La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 894 - novembre 1990

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N° 894 - novembre 1990

Se battre pour le revenu de base ?   (Afficher article seul)

Les prétendus succès de la rigueur   (Afficher article seul)

Nouvel Ordre Mondial   (Afficher article seul)

À la mémoire de J. MAILLOT   (Afficher article seul)

Sport-Spectacle   (Afficher article seul)

Japon, c’est nous qui trichons.   (Afficher article seul)

A qui la faute originelle ?   (Afficher article seul)

Résultats de notre sondage   (Afficher article seul)

Activus benevolus   (Afficher article seul)

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Se battre pour le revenu de base ?

par M.-L. DUBOIN
novembre 1990

Si le sondage, proposé en juin dernier, ne nous a à peu près rien appris que nous ne savions déjà sur la pensée des distributistes, il a eu cependant le mérite de montrer que nos lecteurs sont prêts à réagir lorsqu’on les consulte, et ceci est pour nous tous un grand encouragement. Je pense donc qu’il faut profiter de leur mobilisation pour les amener à réfléchir sur d’autres questions, plus constructives.

La première, la plus immédiate, est de savoir si les distributistes sont prêts à lutter pour que soit versé, dès maintenant, un revenu de base, sans condition, à tous les citoyens. Etant bien entendu que l’obtention d’un tel revenu constituerait, pour les distributistes, la transition vers l’économie distributive.

Rappelons le principe du revenu de base, qui est l’objectif de l’association européenne BIEN (Basic Income European Network) dont nous avons rapporté, dans ces colonnes, la création à Louvain-laNeuve en septembre 1986. Ce revenu, versé par l’Etat, est dû individuellement à tout citoyen (d’où le nom aussi de revenu de citoyenneté) quelque soit son âge, son sexe et son activité. Cela veut donc dire que le même revenu est également versé à tous les travailleurs, PDG y compris, qu’il s’ajoute donc aux autres revenus (éventuellement imposables) et que par conséquent, il sera (partiellement) repris, sous forme d’impôt, à ceux qui gagnent le plus. L’avantage du fait qu’il est versé à tous, sans condtion, est qu’il dispense d’en faire la demande. II supprime donc toutes les démarches et toutes les enquêtes, souvent humiliantes, qu’impose le RMI. II n’institution nnalise pas l’existence de deux classes : celle des nécessiteux à qui on accorde une aide, et celle des nantis, qui ont un travail ... ou une rente (d’où minimum (donc inférieur au SMIC) permettant tout juste de vivre chichement, mais qui permet aussi de refuser des emplois trop mal payés.

Comme il s’agit d’une redistribution (nous ne sommes pas en économie distributive), il pose le problème de son financement par l’Etat. La seconde assemblée de l’association BIEN en a débattu à Anvers en septembre 1988. Dans beaucoup de pays Européens, et même aux EtatsUnis, le débat s’est ouvert. Ce n’est guère le cas en France.

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Les prétendus succès de la rigueur

par P. HERDNER
novembre 1990

La politique de rigueur, dont on ne cesse de célébrer les vertus, a les défauts de la plupart des mesures inspirées par les doctrines de la droite  : iniquité des principes, incertitude et précarité des résultats.

L’iniquité propre à la rigueur est déjà inscrite dans la définition, ambiguë et paradoxale, qui en est donnée. Ce mot évoque

une discipline sévère qui s’oppose à tout laxisme. Or, d’une part, l’accent est mis sur deux règles, toutes deux contraires aux intérêts de la majorité des individus  : éviter le "dérapage" des salaires et restreindre les dépenses budgétaires (ce qui entraine une amputation des acquis sociaux). Et d’autre part, à l’égard des entreprises, on fait preuve d’un singulier laxisme quand on a soin de leur épargner "les contrôles et les réglementations", sans que le dérapage des profits (souvent spectaculaire !) suscite beaucoup d’inquiétude. Cette rigueur à sens unique a pour effet, c’est bien évident, d’aggraver les inégalités.

Nous sommes en droit, quand on nous dit que l’activité économique "redémarre", de demander au profit de qui. Mais à supposer que l’on considère ces effets de la rigueur comme réellement bénéfiques, force nous est de constater que la politique en question ne les entraine pas automatiquement, et que la situation n’en demeure pas moins "préoccupante" dans de nombreux pays où l’on tente de l’appliquer. La machine économique est lourde et complexe, et bien des facteurs y interviennent contradictoirement et d’une manière souvent imprévisible. Nous admettons que la rigueur a quelques chances d’entraîner une amélioration dans le domaine du commerce extérieur, pour cette raison évidente que la modération des salaires favorise les exportations (1) ; mais ces résultats, bien souvent, compenseront difficilement les malaises qui subsistent sur d’autres terrains. On pourra méditer à cet égard la situation actuelle de la Pologne : d’un côté l’excédent de la balance commerciale est remarquable et augmente rapidement, de l’autre le pays est aux prises avec de graves difficultés (2).

Mais nous porterons plutôt notre attention sur les pays où des résultats que l’on juge extraordinaires ont été obtenus grâce à la rigueur. Succès indéniables sans doute dans un premier temps (et aux yeux des conservateurs, peu sensibles à certains aspects humains du problème), mais précaires, comme le prouve un exemple particulièrement frappant : celui de la Grande-Bretagne.

II n’y a pas si longtemps qu’une revue française publiait un éloge dithyrambique de la Dame de Fer ("la première femme du monde" devant C. Aquino et Mère Thérésa) et de l’oeuvre accomplie par elle ("un stupéfiant bulletin de santé"). Or aujourd’hui, la popularité de Mme Thatcher est au plus bas, et elle est critiquée au sein même de son parti. Parmi les grands pays industrialisés, la GrandeBretagne a le record des inégalités (3), et le déclin est manifeste. Une fois de plus, il s’avère que la Roche Tarpéienne est souvent proche du Capitole. La "cruauté sociale" que M. Rocard imputait à Mme Thatcher au temps de sa gloire n’engendre pas que des triomphes...

Ce renversement de la situation était-il prévisible ? Certains événements, qui menacent gravement l’économie capitaliste dans son ensemble, surgissent à ("improviste. C’est ainsi que les débouchés, dont l’importance est primordiale dans notre régime, peuvent se trouver restreints d’une façon inattendue, par suite de causes exceptionnelles : l’embargo actuel fait apparaitre les céréales comme surabondantes, et l’économie du Canada, dont l’Irak était un gros client, en subit tout particulièrement le contrecoup (4) ; les pays qui "gagnent" sont tributaires de clients qui pourraient un jour décider de se tourner vers d’autres fournisseurs (source éventuelle d’inquiétude pour le Japon et la Corée du Sud). Mais d’autres évolutions sont plus normales et jusqu’à un certain point prévisibles : l’insuffisance du pouvoir d’achat, effet habituel de la rigueur, déséquilibre l’économie, et la révolte des déshérités pourra toujours, à terme, ébranler les situations acquises, de sorte que l’iniquité est une des sources de la précarité...

Les esprits clairvoyants savent déceler, sous les apparences trompeuses du succès, les causes de l’échec à venir. Sans doute les travaillistes anglais ont-ils eu cette clairvoyance, eux qui n’ont jamais ménagé leurs reproches au gouvernement conservateur (5).

Incertitude, précarité et iniquité des résultats, telles sont les tares que nous dénonçons dans la doctrine de la rigueur : un ordre apparent plaqué sur le désordre capitaliste. Seul un système dont les mots clés ne seraient plus croissance et compétitivité, mais justice et équilibre, pourra créer un espace d’ordre réel et de paix sociale, et engendrer une amélioration durable de la condition humaine.

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(1) Nous faisons cette concession sans enthousiasme. Envisageant la question dans une perspective mondialiste, on ne saurait oublier que le succès d’un pays a pour pendant la défaite d’un ou de plusieurs autres.

(2) "Le prix à payer pour la libéralisation de l’économie est lourd : la production industrielle a chuté de 30 % et le pouvoir d’achat des Polonais de près de 40 % depuis le début de l’année ; le chômage touchait plus de 500.000 personnes fin juin et pourrait doubler d’ici à la fin de 1990, atteignant un taux de 8 °/ de la population active". (Le Monde, 1 er septembre 1990).

(3) Voir Lu-Vu-Entendu, N°  893.

(4) Le Monde ,16 septembre 1990.

(5) Et André Prime, dans notre n° 875 terminait son étude sur la situation économique de la Grande-Bretagne, où certains éléments paraissaient satisfaisants, par ces mots prophétiques

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Nouvel Ordre Mondial

par A. PRIME
novembre 1990

Depuis quelque temps, et singulièrement depuis la crise du Golfe, nombre de dirigeants occidentaux font référence à un Nouvel Ordre Mondial. Peu de chose à voir avec le nouvel ordre économique mondial dont on nous rebat périodiquement les oreilles depuis une quinzaine d’années, et qui concerne plus particulièrement la réforme du système monétaire international (source de nombreux maux et disfonctionnements de l’économie), le problème de la dette des pays du Tiers-Monde, les échanges internationaux, l’activité et les méthodes du FMI, etc...

Le Nouvel Ordre Mondial en question a plutôt un relent, au niveau planétaire, de l’Ordre Nouveau que feu Hitler voulait imposer à l’Europe.

Trois événements sont à la base de cette "philosophie" nouvelle

- les événements survenus en 1989/1990 dans les pays de l’Est,

- la crise du Golfe,

- les problèmes relatifs à la survie de la planète qui sont posés avec force depuis quelques années : trou dans la couche d’ozone, réchauffement de l’atmosphère, vitrification et nuit nucléaires.

Les événements survenus à l’Est, à une rapidité incroyable et imprévue, ont mis fin à la guerre froide. Résultats les plus marquants

- sur le plan économique, retour à l’économie de marché dans les pays concernés,

- sur le plan militaire, éloignement de conflits potentiels Est-Ouest et tendance au désarmement. Mais la crise du Golfe suscite aussi des réflexions et des réactions qui renforcent l’idée d’un nouvel ordre mondial. Une haute personnalité américaine déclare : "La véritable signification de cette crise est qu’elle va définir le monde de l’après-guerre froide". Et Claude Imbert, dans le Point, écrit : "La confrontation du Nord et du Sud se lève tandis que l’agonie communiste éteint le conflit de l’Est et de l’Ouest".

Concrètement, comment se répartissent les grands acteurs du monde, au moment où se développe la crise du Golfe ?

Deux super-puissances politicomilitaires  : les Etats-Unis et l’URSS, toutes deux, à des degrés divers, économiquement malades, alors que, depuis un demi-siècle, elles étaient, l’une leader du monde capitaliste, l’autre leader du monde communiste.

Deux grandes puissances, essentiellement économiques (mais il apparaît clairement que la puissance politique leur sera donnée sous peu par surcroît) : l’Allemagne réunifiée et le Japon.

Un Tiers-Monde en pleine explosion démographique, pillé par les pays riches : financièrement (prêts) et matériellement (cours des matières premières).

La Chine, dont le devenir reste assez imprévisible, surtout après les événements de la place Tien An Men : un pays qui compte près du quart des habitants de la planète.

Etats-Unis

Nous l’avons maintes fois analysée dans ces colonnes : la politique de Reagan, le "grand communicateur", en huit ans, a conduit au déclin industriel et financier des Etats-Unis. L’inflation est repartie, les taux d’intérêts sont élevés car l’Etat, pour combler ses déficits, doit attirer les prêteurs ; mais ces taux élevés gênent les industriels, et effectivement, la croissance était en stagnation avant la crise du Golfe (croissance zéro avant l’été) ; la moitié des 2.500 caisses d’épargne sont en faillite (1) et "35 grandes banques pourraient faire faillite prochainement".

Cependant les Etats-Unis restent la première puissance militaire du monde ; la célérité et l’ampleur du déploiement de leur force dans le Golfe sont là pour le confirmer. Ils entendent bien garder et renforcer leur rôle de "gendarmes du monde", comme nombre de journalistes et personnalités le constatent couramment. Bush, dont la cote était au plus bas comme gestionnaire de la "maison Amérique", a brusquement crevé les plafonds dès lors qu’il a brandi la force.

Mais surtout, les Etats-Unis, qui consomment 25 % du pétrole mondial, ont désormais "pour satisfaire leurs besoins vitaux" (sic) besoin du pétrole du Golfe. André Giraud est catégorique : "L’économie américaine ne pourra plus fonctionner sans accès au MoyenOrient. II suffit, pour s’en persuader, de regarder la courbe des importations américaines de pétrole". (2)

Par leur intervention rapide et musclée dans le Golfe, les Etats-Unis font d’une pierre deux coups : ils apparaissent comme les meilleurs défenseurs du droit et s’installent durablement dans les pays qui produisent 60 % du pétrole mondial. Chevènement, pour une fois, voit clair ; il confesse en privé : "Les Américains veulent détenir la pompe à essence du monde". Et A. Giraud, homme de droite, fait écho "II me parait inacceptable de remplacer la domination de l’OPEP par celle des Etat-Unis".

Les Américains ont besoin de rester les gendarmes du monde, pourchassant tout ce qui s’opposera à leurs "intérêts vitaux"... et en plus tout ce qui aura une teinte de révolution communiste ou socialiste. Mais ils n’ont plus la richesse d’antan. Aussi font-ils payer la note de leur intervention par les autres dans la crise du Golfe, essentiellement l’Arabie Saoudite, l’Allemagne, le Japon, celui-ci marquant peu d’empressement à payer sa quote-part.

Le gendarme du monde américain, militairement puissant, continuera à avoir des "gendarmes satellites" dans les pays sous-développés auxquels il vendra des armes pour équiper en réalité des forces de police militaires, afin de mâter les révoltes potentielles des masses exploitées.

Pour conclure sur l’Amérique, rappelons pour mémoire qu’il est un autre domaine où elle règne et régnera de plus en plus sur le monde : celui de sa "culture" (American way of life, désastreuse pour la multiplicité et la variété des cultures du globe), séries américaines violentes et souvent infantiles, coca-cola et fast food du corps et l’esprit, etc...

URSS

Nous avons depuis un an régulièrement suivi la fuite en avant de Gorbatchev - qu’il n’avait sûrement pas prévue au départ -, fuite qui l’a conduit à la perte de son empire, à l’abandon total du socialisme et à l’économie de marché.

II a suffisamment de problèmes avec son économie et ses républiques pour être hors jeu pour longtemps. Mais il garde intacte sa puissance militaire. Dans sa rencontre avec Bush, il a sûrement fait admettre sans difficulté que ses problèmes intérieurs lui interdisaient de participer à l’équipée militaire du Golfe ; en contrepartie, il a confirmé son approbation des mesures prises par l’ONU.

Le marché de l’URSS va sûrement échapper à l’Amérique pour l’essentiel, car elle n’a plus les moyens financiers pour profiter de l’ouverture (3). Par contre les Allemands vont se régaler.

Allemagne et Europe

II n’y a plus ni RFA, ni RDA, mais seulement une grande Allemagne de près de 80 millions d’habitants, avec bientôt pour capitale Berlin. Berlin, capitale réelle d’une grande Europe, s’étendant un jour de l’Atlantique à l’Oural, comme de Gaulle l’avait évoqué.

Si nous "couplons" Allemagne et Europe, c’est - comme nous l’avons dit et répété depuis des mois - que l’Allemagne dominera l’Europe. Nos bons apôtres s’énervent et nous donnent raison. Le 25 septembre, s’est tenu à Paris un Forum Européen sur l’Allemagne. Delors et Fauroux se sont fâchés. Fauroux a demandé à l’Allemagne : "de cesser de pratiquer cette espèce d’autocontemplation dans laquelle elle se complaît et de penser un peu plus en termes mondiaux, c’està-dire de prendre un peu plus du fardeau des affaires du monde".

A propos de l’UEM (Union économique et monétaire), Delors s’impatiente : "Les Allemands en veulentils vraiment  ? Bien franchement, je m’interroge souvent... Nous avons besoin d’engagements clairs et sans ambiguités pour réaliser l’accélération prévue".

Et le Président de la Commission de Bruxelles fait part de ses craintes : l’émergence "d’une Europe qui rate son ambition politique... d’une Europe molle avec une Allemagne forte au milieu".

Depuis le début de la crise du Golfe, l’Allemagne est bien discrète. II est vrai qu’elle était fort occupée par la réunification. Alibi. L’Europe politique chère à Mitterrand et Delors n’intéresse guère la grande Allemagne. Mais il faut bien qu’il reste un hochet à cette France dont un ministre allemand disait qu’elle s’obstinait à vouloir voyager en première avec un billet de seconde.

L’Allemagne, avec ses réserves accumulées grâce aux excédents de sa balance commerciale, peut à la fois payer la reconstruction de la RDA, s’implanter profondément à l’Est où elle a déjà une bonne longueur d’avance, et être aux premières loges quand l’URSS s’ouvrira. Cela, c’est du concret, de la real-politik. C’est ça qui l’intéresse, bien plus que l’Europe politique.

Et après 45 ans, elle va pouvoir tirer un trait sur les complexes de culpabilité hérités du nazisme et réclamer, imposer une reconnaissance politique conforme à sa puissance économique.

Voilà comment l’Allemagne de 80 millions d’habitants se situera sur l’échiquier du Nouvel Ordre Mondial.

Japon

Quelques mots sur le Japon. La situation est assez comparable à celle de l’Allemagne : excédents commerciaux énormes, force de frappe industrielle et financière incomparable, puissance exportatrice, capacité d’implantation à l’étranger grâce à ses réserves.

Rappelons que 25 % des voitures

vendues aux Etats-Unis sont japonaises, que, sur les traces de Sony qui a racheté Columbia, Matsushita, numéro un mondial des téléviseurs et magnétoscopes, s’apprête à acheter MCA (studio Universal, entre autres), avec un chiffre d’affaires de 3,4 milliards de dollars.

Rappelons encore que 75 % de l’industrie automobile anglaise sont passés aux mains des Japonais (bravo Madame Thatcher, élève de Reagan il est vrai !)  ; que Mitsubishi et Daimler Benz, deux géants, sont en train de conclure toute une série d’accords ; qu’ils vont probablement s’associer pour construire en URSS une usine de production de bus et voitures (250.000 au départ).

Le Japon s’active aussi dans les pays de l’Est. A l’instar de l’Allemagne, le Japon ne se mêle guère de la crise du Golfe. A l’Amérique, la France, l’Angleterre la "défense du droit". Au Japon, les bénéfices, les investissements civils et à long terme (4). Le Nouvel Ordre Mondial ? Pour la fourmi japonaise, c’est un travail d’implantation en profondeur, loin des grands éclats médiatiques. C’est l’efficacité, l’Empire Economique.

En résumé, pour ce qui concerne l’Allemagne et le Japon, 45 ans après leur écrasement en 1945, les vaincus d’hier sont les vainqueurs d’aujourd’hui dans la "guerre économique", la compétition à outrance qu’a instaurée le Capitalisme.

Quelques mots sur les problèmes relatifs à la survie de la planète : la nécessité a permis que des dangers depuis longtemps dénoncés par divers mouvements ou associations soient enfin pris en compte par les gouvernements. Nos amis les Citoyens du Monde ont proposé depuis longtemps des solutions, notamment la remise entre les mains d’une Assemblée des Peuples et d’un gouvernement mondial d’un pouvoir, même limité et sélectif, seul capable de régir les très graves problèmes posés au niveau de la planète.

Mais notre ami, René Marlin, a parfaitement défini dans ces colonnes et ailleurs le risque de récupération par une sorte de gouvernement mondial des puissances dominantes (le G7, groupement des sept pays les plus riches en est la préfiguration). C’est probablement une des composantes du Nouvel Ordre Mondial. A surveiller.

Nous terminerons en soulignant l’importance d’un facteur que N.O.M. sous-estime ou veut ignorer facteur qui pèsera lourd, très lourd, dans les trente années à venir : la démographie galopante du Tiers-Monde et son appauvrissement concomittant.

A noter qu’en partie, cette démographie se développera dans des pays musulmans et que l’Islamisme sur fond de misère accrue (voir déjà les réactions des peuples arabes dans la crise du Golfe) posera problème au N.O.M. des riches et des puissants, car il représente une force fanatique.

Le tableau joint, dans lequel nous avons rapproché les pays par grands groupes, montre à quel point les objectifs du N.O.M. qui se dessine sont aléatoires. Les chiffres- absolus et pourcentages donnent le frisson. La courbe 19801990 et divers facteurs (influence religieuse, niveau de vie, etc ...) ont permis d’extrapoler les peuplements en l’an 2020 : les résultats sont angoissants. Les Grands de ce monde feraient bien d’intégrer ce paramètre dans leurs méditations pour un Nouvel Ordre Mondial. Cà leur éviterait des surprises ou des faux pas.

(1) Total : 2.500 milliards de francs, soit deux fois le budget de la France (Antenne 2, le 1er octobre).

(2) André Giraud, ancien ministre de l’Industrie de Giscard, et ministre de la Défense de 1986 à 1988, dans une interview au Monde, le 27 septembre.

(3) "Le fait est que les Etats-Unis sont structurellement incapables de contribuer d’une façon substantielle au financement

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À la mémoire de J. MAILLOT

par H. MULLER
novembre 1990

Ses familiers l’appelaient J.I.M.  Ils le savaient souffrant depuis des années, sans illusions. Un talent de tribun servi par une incomparable élocution lui avait campé une personnalité hors série mise au service de la meilleure des causes, celle à laquelle J. Duboin, l’ami des années trente dont il était resté le bras droit, l’avait initié. Toujours disponible pour appuyer une démarche, pour cautionner une action militante, s’intéressant à chaque initiative, donnant de sa personne en toutes circonstances, il savait se faire apprécier de tous ceux qui l’approchaient.

Son algarade avec Jean Coutrot avait marqué ses premiers pas de militant. Projeté sur l’estrade par J. Duboin, à l’issue d’une réunion contradictoire, sa forte personnalité s’était révélée en cette occasion, subjuguant l’auditoire. Coutrot lui offrait un pont d’or pour rejoindre ses équipes auxquelles le MFA faisait alors de l’ombre. De ce jour-là, Maillot l’incorruptible figura sur la liste noire des adversaires de la Synarchie.

En matière d’anecdotes, J.I.M restait intarissable : l’odyssée de Jean Nocher, sa "trahison", sa dénonciation du scandale de la Loterie Nationale, retirée devant l’Assemblée en échange de sa réintégration à la tribune de la radio d’où Nocher avait été écarté à la suite de son émission relatant un débarquement de martiens sur la capitale.

Son intervention, salle de l’UNESCO, face à un parterre de personnalités, ne saurait s’oublier. Interpellant Gaston Monnerville alors président du Sénat : "Pourquoi, lança-t-il, tout ce qu’il est matériellement et techniquement possible de réaliser ne peut-il l’être financièrement ? ". Une phrase qui avait laissé coi l’interlocuteur, resservie par la suite dans maintes circonstances, piégeant chaque fois les économistes classiques les plus coriaces.

Notre dernière rencontre se situe en octobre 1987. C’était à l’Aviation Club, sur les Champs Elysées, siège de l’ex-cercle européen, au temps de l’Occupation. Tel qu’en lui-même, à peine vieilli. Nous avions fait le point de nos vies assez parallèles, bavardé un long moment du passé, du présent, du futur, des disparus, des uns et des autres. II avait déjà décroché de l’action militante en raison de son état de santé, manifestant un certain désenchantement quant aux chances d’un aboutissement rapide d’une action économiquement révolutionnaire face au mur des lobbies, fer de lance des grands intérêts financiers, tout-puissants au niveau des médias et des centres politiques de décision.

Notre cher J.I.M n’est plus. Une mémoire s’est éteinte, celle d’un témoin irremplaçable de l’histoire riche et mouvementée du MFA de J. Duboin.

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Sport-Spectacle

par R. MARLIN
novembre 1990

Le sport c’est un sujet futile que des socio-économistes sérieux n’auraient pas traité. Voilà bien une des raisons pour que nous en fassions l’objet de cette chronique.

Et tout d’abord, si j’emploie le conditionnel passé, c’est à dessein. Les choses changent  : l’accessoire est en passe de devenir essentiel.

En effet, des revues de réflexion comme "Economie et humanisme" et "Transversales Science Culture" ont publié récemment des études sur le sport et particulièrement le football. La première s’intéresse au marché du travail des footballeurs (1), la seconde à la violence dans ce qui était, il y a peu, un jeu (2). Nous y reviendrons. Mais livronsnous d’abord à quelques considérations d’ordre général.

Pourquoi le sport  ?

Le sport serait la pratique méthodique des exercices physiques dans le cadre des règles qui permettent une confrontation ou au moins, une comparaison de performances. On distingue des sports individuels et des sports d’équipes, ce qui fait écrire à Jean Giraudoux

"Le sport est l’art par lequel l’homme se libère de soi-même et libère son prochain" (3).

C’est, qu’en effet, nous ne sommes pas en présence d’une activité aussi anodine qu’il y parait, comme le croient encore beaucoup de Français. Leurs origines et leur fibre terrienne les incitent à penser que le travail physique suffit à entretenir les fonctions vitales. II s’agit, à notre avis, du motif fondamental pour lequel nos compatriotes ne brillent pas particulièrement dans les compétitions internationales. Nous verrons plus loin que le sportspectacle, principalement à la télévision, a produit une nouvelle race de "sportifs-fauteuils" encore plus enclins que la moyenne au chauvinisme et à la rouspétance. Ces citoyens sont les premiers à dénoncer l’incapacité des responsables, dirigeants ou entraîneurs, et à se moquer de leurs représentants lorsqu’ils perdent. Ils ne vont sûrement pas jusqu’à penser que, non pratiquants, leur responsabilité est engagée, dans la mesure où, plus un pays possède de sportifs, plus il a de chances de découvrir des champions. Michel Platini, bien connu de tous, observait récemment que l’une des faiblesses du football français réside dans le fait que ce peuple ne s’intéresse guère à la pratique sportive. C’est certain. Mais si le sport permet de se maintenir en bonne forme, les Anciens savaient déjà : mens sana in corpore sano, qu’il a des effets bénéfiques, également sur le mental. Voici un excellent moyen de surmonter l’adversité, la déprime ambiante et la morosité, de lutter contre la drogue, la délinquance, les abus sexuels et la violence. Les spécialistes de la réhabilitation des condamnés, mais aussi certains tenants de l’ordre moral, ne l’ignorent pas qui en font l’un de leurs meilleurs alliés.

Voilà donc une école irremplaçable de volonté, de persévérance, de remise en cause de soi-même, d’humilité, d’abnégation et de solidarité dans le cas des sports collectifs, toutes qualités qui, bien audelà de son propre domaine, manquent cruellement dans la société contemporaine. Le fair-play britannique, de la part du peuple quia su être à l’origine des règles de la plupart des disciplines, n’était pas un vain mot. II est un peu vrai que les Anglais le pratiquaient surtout lorsque, étant les premiers, ils gagnaient le plus souvent. D’aucuns prétendent que ce serait beaucoup moins le cas à présent, puisqu’ils perdent fréquemment, les autres les ayant rattrapés et dépassés presque partout.

Tous ceux qui ont fait ou font du sport savent que c’est la source de joies saines, irremplaçables.

Voilà un tableau presque idéal auquel il convient bien sûr d’apporter quelques correctifs.

Les excès

Comme toutes choses, l’activité sportive doit être utilisée avec modération. Les limites sont outrepassées par les parents qui cherchent à pousser leur progéniture trop tôt et trop loin ; par les compétiteurs qui vont au-delà de leurs capacités, de leur force ou de leur résistance ; par ceux qui sacrifient totalement leur vie intellectuelle, familiale ou professionnelle à l’entrainement. II fut un temps où les sportifs étaient considérés comme des brutes incultes. Cela n’est plus. De nombreuses vedettes du sport brillent aussi par leur culture et beaucoup de champions s’expriment très correctement, non seulement sur leur spécialité, mais aussi sur des sujets plus généraux. Le préjugé subsiste et certains parents favorisent encore l’absence de leurs enfants aux séances, sous prétexte que leur temps serait mieux employé à des études plus rentables... Les Anglo-Saxons et les Germains qui consacrent une grande partie de leur scolarité aux activités physiques ont démontré depuis longtemps qu’elles n’étaient pas incompatibles, mais complémentaires d’une bonne formation générale. Nous commençons en général à l’admettre. Bien tard.

La confusion

Si certains sports sont des jeux, tous les jeux ne sont pas des sports. Le critère me parait être l’existence d’un effort physique minimal : les dames, les échecs, les cartes, etc... ne sont pas des sports. L’aviation, la moto, l’automobile n’en sont pas non plus, bien que pour des raisons de facilité et d’autres où l’intérêt financier et publicitaire n’est pas absent, de nombreux commentateurs essaient

De même, ne confondons pas jeu d’argent et sport. S’il est vrai que les compétitions sportives doivent être financées, ce sont les spectateurs qui doivent le faire et la publicité ne s’y mêle que par une des déviations propres à ce régime économique.

Le cyclisme, bien que mécanique, est un sport à part entière. II est d’autant plus regrettable que ses plus belles manifestations comme les grandes classiques : ParisRoubaix, le Tour des Flandres, le Grand Prix des Nations, ToursParis, Milan San Remo, etc... et surtout le Tour de France, qui donnent lieu à des empoignades de légende, soient aussi défigurées par une caravane publicitaire hurlante et agressive. Là aussi ne pourrait-on pas aménager des enceintes payantes à toutes les arrivées et sur le parcours pour couvrir les frais d’organisation et rémunérer les coureurs ?

Lorsqu’on justifie la publicité pour les alcools et les cigarettes par la menace de ne plus pouvoir organiser les courses de "Formule 1 ", la boucle est bouclée et la confusion totale. Le loto sportif, le Totocalcio en Italie, etc... sont, dans le domaine dont nous nous occupons, le signe de l’envahissement général des média par les jeux d’argent dû, nous le savons, à la passion pour le fric, créée et entretenue par les maîtres du système.

Selon notre définition, le cheval serait plus sportif que le cavalier. Si toutefois l’hippisme peut être accepté, à la limite, comme un sport, c’est par un véritable abus de langage qu’il est employé pour les courses hippiques. Le seul but de ces courses étant le gain pour certains initiés et le prélèvement d’un impôt volontaire payé malheureusement par beaucoup de pauvres hères, rien ne justifie une telle appellation. Le mot de sport est utilisé pour annoblir et vulgariser une activité néfaste dans son essence dont on sait, par les nombreux scandales qui n’ont pas pu être étouffés, qu’elle est dominée par une maffia laquelle n’a rien à envier à la vraie.

Mais les comportements de domination qui peuvent être suscités, c’est vrai, par la compétition sportive ellemême, sont souvent exacerbés par l’appât du gain financier pour le sportif lui-même, son entourage, l’équipe

ou les dirigeants.

Loisir ou profession

Le sport peut parfaitement être conçu comme un dérivatif, un entrainement, un loisir. Ce sera le lot du plus grand nombre : le sport de masse. Sous cette forme, il peut et doit être encouragé en raison des bienfaits qu’il apporte. Des manifestations comme le Cross du Figaro, le Marathon de Paris (ou d’ailleurs), la Vasalopet (4), etc... sont des exemples de manifestations qui rassemblent plusieurs milliers de participants.

Les Olympiades de l’Antiquité furent remises en honneur par des précurseurs dont Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux Olympiques. Les sports étaient, au début du siècle, l’apanage de personnes riches ou aisées qui pouvaient disposer du temps et des moyens nécessaires à un minimum de préparation et de déplacements. L’amateurisme était donc la règle. Tout changea lorsque les compétitions attirèrent un public payant dans des arènes de plus en plus vastes. II devint normal que les athlètes reçoivent leur part des recettes, jusqu’à faire du football, du cyclisme, etc... un métier. Le niveau du spectacle s’éleva et attira des foules de plus en plus nombreuses d’où certains problèmes dont nous reparlerons. Des caciques, notamment au CIO (5) ou à l’International Board (6) essayèrent de maintenir la fiction du pur amateur. Des champions célèbres, comme Jules Ladoumègue, Toni Sailer, en furent les victimes. Aujourd’hui encore les rugbymen sont, en principe, amateurs, alors que leurs homologues du jeu à 13 sont officiellement professionnels depuis la scission des deux fédérations. Aux Jeux Olympiques, le flou est total puisque les coureurs à pied, les boxeurs, les gymnastes, les haltérophiles, les cyclistes, les skieurs, les patineurs, etc ...sont considérés comme amateurs alors que la plupart des footballeurs ou des tennismen sont professionnels. Cette distinction est d’autant moins acceptable que, depuis longtemps, les participants des pays de l’Est sont des athlètes d’Etat rémunérés en tant que tels ou plus hypocritement comme moniteurs, militaires, douaniers (à l’égal de certains skieurs français), etc...

La seule façon de mettre fin à cette mascarade serait de laisser les compétiteurs libres de leur statut à l’image des tournois de tennis dits "open" et d’ouvrir les JO à tous les meilleurs, sans distinction. C’est déjà bien le cas, officieusement. II suffirait de le reconnaitre.

La carrière

Les grandes performances sont réalisées par des athlètes de plus en plus jeunes. II n’est pas rare que des gymnastes féminines atteignent la classe internationale à l’âge de quinze ans, comme la célèbre Roumaine Nadia Comaneci, championne olympique à Montreal en 1976. Vingt ans est une moyenne, trente ans une fin de carrière. Cela cause évidemment un problème pour les professionnels qui ont souvent sacrifié au sport une bonne partie de leurs jeunes années. La reconversion est quelquefois difficile. Le Suédois, Bjorn Borg, né en 1954, et qui abandonna le tennis en pleine gloire voici quelques années, a échoué dans ses entreprises de vêtements. Pour faire face à des frais dus, il est vrai, à une vie déréglée et fastueuse, il envisage de reprendre la raquette à 36 ans, avec peu de chance de revenir au niveau le plus élevé. D’autres, comme Alain Calmat,Guy Drut, Jean-Claude Killy ou Michel Platini abandonnent le sport plus tôt et retrouvent des activités, soit dans leur spécialité, soit comme organisateur ou même en politique...

Certains sportifs attirent les foules et servent d’exemples pour les jeunes par leur comportement sur et en dehors du stade ; ils obtiennent des performances qui font rêver. La beauté de leurs gestes atteint une perfection qui fait d’eux de véritables artistes.

Comme tels, ils sont devenus indispensables à la société. L’on peut imaginer qu’en économie distributive, ils seraient rémunérés ainsi que les acteurs, les sculpteurs, les écrivains ou les peintres et recevraient leur revenu social à vie, ce qui résoudrait au moins les difficultés de reconversion que nous venons de signaler. Sans les empêcher,pour cela,de se rendre utiles dans tous les domaines à leur portée, au bénéfice de la société dans son ensemble.

Dans un prochain article, nous examinerons les déviations auxquelles le sport peut donner lieu lorsque l’instinct de domination, la passion et la cupidité s’en mêlent : la tricherie, le dopage, l’affairisme, la violence, etc...

(1) Economie et Humanisme, n°  de novembre-décembre 1989.

(2) "Le sport, art de vivre ou violence ? dans "Transversales" n° 3 mai-juin 1990.

(3) Cité dans (2)

(4) Epreuve de ski de fond

(5) Comité International Olympique

(6) Instance dirigeante du rugby .E n particulier Avery Brundage, président du CIO de 1952 à 1972

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Japon, c’est nous qui trichons.

par G. LASSERRE
novembre 1990

Dans notre numéro 886, nous avons publié un article de R.Marlin, intitulé "les Japonais trichent-ils ?" G. Lasserre, spécialiste de la banque et de la monnaie, est d’un avis différen t... Les lecteurs apprécieront.

Nous refusons de voir. Nous interprétons à notre guise les événements et même les chiffres. Nous pratiquons la célèbre méthode Coué. Oui, nous trichons avec les réalités...

Les balances

Les balances des paiements japonaises ne sont pas créditrices. Les chiffres tirés de l’Opuscule Japon de l’OCDE (1987-1988) sont reproduits dans le tableau ci-contre.

  1985 1986 1987
Balances commerciales 56,0 92,8 96,3
Balances opérations courantes 49,1 85,8 87,0
Mouv. capitaux long terme -64,5-131,4-136,5

Cela signifie que le Japon en sort plus qu’il n’en rentre. Que pendant qu’il nous livre des gadgets à la tonne, de plus en plus sophistiqués au plus grand plaisir de notre société de consommation, il investit conciencieusement le reste du monde. L’excédent commercial
c’est encore un Américain qui vient tout juste de faire reconnaitre ses droits, les circuits imprimés, un Anglais. On chercherait en vain un Japonais dans la liste des grands inventeurs de l’ère industrielle. Depuis la guerre, 187 Nobel Américains en recherche fondamentale, 105 Européens, 5 Japonais. En recherche appliquée, le nombre des brevets déposés n’augmente pas à un rythme convaincant, proportionnel à l’effort déployé : le Japon vise le marché, au plus près de la commercialisation (effort sur la miniaturisation). On noterait même une certaine tendance à breveter le vent avant le moulin (en matière de SIDA et de construction aéronautique notamment).

La copie

Le Japon ne fait pas que copier l’invention au niveau de l’objet. II ne pique pas pour consommer la copie du voisin, il va beaucoup plus loin : il pique le marché des autres, une façon de manger leur capital en pompant sur un pouvoir d’achat qui s’alimente de contreparties de moins en moins consistantes (telles la pub, pousse-aucrime de la surconsommation). Manifestement, abusant de la bêtise, et de l’aveuglement des Grands économistes anglo-américains, en quête de prix bas pour tenir la monnaie, il agresse, prenant appui sur la monnaie déifiée, en fait l’ultra-capital apatride déguisé en dollar (bien embêté en ce moment où on approche de
japonais blanchit l’investissement. L’invention Le Japon n’a inventé ni le 4X4, ni la poudre. Le 4X4, c’était la Jeep américaine. La puce électronique,
l’heure de vérité).

Les prix

En cassant les prix, il a piqué aussi, systématiquement, tous les acquis sociaux des travailleurs occidentaux qui ont participé à la longue marche vers le progrès. Ceux-là font sans doute preuve souvent d’une trop grande exigence., l’expérience communiste les ramène à la raison. Mais les siens n’ont à ce titre aucun droit à faire valoir, et ont été au demeurant payés par des cadeaux royaux en technologie toute cuite. II faudra bien un jour dénoncer, en complément de l’espionnage, la trahison des chefs (industriels, financiers et politiques) qui ont sans vergogne, depuis des décennies (surtout à partir des chocs pétroliers), balancé tous azimuts des usines clés en mains (véritables détournements de patrimoine et abus de pouvoirs), et celle des mercantis qui travaillent avec eux, en chicane en pressant sur les salaires, et en compensant la perte du pouvoir d’achat par les bas prix d’achat au bout du monde. Le suréquilibre bascule sur le sous-équilibre, dans un mouvement de contraction de la valeur de base, balancé par la création de valeurs hautes, largement sur du vent (échange vent occidental contre produits manufacturés japonais). Tout cela noyé dans une création de services et de petits boulots qui fait tant bien que mal la balance, services dont profitent essentiellement les féodaux. Nous revien drons un autre jour là-dessus.

Le protectionnisme

II pratique un protectionnisme interne de béton, sous couvert de politique sociale, et de structures de distribution dénoncées comme archaïques, en fait soigneusement entretenues.

Le dumping

Le Japon pratique un dumping tous azimuts. Sous-consommation par les prix, sous-paiement du travail supplémentaire : pression sur le prix de revient à des fins agressives (voilà un point encore qui sera développé plus tard dans le cadre de l’économie distributive). Le Japon est le seul pays au monde qui ait baissé ses salaires nominaux au moment des chocs pétroliers. Mobilisation au poste de travail, qui est une dénaturation de l’éthique de l’effort (cf. Henri Salvador : le travail c’est la santé...). Dumping direct par les prix extérieurs inférieurs aux prix intérieurs, sinon pour le même objet, du moins pour des objets similaires. Enfin, dumping monétaire évident, lié à ce qu’on appelle par une monstrueuse litote, mouvements de capitaux.

L’échange inégal

En ce qui concerne des mouvements de capitaux, on reste effondrés. Ils sont bien plus virulents que les excédents commerciaux, en ce sens qu’ils représentent des achats de patrimoine productif, ou des investissements financiers ou bancaires mortels. Dans d’autres articles, nous reviendrons là-dessus  : il faut en effet comprendre le mécanisme de création monétaire, pour réaliser que le Japon, profitant de la bêtise et de la cupidité humaine au plus haut niveau, bat monnaie des autres à travers les ban-ques investies ou pénétrées, de même qu’il tient les valeurs des autres en pénétrant, sur invitation ce qui est un comble, dans les dettes intérieures des "partenaires" : Etats-Unis, Angleterre, et France qui joue les caniches (1). Ces Mouvements, encouragés par les banquiers, financiers et monétaristes de tous poils, couvrent trois conséquences importantes : ils débouchent sur une atteinte majeure aux souverainetés nationales, au niveau de l’authentification des valeurs par la création monétaire ; ils s’ouvrent sur des échanges absurdes et mortels de biens de consommation contre valeurs de patrimoine, antichambre de la domination politique par l’intérieur (corruption des intéresés, c’est l’honneur qui est investi, mais ça fait vieux jeu...) ; ils entretiennent accessoirement un cours bas de la devise, qui reste la forme la plus achevée d’un dumping global. L’Occident est confronté à une pensée unidimensionnelle qui fausse tous les paramètres traditionnels de l’économie libérale, dans laquelle elle s’est immiscée comme un ver.

Un fanatisme industriel qui masque un fanatisme politique. Folie de refuser de voir, et aussi de comprendre. Keidanren (mystérieux syndicat des activités économiques japonaises) et MICI (Ministère de l’Industrie et du Commerce International) dominent l’oligarchie japonaise : c’est à ce niveau qu’est la Grande Tricherie. Cela déborde nettement les critiques manichéennes au sujet des vaillants et des paresseux. Ceux qui la dénoncent et qui luttent ont du mérite : merci Monsieur Calvet, merci Monsieur Gomez !

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A qui la faute originelle ?

par M. DUQUAY
novembre 1990

Historiquement, ce sont les Anglais et les Français qui ont déstabilisé cette région du globe. Les frontières du Proche-Orient découlent des accords SykesPicot du 16 mai 1916, deux fonctionnaires de Grande-Bretagne et de France qui ont dépecé l’Empire Ottoman, sans consulter ni même informer les peuples arabes de la région. La Grande-Bretagne s’attribuait la Mésopotamie avec Bagdad et Bassorah. La France s’attribuait la côte Est de la Méditerranée de Tyr à Adana, une partie de l’Anatolie, la Syrie intérieure avec Alep et Damas jusqu’à Mossoul. On donnait au Tsar, Constantinople, la côte du Bosphore, les Dardanelles, la mer de Marmara. En 1917, l’URSS naissante a dénoncé les accords Sykes-Picot. En 1918, Clémenceau a cédé Mossoul à la GrandeBretagne en échange des parts dans la Turkish Petroleum Company. Au traité de San Remo en 1920, la France et la Grande-Bretagne ont officialisé les accords Sykes-Picot en obtenant des protectorats (des "mandats") sur les régions qu’elles s’étaient arbitrairement attribuées. Le Koweit a été une principauté indépendante de 1756 à 1899, date où il a été placé sous protectorat britannique. Nombre de morceaux de l’Empire Ottoman ont été distribués par Londres aux princes arabes que le Laurence avait fait soulever contre les Turcs de 1914 à 1918. Ainsi la Jordanie a été donnée en 1921 au prince Abdallah. Son frère, le roi Fayçal, chassé du trône de Syrie par les Français, a reçu comme lot de consolation, le trône d’Irak. Depuis 1917, la Grande-Bretagne a aggravé le désordre en promettant aux Juifs de leur donner un territoire arabe, la Palestine (déclaration Balfour). Le général français Gouraud a créé artificiellement entre 1920-1922, cinq Etats autonomes dans les territoires que la France s’était attribués : le Grand Liban, l’Etat d’Alep, l’Etat de Damas, l’Etat des Alaouites, l’Etat du Djebel Druze. En 1925, les Etats de Damas et d’Alep s’unifient sous le nom de Syrie. En 1936, le Djebel Druze et les Alaouites ont rejoint la Syrie qui est devenue indépendante en 1944, profitant de la déconfiture de la France. Le Liban, lui, était devenu indépendant en 1943. Après affaiblissement de la Grande-Bretagne et de la France, épuisées après la guerre de 39-45, les Etats-Unis ont pris le relais pour coloniser ces Etats arabes. Avec de telles entorses faites aux Droits des Peuples, il ne faut pas s’étonner de la réaction des peuples arabes, franchement opposés aux Etats-Unis, à la France, à la Grande-Bretagne, franchement proirakiens.

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Résultats de notre sondage

PUBLIÉ DANS NOTRE NUMÉRO 891
par M.-L. DUBOIN
novembre 1990

Les trois premières questions étaient inutiles puisque la réponse qu’en attendait évidemment l’auteur est celle qui correspond à ce que les distributistes écrivent depuis des années dans la Grande Relève. Les réponses sont donc à100 % : Non à l’abolition du salariat immédiatement remplacé par un service social qui soit, tout de suite, égal pour tous et oui à une échelle "des salaires" maintenue à titre transitoire.

Les questions sur cette modulation étaient introduites par l’affirmation que l’éventail des revenus est aujourd’hui de 1 à 6. Ce qui est une effarante erreur, et certains lecteurs l’ont souligné. Le terme "revenus", d’abord, implique en principe aussi ceux du capital, et ceux-là, n’en parlons pas, car, seuls, certains scandales en donnent parfois une idée  ! Supposons donc qu’il ne s’agisse que des salaires. Alors prenons un exemple récent dont tous les média ont parlé, et référons-nous à la Grande Relève n°  883 dans laquelle André Prime rappelait que le salaire de M.  Calvet, PDG de Peugeot est de 185.312 F. par mois, soit, précisait-il, presque trois fois le salaire annuel moyen d’un ouvrier. Plus précisément le rapport est de 1 à 33,7. Et ne parlons pas des salaires de certains joueurs de foot-ball ou de présentateurs de TV (on se souvient des 240.000 F. de C. Okrent). Mais, comme l’a fort bien souligné un lecteur qui a compris ce qu’est l’économie distributive : "ce n’est rien cette différence (l’échelle de 1 à 3, 4 ou 5) si la monnaie n’est plus capitalisable". Dans ces conditions, la réponse à "faut-il resserrer l’éventail des revenus ?" (supposé être de 1 à 6) est 1 /3 de oui, 1 /3 de non et 1/3 de ni oui ni non. La question a sans doute été mal comprise parce qu’après avoir répondu non, beaucoup de lecteurs répondent oui à l’une des trois suggestions. Parmi les réponses à ces suggestions, 25 % sont en faveur de l’éventail de 1 à 5, 12 % pour l’éventail de 1 à 4 et 23 % proposent de 1 à 3.

La question suivante, comme les trois premières, appelait une réponse évidente. Non, à 100 %, personne ne tolère une telle échelle des patrimoines allant de 1 à 66 !

Il s’agissait ensuite d’un débat comme il aurait pu y en avoir un, officiellement, à propos du revenu minimum garanti. Mais bien entendu, tous nos lecteurs sont d’accord pour penser qu’il faut instaurer en priorité un revenu social égal pour tous les chômeurs (un seul lecteur répond : Non, selon l’âge), pour tous les malades de longue durée, pour tous les gens âgés démunis (le même lecteur précise : s’il a plus de 50 ans), pour tous les handicapés et pour tous les étudiants. L’unanimité de ces réponses n’étonnera personne.

On demandait ensuite, à titre indicatif, quel devrait être le montant actuel du revenu social. L’auteur du questionnaire, mais seulement dans sa propre réponse, note "aucun élément sérieux ne permet de fixer une somme". Néanmoins, puisque la question était posée, elle a reçu des réponses dans 63 % des cas. Parmi ces réponses, deux seulement ( ?), "2.000 à 6.000 F."et "9 à 36.000" impliquaient un éventail cohérent avec celui précédemment choisi ( "1 à 4"). Les autres réponses, ou bien donnaient deux valeurs, mais qui ne correspondaient pas à l’éventail (3 à 3.500F et 10 à 16.000F, avec "1 à 3", 7 à 8.000E avec "1 à 4", 6 à 10.000F, 8 à 10.000F, 7 à 8.000F, avec "1 à 5") ou bien n’indiquaient qu’une valeur : parmi ces valeurs, 8 % étaient audessous du SMIC, 28  % à ce niveau, 39 % entre le SMIC et 8.000Fet enfin, 25 % audessus de 8.000F. II semble que ces chiffres reflètent plutôt l’estimation de ce que nos lecteurs consisant, que le résultat de leur calcul du revenu qui est aujourd’hui possible.

La dernière question avait un aspect sociologique intéressant car il s’agissait de savoir si les lecteurs considèrent que le revenu doit être attribué à chaque individu en tant que tel, donc en tant que personne autonome, libre de vivre en famille ou non , ou bien s’il devait être attribué à la famille : "fixé pour l’ensemble du foyer" disait le texte. Une très forte majorité se prononce pour le revenu versé à titre individuel : 77 % des réponses et celà malgré le fait, vraiment désolant, qu’une énorme majorité des réponses (93 %) aient été rédigées par des hommes. Enfin 71 précisent que le revenu doit être modulé en fonction de l’âge.

En conclusion, le résultat de ce sondage n’étonnera pas nos lecteurs. Nous pensons tous que le revenu social doit d’abord permettre aux plus démunis et aux chômeurs de recevoir de quoi vivre décemment, et qu’un revenu "d’émulation" sera encore nécessaire pour stimuler l’activité. Mais ce revenu supplémentaire, même si, comme c’est fondamental, il n’est pas thésaurisable, devra rester en proposition raisonnable par rapport au revenu de base. Comme le précise un lecteur : "il semble possible, dès à présent, d’instituer un revenu social minimum décent, permettant de vivre très modestement sans travailler. Ainsi chacun pourrait choisir de travailler, mais seulement si ce travail est humainement enrichissant. Le travail ne doit pas être obligatoire. II doit être attrayant et participer à l’épanouissement. C’est possible : voir par exemple le travail bénévole de nombreux retraités qui refusent d’être en retrait". Ce lecteur aborde ainsi la nécessité de considérer comme "travail" reconnu, toutes les activités utiles à la société, mais non rentables au sens marchand du terme. Ainsi, ce sondage confirme qu’à une large majorité, nous pensons que le revenu est dû à titre individuel. Ceci est réconfortant quand on songe aux efforts que fit J. Duboin pour faire admettrre que l’économie distributive s’impose parce que la production potentielle actuelle est le fruit du travail des générations passées, dont nous sommes tous, et tous au même titre, cohéritiers.

II faut, hélas, tirer une autre conclusion : le nombre de lecteurs qui ont fait l’effort de répondre est très faible, de l’ordre de 5 % de ceux qui reçoivent le journal. Même si ce taux correspond à la moyenne obtenue par tout périodique qui consulte ses lecteurs, même si les questions posées enfonçaient un peu des portes ouvertes, il n’en demeure pas moins que c’est vraiment dommage que les distributistes ne soient pas infiniment plus mobilisables que le reste de la population ...

Nous leur avons offert à nouveau, dans notre numéro 892, l’occasion de se mettre à contribution en faisant marcher leurs méninges pour trouver un "logo" digne de nous. Si nous recevons aussi peu de réponses(1), que nos lecteurs ne viennent pas se plaindre "que nos idées ne font leur chemin que trop lentement" ! S’il n’y a que 5 % de distributifs capables de se battre pour défendre nos idées, nous ne sommes pas près de pouvoir former le parti politique soudé et efficace qui aura les moyens de faire évoluer l’opinion...

Terminons tout de même par une note optimiste : certains lecteurs, en répondant, ont joint une lettre à leur questionnaire. Certaines de ces lettres alimentent la rubrique "courrier " de ce numéro. On peut ainsi espérer que le débat n’est pas clos...

(1) NB, le 13 Octobre : II semble même que nous en recevions infiniment moins ...C’est assez décourageant.

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Activus benevolus

novembre 1990

"Le bénévole, du nom savant de "Activus Benevolus" ; est un mammifère que l’on rencontre surtout dans les associations où il peut se réunir avec ses congénères. Les bénévoles se rassemblent à un signal mystérieux appelé "convocation". On les rencontre aussi en petits groupes dans divers endroits, quelquefois tard le soir, l’oeil hagard, le cheveu en bataille et le teint blafard, discutant ferme sur la meilleure façon d’animer une manifestation, ou de faire des recettes supplémentaires pour boucler le budget.

L’ennemi héréditaire du bénévole est le `vaqua" (nom populaire) dont les origines n’ont pu être à ce jour tout à fait déterminées. Le "vaqua" est aussi un mammifère bipède, mais il se caractérise surtout par un cerveau très petit, qui ne lui permet de connaitre que deux mots `y a qu’à’ ; ce qui explique son nom !

Le "vaqua" bien abrité dans la cité anonyme attend. II attend le moment où le bénévole fera une erreur, un oubli, pour bondir et lancer son venin qui atteindra son adversaire et provoquera chez celui-ci une maladie très grave, "le découragement".

Les premiers symptômes de cette implacable maladie sont visibles rapidement  : absences de plus en plus fréquentes aux réunions, intérêt croissant pour son jardin, sourire attendri devant une canne à pêche, et attrait de plus en plus vif qu’exercent un bon fauteuil et la télévision, sur le sujet atteint.

Les bénévoles décimés par le découragement risquent de disparaitre ; il n’est pas impossible que, dans quelques années, on ne les rencontre plus que dans les zoos où, comme tous ces malheureux animaux enfermés, ils n’arriveront plus à se reproduire. Les "vaqua’ ; avec leurs petits cerveaux et leurs grandes langues, viendront leur lancer des cacahuètes pour tromper l’ennui, ils se rappelleront alors, avec nostalgie, du passé pas si lointain, où le bénévole abondait, et où l’on pouvait le traquer sans contrainte".

(extrait de la revue sociologique "La cohorte" et transmis par D. Bloud).