La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 872 - novembre 1988

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N° 872 - novembre 1988

Gouverner sa propre vie   (Afficher article seul)

Deuxième Assemblée Générale de l’association BIEN   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Les nouveaux serviteurs   (Afficher article seul)

Le pouvoir supranational   (Afficher article seul)

La perestroïka, une bévue regretable   (Afficher article seul)

Allô mamans, bobo !   (Afficher article seul)

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Éditorial

Gouverner sa propre vie

par M.-L. DUBOIN
novembre 1988

Tel est bien, finalement, le droit que nous revendiquons en militant pour l’économie distributive. Non que celleci nous paraisse la condition suffisante pour accéder à pareille autonomie, mais parce qu’elle en est une condition nécessaire, nous libérant des contraintes qui nous sont aujourd’hui opposées de façon intolérable sous prétexte de « nécessités économiques », tout à fait contestables. C’est dans cette perspective que se place A. Gorz (1) en proposant une politique de réduction massive et générale de la durée légale du travail.
Comme les distributistes, il entend que le temps consacré au travail dans la sphère de l’économie, (celui qu’on fait en qualité de citoyen et qui justifie qu’on ait droit à vie à sa part des richesses réalisées dans cette sphère), doit être le plus court possible afin de dégager un maximum de temps que chacun puisse consacrer à faire ce qui lui plait, à s’épanouir hors du monde marchand. Cette liberté, avec les moyens matériels d’en faire l’usage que l’on souhaite, est pour nous le moyen de voir l’humanité évoluer, développer ses capacités d’imagination, ses ressources tant morales qu’intellectuelles, en un mot sa convivialité. Mais elle n’implique aucune idéologie, aucune religion, sinon, évidemment, le respect des autres, de leur liberté, de leurs croyances.
Il n’en est pas du tout de même dans l’esprit du « groupement d’économie distributive », malgré son nom. Celuici, en effet, vient de publier, sous la plume de J. d’Argine un opuscule intitulé « une nouvelle économie pour le troisième millénaire » où est prônée une société qu’on appelle distributive mais où l’Autorité (avec une majuscule) serait exercée par l’Eglise, le gouvernement des peuples étant subordonné à cette Autorité et, particulièrement au sommet de celle-ci, au Pontificat : « une référence constante aux préceptes de l’Évangile est une condition sine qua non à la mise en place d’une telle économie affirme J. d’Argine qui prétend « qu’elle implique le rétablissement de la notion d’Autorité et de Pouvoir » et que «  les hommes soient soumis de leur plein gré » (remarquable contradiction) « à une Règle de fer inspirée de l’Evangile ».
Or l’économie distributive n’implique pas cette obéissance à une Eglise. On peut parfaitement être convaincu de la valeur morale des préceptes de l’Evangile mais rien ne permet d’affirmer qu’il n’y a pas de société distributive possible sans cette obéissance. Il fallait que celà soit dit clairement afin d’éviter toute confusion après lecture d’un opuscule qui se réfère à J. Duboin, tout en disant «  Depuis que nous avons été condamnés chacun à gagner son pain à la sueur de son front »... et que «  Le prochain n’est plus qu’une source de profits, c’est la règle d’or du syndicalisme et de la politique marxiste »... !
Par conséquent, si des distributistes sont tentés de s’associer au Groupement d’économie distributive (GED) dont le siège est 12 rue de la Charmille à Strasbourg, qu’ils ne confondent pas cette association avec les Groupes pour l’Economie Distributive qu’avait fondés M. Laudrain. L’association de Strasbourg fait signer à ses adhérents un contrat dans lequel ils s’engagent à verser au groupe tous leurs revenus, salaires, rentes et allocations diverses. Le GED se charge de règler leurs factures de loyer, d’électricité, chauffage, assurances, etc., et de remettre à chacun sa « part » pour qu’il assume ses autres frais (nourriture, vêtement, scolarité, loisirs), étant entendu que c’est le Bureau du GED « qui définit quelles sont les dépenses véritablement nécessaires ». Ajoutons un détail : le chef de famille a droit à une part entière, son conjoint à une demi part. Voilà qui va enthousiasmez Chiffon !(2)

(1) voir la rubrique « lectures » ci-dessous.
(2) voir la rubrique « Tribune libre ».

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Deuxième Assemblée Générale de l’association BIEN

(Basic Income European Network = Réseau Européen pour l’Allocation Universelle)
novembre 1988

La deuxième conférence internationale de l’association, fondée en septembre 1986 à Louvain La Neuve pour l’allocation universelle, s’est tenue à Anvers du 22 au 24 septembre dernier.
Une cinquantaine de personnes inscrites, un peu moins de présentes, une vingtaine d’orateurs, mais cependant une quinzaine de pays représentés, dont une délégation relativement forte d’un pays nouveau venu : la Finlande.
Le débat ne portait plus sur la question de savoir pour quelle allocation universelle se battre, mais plutôt de chercher avec quels moyens il est possible de le financer dans le système économique actuel. Autrement dit, une gageure ! Beaucoup d’intervenants s’évertuèrent à imaginer diverses refontes des systèmes actuels de taxation, comme par exemple de faire payer aux entreprises des taxes plus lourdes sur les plus gros salaires, afin d’encourager l’embauche des travailleurs les moins payés... M-L Duboin, dans son intervention, a expliqué que les revenus ne pouvaient plus désormais, rester proportionnels au travail, qu’ils devaient devenir proportionnels aux productions. Elle a montré que la monnaie capitaliste ne peut pas effectuer ce changement, qu’elle est donc tout à fait dépassée par les événements. Elle a dénoncé les méfaits de la spéculation, rendant impossible toute politique économique et montré que pour rendre à l’économie les moyens de remplir sa véritable mission, il fallait une monnaie distributive, la monnaie informatique étant mûre pour remplir ce rôle. En dix minutes, il était certes difficile de faire passer tant d’idées nouvelles. Espérons cependant que certains esprits en auront été ébranlés.
Il semble que c’est aux Pays-Bas que l’idée d’allocation universelle est le plus avancée dans le public, comme nous l’avait prouvé l’article de Philippe Van Paryis publié récemment dans la Grande Relève.
Lors de sa dernière séance, l’Assemblée a décidé que la prochaine conférence, dans deux ans, se donnerait pour objectif d’avoir une vision européenne de l’allocation universelle.
Comme après Louvain, nous nous proposons de traduire pour nos lecteurs, dans les numéros à venir, quelques unes des interventions qui ont été faites à Anvers.

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Au fil des jours

novembre 1988

Après six ans de travaux, la commission sociale de l’épiscopat français, présidée par l’évêque de Valence, vient de publier le fruit de ses réflexions en matière d’économie.
Semblable publication avait été faite en septembre 1982. Il s’agissait alors de proposer « de nouveaux modes de vie » impliquant le partage des revenus et du temps de travail et estimant qu’un placement d’épargne devait être fait selon «  son utilité sociale » et non « sa rentabilité financière ». Une position si osée avait valu à l’épiscopat « une volée de bois vert » (selon les termes de H. Tincq, du journal Le Monde), on l’avait accusé d’incompétence économique et de partialité politique.
Que fit l’épiscopat ? Il consulta des économistes, des « techniciens » (Michel Albert par exemple). Le résultat  ? Je cite H. Tincq : « Plus que des appels concrets à la solidarité face au chômage,... une sorte de réflexion de fond argumentée à partir des Ecritures et de la doctrine sociale de l’Eglise sur une pratique chrétienne de l’économie. Son approche d’une situation de compétition, qui s’est durcie en six ans, apparait davantage marquée par l’exigence de la croissance et un souci de réalisme économique ».
Toujours ces grands mots, pour faire passer un net recul idéologique. Beau succès pour nos économistes : ils savent faire respecter leur propre dogme par l’Episcopat !
Soyons justes : celui-ci ajoute tout de même : « On ne peut pas prendre son parti d’une société duale où une partie de la population bénificierait d’un travail reconnu, rémunéré, et où l’autre devrait se contenter d’un revenu minimum sans l’espoir d’un vrai travail. Le principe d’une fraction de la population laissée pour compte est inacceptable ». Mais, commente un autre journaliste, F. Simon, « la volonté de ne pas s’en prendre à un patronat trop soucieux d’efficacité émousse la condamnation  » du fonctionnement actuel des entreprises.

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Les prévisions de la CEE sont enthousiasmantes  : croissance du PIB de 2,5% à 6,5%, baisse des prix de 6%, création de 2 millions d’emplois (combien d’emplois supprimés ?).
Mais d’autres études, curieusement, font moins de bruit. Par exemple, celle de la « Data Ressources Inc », filiale du groupe qui publie Business Week. Elle prévoit une croissance du PIB de 0,3% à 0,5%, une baisse des prix de 2,5% en 1995 et la création de seulement 300.000 emplois nouveaux... dans l’ensemble de la Communauté. Cette étude prévoit un taux de chômage de 11,46% et des salaires horaires ayant tendance à baisser de 2,4% en 1995.

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Le journal Le Monde vient de publier un magnifique supplément de 40 pages, riche en couleurs, dédié aux entreprises dans la perspective du marché unique européen.
Il s’agit de permettre aux entreprises de « prendre les devants  », de mieux affronter la concurrence, de gagner des parts du marché.
Ce supplément foisonne d’enquêtes, de statistiques, d’études approfondies et, bien entendu de nombreuses publicités coûteuses (c’est probablement elles qui ont payé ce supplément). Ces études sont intéressantes. L’une d’elles, par exemple, fait ressortir la disparité entre ce qu’attendent les différents pays de la Communauté de cette Europe du marché unique  : les entreprises françaises en espèrent un allègement de la fiscalité tandis que les Anglais craignent surtout de voir les banques et les compagnies d’assurances des autres pays rivaliser avec les leurs.
Une publicité titre : « Combien cet annuaire peut-il rapporter d’intérêt français à un banquier britannique  ? » et explique qu’avec l’annuaire proposé « où que vous soyez, vous cernez le marché d’un seul coup d’oeil », il « sert déjà de ligne directe pour l’Europe à 317.000 entreprises, grâce à ses 140.000 contacts dans 600 secteurs clefs ».
A quand aussi sérieux, aussi documenté, aussi riche supplément du Monde pour préparer l’Europe sociale ? Quelles publicités financeraient un tel supplément pour permettre aux travailleurs de mieux se préparer contre un « nivellement par le bas  » ?
C’est bien l’Europe des affaires qui se prépare !

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La plus grande éolienne à axe vertical au monde, de 100 mètres de haut et 64 mètres de diamètre a été vendue l’an dernier par le gouvernement canadien a des particuliers.
Le prix de cette vente ? UN dollar !
Parce que le gouvernement canadien ne voulait pas investir plus longtemps dans ce type d’énergie. Pensez, des sources d’énergie gratuite, quel non sens !

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On a assez parlé du krach d’Octobre 1987 et de ses conséquences. Mais il y a un aspect qui en est passé généralement inaperçu : les transactions, qui sont évidemment source de revenus pour le personnel de la finance, ayant diminué de 30 % a Paris, de 36 % a Londres, de 40 % a Tokyo et de 50 % a New-York il s’en est suivi une réduction de personnel  : près de 24.000 emplois (environ 10 % des effectifs) ont été supprimés a Wall Street et 12.000 a Londres.

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Exportez ! Exportez ! Soyez de ces bons Français qui contribuent a l’équilibre de la balance commerciale de leur pays... Refrain connu. Hélas, exporter n’est plus la panacée. Le projet de loi de finances pour 1989 prévoit la bagatelle de 6 milliards de Francs au titre des sinistres de la Compagnie française d’assurances pour le commerce extérieur, c’est-a-dire pour payer les contrats impayés. Et on prévoit que pour 1988 la note dépassera déja cette somme. L’année dernière, c’est 24 milliards de Francs d’exportations qui étaient restés impayés mais jusque la c’est la Banque Française du commerce extérieur qui en supportait le coût. Ce sera donc désormais l’Etat, au moins pour la plus grosse partie. Il ne faut pas courir le risque de voir la banque en question se mettre en grève et manifester dans la rue comme les infirmières.

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Les nouveaux serviteurs

par M.-L. DUBOIN
novembre 1988

André Gorz vient de publier, avec "Les Métamorphoses du travail" (1) une bombe qui est plus porteuse d’espoir que toute l’oeuvre de Marx au siècle dernier. Ceci n’est, hélas, que mon sentiment, car je crains fort que l’idéologie bornée que nous impose, comme un couvercle, "l’élite" des "gens compétitifs" ne parvienne à lui faire faire long feu.
N’empêche, quelle densité de réflexion ! Et quel effort, à contrecourant, pour que la critique soit constructive  !

Inventions modernes

Le livre commence par une remise au point historique : le travail, au sens où nous l’entendons actuellement, est une invention moderne, née il y a deux siècles, avec le capitalisme manufacturier, puis généralisée à l’ère industrielle. Tout au long de l’histoire, c’était une occupation servile, indigne du citoyen. Ceux qui l’accomplissaient, les esclaves et les femmes, étaient tenus pour inférieurs. L’homme libre était celui qui n’était pas soumis à cette nécessité. L’idée que la liberté, c’est-à-dire le règne de l’humain, ne commence qu’au-delà du règne de la nécessité a été une constante depuis Platon et la philosophie grecque. On la retrouve par exemple, dans Marx pour qui "La liberté... ne commence... qu’audelà de la sphère de la production matérielle proprement dite". Dans le monde antique, la sphère économique était celle, privée, de la famille organisée autour des nécessités de la subsistance, elle était hiérarchisée et se trouvait le siège de la plus rigoureuse inégalité. La sphère de la liberté commençait au-dehors de la famille. C’était la sphère publique, "la polis" qui se distinguait aussi de la sphère privée en ce qu’elle ne connaissait que des "égaux", afin qu’elle puisse, justement, être le domaine de la liberté, c’est-à-dire de la recherche désintéressée du bien public, les activités utilitaires en étant exclues. Ainsi, pendant des siècles et des siècles, le travail accompli "à la sueur de son front" pour assurer sa subsistance, n’était pas un facteur d’intégration à la société, bien au contraire.
La différence fondamentale entre le travail avant et le travail après le début de l’ère industrielle est que celui-ci n’est plus confiné dans la sphère privée. Il est caractérisé par une activité dans la sphère publique, exercée pour d’autres qui en reconnaissent l’utilité et par conséquent la paient. Il est devenu un facteur d’intégration à la société.

L’irruption de la "rationalité"

Jusque vers la fin du siècle dernier, la production des biens de consommation n’était pas soumise à l’implacable "rationalité" économique qu’on nous présente aujourd’hui sous le terme de "nécessités économiques".

Le tissage, la culture de la terre, étaient non pas des gagne-pain mais plutôt un mode de vie, régi par des traditions tout à fait irrationnelles au point de vue économique, mais que, pourtant, les marchands capitalistes eux-mêmes respectaient.

André Gorz se réfère à une étude de Max Weber pour montrer que l’esprit capitaliste" est entré brutalement en action. Un beau ( ?) jour, les marchands se sont mis à imposer leur propre intérêt à leurs fournisseurs. La nouveauté, ce fut "l’étroitesse unidimensionnelle, indifférente à toute considération autre que comptable, avec laquelle l’entrepreneur capitaliste pousse la rationalité économique jusqu’à ses conséquences extrêmes".
Alors le travailleur devint un simple accessoire de la machine. Ces "simples soldats de l’industrie... incarnent une humanité dépouillée de son humanité et qui ne peut accéder à celle-ci qu’en s’emparant de la totalité des forces productives de la société".
L’industrialisation permet à l’homme de triompher en dominant les nécessités naturelles, mais elle le contraint à se soumettre aux instruments de cette domination. La révolution industrielle se transforme en bouleversement des valeurs, des rapports sociaux : "L’activité productrice était coupée de son sens, de ses motivations et de son objet pour devenir le simple moyen de gagner un salaire. Elle cessait de faire partie de la vie pour devenir le moyen de "gagner sa vie"...
C’est ainsi que la "rationalisation" a eu raison de toute aspiration à nous libérer des contingences économiques. En même temps ces "impératifs" nous font perdre tout désir d’autonomie. Aliéné dans son travail, l’individu l’est par suite, dans ses consommations, et finalement dans ses besoins : s’il n’y a pas de limite à la quantité d’argent qui peut être gagnée, il n’y a plus de limite aux besoins que l’argent permet d’obtenir et il n’y a plus de limite aux besoins d’argent. La "monétarisation du travail et des besoins" fait sauter les limites que la philosophie, ou la morale, pouvait fixer.

L’utopie du travail chez Marx

Gorz analyse la riposte que Marx incita les travailleurs à opposer à cette révolution capitaliste. C’est l’utopie de l’autogestion et du "contrôle ouvrier" : chaque individu doit pouvoir par et dans son travail, s’identifier avec la totalité indivise de tous ("le travailleur collectif") et trouver dans cette identification son accomplissement personnel total. Le Plan doit être l’ensemble des objectifs donnant à la société, en chacun de ses membres, la maîtrise à la fois de la Nature et de l’entreprise sociale tendant à la maîtriser. Or ce plan est une vue de l’esprit, irréalisable à cause de la complexité, de l’étendue et des rigidités de l’appareil de production dans son ensemble. Il est en effet impossible de réaliser une autogestion collective à pareille échelle  ! Alors l’établissement du Plan fut confié à une émanation de la conscience collective, un sousgroupe spécialisé  : les instances du Parti, c’est-à-dire de l’Etat. Et la morale socialiste fit de la réalisation du Plan un impératif motivé par la foi en la Raison dont le Parti était l’incarnation et l’instrument, tout à la fois. Ainsi naquit le totalitarisme soviétique.
Il est impossible de rapporter ici toute la richesse de l’analyse d’A. Gorz. Elle fera sans doute bondir les inconditionnels, mais elle séduit les autres par son objectivité, par la méthode scientifique avec laquelle elle est menée.

Halte là !

La conclusion s’impose avec clarté : la rationalisation économique a atteint sa limite et il est absurde et suicidaire de vouloir la pousser au-delà, comme le font tous ceux qui avec Lionel Stoleru disent que la vague de progrès technologiques va permettre de "créer ailleurs dans l’économie (ne serait-ce que dans les loisirs) de nouveaux champs d’activité" c’est-àdire des emplois rémunérés. Cela revient à "économiciser" dit André Gorz, à faire rentrer dans la sphère économique, des activités qui n’y ont pas leur place, afin de créer des emplois de serviteurs, et non pas des activités utiles à la société. Il s’agit en fait de faire faire par d’autres des tâches n’ayant d’autre but que d’agrémenter la vie de ceux qui sont déjà privilégiés par un emploi bien rémunéré. C’est creuser le fossé entre les deux parties honteusement inégales de notre société. C’est priver une majorité d’êtres humains de la libération des tâches matérielles que les progrès rendent possibles pour tous.

La quête du sens : Un idéal pour la gauche

Au lieu de vous battre pour "créer des emplois", n’importe quel emploi, pour n’importe quelle tâche absurde, ou inutile, ou nuisible, et à n’importe quel prix, dit A. Gorz aux travailleurs et, en particulier,, aux syndicats, battez-vous plutôt pour une réduction massive, programmée de la durée légale du travail hebdomadaire (2). Avec un tel objectif, par exemple une réduction de 5 heures par semaine au cours des 5 ans à venir, c’est un véritable partage du travail entre tous (le plein emploi - réduit - pour tous) qui se mettra en place et vers lequel l’ensemble de la société s’organisera. Car une politique de réduction du temps de travail ne doit pas se limiter aux seuls emplois non qualifiés, ce qui accentuerait encore la dualité de notre société.
La réduction généralisée de la durée du travail est un choix de société qui a pour double objectif de libérer pour tout le monde le temps de développer, hors de son travail, les possibilités personnelles, qui lui permettent de s’épanouir en tant qu’individu, et de faciliter l’accès aux emplois qualifiés à un nombre de plus en plus grand de gens. En passant, A. Gorz réfute les arguments "élitistes" de ceux qui veulent faire croire que cette "démocratisation" n’est pas possible...
Mais attention, il s’agit de gouverner "un processus qui exige de moins en moins de travail et créé de plus en plus de richesses". Donc cette réduction programmée "de la durée du travail ne doit pas entrainer de diminution du pouvoir d’achat. Il reste à savoir comment parvenir à ce résultat".

A. Gorz en arrive "au deuxième chèque" de Guy Aznar et conclut : "On retrouve finalement, par ce biais, un système qui rappelle la monnaie de distribution théorisée dans les années 1930 par Jacques Duboin et le mouvement distributiste et l’idée d’un revenu social qui a pour fonction non de donner à chacun selon son travail mais d’assurer la distribution des richesses socialement produites".
Néanmoins, il semble qu’A Gorz n’ait pas encore fait porter la rigueur de son analyse sur le rôle de la monnaie. Ce livre lui ayant coûté deux ans de réflexion, attendons pour cela, dans deux ans, le prochain.

Marie-Louise DUBOIN

(1) "Métamorphoses du travail. Quête du sens. Critique de la raison économique" par André Gorz. Edition Galilée Collection débats - 300 pages : 135 F.
(2) ou du travail mensuel, ou du travail annuel (1000 heures par an  ?), ou dans la vie, peu importe et je ne comprends pas pourquoi ce point attire l’attention critique des économistes.

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Dossier

Le pouvoir supranational

par R. MARLIN
novembre 1988

Comme nous l’avions promis dans le précédent numéro (1), abordons aujourd’hui, sans bien entendu épuiser le sujet, la question des organismes occultes qui successivement ou concurremment prétendent et réussissent quelquefois à imposer leurs directives aux nations.
Ces informations sont peu connues (2), au moins en France, car les périodiques de grande diffusion répugnent à informer leurs lecteurs sur ces problèmes fondamentaux. Ils préfèrent se délecter des petites phrases de nos chers politiciens et des potins de la vie hexagonale. L’explication de ce silence réside probablement dans la censure implicite et inavouée exercée par les puissances financières qui les contrôlent, comme nous le verrons plus loin. Les journalistes dits de gauche ou considérés comme tels (3) se taisent. Les éléments les plus connus dans le monde francophone se trouvent dans des livres écrits par des universitaires ou des transfuges des services secrets, ainsi que dans des publications maurrassiennes dont il convient peut-être d’accepter les citations "in extenso" mais de se méfier lorsqu’elles se lancent dans des commentaires subjectifs.
En effet, les institutions dont nous allons parler sont l’objet de deux critiques principales. Une de "gauche" qui dénonce la dictature de la finance et combat leur élitisme ainsi que leur absence de démocratie. Une de "droite" qui s’insurge contre leur pouvoir supranational. Aux Etats-Unis, la polémique est publique depuis au moins quinze ans et la matière est abondante ; comme d’habitude rien ou presque n’échappe à la presse américaine. Les Français attachés à la défense des droits de l’homme s’attristeront sûrement, une fois de plus, en constatant la carence de leurs moyens d’information dans ce domaine.

Le "Council on Foreign Relation" (CFR) ou Conseil des Relations extérieures.

Le CFR, première en date de ces sociétés secrètes, est entièrement américain. Il fut fondé en 1921 par le banquier Morgan, mais s’illustra surtout dans la création du système économico-politique d’après-guerre : accords de Bretton Woods et de Dumbarton Oaks (1944), créations de l’OTAN et des Nations-Unis, lancement de plan Marshall (4). Composé actuellement d’environ 1400 à 2000 affiliés - selon les sources - parmi les milieux de la présidence, des affaires, de la religion et de la CIA, il exerce une influence prédominante sur le gouvernement des Etats-Unis (5). Depuis sa fondation, tous les futurs présidents étaient, avant leur élection, membres du CFR. Les relations internationales de ces personnalités permettent d’exercer un contrôle étroit sur les Etats occidentaux, soit directement, soit par l’intermédiaire d’organismes, comme le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale, par exemple. En 1950, un financier lié au CFR, Paul Warburg (6) déclara devant les sénateurs américains : "Nous aurons un gouvernement mondial, que cela plaise ou non. La seule question est de savoir s’il sera créé par conquête ou par consentement". L’animateur et soutien financier du CFR est David Rockfeller, PDG de la Chase Manhatan, 3e banque du monde ; l’un de ses principaux soutiens  : Henry Kissinger.

Le Bilderberg Group (B.G.) ou Club de Bilderberg

Le véritable fondateur de ce "Group" fut Joseph H. Retinger (7). L’idée naquit durant la seconde guerre mondiale. D’abord sous la forme d’une union fédérale européenne, remède aux faiblesses du continent après guerre.
Mais bientôt, après un voyage aux Etats-Unis en 1952, Retinger conçoit la nécessité d’associer américains et européens. Après avoir consulté Van Zeeland, Ministre des affaires étrangères de Belgique, et Paul Rykens, Président de la société Unilever, il fut décidé de porter à la tête du groupe le prince Bernhard de Lippe. Furent sollicités des hommes politiques connus dont, notamment, les premiers ministres : de Gasperi, Guy Mollet et Antoine Pinay, ainsi que de nombreux hauts banquiers et présidents de grandes multinationales. Parmi les parrains figuraient évidemment l’inévitable David Rockfeller, "qui ne cessera de figurer dans toutes les instances qui s’assignèrent pour tâche d’établir un nouvel ordre mondial" (7) et son frère Nelson, exgouverneur de New-York et VicePrésident des Etats-Unis.
La réunion constitutive eut lieu en Mai 1954 à l’hôtel Bilderberg qui donna son nom au club, dans la ville hollandaise d’Osterbeck. Le prince est élu président, il est secondé par un comité central de dix membres, qui agira comme une sorte de "gouvernement multinational" (8). "Malgré leurs dénégations, les Bilderberger’s constituent un gouvernement mondial coiffant les gouvernements nationaux" (9). Les réunions se succèdent ensuite annuellement : Barbizon (1955), Fredensborg (Danemark) (1956), SaintSimon Island (E.U’) et Finggi (Italie) (1957), Buxton (Angleterre) (1958), Yesilkov (Turquie) (1959). Burgenstock (Suisse) (1960), etc...
Peu de documents sont diffusés sur les premières années d’existence du groupe. Un peu plus sur les années suivantes. Puis le secret pèse de nouveau. "Le groupe... poursuit encore, en 1985, ses activités" (7).
Le secret du financement des opérations est d’autant plus difficile à percer que les fonds passent par des sociétés-écrans et des banques situées dans des pays discrets (Bahamas, Vaduz, Luxembourg, Suisse). "... Durant les premières années de son existence, le club de Bilderberg dispose d’un budget annuel de 250.000 dollars, chiffre qui, avec les années, passera à plusieurs millions de dollards (20 à 25 selon les estimations...) provenant en grande partie de sociétés multinationales et des services secrets..." (8).
Entre 50 et 400 personnalités membres et invités assistent aux réunions. Retinger déclarait que les invitations seraient adressées seulement à des "gens importants" (10). Effectivement, elles le furent. Parmi les Français, nous citerons notamment en plus de Guy Mollet et Antoine Pinay Pierre Dreyfus (Renault), Jacques Rueff, Pierre Uri, Jacques Baumel, Albin Chalandon, Roger Duchet, Olivier Guichard, Maurice Herzog, Louis Leprince-Ringuet, Jean Letourneau, Jean Lecanuet, Georges Pompidou, Lionel Stoléru, mais aussi Jacques Attali, Pierre Cot, Gaston Defferre, Maurice Faure, Edgar Faure, André Fontaine et Michel Rocard. Les uns sont des membres à part entière, les autres de simples invités, en une occasion ou une autre. I l est permis de se demander si la participation de certains, qui sert d’alibi et de caution à cette oligarchie, est motivée par la curiosité, l’ambition, la recherche des honneurs, l’intérêt intellectuel ou matériel. La question, irritante, se pose toujours. D’autant plus que l’organisation du B.G. en cercles concentriques fait des invités de simples comparses, les vraies décisions étant prises au sein du Comité exécutif qui leur est inacessible. La liste complète de présences ne peut pas être publiée dans le cadre de notre revue, mais le lecteur peut se reporter pour cela aux ouvrages cités. Qu’il suffise d’écrire que toute la haute banque, les affaires, les industries d’armement, l’Etat-Major militaire, les grandes associations, les journaux importants, les syndicats et les partis furent représentés au moins lors d’une rencontre.
Les questions traitées paraissent banales et les débats restent confidentiels "...Il n’était pas nécessaire, ni souhaitable que le simple citoyen connût le rôle que jouaient ces oligarques dans l’élaboration d’une politique étrangère qu’il voulait croire idéaliste et généreuse" (7). Retinger l’avait affirmé : "Les décisions politiques de grande envergure sont rarement comprises par le grand public (11)..." "...Le simple citoyen, pour sa part, ne savait rien de ces débats complexes. Il avait pouvoir sur la création, dans sa ville, d’une nouvelle école ou sur la gestion d’un hospice - ce qui était tout de même de la démocratie. Il n’en avait aucun quand il s’agissait de l’avenir du monde qui,’ pourtant, le concernait encore davantage..." (7).
Les événements dans lesquels sont intervenus, au moins les responsables du B.G., afin de favoriser l’impérialisme américain sont longuement décrits par les auteurs cités. Nous n’en donnerons ici qu’une liste limitée : déstabilisation de De Gaulle (candidature de Monsieur X : Gaston Defferre, utilisation de mai 1968), conception du traité de Rome et entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, guerre des phosphates au Sahara, admission de la Chine Populaire à l’O.N.U. (pour faire échec à l’URSS), enfin affaire Lockheed.
Dans cette dernière opération, sont compromis toute une série de personnalités, de groupements et de syndicats ayant reçu des pots de vin du grand constructeur d’avions militaires. Au premier rang, le prince Bernhard de Lippe. La raison de se scandale est controversée ; certains soutiennent que le prince aurait proposé de museler le contrôle parlementaire et d’instituer une monarchie héréditaire régnant sur l’Europe Unie, d’autres pensent que son éviction a fait suite à sa "trahison" de Lockheed en faveur de son concurrent Northrop. Toujours est-il qu’il est obligé, le 26 août 1976, de démissionner de son poste ainsi que de toutes les fonctions officielles qu’il détenait en Hollande. Il est remplacé à la tête du B.G’ par David Rockfeller lui-même.

The Trilateral Commission (T.C.) ou Commission trilatérale

Le groupe de Bilderberg trop influencé par le complexe militaroindustriel et l’anticommunisme "primaire" de certains de ses membres influents devenait gênant. Le scandale Lockheed et l’affaire du Watergate vinrent à point pour favoriser une tendance plus modérée. Les transnationales reconverties à la haute technologie avaient besoin de stabilité.
Un aristocrate, d’origine polonaise comme Retinger, et ancien professeur à Harvard : Zbiegniew Brzezinski fut l’inspirateur d’une nouvelle institution qui prit en compte l’ascension foudroyante du Japon dans les années 1970. A l’Europe et aux Etats-Unis se joignit donc ce dernier pays dans une ère qui devenait trilatérale (4).
La T.C. fut fondée en juillet 1972 dans une des propriétés de David Rockfeller, toujours lui, par une équipe de 17 personnes. Elle s’élargit bientôt à plus de 300 personnalités dont les 40 grands responsables américains présents dans tous les instituts où s’élabore la politique mondiale, loin des contraintes de la démocratie. Lors de la réunion de Washington en 1984, la Commission a été reconduite jusqu’en 1988. Elle est gouvernée par trois présidents : David Rockfeller (Amérique du Nord), Takeshi Watanabe (Japon) et Georges Berthoin (Europe), trois vice-présidents respectivement : Mitchell Sharp, Nobuhiko Ushiba et Egidio Ortona et trois directeurs : Charles B. Heck, Tadashi Yamamoto et Paul Révay.
La Trilatérale est plus ouverte et publie des documents d’information dont deux brochures (12) et un trimestriel : Trialogue qui cessa toutefois de paraître en octobre 1984. Il fut convenu que tout membre accédant à un poste officiel dans son pays démissionnerait de la T.C..
Dès le début, la Commission précisa, dans "Questions et réponses" que nul "...membre ou auteur, engagé dans un groupe d’étude (n’a) proposé que nos gouvernements nationaux soient dissous et que soit constitué un gouvernement mondial... ". Tout le monde, même les mondialistes, est d’accord sur la première partie de la phrase... quant à la seconde, le lecteur en jugera.
La T.C. examina lors de ses nombreuses réunions générales des rapports établis par beaucoup d’excellents experts sur les questions à l’ordre du jour. Ces rapports sont publiés avec la mention classique expliquant qu’ils n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs et non elle-même. Néanmoins, l’un de ces textes diffusé en 1975 et rédigé par Michel Crozier, Samuel P. Huntington et Joji Watanuki provoqua de telles réactions qu’il ne fut pas traduit en français et sa diffusion fut interrompue (13). Nous donnerons quelques extraits de la partie rédigée par S.P. Huntington et relative à la démocratie... aux Etats-Unis : "Plus un système est démocratique, plus il est exposé à des menaces intrinsèques... Au cours des années récentes, le fonctionnement de la démocratie semble incontestablement avoir provoqué un effondrement des moyens traditionnels de contrôle social, une délégitimation de l’autorité politique et une surcharge d’exigences adressées au gouvernement qui excèdent sa capacité de les satisfaire... Le fonctionnement efficace d’un système politique démocratique requiert une certaine quantité d’apathie et de non engagement de la part de certaines individualités et de certains groupes... Le danger réside dans la surcharge du système politique par des demandes qui étendent ses fonctions et sapent son autorité... l’autorité fondée sur les hiérarchies, la compétence et la fortune... a été soumise à une rude attaque... (il faut redouter le danger que représente)... la dynamique interne de la démocratie elle-même, dans une société hautement scolarisée, mobilisée et participante... Un défi important est lancé par les intellectuels et par les groupes proches d’eux qui affirment leur dégoût de la corruption, du matérialisme et de l’inefficacité de la démocratie, en même temps que de la soumission des gouvernements démocratiques au capitalisme de monopole... (les journalistes) tendent à s’organiser pour résister à la pression des intérêts financiers et gouvernementaux... (Aussi faut-il agir pour que le gouvernement conserve) le droit et la possibilité pratique de retenir l’information à la source... Quelque chose de comparable (à la loi antitrust)... apparaît maintenant nécessaire en ce qui concerne les médias".
Une institution mondiale qui prend en compte de tels rapports n’est-elle pas inacceptable ? Car sa puissance ne fait aucun doute, ni son pouvoir supranational. Voici, là aussi, une liste succinte des opérations qu’elle a suscitées : "création", puis élection de Jimmy Carter à la présidence des E.U., nomination de nombreux Trilatéralistes aux postes clés (après leur "démission" de la T.C.), interventions puissantes et continues dans la crise du pétrole, recyclage des pétrodollars et dette du tiers-monde (14), contrôle de l’activité économique par le capital transnational au moyen de la Banque Mondiale (BIRD), abandon des gouvernements dictatoriaux et ouverture à l’Est (avec l’espérance inouïe d’un ralliement de l’URSS), acceptation des gouvernements sociaux-démocrates à condition qu’ils ne sortent pas du système...
Comme on le voit, la politique de la T.C. est plus modérée et plus insidieuse que celle de Bilderberg. Elle n’est pas moins dangereuse. La T.C. est également habile à se constituer des alibis de centre-gauche. C’est ainsi que l’on trouve parmi ses membres et pour se limiter aux Français, à côté de Michel Albert (AGF), Raymond Barre, Marcel Boiteux (EDF), Paul Delouvrier, Jean Deflassieux (ancien président du Crédit Lyonnais), Jacques de Fouchier (Paribas), Jean Philippe Lecat, Roger Martin (Saint-Gobain), Didier Pineau Valencienne (Schneider), Edmond de Rothschild, Roger Seydoux, etc... les noms plus surprenants de Michel Crépeau et René Bonety (CFDT). Certaines personnalités "cautions" ont paru bien nécessaires à laTrilatérale comme à Bilderberg. Il apparait toutefois que le style plus intellectuel de la T.C. justifierait certaines participations.

Elles, les autres et leurs rapports

En dehors des organisations citées, d’innombrables groupements plus ou moins officiels ou officieux gravitent dans les sphères du pouvoir aux Etats-Unis et interviennent aussi bien dans les affaires extérieures qu’intérieures. Citons-en quelques-unes : Committee for the Free World, Brookings Institution, Roundtable Business Council, World Business Council, Political Action Committees, etc... (7). I I faut compter aussi la fameuse Central Intelligence Agency (CIA) dont la liste des exactions aux Etats-Unis et à l’étranger fut publiée en 1975 (15) et le Fédéral Bureau of Investigation (FBI). Nous ne pouvons entrer ici dans le romanfeuilleton des activités d’espionnage mais celles de la CIA interfèrent avec ou servent parfois les orientations du groupe de Bilderberg. Nous ne parlerons pas non plus des sectes ou de l’Opus Dei dont le rôle supranational n’est pas négligeable.
Il est évident que les luttes d’influence à l’intérieur des organisations citées sont virulentes. Les colombes et les faucons sont en controverse permanente... Encore plus violentes les divergences entre elles ; nous l’avons vu, en particulier lors de la création de la T.C., bien que certains membres dirigeants ou influents appartiennent aux deux groupes.
Malgré le peu d’informations sûres disponibles, l’on comprend mieux pourquoi, par exemple, le parti socialiste arrivé au pouvoir n’a pu concrétiser sa promesse de rupture avec le capitalisme. En ce qui concerne, plus modestement, nos propres tentatives, l’on saisit comment les grands médias ainsi infiltrés. nous refusent toute publication ou presque.

Mondialisme

Un gouvernement mondial n’existe pas encore, en dépit des efforts de certains, d’opinions politiques et d’intérêts diamétralement opposés. En raison des dangers de dérive autoritaire et de la faiblesse des démocrates, ce gouvernement est-il, d’ailleurs, souhaitable dans l’immédiat ?
Il n’est toutefois pas douteux que des institutions mondiales occultes à pouvoirs supranationaux se sont constituées. Affirmons-le, ces organismes, ne nous conviennent pas. Ils sont élitistes, antidémocratiques et ne servent en fait que l’impérialisme américain et les intérêts du grand capitalisme international. Dans le cas où nous parviendrons à convaincre un nombre élevé de nos concitoyens que l’instauration d’une économie distributive s’impose, soit dans notre pays, soit, à l’avenir, en Europe, il est sûr que nous nous heurterions à l’opposition résolue et toute-puissante de ces groupements. Par conséquent les positions sont claires : les vraies mondialistes lutteront contre elles, selon leurs moyens.
Est-ce à dire que nous sommes opposés au mondialisme dont, nous le savons, beaucoup de distributistes sont aussi partisans : certes pas. En tant qu’ancien militant du centre français d’enregistrement des Citoyens du Monde, l’auteur de ces lignes reste fidèle à sa revendication d’institutions mondiales démocratiques, seules garantes possibles de la paix et donc de la survie de l’espèce. Mais il nous faut combattre toute tentative ou commencement d’instauration de pouvoirs transnationaux dictatoriaux. Seules des organisations démocratiquement autogérées depuis les cellules de base jusqu’au plan mondial nous laisseraient l’espoir d’une évolution vers le socialisme distributif.

(1) Voir "L’économie à l’Institut d’Etudes Mondialistes" dans G.R. n° 871.
(2) Voir "Qui ment ? Qui trompe les Français ?" G.R. n° 754, le "Monde Diplomatique" de Nov. 1976, et certains extraits du "Canard Enchaîné".
(3) Confusion mise en évidence par le passage direct de F.O. Giesbert du "Nouvel Observateur" au "Figaro" !
(4) "The Trilateral era" par Jeremiah Novak - Worldview août 1980.
(5) Voir "Le veau d’or est toujours debout" d’Henry Coston.
(6) Voir "Un homme d’influence" G.R. n°859.
(7) D’après "La démocratie contrariée" de Georges-Albert Astre et Pierre Lépinasse - 1985. d’après "La démocratie contrariée" de Georges-Albert Astre et Pierre Lépinasse - 1985.
(8) "Les vrais maîtres du monde" de Gonzalez Mata-1980.
(9) Revue italienne "Europeo" citée dans (8).
(10) Etude de PeterThomson dans "Trilateralism" ouvrage collectif cité dans (7).
(11) The US Congressional Record cité dans
(12) Questions and answers (Questions et réponses), 1983- TheTrilateral commission -1984.
(13) "The crisis of democracy "Report on the governability of Democracies to the Trilateral Commission - New York City Press - 1975.
(14) "The New Internationalisa" Hopps et Randall - février 1979.
(15) "Commission on CIA’s activities within the United States" 1975.

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La perestroïka, une bévue regretable

par H. MULLER
novembre 1988

Les dés sont jetés. Mise sur ses rails, la pérestroïka suscite d’amples débats entre ses partisans et ses adversaires. Narquois, les Occidentaux comptent les points, attendant l’hallali économique qui devrait sonner le glas du socialisme stalinien, du capitalisme d’Etat imaginé par Lénine à l’issue de trois années d’échec du communisme, et parachevé par Staline avec la collectivisation de la terre.
Tout va trop vite. On abjure les idéologies. On met bas les idoles. Surgissant de l’ombre, les "dissidents" s’élancent à la curée. Bénéficiant déjà de l’appui inconditionnel des médias occidentaux férus d’antisoviétisme, les voilà faisant surface dans la presse soviétique, prêchant le ralliement à l’économie de marché, de profit et de concurrence, à la "société de droit", à l’Etat minimum, aux valeurs du capitalisme occidental dans ce qu’il a de plus sournois, de plus pervers.
Autofinancement, rentabilité, autogestion sont les maîtres-mots de la réforme. En Occident, on vit depuis des lustres avec ces errements. Ceux-là qui ont engagé l’Union Soviétique dans cette voie ont-ils mesuré l’impact sur les prix, sur l’emploi, sur la création d’inégalités découlant d’une ségrégation sociale, sur le financement du secteur socioculturel relégué au trente-sixième dessous, au motif de l’optimum de rentabilité ?
Licenciements, hausse des prix à la consommation, en Occident chacun connaît la chanson depuis toujours. Les Soviétiques sont tombés dans le piège. Ils vont perdre le bénéfice de soixante années de dure préparation au socialisme.
On ne voit guère en quoi la pèrestroïka constituerait, dans ces conditions, "un pas vers plus de socialisme", alors qu’il en va manifestement de l’inverse. On voit seulement disparaître peu à peu, les acquis obtenus au terme de gigantesques efforts, de privations, de luttes contre des adversaires, intérieurs et extérieurs, déterminés à détruire les fondements d’un type de société libéré du joug de l’argent.
L’incessante référence à Lénine, au marxisme léniniste ne sert qu’à masquer l’objectif foncièrement antisocialiste de l’opération. La N.E.P., introduite sur proposition de Lénine en mars 1921, posait les bases d’un capitalisme d’Etat que Staline n’a fait qu’appliquer dans son intégralité. Tenu de collectiviser la terre en tant qu’instrument de production, il a dû éliminer les Koulaks qui refusaient d’en abandonner la propriété.
Le Capitalisme d’Etat offrait d’indéniables avantages permettant, grâce aux fonds sociaux de consommation, de stabiliser sur la longue période le prix des biens et services essentiels, de dissocier les prix des coûts et, par là, de favoriser les exportations, de se placer sans difficulté sur les marchés extérieurs, de mobiliser des capitaux très importants en vue de réalisations d’envergure à l’échelle des immenses besoins de la population, d’éviter enfin tout chômage et d’assurer la sécurité du revenu.
En éparpillant les crédits dans un système d’autofinancement, on aboutit à une multitude de productions anarchiques entrant en concurrence, faisant souvent double emploi, aggravant les gaspillages. La relative liberté des prix qui s’ensuit présente en outre une menace sérieuse sur le pouvoir d’achat des salariés.
Elever les niveaux de vie implique une croissance de la production utile et l’amélioration de sa qualité, objectifs associés à la modernisation des équipements, à une discipline élémentaire, à l’assiduité au travail d’un personnel qualifié, conscient de remplir un service social. On peut obtenir de la main d’oeuvre un travail de qualité autrement qu’en instituant une compétition axée sur le profit, sur un intéressement des travailleurs aux résultats financiers, ce qui a pour effet de créer des zizanies entre salariés de même qualification mais au service d’entreprises plus ou moins performantes. C’est là une source d’injustices que le socialisme a justement pour rôle de réduire. Les "héros du travail", fiers de la considération qui leur échet et se contentant de quelques primes d’émulation, auraient-ils disparus dans le vente de la pérestroïka.
D’aucuns avaient fondé de grands espoirs sur le système soviétique qui, ayant socialisé l’ensemble des moyens de production - y compris la terre - et de distribution, ainsi que les services, amené l’agriculture et l’industrie à un haut niveau de développement, dissocié les prix des coûts, était dès lors à pied d’oeuvre pour franchir, sans heurt, une dernière étape, une étape débouchant sur la formule d’un socialisme libéralcommunautaire à monnaie de consommation, apte à le purger de ses tares résiduelles de caractère rédhibitoire, tares communes à toutes les formes de capitalisme, y compris le capitalisme d’Etat.
La pérestroïka eût pris un sens tout autre en s’engageant dans cette voie. Au lieu de quoi, sacrifiant aux exigences des multinationales implantées à l’Est les dirigeants soviétiques, sous la pression de leurs conseillers, ont renoncé sottement aux acquis de soixante années de capitalisme d’Etat. Finis les grands combinats, leur entretien par les crédits d’Etat dont les ressources, privées de la collecte des profits, vont se réduire comme peau de chagrin. Enfin, la somme des petites réussites individuelles se traduit généralement par une exploitation accrue du salarié, du consommateur et du contribuable.
Remis en selle, les "dissidents" font irruption dans les médias, accablant de leurs critiques, de leurs sarcasmes, le régime moribond. Excipant de leur qualité d’historiens, de philosophes, de sociologues, d’écrivains, d’économistes, de mathématiciens et autres disciplines pareillement parasites, leurs groupes dont l’animosité à l’égard de Staline n’a jamais désarmé, reportent sur celui-ci la responsabilité de tous les malheurs, de tous les échecs. Et de tirer à boulets rouges sur ses "crimes" focalisés sur l’exil de Trotzky, sur les "purges" des années 36 et 38, pressés d’en voir réhabiliter les victimes. Brûlant les étapes, on blanchit les Boukharine, Kamenev, Zinoview et consorts. Il ne suffit pas, toutefois, de signifier : "Nous allons pouvoir étudier tous les articles, documents, souvenirs devenus accessibles". Il faut commencer par le faire et prendre le public à témoin, avant de conclure à la non réalité de complots visant à déstabiliser le pouvoir politique d’alors, et que les puissances financières juraient sans cesse d’abattre.
Staline avait entrepris de réaliser le socialisme à l’usage de son seul pays, sans se soucier de l’appliquer au reste du monde, déclenchant la fureur des Trotzkistes frustrés de leur ambitieux dessein : "étendre la révolution au monde entier, les armes à la main" (La Révolution permanente). Des banques d’Outre-Atlantique l’avaient financée, comptant en récolter les fruits, l’utiliser pour dominer le monde.
Staline eut ainsi à lutter sans relâche contre une opposition déviationniste, contre les tentatives de reconquête de l’instrument révolutionnaire, contre les menées, les attaques, les menaces de ses ennemis de l’extérieur.
Et voilà le vieux thème trotzkiste repris par un certain Viatcheslav Dachitchev soucieux "de préserver le développement d’un socialisme mondial", tout en dénonçant "l’expansionnisme soviétique, cause de la coalition occidentale"... !
Un autre de ses propos tend à faire croire que "la constitution du bloc de l’OTAN aurait eu pour cause l’extension de l’influence soviétique à l’Europe" et que ce serait l’Union Soviétique qui aurait fait "monter d’un cran la menace de guerre". La violation par les Alliés des accords de Polstdam ? Les activités de radio Free Europe, de la subversion antisoviétique, dollars de la C.I.A. aidant, au sein des démocraties populaires ? L’encerclement de l’Union soviétique par les 216 bases du Pentagone et de l’OTAN  ? Dachitchev l’ignore. On le voit faire chorus à la thèse occidentale de la supériorité des armements conventionnels soviétiques, pourtant démentie peu de mois auparavant.
"Il existe, écrit-il encore, des conditions meilleures pour avancer vers un socialisme sur la base nationale, pour influencer, d’autre part, le progrès social mondial". Des propos incohérents, propres à semer la confusion dans les esprits.
Puis, c’est Fédor Bourlatski faisant l’éloge "du capitalisme chinois qui a permis à 800 millions de chinoirs d’échapper à la famine". Selon lui, "les expropriateurs de type Staline sont dans l’ornière du courant gauchiste, adeptes des méthodes terrorristes".
Mais où cet homme a-t-il découvert que "les pays du capital auraient mis leur confiance dans le socialisme. "Et ailleurs : "Une part importante de l’Etat devra être concédée à une société de droit". Un émule de F. Hayek et de Guy Sorman... ! Il poursuit : "Un socialisme humain, ce serait ainsi une société marchande planifiée, fondée sur l’autonomie comptable et une multitude de formes de propriétés sociales, le développement des coopératives, familiales, INDIVIDUELLES. C’est la compétition économique, c’est le développement d’une société de droit et la subordination de l’Etat à la société" (1) "Développement de l’autogestion" ? La Yougoslavie ne vientelle pas d’en faire la décevante expérience ?. "Education d’une individualité socialiste" ? Une antonymie. Enfin, clôturant cette mise en coupe réglée des principes du socialisme : "Ces transformations sont dirigées vers le raffermissement du socialisme, de l’autorité du parti communiste et du pouvoir populaire". Bourlatski raconte n’importe quoi.
Du "grand écrivain" Tchinquiz Aïtmatov :"Le paysan s’est vu écarté de sa terre. Il a perdu le sentiment de la propriété collective ( ?), l’intéressement personnel aux résultats de la production. L’arbitraire stalinien a privé le travailleur de la campagne d’initiative et d’autonomie. L’absurde idée fixe de Staline : avoir un état riche avec une population pauvre". (2).
Affligée de pareilles divagations, la pérestroika semble plutôt mal partie. Une bévue regrettable.

(1) A noter que dans toute société marchande, l’Etat est au service des plus fortunés, de leurs profits.
(2) Les citations sont extraires des N° 795 et 797 du bi-hebdomadaire "Actualités soviétiques".

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Tribune libre

Allô mamans, bobo !

par A. CHIFFON, E. PAPAVOINE
novembre 1988

Depuis le siècle des lumières, les naturalistes, en accord avec le colonialisme galopant, ont essayé d’attribuer au biologique (sexe, couleur) des vertus particulières.
Nous n’avons pourtant jamais constaté que les ovaires soient porteurs de qualités d’amour, de douceur, de fidélité, d’altruisme, ni aucune des spécificités dont un brave monsieur nous régale dans le dernier numéro de la G.R. !
Le maniement de la serpillère ou du biberon n’est pas plus féminin que masculin. Tout ce qu’un homme peut faire nous pouvons le faire... Inversement, jusqu’à présent, tout ce qu’une femme pouvait faire, un homme le pouvait, sauf... pour ce qui est de porter neuf mois et de mettre au monde un enfant, dont le père reste toujours la grande inconnue.
Les rôles stéréotypés masculin/féminin, ont été imposés culturellement, afin que les femmes, qui disposaient peut-être de certains pouvoirs dans les époques reculées, soient exclues de la vie sociale.
Dans l’Histoire, écrite par les hommes, nous n’avons pas notre place. Nous n’avons pas davantage promu la formation du vocabulaire, que l’urbanisme (triste !), les lois, ou la naissance des religions (toutes misogynes). Ce n’est pas nous qui avons établi les frontières géographiques, ni inventé I"’étranger", l’Ennemi, le soldat. Ni d’ailleurs, le médecin militaire qui le soigne, ni le prêtre qui lui donne les sacrements, ni le marbrier qui élèvera la stèle aux "Morts pour la Patrie"  !

Nous sommes, depuis des milliers d’années, évacuées de la Comédie que se jouent les hommes entre tueries, armistices, châtiments, tortures, prisons, sanctions et... aministies, palmes, médailles ou diplômes...
Qu’ils se repaissent donc de films de guerres, de bateaux coulés, d’avions en flammes, de matchs de boxe, de luttes, et autres tape-dessus...
Nous n’avons pas participé à l’architecture selon Violet le Duc, Haussmann ou Le Corbusier. Nous n’avons pas choisi la disposition des grandes cités, ni la forme, le poids, le matériau de nos meubles. Nous n’avons notre place dans l’Histoire que comme reproductrices potentielles et appendices, cautions, témoins de l’Odyssée masculine, lorsque cela donnait du piquant d’y introduire cette dimension fantasmatique : LA Femme (1).
Aux hommes, le sérieux, la construction, la politique... qui seraient du solide, de l’important ; aux femmes : le frivole, la décoration, le foyer, sorte d’agrément, pour adoucir la société masculine ! Cette conception des rôles est bien archaïque.
Durant les migrations, les croisades, les joutes et guerroiements des mâles entre eux, bien des femmes ont fait preuve de force, d’esprit d’initiative, de compétences dans tous les domaines habituellement réservés aux hommes. Dès leur retour, les époux-soldats, Héros de leur propre farce virile, en dépossédaient les femmes. Les usines d’armement ont été tenues par les femmes pendant les guerres, pendant que d’autres cultivaient les terres. Dans certains ports africains, ce sont les femmes qui déchargeaient les bateaux, pendans que les moines d’Angleterre utilisaient les femmes, même pendant leurs grossesses, et les jeunes enfants, pour des salaires inférieurs qui arrangeaient bien les Directions (mâles).

On peut dire que l’Histoire des civilisations est l’histoire du renoncement (obligé) des femmes.
Dans les sociétés communautaires, primitives, les femmes avaient une place capitale : elles assuraient la survie du groupe humain tout entier ; ce sont elles qui ont inventé l’agriculture (à la houe). Elles s’occupaient entièrement des cultures vivrières, des tissages, de la poterie utilitaire, de la construction des huttes, de l’élevage des animaux domestiques, du transport de fardeaux, et en plus de l’éducation des enfants, de la cuisine... Pendant que les hommes, comme encore dans beaucoup de contrées, s’adonnaient à la chasse et à la pêche, mais aussi aux beuveries, fêtes, et bagarres de clans.

Voilà au moins 8.000 ans que nous subissons les farces et attrapes à la gloire de la virilité. Que les savoirfaire de nos mères ont été progressivement introduits dans la société marchande. Contraintes d’y participer sous les ordres de chefs et de contremaîtres, souvent abusifs et humiliants par leurs prétentions au droit de cuissage, nous avons acquis à l’usine, dans les manufactures, un salaire dit d’appoint, avec lequel acheter tissages, confitures, conserves, charcuteries, trafiquées, malsaines pour nos enfants, (placés dans des crèches...) et à des prix que notre seul salaire ne pouvait assumer.

La médecine aussi a été volée aux femmes, soignantes, sages-femmes, "sorcières" ; 9.000.000 ont été brûlées à travers toute l’Europe. Mais aujourd’hui le corps médical, et l’ordre des médecins est majoritairement masculin, et ce sont des hommes qui nous accouchent, sous le titre honorifique de "maïeuticiens"  ! et un salaire en conséquence. Ailleurs, pour des alibis divers que les pharaons devraient nous expliquer, on mutile sexuellement des femmes 82.000.000 actuellement, dans toute l’Afrique Noire, le Proche et le Moyen-Orient, Ambroise Paré, également, chez nous... Entre temps on avait bandé jusqu’à la gangrène, les pieds des plus jolies chinoises : quelques unes survivent aujourd’hui dans leur fauteuil d’infirme : Un empereur amoureux en avait décidé ainsi ! Parfois les hommes se sont servis de leurs compagnes, matrones ou concubines, pour faire ces sales tâches, tout comme les nazis faisaient faire les plus sales besognes par les juifs eux-mêmes, dans les camps !
Pendant ce temps-là, le sexe dit "fort" a créé des frontières, pour pouvoir se combattre allègrement  : pas une île, pas un lac, pas un océan, pas un caillou n’échappaient à sa manie de coller des noms, des numéros, des prix à tout !
Car l’homme, blanc, bourgeois (HBB) après n’avoir que distingué les esclaves des maîtres, a entrepris la nomenclature de tout ce qui l’entoure, afin d’en établir la hiérarchie : des minéraux aux végétaux et aux animaux ; puis des poissons aux insectes, aux reptiles, aux oiseaux et enfin, aux mammifères. Parmi ceuxci, il distingue les mammifères inférieurs des supérieurs et bien entendu parmi ces derniers, la femme de... qui donc, tout à fait au-dessus ? L’H.B.B. !
Sous prétexte de "maîtriser" la nature, il châtre les chevaux, pollue les mers, crève le ciel (fuyez, ozone), scinde l’atome dans une rage schizophrène à s’en détruire lui-même. Mais pour soigner son organisme usé de tant d’abus, il lui faut aussi crucifier les grenouilles.
Pour son plaisir, le HBB raffine. Autrefois, il faisait sauter les lions dans des cercles de feu. Aujourd’hui il fait s’entretuer les coqs armés de lames bien aiguisées et des taureaux trafiqués tombent sous les hourrah de la foule.
Rien ne doit échapper au HBB, qu’il soit resté dans l’hémisphère nord ou qu’il ait émigré chez les Indiens. Pourtant il est saisi d’angoisse dans le désert, tout comme par l’abondance des enfants chez les autres.
Il a inventé le réveil, et découpé le temps pour soumettre le monde à sa .maniaquerie. On a arraché les vieillards à leur famille, les gosses à leur sommeil , jeté les uns dans les usines (on les appela manuels) et les autres dans des facultés (on les appela intellectuels). Il décida - comme notre distributiste de conseils - de toujours ramener les femmes au foyer, où, à l’oeil, elles allaient produire et reproduire, jusqu’à ce que le maître dépérisse et périsse en réclamant les soins, toujours bénévoles, de celle qui lui survit en moyenne 8 années. Les 8 premières années de sa liberté !!
Les surhommes, sans doute approuvés par les autres, nous ont tous répertoriés, fichés, des caméras fonctionnent dans toute la ville, les indicateurs, les satellites, ainsi passons-nous hommes et femmes, par la grille de QUI nous maintient en otages.

Avant, ils avaient déboisé, défolié, effectué des manipulations génétiques, cultivé des bactéries à des fins militaires. On piquait la viande au rouge, les citrons au dyphénil, les charcuteries à l’amarante. On élevait des veaux aux antibiotiques et aux hormones, les pondeuses en batteries... Les mêmes s’occupent actuellement des femmes et de leurs ovulations...
On créa des vaches géantes dont les pis s’engorgeaient, à un moment où on ne savait plus en quoi transformer les excédents de lait !
Grâce aux plus instruits d’entre eux, on lobotomise un peu partout, on électrocute, on fait hurler sous les coups, on viole des jeunes filles avant de les assassiner, dans certaines contrées plus viriles encore, on enterre vivantes des femmes, même enceintes. On déverse des bombes (venues de pays civilisés) on saupoudre de produits toxiques et de gaz divers, l’ensemble de populations ; femmes et enfants compris...
Au XIXe siècle, les vieux papas de la médecine savante avaient déjà mesuré le cerveau DU noir, le nez DU juif, le bassin de LA femme. Aujourd’hui on vend du sang, des organes, des cheveux, des foetus, des enfants, des femmes : convoitise de toutes sortes de maquereaux qui déshabillent Pierrette pour habiller Paulette. On échange des reins, des pacemakers, des prothèses, des ventres (de femmes).

OU SONT LES MILLIONS D’HOMMES NON-COMPLICES qui se sont élevés contre cette corruption et cette militarisation viriloïde de leur monde ? Que faisaient-ils, ces dernières années, quand nous sommes descendues par dizaines de milliers dans la rue, quand beaucoup ont tenté d’infiltrer les instances de décisions, quand d’autres ont renoncé à faire des enfants, dans ce monde là ?

Et aujourd’hui un monsieur que je présume d’une autre génération crie Allo ! Mamans ! Bobo ! alors que l’ensemble de ceux qui composent le Patriarcat nous ont barré la route pendant des milliers d’années !

Il fallait voir tout ça AVANT !

Distributiste, il ne faut pas l’être seulement en projet, plus tard, par système économique. Pour les sentiments aussi, pour les tâches ménagères aussi, pour l’éducation des futurs hommes aussi, pour l’information, la compréhension, l’intelligence aussi !!!
Nous ne somme plus des aidesoignantes, des cuisinières, des blanchisseuses, et des prostituées, le tout dans la même personne. Nous ne sommes pas forcément des mères, ni des comptables, ni des femmes de ménage, ni les consolatrices au grand coeur, en une seule épouse ou compagne !

En quoi sommes-nous concernées par ces 8.000 années de décisions prises au-dessus de nos têtes, et contre nos nombreux avertissements ?

NOUS N’Y SOMMES PLUS POUR PERSONNE ! DO NOT DISTURB  !

Eulalie Papavoine et Augustine Chiffon

P.S. Des milliers de livres de par le monde, viennent d’être publiés : il parait, d’après les libraires, que les hommes les achètent peu. Les violées y parlent aux violées, les femmes battues aux battues, les ménagères aux ménagères, les abandonnées aux abandonnées, les prisonnières, les prostituées, les filles-mères, les mères de famille nombreuse, les solitaires, les homosexuelles... Toutes les analyses faites par des femmes, depuis Louise Labé jusqu’à nos jours, existent. Instruisez-vous, ceci évitera de tenir des propos d’un autre âge.

(1) Nous connaissons LE dinosaure, pas LA femme, mais LES femmes, personnalisées, diverses, multiples.