retour à une individualisation des relations sociales au nom d’une idéologie néo-libérale. Cela rappelle le contrat de louage, quand les ouvriers se présentaient sur la place de Grève [2] »,

• « Plus vous faites des contrats qui échappent aux règles communes, plus le droit de licenciement dans lequel les juges interviennent de plus en plus est mis de côté. Aujourd’hui, il ne serait pas possible au Medef d’obtenir un accord sur le remodelage du droit de licencier. Il a donc choisi de traiter le problème via une diversité accrue des contrats qui lui permet une mise à l’écart des procédures de licenciement collectif en mettant en avant une gestion plus individuelle de l’emploi. Le nouveau contrat de travail n’est pas un mot qui choque, c’est un appât [3] » ;

• « Ces contrats écartent le spectre des plans sociaux. Les chefs d’entreprise seront tranquilles. Ils n’auront pas à provisionner dans l’hypothèse de licenciements collectifs. Mais évidemment, ce n’est pas très avouable de le présenter ainsi [4] ».

Toujours plus

Les contrats de mission ne sont pas les seules “innovations” que souhaite mettre en place le Medef avec sa refondation sociale : il veut aussi changer les modalités d’indemnisation du chômage avec ses contrats individualisés de retour à l’emploi, revenir sur l’âge et la durée de cotisation pour la retraite et, comble de l’audace, réformer le système actuel de médecine du travail, « qui n’est plus adapté » et qui pourrait être confiée à des médecins libéraux « ayant conclu avec l’entreprise un contrat de partenariat ». Cette dernière “réforme” vient du constat qu’en 1998, après des années de baisse, le nombre d’accidents du travail a augmenté de 3,2%, ainsi que le nombre de maladies professionnelles reconnues [5]. Pour le Medef, il s’agit avant tout de préserver la compétitivité des entreprises. D’où l’idée de recourir à des médecins plus souples que ceux du travail.

Après la flexibilité, la baisse des charges sociales, les licenciements économiques… et les superprofits, que vous faut-il encore ? Un paquet cadeau ? Avec autour une faveur … rose sans doute ?

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[*] L’Unedic est le régime d’assurance-chômage créé en 1958 par les syndicats patronaux et de salariés.

[1] L’article 121-1 du code du travail, qui reprend la loi de 1990, stipule que « le CDD ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. » On sait que, malgré ce texte, le CDD s’est largement répandu avec la multiplication des contrats aidés.

[2] R. Castel, directeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

[3] A. Lyon-Caen, professeur de droit du travail à l’université Paris-X- Nanterre.

[4] G. Couturier, professeur de droit du travail à l’université Paris I.

[5] Elles ont triplé en quinze ans, notamment à cause de l’amiante.

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Merci patrons !

(suite)
par P. VINCENT
mai 2000

Déterminer si la poule est antérieure à l’œuf ou l’œuf à la poule est un intarissable sujet de discussion.

La polémique est encore plus vive sur la question de savoir si ce sont les riches qui font vivre les pauvres ou les pauvres qui engraissent les riches.

J’avais un patron pour qui, en tout cas, il ne faisait aucun doute que c’était lui qui faisait vivre ses salariés, dont une demi-douzaine de personnes de sa famille placées aux meilleurs postes dans une entreprise qui en employait une trentaine.

Lorsque l’on pénétrait dans son bureau, une grande affiche accrochait votre regard qui, avant même qu’il vous eût adressé la parole, vous avait tout de suite remis à votre place (j’étais alors représentant multicarte, il n’était donc pour moi qu’un patron à temps partiel) et je m’étais efforcé d’en apprendre le texte par cœur au cours des rares visites que j’avais à lui rendre. Voici la transcription de ce que j’en ai retenu :

La prière du salarié

Seigneur, garde-moi mon Patron.
Sans lui, je ne suis rien...
rien qu’un chômeur.

Eloigne de lui la tentation de fermer l’usine, de retirer ses capitaux et celle de se reposer loin des soucis, des syndicats, des juges iniques et des fonctionnaires trop zélés pour être purs.

Donne-lui la force d’affronter les difficultés des échéances, la cupidité des banquiers et des prêteurs alors qu’il risque de tout perdre.

Qu’il ait le courage de ses opinions, de lutter contre les laxistes de tous bords.

Veille sur sa santé : écarte de lui l’infarctus qui le guette et l’apoplexie de sa sainte colère.

Rends-lui le sommeil du juste dans ce monde d’injustice où la prison l’attend.

Terrasse ses ennemis qui l’empêchent de travailler et d’être efficace.

Bien que cette prière ne remontât pas aux premiers temps de la Chrétienté, j’en ignore toujours l’auteur. Peut-être s’agit-il d’une œuvre collective ? Cette affiche faisait référence à « La Revue des Petites et Moyennes Entreprises - N° 220 - Septembre 1978 », mais je n’ai trouvé nulle part d’exemplaire de cet ouvrage qui eût pu davantage m’éclairer. Cette plaisante litanie énonçant toutes les épreuves qu’un patron accepterait de subir dans le seul souci d’assurer la survie de ses salariés est à l’évidence un tantinet satirique à l’égard des patrons, comme la chanson, célèbre en ma jeunesse, « Le grand mettinge du métropolitain », l’était à l’égard des travailleurs en grève. Mais quand on la trouve publiée par le très sérieux organe officiel des PME ou remplaçant dans le bureau d’un PDG le traditionnel portrait du fondateur de la Maison, on peut se demander si quelques-uns n’en ont pas fait une lecture au premier degré.

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Les réformes en chantier, qu’il s’agisse des conditions du travail dans l’entreprise ou bien de l’enseignement, ne sont pas qu’affaires de spécialistes. Parce qu’elles définissent la société elles nous regardent tous. C’est donc en qualité de citoyen qui réfléchit que J-C Pichot s’est posé la question de savoir quel type d’éducation il souhaite pour les générations à venir. Voici ses conclusions :

Former pour émanciper

par J.-C. PICHOT
mai 2000

L’actualité récente nous a submergés de flots, parfois confus et contradictoires, d’informations, d’images, de harangues, de bruits et même de mouvements divers dans les rues : ils avaient leur origine dans l’une de ces convulsions plus ou moins périodiques secouant notre système éducatif public. Tous les acteurs directement impliqués se sont fait entendre, ou tout au moins ont essayé. Mais, cette fois, la dose a été particulièrement forte, et personne n’est sûr d’avoir bien tout compris…

Je dois avouer que j’y ai moi-même perdu une bonne part du peu de latin que le temps n’avait pas encore effacé de ma mémoire [1]. S’agissait-il d’un problème de fond : que faire pour adapter notre système à un monde qui change de plus en plus vite ? D’un problème de forme, dans l’organisation du système éducatif ou dans le cadre de relations devenues très orageuses entre un ministre et ses troupes ? Ou de ... fonds, tout simplement ? Lycéens d’un côté, professeurs de l’autre, y sont allés de leurs couplets et de leurs démonstrations sur la voie publique ; les deux grandes fédérations de parents de l’enseignement public, pas souvent d’accord quand les enseignants sont ou se sentent remis en cause par des décisions gouvernementales, se sont récemment retrouvé des affinités pour adopter une position commune plutôt favorable aux propositions du ministre. On a parlé naturellement une fois de plus de la gestion de la plus grande entreprise du monde (en effectifs) : l’ENF, alias éducation Nationale Française ! Mais on a évité d’échanger à voix haute des noms de mamm... ifères pour se contenter de ceux d’oiseaux, plus classiques : attention aux effets de masse, danger !

Issu de l’école de la République, qui a eu ses décennies de gloire en “instruisant” (son nom a longtemps été “Instruction publique”) des jeunes qui se sont ensemble, sous la coupe de zélés et dévoués instituteurs, élevés au statut de citoyens français parlant la même langue dans un pays solidaire, et resté attentif à ce qu’elle a offert trente ans plus tard à mes enfants et à ceux des autres, je ne peux pas me désintéresser de l’avenir de notre système éducatif, ne serait-ce que pour les petits-enfants à venir.

Une première question de base me vient à l’esprit : notre hexagone et notre histoire doivent-ils rester indéfiniment nos références dans un monde dont les frontières anciennes s’estompent de plus en plus pour être peut-être un jour remplacées par de nouvelles que nous n’imaginons pas encore ? Dans le moyen terme, au moins, je pense qu’il est important que soit préservé le fond de notre identité culturelle française, malgré toutes les dérives qu’elle subit ; ou, plutôt, à cause d’elles ! à ce titre, notre système éducatif a une place essentielle dans notre histoire en devenir permanent. Comme nous le rappelions [2], il doit rester une pièce majeure du Service public auquel nous sommes nombreux à rester attachés.

Sans vouloir entrer dans le détail (je n’en ai pas les compétences), il paraît essentiel que soit sauvegardé, et même, dans certaines situations, restauré, un véritable service de préparation à la citoyenneté (apprentissage de la vie en groupe, puis dans la société), incluant au plus tard à l’âge de 10 ans la maîtrise de la langue commune du pays (disparition de l’analphabétisme et de l’illétrisme), ainsi que des éléments suffisants pour appréhender le monde à travers la logique et les représentations, sans oublier la sensibilité à la nature et aux arts ; puis, permettant par la suite d’apprendre à apprendre, et d’acquérir ou développer pour soi-même les outils ouvrant les portes de la vie dite active.

Nous savons que la plupart des enseignants sont imprégnés de tout cela, mais qu’ils sont nombreux à devoir faire face à des difficultés d’origine principalement socio-économique, dont, notamment, les conséquences de l’incapacité et parfois la démission des éducateurs de base que sont les parents et les familles des jeunes. On peut, bien sûr, épiloguer sur l’origine de ces situations ; pour nous, à la GR-ED, il est certain que la fracture dite sociale, qui a une origine le plus souvent économique, y est pour beaucoup. Mais le monde qui “bouge” de plus en plus chez nous et autour de nous, au sens physique (migrations diverses) aussi bien que moral (comportements nouveaux), complique sérieusement les choses, et cette dimension nouvelle doit nous conduire probablement à envisager l’avenir avec une approche différenciée.

La traditionnelle centralisation à la française, qui évolue timidement vers autre chose, voit ses jours comptés. La rigidité naturelle des mentalités et des comportements reste dans tous les domaines un obstacle majeur à certaines adaptations nécessaires ; les intérêts personnels et corporatistes font le reste. Sans vouloir copier les pays voisins (chacun a son histoire), je suis de ceux qui pensent qu’il pourrait être utile d’apprendre à mieux connaître leurs modes de fonctionnement afin d’en tirer des leçons, qu’il s’agisse de l’enseignement ou d’autres domaines. L’évolution vers une décentralisation plus poussée du pays, nous préparant et nous adaptant à l’Europe des Régions en gestation, militerait, à mon sens, pour une nouvelle organisation territoriale du service public de l’éducation des futurs citoyens (je n’ai pas attendu les déclarations “post ministérielles” de Claude Allègre pour le penser…), dont les missions essentielles devraient rester celles résumées plus haut. Au même titre que pour l’enseignement général privé existant aujourd’hui, qui a reçu délégation de service public à travers des contrats avec l’état (les établissements secondaires ont les mêmes obligations que ceux du public, et leurs futurs bacheliers suivent les mêmes programmes) et délivrent des diplômes de même valeur, on pourrait très bien imaginer une organisation contractuelle entre les régions (éventuellement à redéfinir du point de vue géographique) et l’état, laissant à celles-ci une liberté de gestion significative, tout en respectant des équivalences dans les diplômes.

La main invisible ?

De manière sous-jacente, quoique de plus en plus évidente, on voit naturellement pointer le nez de la machine économique (succursale française de la WC, c’est-à-dire la World Company) qui serait bien heureuse de prendre en main, directement ou indirectement, les fabriques d’ouvriers, d’employés ou de techniciens nécessaires et suffisants à ses besoins. Il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas de main invisible assurant aujourd’hui l’adéquation parfaite entre l’offre et la demande dans le domaine du travail ; il est connu, par exemple, que, pour cause de sous-évaluation ou même de dévaluation “culturelle” de métiers non “intellectuels”, de nombreuses entreprises petites ou moyennes manquent de main-d’œuvre. Bien sûr, on sort, là, du strict domaine de la formation générale considérée plus haut ; mais il y a un lien entre les deux problèmes. Il serait sans doute utile d’envisager une modulation des cursus des jeunes, qui ne sont pas tous aptes ou disposés à suivre le même rythme que les autres. En outre, il est désormais admis que la vie ne peut se résumer en un découpage simpliste entre une époque d’enseignement primaire (qui est nécessaire), une autre d’enseignement secondaire, puis professionnel, suivie d’une longue tranche de vie consacrée à la vie active : il y aura nécessairement, pour cette dernière période, de loin la plus longue, alternances répétées entre activité et formation, au sens large du terme. L’objectif du secondaire doit rester la culture générale, celle qui permet la communication avec les autres, mais aussi assure la maîtrise des sources d’information utiles à la vie, sans pour autant avoir à accumuler de manière excessive des savoirs qui peuvent s’avérer inutiles ou vite dépassés ; le développement de la responsabilité et du respect des autres ; il doit être l’apprentissage de l’apprentissage pour savoir exploiter ces sources d’informations ; il doit être le développement du sens critique. Il supposera de plus en plus la pratique d’au moins une langue étrangère pour tous. Vaste programme entraînant une remise en cause des organisations, des contenus de programmes et des responsabilités qui suppose de profonds changements en peu de temps dans notre système éducatif.

Qu’en est-il donc de ces manifestations récentes ? Si on n’a pas entendu tout cela au cours des derniers mois, tant de la part du ministre que des partenaires, je pense que l’essentiel y était [3]. Mais la machine éducative est lourde à faire bouger, et le ministre du moment avait de toute évidence pas mal de problèmes pour bien communiquer et dialoguer [4]. Les contenus des enseignements à mettre en œuvre sont probablement peu différents de ceux qui sont pratiqués, les moyens et les personnels existent : le problème serait-il donc dans le camp des jeunes et de leurs familles ? Y aurait-il des pressions des milieux du business, laissant évoluer le système vers une situation qu’ils se proposeraient de “sauver” à leur manière ? Les rigidités sociales et culturelles du pays sont-elles incontournables au point d’empêcher toute évolution qu’il vaudrait mieux gérer ensemble que subir ? S’agirait-il de luttes d’arrière garde pour prolonger des modes d’enseignement anciens, habitués à se contenter de reproduire les schémas et les contenus antérieurs ?

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N’y aurait-il pas une opposition à la mise en œuvre des principes de base du distributisme que sont la gestion démocratique locale et la distribution à tous des “ressources” exceptionnelles et essentielles pour l’avenir que sont les savoirs et les modes d’adaptation ?

Pour beaucoup, une chose est claire : les informations transmises aux jeunes ne sont pas des marchandises, et les comportements induits, que ce soit par “l’éducation” ou par l’exemple, ne doivent pas être considérés comme de futurs moyens de production pouvant faire l’objet d’évaluation économique. Il est nécessaire que toute solution à venir prenne en compte cet impératif, étant entendu qu’il faut aussi trouver la meilleure adéquation possible entre la formation professionnelle des jeunes et les besoins potentiels d’un système socio-économique, qui, selon nous, doit permettre à chacun, à un moment ou à un autre de sa vie, selon ses aspirations propres, de participer utilement et sans être exploité, à la création des richesses nécessaires et suffisantes à la communauté.

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[1] car, appartenant à la génération nourrie par la louve romaine, de la 6ème à la terminale, il m’en était resté encore quelques traces.

[2] nous avons publié en janvier 1999 un numéro spécial à ce sujet. Il est intitulé Mais où va le service public ? GR-ED N°984.

[3] je rappelle que mes propos n’ont pas la prétention d’être ceux d’un expert, loin de là : vous avez le droit et même le devoir de relativiser…

[4] la signature rapide, par son successeur, de l’accord sur le statut des professeurs de l’enseignement professionnel en est une preuve

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Lectures

Sous forme d’entretiens avec Gilles Luneau, journaliste et auteur de Les nouveaux paysans [1] José Bové et François Dufour ont publié récemment un livre [2] pour le moins dérangeant, dont le titre reprend le slogan Le Monde n’est pas une marchandise, lancé lors de manifestations contre l’OMC à la fin de 1999, et le sous-titre, Des paysans contre la malbouffe. Dans le papier ci-dessous, dont le titre est une citation de François Dufour, André Prime nous incite à le lire tous.

« Nos luttes construisent l’avenir »

par A. PRIME
mai 2000

Inconnus du grand public, presque autant que la Confédération paysanne dont ils sont les leaders, François Dufour (FD), mais surtout José Bové (JB), ont été projetés sur le devant de la scène. Lorsque José Bové a été emprisonné à la suite du démontage symbolique (portes et fenêtres) d’un MacDo en construction à la sortie de Millau, le 12 août 1999. Démontage et non saccage comme les médias l’ont immédiatement annoncé. Ces mêmes médias, depuis Seattle, s’empressent de solliciter le passage de José Bové sur leurs antennes. Au cours du dernier à ce jour, le dimanche 9 avril, Ruth Elkrieff mettait aux prises Madelin, l’ultra libéral, et José Bové. Le premier n’y brilla guère, son seul argument étant “votre antiaméricanisme primaire”, alors que Bové était très à l’aise comme d’habitude.

La couverture du livre de Bové et Dufour reproduit la photo d’un Bové menotté, bras en l’air, arborant un sourire et une moustache triomphants. Bové n’accepta de sortir de prison que lorsque la caution (100.000 F. ) fut couverte par des dons provenant du monde entier, y compris d’Amérique [3]. Avec Seattle, la médiatisation de Bové, discourant en anglais, et de la Confédération paysanne furent au zénith.

Mais il ne faut pas s’y tromper : ce qui éclate maintenant au grand jour est le fruit d’une lutte longue, méthodique, fortement structurée et organisée. Si la Confédération paysanne pèse aujourd’hui 20,6 % dans les instances syndicales paysannes, et la FNSEA moins de 60 %, c’est que depuis plus de 30 ans, la lutte est engagée contre la sujétion de la FNSEA aux forces du productivisme : qui sont, en amont, banques (essentiellement le Crédit Agricole), fabricants d’aliments, de produits chimiques, de machines agricoles et en aval, industries agro-alimentaires, grandes surfaces, etc.

Les connaissances, les réflexions, le style des auteurs sont une précieuse source d’enrichissement. Peu de livres m’ont autant apporté. Donnons la parole à nos auteurs, bien que quelques citations ne soient qu’un pâle reflet de la richesse d’un livre que les lecteurs de la GR-ED doivent absolument se procurer :

La malbouffe : La première fois que j’ai employé le mot, c’était le 12 août, devant le MacDo de Millau… J’ai d’abord employé l’expression “bouffe de merde”… et je l’ai vite transformée en malbouffe parce que c’était plus poli. Le mot a fait tilt : peut-être parce qu’à travers la nourriture, au-delà de la vigilance sanitaire, on touche aussi le goût et la manière de se nourrir… Dans les MacDo, la viande servie est recomposée à partir des plus bas morceaux des vaches de réforme, tout ce qui ne peut pas être utilisé comme viande à rôtir » (JB). Conclusion : « Petit à petit… on bouffe, on ne se nourrit plus. »

Toute cette malbouffe est l’aboutissement d’un demi-siècle d’une marche forcée vers un productivisme de plus en plus aliénant : usage des hormones, des farines animales, des OGM ; mono-élevages industriels, concentrations, monocultures intensives, pollution des sols, du sous-sol, de l’air ; le tout sous l’œil tutélaire de la FNSEA (grands prêtres du productivisme) et globalement des pouvoirs publics, que ce soit au niveau de la France ou de l’Europe.

Les subventions à l’exportation : Les subventions aux exportations (financées par l’argent des contribuables européens) sont complètement perverses parce qu’elles aggravent les jeux de spéculation dans les échanges mondiaux et torpillent les tentatives des pays en voie de développement d’organiser leur autosuffisance alimentaire (JB).

L’irrigation agricole (surtout pour le maïs) mobilise dans certaines régions jusqu’à 80 % de la ressource en eau… Très largement subventionnés, les agriculteurs paient à peine 10 % du coût, pour l’essentiel supporté par la collectivité…

Le jeu des banques : Le Crédit Agricole est devenu aujourd’hui la première banque européenne, au troisième rang mondial du classement par fonds propres (145 milliards de FF ; il finance 80 % du monde agricole (FD). Cette banque est la clé de voûte du productivisme agricole.

En moins de quarante ans, soit à peine deux générations, le nombre de paysans a été divisé par cinq.

Les hormones : Monsanto, géant mondial de la pharmacie, que l’on retrouve sur les OGM et les pesticides, a investi des sommes considérables pour mettre au point une hormone de croissance permettant d’augmenter jusqu’à 20 à 25 % la production lactée d’une vache sans lui donner davantage de nourriture (JB). José Bové rappelle l’occupation en 1990 du siège Monsanto-Europe, à la Défense, pour alerter l’opinion. Il y a déjà dix ans ! Qui s’en souvient ? Il dénonce l’absurdité de la méthode : Alors que l’Europe encadre, par une politique de quotas, sa production laitière pour éviter une surproduction, à quoi servirait cette hormone, sinon à produire… plus de débouché pour la pharmacie ? (JB)

Évidemment, utiliser les hormones pour 5 à 10 % de poids de carcasses en plus, soit entre 500 et 1.000 FF. par bovin est bénéfique pour l’éleveur. J.Bové dénonce l’escroquerie, car la viande artificiellement gonflée aux hormones, c’est de l’eau vendue au prix de la viande.

Farines animales : à leur insu, les éleveurs anglais ont distribué à leurs vaches laitières jusqu’à 3 à 4 Kg par jour de farines animales dans les 10 à 15 Kg d’aliments concentrés, pour qu’elles produisent leurs 7.000 à 10.000 Kg de lait par an. En France, les éleveurs… ignoraient qu’ils donnaient du mouton et de la vache à manger à des ruminants. Et qu’on recyclait les bêtes malades. Et aujourd’hui, les sacs de farines ne précisent toujours pas leur composition exacte, ni leur provenance. Aucune traçabilité, alors que le scandale dure depuis bientôt quinze ans ! (JB).

Élevages industriels : Jusqu’en 1960, une loi limitait la taille des ateliers porcins à moins de 1.000 porcs. Aujourd’hui, il y a des élevages de plus de 2.000 truies, soit avec leurs porcelets, près de 20.000 porcs (FD). Les petits éleveurs, moins compétitifs ou endettés, ont disparu : Au début des années 70, les Côtes d’Armor abritaient 26.000 élevages porcins : il en reste moins de 3.000 aujourd’hui, pour trois fois plus de production… Les plus gros élevages ont montré “l’exemple” avec des agrandissements illégaux allant jusqu’au triple du volume autorisé. La fraude est un sport prisé que les banquiers n’ont jamais rechigné à financer et qui s’est épanoui grâce au laxisme des pouvoirs publics, voire leur complaisance (FD). Il dénonce aussi les élevages avicoles allant jusqu’à 30.000 volailles.

Le dernier quart du livre est si riche en renseignements et réflexions (aide à l’agriculture : 100 milliards de FF dont 80 % pour les “productivistes”, le trust de l’eau, l’AMI, le Terminator, et bien sûr Seattle, où la Confédération paysanne et les auteurs jouèrent un rôle majeur) qu’on ne peut que renouveler à nos lecteurs le conseil de se procurer “Le monde n’est pas une marchandise”.

Pour terminer, laissons la parole à J.Bové : « Permettez-moi une comparaison, relative, avec la Révolution : les États Généraux de 1789 se sont faits, village par village, sans harmonie de l’un à l’autre ; c’est seulement la masse des documents issus de ce processus, leur somme, qui a tout fait basculer. Je crois qu’il faut garder cet esprit de quête diffuse et ensuite chercher la cohérence dans les revendications qui sortent. Le blocage de l’hôtel Sheraton [4] de Seattle a été la prise de la Bastille ; même si cela risque d’être trop long, il nous faut aller vers la Constituante.… Un contre-pouvoir citoyen est né à Seattle… De toute façon, dans la bagarre, si on n’a pas l’espoir de gagner, si on ne croit pas que l’être humain peut gagner, ça ne vaut même pas la peine de commencer à se battre. »

Ce n’est pas le cas de nos auteurs, que l’on a revus à Davos et qui préparent une antenne de coordination installée à Genève, où se trouve le siège de l’OMC.

Qui sont José Bové et François Dufour ?

José Bové est né en 1953 à Talence (Gironde). Fils de chercheurs de l’INRA, il passa avec eux aux États-Unis plusieurs années de sa prime jeunesse : d’où son parfait anglais. En 1968, à 15 ans, il se bagarre déjà : il est antimilitariste. De là sa mobilisation contre le camp militaire de Larzac (comité Larzac) où il rencontre Bernard Lambert, auteur en 1970 des “Paysans dans la lutte des classes”. Bové s’engage dans la lutte paysanne. Il s’installera en 1976 sur le Larzac comme éleveur de moutons (son slogan est alors : « Des moutons, pas de canons ! » et producteur de Roquefort à Montredon, où il vit toujours… quand il n’est pas ailleurs entrain de mener des combats (il est représentant de la Coordination paysanne européenne).

François Dufour, même âge que Bové, a repris la ferme de ses parents dans la Manche, près de Saint James. Contrairement à Bové, le révolté à 15 ans, F. Dufour suit d’abord le mouvement productiviste. Mais il comprend rapidement que la voie est sans issue pour les petits paysans, déjà à l’époque pressés par les forces du productivisme (voir ci-contre). En 1974, avec d’autres paysans de la Manche, il prend la route du Larzac, où il rencontre les ouvriers de chez Lip. Son regard sur le monde, sur les gens, change. En 1978, il quitte la FNSEA et monte avec ses amis un “Comité de Solidarité des petits et moyens paysans”. Il décide de “produire autrement”.

En 1981, après la victoire de la gauche, F. Dufour rejoint la CNSTP fondée par Bernard Lambert qui prône une “agriculture paysanne”. Elu délégué de la manche au Comité National, c’est alors qu’il fait la connaissance de José Bové, lui-même élu de son département. C’est le début de “vingt ans de connivence”.

En 1987, à Bondy, 500 délégués venus de 70 départements, tous défenseurs d’une agriculture paysanne, fondent la “Confédération paysanne”.

En 1995, F.Dufour devient porte-parole national de la Confédération paysanne. Il est, comme tel, désigné à la vice-présidence d’Attac. Ainsi, deux luttes, ayant le même but, lutter contre les méfaits du néolibéralisme mondial, peuvent être menées de front.

A.P.

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[1] éd.Le Rocher, 1997.

[2] éd.Syros, la Découverte. 2000.

[3] Des consommateurs et des paysans américains envoyèrent 30.000 Frs.

[4] hôtel où se tenait la réunion de l’OMC.

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Dans notre société, gérée selon l’adage anglo-saxon « le Temps, c’est de l’argent », la vitesse est devenue le critère imposé à tout fonctionnement, et dans tous les domaines de l’activité humaine. Comme l’a dit Paul Virilio : « Il nous faudrait absolument une économie politique de la vitesse, ou ce que j’appelle une “dromologie [1]”, c’est à dire une discipline qui s’intéresse aux ravages de l’accélération et de la course ».

Parlons dromologie…

par J. AURIBAULT
mai 2000

Il n’existe aucune figure mythologique ou religieuse correspondant à la notion de vitesse. Et pourtant, la mythologie grecque en particulier, fourmille de personnages évoluant dans l’imaginaire ou la réalité, associés à la nature matérielle ou humaine. La vitesse n’apparaît que vers 1536, avec l’acception “d’habileté” (on perçoit déjà la dérive de sens, depuis … !) Ce vocable vient de vite, adjectif et adverbe, dont l’origine est... inconnue ! Aussi la dévotion contemporaine à la vitesse qui nous ferait croire que cette notion est éternelle, qu’elle est une donnée fondamentale née avec le premier homme, relève-t-elle de préjugés à la mode. En fait, elle n’a de réalité que dans les sciences physiques, au même titre que l’accélération, sa dérivée.

Mais cette manie scientiste de réduire l’homme à une application scientifique, de vouloir réguler sa vie selon des critères mathématiquement déterminés (voir l’importance accordée au sacro-saint QI), a permis à la vitesse d’envahir notre espace-temps. D’ailleurs la vitesse est une notion toute relative. Les savants Cosinus ou Tournesol vous démontreraient que si l’on change de références spatio-temporelles, Achille n’a jamais rattrapé la tortue [2], bien qu’en apparence, dans le monde où nous vivons quotidiennement, Achille “aux pieds légers”, double toujours la tortue !

L’homme créa la vitesse, et jugea que c’était bien.

Il faut remonter au début du XXème siècle pour trouver une sorte d’apologie de la vitesse, chez l’écrivain italien Filippo Tomaso Marinetti. Dans son Manifeste technique de la littérature futuriste (1909), il exalte la vitesse dans l’action, la vie rapide et belliqueuse. Sa mystique qu’il prétend “moderne”, le conduira à épouser l’idéologie fasciste, dès ses débuts (il devint même académicien italien !).

Le culte de la vitesse s’annonçait déjà sous de fâcheux auspices...

Il serait fastidieux d’énumérer tous les domaines où la vitesse est devenue l’objectif primordial. Trois initiales symbolisent, en France, cette fuite en avant : TGV. Ce train d’enfer ne nous laisse qu’entrevoir les paysages, car on ne voyage plus, mesdames et messieurs, on respecte la ponctualité de l’horaire. (La SNCF publie même une statistique des retards !) Finis les wagons restaurants confortables, on ingurgite les “fast food”, dans des buffets-bars mobiles. Mais cela participe de notre nouvel art de vivre, emprunté à la restauration rapide, made in USA (“Quick lunch” chez MacDo !). Mais J.Bové est plus expert que nous pour parler de cette malbouffe…

Cette vitesse qu’on nous impose n’a pas pour autant supprimé les risques de vivre [3]. L’automobile en est l’illustration flagrante. Regardez votre compteur de vitesse, il affiche jusqu’à 220 km/h (232 pour la 607 Peugeot). Mis à part le circuit de Montléry, où rouler à cette vitesse sans danger ? D’où le paradoxe qui consiste à construire des voitures pouvant rouler à plus de 200 km/h, et parallèlement fabriquer des radars sophistiqués afin de contrôler si elles ne dépassent pas 130 km/h. Nous sommes là dans ce qu’on appelle une logique industrielle qui défie le bon sens, et la sécurité élémentaire. La vitesse engendrera encore combien de morts cette année sur les routes ?

Et le sport n’est pas épargné par cette quête effrénée de la vitesse [4]...

Économie libérale = source de dromopathologies

En attendant qu’une dromologie soit développée, selon les vœux de Virilio, les acteurs de l’économie souffrent déjà de maladies chroniques imputables à la vitesse, d’où le néologisme de dromopathologie.

Jusqu’au milieu du XXème siècle, l’homme pouvait présenter des symptômes de chronopathologie, c’est à dire un mal-être dû à ses rapports difficiles avec le temps [5]. Il s’agissait plus d’angoisses métaphysiques, vieilles comme le monde, résultant de la prise de conscience du temps psychologique de courte durée, par rapport au temps scientifique infini. Or, depuis que vers les années 1970, l’informatique s’est introduite insidieusement dans les activités humaines, la vitesse a acquis une nouvelle notoriété, au point de menacer la sphère intime [6], aussi bien que l’espace géographique. Avec la compression des durées et des distances, que permet le développement de la cybernétique, secondée par les puissants moyens de communication, la domination de la vitesse s’est imposée Dans notre société de consommation, temps et prix mènent le jeu, mais c’est sans conteste la vitesse qui fait les gagneurs. La pression des clients est telle qu’on les fidélise par la rapidité d’exécution des commandes, “juste à temps” est devenu le leitmotiv. Et pour le manageur, la santé de l’entreprise passe d’abord par une rentrée accélérée de l’argent, afin de dégager très vite son profit… et régler les commissions occultes ou institutionnelles. Dans ce type d’entreprise, le profil idéal du bon collaborateur, pour un patron moderne, c’est le superman, celui qui après 12 heures de voyage (d’affaire) participe au briefing du vendredi, et rentre chez lui pour le week-end avec son attaché-case débordant de dossiers. Il rejoint l’employée “métro-boulot-dodo” du supermarché Auchou, dans la catégorie des aliénés intérieurs, tels que définis par Marx [7].

Et l’homme découvrit le stress... un des symptômes caractéristiques d’une dromopathologie, cette maladie qui commence par ce constat : « je n’ai plus de temps à moi, je suis full up [8] ! » Notre superman (le qualificatif de speedman serait mieux approprié) doit, malgré sa fatigue, paraître en pleine forme (en évitant de dire qu’il a pris ses cachets dans l’avion avant de rejoindre l’entreprise). Que dire de la caissière d’Auchou devant garder le sourire et maintenir les cadences d’enregistrement ? Si vous vivez dans une sphère protégée du maelström professionnel, allez voir le magnifique film Ressources humaines, il vous ressourcera dans l’ambiance actuelle du monde du travail. Vous comprendrez mieux pourquoi les récentes études sur ce monde révèlent une médicalisation croissante des travailleurs (intellectuels ou manuels, pour reprendre les catégories traditionnelles). Et n’en déplaise à Martine Aubry, son initiative de vouloir imposer 35 heures à un patronat antédiluvien n’a fait qu’aggraver les conditions de travail. “Flexibilité, souplesse” ne sont que des mots vides de sens pour des actionnaires qui ne visent qu’à un retour (à toute vitesse !) sur investissements.

Toujours plus vite, avec Internet.

C’est la dernière explosion technologique, aussi décisive que le fut celle d’Hiroshima pour le nucléaire. C’est maintenant la toile de fond de notre économie et malgré ses détracteurs [9], la ruée vers l’écran salvateur s’est amplifiée. Les “start-up” ont fleuri, cherchant des investisseurs, travaillant 60 à 70 heures par semaine. Que dit Martine Aubry de ce défi ? Les salaires sont payés en argent virtuel pour atteindre leur seul objectif : être cotés en Bourse ! Les jeunes loups qui les dirigent ont servi, pendant quelques temps, de porte-drapeau aux tenants de la “nouvelle économie”. Car leur esprit d’initiative séduisait, ils voulaient aller vite pour se tailler une part de marché avant les autres, et toucher leurs “stock-options”. Mais les vieux bonzes de la bulle financière ultralibérale les ont vite rattrapés. Ils n’étaient pas assez “fair play”, et comme l’a déclaré J-M.Messier « les marchés ont commencé à faire le tri [10] ». On ne joue pas impunément dans la cour des grands, qui vous imposeront toujours votre vitesse de croisière.

Il court, il court le génome...

La Croix du 7 avril, juxtapose deux articles : l’un commente la menace qui pèse sur le Paris-Roubaix (la plus célèbre des classiques cyclistes) et l’autre annonce qu’une société américaine a achevé le séquençage du génome humain (qui « attise les appétits » !). Ce rapprochement, apparemment fortuit, devient tout à fait évident après lecture ; il s’agit en effet de compétitions. Si « les pavés de Paris-Roubaix restent fragiles », selon le journaliste, on peut dire que le pavé que vient de lancer Celera Genomics (en français : Scélérat Génomique ?) dans la mare biotechnologique, paraît lui, énorme. Dans son usine-laboratoire de Rock-ville, la société privée de l’américain Craig Venter défie le plus grand programme international jamais mis en place en biologie : le déchiffrage du génome humain. En fait, elle veut prendre de vitesse le NIH [11] et le club des Bermudes [12], avec pour objectif de breveter ses trouvailles.

Le droit à la lenteur !

De tous ces exemples récents touchant les différents domaines de l’activité humaine, on ne peut s’empêcher de craindre, devant cette fuite en avant inexorable (qui n’est pas synonyme de progrès), que la démocratie représentative cède la place à une gestion instantanée (en temps réel comme disent nos informaticiens) de la planète. La recherche en commun de bonnes solutions économiques et sociales devra remplacer l’audimat et le sondage internetisé qui nous attendent. La mise à disposition des découvertes scientifiques, comme fruits d’un patrimoine collectif, devra combattre les intentions purement mercantiles.

Au début du siècle, Teilhard de Chardin s’interrogeait déjà, sur le futur de cette course contre le temps : « En l’Homme, chose fantastique, c’est l’évolution qui rebondit sur soi tout entière. Mais avec quelle vitesse ? Dans quelle direction ? Et si le mouvement va par force s’accélérant sans cesse, vers quelle forme d’émergence ou de consommation ? »

La vitesse ne profite finalement qu’à ceux qui possèdent et spéculent. Elle est devenue un culte, une drogue pour certain. « Quand on invente l’ascenseur, l’escalier devient de secours, il perd sa réalité sauf en cas d’accident. De la même manière, avec le monde virtuel, on peut craindre que la planète terre ne devienne de secours ! Je ne dis pas que la vitesse est un mal en soi, mais qu’elle doit être contrôlée pour ne pas se laisser enfermer dans une fatalité infernale [13]. »

Pierre Sensot, dans son livre Du bon usage de la lenteur, tente d’apporter quelques remèdes à la folie de la vitesse, mais où est le philosophe ou l’écrivain qui tentera de définir le droit à la lenteur, comme le fit Paul Lafargue pour le droit à la paresse ?

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[1] Néologisme dérivé de drome, qui vient du grec dromos = course (comme dans vélodrome, hippodrome...)

[2] Allusion au cébèbre problème de l’étude mathématique des suites : Achille court après une tortue en franchissant à chaque instant la moitié de la distance qui les sépare. Théoriquement, il ne peut pas la rattraper : il lui faudrait un temps infini. On voit dans cet exemple la différence entre mathématique et physique…

[3] De vivre ou de mourir ! Actualité du 8-03-2000 : trois morts le long de la ligne TGV, dans l’Yonne. Ils travaillaient dans une équipe d’entretien et ont été fauchés par un TGV, roulant à 300 km/h… La vitesse ne garantit pas la prise en compte d’une plus grande sécurité, comme le montre I’augmentation inquiétante des accidents du travail, dus aux cadences, donc à la vitesse.

[4] Parler de sport aujourd’hui, revient toujours à confronter les résultats des compétitions et non le développement harmonieux du corps. Le soldat inconnu de Marathon qui s’écroula à l’arrivée avait au moins l’excuse de porter un message capital pour la Cité... Quel est le message délivré par les athlètes qui décèdent à l’arrivée, victimes du dopage ? On est alors contraints de créer, comme pour l’automobile, un contrôle, non pas de la vitesse elle-même, mais du stimulant qui accélère la vitesse. Encore un paradoxe qu’entraîne le culte de la vitesse.

[5] Celui qui s’écoule, bien évidemment. Il faut avouer, à ce propos, que la langue anglaise est plus précise concernant le temps, distinguant time de wheather.

[6] Un autre aspect de “l’effet de sphère”, psychologique celui-là !

[7] Je sais qu’il n’est plus à la mode, et pourtant un siècle après, certaines de ses analyses restent tellement pertinentes !

[8] Expression la plus usitée, équivalente à notre “débordé” ou “raz la casquette”, souvent suivie de « salut ! je vous quitte, je suis à la bourre ! ». Autre variante, « je suis too busy » . Ce « trop occupé » doit être prononcé avec un accent d’accablement et de désolation...

[9] Dans le Monde de l’éducation de juin 1999, le sociologue Dominique Wolton n’a pas hésité à faire « l’éloge de l’lnterniet enseignant. »

[10] C’était le titre, en caractères gras, de La Croix du 5 avril dernier. Suivait un entretien du patron du groupe Vivendi sur les soubresauts de la “Nouvelle économie”. Fort de ses 272,9 milliards de francs de chiffre d’affaires en 1999, il peut prédire « qu ‘il ne doit pas y avoir de séparation durable entre la nouvelle économie et l’économie traditionnelle ».

[11] Institut public américain de recherche sur la santé.

[12] huit grands laboratoires internationaux qui se partagent l’étude du génome et doivent verser dans le domaine public leurs résultats.

[13] Paul Virilio.

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Pétition à l’initiative d’ATTAC, de la CCC-OMC et de la Confédération paysanne

Voici une pétition que nous vous invitons à signer et faire signer, puis à envoyer au journal qui transmettra à Attac.

Pour le contrôle citoyen de l’organisation mondiale du commerce (OMC)

par ATTAC France
mai 2000

Nous soussignés, ayant constaté :
- que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) agit dans l’opacité, hors de portée de toute instance de contrôle ;
- que les “groupes spéciaux” de son Organe de règlement des différends (ORD) rendent des jugements, autorisent des sanctions et établissent une jurisprudence ne tenant aucun compte de la santé publique, de l’environnement, des droits de la personne humaine ou du travail ;
- que l’OMC, en voulant traiter les produits de l’agriculture comme n’importe quelle marchandise, risque de compromettre gravement la sécurité alimentaire des peuples ;
- que cette organisation met la liberté de commercer des entreprises transnationales au-dessus de toutes les valeurs humaines y compris l’éducation, l’environnement, la culture et la liberté elle-même ;
- qu’en déclarant les normes, règlements et lois “barrières au commerce” elle compromet gravement la capacité des gouvernements à protéger leurs citoyens ;
- que le principe de “traitements spéciaux et différenciés” dont devraient bénéficier les pays en développement, en particulier en matière de délais d’application, n’est pas respecté ;

Nous demandons à nos représentants aux Parlements nationaux et au Parlement européen, à nos gouvernements, à la Commission européenne et à l’OMC elle-même de faire en sorte :
- que les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, des transports, de la communication, et plus généralement des services publics d’intérêt général, soient définitivement hors champ de l’OMC et ne fassent l’objet d’aucune négociation ;
- que la sécurité alimentaire des peuples soit garantie et les agricultures paysannes protégées ;
- que les “groupes spéciaux” siègent en public et admettent des documents et arguments émanant de la société civile ;
- que le droit qui les régit soit subordonné en toute circonstance au droit international reconnu : Déclaration universelle de 1948 des droits de l’homme et protocole de 1966, accords multilatéraux sur l’environnement (AME), conventions de base de l’OIT, … ;
- que la brevetabilité du vivant soit interdite, que les ressources génétiques soient déclarées bien commun inaliénable de l’humanité et que les accords de l’OMC respectent strictement la biodiversité ;
- que l’eau soit considérée comme bien commun de l’humanité et soustraite aux logiques marchandes ;
- que chaque pays ait le droit de produire et de distribuer sur son territoire les médicaments de base, en particulier ceux susceptibles d’enrayer des épidémies telles que le SIDA, le paludisme et la tuberculose ;
- qu’un moratoire sur toutes les négociations en cours ou programmées soit déclaré, tant que les premières mesures évoquées ci-dessus n’auront pas été acceptées, et qu’un bilan complet du système GATT/OMC soit effectué.

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Tribune libre

Le hasard a fait que deux objections, complètement à l’opposé l’une de l’autre, nous ont été présentées presque en même temps.

Ce rapprochement ne prouverait-il pas que “in medio stat virtus”, la sagesse et le réalisme se situent entre les extrêmes.

In medio stat virtus

par M.-L. DUBOIN
mai 2000

La première est venue oralement, lors d’un débat suivant une conférence. J’avais dit que je m’étonnais qu’on ne m’ait, et pour la première fois, pas objecté que si chacun était assuré d’avoir un revenu décent, plus personne ne voudrait travailler. Et je m’en réjouissais, estimant que ceci correspond à une évolution des mentalités. Car pour ma part, j’ai toujours été persuadée qu’à condition d’en avoir les moyens matériels et, il faut le dire, également culturels, tout individu normalement constitué s’adonne à de multiples activités, s’y intéresse spontanément, bénévolement, et les remplit du mieux possible, sans compter sa peine. Mais, j’ajoutais que j’en avais maintenant la preuve car, ayant pris ma retraite en même temps que beaucoup de mes amis, je constate que tous nous sommes actifs, très actifs, et bénévolement et nous nous investissons dans ces activités en les choisissant sans la moindre contrainte.

C’est alors qu’un auditeur me demanda : « Mais en ED, que faites-vous de ceux qui ne veulent absolument rien faire ? » Je lui répondis qu’à notre époque ce ne peut plus être considéré comme un problème, car notre société a parfaitement les moyens d’entretenir quelqu’un qui refuse toute participation. Et puis j’ajoutai : « Pour moi, quelqu’un qui ne s’intéresse à rien, ne veut absolument rien faire d’autre que boire, manger, dormir, soit le minimum pour survivre, est un handicapé ». J’ajoutais que cela devait pouvoir se soigner. Mon interlocuteur parut d’abord scandalisé de cette réponse, puis nous nous sommes expliqués. Et il est apparu qu’il avait compris que je considérais comme des malades ceux qui, aujourd’hui, dans le système capitaliste, refusent de “s’insérer” en acceptant n’importe quel emploi que, pour une raison ou une autre, ils jugent dégradant. Je l’ai rapidement rassuré et nous sommes tombés d’accord, et la salle avec nous, pour constater que cette situation est totalement différente selon qu’on l’envisage dans le système actuel, où le travail est une condition mise à la dignité de l’individu, même si ce travail est indigne, ou bien dans le système distributif où tout individu est assuré d’un revenu suffisant, ce qui le rend libre d’organiser sa vie comme bon lui semble, mais en accord avec son entourage par le contrat civique : c’est ainsi qu’il pourra choisir tout au long de sa vie ses activités de participation à ce qui constitue la richesse commune, dans quelque secteur que ce soit, et les alterner ou les associer avec des périodes où son activité n’aura d’intérêt que pour lui-même.

L’autre objection nous est arrivée par courrier, mais exprimée de façon plus virulente et bien plus péremptoire :

En “distributistes historiques”, vous vous obstinez à en rester à la première forme du distributisme, c’est-à-dire la vie cloisonnée en trois âges, d’abord la formation, ensuite un temps de service social imposé, et puis rien, la retraite. Vous refusez d’en changer un iota et c’est bien fait si vous êtes depuis soixante dix ans au goulag. Moi, je ne veux pas être tenu en laisse par un “service” imposé, fut-il social, et même pour très peu de temps. Je ne veux pas avoir à négocier mon activité avec des fonctionnaires, devenus inspecteurs de civisme et je ne veux pas voir revenir le collectivisme. C’est sur ce refus que je vais réussir où vous avez échoué et rallier les écolos et les distributistes, tous ensemble, sous ma bannière. Je veux que tous disent et redisent que “Duboin” égale “service social”, que c’est de l’histoire ancienne, et que tous désavouent les vestales qui veillent la flamme de ce soldat inconnu. Service social ou contrat civique datent du temps de la pénurie et vous cherchez avec eux à flatter les tenants de l’ordre moral. Vous avez bien tort de vous attarder sur les questions économiques qui ennuient tout le monde. J’accepte l’idée, après réflexion, que toute création de richesse entraîne une création de monnaie, mais savoir qui s’en charge ne m’intéresse pas, ni comment elle est distribuée, ni si elle circule ou pas, ni comment sont formés les prix, rien de cela n’est intéressant. Au lieu de faire la leçon à vos lecteurs sur ces sujets fastidieux, vous feriez mieux de les faire rêver à tout ce qu’ils seraient capables de faire avec les moyens du XXIe siècle, s’ils ne pensaient qu’aux usages de la vie quotidienne, aux rapports entre les sexes, entre riches et pauvres, entre l’homme et son environnement.

J.E Prosper, Vatan

Réponse. Vous nous traitez allègrement de mammouth, mais ça ne marche pas. Nous connaissons la chanson : dans l’idéologie libérale, être moderne c’est poser en principe “chacun pour soi”, laisser tout faire, n’importe quoi, n’importe comment, puisqu’une certaine main invisible résoudra tous les problèmes ! Si être moderne, c’est vivre pour soi sans s’occuper des autres, oui, nous sommes ringards.

Passons sur notre soi-disant refus de constater que la vie ne se découpe pas en trois âges, il suffit de nous lire.

Même mauvaise foi lorsque vous caricaturez le contrat civique, car il n’a jamais été question que ce soit des “fonctionnaires” qui aient à en décider, et lorsque vous voyez des inspecteurs de civisme, ils sortent de votre imagination.

Votre discours est typiquement celui du politicien politicard, qui n’hésite pas à affirmer n’importe quoi, même totalement faux, pour paraître génial tout en déstabilisant un adversaire, obligé de perdre son temps à rétablir les faits. Ce mépris de la vérité a pour résultat que l’opinion fait de moins en moins confiance aux hommes politiques (car il est plus observé chez les machos que chez les femmes) et croit de plus en plus aux “actions citoyennes” de la société civile.

C’est précisément sur ce point, sur la démocratie directe, active, participative, que vous vous opposez à nous. C’est parce que vous refusez de l’imaginer que vous caricaturez le contrat civique. Mais du même coup, c’est l’idée même de société que vous condamnez. Si chacun ne vit que pour lui, ne suit que son intérêt, ses “usages”, son désir ou sa fantaisie, il n’y a plus de société et votre distributisme, c’est le libéralisme actuel, la loi du plus fort, de celui qui a le plus de mépris pour les autres et c’est encore plus de gâchis qu’aujourd’hui.

Vivre en société, c’est reconnaître que sa propre liberté s’arrête où commence celle des autres. Et cette dernière, il faut la connaître pour la reconnaître. Comme nous ne voulons aucune dictature, pas plus celle d’un parti que celle de la finance, il faut bien mettre en place des instances de concertation pour décider ensemble d’une organisation minimum, pour se concerter à propos de qui fait quoi et comment. Le contrat civique n’est pas autre chose et il offre une dynamique puisqu’il est conçu pour évoluer.