Éditorial
L ’EMISSION de télévision de l’A2, "Les
dossiers de l’écran" du mardi 12 janvier fut édifiante
à plus d’un titre...
Elle commençait par un film, l’histoire romancée de Marthe
Hanau. Film qui n’a pas que le mérite de nous montrer la fascinante
beauté de l’actrice Romy Schneider. Il rappelait le mécanisme
par lequel s’enrichissent bien des escrocs de grande envergure : d’abord
bluffer pour se faire confier quelques fonds, en promettant de gros
intérêts (8 % dans cette histoire qui se passait sous la
Troisième République) ; puis verser de gros dividendes
aux premiers clients, avec de l’argent frais confié par de nouveaux
gogos ainsi mis en confiance. Ensuite, c’est inévitablement la
course en avant : il faut toujours de nouveaux clients pour verser aux
précédents les intérêts promis, plus attractifs
que ceux versés par les établissements ayant pignon sur
rue (les banques à cette époque versaient 1 % d’intérêts).
Jusqu’à la chute ou la fuite.
Autre intérêt du film : montrer le pouvoir des gros banquiers
sur le pouvoir politique. On a pu voir quelle main-mise avait sur le
Président du Conseil un financier, le président d’une
grande banque, qui ressemblait fort au président de Paribas,
Horace Finally, dont mon père gardait un souvenir marquant (1).
Enfin ce film montrait l’espoir parfaitement illusoire qui peut s’emparer
des naïfs à qui on promet, pour les amener à confier
leurs économies, de devenir actionnaires : Marthe Hanau avait
montré, il y a plus de cinquante ans, la voie du "capitalisme
populaire", suivie par les libéraux qui nous gouvernent.
Mais le débat qui a suivi le film était également
fort instructif, par les contradictions et les énormités
qui y ont été proférées. Le comble a peut-être
été atteint par F. d’Harcourt, député,’
RPR. Celle-ci nous a doctement expliqué, à quelques minutes
d’intervalle, d’une part que c’est un devoir d’apporter ses économies
aux entreprises françaises pour les aider (à "créer
des emplois" a-t-elle ajouté !) et d’autre part que si les
valeurs avaient tant perdu, récemment, en Bourse, c’était
la faute -de l’étranger, de la Bourse de New-York, de Tokyo,
de Londres, etc..., dont l’impact sur les valeurs françaises
est maintenant immédiat.
Effectivement, une déclaration d’un expert en affaires, le célèbre
Bernard Tapie, faite devant la presse à Lyon, le 14 janvier,
est édifiante à ce sujet : "La Bourse... est dingue",
a-t-il dit, "le cours Terraillon a été multiplié
par cinq brusquement, ce que je trouvais sot, puis divisé par
quatre, ce qui est encore plus sot, sans qu’il se soit rien passé
d’anormal dans l’entreprise. Au contraire, nous connaissons une croissance
de 30 à 40 % par an !".
Le lendemain, 15 janvier, la Bourse de Paris subissait des bas et des
hauts, dans l’attente du chiffre donnant le déficit du commerce
extérieur des Etats-Unis. Quand ce chiffre apparut plus faible
que celui du mois précédent, donc plus faible que prévu
(treize milliards de dollars... "seulement"), la Bourse a
clôturé à la hausse : + 4 % pour les valeurs françaises.
Autrement dit les boursicoteurs français se réjouissent
de ce que le déficit du commerce américain ait diminué,
c’est-à-dire que les Américains aient un peu plus exporté,
c’est-à-dire que les Français risquent d’un peu moins
exporter, donc, globalement, de moins vendre (d’autant moins que, par
la même occasion, le cours du dollar US a remonté. La Bourse
française monte quand les entreprises françaises vendent
moins !
Alors, il faut savoir : la Bourse reflète-t-elle, oui ou non,
la santé des entreprises ?
Interrogées sur ce qu’étaient devenus les milliards (deux
mille, paraît-il) de dollars de chute des cours pendant le krach
d’octobre dernier, ni la député, ni la banquière,
ni l’agent de’ change, ni la femme d’affaires n’ont "su dire, et
pour cause, où ils sont passés...
Autre moment épique au cours du débat l’envolée
lyrique de Florence d’Harcourt expliquant qu’elle tenait à ce
que beaucoup de petits porteurs achètent, comme elle l’a fait,
des actions de TF1 pour pouvoir, étant nombreux, agir sur les
programmes, faire valoir leur volonté qu’il y ait moins de violence
à l’écran (Je me suis demandé, en l’écoutant,
est-elle idiote ou nous prend-elle pour des idiots ?). La réponse
est venue dans le journal du’ lendemain : sous le titre "la grogne
des petits porteurs", l’article du "Monde" commençait
"Je suis un petit actionnaire de TF1. C’est pourtant par la presse
que j’ai appris la tenue d’une assemblée générale.
Ma banque était incapable de me donner la date de la réunion,
ni la marche à suivre pour y participer. J’ai eu les renseignements
juste à temps pour prendre le train et venir ce matin à
Paris. Un grand groupe de communication comme le vôtre, M. Bouy
gues, pourrait-il se montrer un peu plus proche de ses actionnaires
?". Il continuait en expliquant que "le petit homme à
cheveux blancs" qui s’exprimait ainsi, "n’était pas
content et qu’il n’était pas le seul, le lundi 11 janvier, dans
une salle Pleyel à moitié vide" où pendant
une heure des actionnaires se sont succédé au micro, posant
les mêmes questions : "Pourquoi ne pas faire siéger
leurs représentants au Conseil d’administration, pourquoi ne
pas les associer à la gestion de la chaîne ?" Et le
journal poursuivait : "Sur la scène... le viceprésident
de la chaîne, entouré de MM. F. Bouygues et R. Maxwell,
oppose à toutes ces demandes une fin de non-recevoir polie mais
ferme"...
***
Participait aussi au débat des "Dossiers
de l’Ecran" une poupée toute en sourires. Elle nous a expliqué
qu’elle éprouve une grande admiration pour les gens qui sont
capables de gérer leur argent. Parce que, elle, vraiment, la
finance, elle n’y connaît rien. Ce n’est pas son domaine, celui-ci
étant, probablement la littérature (spécialité
la psychologie, peutêtre ?). Mais l’argent, non, vraiment, elle
ne sait pas comment il faut le manier. Alors elle laisse faire son mari,
qui est beaucoup plus compétent.
Quant on sait que ce mari s’appelle M. de Rothschild, on pousse pour
elle un soupir de soulagement. La fortune des Rothschild s’est sans
doute édifiée plus honnêtement que celle du père
J.D. Rockefeller (2), dont E. Ruggieri raconte l’épopée
le matin sur France-Inter ; elle est en tout cas assez grande pour permettre
à Nadine de dépenser sans compter...
***
Il n’en va pas de même pour la grande majorité des femmes. Elles sont bien obligées, elles, qu’elles aiment ou non, de gérer des budgets. Et ce n’est pas facile quand il rentre peu d’argent au foyer. Elles le font le plus souvent avec beaucoup d’habileté. Alors pourquoi sont-elles si peu nombreuses à utiliser leur compétence pour essayer de comprendre les rouages financiers de l’économie ? Pourquoi, comme tant d’hommes d’ailleurs, s’imaginent-elles que ces questions sont l’affaire de spécialistes, et laissent-elles ainsi les économistes si mal gérer les ressources (les VRAIES richesses) de notre planète ?
***
C’est pourtant ce comportement de soumission, bien trop répandu, qui permet la cassure de notre société en deux mondes : un tout petit nombre de meneurs qui décident du sort de tous les autres.
(1) J. Duboin était alors sous-secrétaire
d’Etat au Trésor. Il voulut réaliser une stabilisation
du franc. Ceci ne faisait pas l’affaire d’H. Finally qui lui dit qu’il
l’en empêcherait, au besoin en faisant tomber le gouvernement.
Ce qu’il fit.
(2) Le père de J.D. Rockefeller se faisait passer pour médecin
auprès des Indiens pour leur vendre une potion anti-cancer, qui
n’était en fait que de l’eau. Comme il avait appris que les Indiens
attribuaient des vertus surnaturelles aux sourds-muets, il se fit passer
pour sourd-muet, ce qui, par la même occasion lui évitait
d’avoir à répondre aux questions qui l’embarrassaient...
ETANT admis que l’Etat libéral est celui qui ne se manifeste que dans ses domaines propres : politique étrangère et militaire, éducation nationale, administrations publiques : police, justice, budget, impôts, etc... et qui laisse au marché le soin de réguler la subsistance, l’activité, le commerce et l’industrie, comment se fait-il que les gouvernements les plus libéraux interviennent tant et toujours ? et pourquoi les catégories de citoyens qui se réclament le plus de cette idéologie dépassée sont justement celles qui demandent et obtiennent le plus d’aide collective ?
LES PAYSANS
L’agriculture, besogne millénaire, intervient
pour une part de plus en plus faible dans la population active de la
France. De 52,9 % en 1851, sa part est passée à 26,7 en
1954 et à 8 % en 1980 (1). Elle n’en continue pas moins à
bénéficier de la largesse démagogique de nos gouvernements,
largesse étendue, maintenant à l’Europe. Il n’entre pas,
bien entendu, dans nos intentions de jeter l’anathème sur les
agriculteurs de quelque nationalité qu’ils soient. Nous n’ignorons
pas leurs difficultés et nous avons le plus grand respect pour
le travail, notamment le leur. Nous savons aussi comment on les a trompés
et engagés dans des investissements inconsidérés
en leur faisant croire que le Marché Commun pourvoirait à
tout. Jacques Duboin n’avait-il pas écrit à ce sujet,
dans son style imagé, que des économies bancales qui claudiqueront
ensemble n’en retrouveront pas, pour autant, une marche normale. Nous
tenons compte, aussi, des disparités énormes entre les
revenus des paysans, non seulement entre les régions, mais également
les statuts (propriétaires, fermiers, métayers, salariés,
etc...) et les superficies cultivées. D’après le rapport
"Politiques nationales et échanges agricoles" : "...75
% des aides sont versées à moins de 25 % des agriculteurs,
ce qui signifie que l’écart entre les paysans les plus aisés
et les plus démunis n’a pas été réduit...
La prédominance de ce système de soutien explique qu’il
subsiste dans certains pays de l’OCDE un écart de 1 à
20 entre les plus pauvres et les plus riches producteurs". (2).
Il n’en reste pas moins que l’aide des organismes européens est
importante. Le même rapport "...estime qu’au total l’ensemble
des subventions octroyées entre 1979 et 1981 dans la zone OCDE
correspond au tiers de la valeur de la production agricole...".
Les subventions du FEOGA (3) étaient en 1984, pour l’ensemble
de la CEE de 15,8 milliards d’écus soit environ 110 milliards
de francs, dont une bonne partie à la France. Aux dépenses
européennes s’ajoutent celles de notre pays. En 1986, le budget
du Ministère de l’Agriculture était de 109,7 milliards
de francs, soit 13 % du budget national (1). Le revenu brut de l’agriculture
(4) était de 109,5 milliards et les dépenses de l’Etat
en faveur de l’agriculture et du soutien des prix agricoles de 99,9
milliards (1). Ces chiffres ne comprennent évidemment pas la
Sécurité Sociale agricole toujours à la charge
du régime général des salariés, pour des
montants difficiles à trouver (5). Le rapport (2) indique que
l’aide à l’agriculture aurait chuté entre 100 et 120 milliards
de dollars par an aux consommateurs et aux contribuables de l’Europe
- à une période où le dollar était aux environs
de 5 F, "...au point que, dans certains pays, les dépenses
budgétaires excèdent désormais, les revenus agricoles...
". Ceci paraît très réaliste en ce qui nous
concerne. Sans nul doute la France est visée.
Nous n’avons pas trouvé dans les statistiques disponibles, le
total par pays des fonds publics affectés au monde agricole.
C’est probablement volontaire. Néanmoins les responsables des
nations moins agricoles sont mieux informés, c’est ce qui explique
la position, notamment des Anglais, lors des discussions de Bruxelles.
Ils ne veulent plus, et on les comprend, subventionner, à cours
forcés, les invendus des autres et leur stockage. Tenant compte
des chiffres que nous avons cités l’on peut, en effet, évaluer
à 70 % ou 80 % la proportion de l’argent public dans le revenu
total de l’agriculture française.
"...Les agriculteurs produisent actuellement, sans tenir pratiquement
aucun compte de la demande réelle : ils sont protégés
de la concurrence internationale et des forces du marché par
les politiques mises en place par la plupart des gouvernements..."
affirme l’Observateur de l’OCDE. Bien entendu les grands terriens qui
dominent la Fédération Nationale des Exploitants Agricoles
présidée naguère par François Guillaume,
promu ministre, et même les paysans moyens soutiens actifs des
partis de droite dits libéraux, sont d’accord pour soumettre
l’industrie à la "dure loi du marché" avec le
chômage qui s’ensuit. Quant à eux, ils sont bien à
l’abri derrière le soutien des prix et "l’assainissement"
de la production. Qui leur jettera à la face leur contradiction
? Demandons à MM. Chirac, Guillaume et Madelin, s’il est vrai
que l’Etat n’a pas vocation à produire des automobiles, de l’acier,
et s’il fait chuter l’extraction du charbon, en raison de son prix de
revient, si, par contre, il doit faire produire, au-delà des
besoins solvables, et sans contrôler les entreprises, du beurre,
des céréales, du lait et du vin ?
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas contre, à condition
que ces aliments soient destinés à ceux qui, en France,
comme ailleurs, ont faim. Ce ne sont pas les quelques prélèvements
que la Communauté Européenne effectue sur ses montagnes
d’invendus (6) qui résoudront le problème. Répétons
d’ailleurs bien, que dans le cadre de ce régime économique,
un accroissement de ce type de l’offre entraîne une baisse des
prix fâcheuse pour les producteurs, y compris ceux des PVD. D’où
les critiques portant sur la détérioration des termes
de l’échange et sur la concurrence ainsi faite aux produits locaux
qu’il conviendrait au contraire, d’encourager.
Les chercheurs
Prenons maintenant un second exemple de "libéralisme"
dans un tout autre domaine, celui de la recherche. L’on sait que, contrairement
à sa vocation, le patronat français n’a jamais consacré
beaucoup d’énergie, ni d’investissements à ce secteur
qui est dispendieux, aléatoire, au rapport incertain et, en tous
les cas lointain. Il en est ainsi de la recherche fondamentale comme
de la recherche appliquée. L’habitude s’est instaurée
de confier à l’Etat, non seulement la formation des chercheurs,
à travers l’Education Nationale, mais aussi la charge de leur
équipement et de leurs travaux. C’est pour remédier à
la carence des entreprises privées que fut, créé,
en 1939, le Centre National de la Recherche Scientifique réorganisé
en 1959. Le Général de Gaulle souhaitait, un peu facilement,
qu’il fut composé de "trouveurs plutôt que de chercheurs" :
Même la recherche très près de la pratique est laissée
aux établissements publics. C’est ainsi que les constructeurs
de matériels ferroviaires comptent beaucoup sur la RATP et la
SNCF pour se charger des études nouvelles et des essais. Et pourtant
les engins vendus ensuite à l’exportation, procureront à
ces industriels des rendements substantiels.
Mais jamais, à notre connaissance, le principe "privatiser
les bénéfices, socialiser les pertes" n’avait été
autant invoqué que dans le cas cité maintenant. Il s’agit,
au départ, d’une de ces lettres confidentielles boursières
qui ont fleuri au temps de l’euphorie d’avant le 19 octobre 1987. Situons
d’abord le contexte. Ces lettres sont dites confidentielles car, si
les informations qu’elles contiennent étaient connues trop largement,
les prises de positions financières qui en découlent perdraient
évidemment leur pouvoir supposé de procurer des gains
mirifiques. Afin de mieux se vendre auprès des cadres qui ont
des économies à placer - pour être confidentielles,
on n’en recherche pas moins des clients - cette lettre n’hésite
pas à s’intituler, en anglais s’il vous plaît, et même
si cela ne vous plait pas : "Winner News Letter" (7). C’est-à-dire,
à peu près, "Nouvelles pour les gagneurs". Dans
son numéro du 24 novembre 1987, cette publication donne, sous
le titre principal "Stratégie générale"
les précieux conseils suivants dont nous n’hésitons pas
à faire profiter nos lecteurs sans supplément de prix :
"...Comme dans notre envoi du 23 octobre, nous pensons à
nouveau que tout est possible. Aussi bien une nouvelle et forte chute
des marchés d’actions qu’une reprise violente...".
Ainsi, malgré sa prudence, le rédacteur s’est trompé
: aucune des deux hypothèses ne s’est réalisée,
jusqu’au moment où nous écrivons. Sous l’intitulé
"Une période pivôt" on peut lire aussi : "...Au
plan technique, sur les trois grands marchés, nous sommes à
l’intersection des lignes de tendance moyenne et longue. Ceci signifie
qu’il faut s’attendre à des mouvements brutaux. Pour l’instant,
rien dans les indicateurs que nous suivons ne permet de donner une plus
grande probabilité à la baisse qu’à la hausse (sic).
Nous espérons que les gouvernements ne vont pas trop fausser
les marchés et qu’ils vont les laisser émettre les signaux
dont les opérateurs ont besoin...". Que nos gouvernants
se le tiennent donc pour dit et qu’ils obéissent aux "opérateurs".
Toujours afin de donner une idée du ton de ces messieurs, voici
un autre extrait de la même chronique : "...Les bourses vont
maintenant devoir se trouver d’autres raisons d’espérer. Au-delà
d’un éventuel G 7 (qui a eu lieu, depuis, par télex, le
29 décembre)... il va falloir trouver un nouveau support. Ce
pourrait bien être l’économie. Elle résiste mieux
que prévu...". Ignorer à ce point les liens étroits
entre la finance et l’économie, dans ce système, n’est
pas permis. Si l’économie résiste à ce jour c’est
qu’il y a simplement décalage dans le temps. Les financiers n’ont
pas encore réussi à casser toutes les entreprises mais,
gare, ils vont maintenant s’y intéresser de plus près
! Loin d’être au service de la production, l’appareil comptable
est bien, comme nous l’avons toujours affirmé, son véritable
maître. Avec droit de vie et de mort sur lui. A quand la fin de
cet esclavage ?
Venons-en, donc, à la page 19 avec une étude sur "L’industrie
et la recherche en France". Et, tout d’abord deux chiffres qui
confirment notre retard : les dépenses des entreprises allemandes,
dans ce domaine, se sont élevées à l’équivalent
de 104 milliards de francs ces dernières années, celles
des françaises à 62 milliards. Les incitations de 1983
(crédit d’impôt-recherche et capital-risque) ne sont pas
suffisantes, paraît-il. Les crédits publics sont trop concentrés
sur la construction aéronautique et la filière électronique,
soutiennent-ils "...L’Etat demeure, en France aux postes de commande...".
Que les contribuables payent donc, mais qu’ils se taisent ! Voilà
le désir des chefs d’entreprises traduit par la lettre.
Assurément les Américains et les Japonais sont donnés
en exemple. "...Aux Etats-Unis, notamment, les producteurs de semi-conducteurs
confrontés à la menace japonaise, se réunissent
actuellement au sein du projet Sematech et souhaitent recevoir des commandes
de la NASA...". Donc, là non plus les crédits publics
ne sont pas dédaignés.
Nous terminerons par cette phrase que nous considérerons comme
la perle de l’article : "...Cette attention nouvelle pour la liaison
industrierecherche n’en prend que plus de valeur. Elle rejoint des préoccupations
déjà anciennes aux Etats-Unis et au Japon où une
sorte "d’interventionnisme libéral" est d’un usage
courant... ".
Nous connaissions déjà l’économie mixte, la cohabitation,
le sociolibéralisme, voici, maintenant : "l’interventionnisme
libéral" ! C’est bien là de la soft-idéologie
dénoncée ailleurs (8). Nous savions, depuis le début,
que le moins d’Etat et le défaut d’aide étaient réservés
aux pauvres et aux modestes mais que les commensaux principaux du nouveau
pouvoir (les grands agriculteurs et les grands industriels) ne seraient
pas oubliés. Il en est de même à l’étranger.
Voici bien les limites et les mensonges du soi-disant libéralisme.
(1) Source Quid
(2) OCDE, Paris 1987, Voir "l’Observateur de l’OCDE", août-septembre
1987
(3) Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole.
(4) Déduction faite des dépenses d’entretien et de nourriture
personnelles des agriculteurs et de leurs familles.
(5) En 1987, le régime général des salariés
a versé 40 milliards de francs aux autres régimes.
(6) Voir la "G.R." de juillet 1986
(7) 20 pages hebdomadaires, Société d’édition boursière,
abonnement annuel : 1 500F...
(8) François Bernard Huighe "Softidéologie"
(Ed. Laffont).
1992. L’Europe des profits.
L’heure du tocsin pour une nuée d’entreprises désormais
privées de protection, de réglementations qui leur permettaient
de survivre face aux concurrences extérieures. Premiers en ligne
: les agriculteurs qui déjà ont lourdement payé
tribut, en révolte ouverte contre ce marché commun européen
dont ils attendaient monts et merveilles, saoûlés de propagande.
Des OPA en veux-tu en voilà, sur les entreprises prospères,
leurs personnels livrés au bon vouloir de nouvelles directions,
le social sacrifié à la compétitivité, au
profit. Avec dix mille kilomètres de frontières et côtes
à surveiller, l’Europe, déjà paradis de la fraude,
se transforme en passoire.
1992, c’est l’Europe accouchée aux fers, afin d’en finir après
trente années d’une laborieuse gestation marquée de mille
péripéties hécatombe d’une multitude d’entreprises,
un niveau de chômage encore jamais atteint, l’exclusion de millions
de marginaux, sextuplement des prix, apparition d’une classe de nouveaux
pauvres, décadence des moeurs, dégradation des genres
de vie, scandales financiers à répétition, accroissement
de la délinquance, délire publicitaire, spéculation
frénétique, ampleur des mouvements migratoires, accumulation
de surplus, développement de la fraude, des trafics, gaspillages,
charges communes en constante augmentation grevant les budgets, hypertrophiés,
des Etats membres ligués dans un combat sans merci contre l’abondance,
un combat indispensable au fonctionnement du marché...
1992 : la naissance d’une Europe bordélique, proie pour les multinationales,
lupanar économique au service exclusif du profit.
***
La défense européenne. Intervenant à
point nommé, les accords américano-soviétiques
sur le retrait du "parapluie" américain en Europe,
ont relancé le vieux projet d’une communauté européenne
de Défense, sabordé en 1953. Projet qui fait aujourd’hui
saliver le haut gratin des fournisseurs et marchands de matériels
d’armements que la force française de dissuasion avait déjà
singulièrement enrichis. Quand l’armement va, tout va : sidérurgie,
industrie minière, infrastructures, soustraitance, recherche
et bureaux d’études, emplois et profits avec d’importantes retombées
sur la consommation, sur le commerce.
Démentie pourtant par les faits, la soi-disante menace, brandie
à tout propos, d’une agression soviétique sur l’Europe,
qui sert de cheval de bataille à une propagande désinformatrice,
répond tout simplement à la nécessité de
justifier le vote d’un budget de Défense.
"Ce sont de bons accords" a déclaré le Président,
rassuré sur la pérennité promise à la force
française de dissuasion, durant que son entourage leur donnait
une signification non dépourvue d’arrière-pensées.
Disons que le contribuable européen n’est pas sorti de l’auberge,
tant du moins que l’extermination de l’empire de Satan, de l’empire
du mal", demeurera le fondement de la stratégie occidentale.
***
La carte à puce.
Une seconde "puce" sur la carte téléphonique
à mémoire - d’ores et déjà mise en service
- pour y porter le montant d’une prévision de dépenses,
une carte que l’on fait recharger, quand. elle est "vidée",
dans la limite de son avoir, et voilà notre "monnaie de
consommation" émergeant enfin du stock des utopies.
Que doit-on penser de ces cohortes d’experts, nageant dans les incohérences,
aux prises avec d’insolubles problèmes et qui se bornent à
touiller la même soupe, alors qu’ils ont à leur portée
l’instrument monétaire propre à changer la règle
du jeu ? Il s’agit seulement d’ôter à la monnaie son caractère
transférable, cause de le plupart de nos maux. Et c’est là
où le bât blesse, car il faut en convenir, cette petite
puce supplémentaire envoie le capitalisme cul pardessus tête,
détruisant le mécanisme de l’accumulation, le profit devenu
inutile pour former les revenus et procurer l’emploi. Naît ainsi
une société nouvelle, sécurisante, plus riche en
loisirs, délivrée de la plupart des intolérables
injustices dues à l’adversité.
Cette option en faveur d’une monnaie de consommation, un référendum
la ratifierait sans coup férir.
***
Le dollar plonge.
Une bonne recette pour réduire le poids de la dette américaine
(celle des Etats vis-à-vis des banques étrangères)
pour lutter contre la concurrence extérieure, japonaise notamment
et relancer, par là, l’emploi et les exportations. Cette chute
du dollar et la crise boursière qui l’accompagne ne sont pas
sans lien avec l’offensive de paix déclenchée tous azimuts
par Gorbatchev, cet empêcheur de danser en rond autour des crédits
d’une Défense devenue non crédible face à une menace
inexistante. On observera que le même phénomène
s’était produit dans les mois ayant précédé
la mort de Staline, en 1953, alors qu’une "avalanche de paix"
déferlant du Kremlin semait la panique à Wall Street.
Revenus les beaux jours de la guerre froide, la Bourse retrouvait la
prospérité.
Analystes et experts ont la mémoire courte, à moins qu’ils
n’aient choisi de taire ce genre de constat de nature à troubler
leur bonne conscience.
***
Le pouvoir et l’argent.
L’argent vient épauler les candidats au Pouvoir, après
quoi le pouvoir se place au service de l’argent. Ainsi fonctionnent
toutes les républiques fricardes.
Le système économique dit "libéral"
ou "de marché" me paraît comparable, dans son
mécanisme, au "jeu de l’avion" qui a fait fureur récemment
à Genève.
La monnaie est en effet créée à 90 % par les banques
(1) sous forme scripturale. Or, en même temps que cet instrument
est créé, son intérêt ne l’est pas ; ce qui
oblige à de nouveaux emprunts et à l’accumulation des
débits, avec le même effet multiplicateur que "l’avion".
Pour s’en sortir, chacun doit transférer à d’autres la
charge du paiement.
Il existe une confusion entre l’argent-dette émis par des jeux
d’écriture bancaires et l’argentbanque-centrale (correspondant
à l’argent de poche des nations).
La réserve fédérale des Etats-Unis est, rappelle
le Sénateur Metcalf, "une corporation bancaire sous contrat
privé", à laquelle le Congrès a remis, en
1913, son propre pouvoir de créer la monnaie.
Seul Lincoln avec ses "greenback" en 1861-1865, puis Kennedy
quelques mois avant sa mort, ont réussi à émettre
une monnaie d’Etat non bancaire. L’on sait comment ces expériences
ont été arrêtées...
Il existe donc une confusion entre l’argent-dette émis par des
jeux d’écriture privés (ne coûtant que du papier
et de l’encre) et l’argentnuméraire émis en billets et
pièces par la banque centrale d’un pays. Il s’agit de masses
différentes, suivant des lois différentes parce qu’issues
d’organes privés d’une part, publics de l’autre. Si les banques
centrales se permettaient d’émettre leur propre monnaie nationale
comme Lincoln et Kennedy, et aujourd’hui Alain Gardia au Pérou
(2), sans intérêt, il est évident que le mythe de
la "dette" bancaire pourrait s’évaporer comme les plus-values
spéculatives de la Bourse, ce qui assainirait le marché.
Mais toute tentative d’un organisme d’Etat d’émettre sa monnaie
est vigoureusement contrée par le système privé,
à témoin les cris d’orfraie des banques devant l’idée
des PTT suisses de rémunérer leurs dépôts.
Une telle évolution devient dangereuse car le spectre de la "dette"
comptable, agité devant les gouvernements, conduit certains de
ceux-ci à céder, en remboursement, des obligations d’Etat
et des participations à leurs capitaux nationaux (cas récent
de la Pologne, qui propose des parts dans ses entreprises d’Etat, nationales,
pour solder des écritures, ou de l’URSS, qui vide maintenant
ses stocks d’or).
Un tel processus de remboursements par actifs d’Etat
conduirait tout naturellement les gouvernements à remettre les
forces vives de leurs pays aux mains des détenteurs du pouvoir
de création de l’argent (donc les banques à 90 %) ; en
échange d’écritures, de radiation d’autres écritures,
purement comptables ! Cela peut paraître absurde et grotesque,
mais c’est ce que l’on constate actuellement. De même que la banque
Morgan a financé les Alliés pour la deuxième guerre,
contre remboursement s’entend, de même les banques privées
modernes (groupées sous l’égide du FMI, lequel ne fait
que gérer une situation de domination privée) échangent
peu à peu leurs écritures contre des portefeuilles d’obligations
d’Etat, par des opérations de "stérilisation"
dont personne ne croit à l’efficacité, les changes suivant
à la baisse la remise progressive des pouvoirs centraux aux mains
privées.
Dans le système actuel, chaque nation achète constamment
sa place dans un "avion" où il faut vite trouver de
nouveaux clients (exportations) pour continuer le jeu et avoir une chance
de dégager des profits. Si chacun doit "exporter ou mourir",
selon la formule consacrée, il est évident qu’il faudra
que beaucoup de pays meurent pour qu’un ou l’autre gagne ! Le dernier
pays qui pourra exporter à tous les autres pour continuer à
régler ses dettes (scripturales) finira automatiquement, par
le jeu d’intérêts composés, par devoir aussi, remettre
son portefeuille d’actifs au système bancaire privé. Ensuite
commencera un nouveau césarisme sécuritaire auprès
duquel "1984" serait un paradis, à notre avis. Le vieux
complexe d’Icare (ou de Prométhée) n’aura jamais pu mieux
s’incarner que dans le capitalisme délirant et ses "avions"
pour perdants !
(1) Selon J. Ribaud dans "Controverse sur la
Banque et la Monnaie", dans la "Revue Politique et Parlementaire,
en 1986.
(2) Qui a compris ce qui est le titre d’un livre paru en 1982 sous la
plume collective signée Thomas Lefranc : "`L’imposture Monétaire".
Tel est le titre de l’ouvrage de Susan George que
les éditions de la Découverte sortiront en février
prochain.
Susan George est bien connue de nos lecteurs, surtout de ceux qui ont
lu le livre de notre regretté ami Franz Foulon, qui la citait
beaucoup dans "Vaincre ou périr ensemble".
L’enjeu, c’est l’avenir du TiersMonde. Avec Edward Goldsmith, Suzan
George participait le 3 novembre dernier à un débat organisé
à la Sorbonne par ECOROPA. Danièle Delcuze qui y assistait
nous en a rapporté quelques notes.
Des chiffres, d’abord. La dette pour l’ensemble des pays du monde s’élève
à mille milliards de dollars américains, dont 20 pour
des achats militaires. Ceux-ci s’élèvent de 12 % par an
en Amérique, de 18 % par an en Afrique...
Quand un pays ne peut plus payer les intérêts de sa dette
(*), par exemple parce que les cours mondiaux de ses productions ont
chuté (ce qui est autant d’économisé pour les pays
du Nord), il fait des coupes sombres dans ses budgets de santé,
d’éducation, des transports publics (on licencie alors en masse),
mais pas dans le budget de l’armement. Le FMI impose des conditions
de plus en plus draconiennes pour consentir de nouveaux prêts
: "Augmentez vos revenus et réduisez vos dépenses".
Ceci s’effectue au détriment des populations : les denrées
peuvent doubler de prix, voire tripler, du jour au lendemain ; le chômage
augmente (de 58 % en Argentine, par exemple entre 1983 et 1985) et c’est
la misère qui gagne ; en 1972, la malnutrition au Pérou
a augmenté de 36 % chez les enfants. Dès qu’il y a un
signe de revendication, on prétend que la dette a atteint la
limite et que le FMI ne peut plus rien tolérer. Ce qui n’empêche
pas les dépenses somptuaires comme celle de cette centrale nucléaire
aux Philippines, construite sur un volcan, et pour deux millions de
dollars...
Ainsi la dette des pays pauvres est une arme contre l’avenir, et on
note une relation étroite entre la croissance de l’intérêt
dû par un pays et la chute de croissance de la courbe d’espérance
de vie de son peuple.
Cette dette nous affecte tous, ont souligné les orateurs, car
elle fait chuter nos exportations et chaque milliard de dollars d’exportation
en moins, c’est la perte de 25 000 emplois. Nous sommes tous ainsi embarqués
sur un "Titanic" vers une économie mondiale de l’Apartheid.
E. Goldsmidt fut catégorique non, il ne peut pas y avoir de bon
développement, la destruction généralisée
de l’environnement étant une chose parfaitement admise aujourd’hui
par les hommes au pouvoir. On arrive â la désertification,
aux éboulements, les bonnes terres ayant été perdues,
aux torrents ici, à l’assèchement ailleurs. Des pays qui,
il y a encore quarante ans, étaient boisés à 40
%, n’ont plus aucune forêt. La déstabilisation climatique
est inévitable, comme en témoignent ces tempêtes
"tropicales" totalement nouvelles en Angleterre. On a calculé
que là où il fallait 17 minutes pour gagner de quoi acheter
un kilo de riz, il faut, cinq ans plus tard, deux heures et 7 minutes.
La dette, c’est la guerre, sous sa nouvelle forme, explique encore E.
Goldsmith, en montrant que les Etats-Unis évitent maintenant
les guerres spectaculaires télévisées comme celle
du Viet-Nam, mais ils fomentent des conflits de plus faible intensité,
dirigés contre le Tiers-Monde. Quand les gens se révoltent
contre l’augmentation de certains prix, on les tue, dit-il, en citant
le Maroc, la Tunisie, l’Argentine. L’organisateur de la guerre au Viet-Nam,
Maxwell Taylor, ne disait-il pas "il faut protéger nos biens
les plus chers dans le monde (matières premières telles
que l’uranium, etc...) contre les pauvres" ? La Rand Corporation
craint que le conflit Nord-Sud n’entraîne un écroulement
total, et sous une phase imagée, parle des "feux de brousse
dévastateurs qui pourraient avaler le Nord". La dette, qui
se substitue aux guerres classiques, dévaste tout autant. C’est
un moyen de pression absolu, le contrôle mis sur les infrastructures
des pays endettés, car en jouant sur des taux d’intérêts,
on fait payer les plus pauvres...
Danièle Delcuze, dans son commentaire rapporte l’intervention
de deux jeunes gens, assez agressifs, qui se sont levés pour
dire que tout cela était faux, que "ça ne va pas
si mal, qu’il y a un grand progrès, un progrès miraculeux
en Afrique et que les enfants nains du Brésil appartiennent à
une race métissée d’indiens petits". On leur répond
aimablement qu’ils ont en partie raison, en ce sens qu’il y a bien eu
une "révolution verte", mais qu’elle a été
mal menée. Que dans certaines régions de l’Inde, par exemple,
il y a apparence d’autosuffisance parce que les magasins sont pleins.
Mais la population n’a pas les moyens d’acheter... Il y a donc une non-distribution
des biens produits.
Un milliard deux cents millions d’individus n’auraient pas d’eau potable...
Les étudiants intervenants diront que le Nord n’est pour rien
dans la misère des peuples du Sud et il y eut une certaine tension
dans la salle...
(*) Nous ajouterons : ’’Etats-Unis exceptés".
Lectures
Sous ce titre, l’hebdomadaire "Informatique" du 21.12.1987 a publié, sous la signature d’Agnès Batifoulier, une analyse de deux ouvrages (1) sur la monétique dont voici quelques extraits intéressants :
La carte à mémoire ? Tous les observateurs sont d’accord
pour voir en elle "le signe avant-coureur d’un immense changement
économique et financier en Europe et dans le monde occidental".
Mais comment va-t-on le vivre ?...
Didier Martres et Guy Sabatier, les auteurs de "La monnaie électronique"
expliquent que ce mode de paiement entre inexorablement dans notre quotidien.
Il leur a donc paru important de "replacer cette inéluctable
transformation des habitudes dans son environnement institutionnel et
psychologique" et d’"en poser les enjeux financiers, industriels
et sociaux".
Cet ouvrage est divisé en quatre grandes parties : le contexte
de la monétique, les cartes classiques, le vidéotex ou
la banque à domicile et enfin la carte à mémoire.
Les auteurs rendent compte, étape par étape, de tout ce
qui a été fait dans le domaine du paiement par carte.
Un point clair et précis, qui fournit les bases essentielles
pour comprendre la monétique.
Pour tous ceux qui veulent aller plus loin, l’ouvrage "La Monétique"
aborde plus spécifiquement tous les aspects financiers que recouvre
ce nouveau moyen de paiement aussi bien dans notre pays qu’à
l’échelon international... En introduction, il présente
le contexte historique (la monnaie et le chèque) dans lequel
vient s’insérer la carte bancaire. Puis ils analysent "l’originalité
du système de paiement français" face aux "spécificités
des systèmes de paiement occidentaux".
...Toutes les notions d’économie nécessaires à
la bonne compréhension des systèmes de paiement y sont
expliquées comme le "float", qui résulte du
délai de traitement des opérations bancaires à
partir du moment où l’on émet un débit sur son
compte, ou le système Giro (virement, avis de prélèvement
et titre de paiement).
Dans la troisième partie de cet ouvrage, les auteurs nous font
découvrir que "la monétique, que l’on assimile trop
souvent aux seules cartes de paiement, constitue en fait un ensemble
beaucoup plus vaste" comprenant "plusieurs générations
de produits, de techniques et de fonctions".
On ignore en effet très souvent l’existence
de "la partie invisible du système de paiement" et
notamment du rôle de l’ordinateur de compensation créé
pour pallier les effets de la "dématérialisation"
de la monnaie. La monétique génère de nouvelles
stratégies bancaires puisqu’il est "désormais acquis
que la modernisation intelligente d’un système de paiement conditionne
la productivité de l’activité bancaire et, par voie de
conséquence, le coût de l’intermédiation bancaire".
Les auteurs terminent en expliquant les enjeux et les conséquences
de ces innovations financières ainsi que les stratégies
auxquelles elles conduisent. Avec une étude historique (de 1945
à nos jours) de la crise du système de paiement et du
rôle joué tour à tour par l’Etat, les banques, les
ménages, la distribution et les entreprises.
La carte à mémoire pourrait bien constituer un élément majeur de la société de demain. Un lendemain que l’on pourrait bien commencer à vivre très , rapidement. N’annonce-t-on pas déjà que, dès l’an prochain, en France, cinq millions de cartes de paiement seront équipées de puces électroniques ?
(1) "La monnaie électronique", par D. Martres et G. Sabatier, collection "Que sais-je" et "La monétique" par V. Muldur et N. Dincbudak, ed. La Découverte.
L’Agence Mondialiste de Presse, créée
par le Congrès des Peuples, a diffusé en décembre
dernier la déclaration suivante :
Selon le professeur BEAUD ("Le Monde", du 13 novembre 198.7),
aucun économiste n’a prédit que la première crise
du capitalisme mènerait à la première guerre mondiale.
Aucun économiste (*) n’a prédit que le jeudi noir du 4
octobre 1929 entraînerait la seconde guerre mondiale.
Aucun économiste ne sait sur. quoi débouchera le lundi
noir du 19 octobre 1987. Et pourtant, presque tous les économistes
et les politiques connaissent la solution :
"il est indispensable de procéder d’urgence
à une réforme du système monétaire international"
a dit le FMI le 26 juillet 1972 ; "Il faut réformer le système
monétaire international" a dit François Mitterrand
au Sommet de Versailles le 5 juin 1982, puis au Sommet de Williamburg
le 28 mai 1985 et au sommet de Bonn le 2 mai 1987 ; "Il est urgent
de réformer le système monétaire" lisait-on
le 27 octobre 1983, dans le bulletin du FMI ;
Les chefs de sept gouvernements socialistes ont décidé,
le 28 janvier 1983, "d’élaborer un plan de reconstruction
d’un ordre monétaire mondial" ;
Ronald Reagan a proposé une réforme du système
monétaire, le 5 février 1986 ;
"Le monde restera sous la menace d’une crise si on n’invente pas
un ordre monétaire et économique mondial" a déclaré,
le 29 novembre 1987, Edouard Balladur, Ministre d’Etat.
Pourquoi cette réforme n’a-t-elle jamais connu un début
d’élaboration ?
L’ancien ministre français des finances Pierre Bérégovoy
a prouvé, le 9 octobre 1987, que la classe politique en connaît
la raison en répondant à une question posée par
l’AMIP "Le FMI devrait avoir un pouvoir qui imposerait aux Etats
le respect des parités".
"Imposer aux Etats" c’est-à-dire, pour eux, perdre
un peu de souveraineté est toute la clé de la réforme
indispensable du système monétaire international, idée
qui fut, pendant 40 ans, celle de l’économiste mondialiste et
polytechnicien Charles Warin. La crise économique, le chaos monétaire,
la spéculation boursière, la récession, le chômage,
la misère mondiale, source de révolution et de terrorisme
trouveraient, en grande partie, remède à travers une réforme
du système monétaire international, c’est-àdire
lorsqu’il sera décidé, autour d’une table de négociation,
de limiter la souveraineté nationale absolue de chaque Etat.
(*) L’AMIP n’a-t-elle rien lu des écrits de J. Duboin ? Est-elle sur la voie de l’économie distributive ? Elle n’en parle pas, mais il semble pourtant que la réforme du système monétaire dont elle montre la nécessité aille dans le même sens...
Ce qui se passe actuellement en URSS paraît
inquiéter certains marxistes, qui redoutent que ce grand pays
socialiste ne glisse insidieusement vers l’économie de marché.
Bien qu’il soit très difficile au Français moyen que je
suis d’apprécier ces changements, le bruit fait par la presse
occidentale autour des prétendues réformes de l’ère
Gorbatchev ne peut manquer de provoquer ma réflexion en tant
qu’abondanciste.
D’abord je suis porté à croire que ces réformes
(si réformes il y a) sont le fait non d’un caprice des gouvernants,
mais de la base. Si le gouvernement soviétique éprouve
le besoin de modifier certaines choses dans l’économie socialiste,
ce n’est évidemment pas pour s’auto-détruire, c’est pour
se prolonger. Sur la valeur des théories économiques du
marxismeléninisme, le citoyen russe me paraît mieux à
même de juger que le journaliste occidental ; et l’homme d’état
soviétique, perché, comme tous les gouvernants, au sommet
de la pyramide sociale, est fatalement plus sensible aux impatiences,
aux "émotions" de sa base populaire, qu’un théoricien
étranger dépourvu de responsabilités, et qui spécule
dans son fauteuil. Si quelque chose change en Union Soviétique,
j’estime que ce n’est pas l’Occident et sa contagion qui en sont responsables,
mais que cela vient de la réalité économique du
pays.
Ensuite, ces événements me paraissent confirmer qu’on
peut occulter quelque temps le désir d’abondance, mais qu’on
ne peut pas le faire indéfiniment. Sans doute, le Communisme
est, dans l’idéal et dans sa phase finale, Abondanciste ; sa maxime
n’est pas : "à chacun selon son travail", elle est
: "à chacun selon ses besoins", la justice devrait
servir à préparer les voies de l’abondance. C’est pourtant
sur cette justice que les révolutions marxistes se sont essentiellement
appuyées pour soulever les masses contre leurs oppresseurs. Et
il est vrai que les hommes sont prêts à mourir pour la
Justice, que, surtout dans un contexte de pénurie, c’est un idéal
d’une exceptionnelle attraction. Cependant, cette justice n’implique
pas l’abondance au contraire, c’est dans le dénuement que son
éclat se manifeste le mieux. Mais, si fort que soit cet idéal,
il ne paraît pas capable d’étouffer complètement
l’aspiration au bonheur. De ce que les peuples de l’Est, par leurs porteparole
officiels, n’ont parlé jusqu’ici que de justice, on a conclu
qu’ils ne parleraient jamais ni de bonheur, ni d’abondance. Certes,
celle-ci est suspecte à toutes les autorités morales et
politiques (sauf l’Abondancisme !) ; toutes sont d’accord pour dénoncer
l’inconsistance, les contradictions de ce bonheur vulgaire ; cela n’empêche
pourtant pas les hommes d’y rêver et de le faire quelquefois tout
haut, dans la rue ! N’a-t-on pas enterré trop tôt le Bonheur
sous la Justice ?
Enfin, ces -réformes (possibles) font réfléchir
sur le matérialisme et le spiritualisme. Bien sûr, le marxisme
est matérialiste il ne croit ni en l’âme, ni en un autre
monde ; il place le bonheur de l’homme sur cette terre. Pourtant, parce
qu’il a fait appel pour prendre le pouvoir à des idéaux
de justice distributive, il a été amené à
insister sur les mouvements dits "altruistes" auxquels il
a réduit la psychologie humaine. Depuis, il fait constamment
appel à des sentiments généreux, ce qui lui attire
d’ailleurs la sympathie de beaucoup d’esprits religieux ; concrètement,
la conduite qu’il exige du citoyen ressemble beaucoup plus aux injonctions
des morales "spiritualistes" les plus traditionnelles qu’à
un matérialisme, si dialectique qu’on l’imagine’ De cette dérive
idéaliste et spiritualiste du marxisme révolutionnaire,
les théoriciens du sommet n’ont guère conscience et pour
cause ! Mais les Soviétiques de la base la comprennent fort bien,
et le disent. C’est ce que montre le petit livre de l’écrivain
officiel Fiodor Abramov, ancien Secrétaire de l’Union des Ecrivains
: Autour et Alentour (*). Les kolkhoziens qu’il met en scène
font parfaitement la différence entre leur pure conscience de
communiste, qui n’a de valeur tangible, matérielle, nulle part,
même pas auprès des officiels, qui ne peut leur donner
qu’un bonheur "idéaliste", et les poireaux, les champignons,
la vodka, le lait de leur vache, la fête qu’on organise pour qu’ils
consentent à voter, tous biens tangibles, dont ils ont absolument
besoin, et qu’ils se procurent contre les directives officielles, ont
absolument besoin, et qu’ils se procurent contre les directives officielles,
quand celles-ci oublient de s’en préoccuper ! Cette situation
me paraît souligner l’originalité absolue de l’Abondancisme.
Ce que j’ai toujours admiré dans le mouvement de Jacques Duboin,
c’est qu’il ait eu l’audace de l’appeler "Abondancisme". Il
fallait en effet un certain courage intellectuel pour faire de l’abondance
des biens matériels un idéal ; ces satisfactions vulgaires
sont en général boudées par l’élite de la
pensée. Il faut de l’audace pour rappeler qu’au-dessus et au-delà
de la lutte pour la Justice, il y a la lutte pour le Pain et que cette
lutte ne consiste pas à exiger un minimum : le pain, cela devient
l’installation sur cette terre, l’exploration, quasiment infinie, des
ressources, de tous ordres, que nous donne cette matière dont
nous sommes faits et dans laquelle nous vivons.
Combien de doctrines demandent aux individus de sacrifier leurs plaisirs concrets, d’adopter ces attitudes anti-naturelles qui consistent à donner la mort, la souffrance, et à les recevoir, tout cela au nom d’un idéal placé ailleurs, dans un autre monde, ou dans un avenir réputé radieux ? Pour ces idéaux, des milliers d’hommes ont consenti des sacrifices extraordinaires, et provoqué du même coup des hécatombes épouvantables (parce qu’il y a toujours une double lecture de l’événement, celle du vainqueur et celle du vaincu !). Mais un jour ou l’autre, le sens de la Terre revient, la nature physique réclame son dû. Les événements récents en Union Soviétique prouvent-ils que J. Duboin avait raison, que l’abondance est partout perçue comme un authentique idéal ?
(*)Editions l’Age d’Homme