Ainsi donc, à Bonn, le front européen
s’est désintégré avant même que commence
le « sommet » des sept pays les plus industrialisés
du monde.
A peine Reagan était-il arrivé que Mme Thatcher et le
chancelier Köhl acceptaient d’ouvrir rapidement de nouvelles négociations
avec le GATT (institution internationale chargée d’administrer
l’accord sur les tarifs douaniers et le commerce) et cela sans aucune
négociation monétaire comme le demandait la France. Même
chose en ce qui concerne la « guerre des étoiles »,
chère à Reagan. On pouvait facilement prévoir le
comportement de la Grande-Bretagne puisqu’on sait depuis longtemps que
ce pays est un bastion avancé des Etats-Unis en Europe et que
Mme Thatcher ne peut rien refuser à Reagan. (S’il y a d’ailleurs
un point - le seul peut-être - sur lequel j’ai approuvé
de Gaulle, c’est bien celui de refuser l’entrée de la Grande-Bretagne
dans le marché commun !). Par contre, à première
vue, l’attitude du chancelier allemand peut paraître surprenante,
mais à première vue seulement. C’est qu’en effet il existe
en Allemagne de l’Ouest un nationalisme de gauche et un nationalisme
de droite. Pour le courant de gauche, l’Allemagne doit occuper une position
centrale en Europe (ni à l’Est ni à l’Ouest). Le courant
de droite, « revanchard », se manifeste abondamment au sein
du parti du chancelier Köhl, qui, soucieux d’éviter les
divisions, ne le fait pas taire. Ce courant renoue avec la croisade
anticommuniste des années 50 et tient pour prioritaire l’alliance
avec les Etats-Unis. Il se méfie de l’Europe par crainte qu’elle
n’affaiblisse cette relation prioritaire et idéologique. Ce courant
flatte un électorat dans lequel la capitulation de 1945 a laissé
un souvenir amer et qui voudrait pouvoir être allemand sans honte
et sans mélange. D’où la visite de Reagan au cimetière
de Bitburg où sont enterrés des SS dont certains de la
célèbre division « Das Reich » qui s’illustra
comme on sait à Oradour sur Glâne. Mais pour Reagan, Oradour
c’est bien loin de la Californie.
A Paris, qui est quand même plus près, les députés
de droite présents à la séance du parlement du
2 mai, ont préféré, à l’instigation de J.-C.
Gaudin, quitter l’hémicycle pour ne pas avoir à se prononcer
sur l’opportunité de respecter une minute de silence à
l’Assemblée le 7 mai à l’occasion de la Journée
de la Déportation...
***
Le « non » de Mitterrand à Reagan sur la fixation d’une date pour l’ouverture de négociations commerciales en réponse au refus de Reagan d’envisager des discussions monétaires aura au moins eu le mérite d’animer la vie politique intérieure des Etats-Unis. En effet, le Sénat a appelé le 15 mai à « une intervention concertée de Washington et des capitales occidentales sur les marchés des changes afin de faire baisser le dollar. Cela ne plaît pas du tout à l’administration Reagan qui est, par principe, hostile à toute intervention. C’est d’autant plus important que le Sénat américain est à majorité républicaine. Le fait qu’il n’ait pas hésité à s’opposer à la Maison Blanche sur un point fondamental du credo libéral qu’on y professe revèle bien la profondeur du malaise créé par un déficit commercial qui pourrait, cette année, atteindre le niveau record de 140 milliards de dollars. Dans les milieux d’affaires et dans les syndicats les critiques contre le statu quo monétaire prennent parallèlement une ampleur de plus en plus grande.
***
En attendant que la politique libérale de Mme
Thatcher porte ses fruits, le chômage continue à augmenter
en Grande-Bretagne : 30.000 de plus en un mois, ce qui porte le total
à trois millions cent soixante dix sept mille deux cents, soit
13,1 % de la population active. Quant à Reagan, il continue à
ramasser des vestes : le Sénat, pourtant à majorité
républicaine, vient de limiter la hausse du budget du Pentagone
au niveau de l’inflation au lieu des 3 % réels que souhaitait
le président. « Il est illusoire d’espérer que les
Américains vont accepter d’énormes coupes dans les dépenses
civiles tandis que le budget du département de la défense
continuera de s’accroître » a déclaré le sénateur
républicain, auteur de l’amendement.
Aux Etats-Unis toujours, trois actrices américaines sont venues
le 6 mai témoigner devant la Chambre des Représentants
pour tenter d’expliquer aux élus américains la gravité
de la crise de l’agriculture. Le promoteur de l’idée pense que
« ces actrices ont probablement une meilleure compréhension
de problèmes de l’agriculture que l’acteur de la Maison Blanche
».
En tous cas, je vous recommande vivement d’aller voir le film «
Country, les moissons de la colère » dans lequel joue une
de ces actrices, Jessica Lange.
***
Alors que la droite française ne cesse de crier à l’insécurité, ses représentants au Sénat protestent contre le projet de loi tendant à limiter la publicité pour les armes à feu. Ces bons apôtres sont inquiets du préjudice que la réglementation envisagée pourrait porter à certaines industries (Lucien Neuwirth, RPR) et à l’atteinte aux libertés du commerce que le projet contient (Roland du Luart, RI). C’est aussi ça le libéralisme économique !
***
En Suède les élections législatives
vont avoir lieu dans quelques mois. Et que pensez-vous que soit le programme
des conservateurs ? Comme partout ailleurs : réduire sensiblement
les impôts, privatiser les entreprises et offices publics, opérer
des coupes dans les dépenses de l’Etat, favoriser la création
de crèches, garderies et écoles privées, briser
le monopole de la radio-télévision et y introduire la
publicité. En un mot, les conservateurs, les « bourgeois
» comme on les appelle en Suède, pensent que leurs concitoyens
sont trop protégés et que ça lés empêche
de décider de leur propre vie...
Mais, heureusement pour les Suédois, l’opposition conservatrice
est, comme en France, divisée.
« La crainte d’une baisse de la croissance fait
chuter le dollar » (Le Monde, 23 mars). « Panique à
Silicon Valley » (Nouvel Obs., 29 mars). La presse est remplie
de titres et d’articles qui confirment notre analyse (AMERICA, AMERICA
- Grande Relève de janvier). Tant mieux. On aurait pu croire
que la croissance du dernier trimestre 1984 nous donnait tort. En effet,
après une chute régulière et marquante (de 10,1
au 1er trimestre 84, à 1,9 au 3ème trimestre, en passant
par 7,1 au second), les experts s’attendaient à une croissance
de quelque 2% au 4ème trimestre : or, elle fut de 4,3 %.
L’optimisme revenait et, les prévisions pour 1985 se situant
aux environs de 4 % en rythme annuel. Las, les résultats du premier
trimestre 1985 donnent 1,3 % seulement. Rappelons que ces « résultats
» sont obtenus avec un budget militaire qui représente
8,5 % du PNB contre 5,2 sous Carter. L’Europe, dont les crédits
militaires absorbent environ 4 % du PNB, n’est donc pas, en période
de crise capitaliste, avec ses 2 à 3 % de croissance, aussi ridicule
que nos Américanophile forcenés voudraient le faire croire.
Autre confirmation importante : nous évoquions un déficit
possible de 120 milliards de dollars pour le commerce extérieur
; le chiffre, maintenant connu, se révèle même supérieur.
Quant au déficit budgétaire, toujours énorme -
voisin des 200 milliards de dollars - calculé avec des rentrées
fiscales basées sur une croissance relativement forte, il risque
fort de s’aggraver : moins de croissance = moins de profits = moins d’impôts.(1)
« Vous n’avez encore rien vu... La reprise économique sera
pour tout le monde » clamait Reagan le soir de sa triomphale réélection.
La situation des USA - comme celle de tous les pays capitalistes - ne
peut surprendre les distributistes, même si nous savons bien que
le capitalisme à son stade actuel - l’impérialisme des
multinationales - n’a pas dit son dernier mot et n’est pas à
l’agonie. Il est malade, mais il ne craint pas les médecines
de cheval... qu’il fait absorber aux autres pour sa survie : licenciements
massifs, course effrénée aux armements, guerres locales
(on a appris que ces guerres, depuis la fin de la seconde guerre mondiale,
avaient fait plus de 20 millions de morts : ça représente
une certaine quantité de balles, obus, bombes, chars, avions,
etc... et, parallèlement, en ce qui concerne l’Amérique
de Reagan notamment, une réduction drastique des crédits
civils).
En un mot, la fameuse « crise », qui dure depuis plus de
10 ans, qui n’est pas explosive comme celle des années 30 parce
que mieux balisée, est insoluble par l’économie de marché.
Nous le savions, mais la « reprise américaine » depuis
2 ans, chantée par toute la presse de droite - et souvent de
gauche - pouvait contrarier la force de notre argumentation face à
certains interlocuteurs de bonne foi. Aujourd’hui, notre démonstration
est renforcée. Et la montée du dollar, dont on voulait
nous faire croire qu’elle était le reflet de la bonne santé
de l’économie américaine, s’est enfin ressentie des artifices
qui en étaient la cause, en premier lieu le déficit budgétaire.
La différence essentielle avec la crise des années 30
est parfaitement illustrée dans la B.D. que la Grande Relève
vient d’éditer en supplément, B.D. que nous vous recommandons
vivement, en passant, de vous procurer pour la distribuer massivement
; page 3, un graphique porte la légende : « on aboutit
à ce phénomène propre au 20ème siècle :
le chômage augmente en même temps que la production ».
C’est de plus en plus vrai au fur et à mesure que se développent
les technologies, notamment la robotique. Cela est vrai en France comme
ailleurs 300.000 chômeurs de plus en 1984, avec une croissance
de 2 %. On parle, après l’exercice catastrophique de 1984 chez
Renault, d’un « dégraissage » de 50.000 personnes,
SANS DIMINUTION DE LA PRODUCTION.
Une autre baudruche du Paradis Américain est en train de se dégonfler :
le miracle, la relève, le salut, l’Eden de la fin du 20ème
siècle, bref, la Silicon Valley. Le Nouvel Obs. écrit
« Rien ne va plus dans les laboratoires de l’an 2000 : les industries
du futur déposent aujourd’hui leur bilan. Et quand la Californie
éternue... ». Au point qu’au lieu de pointer au chômage
- curieux paradoxe, juste retour des choses ? - 9 informaticiens de haut
niveau ont préféré aller travailler... au Nicaragua
! Tandis que les adolescents, par contre, se suicident.
Il serait fastidieux de citer les firmes qui débauchent, vendent,
ferment leurs portes ou perdent de l’argent. Retenons là encore
simplement qu’il faut se méfier des paradis capitalistes : reprise
de l’économie ou industries miracles de l’avenir.
De plus en plus vont s’imposer, même pour ceux qui ne connaissent
pas les thèses de l’Economie Distributive, des solutions qui
s’en rapprochent involontairement, sous la pression des faits : relisez,
dans la G.R. d’avril, page 11, l’extrait de « La Croix »
du 10 janvier.
C’est donc bien le moment d’agir, même si la tâche est immense
et si, parfois, l’incohérence, aussi bien des dirigeants que
de nos interlocuteurs nous désespère. Mais ne nous y trompons
pas : les « ressources » du « capitalisme en crise
» sont énormes, jusque et y compris, au bout du surarmement,
la guerre, comme en 14, comme en 39, comme chaque année ici ou
là dans le monde, depuis 1945. Une simple constatation : quel
serait le résultat de notre commerce extérieur - sans
compter les chômeurs supplémentaires - sans nos ventes
d’armes à l’IRAK ? Et nous avons, en notre douce France, un régime,
paraît-il, socialiste !
(1) On envisage maintenant, pour 1985, un déficit budgétaire de 230 milliards de dollars, contre 60 sous Carter (Le Monde du 26 avril)
La « carte à mémoire » en
URSS ? Les difficultés n’ont pas manqué pour entraver
l’essor de la carte « à puce » dont la carrière
balbutiante avait débuté il y a quelques années.
Enfin, les trois coups viennent d’être donnés. Les banques
se disent satisfaites mais le commerce risque de traîner les pieds
car il va bien falloir faire passer dans les prix l’amortissement de
coûteux terminaux. L’URSS ne devrait pas connaitre ce genre de
problème. Ayant déjà fait la moitié du chemin
en direction d’un socialisme communautaire à monnaie de consommation,
avec la déprivatisation de ses moyens de distribution et d’échanges,
il lui est loisible de s’épargner la mise en place de terminaux,
ceux-ci étant remplacés par un « lecteur »
très simplifié se bornant à positionner le crédit
porté sur la carte. Salariés, les gérants de distribution
se voient munis d’une carte de paiement analogue à celle de leur
clientèle pour régler leurs propres achats. Chaque gérant
étant assuré de son revenu n’a pas besoin, ici, de transférer
à son crédit le débit enregistré sur les
cartes de sa clientèle. Cessant de circuler au delà de
l’achat, la monnaie sur carte, devenue fongible, n’est plus que le véhicule
d’un avoir sur compte approvisionné par des ouvertures de crédits
notifiées à tout adulte. Il s’agit de revenus gagés
par l’ensemble de la production destinée aux consommateurs, revenus
indépendants des aléas propres à chaque entreprise,
des avatars de l’existence, de la durée du travail.
L’URSS, sa révolution communiste avortée, a enfanté
le capitalisme d’Etat, économie de profit et de plein emploi,
planifiée, centralisée, agressant les idéologies
libérales mais pareillement vulnérable aux pléthores
présentes ou latentes. Que n’a-telle pas découvert les
vertus des thèses d’Edward Bellamy, celles d’un système
à monnaie de consommation ? L’adoptant, elle prendrait rapidement
le leadership mondial dans tous les domaines à la fois recherche,
développement tous azimuts, loisirs, culture, formation, ses
entreprises, ses combinats libérés des sujétions
financières et l’Etat, du souci d’entretenir la circulation de
sa monnaie.
La « Silicon Valley ». Les livraisons de micro-ordinateurs à l’Union Soviétique vont sauver la mise aux entreprises californiennes. Le discours reaganien anti- soviétique ? Du cinéma pour la galerie. Le business, c’est « Vodka-Cola », les grandes embrassades.
26 milliards de dollars « pour les études de faisabilité de la guerre des étoiles ». Au Pentagone, on a vraiment de l’argent à perdre, à moins qu’il s’agisse seulement de transférer l’argent public au bénéfice des bureaux d’études privés. Quant aux contribuables qui se laissent ainsi plumer, victimes du mythe de l’agression soviétique, ils se révèlent toujours aussi tartes.
Excédents et besoins. Sucre : stocks pléthoriques.
Lait : un fleuve en crue. Oléagineux : surproduction. Céréales
: une récolte record. Oeufs : 40 millions d’unités en
excédent chaque semaine. Beurre : les frigos débordent.
Viande : les cours s’effondrent. L’office achète à tour
de bras. Du vin plein les cuves : on distille. A Bruxelles, on sort
les longs couteaux, les producteurs jurant d’en découdre avec
les envahisseurs grecs, espagnols et portugais. Ne parlons ni de l’acier,
ni du pétrole, ni du charbon, ni du cuivre, ni des voitures,
ni du prêt-à-porter, ni du gigantesque effort publicitaire
ciblant une clientèle évanescente, rebutée par
les prix. Faute d’acheteurs, l’Etat doit se porter acquéreur
de centaines de milliers de micro-ordinateurs que l’on s’ingénie
à placer un peu partout, gratuitement. Bref : une caverne d’Ali
Baba dont les richesses narguent la multitude des malchanceux, un pied
de nez à trois millions de chômeurs dont visiblement la
production n’a que faire. Si les syndicats n’ont pas encore pris conscience
de l’inanité de leurs revendications visant l’emploi, de l’inéluctabilité
d’une révolution économique, d’un nécessaire changement
de la règle du jeu consistant à dissocier les revenus
de la durée, de la permanence de l’emploi grâce à
l’usage d’une monnaie de consommation, alors force est de conclure à
la sclérose de leurs instances dirigeantes repliées sur
un passé mort. Dans l’une de ses formulations inimitables, J.
Duboin notait qu’il serait plus facile de faire absorber les surplus
de production par les chômeurs que de faire absorber les chômeurs
par une production qui n’a plus besoin d’eux. Pour cela, il faut envoyer
sur la touche les doctrinaires du libéralisme, du capitalisme
d’Etat, du communisme, du social- capitalisme, de l’autogestion, des
socialismes à enseigne, les réformistes impénitents,
pour laisser place aux utopistes d’hier, à un socialisme communautaire
à monnaie de consommation, distributif de l’abondance.
Le socialisme en quenouille. Après un démarrage spectaculaire,
la politique sociale du Pouvoir est venue buter sur les réalités
financières et celui-ci a dû prendre ses distances avec
l’idéologie socialiste, faute d’avoir appris à s’en libérer.
Du côté des communistes, c’est le même vide doctrinal.
Là aussi, on cherche à surmonter la crise, à créer
des emplois, à soutenir prix et profits en combattant l’abondance.
On claque la porte aux innovateurs- qualifiés, a priori, d’utopistes.
Ainsi se creuse un fossé entre le peuple et un pouvoir incapable
de le satisfaire. Ainsi se constitue au fil des jours et des déceptions
une réserve d’électeurs en attente de quelque chose d’autre,
victimes du profit, de la fiscalité, du chômage, de l’endettement,
de la malchance, d’un environnement hostile, des gaspillages, des mille
nuisances d’un progrès dévoyé par le gain, par
le commerce de l’argent.
En face de la « solution libérale », il n’y a plus
rien hormis la voie d’une révolution économique et monétaire.
Le socialisme s’en est allé en quenouille. Même en Chine,
le profit a commencé à renaitre et à l’Est les
pénuries restent nombreuses. Personne, hormis Edward Bellamy,
ce Jules Verne de l’économie dont le message a été
étouffé depuis un siècle, n’a imaginé d’associer
la socialisation des moyens de production et d’échanges à
un système à monnaie de consommation. Système sans
prix ni monnaie de Marx, capitalisme d’Etat de Lénine, monnaie
à cases de Gesell, tous ont tourné le dos à la
solution de bon sens, universelle. Il faut remonter aux Incas pour en
trouver la première expérience soulignée par de
gigantesques travaux et l’accumulation d’incroyables richesses sans
recours à l’esclavage. Le « quibu » des Incas peut,
dès demain, se retrouver dans la carte de paiement à mémoire,
forme de monnaie de consommation pareillement fongible qu’il appartient
à un groupe de pression de placer sur le bon rail en obtenant,
dans un premier temps, la suppression dans les terminaux de la fonction
de transfert de débit à crédit. La suite ? A chacun
de l’imaginer. De quoi enflammer l’ardeur des chercheurs !
Toujours la censure
L’article suivant a été proposé aux journaux « Le Monde », « Libération », « Le matin » et « l’Humanité »... sans succès. Les rédacteurs en chef de ces journaux ont-ils eu peur de troubler le ron-ron de leurs lecteurs ? Cet article, par contre, n’étonnera pas ceux de la Grande Relève :
Toute réalisation technique est née d’une utopie. De même, tout progrès social est né d’une utopie. La bombe atomique et le congés payés sont nés de la même utopie, qui est de croire que tout est possible, tout peut se réaliser. Croire que le progrès social est plus utopique que le progrès technique prouve que la civilisation technicienne sécrète un mode de pensée qui rejette les idées et les aspirations non conformes à la rationalité dominante ou plutôt l’irrationalité dominante. C’est cette irrationalité dominante qu’incarne le gouvernement lorsqu’il parle de « modernisation industrielle ». En effet, en quoi la réduction du temps de travail est-elle plus utopique que l’automatisation : pierre angulaire de cette modernisation industrielle ?
Dans une société industrielle rationnelle,
l’automatisation libère peu à peu l’homme de son assujettissement
au travail grâce à une réduction progressive du
temps de travail. De plus, le rapport homme-machine s’améliore
du fait que l’accroissement de la productivité n’est plus lié
à l’intensification du travail humain. L’automatisation est donc
synonyme de progrès social puisqu’elle permet un mieux-être.
Or à l’âge de la modernisation industrielle, nous constatons
qu’au contraire, l’automatisation est synonyme de misère, donc
symbole de régression sociale puisqu’elle retire à l’homme
le moyen de subsister en l’excluant totalement de la production. Ce
qui constitue un saut qualitatif dans les moyens de production n’entraîne
pas un saut qualitatif dans les rapports de production.
C’est un fait aujourd’hui que cette modernisation industrielle supprime
plus d’emplois qu’elle n’en crée. Dire que le potentiel humain
nécessaire à la fabrication de robots et d’ordinateurs
permettra une résorption plus ou moins grande du chômage
est une mystification relevant du technocratisme qui caractérise
la politique de l’élite au pouvoir. A la limite l’industrie du
robot et de l’ordinateur fera elle- même appel à l’automatisation
comme d’ailleurs les autres industries du futur. Il est bon de rappeler
que les revendications salariales rendent l’automatisation toujours
plus attrayante pour le chef d’entreprise et l’état-employeur.
L’automatisation permet une accumulation du capital enfin libérée
des conflits sociaux entre salariés et employeurs. D’autre part
accumulation du capital ne veut pas forcément dire investissements
productifs générateurs d’emplois. Préférer
le mot « investissement » à l’expression «
accumulation du capital », C’est faire passer les chefs d’entreprises
et l’état-employeur pour des philanthropes (n’est-ce pas là
l’utopie ou une fourberie).
Nous pouvons dire que l’application technocratique de l’automatisation
dans le monde du travail engendre le sous-emploi. Pourtant il serait
temps de trouver le juste équilibre entre la nécessité
de gagner sa vie et le fait de la perdre en la gagnant, entre le travail
qui aliène et le non-travail qui « marginalise ».
Cela ne peut se traduire que par un partage du travail entre tous pour
que tout le monde puisse travailler mieux et vivre mieux. Le progrès
technique devient progrès social si, mettant fin à l’insuffisance
des biens et la misère, il permet d’abandonner la lutte pour
l’existence au profit du contenu de cette existence. L’irrationalité
dominante réside dans le fait qu’à l’heure de la fusée
Ariane et de la surproduction généralisée, une
fraction grandissante de la société (et du monde) se trouve
privée du minimum vital. En réalité, les privations
endurées par ces nouveaux pauvres permettent le confort plus
ou moins grand des catégories médianes de la société
(ceux qui pensent que le chômage, n’arrive qu’aux autres et aux
fainéants) ainsi que le luxe d’une minorité privilégiée
(les détenteurs des grandes fortunes). Un projet de société
fondé sur le partage du travail est une utopie pour les consciences
obnubilées par la sempiternelle dichotomie manichéenne
gauche-droite qui occulte la vraie question - la question de la cause
finale du développement technologique. Dans la société
technicienne cette question ne se pose plus puisque la vérité
ne se rapporte qu’à ce qui peut être mesuré et calculé.
Productivité, investissement, croissance sont les dogmes économiques
qui font que le progrès technique reste le progrès d’un
travail aliéné et aliénant où l’homme n’est
que l’instrument d’une productivité répressive qui continue
à faire de sa vie un moyen de vivre.
LES THÈSES ÉCONOMIQUES
Reproduisant des extraits du livre de Jacques Duboin, intitulé « Libération » et publié en 1936, nous abordons aujourd’hui les relations entre le travail (manuel ou intellectuel) et la production, le rôle du capital, à travers l’oeuvre de :
Si nous donnons donc aujourd’hui à la valeur
une autre définition que celle qu’affectionnait Marx, nous ne
contestons pas que le travail de l’homme ne doive y occuper une large
place. Mais il entre en ligne de compte pour une quantité de
plus en plus faible au furet à mesure que progressent toutes
les techniques. Qu’on arrête le travail humain pendant quelques
jours, et toutes les richesses accumulées n’empêcheront
pas les gens de mourir de faim, puisqu’on vit, non de la production
passée, mais de la production présente. Moins cette production
présente exigera de main-d’oeuvre, moins elle permettra de réaliser
de plus- value. Si Karl Marx n’a pu le voir, c’est qu’il vivait en pleine
rareté et, nécessairement, il y avait du travail pour
presque tous ceux qui en demandaient Ainsi la masse de capacité
d’achat, sauf en période de crise, était à peu
près en rapport avec la masse des produits offerts. L’équilibre
était obtenu, tant bien que mal, par le truchement des prix.
Qu’un lecteur distrait ne nous fasse pas dire que Marx n’a pas soupçonné
la révolution que l’électricité allait opérer
dans le monde. Bien au contraire, il y a vu une nouvelle base technique
pour toute la grande industrie moderne. Mais une des victimes de la
foudre déchaînée est certainement la fameuse plus-value
capitaliste.
Pendant les premiers âges de l’humanité, la production
est presque entièrement créée par le travail manuel.
Puis apparaît le travail intellectuel qui vient soulager le travail
manuel en se combinant avec lui cette co-existence se constate encore
chez l’artisan.
La prédominance du travail intellectuel va s’affirmer le jour
où il trouve le moyen de s’emparer de l’énergie sous sa
forme naturelle, c’est-à-dire en la dispensant de passer à
travers les muscles de l’homme. C’est à ce moment-là que
s’ouvre l’ère de l’énergie. Cette énergie, en permettant
les productions massives, ne tarde pas à faire succéder
l’abondance à la disette. D’ores et déjà, dans
certaines industries, le travail manuel a presque entièrement
disparu. Dans beaucoup d’autres, le rôle de l’ouvrier se borne
à surveiller et à entretenir l’outillage : il accomplit
donc déjà beaucoup plus de travail intellectuel que de
travail manuel (1).
Cette transformation de l’Arbeitskraft a des conséquences
auxquelles la théorie de la plus-value ne pouvait échapper.
Car si les forces naturelles demeurent infécondes et inutiles
sans l’intervention de l’homme, on ne peut nier que cette intervention
n’est plus à l’échelle de la production désormais
possible. De plus en plus l’homme se borne à amorcer la production
que réalisent les forces physiques ou chimiques dégagées
par son intervention. A quel prix faudrait-il acheter cette intervention
pour espérer que la capacité d’achat soit assez considérable
pour permettre de réaliser la plus-value ? Et même dans
cette folle hypothèse, le but ne serait pas atteint car le travailleur
serait condamné à thésauriser !
Une autre conception essentielle de Karl Marx, est celle où il
explique le rôle du capital dans la production. Ici notre auteur
se place encore dans la réalité des faits. En régime
capitaliste, le capital ne peut rien par lui-même. Que valent
des billets de banque ou de l’or enfermés dans un coffre ? Que
vaut l’outillage le plus puissant et le plus perfectionné s’il
ne tourne pas ?
Mais, toujours dans le même régime, le travail, en lui-même,
pris intrinsèquement, ne peut rien non plus. Le travailleur,
que ce soit à l’usine ou dans les champs, a besoin d’instruments
pour travailler. On traduit la chose en disant que le capital fait au
travail les avances qui lui sont nécessaires, ou en affirmant
que le travail vient vivifier le capital.
Comment le capital peut-il se combiner avec le travail ? Cette question
fait l’objet d’une étude de Marx et l’amène à distinguer
deux sortes de capitaux le capital variable et le capital constant.
Par capital variable, il entend le fonds de roulement. C’est, en quelque
sorte, le fonds des salaires dont parlaient Adam Smith et ses disciples.
Ce capital variable serait entièrement consommé par le
travail, lequel donnera naissance à la plus-value. Quant au capital
constant, c’est celui qui sert à conquérir l’usine, la
terre, l’outillage, bref ce que l’on appelle quelquefois les capitaux
fixes. Celui-ci n’étant pas consommé ne devrait pas contribuer
à former la plus-value. Il est cependant évident que ce
capital constant a été produit lui-même par un travail
antérieur ; ce serait donc du travail cristallisé. Quel
rôle va-t-il jouer dans la production ? Un rôle essentiel
puisqu’il s’identifie avec les instruments de travail dont le travailleur
a besoin. Karl Marx conteste cependant qu’il intervienne dans la formation
de la plus- value. Cependant n’est-ce pas grâce à lui que
le travail va devenir plus productif ? Un ouvrier qui dispose d’une
machine en ordre de marche produira beaucoup plus qu’un ouvrier qui
n’a que la force de ses bras.
Si nous comprenons bien le raisonnement de Karl Marx, l’intervention
du capital constant se bornerait à fournir son propre amortissement,
grâce auquel il répare l’usure qu’il subit. La conclusion
paraît être que le capitaliste a intérêt à
utiliser le plus possible de capital variable et à éviter
de grossir les immobilisations de matériel.
La distinction entre capital variable et capital constant, sous l’angle
de la plus-value, a perdu son intérêt depuis que l’abondance,
succédant à la rareté, provoque la baisse de la
capacité d’achat des clients. Lutte-t-on contre l’abondance pour
ressusciter la rareté, ce sont alors les moyens mis en oeuvre
dans ce but qui accélèrent cette baisse. Et celle-ci se
manifeste quelle que soit la proportion entre le capital constant et
le capital variable.
Avant d’abandonner le sujet, nous ferons une remarque qui ne paraîtra
peut-être pas hors de propos. On proteste quelquefois contre la
prétention qu’aurait le capital, en régime capitaliste,
de faire des avances au travail, ce qui justifierait la part qu’il prélève
dans la production. A cet égard la distinction de Marx entre
le capital constant et le capital variable est fort utile pour éclaircir
le débat. S’il s’agit de capital constant, il n’y a pas de doute
qu’il est avancé au travailleur, puisque ce sont les instruments
de travail qui lui sont nécessaires pour produire. S’il s’agit
du capital variable, c’est-à-dire des salaires, il paraît
très discutable, au contraire, qu’il y ait là une avance
faite au travailleur. Celui-ci, en effet, fournit toujours son travail
avant d’être rémunéré. L’ouvrier est payé
après sa journée faite, comme l’employé ne touche
ses appointements qu’à la fin du mois.
Cependant si le patron n’a rien vendu, ou n’a vendu qu’une partie infime
de la production, il est clair qu’il a avancé les salaires et
les appointements. Mais à qui les avance-t-il ? Au client. C’est
le client qui, en principe, doit tout rembourser en achetant le produit.
Et le patron n’a aucun recours si la capacité d’achat du consommateur
ne lui permet pas de devenir un client.
(1) Exemple : le mécanicien d’un express, le pilote d’un avion, le surveillant d’une centrale électrique, etc...
M. Raoul Moreau, ancien préfet, président
de la Société des autoroutes de Normandie, chargé
par le Comité économique et social de l’lle-de-France
d’étudier la circulation et le stationnement, a présenté
le 28 février 1985 son rapport au C.E.S. qui a adopté
15 propositions draconiennes. La répression du stationnement
anarchique va être renforcée : commandos mobiles de policiers,
pervenches munies d’appareils à clavier électronique au
lieu du carnet à souches, doublement des amendes pour stationnement
gênant (de 150 à 300 F), sabots de Denver, accroissement
des enlèvements et mises en préfourrières puis
fourrières par des entreprises privées (coût 600
à 700 F), pose de caméras aux carrefours et sur le périphérique
pour traquer les brûleurs de feux rouges et les passionnés
de l’accélérateur.
Le nombre de places de stationnement payant sera augmenté. Par
contre les autorités déplorent que les parkings parisiens
soient à moitié vides. La raison est très simple
: tous les usagers ne peuvent se permettent de payer un parking journalier.
Le problème du stationnement est évident. Certains automobilistes
sont d’une désinvolture et d’un manque de civisme inadmissibles.
Le stationnement payant est donc une bonne mesure, comme la répression
des cas véritablement excessifs d’infraction. Les chauffards
doivent être aussi sévèrement punis.
Mais à qui la faute ? La production automobile a toujours été
encouragée parce qu’elle représente un pan important de
notre industrie. La publicité sollicite constamment les consommateurs,
car il faut écouler la production. Et quand la voiture est acquise,
l’automobiliste est pressuré de toutes parts : assurance, vignette,
hausse des carburants, réparations coûteuses en raison
notamment du monopole et du prix excessif des pièces détachées
et de certains abus, amendes pour stationnement.
Alors que tout le système conduit à la prolifération
du nombre de véhicules, on s’étonne ensuite de les voir
déferler sur Paris ! Les mesures qui vont entrer en vigueur ont
sans doute pour but de dissuader les automobilistes d’entrer dans la
capitale et de les encourager à utiliser les transports en commun.
Mais, d’une part, il faudrait que ceux-ci puissent absorber ce surcroît
de voyageurs, et quand on voit l’occupation des rames de métro
aux heures d’affluence on peut en douter, et d’autre part, pour les
habitants de grande banlieue obligés d’utiliser leur véhicule
pour venir travailler à Paris, il faudrait qu’il y ait aux portes
de la capitale ou de la proche banlieue, de grands parkings gratuits.
Les automobilistes ne sont donc pas les seuls responsables de cette
situation explosive qui risque de paralyser rapidement la circulation
parisienne et de la proche banlieue. Les autorités ont leur part
de responsabilité en n’ayant pas fait accompagner la production
automobile des parkings gratuits ou peu coûteux correspondants
et en n’ayant pas développé suffisamment l’importance
et l’attrait des transports en commun. Sans doute des efforts ont été
accomplis prolongements ayant eu pour conséquence l’afflux de
nouveaux voyageurs provoquant ainsi une surcharge et une compression
excessive aux heures d’affluence.
On peut déplorer qu’aucun Comité des usagers n’ait été
formé afin de recueillir leurs critiques et suggestions sur le
développement, l’amélioration et l’accroissement de la
sécurité de ces transports collectifs.
Il est vrai que les décideurs empruntent rarement ceux-ci, et
bénéficient généralement d’une voiture de
fonction et d’emplacements réservés, ce qui leur évite
aussi les tracasseries du stationnement !
L’article qui suit montre l’ambiguïté de certaines déclarations de nos hommes politiques. A partir du texte publié par le P.S. en 1980 et intitulé « Projet Socialiste » André Prime avait retenu page 32 la phrase suivante : « Il ne s’agit pas pour nous d’aménager le système capitaliste mais de lui en substituer un autre », Maurice Laudrain dénonce ici la contradiction qui suit cette déclaration :
Tous les lecteurs de La Grande Relève savent
que les distributistes préparent une action de grande envergure
afin que nul n’ignore que l’économie marchande - qui engendre
le chômage et la pauvreté dans tous les pays développés
- est périmée. Nous expliquerons à tous ceux qui
voudront bien nous entendre que l’économie de la France doit
être mise à l’heure que nous vivons, celle du grand développement
des techniques de production.
C’est une véritable économie socialiste qui s’impose,
et non pas celle d’hier ou d’aujourd’hui que certains qualifient abusivement
de « socialiste » bien qu’elle conserve les institutions
fondamentales de l’économie capitaliste. Jacques Duboin la qualifiait
d’« économie de la rareté », et il démontrait
que la France - comme tous les pays connaissant un grand développement
des techniques de production - doit passer à un stade économique
et social supérieur, celui du « socialisme de l’abondance
» qui implique la sortie de l’économie marchande et son
remplacement par une « économie des besoins » : L’Economie
Distributive.
L’action de grande envergure dont Madame Marie-Louise Duboin-Mon est
l’initiatrice, ne sera féconde que si tous les militants pour
l’Economie Distributive restent fidèles aux enseignements de
Jacques Duboin. Tout au long de sa vie, depuis 1936, Jacques Duboin
nous a mis en garde contre les demi-mesures des « socialistes de
la rareté » dont les socialistes d’aujourd’hui demeurent
de fidèles adeptes.
Il ne faut donc plus que l’on puisse lire sous la signature de militants
distributistes que « seul le remplacement du capitalisme par un
socialisme authentique comme le prévoyait, en 1980, le projet
socialiste, permettrait de résoudre le chômage et la fameuse
« crise » ».
1980, l’année évoquée par cette citation, fut celle
de l’édition par le Parti Socialiste d’un livre de 380 pages
intitulé : « Projet socialiste pour la France des années
80 ». Il n’y est aucunement question de sortir de l’économie
marchande mais seulement de... « l’organiser ». Citons en
quelques lignes fort précises : « Le marché sera
organisé autour d’offices. Ceux-ci assureront aux exploitants
la juste rémunération de leur travail, grâce à
des prix garantis » (page 206).
Nous sommes bien loin de l’enseignement de Jacques Duboin. Les précisions
qu’il donne dans chacun de ses livres sont d’un tout autre ordre. Voici,
par exemple, ce qu’il écrit dans « Rareté et Abondance
» (pages 413 et suivantes) : « Le plan... est conçu
dans le but de produire et de répartir en vue des besoins réels
de toute la population... En dernière analyse, la décision
appartient au pouvoir politique qui doit être l’émanation
de la nation tout entière.. Les établissements (entreprises)
ne sont pas assujettis à l’équilibre comptable. Ne payant
ni appointements, ni salaires, ni les fournitures qui leur sont nécessaires,
ils ne peuvent établir de prix de revient, ce qui importe peu
puisqu’ils n’ont pas de bénéfices à réaliser.
Ils tiennent donc la comptabilité des matières employées
et des temps de travail afin de permettre le contrôle de la fabrication...
»
Autrement dit, il s’agit d’une économie qui n’a pas d’autre objet
que de répondre aux besoins de la population, tous profits et
toute domination patronale étant abolis. Nous sommes sortis de
l’économie de l’achat et de la vente ainsi que de la propriété
privée des entreprises. Le travail peut alors être partagé
entre tous les citoyens valides.
C’est pour une telle société, et seulement pour elle,
que les distributistes lancent une action de grande envergure sur l’ensemble
du territoire français.
Vieux moraliste du bon Monde de l’Economie de notre bonne vieille France au style orné de double négations au parfum anglo-littéraire comme Sirius jadis, voici que M. Paul Fabra s’inquiète*. Au nom de la vraie bonne conscience, celle du réalisme, il entonne le chant désespéré des « Tous coupables » de la déroute financière du Tiers-Monde, où de pauvres banquiers se retrouvent tortionnaires économiques à leur corps défendant, pour le moindre pire des peuples pauvres.
A croire M. Fabra, c’est surtout la faute aux sensibilités
idéalistes de nos tiers-mondistes, qui auraient fait distribuer
en Afrique le lait, le blé et le miel, sans y développer
l’agriculture, entraînant la dépendance alimentaire après
la famine.
De grâce, restons réalistes jusqu’au bout, et observons
honnêtement le passé avant de disserter sur les aspects
« financiers » de la catastrophe.
Les « expériences en Guinée » ont été
systématiquement sabordées dès l’exclusion de ce
pays du bloc C.F.A. Celà ne justifie en rien les politiques désastreuses
de Sékou Touré vieillissant des années 75-84.
Il faudrait faire parler des experts britanniques pour bien décrire
les processus qui ont ruiné le Sud et l’Est de l’Afrique, du
Cap à l’Erythrée (où le recours des staliniens
n’est même plus espéré). René Dumont a bien
montré la diversité des situations qui exige des remèdes
divers, comme le demandent les apôtres du libéralisme,
et à juste titre. Mais l’exemple de l’Afrique Occidentale est
plus proche de nous. Dans le Sahel, la famine existait depuis des siècles,
ponctuellement et de façon sporadique dans de nombreux secteurs,
et l’industrialisation belliqueuse de la période 1850-1950 l’a
sérieusement aggravée. Pour les cinquante dernières
années, l’irresponsabilité des « pouvoirs »,
blanc et noir, colonisés par le pouvoir bancaire, a retardé
de façon catastrophique les actions décisives qu’il faut
mener pour sauver l’eau, le sol et le climat.
De crises économiques en guerres mondiales, les blancs ont «
aidé » les noirs en les armant comme troupes d’assaut,
puis comme clients d’un fructueux commerce où les armes, en échange
de produits de survie, ont pris une part croissante. Contrairement aux
allégations de M. Fabra, les « tiers- mondistes »
ont presque partout inversé le processus d’appauvrissement pendant
des phases de répit où la colonisation, puis la coopération,
ont fonctionné normalement ; et celà sans trop altérer
les traditions culturelles, encore protégées par les obstacles
géoclimatiques africains à la pénétration
des sociétés de profit.
On retrouve ici un problème de fond : la progression insuffisante
du tiers-monde résulte du manque de recherche et de développements
techniques sur le terrain. Pour la base essentielle des cultures vivrières,
le contact entre les paysans noirs et de véritables laboratoires
liant les expériences d’agrométéorologie à
des recherches socio-économiques (demandées par les syndicalistes
africains depuis les années 1950) n’a été pris
que tard, et de façon trop éphémère ; les
structures d’oppression coloniale et financière ont mis les coopérants
les plus énergiques et les plus compétents en extrême
minorité, avec la suicidaire complicité de politiciens
noirs déjà désespérés par des chantres
« réalistes » du style Fabra.
Au point que de jeunes paysans autodidactes sont maintenant présentés
comme les meilleurs défenseurs des paysans noirs. Au cours des
sept dernières années, cette situation accablante a laissé
le terrain à quelques grandes entreprises pirates qui saisissent
les marchés internationaux de la F.A.O., ce qui fait se dégrader
complètement les termes de l’aide.
Aujourd’hui l’urgence des mesures de survie a dépassé
le cadre des régions de famine. Le salut économique et
social de l’ensemble Europe- Afrique ne peut venir que des pays actuellement
riches, bien que la nouvelle pauvreté épuise déjà
nos entreprises de charité individuelle...
Un libéralisme réel exige qu’on lève les masques
et qu’on débusque les faux-fuyants qui entretiennent un mystère
autour de la formation du crédit et du pouvoir bancaire, imposés
de l’extérieur à notre société économique.
Les monétaristes ont raison dans leur description du couplage
entre les circuits de crédit et les circuits économiques,
à cela près qu’il faut remettre pour l’essentiel le pouvoir
du crédit aux véritables acteurs de l’économie
que sont les producteurs et les consommateurs, en démocratie
lucide.
Le pouvoir bancaire est reste le dernier et le plus insaisissable repaire
de l’impérialisme. C’est le seul qu’il nous faille socialiser
pour le bien commun. Depuis Napoléon, successivement vainqueur
et défait par le soutien puis l’abandon d’un gros banquier, en
passant par l’adolescente démocratie américaine et par
la commune de Paris préservant l’or impérial convoité
par M. Thiers, l’histoire est émaillée de méprises
tragiques sur la valeur du crédit réel pour chaque pays.
Cette valeur s’établit tout naturellement si on chiffre correctement
les transferts du crédit investi et si on détruit au fur
et à mesure la quantité de monnaie correspondant à
la consommation. Cette révolution enfin réaliste du crédit
comme représentation des actes économiques permettra d’encourager
l’initiative et la création réelles au lieu de privilégier
la spéculation sur « l’argent » comme valeur en soi.
Du même coup, il deviendra possible de fournir à chaque
être vivant un dividende du nécessaire vital, qui mettra
les individus à l’abri de la pression maladive pour l’emploi-survie,
qui n’a ni réalité, ni justification ; une nation est
un ensemble où tous ne peuvent être productifs en même
temps !
Une telle révolution est-elle concevable sur un grand ensemble
? Le caractère national des habitudes culturelles de relations
et de consommation la rend plus facilement réalisable à
l’échelle des nations, où les hommes sont rapprochés
par la langue, l’histoire et l’échange quotidien.
Avec ses institutions d’études économiques et de gestion,
la France d’aujourd’hui pourrait par une telle transformation devenir
le pays pionnier d’Europe, beaucoup plus durablement qu’elle ne l’a
été après sa sortie du F.M.I., inspirée
par Pinay et obtenue par de Gaulle.
Ce n’est pas la mémoire des atrocités nazies qui pèse
réellement sur le débat entre chefs des nations riches,
mais l’horrible abîme entre les exigences des banquiers et les
réalités des hommes économiques, telles que les
a formulées l’O.N.U.
Le système bancaire est-il aux abois ? Son remplacement est-il
prêt dans les esprits et dans les outils sociaux ? Là est
le réel problème de notre suivie, M. Fabra.
* Dans son article « La dette du Tiers-Monde et l’insuline, Le Monde du 16 avril 1985.
Bien des gens se comportent comme s’ils avaient des
oeillères. Ils critiquent à sens unique en disant qu’en
France, le gouvernement de gauche nous a mis dans la « merde »
avec nos trois millions de chômeurs. Je réponds qu’ils
ont la vue courte, car l’Angleterre bat ce record de chômage,
avec bientôt cinq millions de chômeurs... et un gouvernement
de Droite !
C’est bien là une vision étroite, car si un gouvernement
de gauche et un gouvernement de droite arrivent au même résultat
et ne peuvent pas plus l’un que l’autre créer des emplois, malgré
toutes leurs promesses, c’est bien que la crise économique, dans
les pays industrialisés, n’est pas le fait de la couleur du gouvernement,
mais vient de ce que tous quels qu’ils soient gèrent pareillement
l’économie marchande, avec les mêmes critères de
rentabilité et de profit financier... et tous sont donc également
impuissants devant la crise économique ! Cette crise est la conséquence
du fait que la production est parvenue au stade de la robotisation :
elle crée des produits en abondance mais, évinçant
une main-d’oeuvre qui ne perçoit plus de salaire, elle ne distribue
plus les revenus pour acheter ces produits. Et c’est ainsi qu’une partie
de plus en plus grande de la production devient INVENDABLE et que la
machine économique s’enraie.
Si les consommateurs plongent de plus en plus dans l’insolvabilité,
voire dans la misère, en pleine période d’abondance, faute
d’emplois, ce n’est ni un Mitterrand ou un Marchais, ni un Barre ou
un Chirac, ni un Le Pen, qui leur en donneront, ni qui rétablierons
le circuit production-distribution-consommation !
Il faut changer les structures de l’économie. Il faut abandonner
l’économie de marché, en se décidant à admettre
qu’aujourd’hui le temps de travail ne peut plus servir à mesurer
le pouvoir d’achat.
Dans l’oeuvre de Jack London dont certains livres
sont très connus tels que « crocs Blancs », l’Appel
de la Forêt », le « loup des Mers », il en est
un de tout a fait remarquable mais peut-être le moins connu :
« Le Talon de Fer » qui est un roman social publié
en 1908 dans lequel il prophétise les événements
économiques et sociaux à venir. Jack London avait le génie
de voir ce qui est caché à la foule des hommes et d’anticiper
avec une clairvoyance peu commune.
Adhérant au « Socialist Labour Party » en 1896, il
découvrit en 1903 l’atroce misère des bas-fonds de Londres
ce qui lui suggéra d’écrire « Le peuple de l’Abime
», et le mena par la suite à écrire le « Talon
de Fer ».
Anatole France, qui admira ce livre, accepta d’en écrire la préface
dans une nouvelle édition, en qualifiant le titre de l’ouvrage
de « terme énergique désignant la ploutocratie ».
Dans cet ouvrage, Jack London décrit, avec une sensibilité
indignée, l’exploitation inhumaine du prolétariat de son
époque et il en analyse les conséquences futures sur le
plan économique et social dans un discours, resté célèbre,
qu’il prononça devant un groupe de riches New-Yorkais en décembre
1905.
Ce discours qu’il attribue dans son livre à son héros
Ernest, fut admiré par Trotsky qui écrivit en 1937 à
Madame Jack London, la veuve de l’auteur, une lettre dont j’extrait
certains passages :
« Chère Camarade, j’éprouve une certaine confusion
à vous avouer que c’est avec un retard de 30 ans que j’ai lu
pour la 1re fois le « Talon de Fer » de Jack London. Ce
livre a produit sur mois (je le dis sans exagération) une vive
impression »... « Ce livre m’a frappé par la hardiesse
et l’indépendance de ses précisions dans le domaine de
l’histoire ».
Paul Vaillant-Couturier, dans une autre édition, décrit,
en introduction, Jack London avec admiration et qualifie le «
Talon de Fer » de « livre de grande classe dans l’oeuvre
d’un écrivain que le prolétariat peut revendiquer hardiment
comme l’un des siens ».
Je ne peux m’empêcher de citer ce court extrait du fameux et long
discours de Ernest devant son auditoire de New York : « ... Nous
avons découvert que le travail ne peut racheter avec ses salaires
qu’une partie du produit (qu’il a fabriqué) et que le capital
n’en consomme pas tout le reste. Nous avons trouvé qu’une fois
que le travail avait consommé tout ce que lui permettent ses
salaires, et le capital tout ce dont il a besoin, il restait encore
un surplus disponible. Nous avons reconnu qu’on ne pouvait disposer
de cette balance qu’à l’étranger. Nous sommes convenus
que l’écoulement du trop-plein dans un pays neuf avait pour effet
d’en développer les ressources, de sorte qu’en peut de temps,
ce pays, à son tour se trouvait surchargé d’un trop plein
(par suite de son développement économique). Nous avons
étendu ce procédé à toutes les régions
de la planète jusqu’à ce que chacune s’encombre d’année
en année et de jour en jour, d’un surplus dont elle ne peut se
débarrasser sur aucune autre contrée. Et maintenant encore
une fois, je vous le demande, qu’allons- nous faire de ces excédents
? »
Après avoir écrit ce petit article, je garde l’espoir
que le « Talon de Fer » soit lu par le plus grand nombre
de jeunes. Si chaque lecteur de la « Grande Relève »
pouvait se procurer ce livre (en neuf ou d’occasion) et l’offrir à
un jeune, je crois qu’il y aurait là une oeuvre utile à
accomplir.
(Je crois que ce livre existe dans la collection « 10-18 »
dans la série « L’appel de la Vie » de l’Union Général
d’Editions 8, rue Garancière, 75006 Paris, et peutêtre,
en livre de poche).
« Mais alors pourquoi le Pape, chef suprême de l’Eglise, du haut de son infaillibilité que lui confèrent les dogmes, ne lance-t-il pas l’anathème contre les fauteurs de génocide ? Pourquoi ne dénonce-t-il pas solennellement les Etats et les systèmes économiques et sociaux qui bafouent cyniquement les droits de l’homme ? Pourquoi ne frappe-t-il pas d’excommunication Reagan et Brejnev, les affairistes de tout poil et d’abord les trafiquants d’armes et les sociétés multinationales qui pillent et affament ? »
(Jean Malrieu - GR d’avril 1982)
Retenons cette date. Elle servira de point de repère
à ce qui va suivre. Exactement trois années viennent de
s’écouler. Que s’est-il passé depuis ce laps de temps
? Beaucoup de choses évidemment, sauf l’anathème et l’excommunication
papale si impérativement demandés par Malrieu. Et pour
cause ! Un simple rappel de certains faits aideront mieux à comprendre
cette lamentable carence.
Lors de la disparition de L. Brejnev, « homme d’Etat de grande
stature », dit Jean-Paul II dans son message », à
l’occasion du grand deuil qui frappe l’Union des Républiques
Socialistes Soviétiques après la mort de M. Brejnev qui
a joué un rôle si important dans la vie et les rapports
internationaux, j’exprime à votre excellence (le Président
du Presidium) mes vives condoléances en l’assurant d’une pensée
particulière à la mémoire de l’illustre disparu ».
On a beau se dire qu’il faut faire la part des choses, tout de même
! Il n’y a plus de suppôt de Satan et autres aménités,
plus de goulag, de génocide et de violation des Droits de l’Homme.
C’est tout juste si l’on ne vient pas nous dire que des messes seront
dites pour le repos de l’âme de ces ci-devant forbans d’où
nous vient tout le mal. Il est vrai que le Christ a dit qu’il fallait
pardonner à ses pires ennemis...
Ce qui me surprend en l’affaire, c’est de voir le camarade Jean Malrieu
attendre une sanction papale... J’ai du mal à comprendre qu’un
homme si avisé et compétent en la matière se fasse
des illusions au sujet de Jean- Paul Il et de son éventuelle
influence dans les affaires du monde. Bien entendu, je ne vais tout
de même pas dire comme Staline (un autre « illustre homme
d’Etat », dirait Jean-Paul il) : « Le Pape ? combien de divisions
? », ce qui serait excessif de ma part. Cependant, Jean Malrieu
n’ignore pas qu’à partir d’un certain degré de perversion
chez les grands décideurs, et le Pape en est un, quoique de nature
particulière, le critère éthique dont on se sert
pour mesurer le comportement de ces messieurs change du tout au tout
au gré des circonstances, et non des idéaux dont on se
prétend l’ardent défenseur. Ce qui explique, mais ne justifie
pas, que le même qui prône la doctrine du Christ ici, devienne
le complice « objectif », mais complice tout de même,
des pires gredins de la scène politique là. Ignore-t-il,
Malrieu, que lors de la minable équipée des Malouines,
c’est Jean-Paul Il qui « organisa » un de ces ostentatoires
« one man show » dont il a le secret, allant donner, outre
son cautionnement spirituel, l’accolade fraternelle (ou paternelle,
allez savoir), au sinistre général Galtieri, chef du gouvernement
de coquins qui, non seulement mirent à sac le pays, mais furent
honnis et vomis parla population excédée, accusés
qu’ils étaient de crimes de lèse- humanité, puis
traduits devant les tribunaux pour délit de droit commun. Les
mères de la place de Mai à Buenos-Aires sont toujours
là pour témoigner. Un détail : un crucifix est toujours
accroché au-dessus du tribunal, présidé, à
l’époque, par le non moins de triste mémoire général
Videla. Et d’un !
Ignore-t-il, Malrieu, la triomphaliste visite de Jean-Paul II aux Philippines,
saluant, comme délégué de la Nation, le sanguinaire
dictateur Marcos (et Madame) dont on connait le terrifiant curriculum
vitae, mais trouvant bon de conseiller aux foules ignares et affamées
de ne pas se laisser obséder par l’appétit des biens matériels
! Il y a, comme cela, des choses qui ne s’inventent pas. Et de deux
!
Ferais-je mention des visites à grand spectacle chez les roitelets
d’Afrique où Jean-Paul II passait en revue les troupes qui lui
rendaient les honneurs militaires ? Au Vicaire du Christ ! Et de trois.
Demander, et avec quels accents, l’anathème et l’excommunication
pour les « affairistes de tout poil » relève de la
gageure, sinon de l’humour noir, car ça fait beaucoup de monde.
Croire à je ne sais quels effets d’électro-choc les lénifiantes
homélies dont tout le monde sait ce qu’en vaut l’aune, ce n’est
pas sérieux.
Pensons plutôt à tout ce que ces directeurs de conscience
pourraient faire d’utile en France. Pour commencer. Mais il y a un Rubicon
à franchir.
En attendant, que Malrieu se fasse une raison, il n’y aura pas d’anathème
ni d’excommunication. Ces messieurs s’entendent comme larrons en foire
et je ne désespère pas de voir un jour Rome et Moscou
établir des rapports plus que cordiaux, chacun conservant, mutatis
mutandis, cela va de soi, son idéologie spécifique. On
a déjà vu le Très Chrétien François
1er apostasier, vu que Paris valait bien une messe. On pourrait citer
d’autres exemples...
Les idéologies n’étant que des croyances qui se traduisent
en actes, les deux systèmes antagonistes se complètent
si besoin est. La croyance en une mission rédemptrice du genre
humain postule la domination du monde. Rome et Moscou, ennemis aujourd’hui,
peuvent très bien collaborer demain, surtout si un troisième
larron vient à se manifester, l’islam, peut-être.
On ne sera pas surpris si je fais des réserves sur le comportement
de certains princes de l’Eglise, point chiches en homélies tant
l’art de dorer la pilule aux masses leur est aisé. La crédulité
des masses leur facilite la tâche. On continuera de miser sur
l’artifice appelé coexistence et le tour sera joué. Les
voila acceptant la politique de rigueur, ce qui garantit la puissance
et les profits aux « décideurs », dont les spiritualistes.
Quelle que soit la structure politique de l’Etat, bourgeois, libérai,
capitaliste d’Etat, théocratique si l’occasion se présente.
Ce qui consolide le système qui, lui, ne fonctionne plus. C’est
bien pourquoi l’affranchissement des individus ne peut se concevoir
que sous la forme d’une libération économique radicale.
Tout le reste est de la roupie de sansonnet.
Contre la tendance spirituelle, j’ai envoyé deux articles que
la G.R. publia en son temps (Décembre 1982 puis Février
1984). Le premier, intitulé « Le temporel et le divin »,
le second « Toujours Marx ». Les deux m’ont valu des lettres
courroucées de la part d’abonnés de la G.R. Naturellement,
il m’était reproché ma conception matérialiste
d’aborder le problème de l’affranchissement de l’individu au
sein d’une société distributrice. On m’opposait une conception
« spiritualiste » dont l’imprécision se perd dans
un flou artistique satisfaisant sans doute les esprits imbus de métaphysique
mais dépourvus absolument, selon moi, de toute réalité.
Je répétais avec regret ce que j’avais dit naguère.
J’exposais, une fois de plus, les sources de ma conviction : la «
Contribution à la critique de l’économie politique de
Marx » relevant tout spécialement le passage célèbre
: « Le mode de production de la vie matérielle conditionne
le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle en général.
Ce n’est donc pas la conscience des hommes qui détermine leur
être : c’est inversement leur être social qui détermine
leur conscience ». Puis ce court texte de Jacques Duboin : «
L’histoire des sociétés humaines montre qu’elles ne s’organisent
jamais sur un plan préconçu mais d’après leurs
moyens techniques. »
Je rougis, encore une fois, d’avoir à rappeler ces textes pour
moi essentiels. C’est ce qui m’a permis de comprendre pourquoi «
le minimum vital réclamé à cor et à cri
par les syndicats les plus révolutionnaires était déjà
fourni par les négriers à leurs esclaves pour leur conserver
la santé. C’est le maximum vital qu’il faut exiger aujourd’hui »
(texte encore de Jacques Duboin).
Or, il paraitrait que cette manière de vol, les choses à
la G.R, relèverait d’une conception bassement matérialiste.
N’ayant quant à moi jamais rencontré un « spiritualiste »
se nourrir de rosée matinale, j’en conclus que les « spiritualistes
» sont dans l’erreur ou ne disent pas la vérité.
C’est en se référant au Christ, selon eux, que nous trouverons
solution à tous nos maux. Ce n’est pas le cas de Jean Malrieu,
je m’empresse de le dire, le sachant trop avisé pour savoir à
quoi s’en tenir, mais le fait est que de nombreux spiritualistes, peu
importe la confession à laquelle ils adhèrent, abhorrent
le matérialisme que certains n’hésitent point parfois
à taxer de sordide. Oubliant que c’est grâce à lui
que tous, autant que nous sommes, avons pu émerger du stade de
la bête pour nous élever, progressivement, au stade supérieur
de la société de consommation. Tant il est vrai que ce
n’est pas la morale qui évolue, mais le perfectionnement de ’’appareil
productif qui a permis l’abolition de l’esclavage, pour ne citer que
l’exemple le plus frappant. La morale des sociétés n’a
pas changé Si demain toute forme d’énergie s’éteignait
sur terre, nul doute que nous verrions refleurir la barbarie et l’esclavage.
Cela étant, le camarade Malrieu ne trouvera donc pas étonnant
que je fasse des réserves sur les jugements concernant les déclarations
faites par certains hauts dignitaires de l’Eglise à l’occasion
du voyage de Jean-Paul II en Afrique Noire. Notre camarade, emporté
par un généreux élan, n’hésite pas à
qualifier d’électro-choc, celles faites par l’Archevèque
Lustiger en personne. « J’ai cru que le Christ était ressuscité ! »
s’exclame Malrieu. Pas moins !
J’ai essayé, avec les deux articles sus-nommés, de ramener
ces explosions dithyrambiques à des proportions plus modestes.
En montrant l’inefficacité des déclarations des princes
de l’Eglise, j’ai toujours regretté que ces messieurs n’aient
pas mieux su préciser leur pensée. « Nous perdons
notre âme ! », clame emphatiquement Mgr Lustiger, «
Notre civilisation signe son arrêt de mort quand nous n’accordons
pas aux Africains l’égale dignité des enfants de Dieu ».
Qui n’applaudirait des deux mains ces
belles fleurs de rhétorique ? Hélas ! autant en a emporté
le vent de l’Histoire depuis des siècles. Quoi de fondamentalement
changé depuis lors ? Le Rubicon des préjugés et
la force d’inertie des uns et des autres font qu’il y a une solution
qui échappe à la plupart, fi faut franchir ce Rubicon
Monseigneur, autrement vos accents rappelleront par trop la «
vox clamens in deserto » de biblique mémoire. Avouez qu’à
l’heure de l’électronique et vraisemblablement de la guerre des
étoiles, il nous faut d’autres preuves de votre bonne volonté.
C’est la même réflexion que j’ai portée en Septembre
1982, au fameux appel des évêques. Au fait, qu’a-t-ii donné
de positif cet appel à la solidarité au nom de la charité
chrétienne ? J’en rappelle l’essentiel : « exigeantes, réalistes
et sources d’espérance, renonciation partielle ou totale du cumul
des salaires, au cumul d’une retraite et d’un emploi, recours à
la retraite anticipée », etc...
La presse se mobilisa ; belle occasion de confrontation entre «
croyants » sur l’opportunité ou l’efficacité de
ces mesures. Et puis... silence absolu. L’abbé Pierre a pris
la relève.
Minable fout cela. Et quelle perte d’énergies... Je pense avoir
donné suffisamment d’exemples montrant l’inanité de certaines
initiatives. Les meilleures intentions du monde ne pourront jamais résoudre
le problème de la misère dans l’abondance. Je refuse le
droit de se dire sincère à tout « croyant »
qui ne passe pas contrat entre sa conscience et la réalité
des faits. Si les croyants s’étaient contentés d’invoquer
le Christ, jamais la Sécurité Sociale n’eut vu le jour.
Aujourd’hui, il faut poursuivre l’-Suvre commencée. Franchir,
je le répète, le Rubicon des insuffisances et des petits
calculs. Ii faut le traverser quitte à se mouiller comme viennent
de le faire les amis de « La Croix » en date du 10 janvier
dernier. « Evohé », comme dirait Jean Malrieu. L’encadré
paru dans le dernier numéro de la G.R. de ce mois d’Avril et
transmis par Paul Rosset fera date, n’en doutons pas. Enfin, voilà
qui est savoir se mouiller. Modèle de concision et de clarté,
ce petit texte résume magistralement toute la philosophie de
l’Economie Distributive. C’est l’exemple à proposer à
tous les nostalgiques d’un passé révolu à jamais.
Terminé le temps où le Christ chassait à coups
de fouet les marchands du Temple. Pour quel résultat ? Sortis
par la porte, les marchands rentrèrent par la fenêtre.
Et le veau d’or est toujours debout !
Conclusion : à société nouvelle, évangile
nouveau. Les amis de « La Croix » l’ont parfaitement compris.
Le Christ ne pouvait prévoir l’apparition des « robots
» non plus que l’assainissement des marchés, ni le malthusianisme
agricole et industriel, tous péchés contre l’esprit ; ni
l’armement nucléaire, cette monstruosité impossible à
qualifier, innommable. Jamais le Christ ne s’est trouvé dans
une situation pareille. Qu’aurait-il fait ? Je laisse aux exégètes
le soin de trouver la réponse. Les croyants de « La Croix
» savent, eux, ce qu’ils veulent. Ils ne parlent, eux, ni d’anathème
ni d’excommunication. Réalistes, ils affirment que le chômage
s’accroit dans des proportions alarmantes. Mais si nous continuons à
lier étroitement les revenus au travail, nous allons tout droit,
si ce n’est déjà fait, vers une société
duale : une minorité de privilégiés ayant un emploi
(pour combien de temps encore ?) peut bénéficier abondamment
des bienfaits de la société de consommation, alors qu’une
foule croissante de sous- consommateurs n’y a plus accès.
Affirmer dans ces conditions que l’on va créer des emplois nouveaux
et donner du travail à tous relève d’une illusion criminelle
ou d’une démagogie à courte vue. (Admirons la force de
langage). lis poursuivent : « Le traitement social » du chômage
a déjà trouvé ses limites au prix d’inégalités
flagrantes. Partager le travail. Chimère ! D’ailleurs, est-ce
toujours possible ? Pourquoi pas partager les revenus ? Pas évident,
disent-ils. Mais si l’on accordait à chaque individu, quelle
que soit sa position sur l’échiquier social, un droit à
la subsistance ?
Et pour finir en beauté ce superbe raisonnement, « ce droit
nouveau se traduirait par l’accès de tout citoyen à un
véritable revenu social garanti, formulation contemporaine d’un
minimum vital, distribué par le truchement d’une monnaie dite
de consommation ».
Et ce magnifique exposé, sans la moindre référence
au sacré ! N’est-ce pas formidable ?
Une nouvelle race de « croyants » est née. Evohé !
C’est la parabole de la graine de sénevé moderne. Germination
d’une race de croyants de type nouveau. Pour la première fois
peut-être, ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas,
vont pouvoir marcher la main dans la main pour la conquête de
l’affranchissement économique, préfiguration de l’épanouissement
spirituel.
Paix aux hommes de bonne volonté !
J. Mateu, Parmain