La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 889 - mai 1990

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N° 889 - mai 1990

Quel marché ?   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Lu, vu, entendu   (Afficher article seul)

Réjouissances... Jusqu’à quand ?   (Afficher article seul)

Des chiffres   (Afficher article seul)

Capitalisme et tiers-mondisme   (Afficher article seul)

L’imagination en berne   (Afficher article seul)

Financer les TUC en monnaie de consommation   (Afficher article seul)

Les joies de l’économie des ressources   (Afficher article seul)

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Quel marché ?

par M.-L. DUBOIN
mai 1990

Tout s’use avec le temps, même les mots, qui finissent par perdre leur sens. Au point que pour continuer à se faire comprendre, il faut parfois les redéfinir.
Il en est ainsi du mot "social". Le dictionnaire le définit comme l’adjectif de ce qui concerne la société dans son ensemble, de ce qui revêt une forme collective : la législation sociale, par exemple, est "l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires qui font intervenir en faveur des individus et des foyers la solidarité de la collectivité organisée". C’est bien dans ce sens que J. Duboin a donné, avant la guerre, le nom de service social au travail qu’en économie distributive tout individu se doit d’effectuer, en tant que membre de la société, pour participer à la production de l’ensemble et non plus pour le profit d’un patron ou d’actionnaires.
Depuis cette époque, le sens du mot s’est déformé. On parle aujourd’hui de service social, d’aide sociale, comme d’une charité laïque destinée à une seule classe de la société, celle des plus démunis : si une ville construit "des logements sociaux", c’est qu’elle les destine aux plus pauvres. Alors il s’agit de logements étroits, sans confort, et c’est ainsi que social devient synonyme de mauvaise qualité.
Si l’on veut tenir compte de la déformation du mot, il faudrait donc, lorsqu’on définit l’économie distributive, remplacer les mots de service social et de revenu social. Le premier par quelque chose comme : activité au service de la société et le second, sans doute, par revenu de citoyenneté.

Echange et marché.
Plus grave est la confusion qui nait lorsque des distributistes affirment rejeter "l’économie de marché"(1). La vérité qui se cache sous cette expression est double : il y a d’abord le fait que nous avons compris qu’il n’est plus possible d’exiger de tout individu, et tout au long de sa vie, qu’il ait quelque chose à offrir en échange de ce dont il a besoin pour vivre. Depuis que la production est (ou peut être) automatisée, le marché du travail est saturé : une quantité croissante de biens sont produits sans contre-partie d’un travail humain ; ils peuvent et doivent donc donner lieu à une distribution équivalente de revenus pour tous.
D’autre part, les distributistes estiment que l’économie de marché, celle qui sévit dans le monde actuel, n’est plus que la caricature monstrueuse du véritable marché. Ce n’est pas l’idée de marché qu’ils refusent, c’est la façon dont elle a été défigurée à l’ère industrielle  : peut-on appeler marché une transaction avec une multinationale qui a acheté en Bourse "toutes les parts du marché"  ? II n’y a pas de marché entre un individu et un "holding"  !

Question d’échelle.
Car tout ceci est une question d’échelle, de moyens mis face à face. II y a bien marché lors d’une transaction entre deux individus. Par exemple lorsqu’un "particulier" cherche à revendre sa voiture, il se renseigne, il affiche son intention, il propose un prix. Si ce prix est "raisonnable", il trouve facilement des acheteurs qu’il peut éventuellement mettre en compétition. Si, au contraire, il exige trop, les acheteurs potentiels l’amènent à baisser son prix. II y a marchandage parce que vendeur et acheteur peuvent agir sur le montant de la transaction. Lorsque je vais faire mon marché le samedi matin, je ne marchande pas comme on le fait encore en Afrique, mais je peux exprimer mon avis par mon choix, refuser d’acheter à un commerçant qui me trompe sur la qualité ou la quantité, lui préférer, même en payant plus, celui qui manifeste son souci d’apporter luimême un plus à ce qu’il vend, soit en choisissant bien ce qu’il revend, soit en offrant ses conseils ou un service après vente. II y a marché parce que ce choix existe tant pour le commerçant que pour moi : nous sommes placés sur un pied d’égalité vis-à-vis de la transaction.
Cette égalité d’échelle entre les deux parties est la condition nécessaire pour qu’il y ait véritablement marché. La preuve en est qu’à l’échelle du supermarché, c’est fini : il faut que les consommateurs se regroupent en associations pour être "de taille" à faire face, à se défendre, à faire valoir leur point de vue. C’est par ces regroupements que des "boycotts" sont possibles et se révèlent parfois efficaces. Un client seul est sans moyens d’abord parce qu’il lui est difficile de faire des comparaisons, ensuite parce qu’il est la cible d’experts qui ont acquis une véritable science sur l’art et la manière de l’amener à leurs fins. II n’y a pas de miracle en la matière : un bon gestionnaire est celui qui fait de bons bénéfices, il sait appâter ses clients en perdant sur certains produits pour se rattraper largement sur d’autres. Comme il a des moyens que le client n’a pas, c’est lui qui impose les prix. Et même la mode !

Un objectif clair
Comment conserver les avantages du marché - la concertation entre l’offre et la demande.- tout en évitant sa déviation de l’ère industrielle ?
Tel est bien l’objectif de l’économie distributive. D’abord parce qu’une monnaie non thésaurisable empêche que les entreprises soient détournées de leurs objectifs économiques par des manoeuvres financières, comme c’est le cas aujourd’hui dans ces gigantesques casinos que sont devenues les Bourses.

Des contrats à tous les niveaux
Ensuite parce qu’elle permet de baser les échanges économiques sur des contrats. Des contrats équitables et négociables au niveau approprié.
Le contrat le plus élémentaire est celui du citoyen qui se voit offrir par la société un revenu assuré à vie, son revenu social, contre un engagement d’effectuer son service social, selon des modalités qui, dépendant à la fois de ses propres facultés et des besoins de la société, devront faire l’objet d’un accord (son contrat social personnel) au niveau de son entreprise ou de sa commune.
Contrats, encore, au niveau des créations d’entreprises : lorsqu’un individu aujourd’hui veut créer son entreprise, il s’adresse à une banque pour lui emprunter les fonds dont il a besoin. La banque lui prête contre garanties et ne se préoccupe que d’avoir l’assurance que son client la remboursera et lui paiera des intérêts. En économie distributive, ce même individu, ou plus souvent un groupe d’individus, devra proposer un contrat auprès de la commune dans laquelle il projettera de s’installer. Un contrat dans lequel il décrira ce qu’il veut produire (afin qu’on puisse juger de l’utilité de son projet), dans lequel il justifiera de ses capacités pour y parvenir, dans lequel il chiffrera ses besoins en bâtiments, en matériel, en personnel, ainsi que la production qu’il s’engagera à fournir dans des délais précis. Enfin son projet de contrat devra prévoir plusieurs éventualités, celles où il ne respecterait pas les délais, celles où qualité, quantité, seraient inférieures ou supérieures à celles annoncées, etc... Si son contrat est accepté par la commune, celle-ci lui fournit les moyens demandés, pour la durée fixée. II n’aura pas ensuite à rembourser un prêt, mais il devra, à terme, fournir la preuve qu’il a rempli correctement son contrat et que ce qu’il a produit a effectivement intéressé les consommateurs. Ce rapport a posteriori lui sera nécessaire pour demander le renouvellement de son contrat ou l’élaboration d’un autre. Dans de telles conditions, il y a bien un marché entre l’ensemble du personnel d’une entreprise et le reste de la société représenté par la commune : les deux parties peuvent discuter le contrat. Par exemple, si le proposant se rend compte que son projet intéresse beaucoup la commune, il pourra augmenter ses exigences et demander des revenus supplémentaires pour luimême et ses collaborateurs. La commune sera libre d’accepter ou non, par comparaison aux autres demandes formulées.

Contrats pour le commerce extérieur
II en est de même pour les échanges dits extérieurs. Une commune rurale peut passer avec une autre commune un contrat pour la fourniture, à dates fixes, d’une certaine quantité de denrées alimentaires contre la fourniture, également à dates fixes, de tels services ou de tels matériels dont elle a besoin. Une région européenne peut passer avec une région africaine un contrat pour la fourniture d’un certain nombre de véhicules, qu’elle fabrique en série, contre telles prestations de services, touristiques par exemple. La multiplicité de tels accords de troc entre toutes les régions de la terre rendra ces accords parfaitement transparents pour les consommateurs  : un européen se rendant en vacances en Afrique paiera les services dont il aura besoin par prélèvement sur sa carte bancaire. Aux gestionnaires informatisés de faire ensuite les calculs de compensation nécessaires, en suivant les normes qui auront été fixées par les contrats de troc.
Le changement est déjà nettement amorcé
L’économie distributive implique donc d’instaurer une nouvelle base pour les échanges, une base contractuelle, claire, nettement définie, engageant la responsabilité des deux parties, et à l’abri, par conséquent, de toute spéculation.
Et là encore on s’aperçoit que nos propositions sont déjà largement entrées dans les faits, même si le grand public.ne s’en est même pas encore aperçu.(voir à ce sujet l’encadré cicontre).
A partir de l’annuaire De Bard , le journal Le Monde a conclu, en Novembre 1988 :`Aujourd’hui, tout s’échange, se rachète, s’arbitre, se compense, même certaines dettes du tiers-monde. Achats de gouvernement à gouvernement, d’entreprise à entreprise ou par l’intermédiaire de banques comme de sociétés spécialisées, les exemples se multiplient d’opérations multilatérales. "
La base contractuelle qu’implique l’économie distributive, devenue absolument indispensable, est entrée partiellement dans les faits, comme d’autre part est entrée dans les faits la distribution de revenus sans compensation d’heures de travail, depuis les congés payés, la retraite, et maintenant le revenu minimum garanti.

(1) Voir par exemple ci-dessous l’article de F.Lévy.

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Au fil des jours

par A. PRIME
mai 1990

Mois de Mars, riche en manifestations marquantes : congrès du PS, prestation de Mitterrand à "7 sur 7", émission de Jean-Marie Cavada sur FR3 dans "la marche du siècle", élections en RDA, prestation de Khol à "l’Heure de vérité", élections en Hongrie, et, pour l’URSS, situation en Lithuanie, Estonie et même en Ukraine.
Comment un distributiste peut-il analyser ces événements  ?

1 . LA FRANCE "SOCIALISTE"

° Six éléphants... ça trompe énormément ! C’est ce que des congressistes de Rennes chantaient, tristement sans doute... parce qu’énormément trompés, floués. Nous avons pu voir ces congressistes pleurer pendant que les éléphants - c’est ainsi qu’on désigne les grands chefs du PS se malmenaient, se vendaient, changeant de camp ; et que parmi eux, les "présidentiables" s’étripaient pour conquérir le parti, tremplin pour la succession du Père.
Vue de Sirius, cette sarabande n’offrirait sans doute qu’un mince intérêt. Mais au niveau français, à l’aube d’une décennie capitale, sinon décisive, pour l’avenir de l’Europe et du monde, quelle tristesse ! De vrais éléphants seraient peut-être morts de honte et de chagrin. Eux, non. Le PS n’a plus aucun débat d’idées, aucune idéologie, aucun projet socialiste.
Voilà ce qu’en dit une militante de Metz, inscrite au parti depuis 1982 : "Nous avons suivi un congrès désastreux. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu honte de ma famille politique"  : Et dans son bulletin hebdomadaire Synthèse Flash, Poperen résume  : "le constat de base... c’est un glissement du PS sur sa pente de droite". Simple glissement ? Depuis plusieurs années, la Grande Relève est plus catégorique. Delors, qui s’est tenu prudemment - futur présidentiable lui aussi - à l’écart des joutes, a laissé tomber au lendemain du congrès : "II ne faudrait pas que la déception se transforme en désespoir"’

° Mitterrand à "7 sur 7
Le 25 mars, une semaine après la clôture du congrès, Mitterrand qui, de notoriété publique, soutenait son poulain Fabius - lequel est apparu comme un ambitieux forcené - a voulu rassurer, atténuer les conséquences sur l’opinion et les militants de ce lamentable show que fut le congrès de Rennes. II reprit l’antienne qui n’engage que son image de marque : mieux répartir les fruits de la croissance retrouvée, passer à une troisième phase par la redistribution de la prospérité française. II reconnait :’Avec 60 d’augmentation en trois ans, comment voulez-vous que les gens se logent à Paris et dans les grandes villes. On est en train de rattraper Tokyo (entre parenthèses, certains privilégiés S’y logent fort bien !)... Dans beaucoup de domaines aujourd’hui, on peut travailler à restituer les chances de l’égalité".
Cela fait près de dix ans que Mitterrand répète la même chanson. Mais l’air se fait de plus en plus rare pour la grande majorité des Français dont le pouvoir d’achat régresse (voir les études du très officiel CERC  : ça, c’est la réalité). En arrivant à Matignon en juin 1988, Rocard demandait encore 15 mois de rigueur - à qui ?- avant d’entamer le fameux partage des fruits de la croissance. Près de deux ans ont passé et il en est à refuser toute augmentation de pouvoir d’achat aux fonctionnaires, et même discuter de rattrapage. Erik Izaelewicz, dans le Monde du 27 mars, ne s’y trompe pas. II écrit
"Redistribuer la prospérité retrouvée sans changer de cap. telle est, en matière économique et sociale, la mission qu’assigne au jourd’hui le Président de la République à son gouvernement. Modéré, le discours de M. François Mitterrand n’est pas, en ce domaine, exempt de contradictions... Le ton à l’égard des milieux d’argent était beaucoup moins virulent que lors de sa prestation précédente à la même émission "7 sur 7" au début de 1989 . ....Dans sa vision des choses, le "système " (capitaliste) conduit inévitablement à un accroissement des inégalités sociales. En déclarant qu’il avait désormais "cinq ans pour démentir qu’un gouvernement de gauche puisse être producteur d’inégalités" ; M. Mitterrand n’a pas nié que les écarts de richesse se sont accrus au cours de la décennie écoulée, et donc pendant son premier septennat (1981-1988). La prospérité retrouvée ne profite qu’aux riches".

° Etre au PS en 1990
Deux jours après la prestation du Président, J.M. Cavada, dans son émission "la Marche du siècle", avait invité Mauroy et quelques têtes mineures du parti, deux ex-militantes, le journaliste Jacques Julliard.. Le "nouveau" Premier Secrétaire du PS qui se succédait à lui-même après une élection peu reluisante, fut, comme à l’accoutumée, tout en rondeurs, "heureux" que la synthèse se soit enfin faite... au siège du PS, minimisant les heurts du congrès qu’il essaya de faire prendre pour des débats un peu vifs.
II reprit bien entendu le seul point qui semble constituer tout le programme du PS aujourd’hui : un meilleur partage des fruits de la croissance, sachant très bien que pour Rocard, attentif à gérer au mieux l’économie capitaliste, ce ne serait qu’un voeu pieux  :"Hier, on rêvait, dit-il (il voulait parler du temps où, avant 1981, et pendant quelque temps après l’élection de Mitterrand, le PS affichait un projet vraiment socialiste). II faut apporter une réponse aux chômeurs et aux précaires .... promouvoir une "nouvelle étape sociale" que Mauroy appelle une "idée force" !!!
Pressé par Julliard, les ex-militants, Cavada (qui lui dit : "le vide idéologique socialiste est total, il va falloir remplir la marmite °) - Mauroy promet pour le printemps prochain un PROJET. Une exmilitante fait remarquer que la représentation des ouvriers (31% du monde du travail) au congrès de Rennes était de 1 %. Julliard constate :"La vieille maison a gagné", voulant dire par là que le PS était revenu à Guy Mollet. Un député PS regimbe :" La droite et la gauche, ce n’est pas tout à fait la même chose". Pas tout à fait : ce n’est guère enthousiasmant
En résumé, on le voit : congrès de Rennes, plaidoyer Mitterrand ou "projet" Mauroy, rien d’essentiel ne distingue plus la gauche de la droite dans l’exercice du pouvoir. La gauche amuse le tapis avec des problèmes certes importants pour tous (tels l’immigration, l’écologie) mais non spécifiques d’une politique socialiste, c’està-dire contre l’exploitation et les méfaits du capitalisme dominant.
A ce train-là, les législatives de 1993 seront sûrement perdues. Serait-ce un mal, tout compte fait ? Les socialistes, dans l’opposition, devraient retrouver un langage de gauche, ne fut-ce que pour reconquérir le pouvoir. Ils devraient prendre part aux luttes, aux revendications ; des avancées sociales seraient alors possibles, comme cela a été le cas pendant deux siècles d’opposition, à l’exception de la parenthèse de 1936.

2. LES PAYS DE L’EST

° Elections en RDA
Triomphe de la droite : près de 50 % des voix. Comme nous l’avions prédit, le PC, rebaptisé, a recueilli 15 % des voix, le SPD, donné vainqueur, 22 seulement. Un fait très significatif, très important est passé inaperçu : l’ancien Forum, qui a déclenché la révolution a récolté... 2,5 % des voix. Autrement dit (et cela, nous n’avons cessé de le répéter) les vrais révolutionnaires ont tiré les marrons du feu pour la droite qui a ainsi récupéré tout le mouvement.
II faut dire que l’argent de la CDU a coulé à flots pendant la campagne. Kohl s’est dépensé sans compter... au propre et au figuré. Cohn Bendit constatait amèrement :"Ceux qui n’ont rien fait depuis cinquante ans remportent la mise du travail des autres".
Ces résultats confirment ce que craignait Marie-Louise Duboin, commentant dans son éditorial de la Grande Relève d’Avril (rédigé avant les élections) la lettre de notre ami Karl de Berlin-Est, : le triomphe du capitalisme.
A "l’heure de vérité", Kohl est apparu serein, rassurant, heureux, sûr de lui "Je n’ai pas commis d’erreur" a-t-il dit. Modeste !
A une question d’un journaliste sur la neutralité d’une Allemagne réunifiée, il a répondu sans ambiguité, qu’il n’était pas question d’une neutralisation militaire de l’Allemagne réunifiée.La Grande Allemagne fera partie de l’OTAN. Que Gorbatchev se le tienne pour dit, lui qui voulait marchander la réunification contre la neutralité (1).
Et pourtant, Kohl a avoué, goguenard "sans la perestroïka, il n’y aurait jamais eu les élections en RDA, en Hongrie, etc..." Merci Gorby. Autres affirmations de Kohl : "Nous allons assister à un boom des investissements industriels... La décennie en cours sera celle de l’Europe et non celle du Japon". Voire. Gageons qu’elle sera plutôt celle des deux compères : Japon et Allemagne.
Kohl a voulu faire une prestation rassurante, majestueusement calé dans le fauteuil qu’occupa Adenauer. Mais il s’est posé en homme politique avec qui il faudra compter de plus en plus, surtout s’il fait coup double en 1990 après avoir gagné au pas de charge le pari de la réunification, gagner les élections de RFA fin décembre.
La fête finie, il y aura probablement des pleurs et des grincements de dents en RDA. On a pu voir une jeune femme qui avait animé le Forum (comme cela semble déjà loin) très déprimée par les résultats des élections : "Je ne crois plus à l’espoir des générations futures" ditelle. Et, de fait, beaucoup d’acquis risquent d’être perdus. II est curieux de lire, dans le Figaro du 20 mars, sous la plume de Michel Tournier : `Au total, la RDA ne mérite pas d’être purement et simplement rayée de la carte. L’absence de chômage, le logement assuré pour tous, le statut de la mère célibataire, le réseau des jardins d’enfants, et surtout, les équipements sportifs pour les jeunes, voilà ce qu’on trouvait à l’Est, et ce qu’on chercherait en vain à l’Ouest capitaliste".

° Hongrie
Un mot pour rappeler que, dans ce pays, la droite a également remporté les élections. L’ex-PC ne récolte que 10 % des voix.
A la veille du vote, un Hongrois, à la question :"Que craignez-vous  ?" répondait :"le chômage qu’on ne connaissait pas avant". II y a eu quarante licenciés dans son usine.
Pauvre Hongrois : il faut savoir que la compétitivité, en économie marchande, est à ce prix.

° URSS.
Quant à Gorbatchev, élu premier Président de l’URSS, il a bien des soucis avec ses nationalités : après la Lituanie, l’Estonie, et l’Ukraine qui commence à s’agiter. En Lituanie, il a été contraint de "montrer la force" sinon de l’employer.
Après la "perte" pour l’URSS de tous les pays de l’Est (comme nous l’avons déjà signalé, Comecon et Pacte de Varsovie sont des coquilles vides), trouvera-t-il une voie originale préservant un minimum de vrai socialisme ? Un socialisme qui soit autre chose que ce fauxsemblant que représentent les sociaux-démocrates de l’Ouest ? (Voir plus haut la France). Nous le lui souhaitons, car les pôles d’ancrage s’amenuisent. On peut raisonnablement craindre (voir l’activisme d’un Boris Elskine) que, comme dans les autres pays de l’Est, les forces réactionnaires représentent 50% de la population et soient prêtes à lui porter l’estocade au premier faux pas. L’Ouest, soyons-en persuadés, veille sur la dernière proie qui lui résiste entre l’Atlantique et l’Oural.

(1) Le 10 mars 1952, Staline, dans une note à la RFA, proposait une réunification de l’Allemagne contre une neutralisation militaire, mais Staline avait alors des atouts que Gorbatchev n’a plus.

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Lu, vu, entendu

mai 1990

Stress
En économie marchande, les patrons ont une curieuse conception de la qualité de la vie : ils cultivent le stress parce qu’ils estiment que c’est bon pour le rendement ! Ne riez pas : c’est très sérieusement que le présentateur d’Antenne 2, le 24 mars, nous a révélé cette curieuse pratique.
Mais, depuis quelque temps, on s’est aperçu que trop, c’est trop  : le stress de la vie moderne (peur du chômage, transports, etc..) a finalement un effet nocif sur le rendement. Alors on revient à une "recherche d’équilibre" (sic). En somme, il aura fallu une expérience inhumaine, imbécile pour tout dire, pour en arriver là. Il est vrai que la France détient le record de consommation de tranquillisants per capita, à ajouter aux records d’alcool et de tués sur la route.
Le stress atteint aussi les équidés, et en tête, pas n’importe lequel : Ourasi. Il est à la retraite... enfin si l’on peut dire. Car son heureux propriétaire peut être un heureux retraité. Ourasi rapporte 90.000 F. par saillie, ou plus exactement par jument grosse de ses oeuvres. Or voilà qu’on se contente de l’insémination artificielle et qu’Ourasi ne connait que des joies trop espacées ! D’où stress.

Antenne 2,4 avril.

Si on demandait aux chômeurs et aux précaires stressés ce qu’ils "gagnent" par an ? 90.000 francs  ?

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Médecins Ripoux
Scandale à Nancy : des médecins de haut niveau - chirurgiens par exemple demandent à leurs patients des dessous de table allant de 5.000 à 20.000 francs. Trente témoignages confirment. Ils risquent une suspension d’exercice de la médecine de huit jours (c’est vraiment peu) à trois ans (ce n’est pas énorme).
Décidément, le fric pourrit tout. Vive le libéralisme !

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Socialisme : Ils ont gagné !
C’est le titre d’un article grinçant que Gilles Perrault, auteur notamment de "l’Orchestre rouge" a publié dans le Monde du 11 janvier, sans doute en raison de l’inquiétante évolution actuelle du PS. Il rappelle quelques faits et chiffres
"Sans aller jusqu’à évoquer la nonintervention en Espagne et une collaboration vichyste où les notabilités socialistes furent longtemps plus nombreuses que dans la Résistance, l’après-guerre devait, en effet, fournir au socialisme humaniste français un banc d’essai à l’échelle mondiale. Les chiffres sont aussi approximatifs que ceux du Goulag, mais on évalue les victimes de la répression à Madagascar (1947) à 80.000 morts, celle de la guerre d’Indochine (1946-1954) entre 800.000 et deux millions, celles de la guerre d’Algérie (1954-1962) entre 800.000 et un million. Accessoirement, et conformément à la tradition social-démocrate, la police ouvrait le feu à huit reprises, de 1947 à 1955, sur la classe ouvrière française.
Si l’on rapporte le chiffre de ses victimes à celui de sa population, la France se place donc dans le peloton de tête, sinon en tête, des pays massacreurs de la deuxième partie du siècle. "

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Votre agent de change recommande...
Un agent de change, disait Woody Allen, est quelqu’un qui prend votre argent et l’investit jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Tristement, une étude commandée par I American Stock Exchange (Bourse), la plus petite rivale de la Bourse de NewYork, révèle que les investisseurs ordinaires pensent que M. Allen est amusant mais surtout qu’il a raison. Il y a une divergence d’intérêt entre les investisseurs et les personnes qu’ils emploient pour exécuter leurs ordres. Si les agents de change désirent survivre (et beaucoup paraissent destinés à disparaitre des deux côtés de l’Atlantique), ils devront combler le fossé.
A tort, mais de manière compréhensible, la Bourse attache plus d’importance à un autre point : seulement 28°/ des investisseurs américains ont "perdu confiance" en la Bourse des valeurs, c’est le résultat du krach d’octobre 1987. Celà est contredit nettement par les professionnels. Lorsqu’on demande l’opinion des courtiers, 81 °/ répondirent que leurs clients étaient obsédés par l’hécatombe d’octobre 1987. Les investisseurs institutionnels ont impulsé le redressement du prix des actions . Beaucoup d’investisseurs individuels ont abandonné.
Les investisseurs privés sont peut-être découragés, pas par les marchés, mais par les intermédiaires. Dans leurs achats et ventes d’action, ils disent qu’ils sont des professionnels. Etant donné que les journalistes sont assimilés aux marchands de voitures d’occasion dans l’estime du public, cela devrait faire réfléchir les agents de change. Le sentiment des porteurs d’actions serait donc qu’ils sont des citoyens de seconde classe sur les marchés boursiers. La plupart pensent que les marchés sont au-dessous des terrains de jeu et que les individuels n’ont que peu de chances contre les grandes institutions. Un grief particulier est que les institutions sont les premières à connaitre les informations. Les agents de change l’admettent : les deux tiers sont d’accord sur le fait que "lorsque les individuels ont connaissance d’une bonne action, il est habituellement trop tard".
Les investisseurs interrogés ne sont pas désarmés comme une vieille tante sans autre argent de poche que des actions sans valeur. Le porteur typique a 55 ans, un diplôme universitaire et dirige un foyer avec un revenu annuel de 80.000 dollars (470.000 F). Il (la plupart sont des hommes) connait les marchés à prime, les obligations à coupon zéro et l’indice des valeurs des fonds d’Etat. C’est un conservateur plus attaché à sauvegarder son capital qu’à gagner une fortune.
Plus des quatre cinquièmes se présentent eux-mêmes comme peu enclins à prendre des risques. Deux tiers des courtiers au contraire le font. Cette différence est le fond du problème. Les investisseurs aiment les valeurs vedettes (70%) préfèrent des formes plus sûres que les actions (65%) et assimilent les achats d’actions à la spéculation (59%). Les agents de change qui travaillent à la commission, désirent, eux, négocier souvent et risquer de grosses sommes dans des affaires prestigieuses ou tapageuses. Il en résulte que les investisseurs sont échaudés et découragés.

The Economist - Octobre 1989 (Traduction R.M.)

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Réjouissances... Jusqu’à quand ?

par J. MESTRALLET
mai 1990

Notre sainte presse n’en finit plus de se réjouir  : le Socialisme, ce pelé, ce galeux..., est voué aux gémonies par toute l’Europe de l’Est ! "Bon à nib, le système ! "aurait dit Gabriel Lafont(1). Fiait mieux, pourtant, de mettre une sourdine : l’avertissement est pour tout le monde...
Ce n’est pas le socialisme qui est en cause. C’est le mensonge érigé en moyen de gouvernement ! Et celà ne concerne pas les seules "démocraties populaires".
Portée au pinacle par Ceaucescu, la méthode sévit largement à la surface du globe, y compris dans les démocraties tout court. On a bien installé à l’Est une structure socialiste..., mais confisquée par une minorité, reproduisant ainsi les pires conditions du capitalisme !
Chez nous, on fait croire que, seul, le libéralisme peut assurer le bonheur des citoyens. Or, ce qui reste de libéral ne fonctionne plus qu’avec des béquilles collectives...
De part et d’autre, il s’agit d’un système fondé sur l’argent. Pour qu’il fonctionne, le recyclage de la monnaie doit être le plus large possible, de gré ou de force. Si le recyclage ne s’effectue pas spontanément, il faut qu’il se fasse d’une autre manière, en atteignant le plus de monde possible.
Comme nous l’avons déjà montré, cela nous fournit une mesure de transition : au lieu de subventionner bêtement, il faut faire passer les subventions par les consommateurs, d’abord par les plus démunis.
Le malheur, c’est que dans l’esprit des gens, le socialisme représente le coupable. On va continuer à se battre sur des mots, pour une question très simple à résoudre dans l’abondance  : comment faire participer la population aux richesses produites ?
Il faudrait pourtant arriver à comprendre que la démocratie, la vraie, ne s’accommode pas du mensonge. On ne saurait juger un système qu’après l’avoir vu fonctionner correctement, c’est-à-dire dans l’esprit de ses fondateurs. Ce n’est pas le cas.
Plutôt que de fonder le socialisme sur la propriété collective des moyens de production et d’échange, il vaudrait mieux dire : il y aura socialisme lorsque ces moyens fonctionneront dans l’intérêt général. Cela aurait évité bien des déboires. L’idéal serait d’essayer plusieurs variantes dans différents pays et de comparer. Sous forme d’économie distributive maintenant.

Pour sortir du verbiage à l’infini.. L’expérimentation politique, formule d’avenir ....

NDLR (1) Camarade qui illumina longtemps nos colonnes par sa spirituelle rubrique "soit dit en passant"

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Des chiffres

mai 1990

Drogue et délinquance.
On parle de 600.000 héroïnomanes ou cocaïnomanes dans la seule ville de NewYork.
Environ 650.000 Américains sont en prison record mondial d’incarcération - après l’Union soviétique et l’Afrique du Sud.

(Le Monde 3 avril 1990)

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Sûreté du parc EDF
"Dans l’état actuel de sûreté du parc EDF, la probabilité de voir survenir un (...) accident - conduisant à un risque radiologique suffisamment important pour déclencher sur le site le plan d’urgence - sur une des tranches du parc dans les dix ans à venir peut être de quelques pour cent". "... Aujourd’hui, c’est sans conteste le risque de rupture brutale d’un ou de plusieurs tubes de générateur de vapeur qui est le plus préoccupant .... ".

(Transmis par Tam-Tam )

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Energie propre.
Entre 1978 et 1988, le rendement des cellules photovoltaïques a fait des progrès énormes. Les scientifiques de Boeing, à Seattle, aux Etats-Unis, ont réussi à atteindre le seuil de 37 % de rendement avec des cellules à arséniure de gallium .. un rendement supérieur à celui, moyen, d’une centrale nucléaire.

(Silence, février 1990)

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Déchets
C’est 850.000 mètres cubes de déchets radioactifs qui, à la fin du siècle, auront été accumulés depuis les débuts de l’ère nucléaire.

Le Monde 17 janvier 1990

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Chercheurs d’or
40.000 à 50.000 chercheurs d’or illégaux, les Garimpeiros qui devaient être évacués manu militari de plus de 100 mines d’or situées dans les réserves de Indiens Yanomami sur décision de la Cour Fédérale brésilienne vont continuer à extraire trois tonnes d’or par mois. En effet, les Garimpeiros sont arrivés à un accord ( !!!) avec le Ministre de la Justice du Brésil Saulo Ramos pour rester sur place et polluer de façon dramatiquement définitive les rivières à l’aide du mercure utilisé pour élaborer l’or. Il reste 9000 Yanomami sous-alimentés et malades des maladies importées par les chercheurs d’or, maladies contre lesquelles les Indiens ne sont nullement immunisés. Beaucoup d’Indiens, en outre, ont été massacrés par ces chercheurs d’or.

De Morgen, 13 janvier 1990

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Eoliennes
Chaque kilowattheure produit par une éolienne fait économiser 0,34 m3 de gaz naturel et évite le rejet de 1,37 gr d’oxydes nitriques (moins de pluies acides) et de 0,67 kg de C02 (moins d’effets de serre).
La digue Ijsselmeerdijk, en Hollande, va accueillir 35 éoliennes de 25 mètres de diamètre et de puissance unitaire de 300 kW de la marque Windmaster. C’est 15 millions de kWh par an qu’elles généreront, de quoi alimenter 12.000 foyers. Coût total un demi milliard de FB dont 50 % subsidiés par les autorités du pays. Ce ne sera pas le plus grand parc éolien d’Europe. Celui-ci vient d’être inauguré au Danemark et compte 40 moulins de la marque "Nordtank" de 28 mètres de diamètre et de 300 kWh unitaires.

Windnieuws Janvier 1990

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Chiffres noirs du travail précaire
Il représente 7% de l’emploi salarié contre 2,5% en 1977. Soit 900.000 emplois dont 600.000 contrats à durée déterminée (CDD) et 280.000 intérimaires.
En 1988, 9 millions contrats de travail ont été conclus  : embauches fermes 1 million, missions d’intérim 5,5 millions, CDD, 2,5 millions.
Evolution : CDD + 15% par an depuis 1985, intérim, + 20% en 1985 et 1986, +30% en 1987 et 1988.
Entre mai 1982 et mars 1988, 1 million d’emplois traditionnels (temps plein, contrats à durée indéterminée) ont disparu. Duré moyenne : CDD, trois mois, missions d’intérim, deux semaines.
Un CDD sur deux, une mission d’intérim sur trois seulement se transforme en CDI en moins d’un an.

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Capitalisme et tiers-mondisme

par R. MARLIN
mai 1990

Dans ce régime économique ubuesque :
- Les travailleurs sont condamnés à maudire les suppressions d’emplois, même celles qui correspondent à une diminution de la peine pour une production égale ou supérieure.
- Les retraités sont menacés à terme d’une réduction de leur pouvoir d’achat sous le prétexte que le nombre des actifs est en baisse. Alfred Sauvy et Michel Rocard essaient de nous faire croire que les produits seront moins abondants ; comme si ils étaient encore créés en proportion du nombre de producteurs ! - Les femmes sont amenées à triompher depuis que beaucoup d’entre elles réussissent à se faire exploiter par un homme qu’elles ne connaissent pas : leur patron au lieu d’un homme qu’elles connaissent et avec lequel elles peuvent avoir quelques intérêts en commun : leur mari ou leur compagnon.
- Les citoyens sont conduits à penser comme les mercantiles que les importations sont une perte pour leur pays alors que c’est un enrichissement et réciproquement pour les exportations.
L’offre de réparations sous forme de fournitures matérielles faite par les Allemands après la guerre de 19141918 a été repoussée avec horreur par les Alliés qui avaient bien compris qu’elle était de nature à relancer rapidement l’économie ex-ennemie au détriment de la leur.
Suite à la seconde guerre mondiale, le plan Marshall a été autant et même plus bénéfique aux agriculteurs et aux industriels des Etats-Unis qu’à ceux de l’Europe.
Le système financier occulte complètement la réalité utilitaire de l’économie. Il en est de même pour la situation dans le tiersmonde à laquelle nous allons consacrer cette chronique.

Le dilemme

Bien entendu la dette des PVD qui s’établit maintenant aux environs de 1300 milliards de dollars pèse lourdement sur la situation économicopolitique de ces pays. Nous avons suivi ce drame dont les plus déshérités n’ont pas fini de subir les conséquences. Susan George dans son excellent livre "Jusqu’au cou" (1) explique très bien le mécanisme infernal dans lequel les protagonistes sont engagés. Car si les banquiers prêteurs n’ont en tête que les moyens de récupérer d’abord leurs intérêts et ensuite leur capital, afin de pouvoir lancer de nouveaux prêts encore plus rémunérateurs, il n’en est pas de même de certains grands agriculteurs américains pour qui certaines productions alimentaires du tiers-monde sont des concurrentes sur leur propre marché : c’est le cas par exemple du soja du Brésil ou du blé argentin. D’autre part, les pays endettés n’ont plus les moyens d’acheter les fabrications du Nord et leur clientèle fait défaut aux industriels de l’OCDE, mais ceux-ci font pression pour que de nouvelles avances leur permettent d’acheter. Or comment les contrées du Sud rembourseraientelles leur dette et paieraient-elles leurs intérêts sinon en vendant plus et en achetant moins ?
Encore une de ces contradictions dont le libéralisme en vogue nous accable et dont le Président de la République a bien raison de dire qu’il est à bout de souffle.

Les termes de l’échange

Mais il y a plus grave, c’est la réduction presque continuelle des prix des produits de base (2) dont les pays du Sud tirent l’essentiel de leurs revenus."... L’indice exprimé par le nombre 100 pour l’année 1957 n’a été dépassé que deux fois, en 1973 et 1974. Depuis, bien qu’il y ait eu des hauts et des bas, la tendance est à la baisse. En 1985, l’indice avait atteint le niveau le plus bas jamais enregistré : un sinistre 66..(3)." Dans un récent article du Monde (4) Eric Fottorino soutient que : "les denrées tropicales "trésor" des dirigeants africains ont fait leur temps...". Ce journaliste rappelle opportunément que le pari sur les matières premières est un héritagedu passé colonial. Il estime que "...la spéculation internationale n’est pour rien ou très peu dans la situation déprimée du marché...". Il admet néanmoins que l’irruption de la Malaisie comme nouveau producteur de cacao (5) a contribué à la forte diminution du prix de cette denrée, de même que la famine en Ethiopie a contraint ce pays à liquider son stock de café contribuant ainsi à l’effondrement des cours. Fottorino accuse les chefs des gouvernements africains "...’d’avoir confié leur sort et celui de leurs peuples à quelques cotations fixées à Londres, New-York ou Paris... N’ont-ils pas été, eux aussi, des spéculateurs ?" ajoute-t-il en contradiction avec ce qu’il vient de soutenir ; ou alors veut-il dire que les spéculateurs noirs seraient plus immoraux que les spéculateurs blancs ? Sur un air à la mode, il conclut à l’esprit d’initiative et au goût d’entreprendre des Africains en vue de les inciter à diversifier leur production. Mais il se garde bien der conseiller une autre source de revenu : peut-être le pétrole mais il souffrirait vite de la "surproduction" ; ou alors, lui suggérerons-nous le coca

Abondance indésirable

C’est, qu’en effet, malgré les prévisions des catastrophistes dont notre ancien camarade René Dumont, la surproduction généralisée reste menaçante sur les marchés agricoles. Par rapport aux besoins solvables s’entend : le système capitaliste n’en connait pas d’autres. C’est bien elle qui, selon la sempiternelle loi de l’offre et de la demande, fait baisser les prix sur le long terme.
Dans une étude détaillée, Alain Revel (6) soutient le pari "... que les maitres-mots de la situation alimentaire mondiale durant la fin du 20e siècle et le début du 21 e siècle seront de manière quasi-permanente excédents, technologies, négociations ... "
Si l’auteur n’était pas un expert indiscuté, nous serions probablement soupçonnés d’avoir inspiré une prévision si favorable à nos thèses et à contre-courant de la dramatisation faussement écologico-tiers-mondiste en honneur actuellement.
Alain Revel commence par dénoncer l’erreur de ceux qui en 1972-73 ont cru au déficit alimentaire permanent après le triplement des prix mondiaux des céréales et l’embargo sur les exportations de soja américain. De même pour ceux qui, en 1983, ont pensé à une surproduction momentanée lorsque les stocks mondiaux ont atteint des niveaux inhabituels. Les fermiers américains ont rapidement comblé le déficit de production de 197273 en remettant en culture sur deux ans : 23,6 M ha sur les 24,8 M ha qui étaient en jachère volontaire ( !). L’auteur explique très bien que les alarmistes ayant fait entendre leur voix, en particulier lors des campagnes électorales, Ford doubla le prix de soutien du blé avant l’élection de 1976 et Carter fit décider une indexation automatique des prix de soutien en 1977. Les stocks s’étant reconstitués, Reagan mit en "réserve" 31 millions d’hectares au prix de 19 milliards de dollars et la tension commença entre les Etats-Unis et la CEE. En 1987, 22 M ha étaient encore exploités. Malgré cela, un triple record fut battu en 1986-87 pour la production mondiale de blé, de riz et de céréales secondaires et, même le Sahel connut des excédents céréaliers. La sécheresse de 1988-89 a fait baisser la production et les stocks mais la production américaine doit reprendre son niveau antérieur dès 1989-90 et les stocks augmenteront fin 1990. A. Revel cite J. Lebihan selon lequel "... Il est moins dramatique de gérer l’abondance que la pénurie..". Oui, ajouterons-nous, mais dans ce système économique, c’est beaucoup plus difficile.

Le progrès technique et ses répercussions

Nous nous référons toujours à Alain Revel qui donne une comparaison entre la productivité apparente du travail en France, en taux annuel moyen, pour l’ensemble de l’économie et l’agriculture. Tandis qu’entre 1959 et 1979, la productivité d’ensemble progressait de 5,5% et celle de l’agriculture de 7,8 % ; ces deux pourcentages étaient passés en 1986-87 respectivement à 3,3 et 8,4 %. La productivité agricole augmente donc 2,5 fois plus vite que la productivité générale  ! et ce n’est pas terminé, car d’après l’auteur, l’innovation se poursuit dans trois domaines : l’organisation, le financement et les biotechnologies.
Nous citerons rapidement, en ce qui concerne
- l’organisation : une meilleur gestion, la communication plus facile grâce à la télématique, les systèmes experts, la diminution des coûts grâce à l’automatique et la robotique, l’amélioration des prévisions météorologiques, etc...
- le financement : la banalisation internationale du crédit, la titrisation des dettes, les OPA sur l’agro-alimentaire, etc...
- les biotechnologies : l’auteur était sceptique à propos de l’émergence rapide du progrès dans ce domaine ; comment écrit-il produire de l’éthanol ou du méthanol alors que le prix du baril de pétrole varie entre 10 et 30 dollars  ? Il reconnait maintenant que la santé animale va beaucoup s’améliorer et la productivité s’accroitre encore : dès 1990, grâce aux vaccins et à la somatropine. Les variétés résistant aux maladies seront en place dès l’an 2000, etc...
Notre expert cite le docteur William Porter (7) : "... Vous n’avez encore rien vu. L’agriculture sera profondément touchée au coeur pour la première fois depuis le néolithique.. " et de se poser la question : Faut-il opter pour le progrès en agriculture sachant qu’il entrainera une baisse naturelle des prix en valeur réelle ? C’est bien le problème en effet, mais n’est-il pas à la fois honteux, candide et inutile de se le demander  ! Nous serons bien d’accord,par contre,pour éviter l’abandon du territoire rural et pour ne pas croire aux solutions illusoires. Les nouveaux produits, comme le sucre de maïs, ne viendraient en effet qu’aggraver la commercialisation des sucres de canne ou de betterave.

Des orientations

Alain Revel ne voit notre salut que dans le dialogue  : européen, atlantique et Nord-Sud et dans l’économie de marché. Pourtant il reconnait que les restrictions de production décidées dans le cadre de la Politique Agricole commune et aux Etats-Unis sont devenues futiles à cause du contexte actuel.
Dans un chapitre intitulé "Les limites de la régulation par le marché", il écrit notamment : malgré les mesures déjà prises "... le retour périodique à une situation de surproduction mondiale semble inexorable .. L’économie de marché peut combler tous les besoins envisageables avec un délai de réaction de un à deux ans ... En revanche ce même système ne parait pas capable de prévenir la constitution de stocks publics ou privés dont le coût devient rapidement insupportable et encore moins de résorber ces stocks lorsqu’ils sont constitués. En économie de marché, pour entrainer une diminution massive de production, il faudrait des baisses de prix tellement importantes qu’elles seraient jugées insupportables par la quasi-totalité des producteurs mondiaux à l’exception peut-être des 1 à 2 % des fermiers américains et canadiens qui disposent de plus de 500 hectares et d’une petite moitié des agriculteurs australiens... ".
Ecrire cela et conclure à des solutions aussi usées et aussi inopérantes est vraiment incroyable.. Nous sommes bien devant un cas typique, un de plus, de frayeur à l’idée même de chercher à imaginer un autre système économique.
Pendant ce temps-là, 500 millions d’êtres humains, le dixième de la population mondiale, sont menacés quotidiennement de famine d’après la FAO. N’étant pas solvables, ils ne comptent pas.

Des réformes

Mais revenons à Susan George qui est également une bonne spécialiste du problème de la faim qu’elle a étudié dans plusieurs livres précédents (8). Elle n’en bute pas moins, comme Alain Revel, sur l’incapacité à imaginer autre chose que l’économie de marché "libre" en fait dirigé par les grands financiers internationaux pour leur plus grand profit ; aussi bien en ce qui concerne la production, entravée, qu’en ce qui concerne la commercialisation d’où toute véritable concurrence est exclue. Elle donne en exemple le Président Alan Garcia du Pérou qui, c’est vrai, a fait quelques tentatives pour refuser de rembourser la dette de son pays et limiter les paiements d’intérêts puis détourner une partie des fonds ainsi récupérés pour financer des productions vivrières locales. Mais l’expérience péruvienne est vouée à l’échec en face des plans Baker et Brady, elle aurait eu néanmoins besoin de soutien. Le pays sombre dans la violence en raison des élections en cours. Quant aux autres moyens imaginés par Susan George, ils sont bien insuffisants. N’est-il pas irréaliste de prôner le retour au pays des capitaux mexicains et autres investis en dollars ou en francs suisses  ? Il faudrait pour cela que les banquiers américains ou helvétiques découragent les déposants ... ce qui est une pure vue de l’esprit. Par contre, l’achat de biens ou de sociétés en contrepartie de l’apurement d’une part de la dette est possible. Néanmoins, il aboutit évidemment à la main mise des capitalistes occidentaux sur la substance des PVD.
Susan George nous parait être tout de même sur la bonne voie : celle qui passe de la constatation des contradictions majeures du capitalisme à la recherche des réformes possibles. Mais nous croyons que seul le passage à la monnaie distributive, d’abord dans l’un des pays avancés, ensuite dans d’autres, permettra une véritable libération du "marché" et la fin du calvaire des natifs de pays en voie de développement. Il y faudra beaucoup d’efforts, nous le savons. Tout dépend de la capacité que nous aurons à trouver l’aide du plus grand nombre. Rien n’est impossible à l’heure où les tabous tombent les uns après les autres...

(1) "Jusqu’au cou" - Enquête sur la dette du tiers-monde , Editions la Découverte, 1988.
(2) 30 produits, non compris l’or et le pétrole.
(3) "Poor outlook for poor nations" The Economist 9 nov. 1985 cité dans (1).
(4) "Afrique la chimère des matières premières" Le Monde, 20 mars 1990.
(5) En moins de quinze ans, la production malaise est passée de 10.000 à 200.000 tonnes.
(6) "L’évolution des marchés agricoles la menace d’une surproduction généralisée" d’après Economie rurale de mai-juin 1989 par Alain Revel, Directeur adjoint de l’Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts (ENGREF) et ancien attaché agricole à Washington
(7) Vice-Président de AGWAY, la plus grande coopérative d’approvisionnement des Etats-Unis.
(8) dont trois traduits en français : "La faim dans le monde pour débutants" ,La Découverte 1983, "Les stratèges de la faim" Grounauer, Genève 1981 "Comment meurt l’autre moitié du monde ? " Robert Laffont 1978.

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L’imagination en berne

par F. LÉVY
mai 1990

L’intérêt des lecteurs du Nouvel Observateur pour les problèmes de l’après-communisme a pu se mesurer au quasi remplissage du grand amphithéâtre de la Sorbonne. L’excellente organisation du colloque qui a eu lieu le 18 janvier 1990 et la particulière compétence de chacun des participants en firent le succès. Ses conclusions sont moins assurées.
Le texte de la première table ronde était mal choisi car "la fin du communisme" ne peut constituer ni "un projet politique" ni "une grande alternative à la Société". Seules des hypothèses pouvaient être émises, et des constats : l’idéologie perdue et la religion renaissante  ; "aucun projet n’émerge et une alternative est attendue" a dit Cornelius Castoriadis, "une autre forme de gestion et pas seulement l’une des deux alternatives" a dit Bernard-Henri Lévy. Sur le second thème proposé : "Après le communisme, quelle Europe ?" seules aussi des hypothèses étaient possibles.
L’après-midi, la question n’était pas posée, mais une affirmation péremptoire : "La transition vers l’économie de marché". Admise sans réticence par les intervenants, elle fut vivement attaquée par le dernier orateur, K.S.Karol qui cita le Brésil comme exemple d’échec économique malgré ses efforts de "production" ; évoqua "l’austérité" et notre penchant pour "l’inégalité". Ayant eu aussitôt la parole, je le remerciai d’avoir été le seul à refuser l’économie de marché comme alternative au communisme, et je rappelai, pour notre seul pays, nos deux millions et demi de chômeurs, nos 35.000 familles (avec enfants) sans logis, les êtres humains dormant sur les trottoirs parisiens, chauffés par les grilles du métro. Je repris le mot "austérité" pour l’opposer à la destruction, aux frais du contribuable, des "surproductions" alimentaires, parallèlement au battage sur les "restaurants du coeur". Des applaudissements nourris m’ayant confirmé que d’autres pensent comme moi, je voudrais leur dire ici ce que je n’ai pas jugé bon d’ajouter : la solution préconisable inventée dès 1934 par un Secrétaire d’Etat au Trésor nommé Jacques Duboin.

Je l’avais résumée dans une pleine colonne du Courrier parue dans le Nouvel Observateur du 19 juin 1978, en réponse à un article de Michel Bosquet(1) évoquant ce système économique et financier différent et ... inorthodoxe. J’écrivais °.. l’économie ne survit plus que par ses mythes et ses fictions ... Le mythe du plein emploi : c’est la plus terrible constatation du rapport Nora qui confirme ... la machine a été inventée pour travailler à la place de l’homme.. Deux pour cent de la population des Etats-Unis suffiraient par leur travail à faire vivre le pays. Le mythe de la libre entreprise : produire sans d’autre loi que celle du marketing avec , pour résultat, une concurrence imbécile .. un gaspillage dantesque. Le mythe de la monnaie : c’est le seul étalon de mesure "variable" ! Moyen de l’échange, il varie parce qu’il s’achète et se vend. L’argent est devenu une marchandise. Et la crise financière mondiale annoncée promet l’austérité à la partie du monde qui regorge de produits .. " (j’ajoute ici qu’une monnaie inconvertible assura la sécurité et l’indépendance : celà a coûté cher à Allende et son abandon coûtera cher à Gorbatchev). Le mythe de la croissance : on n’a jamais vu une augmentation des productions de toute sorte telle qu’on ne peut plus les vendre (dans les années 30 on appelait ça "surproduction’) et l’on s’étonne de la crise économique qui ... n’en restera pas là. Le mythe du commerce extérieur : la concurrence est rude parce qu’il faut "vendre" et qu’il faut s’assurer des "devises" pour acheter. Nous supprimons l’argent thésaurisable (pour le bonheur de tous les hommes) et la monnaie convertible (pour la sécurité de la nation) : le troc existe déjà entre l’Est et l’Ouest, et pas besoin de roubles. La notion de "profit" étant abolie à l’intérieur comme à l’extérieur (nous l’espérons) il ne sera plus urgent de vendre des armes, donc d’en fabriquer..." J’ajouterai le mythe de la retraite : les robots produisent des robots mais ... ils ne cotisent pas.
Neuf ans plus tard, dans le Nouvel Observateur du 27 février 1987, Jacques Julliard écrivait : "Je n’ai rien contre la charité ...A condition de ne pas jouer sur les mots. Dans l’ordre du privé, c’est vrai, la seule justice, c’est la charité. Mais dans l’ordre public, on a honte de rappeler ces évidences, la seule charité, c’est la justice.. Et quand des hommes politiques de gauche et de droite applaudissent tous en choeur aux entreprise de Coluche et de l Abbé Pierre, comment ne voient-ils pas qu’ils signent leur déchéance, qu’ils applaudissent à leur propre faillite ? ". Dans le Monde du même temps, le sénateur Pierre Marcilhacy, malheureusement disparu, rappelait "la somme des productions agricoles de la CEE dont on ne sait que faire après les avoir stockées à grands frais. Ces tonnes de viandes, de céréales, de lait, de beurre, résoudraient, si les Etats en faisaient don, les problèmes de famine en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud. Cependant cette forme de liquidation parait à tous inapplicable". C’est l’évidence, il faudrait payer transport et répartition, ce qui n’est pas "rentable".

Regorger de toutes les richessses imaginables, détruire les plus nécessaires (blasphème envers le Créateur et injure à la Raison) et, pour ce mythe inepte dit "quilibre budgétaire" compromettre, avec tant d’autres urgences, la santé des citoyens serait explicable s’il n’existait une autre voie c’est le refus de ce remède qui constitue le crimede non-assistance à humanité en danger. Mais c’est dans la liberté du système capitaliste qu’est strictement interdite sa divulgation par les médias.

NDLR : (1) auteur, sous le nom d’André Gorz, de nombreux ouvrages dont nous avons souvent parlé dans nos colonnes.

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Henri Muller a adressé au journal Ouest-France une lettre, dont voici la copie, car beaucoup de nos lecteurs voudront sans doute s’en inspirer pour en envoyer de semblables à leurs journaux et autres media :

Financer les TUC en monnaie de consommation

par H. MULLER
mai 1990

"Il est exaspérant d’entendre répéter sans cesse qu’il n’existerait aucun projet de société susceptible de se substituer aux modèles connus ou pratiqués que leurs tares marquent au fer rouge : gaspillages, insécurité du revenu, des personnes et des biens, mépris de la personne humaine, laminage constant du pouvoir d’achat des multitudes, règne des bureaucraties, scandales financiers à répétition, mépris de la personne humaine, injustices sociales, libertés "formelles". II en va pareillement des systèmes dits "communistes" ou de dictature, affligés de défauts maintes et maintes fois soulignés, dont l’économie s’effondre aujourd’hui sous nos yeux.
Absence de pensée novatrice ? N’est-ce pas les médias qui entretiennent et propagent cette illusion par leur mise à l’écart des propos dérangeants visant les institutions monétaires ?
Le mal est enraciné dans des usages monétaires confrontés avec l’accélération du progrès technologique dont l’effet est de multiplier l’offre alors que la demande reste dépendante des aléas de la formation des revenus .
... Il est temps qu’un journal de grande diffusion comme le vôtre, fasse connaitre à un large public l’existence d’un "projet de société pour demain" ; autrement prometteur que toutes ces "bouillies pour les chats" autour desquelles cogitent les gens des partis seulement férus de réformisme, de rénovation, de reconstruction qui n’intéressent personne.
Organisez un vaste débat sur ce projet de société vraiment novateur sur un modèle à la fois socialiste, libéral et communautaire, à monnais de consommation. Vaincre l’utopie ? Votre journal peut y aider. Puis-je compter sur votre concours  ?

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"Départements et Communes" (Association des Maires de France) a d’autre part publié l’article suivant de notre camarade :

FINANCER LES TUC EN MONNAIE DE
CONSOMMATION

Le mode d’emploi de cette formule est connu de longue date (1). II semblerait, pourtant, qu’il reste ignoré des principaux protagonistes qui, en ordre dispersé, s’efforcent aujourd’hui de mettre en place une solution au double problème des excédents et du chômage, peu conscients du résultat qu’obtiendrait une coordination de leurs inititatives, associée à l’usage d’une monnaie de consommation.
Les éléments de l’opération ?
- Des bénévoles assurent déjà la collecte de surplus dans le cadre des "Banques alimentaires" ; surplus distribués sans contrepartie, sous forme de colis, à des personnes nécessiteuses.
- A Marseille, tout récemment, c’est la municipalité qui, rassemblant les lots d’excédents dans des locaux spéciaux aménagés en "supermarchés" offre le choix à consommer, par leur mise en vente pour un franc symbolique, aux ayant droits.
- Lors de leur congrès, les ingénieurs des Arts et Métiers, ont suggéré d’utiliser les chômeurs pour des travaux d’utilité collective financés par prélèvements sur les hauts revenus (profits boursiers et commerciaux).
- Enfin, l’apparition de la "carte à puce", susceptible de jouer le rôle d’une monnaie de consommation gagée par les excédents devrait apporter le deus ex machina qui, visiblement, fait défaut à toutes ces initiatives éparses, erratiques.
II s’agit de créer une monnaie parallèle, non transférable, neutre, s’annulant à l’achat, pour un marché parallèle réservé à des consommateurs marginaux, et capable à la fois d’écouler toutes quantités d’excédents voués à la destruction, de remettre des chômeurs au travail contre un salaire complémentaire s’ajoutant à leurs indemnités, enfin de procurer aux collectivités un appoint de ressources pour financer, sans appel aux contribuables, un ensemble de prestations utiles dénuées de rentabilité, allégeant de surcroit leur budget social.
Qu’ajouter de plus ? Comment convaincre les responsables de l’urgence d’assurer cette coordination en y intégrant la pratique d’une monnaie de consommation ? Faut-il attendre que fermentent plus longtemps des impatiences lourdes de menaces pour la stabilité des institutions  ?

(1) Voir "Un pool international des excédents" (Rev. Ingénieurs ICAM, 1955)
"L’aide économique et la double monnaie" `Débat à la jeune chambre économique internationale, 14 décembre 1956). "L’économie du don. Son mode d’emploi (Rev. Confluents n° 13, juin 1957). "La carte de crédit. Son utilisation en monnaie de consommation (4 avril 1969). "La carte à mémoire, monnaie de consommation pour les banques de nourriture en faveur des nouveaux pauvres" (L’Echo de la Presqu’île, 11 janvier 1985).

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Dans nos numéros 881,883,885 et 887, nous avons publié notre traduction d’une proposition de réformes qui nous vient du Royaume-Uni, tendant à substituer aux multiples taxes en vigueur une taxe unique basée sur l’énergie. Voici la suite de cette traduction.

Les joies de l’économie des ressources

par F. BRADBURY
mai 1990

5 - 2 Comment y arriver ? Tout d’abord il faut rendre égales valeur énergétique (c’est à dire le facteur commun à toute création de richesse et de consommation) et valeur monétaire (c’est à dire le facteur commun à tous les échanges économiques). Du gâteau. La relation entre énergie et monnaie est facile à établir parce que la monnaie est de toute façon une denrée arbitraire. Tout ce que nous faisons consiste à donner une "valeur sociale" à l’énergie (et donc à toutes les autres ressources matérielles puisque de l’énergie est utilisée dans tous les processus de fabrication, de transport, de valeur ajoutée et de coût ajouté). C’est ce que nous faisons en ajoutant un droit de rente (une taxe sur les ressources) appelée TAXE UNIQUE à la source économique de l’énergie. Ainsi l’activité économique d’une société quelconque, mesurée précisément par le nombre d’unités énergétiques qu’elle dépense pour sa propre consommation, crée de la monnaie par l’intermédiaire de la TAXE UNIQUE pour ses besoins civils (revenu social des citoyens).

5 - 3 La réaction primaire et immédiate de nombreux industriels à la suggestion d’augmenter le prix de l’énergie est une réaction d’horreur. Les politiciens expriment de l’incrédulité et murmurent " taxe rétrograde". L’Industriel a tort parce que la TAXE UNIQUE remplace toutes les autres taxes, et notamment la TVA, (dans les pays européens) de sorte que le coût global de production reste à peu près le même, tandis que le coût de la vie à tendance à baisser par suite de l’absence d’évasion fiscale et de l’amélioration de l’efficacité administrative. Ils peuvent aussi sentir un élément de protection dans notre Proposition d’Economie des Ressources. Toutes les importations sont taxées équitablement sur leur "Contenu Légal en Energie Primaire" et le coût des exportations étant abaissé. Les politiciens ont tort parce qu’ils ne voient qu’à court terme (ce qui, comme la TVA, est rétrograde) et oublient le caractère naturellement progressiste de la taxe sur les ressources  : plus le niveau de vie est élevé et plus la consommation est grande.

5 - 4 Notre proposition est donc que la transition vers l’Economie des Ressources commence en Europe (ou dans un ou plusieurs pays d’Europe) par le remplacement direct de la TVA par une TAXE UNIQUE équivalente à 5 Ecu par gigajoule d’énergie primaire. Nous préparons maintenant la Proposition pour l’Economie des Ressources pour la soumettre (en plusieurs langues) à la Commission Européenne.

6 - Les avantages

6 - 1 La beauté de cet arrangement est que, sans sacrifier un sou du revenu de l’Etat, il fournit une incitation naturelle à économiser les ressources (1) et qu’en supprimant les taxes qui pénalisent le travail qui ajoute de la valeur, il encourage au contraire l’emploi. Le flux naturel d’énergie est exactement et inévitablement lié à l’activité économiqueet il n’y a pas de paperasse en aval de sa source économique. Ainsi les confusions et les anomalies qui résultent des règles et des définitions établies sur l’assujettissement et les exemptions de l’ancienne imposition disparaissent pour être remplacées simplement par un brillant ensemble de réglements simples, scientifiquement exacts, appliqués uniquement à la source économique, professionnellement administrée, de l’énergie primaire et des produits importés. La difficulté qu’on rencontre pour unifier la TVA en Europe est évitée par la Taxe Unique. Parmi les problèmes notables liés à la TVA, il faut souligner ceux qui concernent la qualité de la vie : allégement du financement des activités sportives, des arts (théatres, galeries d’arts, livres,...), des organisations culturelles, sociales et charitables (dont beaucoup ont tendance à être intensives en travail plus qu’en argent). On élimine aussi beaucoup de procédures de contrôle, ce qui réduit les conflits entre les fonctionnaires et le reste de la société.

6 - 2 L’abolition systématique et pas à pas des taxes actuelles qui, à côté de la distorsion souvent ridicule du planning et de l’activité économique, pénalisent sévèrement la création de richesse, doit conduire simplement, du fait de leur disparition, à de nombreux avantages. Notez bien que la suppression politique des différentes taxes demandera beaucoup de temps. Qu’à cela ne tienne, l’Economie des Ressources peut s’accomoder de ces petits inconvénients : il n’y a pas d’obligation à se débarasser de toutes les autres taxes. C’est simplement avec le temps qu’on s’apercevra probablement qu’elles sont inefficaces et anti-productives. Elles sont remplacées progressivement par un système de taxe unique sur les ressources qui empêche le gaspillage des ressources tout en encourageant l’emploi efficace avec des horaires réduits .
(à suivre).

(1) Dans tout cet article , le terme "ressources" désigne les ressources matérielles et non les ressources humaines ou monétaires.