Que d’articles, que de chiffres intéressants dans "le Monde Diplomatique", "le Monde", mais aussi, même si c’est à un moindre titre, "I’Evénement du Jeudi", "le Canard", "Libé"...
1. Le prix des armes (1)
Fin de la guerre Iran-Irak ? Rien n’est acquis. Néanmoins que
de déclarations, d’articles indécents : Les fabricants
d’armes vont devoir licencier ; le pétrole va-t-il monter ou baisser ;
quelle carte jouer pour gagner le maximum de fric ? Les "opérateurs",
comme on appelle par euphémisme sans doute les trafiquants "honnêtes"
de bourse ou d’affaires, sont inquiets. Et ce, dans les 50 pays -pas
moins- qui ont vendu à l’Irak comme à l’Iran les armes,
y compris chimiques, qui ont fait plus d’un million de morts. La vie
des autres ne compte pas pour ces gens là. Les timides espoirs
de paix en 88 - Iran/ Irak, Afghanistan, Angola/Namibie - leur donnent
de l’urticaire et déjà ils cherchent de "nouveaux
débouchés". Ah, le cru 88 ne vaudra pas le cru 87 !
Pour cette dernière année, le rapport du SIPRI (Institut
International de recherche de la paix de Stockholm) est accablant : 41
nations étaient engagées dans des opérations armées
mettant aux prises quelque 5,5 millions de combattants. Le plus souvent,
il s’agit de conflits "relevant de causes intérieures",
en clair de répression contre des peuples misérables luttant
pour plus de liberté et de bien-être.
Par ailleurs, le rapport du SIPRI s’inquiète de la prolifération
des armes chimiques dont disposent au moins 20 nations. Et le 1er août,
les NationsUnies ont publié un rapport accusant "les forces
irakiennes d’usage répété" des armes chimiques.
Mais qui a condamné sans réserve, avec force et véhémence,
ce crime affreux ? Chaque fois, après les déclarations
minimales d’usage, l’affaire a été enterrée, probablement
parce que ces "essais" servaient de laboratoire grandeur nature.
Comme pour d’autres armes d u reste : le G5 sud-africain par exemple,
un 155 d’une portée de 40 km qui s’est révélé
très efficace.
La France "socialiste" ou "libérale" caracole
toujours à la 3e place mondiale des marchands d’armes : 10 du
marché, contre 34% à l’URSS et 33 % aux USA (plus des
3/4 pour ces trois pays). Fait capital : 90 % des ventes sont destinées
au tiers-monde.
Une raison tout de même de se réjouir : l’action obstinée
de Gorbatchev pour réduire les armements, ce qui fait crier "au
piège" certains fabricants d’armes par la voix d’hommes
politiques à leur botte... et sans doute à leur bourse !
C. Julien rappelle qu’Henri Kissinger "rêvait de ruiner l’économie
soviétique par l’intensification de la course aux armements".
On s’en doutait ! Aujourd’hui Kissinger est revenu à des sentiments
plus réalistes : il est vrai que l’économie américaine,
sous Reagan notamment, s’est elle-même essoufflée à
ce petit jeu, le colossal endettement US, à raison de 200 milliards
de dollars, est dû essentiellement au fait que les dépenses
d’armement sont passées de 5 à 9,5% du PNB.
Pour clore ce sujet, inépuisable, nous avons avec plaisir trouvé,
dans le Monde Diplomatique de Juillet, une déclaration d’Eisenhower,
alors Président des USA (1953), qui ne prend tout son poids que
si on la cite quasi in extenso : "... un fardeau d’armement épuisant
la richesse et le travail de tous les peuples ; un gaspillage de force
défiant le système américain, le système
soviétique ou tout autre système, d’arriver à une
véritable abondance et au bonheur pour les peuples de la Terre.
Chaque canon qu’on fait, chaque vaisseau de guerre qu’on lance, chaque
fusée qu’on tire, signifie - en fin de compte - quelque chose
de volé à ceux qui ont faim et n’ont pas à manger,
à ceux qui ont froid et qui ne sont pas vêtus.
Ce monde en armes ne dépense pas seulement de l’argent. Il dépense
la sueur de ses travailleurs, le génie de ses savants, les espoirs
de ses enfants.
Le coût d’un seul bombardier lourd moderne correspond à
celui de trente écoles modernes en briques, ou de deux usines
d’énergie électrique desservant chacune une ville de soixante
mille habitants, ou de deux beaux hôpitaux parfaitement équipés,
ou encore d’environ quatre-vingts kilomètres de grand’route en
béton armé. Nous payons pour un seul destroyer le prix
de nouvelles maisons que pourraient habiter plus de huit mille personnes".
2. Deux voisins : le luxe Insolent et l’extrême
pauvreté
Logique : 1) Développement du chômage = pression sur les
salaires de ceux qui ont un emploi = pression sur les revendications
d’augmentation des fonctionnaires, "les nantis".
2) Diminution ou blocage des salaires = bénéfices en plus
pour l’entreprise, ce que l’on constate effectivement depuis quelques
années. Ces bénéfices vont essentiellement aux
dirigeants et aux cadres. D’où enrichissement continu d’une partie
de plus en plus restreinte de la population - voir la philosophie élitiste
des clubs de droite - et vie de plus en plus médiocre, voire
désespérée de l’autre partie, toujours plus nombreuse.
Le "Roman de l’argent" de Stéphane Denis révèle
que P. Moussa a Paribas touchait 4 millions de salaire par an, Ambroise
Roux 12 millions à la CGE, sans compter les jetons de présence
de leurs nombreux conseils d’administration, les fruits de leur activité
boursière, etc...
Les ventes de voitures haut de gamme à 130/180.000 F et plus
battent tous les records : les statistiques sont formelles. Les pavillons,
même en banlieue Est proche de Paris, atteignent 3, 4, 5 millions...
et se vendent bien.
En France, les 10 % de la population la plus pauvre perçoivent
1,4 % du revenu global ; les 10 % les plus riches : 30,5 %, soit en moyenne
22 fois plus. Proportion semblable aux USA, alors que, pour l’Allemagne,
le Japon, l’Angleterre, ce rapport tombe à 10 environ (7 pour
la Suède).
Deux facteurs viennent aggraver ces disparités
:
-l’allongement de la durée du chômage : en Europe, 46 %des
chômeurs sont privés d’emploi depuis plus d’un an,
- la protection sociale se réduit en fonction de cet allongement.
D’où aggravation de la grande pauvreté.
La société duale se creuse donc inexorablement
au fil du grand chambardement, de la grande "restructuration"
du capitalisme hyper impérialiste, que l’on continue communément
à appeler "la crise".
Cette "nouvelle" société jugée inéluctable
semble acceptée, et, en France, ce ne sont pas les socialistes
qui changeront fondamentalement cette évolution (hormis quelques
emplâtres, ce qui est mieux que rien), à partir du moment
où ils revendiquent leur place dans la chorale qui chante les
bienfaits de l’économie marchande.
Et on peut craindre que les souhaits de Laurent Fabius (2) ne soient
que des voeux pieux. "On ne gagne des batailles qu’avec des idées.
Le PS ne doit pas s’épuiser à apporter telle ou telle
critique ponctuelle à l’égard du gouvernement. Qu’il éclaire
le futur par ses interrogations, ses analyses, ses propositions. Un
gouvernement en a généralement trop peu le temps. Au PS
d’aborder franchement ces problèmes en répondant aux grandes
questions de demain" La grande question de demain ne peut être
que Economie distributive ou échec ?
Et si l’Europe est souhaitable, même pour nous, ce ne peut pas
être n’importe quelle Europe : celle qu’on prépare ne fera
que renforcer les grands groupes qui mènent le monde et ne créera
pas assez d’emplois pour contrebalancer ceux qui seront détruits.
3. Veaux, orange mécanique, pollution, licenciements...
Les beautés du libéralisme marchand s’étalent dans
les titres des médias. -Pour faire de l’argent, le capitalisme
ne recule devant rien. On a vu qu’un million de morts ne l’effrayait
pas. Alors, pour ce qui concerne la santé des gens... Après
les honorables vignerons autrichiens qui n’hésitaient pas à
mettre dans leur vin des doses parfois mortelles d’antigel, voici à
nouveau un fabuleux scandale de veaux aux hormones, en Allemagne cette
fois. Vite oublié en fait dans les médias : pas de vagues,
surtout l’été ! 40.000 veaux- en fait sûrement beaucoup
plus- incriminés ; peccadille. Et les santés malmenées
feront travailler les fabricants de produits pharmaceutiques... les
mêmes qui fabriquent les hormones. On n’arrête pas le profit.
-"Orange mécanique en HauteSavoie", titrait "le
Monde". Sept personnes, dont cinq mineurs sont accusées
d’être les auteurs d’agressions contre des personnes âgées
pour leur prendre leur argent. Pour ce faire, ils n’hésitaient
pas à user d’une violence extrême, cruelle, provoquant
la mort de deux des victimes. Cela est le fruit de la société
que nous vivons. Le capitaine de gendarmerie d’Annecy avoue son effarement
"... absence totale de références morales des adolescents
engendrée par une sous culture de feuilletons américains".
"De bons petits Français, ajoute-t-il, issus de familles
respectables. Durant la journée, ils vaquaient normalement à
leurs occupations d’apprentis ou de collégiens".
C’est bien la société du profit qui est condamnable au
vu de tels faits ; vente et trafic d’armes, trafic de drogue, films de
violence, même origine le profit. Et que dire du trafic de nouveaux-nés
pour des banques d’organes aux Etats-Unis ! Démenti évidemment,
mais il n’y a pas de fumée sans feu.
***
Tournons-nous maintenant vers l’économie.
- France-Agriculture : un budget en hausse de 3,5%. Pourquoi, en partie
tout au moins ? Réponse dans le Monde (3) "Un témoignage
sur le gel des terres : 205 millions seront consacrés au "gel"
de 300 à 400.000 hectares". C’est un gouvernement "socialiste"
qui n’hésite pas à faire cela, tout comme la droite. C’est
cela qu’il nous faut dénoncer bien haut, car dans quelques mois,
en décembre/janvier, on recommencera le télé-spectacle
pour les restos du coeur, en faisant appel à la charité
publique... alors que nous "aurons déjà donné"
- contraints il est vrai -205 millions pour ne pas produire ce qu’on
nous demandera de fournir pour les plus démunis. Monde de fous,
monde du fric, encore et toujours ! On se réjouira d’avoir récolté
20 millions... quand un super puma, hélicoptère très
apprécié parait-il de nos clients étrangers, "ne
coûte que... 65 millions".
-Hausse de 21,5% du chiffre d’affaires semestriel de Peugeot (4). Çà
doit faire un sacré bénéfice ! Compte tenu des licenciements
annoncés par M. Calvet. Un Monsieur qui refuse pourtant de faire
des voitures propres. Et notre ancien maître-écolo doit
entériner : Gouvernement oblige. Triste !
- 4125 suppressions d’emplois prévues aux P et T en 1989. Sans
commentaires.
- Le Monde du 10 août : doublement des bénéfices,
étude portant sur 900 sociétés américaines
pour le 2e trimestre 1988. Mais attention : 96 % de profit en plus pour
seulement 11 d’augmentation du chiffre d’affaires. Les chômeurs
dégagés... pour ces profits apprécieront... s’ils
ont l’occasion de lire ces résultats réconfortants pour
la nation.
-En France, les gains de productivité se maintiennent à
un niveau élevé : le chiffre d’affaires en volume progresse
de 6% par personne employée. Mais cette croissance d’activité
se traduit... par une diminution de 130.000 emplois, affectant surtout
les plus grandes entreprises. Va-t-on se moquer de nous longtemps encore
en voulant nous faire croire que l’investissement productif créé
des emplois ? Quand les écailles tomberont-elles des yeux de nos
concitoyens ?
Voilà, amis distributistes, quelques "faits et arguments" glanés dans la presse de l’été, pour étayer, si besoin était, nos discussions et pour convaincre nos compatriotes qu’il faut vraiment changer de régime "si l’on veut" en sortir.
(1) Le Monde Diplomatique (Juillet), OuestFrance (17
Août).
(2) Le Monde du 24 Août.
(3) Le Monde du 11 Août.
(4) Le Monde du 19 Août.
L’économie distributive, c’est aussi la qualité de la vie, la convivialité plutôt que la compétition. En ce sens, toutes les femmes du monde devraient nous apporter leur concours. Et c’est un homme qui nous l’explique :
Tout porte à croire que la prochaine révolution
sera d’ordre psychologique. De tous côtés, en effet, on
voit s’affirmer la conviction que toutes nos conceptions relatives à
l’humanité, aux relations humaines, à l’organisation du
monde, sont en train de se transformer. Mais jamais transformation ne
s’est accompagnée d’autant d’angoisse et de déchirements.
Et ceci parce que, dans le bond que nous avons fait en avant, nous avons
satisfait un amour masculin des choses et avons laissé languir
un amour féminin des êtres. Le rôle de la femme doit
revenir au premier plan. Il ne suffit pas qu’elle vote. Il faut que
la femme transforme la société , qu’elle lui redonne le
sens de l’être, de la joie, de la grâce, de la chaleur des
sentiments, de la beauté de la vie incarnée.
Il ne s’agit pas de revenir en arrière. Il s’agit simplement
d’équilibrer notre progrès. Il s’agit d’aimer autant les
êtres que les choses.
Les "choses" ce sont des objets et des idées ; ce sont
des évidences et des conceptions. Des hommes y ont consacré
leur vie ; d’autres y ont sacrifié la leur. Les uns et les autres
ont bâti un monde nouveau que l’on cherche maintenant à
coordonner par des formules capables d’exprimer la solidarité
internationale dans laquelle nous nous trouvons, mais que nous n’avons
encore que médiocrement acceptée.
Ce monde est fait d’êtres dont l’existence est brève et
qui se remplacent de génération en génération
; il est fait d’êtres qui sont heureux lorsque l’amour féminin
peut se consacrer à eux et qui sont malheureux lorsqu’ils en
sont privés.
La femme commence par offrir son corps à l’enfant. Puis elle
le protège, l’entoure de soins, lui assure un foyer qui permet
l’épanouissement de ses facultés. Elle devrait avoir le
droit de défendre ce foyer avec plus d’efficacité.
Et surtout, elle a maintenant un rôle essentiel
à jouer au-delà de son propre foyer. La solidarité
internationale fait aujourd’hui du monde un grand Foyer, où les
pensées féminines et masculines doivent se compléter
comme elles le font au sein du foyer familial.
Il ne suffit plus que la société humaine soit un rapport
économique ou politique réglementé par des lois.
Elle doit devenir un cadre, un milieu, une sécurité, au
sein desquels l’être humain doit pouvoir continuer à s’épanouir
après sa "majorité".
Mais la femme est absente de la société. Lorsqu’elle y
est présente, elle joue un rôle masculin. Voilà
pourquoi nous dérapons, voilà pourquoi nous sommes emportés
par des forces que nous maîtrisons mal.
Entendons-nous bien. Je ne demande pas que la femme retourne à
ses marmites. Je demande au contraire qu’elle puisse s’en libérer.
Je voudrais qu’une organisation plus rationnelle du
"ménage particulier" libère la femme d’un assujettissement
excessif. Je voudrais que cette libération permette à
la femme, mariée ou non, de s’intéresser activement à
l’avenir de la société humaine, pour faire de celle-ci
quelque chose qui ne ressemble ni à une caserne, ni à
une usine, ni à un tribunal, mais - quelque chose qui ressemble
à un FOYER.
Alors le rôle de la femme ne sera plus "minorisé".
Certes, il est différent de celui de l’homme, mais la femme ne
voit pas la vie dans le même sens que l’homme ; mais cette différence
est justement ce qui nous protège des dérapages horribles
de la torture pour des motifs politiques et de la guerre pour des motifs
de prestige.
Dans une humanité où la femme joue un rôle féminin
majeur et où l’homme joue un rôle masculin majeur, la vie
devient digne d’être vécue. L’adolescent n’est plus projeté
dans une société hostile ; il est accueilli par une société
ordonnée pour le recevoir, pour l’aimer et pour lui permettre
de s’épanouir dans ses fonctions humaines ; il y poursuit son
existence, il est un ETRE dont le "devenir" est pleinement
sauvegardé.
Pour un tel résultat, la tâche masculine
est presque terminée. La tâche féminine commence.
C’est normal, on ne décore pas un foyer avant d’avoir construit
la maison.
Mais il est temps de comprendre le rôle de la femme. Il est surtout
temps de comprendre que le travail féminin a une "valeur
humaine" au moins aussi grande que toute "production"
du travail masculin.
Il est temps enfin que la femme ellemême prenne conscience de
ce que le monde attend d’elle, qu’elle se penche sur ses problèmes
avec attention et qu’elle apprenne à les résoudre comme
elle apprend à résoudre ceux de son enfant.
AUX PAYS-BAS
1965 : le revenu minimum garanti
La Haye, janvier 1965 : le gouvernement néerlandais
instaure le revenu minimum garanti. Par l’adoption de l’algemene bijstandswet,
la "loi d’assistance générale", les Pays Bas
deviennent l’un des premiers pays d’Europe à doter ses citoyens
- et certaines catégories de résidents non-citoyens -
d’un véritable droit au revenu. Il y a fallu, il est vrai, vingt
années de réflexion, de débats et de luttes. Dès
le lendemain de la guerre, en effet, la Commission Van Rhijn, mise en
place par le gouvernement en exil, emboîtait le pas à Lord
Beveridge pour faire d’un revenu minimum garanti une composante essentielle
du système de sécurité sociale à mettre
en place. Le gouvernement chrétien-libéral de l’époque
ne l’avait pas suivi sur ce point. C’est cependant un autre gouvernement
chrétien-libéral qui l’introduit en 1965. Depuis lors,
ceux et celles dont les revenus propres sont inférieurs au revenu
minimum garanti, malgré leur désir avéré
de travailler pour gagner leur vie, ont le droit d’obtenir la différence
auprès de l’administration sociale de leur localité. Le
niveau du bijstand est régulièrement revu à la
hausse - et remarquablement élevé si on le compare aux
revenus garantis existant à l’époque ou ultérieurement
introduits dans d’autres pays (1).
Ce solide bouclage de la sécurité sociale semblait devoir
pour longtemps constituer un motif de fierté en plus pour une
nation qui pouvait déjà légitimement se targuer
d’être l’une des plus pleinement démocratiques qui soient.
Pourtant, petit à petit, et parmi ceux-là même qui
prennent à coeur les intérêts des plus démunis,
auxquels la bijstandswet est destinée, le doute s’est installé.
Ce doute n’a pas engendré chez eux une aspiration à revenir
en arrière, à démanteler le système de revenu
garanti. Mais il a nourri, par à-coups cumulatifs, une pression
poussant au dépassement de ce système par son "inconditionnalisation"
- plus de contrôle des ressources, plus de restriction aux seuls
demandeurs d’emploi, plus de contrôle de la vie privée
- c’est-à-dire par l’instauration de ce qu’aux Pays-Bas, on appelle
le basisinkomen, l’allocation universelle (2).
1975 : Kuiper le prophète
Le premier à articuler ce doute dans le débat public néerlandais est un spécialiste de médecine sociale. Professeur à l’Université Libre (calviniste) d’Amsterdam, J.P. Kuiper fait en 1975 une conférence dont le texte fut largement diffusé et dont le contenu suscita une controverse passionnée (3). Inspiré par un livre de l’activiste américain d’origine britannique Robert Theobald, mais sur la base d’une argumentation très concrète nourrie par son expérience d’inspecteur du travail, il y défend l’introduction, aux Pays-Bas, d’un revenu inconditionnellement assuré à tous et suffisant pour pouvoir en vivre. L’avantage principal d’une telle mesure est à ses yeux de permettre à tous les travailleurs, et pas seulement à ceux dont le pouvoir de négociation est le plus grand, de refuser les conditions de travail sordides, dégradantes, humiliantes, dont il s’est rendu compte qu’elles sont encore le lot de beaucoup d’entre eux. Mais il y a d’autres avantages. En remplaçant (au moins partiellement) les allocations versées pour cause d’inaptitude au travail, par exemple, pareil revenu libérerait du piège dans lequel elles sont coincées bon nombre de personnes moins valides, en les soustrayant aux contrôles médicaux auxquels elles sont actuellement soumises et surtout en leur permettant de développer des savoir-faire et des activités dont la détection ne risquerait désormais plus d’entraîner le retrait de leur allocation.
Dans un pays profondément marqué par l’éthique du travail et en particulier au sein de la gauche travailliste dont Kuiper est proche, ce plaidoyer fait sensation. Pour désamorcer une part de l’indignation morale qu’il rencontre, Kuiper lui-même propose d’introduire un service civil substantiel obligatoire pour tous, renouant par là avec une longue tradition socialiste utopique (4), mais en insistant, non sans créer quelque confusion, pour que la non-prestation de ce service n’ait pas pour sanction le retrait de l’allocation. Pour la plupart, cela n’a pas suffi. Et ce n’est en tout cas pas au sein du parti travailliste - le PvdA, principal parti des Pays-Bas - que les idées de Kuiper trouvèrent l’écho le plus favorable. Un relais politique beaucoup plus favorable lui fut fourni par deux petites formations jouant un rôle non négligeable à la gauche de PvdA et plus sensibles que celui-ci aux thèmes écologistes et libertaires : les socialistes pacifistes du PSP (issu en 1959 du mouvement pacifiste) et surtout les radicaux du PPR (né en 1972 d’une dissidence du parti catholique). Dès 1976, en effet, le PPR fait de l’allocation universelle une pièce centrale de son programme socio-économique. En février 1976, ses députés soutenus par ceux du PSP, soumettent même au Parlement néerlandais une motion réclamant l’introduction d’un revenu inconditionnellement garanti (c’est-à-dire sans la restriction aux demandeurs d’emploi inhérente au régime du bijstand) - et rejetée à une écrasante majorité par toute la droite et les travaillistes réunis.
Chômage massif et contestation de l’éthique du travail
On pouvait croire alors que l’affaire était
réglée- ou définitivement marginalisée.
Mais il n’en était rien. D’une part, en effet, les mentalités
ont continué à évoluer dans un sens qui contribue
à fragiliser les fondements mêmes du système de
sécurité sociale mis en place après la deuxième
guerre mondiale. C’est par exemple à cette époque que
des chômeurs amstellodamois fondent le "syndicat contre l’ethos
du travail" qui, sur un mode ludique, tourne en dérision
la valorisation du travail dans la société néerlandaise.
C’est également à cette époque qu’Hans Achterhuis,
professeur de philosophie sociale à l’Université d’Amsterdam,
prépare ses deux bestsellers d’inspiration illichienne qui, sous
les titres Le marché du bien-être et du bonheur et Le travail
: étrange remède, mettent à mal, respectivement,
le rôle accordé, dans nos États-Providence, aux
travailleurs sociaux et au travail salarié.
Mais ce qui a plus encore contribué à modifier le climat,
c’est une évolution du chômage franchement préoccupante,
dans ses caractéristiques communes à la majeure partie
de l’Europe occidentale comme dans ses caractéristiques proprement
néerlandaises. De 1975 à 1985, en effet, le taux de chômage
est passé aux Pays-Bas de 7,8 % à 18,1 %, dont la grande
majorité bénéficie soit du bijstand, soit d’une
indemnité de chômage dont le montant s’en écarte
à peine (5). Ce fut assez pour convaincre les composantes les
plus ouvertes des syndicats et du patronat de se demander si une réforme
en profondeur de l’Etat-Providence néerlandais n’était
pas requise pour attaquer le mal à sa racine. Le constat qui
s’impose peu à peu est que d’une économie hautement technologique
comme l’économie néerlandaise, on ne peut désormais
plus attendre qu’elle offre spontanément à chaque individu
adulte désireux de travailler un emploi dont le salaire net excède
significativement ce qui est jugé nécessaire pour mener
une vie décente et est garanti par le bijstand. Qui veut préserver
ce droit au revenu sans pour autant renoncer à jamais à
quelque chose comme un "droit au travail", est alors immanquablement
conduit à songer à une allocation universelle, à
un socle auquel les revenus du travail s’ajouteraient au lieu de s’y
substituer.
Un syndicat, les petites entreprises, le parti travailliste
Le fer de lance de cette réflexion et du débat public qu’elle a nourri fut indiscutablement le syndicat de l’alimentation de la principale fédération syndicale néerlandaise qui, en 1981, relance la discussion par un vigoureux rapport plaidant sans réserve pour l’introduction d’une allocation universelle couplée à une réduction substantielle du temps de travail. D’autres documents de travail, plusieurs brochures à l’intention des militants et du grand public, souvent dans une présentation particulièrement soignée et originale, seront encore publiées dans les années qui suivent. Et le V-Sdingsbond est encore aujourd’hui, notamment par la voix de son éloquente présidente Greetje Lubbi, à la pointe de la campagne pour l’allocation universelle aux Pays-Bas. Son action fut d’emblée soutenue par les radicaux du PPR (dont il est proche), qui firent du reste de l’allocation universelle l’un des thèmes prioritaires de leurs campagnes électorales des années 1980.
Pendant ce temps, dans certains milieux patronaux,
se développe une réflexion convergente. Ainsi, Bart Nooteboom,
actuellement professeur d’économie à l’Université
de Groningen et, jusqu’il y a peu, directeur du Centre d’Études
de l’Association néerlandaise des Petites et Moyennes Entreprises,
est l’un des avocats les plus en vue de l’allocation universelle. Très
différente en cela d’un revenu minimum garanti du type bijstand,
celle-ci fournit un socle sur lequel les petites entreprises peuvent
plus facilement naître et se développer, grâce surtout
à la réduction systématique des risques entrepreneuriaux
qu’elle opère tout en faisant l’économie du patchwork
complexe, frustrant et finalement peu efficace des subsides spécifiques
actuellement accordés aux petites entreprises. Cette réflexion-ci
aussi, eut des retombées au niveau des formations politiques,
puisque les "libéraux démocrates" du petit parti
de centre-gauche Démocratie 66, dont Bart Nooteboom est proche,
se mit lui aussi à élaborer une stratégie pour
l’introduction graduelle d’une allocation universelle.
Parallèlement, le mouvement travailliste lui aussi était
le siège d’une réflexion renouvelée sur le sujet.
Les propositions du Voedingsbond, en effet, avaient suscité des
controverses au sein du mouvement syndical, qui s’étaient soldées
par une attitude aussi nette que négative de la part des deux
grandes confédérations syndicales FNV et CNV. En avril
1983, la question est mise à l’ordre du jour du Congrès
national du parti travailliste (PvdA). A l’issue d’une âpre discussion,
une majorité d’environ 60% rejoint le Bureau du Parti pour rejeter
la prise en considération de l’idée. Mais la minorité
s’organise. En 1985, elle constitue le Werkgroep PvdA voor Basisinkomen
(groupe de travail du Parti Travailliste pour l’allocation universelle),
qui mène une campagne active, publiant notamment quatre numéros
d’un périodique ad hoc, en vue de renverser la majorité
lors du Congrès de février 1986. Malgré l’appui
de personnalités de premier plan, comme l’ancien président
de la Commission européenne Sicco Mansholt ou le prix Nobel d’économie
Jan Tinbergen, c’est un nouvel échec. Au nom d’arguments de principe
(le travail doit rester la condition d’accès au revenu) et pragmatiques
(l’impact sur l’économie sera négatif), une majorité
du même ordre qu’en 1983 se rallie de nouveau à un Bureau
national farouchement opposé à l’idée. Tout en
consacrant chaque année un nombre croissant de pages à
la réfutation des arguments de la partie adverse, l’appareil
du plus grand parti néerlandais, jusqu’ici, tient bon.
1985 : le retour triomphal
Mais c’est sans aucun doute juin 1985 qui constitue,
quant à la prise au sérieux de l’allocation universelle
aux Pays-Bas, la date la plus importante. C’est alors, en effet, que
le Groene Amsterdammer, vieil hebdomadaire amstellodamois et l’un des
principaux organes de l’intelligentzia de gauche néerlandaise
pouvait titrer : "Le retour triomphal de l’allocation universelle"
Pourquoi ? Parce que venait de sortir de presse un rapport très
attendu du "Conseil Scientifique pour la Politique gouvernementale"
(WRR) de La Haye, une institution scientifique indépendante très
prestigieuse aux Pays-Bas, qui a pour fonction d’éclairer la
politique du gouvernement dans les domaines les plus divers en accordant
une importance particulière aux perspectives de long terme.
Des rapports antérieurs du WRR avaient déjà fait
place à une discussion de l’allocation universelle. Ainsi, un
rapport de 1981, centré sur la politique de l’emploi, lui consacre
un examen approfondi pour conclure qu’elle ne constitue pas une proposition
réaliste en raison de l’impact néfaste qu’on peut en attendre
sur l’emploi et la balance extérieure. Un rapport de prospective
publié en 1983, cependant, l’intègre dans un des scénarios
de sortie de crise qu’il juge devoir être pris au sérieux.
Mais c’est le rapport de 1985, préparé depuis plusieurs
années et intégralement consacré au thème
de la sécurité sociale - évaluation du système
actuel et élaboration d’alternatives - qui devait livrer le jugement
final du Conseil en la matière. Présidée par le
professeur Nic Douben, une personnalité sociale-chrétienne
notoire qui enseigne l’économie à l’Université
d’Eindhoven, la Commission ad hoc publia finalement son rapport en juin
1985. Celui-ci présentait, étayé par une analyse
détaillée des lacunes et impasses du système actuel,
les grandes lignes d’un système de sécurité sociale
susceptible de répondre simultanément aux défis
d’une société à haute technologique et aux exigences
de la solidarité. Et la pièce centrale de ce système
n’était rien d’autre qu’une allocation universelle - un revenu
totalement inconditionnel - à un niveau peu élevé
(la moitié de l’actuel revenu minimum garanti pour isolés),
complété par un ensemble fortement simplifié d’allocations
sociales.
Ce fut la stupéfaction. Comment l’institution politico-académique
la plus respectée du pays pouvait-elle reprendre à son
compte pareille élucubration, que beaucoup jusque là croyaient
confinée à une poignée d’excentriques ? Par l’intermédiaire
de son ministre de l’emploi, le gouvernement de centre-droit (chrétienlibéral)
fit rapidement savoir qu’il jugeait le plan du WWR "funeste et
irréalisable". Et la fédération patronale
comme les plus grandes confédérations syndicales lui emboîtèrent
le pas, pour des raisons partiellement communes (pas de revenu sans
travail), partiellement opposées (trop ou trop peu de transferts
sociaux). Les organisations favorables à l’allocation universelle
comme le V-Sdingsbond et le PPR, pour leur part, se sont élevées
contre le niveau très bas auquel le plan de WRR la fixait, comme
aussi contre certaines des mesures de dérégulation que
celui-ci contient, à commencer par la suppression du salaire
minimum garanti. Mais une fois apaisé ce tollé, une discussion
plus sereine s’est instaurée, donnant lieu à de très
nombreux articles et débats, de la presse quotidienne aux revues
académiques.
L’existence d’un plan relativement précis, soigneusement pensé et soucieux de réalisme, comme l’est sans conteste celui du WRR, n’est pas seulement un moyen de rendre soudain crédible l’idée même d’allocation universelle dans des milieux qui, jusque là, l’ignoraient totalement ou n’y voyaient que fantasme de rêveurs. Il fournit aussi un point de référence pour les très nombreuses réflexions et discussions qui devront encore avoir lieu si l’allocation universelle doit un jour devenir réalité - que ce soit par exemple pour mettre au point les techniques juridiques qui permettront de mettre en place, par étapes successives, le nouveau système, pour estimer l’effet économique de la mesure sous différentes hypothèses quant à son mode de financement, pour évaluer son impact sur l’émancipation féminine, ou encore pour tirer au clair les interrogations éthiques qu’il soulève.
Aujourd’hui
C’est dans ce contexte que s’est constitué,
en octobre 1987, le Werkplaats Basisinkomen, le "lieu de travail
allocation universelle, organe permanent - de coordination entre diverses
organisations promouvant activement l’introduction d’une allocation
universelle intégrale ou se déclarant sympathisantes.
On y trouve des syndicats, comme le syndicat de l’alimentation du FNV,
dont il a déjà été question, mais aussi
le syndicat de l’alimentation et de l’industrie du CNV, le syndicat
des femmes du FNV et le syndicat indépendant des artistes. On
y trouve aussi des formations politiques, comme le parti radical PPR,
les protestants de gauche de l’EVP, le "groupe de travail sur l’allocation
universelle" du parti travailliste PvdA et le parti écologiste
flamand AGALEV. On y trouve enfin un grand nombre d’associations de
chômeurs et d’allocataires sociaux locales ou nationales. Au cours
de la dernière décennie, en effet, ces associations ont
graduellement réorienté leur réflexion et leur
action de revendications purement défensives - à l’égard,
par exemple, des. ingérences de l’administration sociale dans
la vie privée des allocataires ou de la réglementation
de plus en plus restrictive quant au travail, même bénévole,
qu’ils sont autorisés à effectuer - vers l’exigence de
l’instauration d’une allocation universelle substantielle.
L’importance du débat décrit à grands traits dans
les pages qui précèdent - et que ce "lieu de travail",
comme centre de documentation, de propagande et de coordination, vise
à nourrir - dépasse de loin les frontières des
Pays-Bas. par l’intermédiaire du groupe vert-alternatif du Parlement
Européen, au sein duquel la "petite gauche" néerlandaise
est particulièrement active, ce débat s’est déjà
répercuté au niveau du Parlement Européen. A travers
une audition d’experts, un séminaire et deux motions, la Commission
des Affaires Sociales et de l’Emploi a été amenée
à plusieurs reprises à considérer la possibilité
d’introduire une allocation universelle à l’échelle de
la Communauté Européenne. A mesure que s’approche l’échéance
1992 et que s’approfondit la réflexion sur les formes de solidarité
qu’appelle le décloisonnement des marchés européens,
on peut s’attendre à ce que cette possibilité soit évoquée
de plus en plus fréquemment, même si un soutien politique
suffisant n’a des chances de prendre forme, à ce niveau, qu’au
moment où les conséquences sociales de "1992"
commenceront à se faire sentir.
Indépendamment de ces prolongements à l’échelle
de la Communauté Européenne, le débat néerlandais
sur l’allocation universelle présente aussi un intérêt
direct pour des pays qui, comme la Belgique ou la France, ont un revenu
minimum garanti depuis moins longtemps que les Pays-Bas ou sont en passe
de l’introduire. Nul besoin d’adhérer à un évolutionnisme
unilinéaire pour suspecter que les frustrations, les inquiétudes,
les espoirs, les conflits qui, au fil des ans, ont suscité le
débat néerlandais, préfigurent ceux qui déjà
s’esquissent ailleurs. Or, ce qui se joue dans ce débat, c’est
autre chose et bien plus que le choix d’une stratégie d’ajustement
de la sécurité sociale à la "crise".
C’est la question de savoir si l’objectif socioéconomique central
des "forces progressistes" peut et doit être radicalement
reformulé : de la socialisation maximale des moyens de production
à la garantie à tous de la liberté que confère
une allocation universelle maximale.
(1) En 1976, le gouvernement du travailliste Joop den
Uyl a introduit une loi liant le niveau de revenu minimum garanti (bijstand)
au niveau du salaire minimum garanti (minimumloon), lui-même lié
au salaire moyen. Les gouvernements chrétienslibéraux
ultérieurs ont défait ce lien légal, mais le niveau
du bijstand n’en a pas moins continué d’augmenter en termes réels.
Il est aujourd’hui d’environ 3 200 FF par mois pour un isolé
et 4 800 FF pour un couple, sans compter l’accès éventuel
à un logement social subsidié, et des allocations familiales
dont le montant mensuel moyen est de l’ordre de 1300 FF par enfant.
(2) C’est aux Pays-Bas que le débat public sur l’allocation universelle
a commencé le plus tôt. C’est là aussi - et de loin
- qu’il est aujourd’hui le plus large et le plus avancé. Sur
les raisons de ce fait dans le cadre d’un panorama de la discussion
européenne, voir mon article "Quel avenir pour l’allocation
universelle ?", in Futuribles, janvier 1987.
(3) J.P. Kuiper, "Niet meer werken om den brode" ("Ne
plus travailler pour gagner sa croûte"), initialement publié
dans Milieu en werkgelegenheid (Environnement et emploi), Amsterdam
: Vereniging Milieudefensie, 1975, 51-69, Kuiper retrace le développement
de sa pensée sur le thème de l’allocation universelle
dans "Een samenleving met gegarandeerd inkomen" ("Une
société à revenu garanti"), in Wending (Amsterdam),
avril 1982, 278-283.
(4) D’Edward Bellamy (romancier utopiste américain de la fin
du dix-neuvième siècle) à Gunnar Adler-Karlsson
et André Gorz, en passant par Joseph Popper-Lynkeus et Jacques
Duboin, on trouve toute une lignée de penseurs socialistes proposant
de coupler un revenu social égal pour tous et un service social
obligatoire.
(5) Ces chiffres donnent, en pourcentage de la population active, le
nombre d’adultes de moins de 65 ans bénéficiant soit d’une
allocation de chômage, soit du bijstand. Ils n’incluent pas les
personnes jouissant d’une indemnité d’inaptitude au travail qui,
de 1975 à 1985, sont passées de 8,9à 11,7 % de
la population active, et dont on estime qu’environ 50 sont des chômeurs
involontaires déguisés. Ces chiffres sont encore plus
saisissants si l’on tient compte du fait que le taux de participation
des femmes aux Pays-Bas est l’un des plus bas d’Europe.
L’Institut d’Études Mondialistes a tenu sa 11e session du 23 au 30 juillet 1988, en Gironde, au château de La Lambertie, ainsi que nous l’avions annoncé (1). En l’absence de Marie-Louise Duboin, retenue pour des raisons professionnelles, André Prime et René Marlin ont parlé d’économie distributive dans le cadre du programme général consacré à l’économie mondiale.
Pourquoi l’économie ?
Distributiste et mondialiste convaincu, Jean Prédine, architecte-urbaniste, a ouvert la série des conférences en s’attachant à expliquer pourquoi les mondialistes avaient choisi ce thème. C’est qu’à partir de 1946, traumatisés par les années de guerre et conscients du péril nucléaire, ils avaient jugé que la paix ne pouvait être sauvée et maintenue que par des institutions mondiales supranationales. De la recherche d’une solidarité sans frontières, ils en étaient venus à la lutte contre la faim, puis au développement, passant donc obligatoirement par les questions économiques. Jalonné par les noms de Stringfellow Barr, de l’abbé Pierre, de Lord Boyd-Orr, de Josué de Castro et de François Perroux notamment, cet itinéraire devait amener les Citoyens du Monde à leur sujet de juillet 1988.
Économies et gouvernement mondial
Georges Bernard, Directeur honoraire de recherche au C.N.R.S., brossa un large tableau d’ensemble de l’économie mondiale sous tous ses aspects. Classant les différents systèmes existant en économie de marché, économies panifiées et économies des pays en voie de développement, il fit un état des arguments économiques en faveur d’un gouvernement mondial. Tout cela sans sortir des méthodes actuelles d’échanges et de diplomatie qui ont pourtant, d’après nous, fait amplement la preuve de leur impuissance.
Fédéralisme intégral
Alexandre Marc, chantre du fédéralisme intégral (2) et proudhonien "libre" après avoir fait un historique du fédéralisme, se livra à une analyse critique de la situation économique actuelle. Il fit remarquer que les régimes de l’Ouest et de l’Est ne sont pas essentiellement différents en ce qui concerne les échanges, l’un étant un capitalisme privé, l’autre un capitalisme d’état. "Lorsque deux systèmes contraires d’une civilisation (capitalisme et marxisme) produisent tous les deux des effets négatifs, cette civilisation touche à sa fin" affirma-t-il. Ajoutant : "L’économie mondiale d’aujourd’hui, c’est la jungle". Et pourtant le problème de la production étant théoriquement résolu, c’est celui de la répartition qui subsiste seul. A. Marc prône la planification non étatique (Proudhon), la suppression du salariat (qui n’a que 4 siècles), le revenu minimum (mais pas le revenu d’insertion qui conduirait à la société duale), la participation. Quoiqu’en des termes quelquefois différents, il décrivit le capitalisme d’une manière analogue à la nôtre. A l’une de nos questions, il répondit en reconnaissant le grand service rendu par Jacques Duboin lorsqu’il stigmatisait "la misère dans l’abondance". Il tint néanmoins à confirmer son désaccord avec nos solutions, précisant qu’il est contre toute conception "moniste" de l’économie (3). Et pourtant nos propositions ne sont que les conséquences de l’analyse sans complaisance du système.
L’économie de réciprocité
William Grossin, docteur en sociologie, ès-lettres et sciences humaines, Professeur honoraire de l’Université de Nancy, attira l’attention sur l’intérêt d’étudier certaines formes archaïques de l’économie et d’expliquer comment elles ont pu, dans certains cas, résister après quatre siècles de colonisation. Dans ce domaine, Dominique Temple ethnosociologue, a rendu compte de dix années de présence sur le plateau andin du Pérou et dans l’Amazone bolivienne. L’économie de réciprocité pratiquée dans ces contrées se caractérise par l’accumulation du travail et des produits, non pas en vue d’un profit, mais pour donner et ainsi augmenter son prestige et, à terme, son pouvoir.
La socio-économie
Pierre Vinot, ancien membre du Conseil économique et social, stigmatisa lui aussi les échecs de l’économie conventionnelle, impuissante à satisfaire les besoins fondamentaux des individus, alors que les moyens de production existent. Il regretta que la plupart des journalistes économiques et même l’INSEE fassent entrer les chômeurs dans la catégorie des "actifs" et comptent dans les "prélèvements obligatoires" les cotisations sociales et familiales qui n’ont rien de "prélèvements" puisqu’elles sont redistribuées intégralement. Il critiqua l’économie dominante en des termes élégants mais sans appel. Pierre Vinot nous fut un allié précieux lors des nombreuses discussions qui eurent lieu, aussi bien au cours des séances plénières, après les cours, que lors des apartés improvisés durant les repas ou les soirées. Il s’intéressa à nos projets, sans nous suivre dans la partie constructive de l’économie distributive ; mais refusa aussi de considérer comme des hommes de science les économistes officiels qui se sont trop souvent trompés pour revendiquer la rigueur scientifique. Toutefois, il nous a un peu déçu, car la partie constructive de sa socioéconomie semble ne résider qu’en une redistribution plus équitable qui consisterait à solvabiliser les économiquement faibles en vue de relancer la production et de diminuer le chômage. Beaucoup de gouvernements l’ont essayé et ont échoué. Pierre Vinot ne dit pas comment il réussirait...
Le Système Monétaire International
Guy Marchand, secrétaire général du Congrès des Peuples, et hôte de l’I.E.M., rappela les interventions auxquelles il se livra pendant plus de quarante années auprès des grands de ce monde afin de leur arracher, la plupart du temps sans succès, quelques déclarations en faveur du mondialisme. Il affirma, comme nous, que le revenu doit être basé sur la production et non sur la durée du travail. Il se demanda pourquoi les propositions de réforme du S.M.I., en particulier celle de Charles Warin (4) n’ont jusqu’à présent pas abouti. Répondons lui ici que lorsqu’on domine la haute finance mondiale, lorsqu’on possède une monnaie et un système à la fois nationaux et internationaux que l’on peut manipuler à sa guise, il n’est pas question d’en changer sauf contraint par une force beaucoup plus puissante que celle des distributistes et des mondialistes d’à présent. Guy Marchand a également parlé de son dernier opuscule (5).
Le partenariat égal
Présenté par John Roberts, Professeur de Faculté, Christopher Layton, Directeur Honoraire à la Communauté Économique Européenne, décrivit un monde dominé par les pays riches au détriment des pays en voie de développement. Il se borna à souhaiter plus de démocratie, une réforme de l’O.N.U., une évolution vers des entités régionales dotées d’une monnaie propre (un "monde multipolaire") et un transfert des ressources... Beaucoup de bons sentiments...
Le rôle de l’organisation bancaire
Non sans naïveté, Penny Johnson, Conseillère financière à la City Bank de New-York, expliqua le rôle de la banque à tous les échélons : mondial, régional, sous-régional, en faveur du développement. Elle n’omit point de signaler les profits importants et les postes bien rémunérés que les banques multinationales, moyennes ou plus spécialisées tirent de cette activité humaniste au plus haut point. Ajoutons : avec le succès que l’on sait : plus de mille deux cents milliards de dollars de dette des P.V.D. envers les banques prêteuses.
Cession des ressources naturelles et fédéralisme
Charlotte Waterlow est membre du Comité exécutif des fédéralistes mondiaux de Grande-Bretagne. Elle fit un sombre inventaire des menaces qui pèsent sur notre planète. Menaces nucléaire, écologique, démographique, climatique, énergétique. Face à ces périls, elle posa le principe selon lequel depuis la famille jusqu’au monde entier, les décisions doivent être prises au niveau concerné, c’est-à-dire le fédéralisme. Il serait en mesure, selon elle, de faciliter les solutions les plus efficaces : paix mondiale, lutte contre les pollutions, planification, statut de l’atmosphère, recherche de nouvelles énergies propres, notamment et respectivement.
La monnaie et le fédéralisme mondial
Dario Velo, Professeur d’économie, après avoir évoqué l’époque où la Livre Sterling, puis le dollar, ont servi de monnaie de change internationale reconnue par tous, a proposé que l’Europe s’unisse afin que sa monnaie accède au même rang. II a envisagé un plan Marshall européen pour l’Afrique et l’accroissement de la dette du tiers-monde qui est de l’intérêt à la fois des pays développés et des pays pauvres afin que survive le système. Pour lui, la fin du système capitaliste n’est évidemment pas envisageable...
Les limites du nouvel ordre économique international et conclusions
Isabelle Hannequart, Assistante en droit public à la Faculté de Tours et secrétaire-trésorière du Conseil d’Administration de I’I.E.M., a ensuite montré quelles sont juridiquement parlant les limites du nouvel ordre économique mondial. Marc Garcet, Professeur à l’Institut d’Etudes Sociales de Bruxelles, délégué au Congrès des Peuples et Président de I’I.E.M. a tiré les conclusions de la session 1988 de l’I.E.M.
L’économie distributive et le mondialisme
Auparavant, une journée complète fut
consacrée à l’économie distributive. Au cours de
son introduction, Jean Prédine a lu des extraits du message que
Marie-Louise Duboin avait adressé aux congressistes et qui leur
fut remis.
Il revenait à André Prime de traiter le sujet proposé
: "La crise des marchés et l’économie distributive".
Il s’en acquitta en faisant un large historique de l’économie
mondiale à notre manière. En vue de montrer l’accélération
du progrès scientifique et technique, il reprit la méthode
consistant à réduire à une journée l’histoire
de l’humanité où l’on voit que l’essentiel de la révolution
scientifique se concentre sur les dernières minutes. René
Marlin, lui aussi mondialiste des premières heures, a ensuite
examiné les rapports de cette thèse avec le distributisme.
Il insista tout spécialement sur les dangers d’un mondialisme
qui ne serait pas démocratique. Évoquant les organismes
mondiaux supranationaux qui sont d’ores et déjà en place
sous la forme du groupe de Bilderberg et de la Trilatérale (6)
il affirma nettement que ce mondialisme n’était pas le sien et
engagea ses auditeurs à s’y opposer. Il admit que l’abondance
n’existant pas partout dans le monde, il convenait provisoirement d’envisager
l’instauration d’un socialisme distributif surtout dans les pays industrialisés
de l’ouest et proposa le cadre européen dans la perspective du
1er janvier 1993. Il insista sur la synergie entre le mondialisme et
l’économie distributive. Le premier prive le régime capitaliste
de l’exécutoire obligé des fabrications d’armement devenues
inutiles avec la disparition des menaces de guerre et pousse donc à
un changement de régime économique. Il soutint l’idée
d’une collaboration accrue entre distributistes et mondialistes. Répondant
aux questions, André Prime et René Marlin insistèrent
sur le fait qu’il ne faut pas confondre économie distributive
et gaspillage, donc pollution. Au contraire, la disparition de la recherche
du profit immédiat permettrait l’innovation dans l’économie
des matières premières et de l’énergie, ainsi que
la primauté des soucis écologiques. Le soir, Guy Denizeau
exposa son projet de franc "vert" (7) et Guy Ostenbrock celui
de monnaiecalorie (8). Ce furent donc plus de 8 heures de cours et de
débats qui ont été consacrées à l’économie
distributive ou à des propositions connexes. _ Nous avons, je
crois, profité de l’occasion qui nous fut donnée de faire
mieux connaître l’économie distributive et de rectifier
les fausses informations que certains font courir volontairement ou
involontairement sur elle. Bien entendu, le sujet ne fut pas épuisé,
il était trop vaste. De même ce court compte-rendu tout
à fait succint et forcément subjectif ne peut que donner
une idée trop simple de la richesse des matières abordées.
Le lecteur intéressé pourra se reporter aux polycopiés
des cours de l’I.E.M. (9).
Signalons enfin que l’auditoire comprenait en permanence environ 50
à 60 "étudiants", "professeurs" ainsi
que les responsables de l’Institut. Des personnalités locales
ont assisté à certaines séances et le journal "Sud-Ouest"
a publié de nombreux articles sur les réunions, en particulier
le 5 août : une cinquantaine de lignes sur les interventions des
distributistes.
Le bon grain a été semé. Espérons qu’il
germera, au moins dans quelques cerveaux parmi les plus
réceptifs...
(1) Voir G.R. n° 869.
(2) Voir "Minimum social garanti pour l’Europe" G.R. n°
870.
(3) Système selon lequel il n’y aurait qu’une seule sorte d’économie
possible. A. Marc fait sûrement allusion à son économie
bizonale. Voir (2).
(4) "Une monnaie pour un nouvel ordre économique mondial",
ed. Club humaniste.
(5) "La compétitivité, mère du chômage".
Même éditeur.
(6) Nous y reviendrons plus en détail.
(7) Voir G.R. n° 869.
(8) Voir G.R. n° 868.
(9) S’adresser à Isabelle Hennequart, 111 avenue Aristide Briand
35000 RENNES.
Tout pacifiste est révolté par la contradiction
flagrante apparaissant entre les discours humanistes sur la paix des
principaux dirigeants des pays de l’Ouest ou de l’Est, et l’existence
d’un surarmement apocalyptique et d’un commerce international d’armes
florissant, qui sert souvent à équilibrer les balances
du commerce extérieur.
Voici le classement pour 1987 des pays exportateurs publié le
17 août 1988 par l’Institut de recherches sur la paix de Stockholm
(SIPRI) 1°) U.R.S.S. - 12.262 millions de dollars - 2°) Etats-Unis
: 11.547 m.d. - 3°) France - 3.575 m.d. (en 1986 4378) 4°) Grande-Bretagne
- 1.792 m.d. - 5°) R.F.A. : 1.444 m.d. - 6°) Chine : 1.040 m.d.,
etc...
Les deux tiers des exportations ont été destinées
en 1987 aux pays du tiers monde, alors que ces pays auraient davantage
besoin de matériel de développement. Le MoyenOrient reste
l’acheteur principal, et l’Inde le 1er pays importateur.
Durant la guerre Irak-Iran, environ 60 pays dont le Brésil, le
Chili, l’Afrique du sud, la Corée du nord, le Vietnam, Israël
et la Chine, ont vendu des armes aux belligérants, tuant ainsi
par personnes interposées non seulement des militaires, mais
aussi des civils, dont des femmes et des enfants. Faut-il rappeler aussi
sur ce sujet les scandales des ventes illégales connus en Occident
en 1987 : Irangate (Etats-Unis), Société Luchaire (France),
Bofors (Suède), Valsella (Italie), Noricuum (Autriche).
Dans beaucoup de pays les dépenses militaires bénéficient
d’une priorité budgétaire en général pour
servir les stratégies de domination des groupes au pouvoir. C’est
ainsi qu’en 1985 le Pakistan a consacré 38,5 % de son budget
aux dépenses militaires pour 1,1 % affecté à la
Santé publique... Le Pérou a eu un budget militaire de
33%, le BurkinaFaso, un des pays les plus pauvres, en est à 18%,
l’Irak à 60%, l’Iran à 42%. Le Soudan, où 2 millions
de personnes sont menacées de famine, consacre 2,5 millions de
dollars par jour à ses dépenses militaires...
La plupart des importations d’armes vers le tiers-monde se font généralement
à crédit ce qui accroît son endettement. La poursuite
de la militarisation des pays sous-développés dépend
donc largement du bon vouloir financier et technique des grandes puissances
qui pratiquent une grande hypocrisie.
Les pays du tiers-monde sont sollicités par les industries d’armements
des grands pays pour lesquels ils représentent des débouchés
essentiels. 51 % des ventes américaines, 76% des ventes soviétiques,
86% des ventes françaises ont été destinées
au tiers-monde ces dernières années.
Quant aux budgets militaires qui atteignent des centaines de milliards,
ils représentent un tel gaspillage de crédits, d’énergie
humaine, de matières premières, un tel arsenal d’engins
destinés à supprimer la vie et à polluer l’environnement,
qu’on peut douter de l’intelligence humaine et de la volonté
de paix de ceux qui nous dirigent, et des leaders politiques.
Paradoxalement la communauté internationale est incapable de
répondre rapidement et efficacement aux problèmes de la
faim, de la santé, aux cataclysmes naturels qui surgissent surtout
dans les pays du tiers-monde. Ce sont alors des organisations humanitaires
qui doivent se substituer à la défaillance des Etats avec
des moyens souvent dérisoires face aux besoins réels.
Mais cela ne semble pas émouvoir ceux qui ne savent que promettre
des lendemains qui chantent.
Comment ceux qui nous gouvernent, ou les leaders des grandes formations
politiques, n’ont-ils pas honte de leur indifférence et leur
inertie devant les efforts surhumains que doivent déployer, par
exemple, des personnes comme Mère Térésa et ses
soeurs.
En réalité tous les dirigeants ont peur du désarmement,
peur de déclarer la paix au monde, peur des réactions
qu’entraînerait pour leur image de marque, ou dans leur électorat,
toute tentative, toute initiative de désarmement unilatéral,
ou même toute proposition concrète applicable immédiatement
dans tous les pays. Tous restent donc sur la défensive au lieu
de pratiquer l’offensive. Les seuls à avoir fait un pas dernièrement
dans cette voie sont MM. Gorbatchev et Reagan.
C’est ainsi qu’il serait possible d’obtenir un désarmement progressif
par une réduction annuelle de 5 % des budgets militaires, ce
qui permettrait une reconversion graduelle des appareils productifs.
Il faut donc adopter une morale du désarmement si nous voulons
progresser vers celui-ci. Nous savons tous que les armes conduisent
aux conflits armés, et que ceux-ci piétinent toujours
les principes moraux, religieux ou philosophiques, les droits de l’homme,
le respect de la vie, la tolérance, la fraternité, la
démocratie, car il y a toujours des excès dans les deux
camps.
Comment se fait-il que les hauts responsables des diverses religions
ou philosophies n’agissent pas davantage qu’avec des mots pour le désarmement
général et la lutte contre la misère et la pauvreté
dans le monde ? Assez de pleurnicheries, de lamentations, d’états
d’âme. Agissez !
Comment se fait-il que les responsables des différentes, organisations
humanitaires qui sont obligés périodiquement de recourir
à la générosité publique, ne dénoncent-ils
pas le gaspillage de crédits que constitue le surarmement, alors
que ceux-ci permettraient de faciliter et de rendre plus efficaces leur
aide aux plus démunis ?
Si les forces morales qui heureusement survivent dans notre société
de consommation basée sur l’individualisme, ne prennent pas conscience
de la gravité de la situation, alors nous assisterons au développement
de la militarisation du monde, qui est le seul moyen de minorités
au pouvoir pour contrôler les situations sociales explosives.
Et la militarisation conduit toujours aux dictatures ou contribue à
les maintenir en place. Comment les démocraties occidentales
peuvent-elles ne pas comprendre ce processus inexorable ? On ne construit
pas la paix en semant des graines de violence.
En France même, la diminution progressive du budget militaire
permettrait de répondre aux besoins essentiels des catégories
défavorisées et des salariés : lutte contre la pauvreté,
logements sociaux, éducation et formation professionnelle, culture
et loisirs. Ici encore comment se fait-il que les centrales syndicales
qui se préoccupent tant du pouvoir d’achat des travailleurs,
ne se rendent pas compte que la qualité de la vie dépend
aussi de l’utilisation des crédits budgétaires, que le
gaspillage militaire se fait évidemment au détriment des
améliorations du quotidien. Pour reprendre une formule ancienne,
il faut savoir choisir entre le beurre et les canons.
Le problème est de savoir si nous voulons faire un pari sur l’intelligence,
si l’éducation et la formation de nos enfants par exemple, sont
plus importants que le surarmement ? De la réponse à cette
question dépend notre avenir.