Éditorial
A la base des thèses que nous défendons
se situe la véritable "mutation" pour l’espèce
humaine dont notre époque est le témoin. Or, parmi les
bouleversements qu’entraîne cette mutation, la nécessité
d’une rupture entre temps de travail et montant des revenus est plus
souvent perçue (-enfin !-) que celle de la remise en cause des
mécanismes financiers du système capitaliste. Pourtant,
les risques que nous encourons en laissant s’exacerber la loi du profit
quand tant d’énormes moyens sont devenus disponibles sont au
moins aussi redoutables que les ,méfaits du chômage.
Il est des risques intrinsèquement liés à cette
mutation qui nous fournit le moyen "de traiter l’univers comme
une machine à traiter l’information". Ce sont ceux que
décrit P. Lévy dans son livre récent "La
machine univers (1)" commenté dans la lettre Science-Culture
d’avril dernier. L’auteur les décrit en trois classes : risques
de "déculturation", car lorsque l’information passe
les frontières à la vitesse de la lumière, les
particularités ancestrales risquent fort d’être estompées
; risques de "désincorporation", qu’on pourrait schématiser
en. disant que l’homme, lorsqu’il n’a plus besoin pour survivre de
travailler de ses mains, tend à perdre l’usage de ses muscles ;
risques de "déréalisation du monde", c’est-à-dire
de perdre le contact avec le réel quand tout est susceptible
d’être schématisé par l’esprit et interprété
par des simulations mathématiques.
La réaction de l’auteur est de faire confiance "aux hommes
de science les plus avancés" pour "subordonner le
développement du savoir à l’éthique de la survie
de l’espèce".
C’est faire preuve d’une belle foi dans l’intégrité
de ces hommes. Mais cette intégrité, en supposant qu’elle
existe, n’est pas suffisante. Le témoignage d’Einstein, le
comportement de Nobel ou celui d’Oppenheimer sont éloquents.
Et pour ne pas reparler ici de tous les "Amoco Cadiz" que
la compétitivité et l’appât du profit ont armés,
sans vouloir nous étendre sur l’abêtissement des foules
que nous préparent les dollars investis dans tous les Disneylands,
ni sur la passivité du public qu’entretiennent les médias
afin que la publicité rapporte gros, songeons seulement, parmi
toutes les merveilles dont la médecine d’aujourd’hui est capable,
à ces bébés-éprouvettes - pourquoi pas
sur mesure ? - et aux millions à gagner qu’y voient les "mères
porteuses"...
Alors quand Pierre Lévy (ou Armand Petitjean qui le commente) dit que "la liberté qu’il nous reste à conquérir est celle de choisir nos possibilités", nous avons quelques arguments pour répondre que cette liberté est inaccessible dans une société qui subordonne l’être à l’avoir.
Ce n’est pas, vous vous en doutez, du film de D.
ARCAND que nous voulons vous entretenir, mais de l’empire U.S.A.,
et corollairement, de "l’acteur" qui le dirige depuis bientôt
7 ans et qui porte, pour une part déterminante, la responsabilité
de ce déclin : Ronald REAGAN que l’histoire retiendra comme
un comédien de seconde zone, aussi bien sur la scène
politique qu’à l’écran, jadis.
Les événements nous donnent raison une fois de plus,
mais on n’y a pas grand mérite quand on possède la "clef"
de l’économie distributive : dès janvier 1985, dans
un article "America, America", nous interprétions
à notre façon le défi lancé par Reagan
le soir de sa réélection : "vous n’avez encore
rien vu". Nous prédisions l’échec de sa politique,
et depuis, "on a bien vu". Nous lui concédions une
seule "vertu" : celle d’être l’homme efficace du lobby
militaro-industriel, qui a fait passer, en quelques années,
la part du budget de l’armée de 5 à 9 % du P.N.B.
C’est sa politique économique - monétarisme et ultra-libéralisme
(les fameux "reaganomics’) - conjuguée avec l’augmentation
du budget militaire, qui est la cause profonde du déclin de
l’empire américain. Sans cela, les U.S.A. auraient très
probablement vécu "la crise" comme les sociétés
capitalistes industrialisées, sans plus. On a trop tendance
à oublier que pendant les 2 premières années
du règne Reagan, l’Amérique a connu une récession
impressionnante, la production chutant de plus de 10 %, alors qu’elle
tournait autour d’une croissance 0 chez ses partenaires et - 1, +
1,5, + 2, + 4 à 6 au Japon.
Par la suite, d’une part la baisse généralisée
des impôts -compensée par des emprunts massifs (dont
nous verrons plus loin les effets pernicieux à moyen terme)-
et celle des prestations sociales et, d’autre part, les retombées
en chaîne de la manne militaire ont permis une relance de l’économie.
La croissance atteignit des sommets dépassant 10 %, par exemple,
au 18’ trimestre 1984.
Tous en choeur, aux Etats-Unis comme dans le monde capitaliste, crièrent
au miracle du libéralisme ; le cow-boy fut encensé à
l’égal d’un dieu, et on ne pensa plus qu’à imiter l’Amérique
(1). Las, il fallut vite déchanter, car le miracle ne dura
guère : dès le 3e trimestre 1984, la croissance retombait
à 1,9 %. Malgré cela, les pronostics s’accrochaient
désespérément à une croissance d’au moins
4 %.
Mais les faits tétus (l’effet boomerang) ne donnaient que 2
%, 2,50 au mieux.
En réalité, Reagan avait opéré un virage à 180°, jamais reconnu officiellement bien sûr : Friedman limogé, on faisant du Keynésianisme à grande échelle. N’est-ce pas, en effet, un curieux libéralisme, que de soutenir l’économie à coups de budgets militaires insensés, l’agriculture (primes pour gel des terres (2) et pour l’exportation), les banques en faillite (Continental Illinois : 4,5 milliards de dollars), pour aboutir enfin au protectionnisme.
Les yeux les plus clairvoyants s’ouvrirent enfin. A l’étranger, on cessa de faire référence au modèle américain. Des événements importants mais non déterminants (majorité démocrate au Sénat, Irangate), achevèrent de déboulonner la statue du commandeur. Reagan apparut comme un incapable, un menteur, ce qu’il avait toujours été. Mais "oculos habent et non videbunt"...
Que s’était-il donc passé ?
" Conséquence de la politique de Reagan sur le déficit budgétaire.
La baisse des impôts (démagogie qui satisfait le plus grand nombre), les fabuleuses dépenses d’armement, les soutiens de tous ordres ont conduit l’Etat U.S. à emprunter au-delà de toute mesure raisonnable : le déficit budgétaire a été multiplié, comparé à 1980, par 3,5, oscillant autour de 200 milliards l’an. Pour attirer les capitaux, les taux d’intérêt ont monté. L’épargne américaine étant suffisante pour couvrir les besoins, les capitaux étrangers se sont précipités - 100 milliards de dollars par an - pour souscrire aux juteux emprunts US : 5 % de rendement net, cela vaut mieux que d’investir dans l’économie de son pays, avec les efforts et les risques que cela comporte. D’où un "manque" dans les pays industrialisés pour lutter contre la crise.
" Conséquence sur le déficit extérieur
Le dollar, très recherché, doubla
de valeur en 4 ans, atteignant 11 francs à Paris en février
1985. Mais, à nouveau, effet boomerang désastreux pour
l’industrie des Etats-Unis : les exportations chutent, les produits
étrangers envahissent l’Amérique, notamment les produits
japonais et sudasiatiques (25 % des voitures achetées par les
Américains sont japonaises ; pour la ire fois, en 1.986, la
balance commerciale US en électronique est déficitaire
en faveur des Japonais (3).
Là encore, les effets sont rapides de 28 milliards de dollars
en 1981, le déficit extérieur passe à 69 en 83,
128 en 84, 148 en 85 et 170 en 1986 (donc nettement en hausse malgré
l’accord des "cinq" du 22 septembre 85 à New-York
pour faire baisser autoritairement le dollar). Notons que pour l’Amérique
le déficit extérieur est moins grave que le déficit
budgétaire : il lui suffit - Bretton Woods ayant fait le dollar
Roi - de faire marcher la "planche à dollars". Facile.
Mais quelles conséquences au niveau mondial ? Une masse de dollars,
sans contrepartie marchandise, est jetée sur le marché
et "se balade", suscitant et alimentant une fantastique
mutation : la puissance ne procède plus de la capacité
de produire des biens, mais des flux financiers. Les bourses flambent
alors que les économies sont "en crise". Irréel.
"L’économie financière n’est plus du tout le simple
reflet de l’économie physique. La première a désormais
sa vie propre, déconnectée du réel ; elle prend
chaque jour une importance grandissante. Les échanges internationaux
de capitaux représentent aujourd’hui 10 fois le volume des
échanges de marchandises...
Depuis 3 ou 4 ans, l’argent placé sur les divers marchés
des capitaux rapporte bien plus que les fonds investis dans l’industrie
ou le commerce. Logiquement les entreprises préfèrent
placer leur trésorerie plutôt que d’investir, et les
liquidités abondantes - conséquence du sous-investissement
industriel - alimentent la hausse des marchés financiers, laquelle
attire encore plus de capitaux... Situation absurde d’un système
qui finit pratiquement par tourner en circuit fermé".
(Olivier Drouin - L’événement). L’humour grinçant
de J. Kenneth Galbraith résume la situation d’une phrase lapidaire
: "La surprise-partie de Wall Street pourrait bien se terminer
dans un bain de sang comparable à celui de 1929".
***
Tels sont les effets boomerang pour l’économie
telle que l’avaient conçue Reagan et ses conseillers dans l’euphorie
de la victoire il y a quelque 7 ans. Les temps ont bien changé.
La dette de l’Etat US est colossale : 2 000 milliards de dollars. En
1986, les intérêts de la dette représentent 14
% du budget.
L’endettement privé ne vaut guère mieux (la période
d’euphorie ayant conduit à des emprunts imprudents) : 5 000
milliards de dollars soit globalement - Etat + privé - 7 000
milliards : 20 mois du PNB !
Mais l’heure de vérité a sonné faillites ou incapacité
de rembourser. En 6 mois, augmentation de 35 % du nombre des foyers
incapables de faire face à leurs dettes ; en 3 ans, les entreprises
se sont endettées de 483 milliards supplémentaires d’où
de nombreuses faillites (en 1986, on enregistre des chiffres jamais
atteints depuis 1930) ; le tiers des fermiers sont ruinés et
ne remboursent plus leurs emprunts ; d’où faillites en série
de banques "agricoles".
Tels sont les glorieux résultats d’un dollar qui avait doublé de valeur : baisse de production des usines et invasions de produits étrangers (4), ruine des agriculteurs. Ce n’est pas la "concession" faite par les Européens de laisser pour 4 ans le champ libre en Espagne au maïs américain - afin de préserver entre autres la vente des alcools et fromages français - qui résoudra le problème ; non plus que les rodomontades contre l’Airbus qui sauveront l’industrie américaine.
Devant le danger, les U.S.A. ont enfin réagi
: gageons que ce n’est pas du cerveau "pois chiche" de Reagan
- tout juste bon à monter de minables combines d’aide aux "contras"
en vendant secrètement des armes... aux sataniques iraniens
- qu’est sortie la solution. Avant tout, faire baisser le dollar.
Depuis novembre 1985, il a chuté de 45 %. Mais n’est-il pas
trop tard ? Nous avons vu que cette baisse autoritaire n’avait en rien
modifié le déficit extérieur de 1986. Les Japonais
sont solidement implantés aux U.S.A. qui absorbent - c’est
vital pour eux - le tiers de leurs exportations. Les 170 milliards
de déficit 1986 se répartissent ainsi : 59 pour le seul
Japon, 26 avec la C.E.E., 23 avec le Canada, le reste essentiellement
avec des pays sud-asiatiques. Cependant les Japonais sont prudents
: à terme un dollar à 6 francs (150 yens) est dangereux
pour eux. En 1986, malgré un excédent record (5) dû
surtout à l’appréciation du yen, les exportations ont
chuté de 3 % en volume. Alerte ! Et elles ne sont maintenues
qu’au prix d’un lourd sacrifice sur les marges : les automobiles par
exemple, n’ont augmenté en dollars que de 14%, quand il aurait
fallu le triple pour maintenir les marges.
Alors les Japonais modifient leur stratégie (après avoir
profité pendant 5 à 6 ans de l’erreur colossale de la
politique Reagan) en envahissant les Etats-Unis de produits "Made
in Japan". Désormais, ils s’implantent en investissant
en Amérique : ils ont déjà investi 27 milliards
de dollars dans des usines. En 1986, ils ont placé 80 milliards
à Wall Street. Comme quoi les dollars issus de la "planche
à dollars", comme nous le signalions plus haut, réapparaissent
aux U.S.A...
Le Japon est devenu l’ennemi n° 1 pour l’économie américaine.
Il possède à la fois la puissance industrielle, la puissance
financière (sur les dix plus importantes banques mondiales,
7 sont japonaises) et la puissance dans la recherche et le développement
(les U.S.A. sont en perte de vitesse : baisse des crédits de
recherche, baisse des brevets...).
En outre, les Japonais ne sont pas naïfs. Devant le danger d’un dollar amputé de la moitié de sa valeur, ils évitent, comme ils le faisaient déjà du reste pour l’exportation de produits "Made in Japan", de mettre tous leurs veufs dans le même panier... américain en l’occurence. Ils font preuve d’une activité commerciale tous azimuts, "quasi diabolique" selon le mot de J.L. Lemarchand dans l’Express. Ils implantent ou achètent des usines en Europe. Si les débouchés U.S. se sont quelque peu réduits, en revanche, le déficit commercial Europe-Japon s’est creusé entre 85 et 86 : de 11 à 17 milliards de dollars. Or, il y a peu de chance de voir les Japonais s’ouvrir vraiment à nos produits : ils promettent, ils "étudient",... ils copient, ils sourient... mais pratiquent la politique de l’inertie.
Ainsi subissons-nous indirectement les méfaits de la politique Reagan.
L’Amérique est-elle condamnée au déclin ? Avec 250 millions d’habitants, la plus formidable puissance militaire (l’I.D.S. en plus), l’Amérique consomme à elle seule le quart de l’énergie mondiale.
Reagan va sortir de l’histoire : les démocrates vont sans doute prendre le relais. Confrontés à l’héritage Reagan, ont-ils des projets à long terme, clairs, audacieux (6) ? La misérable aventure de G. Hart n’est guère encourageante : il a probablement été torpillé par les siens, non pas pour son histoire d’alcôve, mais parce ’qu’il était jugé médiocre, "qu’il n’avait clairement pas l’étoffe du visionnaire qu’exigerait la période" (B. Guetto , Le Monde). Les managers sont jugés "bouffis, sans goût du risque, inefficaces, sans imagination" par Richard Darman, secrétaire-adjoint au Trésor. La compétitivité américaine n’a augmenté que de 0,7 % par an, entre 1969 et 1985, contre 2,3 % en Europe et 4 % au Japon.
Stopper le déclin américain ? Peut-être. Mais qui, quand, comment ? Et si le déclin de l’empire américain sonnait enfin le glas du capitalisme ?
(1) Beryl Sprinkel déclarait péremptoirement
en 1984 : "La vigueur du dollar ne fait que refléter celle
de l’économie américaine qui s’épanouit".
On est inquiet de savoir que c’est ce docte économiste qui
dirige aujourd’hui le conseil économique du Président.
(2) En 1983, l’opération PIK permit de "geler" 37
millions d’hectares de terres labourables, soit 2 fois l’ensemble
des terres labourables françaises
(3) Excédentaire de 27 milliards de dollars en 1980, la balance
commerciale de l’industrie électronique accuse un déficit
de 2 milliards en 1986. Les Japonais contrôlent à ce
jour 45 % du marché mondial (sur les 10 premiers fabricants
mondiaux de semiconducteurs, 6 sont japonais).
(4) Pour ne prendre qu’un exemple, les chaussures. En 1980, 50 % des
chaussures consommées aux U.S.A. étaient étrangères
; à la fin de l’ère Reagan, 7 paires sur 10 le sont
(to ïwan a livré 370 millions de paires en 1986, la Corée
du Sud 140, le Brésil 99 et l’Italie 54).
(5) Excédent commercial japonais 1986 (année budgétaire
se terminant en fait le le, avril 1987) : 101 milliards de dollars
contre 61 en 1985.
(6) B. Guetto écrit dans le Monde du 16 mai : "Les deux
chambres... n’ont pas plus de réponses que le président
aux grandes questions posées à l’Amérique par
cette fin de siècle. L’ivresse des pays est un souvenir ; on
ne parle plus que de défis japonais et sud-coréens,
endettement, désindustrialisation, perte de compétitivité...
L’Amérique tourne à vide".
Nous aurons certainement l’occasion de reparler ici du règne abusif du dollar dans le commerce international (1) et des mécanismes capitalistes qui génèrent l’appauvrissement des pays pauvres au profit des pays riches. Mais voici un moyen simple, clairement exposé par F. Clairmonte et J. Cavanagh (2), pour comprendre comment les pays du Tiers-Monde sont écrasés par les prêts que leur "consentent" les banques :
Soit un pays qui emprunte 1 000 $ par an à une banque américaine, pendant dix ans. Le remboursement est prévu sur 20 ans et le taux d’intérêt est de 10 %.
La première année, ce pays rembourse 1120e des 1 000 $ reçus, soit 50 $ et paie 10 % d’intérêts, soit 100 $. Il dispose donc de 850 $.
La seconde année, il reçoit à
nouveau 1000$ ; le remboursement est 2 x 50 = 100 $ et les intérêts
sont de 95 $, pour ce qui lui reste à rembourser du prêt
de l’année précédente, plus 100 $ pour l’année
en cours. Il dispose donc de 1000 - 100 - 95 - 100 = 705 $.
Les mêmes calculs pour les années suivantes donnent les
résultats encadrés. Ils montrent que la 8e année,
les 1 000 $ prêtés ne suffisent même plus à
couvrir les sommes dues. La dixième année, le bilan
négatif est tel que l’emprunteur doit ajouter 275 $ aux 1 000
qu’il reçoit. Les deux années suivantes, il ne reçoit
plus rien mais doit verser 2 400 $. I I a alors pratiquement déboursé
autant qu’il a reçu mais il se retrouve néanmoins avec
une dette supérieure à la somme qu’il a empruntée
!
Ce modèle simple montre bien les mécanismes capitalistes
en général, et comment, en particulier, les pays du
Tiers-Monde sont pris au piège. Mais en réalité,
les choses sont bien pires pour ces pays, et ce pour au moins les
trois raisons suivantes
Nouveau prêt |
Service de la dette
|
Marge disponible |
|||
Intérêt |
Amortiss. |
Total |
|||
Année 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 |
(1) en $ 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 1000 |
100 195 285 370 450 525 595 660 720 775 |
50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 |
(2) en $ 150 295 435 570 700 825 945 1 060 1 170 1 275 |
(1) - (2) 850 705 565 430 300 175 55 -60 -170 -275 |
11 à 29 |
5 285 |
7 250 |
13 075 |
- 13 075 |
|
TOTAL |
10 000 |
10 500 |
10 000 |
20 500 |
-10 500 |
1) dans ce modèle, les taux d’intérêts
sont supposés constants. En réalité, les taux
américains ont doublé en moins de 18 mois à partir
de l’automne 1979 et sont restés élevés, ce qui
a ajouté des milliards de dollars à une charge déjà
écrasante.
2) nous avons supposé que le prêt était constant,
alors qu’en réalité les banques en ont baissé
le niveau en 1981 quand elles ont réalisé que le Tiers-Monde
ne serait jamais en mesure de payer ses dettes.
3) comme les pays du Tiers-Monde traînent à payer tant
le capital que les intérêts, la somme due chaque année
s’ajoute à la dette cumulée, et la vitesse de l’endettement
s’accélère inexorablement.
C’est ainsi que 70 à 80 % des nouveaux prêts depuis 1979
ont été engloutis par le paiement des emprunts antérieurs
: en 1981, pour la première fois dans l’histoire de l’après-guerre,
les pays du Tiers-Monde sont devenus exportateurs de capitaux : transfert
net 7 milliards $ en 1981, 56 en 1983 et 74 en 1985 ; par exemple
l’exportation de capitaux de l’Amérique Latine a été
multipliée par 85 entre 1981 et 1985. Et ceci ne tient pas
compte des profits des sociétés transnationales basées
dans le Tiers-Monde, ni des transferts de capitaux par ces sociétés
: le chiffre atteindrait 230 à 240 milliards de dollars américains,
ce qui est une somme égale à 4 fois le montant du Plan
Marshall. Or, n’oublions pas que "l’aide" apportée
sous ce nom a été remboursée avec intérêts
aux Etats-Unis alors que ce tribut des nations pauvres aux nations
riches ne sera pas remboursé !
(1) Voir "L’Economie Libérée",
supplément è la Grande Relève, n° 840.
(2) Dans "IFDA", dossier 59, mai-juin 1987, page 42.
Encensé plus que de raison au sein des professions indépendantes des milieux férus de libéralisme qui en ont fait leur totem, l’individualisme est loin de posséder les vertus qu’on lui prête sur le plan de l’efficacité et de la morale.
L’instinct grégaire fait partie de la nature
humaine. De tous temps, les populations se sont groupées pour
faire face aux périls menaçant leur existence. Malheur
à l’homme seul ! Chacun a besoin des autres s’il veut pourvoir
à son besoin. Régime tribal, corporations, système
coopératif, syndicats ouvriers et patronaux, kyrielles d’associations
témoignent de ce refus d’isolement de l’individu.
De nos jours, c’est aussi une certaine forme de solidarité
qui s’exprime à travers les organisations non gouvernementales,
la fiscalité et la parafiscalité, la copropriété,
les assurances, la sécurité sociale et les mutuelles.
Fruit de la société de l’argent, l’individualisme traduit une altération de l’égoïsme. L’égoïsme conduit paradoxalement à l’entraide, au souci d’autrui, le bonheur étant de le donner aux autres, de se constituer un environnement sécurisant, incompatible avec l’aggravation des injustices, des passedroits source de révolte, d’insécurité générale. L’individualisme débouche, au contraire, sur la compétition sauvage, sur la loi de la jungle, la mise à mort des concurrents.
Son efficacité sans cesse proclamée ? Un leurre si l’on tient compte du coût de la concurrence, de ses gaspillages, du parasitisme publicitaire, de la destruction des écosystèmes, des mille nuisances occasionnées par la course au profit : bruit, pollution, délinquance, escroqueries, guerres, névroses.
Sans doute l’individualisme a-t-il engendré
quelques lots de fortunés mais à quel prix ? Un prix
qu’ont payé de leur santé, de leurs privations, de leur
sang, de leur vie, des millions de sacrifiés, de faillis piétinés
au nom de l’efficacité financière. Le bilan de l’individualisme
? Deux milliards d’affamés dans le monde, des dictatures, des
guerres sans fin, l’élimination des gêneurs, des lois,
des codes tenant le citoyen en tutelle, une liberté cernée
de mille interdits, l’incroyable conditionnement de l’opinion dans
le respect des tabous.
L’homme a besoin de son semblable, non pour en exploiter le travail,
les besoins, ses malheurs ou ses vices, comme le fait la société
mercantile tirant argent de tout, mais pour que soit utilisé
au mieux le travail accompli en commun au minimum d’efforts.
Incessants sont les conflits nés de la compétition qui
met aux prises les candidats à l’accession d’un maximum de
richesse, une compétition qui fait moins de vainqueurs que
de vaincus vite oubliés, disparus dans la trappe de l’adversité.
Prétendre que l’individualisme détermine les meilleures
conditions d’existence ? Nos gens prennent leurs désirs pour
des réalités. C’est le progrès technologique
impulsé par le travail des chercheurs, la qualification de
la maind’oeuvre, le niveau des équipements, l’abondance de
l’énergie et la disponibilité des matières premières,
qui constituent le principal facteur d’une production en expansion,
alors que l’individualisme a pour effet d’en limiter la croissance
afin de préserver le profit. Le profit, parfois destructeur,
souvent amoral et injuste, fait feu de tout bois, tirant sur le salarié,
sur le consommateur et le contribuable. Fraude, activités illicites,
pourvoient pareillement à sa formation ainsi que la spéculation,
les guerres, les grandes catastrophes, les escroqueries.
La masse qui travaille pour un salaire n’est pas
motivée par le profit. C’est le but, en revanche, des dirigeants
des entreprises et des membres de leurs conseils qui s’en servent
prioritairement pour couvrir leurs propres besoins et pour étendre
leur pouvoir, source de la considération dont ils sont l’objet
et à laquelle ils attachent le plus de prix. Peu de scientifiques,
peu de techniciens parmi les financiers férus d’individualisme.
La progression des quantités n’est pas le fait de ces derniers
installés dans le parasitisme.
Des résultats semblables s’observent en régime socialiste
où les réalisations apparaissent autrement gigantesques
et les équipements de qualité comparable. Esclave du
travail chacun, de part et d’autre, est tenu de collaborer à
la production, soit sous la contrainte de la loi, soit en raison des
nécessités de la vie.
La "prospérité" en Occident
n’est qu’une prospérité de vitrine à laquelle
ne participe qu’une petite minorité de fortunés. Elle
laisse dans le besoin l’immense troupeau des malchanceux, des marginaux
: chômeurs, déclassés, retraités au revenu
dérisoire, faillis, saisis, accidentés, handicapés,
veuves, femmes abandonnées, malades, victimes des guerres et
des attentats, des vols et des escroqueries, expropriés, mal
logés, migrants, sinistrés peu ou non indemnisés,
familles des internés, contrevenants lourdement pénalisés,
agriculteurs endettés, assez pour marquer au fer rouge un système
condamné par son gaspillage, par son malthusianisme, par son
inhumanité par son amoralité.
Au regard de cet ensemble de données, il n’est guère
douteux que le rendement de l’appareil productif se révèle
meilleur dans une économie planifiée que dans l’aire
de la libre entreprise. Si les apparences semblent le démentir,
c’est que tout un passif reste occulté l’exploitation des populations
du tiers-monde, le déchet, le coût des aventures coloniales,
celui des guerres pour préserver l’accès aux matières
premières et s’assurer une hégémonie, celui des
destructions de toute nature pour combattre l’abondance, celui des
nuisances, des charges mises au compte des Etats et payées
par le contribuable, en particulier la formation, aux frais de la
collectivité, des futurs travailleurs, charges évacuées
des comptabilités des entreprises dites performantes.
Bref, nous vivons dans une société
truquée, arnaqués à tout instant, sommés
de nous dessaisir du fruit de notre propre travail pour que d’autres
s’en gobergent à notre place.
Une économie communautaire à monnaie de consommation,
distribuant les revenus au lieu de les former au gré des caprices
de la circulation d’une masse monétaire donnée, saurait
libérer chacun de l’insécurité, de la peur, moraliser
les activités, reléguer l’individualisme au domaine
du loisir, stopper les gaspillages, encourager l’abondance au lieu
de la combattre.
Lorsque nous affirmons que la quantité de travail qui permettrait d’assurer à tous un revenu social maximal diminue, nous employons revenu social maximal et travail dans un sens qu’il conviendrait de redéfinir.
Sans même prétendre et de loin épuiser ce seul sujet, nous nous limiterons aujourd’hui au mot travail.
Convenons que. ce terme a pris au cours des siècles des sens si divers et si variés que nous devrions toujours le faire suivre d’au moins un qualificatif en vue de mieux nous expliquer. Ainsi Jacques Duboin avait-il été amené à toujours accoler au mot besoins le qualificatif solvables afin de mieux imposer cette évidence que la production capitaliste est uniquement orientée vers la satisfaction d’une demande bien particulière, celle pourvue de moyens d’achat, à l’exclusion de toutes les autres.
Commençons donc par exclure de notre affirmation liminaire tout ce qui a trait au travail autre que le salarié ou oligé. Toute occupation choisie s’apparente à une distraction, un loisir ou au bricolage, elle n’est pas destinée à satisfaire un besoin vital. Ces occupations ne sont évidemment pas appelées à décroître, mais, au contraire, à occuper une partie de plus en plus grande de notre vie ; quelques-unes sont et seront même en forte augmentation jusqu’à reléguer progressivement le service social, uniquement en temps bien entendu, à un rang équivalent à celui du service militaire actuel. Bien qu’il dépense une certaine énergie et même peut-être beaucoup, bien qu’il emploie souvent les mêmes instruments que ceux de l’ouvrier, de la dactylo, du musicien, du poète, du romancier, du peintre, du joueur de football, etc... l’amateur ne travaille pas, il ne se repose pas non plus, il n’est pas oisif, il satisfait une attirance et quelquefois une passion pour une activité. Le professionnel lui, travaille pour une rétribution.
"Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" la malédiction dont le créateur aurait accablé Adam et Eve et leurs successeurs en les chassant du paradis terrestre n’est plus admise. Quelques-uns en sont encore tellement imprégnés que dans un temps où, grâce à son ingéniosité, l’homme a réussi à se libérer en grande partie de sa tâche écrasante, ils voudraient faire travailler plus et plus longtemps. En temps d’abondance potentielle, ils prêchent l’austérité (pour les autres). Raymond Barre n’a jamais accepté la retraite à 60 ans dont il n’a pas voulu faire bénéficier les travailleurs. Pour François de Closets, le "toujours plus" ne s’applique pas, comme on pourrait le supposer, aux profiteurs, aux financiers, aux spéculateurs et autres parasites de la société, mais aux salariés qui ont arraché, par la lutte, quelques pauvres avantages. Il incite à travailler davantage (1). Il serait sûrement en accord avec ce dirigeant qui appréciait ainsi l’un de ses subordonnés : "Mauvais agent : prend tout son congé, part à l’heure".
Redoutable pouvoir que celui du supérieur
dans le système défendu par de Closets de l’avancement
au soi-disant "mérite". Il est sûr que les
entreprises françaises seraient plus compétitives si
l’on en revenait à la semaine de 72 heures, au travail des
enfants, à l’absence de congé annuel, de salaire minimal
et de couverture maladie. De Closets et autres de la Taille seraient
heureux, sauf si ces mesures s’appliquaient à eux et aux leurs.
Ils pourraient ainsi prétendre par un nouveau paradoxe dont
lis sont si friands que plus le personnel travaillerait, plus les
entreprises pourraient embaucher et créeraient des emplois.
C’est ainsi, il est vrai, que les firmes nippones, malaises, de Hong-Kong
et de Macao se débarrassent de leur chômage et l’exportent
en Europe et en Amérique du Nord. Hélas, Messieurs,
il faut croire que cette mentalité ne s’impose plus au Japon,
en attendant d’autres pays, puisque le chômage commence à
y apparaître.
Heureusement, car la concurrence acharnée qui mène à
la guerre économique, puis à la guerre tout court, menacerait
notre planète d’un holocauste, définitif celui-là.
A l’inverse, la réduction simultanée du temps de travail dans tous les pays s’est généralisée, progressivement, de fait. Non concertée, c’est dommage, car l’avenir est évidemment à des mesures sociales de cet ordre, aux plans européen et mondial, ce qui rétablirait des conditions équitables de rivalités tant que durera le régime capitaliste.
Même si nous ne discutons que du travail salarié ou obligé, la quantité requise par la production capitaliste en temps de progrès technique ne se déduit pas clairement des statistiques. Les statisticiens comparent des unités variables comme le nombre d’emplois au cours de longues périodes où la durée annuelle du travail a diminué considérablement. Ils manipulent des taux de production comprenant pêle-mêle des biens utiles, inutiles ou nuisibles de toutes sortes exprimés d’ailleurs en monnaies fluctuantes, rendues constantes de manière très discutable. La prétention des économistes à parler de la croissance au dixième pour cent prête à un énorme éclat de rire lorsque l’on sait comment cet indice est obtenu.
Les chronométreurs chargés, dans certains ateliers, de déterminer le temps nécessaire à la fabrication d’une pièce ou à son montage, savent bien qu’il ne faut pas confondre temps passé, activité réelle et efficacité maximale. Les comparaisons imprécises sont erronées, quelquefois volontairement, à l’exemple du nombre d’emplois "perdus" durant le passage au pouvoir de tels politiciens ou partis : avant et après la semaine de 39 heures, la retraite à 60 ans ou la suppression de l’autorisation administrative de licenciement.
Les répercussions sont difficiles à
saisir en raison des interactions de ces mesures l’une sur l’autre
et de leurs effets plus ou moins différés. Dans son
livre "La machine et le chômage" (2) auquel nous nous
sommes déjà référés, Alfred Sauvy
prétend rester objectif. Il n’en qualifie pas moins d’optimistes
les économistes qui pensent que le progrès technique
n’est pas forcément lié à une diminution globale
du nombre d’emplois et pessimistes, les autres. Jugement a priori,
contraire à toute démarche scientifique. Malgré
sa référence, il ne réussit pas pour autant à
donner nettement raison aux premiers sauf en France de 1896 à
1926 !
Si la quantité de travail dit manuel (il ne l’est jamais complètement)
est difficile à mesurer, que dire du travail intellectuel !
: artistique, littéraire, philosophique, d’étude, etc...
Quelques exemples montreront l’étendue immense des acceptions
du mot travail et de ses dérivés. Le métal travaille,
l’argent travaille, travailler son style, la fièvre travaille
le malade, celui-ci est travaillé par le désir, cette
femme qui accouche est dans la salle de travail, ce candidat a présenté
un travail estimable, je travaille à perte, travailler les
esprits, travailler une pâte, c’est un travailleur, un bourreau
du travail, le travail au noir, etc... Si l’usage ne les avait point
imposés, on souhaiterait que le même terme ne serve pas
dans des sens aussi variés et gênants pour ceux qui,
comme nous, cherchent à clarifier l’économie. Ce n’est
donc, il faut l’admettre, que poussés par une envie de simplification
abusive et sous la pression de syndicats archaïques, que les
gouvernements ont fixé des règles trop générales
sur la durée hebdomadaire du travail et l’âge de la retraite
notamment.
L’unité légale. d’énergie, de travail et de quantité de chaleur n’est pas par hasard la même : le joule. C’est le travail produit par une force de 1 newton : unité de force à 1 kilogramme force sur 9,81 dont le point d’application se déplace de 1 m (unité de longueur) dans la direction de la force.
Selon le principe que tout produit résulte
du travail, il est tentant de proposer l’utilisation de cette unité
comme monnaie pour les échanges et la mesure de la valeur,
cela aurait le mérite de soustraire l’unité aux variations
inadmissibles constatées actuellement. Mais il faudrait pour
cela sortir du système financier actuel.
Il conviendrait aussi de trouver un équivalent économique
entre la matière et l’énergie. En 1827, le baron Dupin
avait déjà envisagé de mesurer la puissance des
nations suivant le barème curieux : 1 homme = 1 âne, 1
cheval = 7 hommes.
"Vu dans son temps, écrit A. Sauvy à ce sujet (3), ce compte n’est pas plus extravagant que certaines de nos opérations contemporaines de comptabilité nationale. Il a, au moins, le mérite d’échapper aux comptes monétaires et de confirmer l’idée de multiplication du pouvoir de l’homme..." ajoute-t-il, avec notre assentiment.
Il faudrait effectivement noter que la puissance
moyenne de l’homme estimée à 75 watts (75 joules par
seconde) en l’absence de toute aide, a été multipliée
par 2 en 1875, 4 en 1901, 8 en 1914, 80 en 1935 et 460 aujourd’hui
dans les pays industrialisés. Ainsi, le rendement du travail
humain s’est-il accru suivant une courbe exponentielle grâce
aux esclaves automatiques mis à sa disposition en raison de
l’apport des sciences et des techniques. Il ne faut pas l’oublier
lorsqu’on juge des possibilités d’instauration d’une économie
distributive. Ce qui était socialisme utopique du temps de
Fourier, de Babeuf et même de Marx est devenu un socialisme
réaliste à présent.
Le travail serait-il donc une source de satisfaction ? Oui, pour ceux
qui ont un emploi gratifiant, non pour les autres ; oui pour ceux
qui le recherchent, non pour ceux qui le subissent et ils sont très
nombreux. Il est exact que c’est un "statut social" reconnu
comme tel par qui l’a divinisé ; mais s’il l’est, c’est seulement
dans la mesure où il reste nécessaire. S’il devient
un moyen de domination, il faut le réprouver. Il est vrai que
c’est un moyen d’accès aux connaissances et d’expression personnelle,
mais le loisir choisi l’est également et même davantage.
Pensons aux écrivains, aux médecins, aux chercheurs...
mais aussi aux balayeurs, aux éboueurs, aux vidangeurs, etc...
La perte de l’emploi est en tout cas une tragédie pour la plupart
de ceux qui en sont victimes dans ce régime.
Ce qui fait que la production ne distribue plus le pouvoir d’achat
nécessaire à son écoulement avec pour conséquences
le chômage, le racisme, la course aux armements classiques et
atomiques, le terrorisme, etc... c’est donc bien que la quantité
de travail de toutes les sortes, physique ou intellectuel, mais seulement
de travail humain obligé ou salarié diminue, à
cause de l’assistance automatique dont nous venons de parler. Qu’on
ne nous objecte plus que cette constatation est démobilisante,
amorale et dangereuse pour l’économie nationale et pour l’individu.
C’est une réalité, plutôt réjouissante.
Qu’on ne confonde plus le travail obligé avec le travail choisi.
L’épuisement et l’abrutissement, la culture et l’enrichissement
des facultés peuvent résulter de l’un et de l’autre,
mais si le premier est rude et pénible, le travailleur ne peut
pas, dans la plupart des cas, s’y soustraire ; alors qu’il devrait
pouvoir opter à son gré, ou presque, pour l’agrément
de l’autre.
(1) Emissions TV "L’enjeu" TF1, jeudi
14 mai et radio "Ecran total" France Inter du vendredi 15
mai.
(2) Dunod, 1986.
(3) Voir l’ouvrage cité ci-dessus.
A Paris, des milliers de pauvres gens vivotent dans
les rues ou sous les ponts. Quinze mille - trente mille selon certains
- vivent en clochards. Des bouches de métro restent ouvertes
la nuit afin d’accueillir ces nouveaux pauvres qui, tels des rats,
sont tout heureux de pouvoir s’y enfiler et dormir dans les souterrains.
Le cardinal Lustiger, lui, laisse certaines églises ouvertes
la nuit pour que d’autres sans-logis trouvent abri. Des appels à
la- générosité publique sont lancés pour
aider les "soupes populaires" et éviter ainsi de
voir des cadavres étendus dans les rues comme à Calcutto
.
Mais pendant ce temps, le ministre de l’Economie et des Finances fait
descendre la subvention accordée à l’Armée du
Salut de 12 à 7 millions. Et comme cela fait du bruit, un de
ces messieurs du ministère est dépêché
pour venir déclarer à la télévision à
l’adresse de l’Armée du Salut : "Soyez tranquille, rien
ne vous manquera, on veillera sur vous". Belles paroles, comme
toujours, quand la colère gronde.
En 1946, me trouvant à Alger, pour la première fois
de ma vie, je voyais des hommes passer leur nuit allongés sur
les trottoirs comme des bêtes. Ça m’avait écoeuré
et scandalisé. Alger, département français !
Mais nous étions en Afrique. Et certainement que mieux traiter
les Arabes eut été aller à l’encontre de l’économie
des colons ! Jamais, ô grand jamais, je n’aurais supposé
qu’un jour, après des lustres et des lustres de progrès
social, technique, médical, scientifique, d’instruction obligatoire,
pareil spectacle s’offrirait à mes yeux sur le sol de notre
riche et glorieuse patrie, la France !
Le plus étonnant dans tout cela, c’est que les affaires en
Bourse n’ont jamais été si brillantes. Si les pauvres
s’appauvrissent, par contre les riches, eux, s’enrichissent. Le libéralisme
a quelque chose de bon ! Jamais la vente des bijoux et des oeuvres
d’art n’a été si florissante et jamais les femmes de
nos bourgeois n’ont porté de si belles toilettes. Non plus,
jamais vu les restaurants de luxe si pleins. Jamais il n’a été
vendu tant de yachts et de "grosses cylindrées".
Jamais les multinationales n’ont fait tant de bénéfices
qu’en 1986.
Jamais non plus notre armée n’a été tant chérie.
Nous avons les sous-marins les plus performants du monde, les chars
d’assaut les plus modernes (le coût de l’un d’eux permettrait
de subventionner les restaurants du coeur pendant des années
et des années mais ça on ne veut pas le savoir !). Un
avion de combat - un vrai joyau - qu’un simple obus peut réduire
en miettes en moins d’une minute coûte, lui, 30 milliards. La
France est la 3e nation militaire du monde et la première -
par habitant - dans la vente d’armes à l’étranger (heureusement,
sans cette vente, où en serait notre économie ?).
Si on en croit nos Chirac, Toubon, Balladur et consorts, nous sommes
acculés à la ruine si les ouvriers viennent troubler
le "redressement économique". Ce fameux redressement,
j’en ai entendu parler depuis mon enfance ! Depuis, il ne s’est en
effet pas passé un mois, même pendant toute la durée
du gaullisme, sans qu’un journal n’ait déclamé la nécessité
d’un "redressement économique" ! Consultez vos vieux
journaux !
Mais l’habileté de nos dirigeants n’aura jamais été si grande pour nous faire avaler des couleuvres et faire prendre des vessies pour des lanternes. Au point que même les partis de gauche en sont intimidés dans leur audace. S’il s’agit du chômage par exemple, on n’ose prendre d’engagement décisif alors que le simple bon sens dicte la réduction des heures de travail. Avant la venue du Front Populaire on pouvait lire sur une affiche "La semaine de 40 heures, c’est encore plus de chômage !". La première chose que fit le Front Populaire arrivé au pouvoir fut d’instaurer immédiatement la semaine de 40 heures - 8 heures de moins d’un seul coup plus 2 semaines de congés payés. Et le chômage fut éliminé illico. Aujourd’hui, on passe tout cela sous silence. Et cinquante ans après, on n’a réussi à faire baisser la semaine que d’une heure. On rétorque que le chômage est dû non à l’automatisation et aux robots mais à la situation internationale, puisque pour fabriquer des robots il faut des hommes ! Alors si les robots et la mécanisation poussée n’enrichissent pas l’entreprise en supprimant la maind’oeuvre, pourquoi l’automatisation ? Travailler moins et gagner autant et l’équilibre serait rétabli Ce qui n’a pas chômé, c’est la capacité, l’avidité au gain des forts au détriment des petits... Rendre la vie plus belle, plus facile, améliorer le sort des hommes est loin de la pensée de nos gouvernants qui n’ont en vue que la prospérité des grands fortunés. Pour cela, on tire sur tout, on éponge tout ce qui est épongeable, on gratte sur tout ce qui peut être gratté. On épluche tout. Pour avoir des sous, on pousse la mesquinerie jusqu’à supprimer la franchise postale dans l’envoi des feuilles de maladie à la Sécu ! On se met de nouveau à penser à la rentabilité du non-port de la ceinture de sécurité (hélas, malgré les hurlements à la radio pour presser les gendarmes à redoubler de vigilance, ceux-ci ont l’air de bouder malgré l’appel !). A propos de contraventions juteuses, ne pourrait-on pas instituer l’obligation de porter un pardessus en hiver contre la congestion mortelle et un chapeau en été contre les insolations, et une forte amende à tout contrevenant ? La mort coûte à l’Etat, paraît-il. Alors ? Il y a là une belle mine à exploiter, et gros à gagner ! Mon idée va dans le sens du "redressement économique" !
Étranger
Dans son livre "Les Affranchis de l’An 2000",
Marie-Louise Duboin imagine ce que pourraient être la médecine
et l’organisation des services de santé dans un pays ayant
opté pour l’économie distributive. Un reportage d’un
envoyé spécial à Cuba, le Docteur Noelli de Luna,
effectué pour le "Quotidien du Médecin" (1),
répond partiellement à ces préoccupations au
sujet de la santé. Cet article intitulé "Pour les
Cubains, la santé n’a pas de prix" est, je le répète,
publié par le journal "Le Quotidien du Médecin"
financé par la publicité pharmaceutique, diffusé
chaque jour aux médecins par abonnements, et ce journal de
droite n’est pas suspect de sympathie pour les démocraties
populaires.
Voici des extraits de l’article :
"Cuba, avec une population de 10 000 000 d’habitants, compte
20 000 médecins, soit un médecin pour 500 cubains. Le
coût de la santé et de 80 pesos par personne et par an
contre 56,3 en 1983 et 3 pesos en 1958. Le budget de la santé
représente 7,5 du budget national. Chaque habitant consulte
un peu plus de quatre fois par an, six si l’on compte les consultations
de stomatologie. La femme enceinte bénéficie de douze
consultations réparties pendant les neuf mois de grossesse
et 98,8 % d’entre elles accouchent en milieu hospitalier. Il y a 53
000 lits à l’hôpital contre 28 000 en 1958. Ces lits
sont répartis dans 276 hôpitaux, 414 polycliniques et
149 cliniques stomatologiques. La progression du nombre d’étudiants
en médecine est impressionnante : 5 787 en 1976, 11 056 en
1979, 17 308 en 1982, 23 179 en 1985. L’objectif est d’atteindre 60
000 médecins en l’an 2000, soit 1 médecin pour 166 habitants
(à titre indicatif, il y a en France 1 généraliste
pour 1145 habitants en moyenne). "Avant 1958, il y avait 6 000
médecins à Cuba, dont la moitié ont émigré
lors de la révolution castriste. Il reste une cinquantaine
de médecins et une centaine de stomatologues d’avant 1958 qui
continuent à pratiquer en exercice libéral".
Le gouvernement castriste est en train de réaliser ce que diffuse
son slogan "faire de Cuba une puissance médicale : système
de soins gratuits et modernes, médecins à haut niveau
de connaissance, équipements et matériels de pointe.
La sélection est extrêmement sévère pour
le recrutement des médecins. Le candidat doit avoir obtenu
une moyenne générale de 90/100 dans toutes les disciplines
et pendant toute la durée des études secondaires et
il subit alors des tests d’aptitude à la profession.
A Cuba, les soins sont gratuits mais les médicaments sont par
contre payants, vendus à prix dérisoires car subventionnés
par le Ministère de la Santé".
Alors que le Gouvernement français, à l’heure actuelle,
fait tout son possible pour sous-qualifier les généralistes
en leur supprimant l’internat, ce qui provoque d’ailleurs un grave
conflit, Cuba vient d’instituer un diplôme de spécialiste
en médecine générale obtenu avec 3 ans supplémentaires
d’études après un stage de 2 ans dans un poste de généraliste
attaché à une région défavorisée.
"Actuellement les généralistes cubains gagnent
300 pesos par mois, le SMIC étant de 100 pesos par mois".
Cela donne donc un salaire de 4 659 F x 3 = 13 977 F". Les nouveaux
généralistes spécialisés, intitulés
"médecins de famille" vont gagner 400 pesos mensuels.
Les professeurs de faculté et les chefs de service des hôpitaux
centraux reçoivent 800 pesos par mois. Le rythme de travail
à Cuba est de 5 jours la première semaine, 6 jours la
semaine suivante. Le chômage n’y existe pas et les travailleurs
sont des salariés de l’Etat, sauf les agriculteurs qui travaillent
le plus souvent en coopératives. Le médecin généraliste
a ses consultations le matin de 8 h 30 à 12 h30-13 h et ses
visites l’après-midi jusqu’à 16-17 h. Il dispose d’un
local avec un équipement de base, il est aidé par une
infirmière à plein temps et a la charge de former un
stagiaire. Le local est situé à l’intérieur d’un
périmètre de 5 à 700 habitants (120 familles)
dont le médecin est responsable. Les malades ont le droit de
faire appel à un autre médecin. Le médecin doit
en outre jouer un rôle d’éducateur sanitaire.
Ainsi toute personne n’ayant pas consulté durant un an reçoit
la visite à domicile du médecin. Dans ce pays, gros
producteur de canne à sucre et de tabac, les deux facteurs
de risques les plus préoccupants sont le tabagisme et l’obésité.
Les nourrissons doivent subir un examen une fois par semaine jusqu’à
l’âge de 3 mois, puis une fois par quinzaine jusqu’à
6 mois, puis une fois par mois jusqu’à un an.
Chaque hôpital régional a en charge entre 15 000 et 30
000 habitants et offre des consultations de spécialistes. Il
a en charge la médecine de nuit et du dimanche, les gardes
étant assurées par roulement par les généralistes.
La médecine cubaine a à son actif 20 greffes du coeur
(15 survivants), 3 greffes du foie (1 survivant), 1 greffe coeurpoumons,
1 bébé fivette. La lithotripsie (pulvérisation
des calculs du rein et du foie par ultra-sons) est pratiquée.
Les hôpitaux centraux possèdent des scanners et des RMN.
Une clinique de luxe (la clinique Cira Garcia) de haut niveau technologique,
reçoit les malades étrangers qui paient en devises.
Cette clinique soigne notamment les patients atteints de vitiligo
à l’aide d’extraits placentaires (le vitiligo est une dépigmentation
de la peau qui peut atteindre le visage et provoquer des dépressions
nerveuses. Cette affection n’est pas traitée en France)".
Il me semblait utile d’apporter ces précisions concernant le
système de santé en vigueur à Cuba, au moment
même ou en France, les médicaments sont de moins en moins
remboursés, de même que certains soins ou appareils,
et où les généralistes sont moins bien informés.
Sans tomber dans un excès de crédulité, on peut
signaler un progrès dans le domaine de la santé à
Cuba et une régression en France.
On ne peut avoir en même temps une sécurité sociale
correcte, une élévation du niveau de santé, l’absence
de chômage et voter 487 milliards pour la course effrénée
aux armements.
(1) N° 3829, jeudi 2 avril 1987, p. 26 et 27).
(Basic income european network)
Dans le cadre de ces pages que nous réservons depuis quelques numéros à l’association internationale pour le revenu garanti (créée en septembre dernier par des représentants de 14 pays européens) nous avons publié la traduction française de plusieurs interventions au Congrès de Louvain-la-Neuve. Celle de G. Fragnière, dans notre numéro de Mai, a donné à P. Vila l’envie de poursuivre la discussion en s’adressant dans nos colonnes à son auteur. Nous prions nos lecteurs qui ne lisent pas l’anglais de nous excuser de publier dans cette langue sa lettre ouverte. Mais si, comme nous l’espérons, elle nous vaut des réponses de la part des membres de B.I.E.N. (dont la langue de travail est l’anglais), nous publierons la traduction du débat ainsi engagé.
Dear Mr Fragniere,
Thank you for your concise proposals about B-I-(basic
income), published in French in "la Grande Relève",
May 1987. You aptly correct the stillkeeping opinion which tends to
belittle B.I. as another social charity. Ail French abondantists must
realize the importance of your program.
We hope and try to convince our fellow-citizen that the sources of
economic crises lie beyond the orthodox descriptions of the "statu-quo"
policy-makers, be they on the side of liberal or state capitalism.
The main contradiction in their theories is that they restrict the
right to consume to wage position owners only, while economic progress
fnevitably reduces the number of these positions.
Our zero-order information channels keep people’s minds on the social
disputes and crimes without looking for the roots of the crisis.
At expertes level an opinion smear is still prevalent against the
sa necessary B.I.
What could be done here and now about it ?
We need firstly to inform all European people of goodwill to start
with in this journal.
Secondly we should prepare practical reforms, constitutional and legislative,
towards a B.I. system.
In this perpective I am taking the liberty to comment on your arguments
and to venture a few suggestions.
1. Prices
You want to put forward a natural price value for
goods and services, to be based on wealth creation. It is effectively
the sole fair criterion, known only at the instant of exchange. Thinking
about resources, man dies flot create wealth ; he merely draws into
the (exhaustible) world’s supply. Less this wealth-tapping process
requires labour, the more valuable it is.
From the point of view of the orthodox "demand and supply"
statics of exchange, the trouble with economic modernization is that
it amplifies toi rapidly our outputs ; financial speculation itself
becomes disoriented..
This has created as many different sub-crises with different phase-lags
as there are nations with various traditions, social assets and economic
links.
Hence the ever-mistaken predictions of our orthodox economists. One
key element forgotten in their equations is the distinction you make
between the real value of the wealth created by a given operation,
and the financial sum allowed by the banking system to represent it.
This difference is just recently suggested in the traditional French
press (C. de Boissieu, le Monde, 26 May 1987) : in fact the two sums
never coincide. They remained almost similar in old times of stagnant
scarcity ; they now differ widely, as the banks fiddle more and more
with money creation ; internai checks on their accounts remain impossible
except for deposit accounts, as banks branch into one another to form
a world monopoly that keeps quiet and serves no other interest than
theirs. The effect of this monopoly on the Debt of nations was nicknamed
in the early 1920’s by Major H.C. Douglas in England as the "A+B"
theorem of money creation, and can be summarized as follows ; when
lending you a sum of money for the value A the bank makes you sign
an agreement that you will repay in due time the value A+B. Your operation
may yield more than this value in production, but to find the money
sum B you must take it from other pockets, in fact from another bank
loan. Generalizing this to nations shows how the bank monopoly holds
an advantage on entrepreneurs and nations. Since Philippe Auguste,
our states have been in growing debts to banking institutions and
State powers protect the money power in exchange of easier ternis
for settling this Debt. Recent rebellion against this rule have caused
Napoleon’s fall, and the short-lived break from IMF engagements by
De Gaulle in 1962.
The last twenty years have seen a dangerous rise of world-scale financial
rings which openly operate over the heads of government "authorities".
2. Wages
In your second point you turn to the consequences
of the "bankism" on employment. The orthodox schoolmasters
have extended to wage values the market demand-and-supply rule. Keynes’s
equations oversimplified the problem by assuming "quasi-full"
employment ; however the last twenty years of econometry results invalidate
these models totally. Your argument on prices and the above discussion
confirm the economic necessity to dissociate the human right to consume
from jobs. In our economies of surpluses it should be another fundamental
right of individuals to feel free from the tyranny of want, or of
administrative-employee statute, reminders of feudal inefficiency.
Looking more economically at the work function of people we need to
evaluate the real credit increment of employed service, as different
from the bank credit evaluation. If it became ni longer a moral duty
to hold a job we could end with the sordid indulgence of employment
on social charity grounds and with ail the distortions which paralyse
our Social Service reformers. Medical institutions suffer from the
contradiction of money power versus begging-for-help of a growing
mass of penniless customers, again more acute with the medical progress.
Real welfare will become, with education, a bigger challenge Chan
Steel or chemicals per se.
3. Social aspect of B.I.
The only nationalised services modern states need
are those of Credit, which would record the real economic wealth aggregates
and manage individual accounts on the basis of B.I., under the same
principles as the INSEE description, but with more transparency than
in the actual French system where statistics and individual accounts
ignore one another.
Our liberals were justified in 1982-1984 to demand proper evaluation
of costs in the French State enterprises, but, now, their policies
oriented on financial profits has in reverse advantaged private speculation
and they must turn back to less anti-social measures or will soon
be outvoted. Party politics simply occult the need for much more fundamental
reforms such as B.I.
Since the last eighteen months the world financial circuits have been
visibly disturbed. Their unlimited control on credit, money circulation
and foreign exchange started to go wild, leaving larger and larger
place to high-risk speculation, another kind of concurrenceextenuating
war. The steady orchestration of harvest and distribution of the real
production crop gave way to barter practices between producers and
to some characteristics frauds. Sa far the Japanese authorities seem
to have resisted these swindles the best, Americans and British the
worst. Are times ripe for banker’s repentance ? .
On your points 4 and 5 one cannot but fully agree. It is consumable
production that money should reflect and follow through its many circuits,
not the other way round, production to be waiting on money warden’s
goodwill ; for this representation to be true we should cancel the
equivalent credit sum at the final stage of consumption. Wauld then
the sum of credit gains of all operators represent the whole country
assets ? No, because real credits amounts to much more than the present
performance of the system. We should be able to add to it the value
of useful potentially available production and the not-yet developed
resources on a yearly extrapolation basis weighted by tendency indicators.
Further, for a given population real credit increases with internal
solidarity, education and production-oriented research. Here the time
factors need investigation, questions more strategic than the parameters
of the weapon’s race.
This introduces new unknowns like the value of creativity, energy
and social weil-beeing of our fellow citizen. All qualities very far
from the beating-up and mutual extorsion features still required in
the present money-power system.
The sharing of a basic lncome among all human beings of a country
is the simplest social justice and the best self-regulator of the
economy. Those citizen with productive incomes are nowadays the privileged
class, lucky enough to hold the favourable conditions that only a
few weil-informed teachers can detect when interviewing would-be workers,
but that nobody can precisely foresee. Ail human beings are consumers
(not all require the same consumption ; none of the essentials of daily
Burundi life coincide with Dutch necessities) ; but everywhere people
need more and more education, self-formation, research and social
amenities which are not immediately productive. Our successes of to-morrow
lie in our present education system, otherwise a basic lncome might
not appear In France although its basic principle were proposed fifty
years ago by Senator Jacques Duboin.
Unfortunately, militancy of a few and qualitative descriptions are
not enough to dissipate the horizon. The chance of our EEC nations
lies in mutual clarity about their respective situations, their differences
and in their steadiness in negociation ; painful first steps on the
road to evolutive democracy. At least these negociations have prevented
the stupidity of ever-exporting surpluses, deficits and unfair deals.
Europe now means much more Chan steel, wheat, services and ECU transactions.
You conclude by an appeal to hold the challenge and to start a B.I.E.N.
concertation. While I think we all agree about it basically, I feel
this plan still needs protection, much more than "our" gold
reserves. Defence of such a reform should be carefully organized everywhere ;
can we hope for a tidal-wave success storming all our countries together,
or is inter-nation tactics more likely to win ?
The avenues of "power" are no longer on barricades ; neither
in bourgeois drawing rooms or ministry offices. They are in a clearer
appreciation of the people for rights, justice and love. The mediatico-political
entertainement of our present commercial culture maintain toi cloudy
an atmosphere around the tribal "faits divers" of our political
"class". For a millenary, imperialist feuds have decimated
our ancestors youth at every generation. Let us not run for scapegoats
but realize that for the last two centuries finance power has successfully
checked any attempt to do without its rule ; it invested.in turn every
leading nation, France at the close of the eighteen’s century, England
throughout the nineteen’sth, the USA since. It has led them through
economic imbalance in moral decline and political backwardness. The
Japanese authorities seem to sense the danger of opening their currency
channels to the great creditmongers (recent information suggests however
that they are giving up through the blind computer-transactionite,
andd suffer moral obligations to respect their proletarian workers
while holding out the pressure of their esclavagist satellites).
Here in B.I.E.N. circles we should prepare a program with securities
from Bank-monopolyretaliation. The risk that the Cities of London
and Frankfort might yield to overseas operators seems to me no less
a menace as the Soviet KGB and armies over here.
Be it one country at a time or all together, we need planning quantitatively
the various scenarios of B.I. and we must prepare a careful strategy
to implement it.
It remains our best hope to emerge out of this economie World War.