Éditorial
Quelle évolution ! Malgré ce que nous
écrivent encore certains correspondants qui se lamentent de l’incompréhension
qu’ils rencontrent en exposant nos thèses autour d’eux, il est
indéniable que nos idées ont énormément
progressé ces dernières années. Outre le fait qu’on
parle un peu partout (voir par exemple, « Libération »
du 18 novembre 1985) de revenu minimum garanti (ce qui, il y a vingt
ans, paraissait une impensable utopie), que de chemin parcouru depuis
le temps où Jacques Duboin n’était pas pris au sérieux
lorsqu’il annonçait que « Ce qu’on appelle la crise (1)
» n’était autre que la mutation de notre société
vers l’ère post-industrielle ! Cette conscience de l’énormité
de la transformation en cours se manifeste par le fait que les médias
ne se ferment enfin plus systématiquement aux réflexions
de gens formés à l’école Duboiniste : c’est un
jour un quotidien qui accepte un article, et J. Rozner ou J. Robin parlent
de « grande relève » dans « le Monde »
; c’est G.H. Brissé qui avance dans « La Croix »
l’idée d’une monnaie de consommation non thésaurisable
; ce sont les éditions Plon qui acceptent que dans un livre sur
les transformations technologiques en cours, notre ami A. Ducrocq annonce
que « les économies devront abandonner l’actuelle formule
de la redistribution au profit de la distribution » et que «
nous nous acheminons vers une économie distributive ».
Bref, nos idées se répandent enfin et les lecteurs qui
se lamentent seraient beaucoup plus optimistes s’ils étaient
plus attentifs à la multiplication de diverses manifestations
allant dans le sens de nos thèses, c’est un jour un film télévisé
qui en témoigne, le lendemain une émission de radio...
C’est que la pression des faits que nous annonçons depuis longtemps
dans nos colonnes est irrésistible. Elle est à la veille
d’être bien plus forte si les recommandations du rapport de D.
Taddéi (député du Vaucluse), sur l’aménagement
du temps de travail sont mises en application. Ce rapport (2) préconise
en effet la diminution, dans le secteur industriel, du temps de travail
des salariés en faisant tourner beaucoup plus les machines avec
des équipes plus nombreuses qui se relaieraient : par exemple,
deux équipes travaillant trente heures feraient marcher une machine
60 heures, au lieu d’une quarantaine d’heures actuellement.
La création par le gouvernement socialiste du CESTA (Centre d’Etudes
des Systèmes et Techniques Avancées) sous l’impulsion
d’un homme aussi dynamique que J. Robin est un facteur très positif
dont on peut espérer beaucoup pour la diffusion de nos idées,
si un changement politique ne vient pas arrêter son élan...
A l’étranger aussi de semblables mouvements d’idées se
manifestent et « les dossiers de la Grande Relève »
ont entrepris d’en témoigner.
Par contre, la grande majorité de la population reste indifférente
: elle sent bien que « les choses ne sont plus comme avant »,
mais de là à admettre qu’il va falloir changer fondamentalement
nos habitudes économiques et monétaires, non ! Il y a
un blocage, un mur.
Quel mur ? le mur des habitudes, des conditionnements, des idées
reçues. Il ne s’agit pas, comme le pensent certains distributistes,
d’un « mur du silence » élevé par les puissances
d’argent contre la diffusion de nos thèses. Il s’agit plutôt
d’un blocage de l’imagination, blocage dont on a établi la réalité
scientifique depuis peu et qui commence seulement maintenant à
faire l’objet de recherches sérieuses. Il suffit pour le comprendre
de lire les ouvrages de H. Laborit : dans « L’homme imaginant
», essai de biologie politique, il dit clairement que «
le facteur essentiel d’une évolution de l’humanité technicisée
ne paraît pas résider seulement dans une transformation
socio-économique, mais dans l’extension d’une culture basée
sur une accumulation de connaissances, sur la restructuration mentale
du plus grand nombre d’hommes. C’est qu’en effet l’homme est fortement
et, le plus souvent inconsciemment, conditionné par son environnement,
son éducation, sa biologie. Selon Laborit, le seul moyen de s’en
tirer c’est d’acquérir la connaissance : « ou l’humanité
aura comme finalité essentielle de fuir l’ignorance et l’unidisciplinarité
idéologique et technique, ou elle demeurera dans le chaos, la
souffrance et le meurtre. L’ignorance et le conditionnement sont les
vrais ennemis de l’homme, tant du prolétaire que du bourgeois.
L’ignorance ne vient pas seulement de la difficulté que certains
hommes rencontrent à s’instruire. Elle vient aussi du fait que
l’homme ne cherche le plus souvent à connaître que ce qui
satisfait ses désirs. Il cherche dans la connaissance la reconnaissance
de ses pulsions primitives ou secondaires et interdites, une justification
de ses jugements de valeur ». Un peu plus loin Laborit précise
: « l’homme en tant que structure vivante est lié à
des mécanismes biologiques indispensables à sa survie...
Ils font de l’homme un animal et si cet animal est de plus un être
pensant, ces mécanismes ont une part importante à jouer
dans le mécanisme de cette pensée. Enfin, les rapports
interhumains, les rapports sociaux quels qu’ils soient, se réalisent
sur leur base inconsciente et toujours présente ». Est-il
vain alors de chercher à changer les comportements humains ?
Bien heureusement non ! Et Laborit nous précise : « il
paraît nécessaire, pour fournir une signification à
la vie individuelle, et pour que cette vie participe à la survie
de l’espèce, de lui permettre de contrôler les facteurs
qui la commandent et de lui fournir une description d’ensemble du système
complexe dans lequel elle intervient, N’est-ce pas cela que l’on pourrait
définir comme « participation » ? Participation non
point aux bénéfices... mais à la compréhension
générale des ensembles socio- économiques de l’époque
».
Pour nous, le message de Laborit est très clair : il faut continuer
sans cesse à démonter les rouages de l’économie
de profit, montrer dans quelle impasse elle nous amène et l’opposer
à ce que pourrait être une société basée
sur l’économie distributive. Nous sommes tous concernés
et les lecteurs de la Grande Relève en premier lieu.
(1) Titre d’un livre publié par J. Duboin en
1934.
(2) Voir « Le Monde » du 26 septembre 1985.
« L’homme compétent est celui qui se trompe selon les règles » (Paul Valéry)
Milton Friedman
La crise va durer... heureusement
Prix Nobel d’économie en 1976, père de l’école
monétariste de Chicago, l’Américain Milton Friedman est
sans doute l’économiste le plus célèbre au monde.
C’est aussi le maître à penser des néolibéraux
Henry Kaufman
L’expansion va continuer
Senior-partner de la firme new-yorkaise d’agents de change. Salomon
Brothers, Henry Kaufman a été surnommé le gourou
de Wall .Street »..Ses oracles font autorité sur les places
financières du monde entier, caria plupart doses pronostics ont
été jusqu’ici confirmés par les faits
Raul Prebisch
Brisez le carcan de la dette
Economiste argentin, Raul Prebisch est l’expert du problème numéro
un du moment : la dette du tiers monde, et notamment celle de l’Amérique
du Sud
Lawrence Klein
Investir avant de libéraliser
Lawrence Klein, professeur d’économie à l’Université
de Pennsylvanie et prix Nobel d’économie (1.980) pour ses travaux
sur les modèles de prévisions économétriques,
consultant pour plus de soixante pays, préside le comité
scientifique de la Cisi-Wharton, grand institut de conjoncture franco-américain
Lester Thurow
Le salut par la demande
Lester Thurow est professeur au Massachusetts lnstitute of Technology
(MIT)
Jean Denizet
Qui prendra le relais de l’Amérique ?
Jean Denizet est le meilleur spécialiste français des
questions monétaires. Il vient de publier » le Dollar »
(Fayard), une histoire du système monétaire international
Hans-Jürgen Krupp
L’europessimisme est condamné
Patron de l’institut de conjoncture DIW à Berlin, Hans-Jürgen
Krupp est l’un des meilleurs économistes allemands
Serge-Christophe Kolm
Laissons glisser le franc
Economiste français de renom international, Serge-Christophe
Kolm a enseigné dans les universités américaines
de Harvard et de Stanford. Auteur de » Sortir de la crise »
(Hachette) et du » Contrat social libéral » (PUF),
il est professeur à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées
Alain Chevalier
Dévaluer n’est pas capituler
Patron du groupe Moët-Hennessy (un des plus gros exportateurs français
au Japon et investisseur aux Etats-Unis), Alain Chevalier plaide avec
opiniâtreté pour une politique économique plus active
Le Nouvel Observateur de 22/28 Novembre 1985 a réalisé
un encart spécial de plusieurs pages sur « 1986 La crise
est-elle finie ? » Il a interrogé les neufs grands économistes
mondiaux dont nous reproduisons ci-contre le visage et les titres (2
Prix Nobel !). A lire leurs réponses, on se convaincra de la
profondeur de la réflexion de P. Valéry. Aucune originalité
- tout est classique. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, chez eux,
« l’imagination n’est pas au pouvoir ». On aimerait, à
les lire, découvrir des visions du monde - d’un monde - futur,
à la hauteur des bouleversements technologiques des dernières
décennies. Rien : du catéchisme économique digne
de l’entre deux guerres, pour ne pas dire du siècle dernier.
Pas un mot qui laisse croire que notre monnaie - guère plus évoluée
que celle des Perses - pourrait ne plus correspondre aux capacités
de la production moderne. Avant de lire quelques réflexions de
ces neuf experts, il nous a paru intéressant de citer de larges
extraits de l’introduction de Georges Valante : « C’est réconfortant :
les plus grands économistes mondiaux interrogés sur les
perspectives de la croissance sont optimistes. Certes ils ne se risquent
pas à prédire la sortie de la crise pour l’an prochain
(1986)... La crise n’est plus ce qu’elle était... » (Quelle
chance !) ...
« A la fin des années 70, le mal suprême était
l’inflation. Aujourd’hui, les endettés, c’est-à-dire tout
le monde ou presque, nations, entreprises, particuliers, vivent les
affres de la désinflation : rembourser les dettes avec une monnaie
qui ne fond plus... Malheureusement, la courbe de Philips (lorsque le
taux d’inflation est bas, le taux de chômage est élevé
et vice versa) a joué à plein. De 1980 à 1984,
le chômage a progressé de 5 à 8 % de la population
active... La Grande-Bretagne a réduit son inflation de 10 points
depuis 1980, mais, sur la période... le chômage a doublé
chez Madame Thatcher. En fait, les experts (toujours eux !) ont calculé
qu’en Europe, à chaque point gagné sur l’inflation répondait
un recul de l’emploi de 2 %. Résultat : les pays de l’OCDE comptent
31 millions de chômeurs, dont 20 en Europe ».
Pour Jean-Claude Paye, Secrétaire général de l’OCDE,
« la perspective la plus vraisemblable... paraît celle du
maintien d’une croissance de l’ordre de 3 % aux Etats-Unis, 4 à
5 % au Japon, 2 à 3 % en Europe ». « Des taux, poursuit
G. Valance, que l’on peut appeler des taux de crise, mais qui restent
insuffisants pour résorber le chômage ».
Le Nouvel Observateur cite ensuite les « cinq locomotives »
sur lesquelles on compte pour maintenir ou faire progresser l’économie
: les ordinateurs de la 5e génération au Japon, Eureka,
Race, Esprit en Europe, l’IDS - la guerre des étoiles - aux USA.
Cela dit, à tout seigneur tout honneur : que pense MILTON FRIEDMAN,
le maître à penser - si l’on peut dire - de Reagan au début
de son premier mandat.
Les USA...
« La croissance américaine a été très
forte en 1984, elle s’est ralentie au début de cette année,
c’est vrai, mais elle est en train de reprendre. Je suis même
convaincu qu’elle repartira bien au dernier trimestre et au début
de l’année prochaine »...
« ...Sur le long terme, l’économie américaine reste
en très bonne santé. Mais elle continuera à traverser
quelques hauts et quelques bas. »
Et l’EUROPE ?
« - Depuis dix ans, l’Europe est en stagnation et son taux de
chômage reste très élevé. Or, avec les monstres
bureaucratiques que la CEE a créés - comme la politique
agricole -, elle n’a aucune chance de retrouver une croissance vigoureuse
».
La CRISE ?
« - Je crois qu’il n’est pas réaliste de penser qu’il puisse
y avoir une sortie de crise (en 1986). S’il n’y en avait pas, de crise,
nous devrions l’inventer. Tant il est vrai que les problèmes
ne sont réglés qu’en temps de crise. Et les gens adorent
se plaindre ».
Avec de tels « raisonnements », on conçoit que même
Reagan ait dû se séparer de FRIEDMAN.
Lawrence KLEIN
La Crise ?
« - Nous ne vivons pas une situation de crise mais de déséquilibre
déficits extérieur et intérieur des Etats-Unis,
excédents du Japon et de l’Allemagne, niveau élevé
du chômage et des dettes des pays en voie de développement.
Le monde cherche aujourd’hui à s’ajuster à cette situation
en préparant un atterrissage en douceur ».
Investissement et chômage
« - Il faudrait investir davantage en particulier dans les technologies
nouvelles ; améliorer la productivité du tra vail et,
en même temps, pratiquer une politique de modération des
salaires. Si l’inflation est contenue, la production s’accroîtra
et les salaires réels pourront augmenter ».
Productivité accrue et « modération des salaires
», ça nous dit quelque chose : CHOMAGE ACCRU. On croit rêver.
Hans Jürgen KRUPP
« - Si la croissance réelle des Etats-Unis se stabilise
autour de 3 %, l’économie mondiale progressera avec la même
retenue qu’en 1985. En Europe, l’amélioration sera minime : le
mieux que connaîtra la France sera encore compensé par
la détérioration de la situation de la Grande-Bretagne.
En Allemagne, le taux de croissance restera au même niveau qu’en
1985 : environ 2,5 %. Ce qui ne suffira pas à provoquer une diminution
très importante du chômage ».
C’est l’Europe qui doit à présent soutenir la croissance
de l’économie mondiale. Les emplois nouveaux sont créés
dans le secteur tertiaire, pas dans l’industrie. Près de 70 %
des Américains travaillent aujourd’hui dans les services. Le
retard de l’Europe ne s’explique pas par un manque de productivité
de son industrie mais parce que ses structures se transforment trop
lentement ».
Et vive le tertiaire ! KRUPP n’a pas encore réalisé que
le tertiaire, par la bureautique et autres progrès techniques,
« rejetait » à son tour les gens dans le chômage.
Henry KAUFMAN
« N.O.- L’énorme déficit budgétaire américain
(de l’ordre de 200 milliards de dollars) ne met-il pas en danger tout
votre système économique et financier ?
H.K.- Le déficit est un problème sérieux pour les
raisons suivantes. Premièrement : notre dépendance à
l’égard du financement par les capitaux étrangers se trouvera
aggravée. Deuxièmement : le gouvernement américain
est un très gros emprunteur sur les marchés des bons du
Trésor à moyen et à long terme. Il force ainsi
les entreprises privées à se financer sur le marché
de l’argent à court terme, à des taux d’intérêt
« flottants ». Ce qui rend ces entreprises privées
plus vulnérables, dans l’avenir, aux risques de dérapage
des taux. Troisièmement : le déficit du budget fait monter
les taux d’intérêt américains ».
Lester THURON
« Le Nouvel Observateur.- Les nouvelles technologies sont-elles
inévitablement destructrices d’emplois ?
Lester THUROW
« Elles sont généralement conçues pour accroître
la productivité. Si la demande de biens et de services augmente
plus vite que la productivité, alors il y aura création
d’emplois. Dans le cas inverse, il y aura perte d’emplois. Si les politiques
monétaires et fiscales sont conçues pour réduire
la demande, comme c’est le cas actuellement en Europe, aucune intervention
nouvelle ne sera en mesure d’améliorer l’emploi ».
« Un marché du travail plus flexible - simple euphémisme
pour désigner une réduction des salaires - peut susciter
la création d’emplois seulement si les gouvernements sont disposés
en même temps à accroître la demande par les politiques
monétaires plus souples ou des politiques fiscales plus expansionnistes
».
Serge-Christophe KOLM
« Les Français chôment pour un franc surévalué
et les Allemands travaillent à la place des Français chômeurs
».
« Je suis favorable à une reprise à l’américaine,
avec d’un côté une réduction d’impôt pour
relancer la croissance, de l’autre une politique monétaire rigoureuse
pour freiner l’inflation. C’est la combinaison de ces deux politiques
que je préconise depuis quinze ans et que le président
Reagan a enfin appliquée ».
Encore un « expert » incompris puisqu’il ajoute : «
Quand les économistes - comme dans les autres sciences - font
une découverte, il faut quinze ans pour que ça passe en
mesures politiques »
Paul PREBISH
« Jusqu’à une époque récente, les Américains
recommandaient d’avoir de la patience en matière de dette extérieure
: l’économie mondiale allait se rétablir rapidement, un
vaste marché allait s’ouvrir à nos exportations et les
taux d’intérêts allaient baisser. Rien de tout cela n’est
arrivé. Cette situation me préoccupe profondément,
car le service de la dette est très lourd et il absorbe une proportion
considérable de l’épargne de nos pays, au détriment
des investissements qui sont au plus bas. A cela s’ajoute la dégradation
des termes de l’échange et les effets néfastes du ralentissement
de la croissance américaine sur nos exportations »
« ... pour payer une partie des intérêts, on obtient
de nouveaux crédits qui augmentent la dette ».
Enfin un expert qui voit clair : évidemment, il fait partie des
pays pauvres, endettés, exploités.
Jean DENIZET
« Le problème de la dette reste effrayant pour le système
bancaire occidental. En fait, les banques ont déjà renoncé
au capital prêté ; ce qu’elles veulent, ce sont les intérêts
de la dette. Mais les pays débiteurs sont incapables de les payer
aux taux actuels. Il faudra, en fait, plafonner, chapeauter les intérêts
eux-mêmes. Mais cela, les banques ne veulent pas en entendre parler.
Le monde va peutêtre périr de l’égoïsme bancaire
et de son incompréhension totale ».
« Les Etats-Unis sont devenus débiteurs nets du monde avec
une dette qui augmente bientôt de plus de 100 milliards de dollars
par an. Faire du crédit à un fils prodigue milliardaire,
cela a toujours été le rêve des usuriers et des
banquiers mais cela n’a qu’un temps. Les Etats-Unis, un jour, devront
faire une opération rigueur de type mars 1983 en France, c’est-à-dire
faire de la déflation pour corriger leurs erreurs. Pour limiter
ces risques de récession, il faudrait que l’Europe et le Japon
prennent le relais de la relance américaine. Malheureusement
ça ne s’est jamais produit ».
Alain CHEVALIER
« Il est vrai que le poids de l’endettement pèse comme
une épée de Damoclès sur toutes les économies
et avant tout sur celle des Etats-Unis, mais le ralentissement de la
croissance américaine et son déficit budgétaire
devraient à court terme entraîner la baisse du dollar et
celle des taux d’intérêt ».
« La dévaluation n’est pas une capitulation, c’est une
mesure technique. En période de haute spéculation, comme
celle que nous connaissons, il est parfois plus coûteux de défendre
une monnaie pour finir par jeter le gant que d’agir en temps voulu,
c’est-à-dire avant que l’offensive se mette en place ».
***
Vous voyez que tout cela n’est pas très original,
ce qui ne veut pas dire que des réflexions et analyses ne sont
pas pertinentes dans le cadre du système économique monétaire
actuel. Mais, ce qu’un distributiste peut en retirer « globalement
», c’est que ce ne sont pas ces grands experts en économie
qui indiqueront aux dirigeants des divers pays ou aux peuples inquiets
de la montée du chômage la voie à suivre pour sortir
de la crise ; crise que certains veulent seulement nommer, pudiquement
sans doute, mutation.
Pour nous, c’est la même crise du capitalisme que celle des années
30, différente seulement grâce à tous les garde-fous
sociaux qui en ont évité la soudaineté et limité
la dureté. La crise dure et durera car elle est inhérente
au système. Le chômage continuera à croître
en même temps que la production ; la reprise US - et celle des
autres pays industrialisés - restera, au mieux, précaire.
La « vision » du monde et de son avenir qui transparaît
dans les principaux éléments de réponses des 9
experts que nous avons retenus n’est pas faite pour éclairer
nos dirigeants. Nous nous en doutions : la « brochette »
réunie par le Nouvel Observateur nous conforte dans nos convictions.
Une anecdote éclairante pour conclure. Il y a deux ans, nous
assistions à un exposé-débat à la Maison
de la Radio, réunissant six économistes renommés,
dont Michel Albert. Le sujet : « Comprendre aujourd’hui pour vivre
demain. Sortir de la crise ». Question d’un auditeur : «
vous avez tous, messieurs, abondamment parlé de la crise ; vous
l’avez analysée, mais aucun d’entre vous n’a indiqué -
ce qui nous paraît être la question essentielle - la solution
pour en sortir ».
Réponse de Michel Albert (assez emphatique) : « Mais mon
cher monsieur, s’il y avait une solution, ça se saurait, nous
le saurions ».
Alors, amis distributistes, vous savez ce qui nous reste à faire
: convaincre autour de nous, toujours convaincre, et... encore convaincre
!
LES DOSSIERS DE LA GRANDE RELEVE
1986 année de la Paix, selon l’ONU. Il nous a paru nécessaire d’y contribuer à notre manière en présentant dans ces troisièmes « Dossiers de la Grande Relève » les propositions que fait un Américain, Ward Morehouse, président de la Société pour les Affaires Publiques et Internationales de Croton ou Hudson, pour mettre fin au péril nucléaire que fait courir au monde le conflit idéologique qui oppose l’URSS et les Etats-Unis. Il rejoint l’analyse que nous avons souvent faite dans ces colonnes, selon laquelle seul un changement radical des moeurs économiques des grandes puissances mondiales peut apporter la paix. L’auteur reprend en fait les idées d’un avocat américain, Stuart Speiser, qui propose d’instaurer aux Etats-Unis une sorte de « capitalisme social ». Nos lecteurs, et plus particulièrement les membres de la commission « Le Duigou », qui étudient les mesures de transition vers l’Economie Distributive, pourront peut-être y trouver quelques idées
L’actuelle course aux armements nucléaires résulte d’un conflit idéologique, vieux de plus d’un demi-siècle, qui, il y a quelques dizaines d’années, s’est transformé en une rivalité stratégique entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Toute tentative réellement sincère de mettre fin à la course aux armements doit obligatoirement saisir cette réalité géologique sous-jacente. Dans un ouvrage qui vient de paraitre récemment, un avocat new-yorkais, Stuart Speiser, montre qu’un bon moyen, qui, s’il n’est pas le seul, est toutefois le meilleur pour apaiser ce conflit idéologique consiste à mettre en oeuvre des changements structurels qui rendent plus compatibles les systèmes économiques des deux super puissances.
Les origines de la rivalité entre les deux « Grands »
Les origines, vieilles de plus de cinquante ans, du
conflit Etats-Unis Union Soviétique, viennent, comme beaucoup
d’autres choses, des différences idéologiques qui guident
leurs systèmes économiques respectifs. Les Etats-Unis,
s’inquiétaient de ce qui était à cette époque,
et qui est encore aujourd’hui, perçu comme une économie
et une idéologie politique étranges qui, par l’affirmation
de leur suprématie ultime, pouvaient finalement détruire
les sociétés capitalistes existantes. Cela s’est traduit,
en réaction, par le harcèlement et même l’invasion
du territoire de l’Union Soviétique dans les premières
années qui ont suivi la révolution bolchévique.
« L’encerclement capitaliste » a été une dure
réalité pour la jeune Union Soviétique et est resté
une constante de la vie soviétique qui a façonné
jusqu’ici sa pensée stratégique. C’est donc de l’incompatibilité
de leurs systèmes économiques que découle la rivalité
des deux super puissances. Si l’on peut changer les bases de ce conflit,
on peut peut-être espérer au moins ralentir la course aux
armements nucléaires, sinon l’arrêter complètement.
L’idée d’une « convergence » graduelle des sociétés
soviétiques et occidentales n’est bien sûr pas nouvelle.
La plupart des théories occidentales sur la convergence contenaient,
comme on peut le voir après coup, une erreur fondamentale. Elles
reposaient sur l’hypothèse que, au fur et à mesure que
l’URSS se développerait économiquement, sa population,
si non l’idéologie de ses gouvernants, évoluerait et que
l’Union soviétique finirait par ressembler à une nation
occidentale. Il est devenu abondamment clair que les dirigeants soviétiques
n’ont aucunement l’intention de changer ni leurs points d’ancrage idéologiques
ni le caractère essentiel des institutions politiques et économiques
de leur pays. Mais, l’autre terme de l’alternative, bien peu envisagé
parce que la plupart des occidentaux le considèrent comme impensable,
est d’imaginer que les sociétés occidentales (ou au moins
les Etats-Unis qui sont le pays le plus important en ce qui concerne
la course aux armements nucléaires) adoptent un modèle
idéologique voisin de celui qui a cours en URSS. C’est là
le point fondamental de l’argumentation développée dans
l’ouvrage de Speiser : si la différence essentielle entre les
idéologies américaines et soviétiques - à
savoir leur conception différente de la propriété
des moyens de production - pouvait être éliminée
en rapprochant la pratique américaine de celle de l’Union soviétique,
il existerait au moins la possibilité de voir diminuer à
terme l’intensité du conflit idéologique qui oppose ces
deux super puissances, ce qui abaisserait le niveau de leur rivalité
stratégique et affaiblirait leur tendance irrationnelle à
maintenir dans leur pays une course aux armements stratégiques
qui non seulement constitue un grave danger mais aussi une charge de
plus en plus couteuse.
Alors que l’économie américaine a progressé à
grandes enjambées depuis la seconde guerre mondiale et est devenue
l’économie dominante sur la scène mondiale en accroissant
massivement ses capacités de production, ses performances dans
d’autres domaines essentiels de l’économie sont beaucoup moins
satisfaisantes. En particulier dans le domaine de la distribution des
revenus et des biens le bilan des Etats-Unis est beaucoup moins impressionnant
au regard de ses énormes capacités de production. A l’échelle
mondiale, le caractère distributiste de l’économie américaine
n’est pas aussi mauvais que dans d’autres pays, mais comparé
à son énorme capacité de production qui pourrait
permettre aux Etats-Unis de supprimer facilement toute pauvreté,
les résultats ne sont pas bons. Bien pis, après une période
de déclin relatif, la pauvreté augmente à nouveau.
Un des points clés de la répartition injuste des revenus
que reflètent les niveaux de pauvreté atteints dans une
société d’abondance réside dans la propriété
des biens productifs. Dans ce domaine le bilan est encore plus sombre
: en gros, 95 % des biens productifs du pays sont entre les mains de
5 % de la population.
Le « capitalisme-social »
Pour se donner les moyens politiques de changer simplement
cette répartition inégale des moyens de production, il
nous faut envisager une approche « réformiste » des
changements économiques et politiques à mettre en oeuvre
dans les pays de l’OCDE. C’est ce que nous appellerons le « capitalisme
social ».
On peut définir le capitalisme social comme un ensemble de mesures
politiques et économiques qui conduiront à une distribution
plus équitable et plus étendue des moyens de production,
se traduisant par une plus grande autonomie des personnes grace à
l’extension de la propriété individuelle des logements
et au développement des services communaux, par une propriété
privée locale plus démocratique et par le contrôle
des moyens de production des biens, des services et des crédits
nécessaires au financement de ces productions.
Les idées de Speiser sur ce sujet ont été précisées
dans un ouvrage récent « Superbourse » dans lequel
il propose que chaque famille américaine acquière (grace
à un prêt garanti par le gouvernement qui serait remboursé
à l’aide des profits des actions) des actions de 100.000 dollars
dans l’industrie américaine. En supposant que les sociétés
ne conservent plus pour elles-mêmes leurs profits mais les distribuent
sous forme de dividendes (comme elles y seraient encouragées
dans le plan de Speiser), cela procurerait un revenu annuel de 20.000
dollars, qui constituerait une sorte de revenu annuel garanti sans intervention
politique du gouvernement dans le mécanisme de transfert et sans
nécessiter de prélever des revenus chez les plus riches
pour les distribuer aux plus pauvres. Le plan de Speiser n’implique
pas la redistribution des actions existantes qui ne seraient donc pas
affectées ; ce qui contribuerait certainement à la «
vente » politique de l’idée.
Universaliser la propriété des moyens de production n’est
que l’un des éléments permettant de construire un système
véritablement équitable et démocratique aux Etats-Unis,
quoique cela constitue le pas le plus important. D’autres éléments
du social capitalisme, tels que l’accroissement de la décentralisation
économique et un contrôle local accru des moyens productifs
de la communauté, sont considérés comme beaucoup
plus utopiques et peu susceptibles d’être mis en oeuvre sur une
grande échelle à court terme. Mais ils seront plus réalisables
politiquement une fois qu’on aura fait le premier pas de géant
que constitue une distribution beaucoup plus équitable (mais
certainement pas égale) de la propriété des moyens
de production.
L’harmonie idéologique
Il est bien évident que les Etats-Unis et l’Union
Soviétique ne sont pas les seuls acteurs importants de l’économie
politique du globe. Mais, en termes de course aux armements nucléaires,
il ne fait aucun doute qu’ils sont dans une très large mesure
les acteurs les plus puissants. Par conséquent, si un effort
de restauration de l’économie américaine était
entrepris pour la mettre en relation plus harmonieuse avec celle de
l’URSS, et que cela ait un impact important sur le niveau du conflit
URSS Etats-Unis, ce processus historique aurait d’énormes implications
pour l’humanité toute entière en accroissant la probabilité
de survie de notre espèce.
Personne ne peut, bien entendu, être certain de ce que serait
la réponse soviétique si les Etats-Unis, en suivant une
voie distincte mais parallèle, se mettait en conformité
idéologique avec l’un des principes les plus fondamentaux de
la doctrine économique marxiste en universalisant la propriété
des moyens de production. Cela ne se ferait pas instantanément.
Il faudrait au contraire intensifier les contacts entre les deux pays
de façon à ouvrir le dialogue sur les fondements de chacune
des sociétés, sur la façon dont elles changent
et sur ce qu’implique ces changements dans les relations qu’elles entretiennent.
Il est important de souligner ce qui est évident. Universaliser
la propriété des moyens de production des EtatsUnis suivant
les axes que nous avons décrits ci-dessus en vendant, en principe,
à tous les membres de la société des parts de propriété
serait quelque chose de fondamentalement différent de ce qui
a cours aujourd’hui en URSS, qui implique une délégation
de propriété à l’Etat, qui possède et contrôle
les moyens de production au nom et au bénéfice du peuple.
Il subsisterait donc une différence fondamentale entre les deux
pays en ce qui concerne le rôle de l’Etat. Il se peut que cette
différence fondamentale reste un obstacle suffisant pour bloquer
toute réduction significative du niveau du conflit entre les
deux super puissances.
Mais la restructuration de l’économie américaine suivant
les lignes que nous avons données mérite d’être
effectuée pour elle-même, si on considère que les
valeurs normatives qui façonnent les objectifs économiques,
sociaux et politiques de la société américaine
ont encore un sens.
Si en cherchant à atteindre ce but que constitue l’instauration
d’un ordre économique plus équitable aux EtatsUnis, on
peut initier un processus qui, en définitive, conduirait à
une réduction appréciable de l’intensité des conflits
entre les deux super puissances, on aura pavé la voie qui mène
au ralentissement de la course aux armements nucléaires et on
commencera à détruire, au moins partiellement, les arsenaux
nucléaires.
Les Japonais, les Américains, les Allemands
réussissent, mais... pas les Français ! Sauf... quelques
hommes qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent et qui sont
les gestionnaires modèles de notre économie. Bernard TAPIE
est de ceux-là. Pas un mois ou les médias ne nous le servent
comme plat du jour. C’est à qui donnera la recette miracle, illustrée
d’exemples concrets pris dans la quotidienneté du groupe TAPIE.
Ce n’est pas le système économique qui est en cause, mais
ce sont bien les hommes. La preuve... quand le dirigeant est valable,
les entreprises tournent !! C’est ainsi que l’on développe le
sentiment de culpabilité nationale.
Mais lira-t-on jamais, ailleurs que dans la Grande Relève, une
information qui tienne compte de la globalité des éléments
? L’article ressemblerait à celà : « Tel marché
actuellement contrôlé par une dizaine d’entreprises s’est
considérablement réduit compte tenu de la baisse de la
demande et de l’augmentation de la productivité. Trois entreprises
devront fermer leurs portes pour que, sur ce marché, l’offre
et la demande se rééquilibrent et permettent aux entreprises
restantes de générer des marges bénéficiaires
en progression. NATURELLEMENT, celle qui possèdent les caractéristiques
de faiblesse économique ou technologique vont disparaître
pour laisser place aux sept entreprises capables d’assurer les besoins
du marché dans des conditions normales de rentabilité
».
L’interprétation actuelle est invariablement la même :
Trois entreprises ont fermé leurs portes, suite à la mauvaise
gestion de leurs dirigeants.
C’est là qu’intervient notre homme miracle : Bernard TAPIE. S’il
lui vient à l’idée de racheter une des trois entreprises,
il la remontera faisant en sorte qu’une AUTRE entreprise ferme ses portes,
car dans tous les cas, trois entreprises disparaîtront. Et si
jamais cette entreprise se met à reprendre des parts de marché
grandissantes, tant au niveau national qu’international, les médias
se prosterneront, crieront au miracle. Et à qui de donner des
tuyaux sur ce qu’est la bonne gestion
- diminution du pouvoir d’achat
- remise à zéro des avantages acquis
-travail par équipes tournantes
- servage de l’encadrement et de la maîtrise.
- étouffement des syndicats (devenus si compréhensifs)
- licenciement des moins productifs
- écoeurement des plus âgés
- accroissement du mai être des salariés en insistant sur
la précarité de leur emploi
- et ce serait encore mieux si l’on pouvait obtenir la « Flexibilité
» de l’inspection du travail.
Je pose ici la question. Le problème est-il de se trouver dans
l’entreprise qui ne coulera pas grâce à son patron de choc,
ignorant ainsi le sort de mes collègues licenciés, ignorant
ainsi le sort des salariés des trois autres entreprises ? Ou
bien doit-on répartir l’emploi sur toute la population active
et faire en sorte que chacun puisse accéder au maximum de la
production du pays ?
Et voici WONDER qui tombe. 519 suppressions d’emplois au programme pour
restructurer le secteur « piles grand public » par la jonction
de WONDER et SAFT-MAZDA. Personne n’échappe aux conséquences
de la révolution technologique. Mais comme l’avait si justement
dit TAPIE sur les antennes de télévision : « Le
jour ou une de mes entreprises tombera, les médias ne me rateront
pas ».
Comme on a déplacé le problème sur les hommes et
non sur le système de répartition ainsi que le niveau
de production nationale, il est certain que LUI seul sera responsable
de la faillite de SON entreprise.
Informations tronquées, visions réduites, manipulation
de la doctrine économique. Sentant qu’une fissure s’ouvre à
nos pieds, les dirigeants éclairés nous font regarder
le soleil afin de mieux nous aveugler.
Même aveuglés, nos sensations restent. Finie la culpabilité
des hommes, c’est le système qu’il faut changer !
***
PAS D’ALIBI, CHÔMEUR COUPABLE !
Pour la morale publique, les chômeurs sont des
gens qui tombent dans la facilité et ne se fatiguent pas pour
trouver du travail. Et chacun y va de son exemple pour confirmer ses
affirmations (sans parler des immigrés). C’est à nouveau
le processus de culpabilisation, individuelle cette fois-ci, qui est
en place. Il n’est pas étonnant que de nombreux chômeurs
se suicident, comme ces deux jeunes gens de 25 et 20 ans, habitant dans
le Gard, qui étaient au chômage depuis un an. Début
décembre, ils ont mis fin à leurs jours, pour rompre avec
cette société qui, de toute façon, les rejetait.
Là encore, dans ce marasme, ce sont les plus forts du moment
qui s’en sortiront le mieux. Les plus débrouillards, les plus
diplômés, les plus costauds moralement. Il parait que c’est
une loi naturelle !
Si l’on en croit les prévisions les plus optimistes, il y aura
en France cinq millions de chômeurs en l’an 2000. Cela veut dire
que deux millions de nos moralisateurs se retrouveront dans la situation
de ceux qu’ils décrient aujourd’hui, sans comprendre ce qui leur
arrive.
Alors ? A qui la faute ? Individus ou système ?
LES DOSSIERS DE LA GRANDE RELEVE
C’est presque journellement que les média (radios,
télévision et journaux de toutes opinions) nous ressassent
que tels et tels projets ne peuvent être réalisés
parce qu’il n’est pas possible de les financer. Bien que notre pays
compte actuellement près de 3 millions de chômeurs et que
le chômage touche. toutes les professions, de manoeuvres aux titulaires
de titres universitaires, on nous clame que, par manque de crédits,
le nombre des enseignants ne peut être augmenté, ce qui,
cependant, éviterait que certaines classes n’aient des effectifs
trop importants ou encore que certains postes soient dépourvus
de titulaires. On ne peut non plus accorder du personnel supplémentaire
aux établissements hospitaliers alors qu’indiscutablement cela
aurait pour effet de les rendre plus accueillants. Que dire aussi de
tous les travaux, notamment ceux ayant pour objet d’améliorer
la circulation routière, qui, bien que techniquement possibles,
ne sont pas réalisés pour de sordides questions financières.
Tous nous avons également encore présentes à l’esprit
les catastrophes ferroviaires qui ont endeuillé notre pays l’été
dernier. Les techniciens de la SNCF ont reconnu, à l’époque,
qu’ils diposent des moyens techniques qui auraient permis d’éviter
ces accidents, mais ces moyens n’avaient pu être mis en place
faute de crédits nécessaires.
En temps de guerre, il en va tout autrement. Un livre « La Reconstruction
des ouvrages d’art du Chemin de Fer » édité pour
le compte de la SNCF en 1942 est édifiant à ce sujet.
A la lecture de ce document, nous apprenons qu’à l’armistice
signé après l’offensive allemande de Juin 1940, étaient
détruits :
- 475 ponts, passages inférieurs ou souterrains.
- 67 passages supérieurs.
Il est instructif de savoir qu’en juillet 1942, alors que plus d’un
million de Français étaient prisonniers en Allemagne,
que plusieurs dizaines de milliers de spécialistes avaient été
envoyés en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire
(STO) et que plusieurs milliers d’autres étaient requis par les
Allemands pour la construction du mur de l’Atlantique,
- étaient reconstruits en totalité 427 ponts et passages
inférieurs ou souterrains ; 51 passages supérieurs.
- étaient reconstruits en provisoire : 21 ponts et passages inférieurs
ou souterrains.
2 passages supérieurs.
Il faut savoir aussi que, pour ces travaux de reconstruction, ont été
utilisés :
- 61.650 mètres cubes de bois
- 88.300 tonnes de ciment
- 23.775 tonnes de profilés et de laminés
- 9.985 tonnes d’acier enrobé
- 11.600 tonnes de matériaux divers en acier
De juin 1940 à juillet 1942, il y a eu en moyenne 6.620 ouvriers
utilisés chaque mois sur les divers chantiers de reconstruction.
A titre d’exemple citons que le nombre d’heures d’ouvriers nécessaires
à la remise en service des 3 ouvrages ci-après a été
de :
- 449.200 pour le Pont Eiffel sur l’Oise, entre les gares de Conflans
et de Maurecourt.
- 639.200 pour le Viaduc d’Eauplet sur la Seine entre les gares de Sotteville
et Rouen.
- 390.000 pour le souterrain de Vierzy (ligne de Paris à Soissons)
entre les gares de Vierzy et Berzy le Sec.
Ce qui précède donne une idée
assez précise de l’importance de moyens mis en oeuvre à
une période où la France était confrontée
à des difficultés que certains d’entre nous - les plus
âgés - ont peut-être oubliées et dont ceux,
nés après 1945, ne soupçonnent sans doute pas l’ampleur.
Inutile d’ajouter que, pour décider d’effectuer ces reconstructions,
les seuls critères retenus ont été l’intérêt
que chaque ouvrage représentait et la disponibilité du
personnel et des matériaux nécessaires. Si, comme cela
se passe en temps de paix, il avait fallu établir au préalable,
pour chaque ouvrage, un plan de financement, la reconstruction de 503
ouvrages, sur les 542 détruits, aurait sans doute duré
plusieurs décennies et n’aurait pas été réalisée
en 2 ans comme cela a été le cas à l’époque.
Pour nous en convaincre, citons le cas d’un pont sur la Loire qui s’est
effondré au début de l’année 1985. Il a fallu que
les services de l’Equipement du Département du Loiret, de la
Région Centre et du Ministère concerné se réunissent
à plusieurs reprises pour déterminer la part du financement
qui serait prise en charge par chacun d’eux. Etant donné l’intérêt
que représentait cet ouvrage, la concertation a abouti assez
rapidement. Néanmoins, pour que la reconstruction de ce seul
pont soit achevée, il faudra attendre entre 18 mois et 2 ans.
Nous autres distributistes, nous avons toujours prôné que
tout ce qui était humainement, techniquement et matériellement
réalisable devait pouvoir être immédiatement entrepris
dès que l’intérêt général est en jeu.
C’est pourquoi nous souhaiterions que nos gouvernants - actuels et futurs
- déclarent la guerre à la pauvreté et à
la misère et que, pour combattre ces deux fléaux qui frappent
un certain nombre de ceux qui vivent en France, ils abandonnent leur
mode de gestion actuel et que, puisque cela peut se pratiquer en temps
de guerre, ils répartissent équitablement entre tous,
à la fois le travail nécessaire à la prospérité
de la France et les immenses richesses qu’elle possède.
Il est impératif de mettre l’économie au service de tous
et nous devons toujours avoir présent à l’esprit que l’Economie
Distributive est une ECONOMIE DE BON SENS ET D’ALTRUISME.
LES DOSSIERS DE LA GRANDE RELEVE
Nous avons tous éprouvé à quel
point il est difficile de faire admettre des solutions contraires à
l’optique traditionnelle et à des préjugés tenaces.
Et cela est particulièrement vrai quand nous abordons la question
du chômage.
Je crois qu’avant de développer des thèmes qui déroutent
nos interlocuteurs, il convient d’exposer avec suffisamment de précision
les principes généraux, base de notre philosophie de l’économie,
dont la logique et la clarté ne peuvent échapper à
des esprits tant soit peu ouverts. Replacées dans ce cadre, nos
solutions seront mieux comprises. Pour rassurer les sceptiques, il faut
encore souligner que si les principes paraissent à première
vue rigides, les applications sont souples et que diverses modalités
pourront être étudiées, voire expérimentées.
Clarté et souplesse sont les deux qualités qui rendront
notre doctrine accessible et convaincante.
Pour être parfaitement clairs, nous aurions avantage à
définir d’emblée les deux volets qui constituent l’ossature
de tout système économique : ils concernent les relations,
d’une part entre la production et la consommation, d’autre part entre
le travail humain et les besoins de la production. Nous ne devons jamais
perdre de vue cette dualité et la symétrie qu’elle présente.
De l’économie échangiste, système injuste et oppressif
fondé sur le profit et la concurrence, nous retiendrons surtout
qu’elle aboutit à un double déséquilibre, alors
que l’économie distributive réalise facilement un double
équilibre. Ainsi l’absurdité du premier système
fera ressortir, par contraste, la rationnalité du second.
On ne peut vivre dans l’économie dite libérale, abstraction
faite des allocations et subventions qui en atténuent la dureté,
que si l’on réussit à vendre, soit des produits ou des
services, soit sa force de travail : c’est ce que Marcel Dieudonné
appelle « l’économie du gain Or un produit ne peut plus
se vendre s’il est abondant, et de même, quand les machines ajoutées
à l’homme créent une offre de travail globale surabondante,
l’individu ne trouve plus de débouchés pour sa force de
travail. Le public doit saisir ce caractère double et symétrique
de la crise, et comprendre qu’une crise de débouchés,
résultant de ce qui normalement devrait apporter le bien-être,
est en elle-même un paradoxe et une absurdité : c’est le
double scandale des invendus qu’on gaspille et des chômeurs qu’on
laisse dans le dénuement. Dans ce système, seuls les plus
chanceux et les plus habiles sont assurés de prospérer
ou de survivre. Quant aux remèdes proposés, ils sont aussi
aberrants que le système lui- même : réduire l’offre
au lieu d’accroître la demande, créer de emplois au lieu
de les répartir.
A l’opposé, notre doctrine pourrait se condenser
dans une formule : la souveraineté économique des consommateurs,
ce qui, dans la perspective des deux volets, se traduit par deux principes
: mettre la production au service de la consommation, et le travail
humain (équitablement réparti, et sans que personne risque
d’être marginalisé) à la disposition de la production.
D’où un double partage, celui des revenus (réalisé
pratiquement grâce à la monnaie de consommation) et celui
du travail. L’image d’une communauté où règne ce
double équilibre peut être évoquée à
titre de modèle analogique.
Si tout cela s’impose avec la force de l’évidence à l’esprit
de notre interlocuteur, il sera à même d’apprécier
judicieusement notre position sur le problème du chômage.
Les deux volets, dont le premier a surtout un aspect économique,
et le second surtout un aspect social, s’interpénètrent.
Notre solution ne consiste pas seulement à partager équitablement
le travail (ce qu’un socialiste réformiste admettrait facilement) ;
elle implique aussi que les revenus sont calculés en fonction
du volume total de la production, et non à partir d’une équivalence
traditionnelle entre l’effort fourni et la rémunération
de cet effort. Insérée dans un contexte économique
révolutionnaire, cette réforme sociale a pris toute sa
valeur, et l’équilibre réalisé est double.
Mais ici, plus que nulle part ailleurs, la souplesse est indispensable.
Si l’idée de rémunération s’est effacée,
si nul ne peut être pénalisé parce que l’économie
n’a pas besoin de lui, il ne s’ensuit pas qu’il faille exclure toute
modulation du revenu en fonction de la durée véritable
et des conditions (choisies ou non) du travail. Une conception trop
rigide de l’égalité - équité et égalité
ne sont pas toujours synonymes - ne ferait qu’éloigner de nous
des personnes qui seraient acquises par ailleurs à l’essentiel
de nos thèses.
Je n’ai fait jusqu’ici aucune allusion au problème capital des
échanges extérieurs, et j’ai raisonné comme s’il
était possible à une nation de vivre en autarcie. Nous
devons être en mesure de prouver que des solutions conformes à
nos principes distributifs, qui nous permettraient à tous d’échapper
aux conséquences désastreuses de la concurrence internationale,
peuvent être proposées aux autres pays. Mais il est probable
que nous nous heurterons pendant longtemps à un refus. Et ce
refus posera de nouveaux problèmes.
Dans tous ces domaines, nos recherches devront porter aussi bien sur
les mesures transitoires que sur les modalités d’un système
distributif, et il nous faut admettre qu’une assez grande diversité
est possible. Notre crédibilité en sera accrue.
Soit une automobile. Elle nous rend bien des services et nous procure une disponibilité plus grande. Tous les jours, des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers, font oeuvre de créativité, d’ingéniosité, pour tenter d’améliorer cet outil. Chaque année, chacun peut facilement lors des salons, grâce aux revues spécialisées, aux médias, se faire une idée des progrès obtenus. Il en est de même pour tout appareil ménager, tout objet de consommation, dans toute industrie, aéronautique, électronique,... Dans chaque domaine, des milliers, voire des millions de femmes et d’hommes utilisent les merveilles de leur cerveau et leur culture pour perfectionner la technique. Pour parvenir à de tels progrès, ils ont tous recours au raisonnement scientifique, à la logique, à l’expérience, aux essais d’idées nouvelles.
Mais il existe un domaine qui a de plus importantes répercussions sur notre vie, qui gère nos moyens de vivre, nos libertés, nos objectifs et occupe une place prépondérante dans l’éventail des éléments utiles pour remplir les conditions de notre bonheur. C’est l’organisation de notre système économique et social. Aujourd’hui nous laissons délibérément les économistes dits « distingués » s’en occuper, comme nous laissons les prêtres depuis des milliers d’années décider des rites religieux. L’économie serait- elle donc une religion ? La gestion de notre production, de notre consommation, serait-elle d’ordre métaphysique ? Si aujourd’hui les productions alimentaires et matérielles ressemblent à la multiplication des pains par Jésus-Christ, doit-on crier au miracle, ou au sacrilège pour avoir voulu imiter Dieu ?
Revenons sur Terre. Tout près, en 3 heures de Concorde (le même temps pour faire Paris-Lyon en TGV ou Paris- Dijon en automobile en respectant la limitation de vitesse) des gens meurent ou souffrent de la faim, d’autres se battent par manque du nécessaire ou de culture, encore plus près de nous, d’autres, au milieu des petits pains, de l’abondance, ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins, faute d’un travail-salaire ; toujours plus près, la violence, la drogue, l’alcool, le sexe, l’argent, dérèglent nos existences, dérèglent les rouages de la vie sociale.
Que font les ingénieurs, les techniciens, les
ouvriers, quand leurs machines se dérèglent ? Ils cherchent,
ils modifient, ils essaient d’autres montages ou d’autres matériaux.
Actuellement, où en sont le recherches, les essais en socio-économique
? Qui travaille sur le nouveaux prototypes ? Quelles modifications sérieuses
envisage-t-on afin d’annihiler toutes ces anomalies grotesques de fonctionnement
de la machine économique mondiale ? On ne voit que réparations
précaires et bricolages approximatifs. Une amélioration
ici, une nouvelle défaillance ailleurs : l’inflation diminue
mais le chômage augmente et le pouvoir d’achat périclite.
Les pays industrialisés renforcent leurs monnaies, les pays du
TiersMonde s’appauvrissent d’autant. Admettrions-nous de posséder
une automobile qui ne fonctionne qu’à peu près, un jour
les freins lâchent, le lendemain c’est le joint de culasse, alors
que la veille, c’était la boîte de vitesse ? Que ferions-nous
si aucun garagiste « distingué » ne pouvait la réparer
correctement, et si aucun constructeur ne pouvait nous fournir une automobile
plus fiable ? Que ferions-nous si tous nos outils ou nos moyens de transport
étaient identiquement défectueux ?
Des accidents de chemin de fer ou d’avions, en chaîne, comme nous en avons connus dernièrement, bouleversent l’opinion, ils inquiètent la population, ils secouent les industries responsables. Tout un processus est mis en mouvement pour trouver les causes et y palier par de nouvelles mesures ou par l’emploi de nouveaux matériels. Or, si les accidents continuaient avec une fréquence aussi importante, si l’incompétence s’avérait évidente, combien parmi nous sortiraient dans la rue exiger une changement sérieux, des résultats positifs ? Pourtant, dans le monde, tous les jours, des gens meurent de faim, on continue à s’entretuer, à connaître de plus en plus de chômage, la violence, la drogue, etc... L’opinion publique en est-elle bouleversée au point que nous soyons tous dans la rue à manifester notre mécontentement, à exiger un changement, des mesures adéquates et tout de suite ? combien sont-ils ? Comptez vous ?
Combien de chrétiens sur terre alors, aiment plus le- matériel, la technique, que l’humain ? Sont-ils seulement capables de charité, analogues à ceux qui vont faire le plein ou insistent sur le démarreur quand le moteur est devenu inutilisable ? Combien sont-ils ceux qui ne croyant plus aux garagistes, se penchent sur leurs capots pour voir ce que leur auto a dans le ventre ? Combien, de la même façon, se penchent sur l’économie, sur l’organisation sociale, pour voir sous le capot les causes de tels marasmes ?
Où sont les chrétiens, où sont les chercheurs en herbe, où sont les exigences et les volontés ?