La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 835 - juin 1985

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N° 835 - juin 1985

Non !   (Afficher article seul)

Et toujours l’Amérique   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

L’irrationalité dominante   (Afficher article seul)

Karl MARX - III   (Afficher article seul)

L’automobiliste et le stationnement   (Afficher article seul)

L’heure de l’économie distributive a sonné   (Afficher article seul)

Le système bancaire aux abois   (Afficher article seul)

Une vue courte   (Afficher article seul)

Connaissez-vous Jack LONDON ?   (Afficher article seul)

Le Rubicon   (Afficher article seul)

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Non !

par J.-P. MON
juin 1985

Ainsi donc, à Bonn, le front européen s’est désintégré avant même que commence le « sommet » des sept pays les plus industrialisés du monde.
A peine Reagan était-il arrivé que Mme Thatcher et le chancelier Köhl acceptaient d’ouvrir rapidement de nouvelles négociations avec le GATT (institution internationale chargée d’administrer l’accord sur les tarifs douaniers et le commerce) et cela sans aucune négociation monétaire comme le demandait la France. Même chose en ce qui concerne la « guerre des étoiles », chère à Reagan. On pouvait facilement prévoir le comportement de la Grande-Bretagne puisqu’on sait depuis longtemps que ce pays est un bastion avancé des Etats-Unis en Europe et que Mme Thatcher ne peut rien refuser à Reagan. (S’il y a d’ailleurs un point - le seul peut-être - sur lequel j’ai approuvé de Gaulle, c’est bien celui de refuser l’entrée de la Grande-Bretagne dans le marché commun !). Par contre, à première vue, l’attitude du chancelier allemand peut paraître surprenante, mais à première vue seulement. C’est qu’en effet il existe en Allemagne de l’Ouest un nationalisme de gauche et un nationalisme de droite. Pour le courant de gauche, l’Allemagne doit occuper une position centrale en Europe (ni à l’Est ni à l’Ouest). Le courant de droite, « revanchard », se manifeste abondamment au sein du parti du chancelier Köhl, qui, soucieux d’éviter les divisions, ne le fait pas taire. Ce courant renoue avec la croisade anticommuniste des années 50 et tient pour prioritaire l’alliance avec les Etats-Unis. Il se méfie de l’Europe par crainte qu’elle n’affaiblisse cette relation prioritaire et idéologique. Ce courant flatte un électorat dans lequel la capitulation de 1945 a laissé un souvenir amer et qui voudrait pouvoir être allemand sans honte et sans mélange. D’où la visite de Reagan au cimetière de Bitburg où sont enterrés des SS dont certains de la célèbre division « Das Reich » qui s’illustra comme on sait à Oradour sur Glâne. Mais pour Reagan, Oradour c’est bien loin de la Californie.
A Paris, qui est quand même plus près, les députés de droite présents à la séance du parlement du 2 mai, ont préféré, à l’instigation de J.-C. Gaudin, quitter l’hémicycle pour ne pas avoir à se prononcer sur l’opportunité de respecter une minute de silence à l’Assemblée le 7 mai à l’occasion de la Journée de la Déportation...

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Le « non » de Mitterrand à Reagan sur la fixation d’une date pour l’ouverture de négociations commerciales en réponse au refus de Reagan d’envisager des discussions monétaires aura au moins eu le mérite d’animer la vie politique intérieure des Etats-Unis. En effet, le Sénat a appelé le 15 mai à « une intervention concertée de Washington et des capitales occidentales sur les marchés des changes afin de faire baisser le dollar. Cela ne plaît pas du tout à l’administration Reagan qui est, par principe, hostile à toute intervention. C’est d’autant plus important que le Sénat américain est à majorité républicaine. Le fait qu’il n’ait pas hésité à s’opposer à la Maison Blanche sur un point fondamental du credo libéral qu’on y professe revèle bien la profondeur du malaise créé par un déficit commercial qui pourrait, cette année, atteindre le niveau record de 140 milliards de dollars. Dans les milieux d’affaires et dans les syndicats les critiques contre le statu quo monétaire prennent parallèlement une ampleur de plus en plus grande.

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En attendant que la politique libérale de Mme  Thatcher porte ses fruits, le chômage continue à augmenter en Grande-Bretagne : 30.000 de plus en un mois, ce qui porte le total à trois millions cent soixante dix sept mille deux cents, soit 13,1 % de la population active. Quant à Reagan, il continue à ramasser des vestes : le Sénat, pourtant à majorité républicaine, vient de limiter la hausse du budget du Pentagone au niveau de l’inflation au lieu des 3 % réels que souhaitait le président. « Il est illusoire d’espérer que les Américains vont accepter d’énormes coupes dans les dépenses civiles tandis que le budget du département de la défense continuera de s’accroître » a déclaré le sénateur républicain, auteur de l’amendement.
Aux Etats-Unis toujours, trois actrices américaines sont venues le 6 mai témoigner devant la Chambre des Représentants pour tenter d’expliquer aux élus américains la gravité de la crise de l’agriculture. Le promoteur de l’idée pense que « ces actrices ont probablement une meilleure compréhension de problèmes de l’agriculture que l’acteur de la Maison Blanche  ».
En tous cas, je vous recommande vivement d’aller voir le film «  Country, les moissons de la colère » dans lequel joue une de ces actrices, Jessica Lange.

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Alors que la droite française ne cesse de crier à l’insécurité, ses représentants au Sénat protestent contre le projet de loi tendant à limiter la publicité pour les armes à feu. Ces bons apôtres sont inquiets du préjudice que la réglementation envisagée pourrait porter à certaines industries (Lucien Neuwirth, RPR) et à l’atteinte aux libertés du commerce que le projet contient (Roland du Luart, RI). C’est aussi ça le libéralisme économique  !

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En Suède les élections législatives vont avoir lieu dans quelques mois. Et que pensez-vous que soit le programme des conservateurs ? Comme partout ailleurs : réduire sensiblement les impôts, privatiser les entreprises et offices publics, opérer des coupes dans les dépenses de l’Etat, favoriser la création de crèches, garderies et écoles privées, briser le monopole de la radio-télévision et y introduire la publicité. En un mot, les conservateurs, les « bourgeois  » comme on les appelle en Suède, pensent que leurs concitoyens sont trop protégés et que ça lés empêche de décider de leur propre vie...
Mais, heureusement pour les Suédois, l’opposition conservatrice est, comme en France, divisée.

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Et toujours l’Amérique

par A. PRIME
juin 1985

« La crainte d’une baisse de la croissance fait chuter le dollar » (Le Monde, 23 mars). « Panique à Silicon Valley » (Nouvel Obs., 29 mars). La presse est remplie de titres et d’articles qui confirment notre analyse (AMERICA, AMERICA - Grande Relève de janvier). Tant mieux. On aurait pu croire que la croissance du dernier trimestre 1984 nous donnait tort. En effet, après une chute régulière et marquante (de 10,1 au 1er trimestre 84, à 1,9 au 3ème trimestre, en passant par 7,1 au second), les experts s’attendaient à une croissance de quelque 2% au 4ème trimestre : or, elle fut de 4,3 %.
L’optimisme revenait et, les prévisions pour 1985 se situant aux environs de 4 % en rythme annuel. Las, les résultats du premier trimestre 1985 donnent 1,3 % seulement. Rappelons que ces « résultats  » sont obtenus avec un budget militaire qui représente 8,5 % du PNB contre 5,2 sous Carter. L’Europe, dont les crédits militaires absorbent environ 4 % du PNB, n’est donc pas, en période de crise capitaliste, avec ses 2 à 3 % de croissance, aussi ridicule que nos Américanophile forcenés voudraient le faire croire.
Autre confirmation importante : nous évoquions un déficit possible de 120 milliards de dollars pour le commerce extérieur  ; le chiffre, maintenant connu, se révèle même supérieur. Quant au déficit budgétaire, toujours énorme - voisin des 200 milliards de dollars - calculé avec des rentrées fiscales basées sur une croissance relativement forte, il risque fort de s’aggraver : moins de croissance = moins de profits = moins d’impôts.(1)
« Vous n’avez encore rien vu... La reprise économique sera pour tout le monde » clamait Reagan le soir de sa triomphale réélection. La situation des USA - comme celle de tous les pays capitalistes - ne peut surprendre les distributistes, même si nous savons bien que le capitalisme à son stade actuel - l’impérialisme des multinationales - n’a pas dit son dernier mot et n’est pas à l’agonie. Il est malade, mais il ne craint pas les médecines de cheval... qu’il fait absorber aux autres pour sa survie : licenciements massifs, course effrénée aux armements, guerres locales (on a appris que ces guerres, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avaient fait plus de 20 millions de morts : ça représente une certaine quantité de balles, obus, bombes, chars, avions, etc... et, parallèlement, en ce qui concerne l’Amérique de Reagan notamment, une réduction drastique des crédits civils).
En un mot, la fameuse « crise », qui dure depuis plus de 10 ans, qui n’est pas explosive comme celle des années 30 parce que mieux balisée, est insoluble par l’économie de marché. Nous le savions, mais la « reprise américaine » depuis 2 ans, chantée par toute la presse de droite - et souvent de gauche - pouvait contrarier la force de notre argumentation face à certains interlocuteurs de bonne foi. Aujourd’hui, notre démonstration est renforcée. Et la montée du dollar, dont on voulait nous faire croire qu’elle était le reflet de la bonne santé de l’économie américaine, s’est enfin ressentie des artifices qui en étaient la cause, en premier lieu le déficit budgétaire.
La différence essentielle avec la crise des années 30 est parfaitement illustrée dans la B.D. que la Grande Relève vient d’éditer en supplément, B.D. que nous vous recommandons vivement, en passant, de vous procurer pour la distribuer massivement  ; page 3, un graphique porte la légende : « on aboutit à ce phénomène propre au 20ème siècle : le chômage augmente en même temps que la production ». C’est de plus en plus vrai au fur et à mesure que se développent les technologies, notamment la robotique. Cela est vrai en France comme ailleurs 300.000 chômeurs de plus en 1984, avec une croissance de 2 %. On parle, après l’exercice catastrophique de 1984 chez Renault, d’un « dégraissage » de 50.000 personnes, SANS DIMINUTION DE LA PRODUCTION.
Une autre baudruche du Paradis Américain est en train de se dégonfler : le miracle, la relève, le salut, l’Eden de la fin du 20ème siècle, bref, la Silicon Valley. Le Nouvel Obs. écrit « Rien ne va plus dans les laboratoires de l’an 2000 : les industries du futur déposent aujourd’hui leur bilan. Et quand la Californie éternue... ». Au point qu’au lieu de pointer au chômage - curieux paradoxe, juste retour des choses ? - 9 informaticiens de haut niveau ont préféré aller travailler... au Nicaragua  ! Tandis que les adolescents, par contre, se suicident.
Il serait fastidieux de citer les firmes qui débauchent, vendent, ferment leurs portes ou perdent de l’argent. Retenons là encore simplement qu’il faut se méfier des paradis capitalistes : reprise de l’économie ou industries miracles de l’avenir.
De plus en plus vont s’imposer, même pour ceux qui ne connaissent pas les thèses de l’Economie Distributive, des solutions qui s’en rapprochent involontairement, sous la pression des faits : relisez, dans la G.R. d’avril, page 11, l’extrait de « La Croix » du 10 janvier.
C’est donc bien le moment d’agir, même si la tâche est immense et si, parfois, l’incohérence, aussi bien des dirigeants que de nos interlocuteurs nous désespère. Mais ne nous y trompons pas : les « ressources » du « capitalisme en crise  » sont énormes, jusque et y compris, au bout du surarmement, la guerre, comme en 14, comme en 39, comme chaque année ici ou là dans le monde, depuis 1945. Une simple constatation : quel serait le résultat de notre commerce extérieur - sans compter les chômeurs supplémentaires - sans nos ventes d’armes à l’IRAK ? Et nous avons, en notre douce France, un régime, paraît-il, socialiste !

(1) On envisage maintenant, pour 1985, un déficit budgétaire de 230 milliards de dollars, contre 60 sous Carter (Le Monde du 26 avril)

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Au fil des jours

par H. MULLER
juin 1985

La « carte à mémoire » en URSS ? Les difficultés n’ont pas manqué pour entraver l’essor de la carte « à puce » dont la carrière balbutiante avait débuté il y a quelques années. Enfin, les trois coups viennent d’être donnés. Les banques se disent satisfaites mais le commerce risque de traîner les pieds car il va bien falloir faire passer dans les prix l’amortissement de coûteux terminaux. L’URSS ne devrait pas connaitre ce genre de problème. Ayant déjà fait la moitié du chemin en direction d’un socialisme communautaire à monnaie de consommation, avec la déprivatisation de ses moyens de distribution et d’échanges, il lui est loisible de s’épargner la mise en place de terminaux, ceux-ci étant remplacés par un « lecteur » très simplifié se bornant à positionner le crédit porté sur la carte. Salariés, les gérants de distribution se voient munis d’une carte de paiement analogue à celle de leur clientèle pour régler leurs propres achats. Chaque gérant étant assuré de son revenu n’a pas besoin, ici, de transférer à son crédit le débit enregistré sur les cartes de sa clientèle. Cessant de circuler au delà de l’achat, la monnaie sur carte, devenue fongible, n’est plus que le véhicule d’un avoir sur compte approvisionné par des ouvertures de crédits notifiées à tout adulte. Il s’agit de revenus gagés par l’ensemble de la production destinée aux consommateurs, revenus indépendants des aléas propres à chaque entreprise, des avatars de l’existence, de la durée du travail.
L’URSS, sa révolution communiste avortée, a enfanté le capitalisme d’Etat, économie de profit et de plein emploi, planifiée, centralisée, agressant les idéologies libérales mais pareillement vulnérable aux pléthores présentes ou latentes. Que n’a-telle pas découvert les vertus des thèses d’Edward Bellamy, celles d’un système à monnaie de consommation ? L’adoptant, elle prendrait rapidement le leadership mondial dans tous les domaines à la fois recherche, développement tous azimuts, loisirs, culture, formation, ses entreprises, ses combinats libérés des sujétions financières et l’Etat, du souci d’entretenir la circulation de sa monnaie.

La « Silicon Valley ». Les livraisons de micro-ordinateurs à l’Union Soviétique vont sauver la mise aux entreprises californiennes. Le discours reaganien anti- soviétique  ? Du cinéma pour la galerie. Le business, c’est « Vodka-Cola  », les grandes embrassades.

26 milliards de dollars « pour les études de faisabilité de la guerre des étoiles ». Au Pentagone, on a vraiment de l’argent à perdre, à moins qu’il s’agisse seulement de transférer l’argent public au bénéfice des bureaux d’études privés. Quant aux contribuables qui se laissent ainsi plumer, victimes du mythe de l’agression soviétique, ils se révèlent toujours aussi tartes.

Excédents et besoins. Sucre : stocks pléthoriques. Lait : un fleuve en crue. Oléagineux : surproduction. Céréales  : une récolte record. Oeufs : 40 millions d’unités en excédent chaque semaine. Beurre : les frigos débordent. Viande : les cours s’effondrent. L’office achète à tour de bras. Du vin plein les cuves : on distille. A Bruxelles, on sort les longs couteaux, les producteurs jurant d’en découdre avec les envahisseurs grecs, espagnols et portugais. Ne parlons ni de l’acier, ni du pétrole, ni du charbon, ni du cuivre, ni des voitures, ni du prêt-à-porter, ni du gigantesque effort publicitaire ciblant une clientèle évanescente, rebutée par les prix. Faute d’acheteurs, l’Etat doit se porter acquéreur de centaines de milliers de micro-ordinateurs que l’on s’ingénie à placer un peu partout, gratuitement. Bref : une caverne d’Ali Baba dont les richesses narguent la multitude des malchanceux, un pied de nez à trois millions de chômeurs dont visiblement la production n’a que faire. Si les syndicats n’ont pas encore pris conscience de l’inanité de leurs revendications visant l’emploi, de l’inéluctabilité d’une révolution économique, d’un nécessaire changement de la règle du jeu consistant à dissocier les revenus de la durée, de la permanence de l’emploi grâce à l’usage d’une monnaie de consommation, alors force est de conclure à la sclérose de leurs instances dirigeantes repliées sur un passé mort. Dans l’une de ses formulations inimitables, J. Duboin notait qu’il serait plus facile de faire absorber les surplus de production par les chômeurs que de faire absorber les chômeurs par une production qui n’a plus besoin d’eux. Pour cela, il faut envoyer sur la touche les doctrinaires du libéralisme, du capitalisme d’Etat, du communisme, du social- capitalisme, de l’autogestion, des socialismes à enseigne, les réformistes impénitents, pour laisser place aux utopistes d’hier, à un socialisme communautaire à monnaie de consommation, distributif de l’abondance.
Le socialisme en quenouille. Après un démarrage spectaculaire, la politique sociale du Pouvoir est venue buter sur les réalités financières et celui-ci a dû prendre ses distances avec l’idéologie socialiste, faute d’avoir appris à s’en libérer. Du côté des communistes, c’est le même vide doctrinal. Là aussi, on cherche à surmonter la crise, à créer des emplois, à soutenir prix et profits en combattant l’abondance. On claque la porte aux innovateurs- qualifiés, a priori, d’utopistes.
Ainsi se creuse un fossé entre le peuple et un pouvoir incapable de le satisfaire. Ainsi se constitue au fil des jours et des déceptions une réserve d’électeurs en attente de quelque chose d’autre, victimes du profit, de la fiscalité, du chômage, de l’endettement, de la malchance, d’un environnement hostile, des gaspillages, des mille nuisances d’un progrès dévoyé par le gain, par le commerce de l’argent.
En face de la « solution libérale », il n’y a plus rien hormis la voie d’une révolution économique et monétaire. Le socialisme s’en est allé en quenouille. Même en Chine, le profit a commencé à renaitre et à l’Est les pénuries restent nombreuses. Personne, hormis Edward Bellamy, ce Jules Verne de l’économie dont le message a été étouffé depuis un siècle, n’a imaginé d’associer la socialisation des moyens de production et d’échanges à un système à monnaie de consommation. Système sans prix ni monnaie de Marx, capitalisme d’Etat de Lénine, monnaie à cases de Gesell, tous ont tourné le dos à la solution de bon sens, universelle. Il faut remonter aux Incas pour en trouver la première expérience soulignée par de gigantesques travaux et l’accumulation d’incroyables richesses sans recours à l’esclavage. Le « quibu » des Incas peut, dès demain, se retrouver dans la carte de paiement à mémoire, forme de monnaie de consommation pareillement fongible qu’il appartient à un groupe de pression de placer sur le bon rail en obtenant, dans un premier temps, la suppression dans les terminaux de la fonction de transfert de débit à crédit. La suite ? A chacun de l’imaginer. De quoi enflammer l’ardeur des chercheurs !

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Toujours la censure

L’article suivant a été proposé aux journaux « Le Monde », « Libération », « Le matin » et « l’Humanité »... sans succès. Les rédacteurs en chef de ces journaux ont-ils eu peur de troubler le ron-ron de leurs lecteurs ? Cet article, par contre, n’étonnera pas ceux de la Grande Relève :

L’irrationalité dominante

par É. LALLEMAND
juin 1985

Toute réalisation technique est née d’une utopie. De même, tout progrès social est né d’une utopie. La bombe atomique et le congés payés sont nés de la même utopie, qui est de croire que tout est possible, tout peut se réaliser. Croire que le progrès social est plus utopique que le progrès technique prouve que la civilisation technicienne sécrète un mode de pensée qui rejette les idées et les aspirations non conformes à la rationalité dominante ou plutôt l’irrationalité dominante. C’est cette irrationalité dominante qu’incarne le gouvernement lorsqu’il parle de « modernisation industrielle ». En effet, en quoi la réduction du temps de travail est-elle plus utopique que l’automatisation  : pierre angulaire de cette modernisation industrielle ?

Dans une société industrielle rationnelle, l’automatisation libère peu à peu l’homme de son assujettissement au travail grâce à une réduction progressive du temps de travail. De plus, le rapport homme-machine s’améliore du fait que l’accroissement de la productivité n’est plus lié à l’intensification du travail humain. L’automatisation est donc synonyme de progrès social puisqu’elle permet un mieux-être. Or à l’âge de la modernisation industrielle, nous constatons qu’au contraire, l’automatisation est synonyme de misère, donc symbole de régression sociale puisqu’elle retire à l’homme le moyen de subsister en l’excluant totalement de la production. Ce qui constitue un saut qualitatif dans les moyens de production n’entraîne pas un saut qualitatif dans les rapports de production.
C’est un fait aujourd’hui que cette modernisation industrielle supprime plus d’emplois qu’elle n’en crée. Dire que le potentiel humain nécessaire à la fabrication de robots et d’ordinateurs permettra une résorption plus ou moins grande du chômage est une mystification relevant du technocratisme qui caractérise la politique de l’élite au pouvoir. A la limite l’industrie du robot et de l’ordinateur fera elle- même appel à l’automatisation comme d’ailleurs les autres industries du futur. Il est bon de rappeler que les revendications salariales rendent l’automatisation toujours plus attrayante pour le chef d’entreprise et l’état-employeur. L’automatisation permet une accumulation du capital enfin libérée des conflits sociaux entre salariés et employeurs. D’autre part accumulation du capital ne veut pas forcément dire investissements productifs générateurs d’emplois. Préférer le mot « investissement » à l’expression «  accumulation du capital », C’est faire passer les chefs d’entreprises et l’état-employeur pour des philanthropes (n’est-ce pas là l’utopie ou une fourberie).
Nous pouvons dire que l’application technocratique de l’automatisation dans le monde du travail engendre le sous-emploi. Pourtant il serait temps de trouver le juste équilibre entre la nécessité de gagner sa vie et le fait de la perdre en la gagnant, entre le travail qui aliène et le non-travail qui « marginalise ». Cela ne peut se traduire que par un partage du travail entre tous pour que tout le monde puisse travailler mieux et vivre mieux. Le progrès technique devient progrès social si, mettant fin à l’insuffisance des biens et la misère, il permet d’abandonner la lutte pour l’existence au profit du contenu de cette existence. L’irrationalité dominante réside dans le fait qu’à l’heure de la fusée Ariane et de la surproduction généralisée, une fraction grandissante de la société (et du monde) se trouve privée du minimum vital. En réalité, les privations endurées par ces nouveaux pauvres permettent le confort plus ou moins grand des catégories médianes de la société (ceux qui pensent que le chômage, n’arrive qu’aux autres et aux fainéants) ainsi que le luxe d’une minorité privilégiée (les détenteurs des grandes fortunes). Un projet de société fondé sur le partage du travail est une utopie pour les consciences obnubilées par la sempiternelle dichotomie manichéenne gauche-droite qui occulte la vraie question - la question de la cause finale du développement technologique. Dans la société technicienne cette question ne se pose plus puisque la vérité ne se rapporte qu’à ce qui peut être mesuré et calculé. Productivité, investissement, croissance sont les dogmes économiques qui font que le progrès technique reste le progrès d’un travail aliéné et aliénant où l’homme n’est que l’instrument d’une productivité répressive qui continue à faire de sa vie un moyen de vivre.

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LES THÈSES ÉCONOMIQUES

Reproduisant des extraits du livre de Jacques Duboin, intitulé « Libération » et publié en 1936, nous abordons aujourd’hui les relations entre le travail (manuel ou intellectuel) et la production, le rôle du capital, à travers l’oeuvre de :

Karl MARX - III

par J. DUBOIN
juin 1985

Si nous donnons donc aujourd’hui à la valeur une autre définition que celle qu’affectionnait Marx, nous ne contestons pas que le travail de l’homme ne doive y occuper une large place. Mais il entre en ligne de compte pour une quantité de plus en plus faible au furet à mesure que progressent toutes les techniques. Qu’on arrête le travail humain pendant quelques jours, et toutes les richesses accumulées n’empêcheront pas les gens de mourir de faim, puisqu’on vit, non de la production passée, mais de la production présente. Moins cette production présente exigera de main-d’oeuvre, moins elle permettra de réaliser de plus- value. Si Karl Marx n’a pu le voir, c’est qu’il vivait en pleine rareté et, nécessairement, il y avait du travail pour presque tous ceux qui en demandaient Ainsi la masse de capacité d’achat, sauf en période de crise, était à peu près en rapport avec la masse des produits offerts. L’équilibre était obtenu, tant bien que mal, par le truchement des prix.
Qu’un lecteur distrait ne nous fasse pas dire que Marx n’a pas soupçonné la révolution que l’électricité allait opérer dans le monde. Bien au contraire, il y a vu une nouvelle base technique pour toute la grande industrie moderne. Mais une des victimes de la foudre déchaînée est certainement la fameuse plus-value capitaliste.
Pendant les premiers âges de l’humanité, la production est presque entièrement créée par le travail manuel. Puis apparaît le travail intellectuel qui vient soulager le travail manuel en se combinant avec lui cette co-existence se constate encore chez l’artisan.
La prédominance du travail intellectuel va s’affirmer le jour où il trouve le moyen de s’emparer de l’énergie sous sa forme naturelle, c’est-à-dire en la dispensant de passer à travers les muscles de l’homme. C’est à ce moment-là que s’ouvre l’ère de l’énergie. Cette énergie, en permettant les productions massives, ne tarde pas à faire succéder l’abondance à la disette. D’ores et déjà, dans certaines industries, le travail manuel a presque entièrement disparu. Dans beaucoup d’autres, le rôle de l’ouvrier se borne à surveiller et à entretenir l’outillage : il accomplit donc déjà beaucoup plus de travail intellectuel que de travail manuel (1).

Cette transformation de l’Arbeitskraft a des conséquences auxquelles la théorie de la plus-value ne pouvait échapper. Car si les forces naturelles demeurent infécondes et inutiles sans l’intervention de l’homme, on ne peut nier que cette intervention n’est plus à l’échelle de la production désormais possible. De plus en plus l’homme se borne à amorcer la production que réalisent les forces physiques ou chimiques dégagées par son intervention. A quel prix faudrait-il acheter cette intervention pour espérer que la capacité d’achat soit assez considérable pour permettre de réaliser la plus-value ? Et même dans cette folle hypothèse, le but ne serait pas atteint car le travailleur serait condamné à thésauriser !
Une autre conception essentielle de Karl Marx, est celle où il explique le rôle du capital dans la production. Ici notre auteur se place encore dans la réalité des faits. En régime capitaliste, le capital ne peut rien par lui-même. Que valent des billets de banque ou de l’or enfermés dans un coffre ? Que vaut l’outillage le plus puissant et le plus perfectionné s’il ne tourne pas ?
Mais, toujours dans le même régime, le travail, en lui-même, pris intrinsèquement, ne peut rien non plus. Le travailleur, que ce soit à l’usine ou dans les champs, a besoin d’instruments pour travailler. On traduit la chose en disant que le capital fait au travail les avances qui lui sont nécessaires, ou en affirmant que le travail vient vivifier le capital.
Comment le capital peut-il se combiner avec le travail ? Cette question fait l’objet d’une étude de Marx et l’amène à distinguer deux sortes de capitaux le capital variable et le capital constant. Par capital variable, il entend le fonds de roulement. C’est, en quelque sorte, le fonds des salaires dont parlaient Adam Smith et ses disciples. Ce capital variable serait entièrement consommé par le travail, lequel donnera naissance à la plus-value. Quant au capital constant, c’est celui qui sert à conquérir l’usine, la terre, l’outillage, bref ce que l’on appelle quelquefois les capitaux fixes. Celui-ci n’étant pas consommé ne devrait pas contribuer à former la plus-value. Il est cependant évident que ce capital constant a été produit lui-même par un travail antérieur ; ce serait donc du travail cristallisé. Quel rôle va-t-il jouer dans la production ? Un rôle essentiel puisqu’il s’identifie avec les instruments de travail dont le travailleur a besoin. Karl Marx conteste cependant qu’il intervienne dans la formation de la plus- value. Cependant n’est-ce pas grâce à lui que le travail va devenir plus productif ? Un ouvrier qui dispose d’une machine en ordre de marche produira beaucoup plus qu’un ouvrier qui n’a que la force de ses bras.
Si nous comprenons bien le raisonnement de Karl Marx, l’intervention du capital constant se bornerait à fournir son propre amortissement, grâce auquel il répare l’usure qu’il subit. La conclusion paraît être que le capitaliste a intérêt à utiliser le plus possible de capital variable et à éviter de grossir les immobilisations de matériel.
La distinction entre capital variable et capital constant, sous l’angle de la plus-value, a perdu son intérêt depuis que l’abondance, succédant à la rareté, provoque la baisse de la capacité d’achat des clients. Lutte-t-on contre l’abondance pour ressusciter la rareté, ce sont alors les moyens mis en oeuvre dans ce but qui accélèrent cette baisse. Et celle-ci se manifeste quelle que soit la proportion entre le capital constant et le capital variable.
Avant d’abandonner le sujet, nous ferons une remarque qui ne paraîtra peut-être pas hors de propos. On proteste quelquefois contre la prétention qu’aurait le capital, en régime capitaliste, de faire des avances au travail, ce qui justifierait la part qu’il prélève dans la production. A cet égard la distinction de Marx entre le capital constant et le capital variable est fort utile pour éclaircir le débat. S’il s’agit de capital constant, il n’y a pas de doute qu’il est avancé au travailleur, puisque ce sont les instruments de travail qui lui sont nécessaires pour produire. S’il s’agit du capital variable, c’est-à-dire des salaires, il paraît très discutable, au contraire, qu’il y ait là une avance faite au travailleur. Celui-ci, en effet, fournit toujours son travail avant d’être rémunéré. L’ouvrier est payé après sa journée faite, comme l’employé ne touche ses appointements qu’à la fin du mois.
Cependant si le patron n’a rien vendu, ou n’a vendu qu’une partie infime de la production, il est clair qu’il a avancé les salaires et les appointements. Mais à qui les avance-t-il ? Au client. C’est le client qui, en principe, doit tout rembourser en achetant le produit. Et le patron n’a aucun recours si la capacité d’achat du consommateur ne lui permet pas de devenir un client.

(1) Exemple : le mécanicien d’un express, le pilote d’un avion, le surveillant d’une centrale électrique, etc...

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L’automobiliste et le stationnement

par L. GILOT
juin 1985

M. Raoul Moreau, ancien préfet, président de la Société des autoroutes de Normandie, chargé par le Comité économique et social de l’lle-de-France d’étudier la circulation et le stationnement, a présenté le 28 février 1985 son rapport au C.E.S. qui a adopté 15 propositions draconiennes. La répression du stationnement anarchique va être renforcée : commandos mobiles de policiers, pervenches munies d’appareils à clavier électronique au lieu du carnet à souches, doublement des amendes pour stationnement gênant (de 150 à 300 F), sabots de Denver, accroissement des enlèvements et mises en préfourrières puis fourrières par des entreprises privées (coût 600 à 700 F), pose de caméras aux carrefours et sur le périphérique pour traquer les brûleurs de feux rouges et les passionnés de l’accélérateur.
Le nombre de places de stationnement payant sera augmenté. Par contre les autorités déplorent que les parkings parisiens soient à moitié vides. La raison est très simple  : tous les usagers ne peuvent se permettent de payer un parking journalier.
Le problème du stationnement est évident. Certains automobilistes sont d’une désinvolture et d’un manque de civisme inadmissibles. Le stationnement payant est donc une bonne mesure, comme la répression des cas véritablement excessifs d’infraction. Les chauffards doivent être aussi sévèrement punis.
Mais à qui la faute ? La production automobile a toujours été encouragée parce qu’elle représente un pan important de notre industrie. La publicité sollicite constamment les consommateurs, car il faut écouler la production. Et quand la voiture est acquise, l’automobiliste est pressuré de toutes parts : assurance, vignette, hausse des carburants, réparations coûteuses en raison notamment du monopole et du prix excessif des pièces détachées et de certains abus, amendes pour stationnement.
Alors que tout le système conduit à la prolifération du nombre de véhicules, on s’étonne ensuite de les voir déferler sur Paris ! Les mesures qui vont entrer en vigueur ont sans doute pour but de dissuader les automobilistes d’entrer dans la capitale et de les encourager à utiliser les transports en commun. Mais, d’une part, il faudrait que ceux-ci puissent absorber ce surcroît de voyageurs, et quand on voit l’occupation des rames de métro aux heures d’affluence on peut en douter, et d’autre part, pour les habitants de grande banlieue obligés d’utiliser leur véhicule pour venir travailler à Paris, il faudrait qu’il y ait aux portes de la capitale ou de la proche banlieue, de grands parkings gratuits.
Les automobilistes ne sont donc pas les seuls responsables de cette situation explosive qui risque de paralyser rapidement la circulation parisienne et de la proche banlieue. Les autorités ont leur part de responsabilité en n’ayant pas fait accompagner la production automobile des parkings gratuits ou peu coûteux correspondants et en n’ayant pas développé suffisamment l’importance et l’attrait des transports en commun. Sans doute des efforts ont été accomplis prolongements ayant eu pour conséquence l’afflux de nouveaux voyageurs provoquant ainsi une surcharge et une compression excessive aux heures d’affluence.
On peut déplorer qu’aucun Comité des usagers n’ait été formé afin de recueillir leurs critiques et suggestions sur le développement, l’amélioration et l’accroissement de la sécurité de ces transports collectifs.
Il est vrai que les décideurs empruntent rarement ceux-ci, et bénéficient généralement d’une voiture de fonction et d’emplacements réservés, ce qui leur évite aussi les tracasseries du stationnement !

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L’article qui suit montre l’ambiguïté de certaines déclarations de nos hommes politiques. A partir du texte publié par le P.S. en 1980 et intitulé « Projet Socialiste » André Prime avait retenu page 32 la phrase suivante : « Il ne s’agit pas pour nous d’aménager le système capitaliste mais de lui en substituer un autre », Maurice Laudrain dénonce ici la contradiction qui suit cette déclaration :

L’heure de l’économie distributive a sonné

par M. LAUDRAIN
juin 1985

Tous les lecteurs de La Grande Relève savent que les distributistes préparent une action de grande envergure afin que nul n’ignore que l’économie marchande - qui engendre le chômage et la pauvreté dans tous les pays développés - est périmée. Nous expliquerons à tous ceux qui voudront bien nous entendre que l’économie de la France doit être mise à l’heure que nous vivons, celle du grand développement des techniques de production.
C’est une véritable économie socialiste qui s’impose, et non pas celle d’hier ou d’aujourd’hui que certains qualifient abusivement de « socialiste » bien qu’elle conserve les institutions fondamentales de l’économie capitaliste. Jacques Duboin la qualifiait d’« économie de la rareté », et il démontrait que la France - comme tous les pays connaissant un grand développement des techniques de production - doit passer à un stade économique et social supérieur, celui du « socialisme de l’abondance  » qui implique la sortie de l’économie marchande et son remplacement par une « économie des besoins » : L’Economie Distributive.
L’action de grande envergure dont Madame Marie-Louise Duboin-Mon est l’initiatrice, ne sera féconde que si tous les militants pour l’Economie Distributive restent fidèles aux enseignements de Jacques Duboin. Tout au long de sa vie, depuis 1936, Jacques Duboin nous a mis en garde contre les demi-mesures des « socialistes de la rareté » dont les socialistes d’aujourd’hui demeurent de fidèles adeptes.
Il ne faut donc plus que l’on puisse lire sous la signature de militants distributistes que « seul le remplacement du capitalisme par un socialisme authentique comme le prévoyait, en 1980, le projet socialiste, permettrait de résoudre le chômage et la fameuse « crise » ».
1980, l’année évoquée par cette citation, fut celle de l’édition par le Parti Socialiste d’un livre de 380 pages intitulé : « Projet socialiste pour la France des années 80 ». Il n’y est aucunement question de sortir de l’économie marchande mais seulement de... « l’organiser ». Citons en quelques lignes fort précises : « Le marché sera organisé autour d’offices. Ceux-ci assureront aux exploitants la juste rémunération de leur travail, grâce à des prix garantis » (page 206).
Nous sommes bien loin de l’enseignement de Jacques Duboin. Les précisions qu’il donne dans chacun de ses livres sont d’un tout autre ordre. Voici, par exemple, ce qu’il écrit dans « Rareté et Abondance  » (pages 413 et suivantes) : « Le plan... est conçu dans le but de produire et de répartir en vue des besoins réels de toute la population... En dernière analyse, la décision appartient au pouvoir politique qui doit être l’émanation de la nation tout entière.. Les établissements (entreprises) ne sont pas assujettis à l’équilibre comptable. Ne payant ni appointements, ni salaires, ni les fournitures qui leur sont nécessaires, ils ne peuvent établir de prix de revient, ce qui importe peu puisqu’ils n’ont pas de bénéfices à réaliser. Ils tiennent donc la comptabilité des matières employées et des temps de travail afin de permettre le contrôle de la fabrication...  »
Autrement dit, il s’agit d’une économie qui n’a pas d’autre objet que de répondre aux besoins de la population, tous profits et toute domination patronale étant abolis. Nous sommes sortis de l’économie de l’achat et de la vente ainsi que de la propriété privée des entreprises. Le travail peut alors être partagé entre tous les citoyens valides.
C’est pour une telle société, et seulement pour elle, que les distributistes lancent une action de grande envergure sur l’ensemble du territoire français.

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Le système bancaire aux abois

par P. VILA
juin 1985

Vieux moraliste du bon Monde de l’Economie de notre bonne vieille France au style orné de double négations au parfum anglo-littéraire comme Sirius jadis, voici que M. Paul Fabra s’inquiète*. Au nom de la vraie bonne conscience, celle du réalisme, il entonne le chant désespéré des « Tous coupables » de la déroute financière du Tiers-Monde, où de pauvres banquiers se retrouvent tortionnaires économiques à leur corps défendant, pour le moindre pire des peuples pauvres.

A croire M. Fabra, c’est surtout la faute aux sensibilités idéalistes de nos tiers-mondistes, qui auraient fait distribuer en Afrique le lait, le blé et le miel, sans y développer l’agriculture, entraînant la dépendance alimentaire après la famine.
De grâce, restons réalistes jusqu’au bout, et observons honnêtement le passé avant de disserter sur les aspects « financiers » de la catastrophe.
Les « expériences en Guinée » ont été systématiquement sabordées dès l’exclusion de ce pays du bloc C.F.A. Celà ne justifie en rien les politiques désastreuses de Sékou Touré vieillissant des années 75-84.
Il faudrait faire parler des experts britanniques pour bien décrire les processus qui ont ruiné le Sud et l’Est de l’Afrique, du Cap à l’Erythrée (où le recours des staliniens n’est même plus espéré). René Dumont a bien montré la diversité des situations qui exige des remèdes divers, comme le demandent les apôtres du libéralisme, et à juste titre. Mais l’exemple de l’Afrique Occidentale est plus proche de nous. Dans le Sahel, la famine existait depuis des siècles, ponctuellement et de façon sporadique dans de nombreux secteurs, et l’industrialisation belliqueuse de la période 1850-1950 l’a sérieusement aggravée. Pour les cinquante dernières années, l’irresponsabilité des « pouvoirs », blanc et noir, colonisés par le pouvoir bancaire, a retardé de façon catastrophique les actions décisives qu’il faut mener pour sauver l’eau, le sol et le climat.
De crises économiques en guerres mondiales, les blancs ont «  aidé » les noirs en les armant comme troupes d’assaut, puis comme clients d’un fructueux commerce où les armes, en échange de produits de survie, ont pris une part croissante. Contrairement aux allégations de M. Fabra, les « tiers- mondistes » ont presque partout inversé le processus d’appauvrissement pendant des phases de répit où la colonisation, puis la coopération, ont fonctionné normalement ; et celà sans trop altérer les traditions culturelles, encore protégées par les obstacles géoclimatiques africains à la pénétration des sociétés de profit.
On retrouve ici un problème de fond : la progression insuffisante du tiers-monde résulte du manque de recherche et de développements techniques sur le terrain. Pour la base essentielle des cultures vivrières, le contact entre les paysans noirs et de véritables laboratoires liant les expériences d’agrométéorologie à des recherches socio-économiques (demandées par les syndicalistes africains depuis les années 1950) n’a été pris que tard, et de façon trop éphémère ; les structures d’oppression coloniale et financière ont mis les coopérants les plus énergiques et les plus compétents en extrême minorité, avec la suicidaire complicité de politiciens noirs déjà désespérés par des chantres « réalistes » du style Fabra.
Au point que de jeunes paysans autodidactes sont maintenant présentés comme les meilleurs défenseurs des paysans noirs. Au cours des sept dernières années, cette situation accablante a laissé le terrain à quelques grandes entreprises pirates qui saisissent les marchés internationaux de la F.A.O., ce qui fait se dégrader complètement les termes de l’aide.
Aujourd’hui l’urgence des mesures de survie a dépassé le cadre des régions de famine. Le salut économique et social de l’ensemble Europe- Afrique ne peut venir que des pays actuellement riches, bien que la nouvelle pauvreté épuise déjà nos entreprises de charité individuelle...
Un libéralisme réel exige qu’on lève les masques et qu’on débusque les faux-fuyants qui entretiennent un mystère autour de la formation du crédit et du pouvoir bancaire, imposés de l’extérieur à notre société économique. Les monétaristes ont raison dans leur description du couplage entre les circuits de crédit et les circuits économiques, à cela près qu’il faut remettre pour l’essentiel le pouvoir du crédit aux véritables acteurs de l’économie que sont les producteurs et les consommateurs, en démocratie lucide.
Le pouvoir bancaire est reste le dernier et le plus insaisissable repaire de l’impérialisme. C’est le seul qu’il nous faille socialiser pour le bien commun. Depuis Napoléon, successivement vainqueur et défait par le soutien puis l’abandon d’un gros banquier, en passant par l’adolescente démocratie américaine et par la commune de Paris préservant l’or impérial convoité par M. Thiers, l’histoire est émaillée de méprises tragiques sur la valeur du crédit réel pour chaque pays. Cette valeur s’établit tout naturellement si on chiffre correctement les transferts du crédit investi et si on détruit au fur et à mesure la quantité de monnaie correspondant à la consommation. Cette révolution enfin réaliste du crédit comme représentation des actes économiques permettra d’encourager l’initiative et la création réelles au lieu de privilégier la spéculation sur « l’argent » comme valeur en soi.
Du même coup, il deviendra possible de fournir à chaque être vivant un dividende du nécessaire vital, qui mettra les individus à l’abri de la pression maladive pour l’emploi-survie, qui n’a ni réalité, ni justification ; une nation est un ensemble où tous ne peuvent être productifs en même temps !
Une telle révolution est-elle concevable sur un grand ensemble  ? Le caractère national des habitudes culturelles de relations et de consommation la rend plus facilement réalisable à l’échelle des nations, où les hommes sont rapprochés par la langue, l’histoire et l’échange quotidien.
Avec ses institutions d’études économiques et de gestion, la France d’aujourd’hui pourrait par une telle transformation devenir le pays pionnier d’Europe, beaucoup plus durablement qu’elle ne l’a été après sa sortie du F.M.I., inspirée par Pinay et obtenue par de Gaulle.
Ce n’est pas la mémoire des atrocités nazies qui pèse réellement sur le débat entre chefs des nations riches, mais l’horrible abîme entre les exigences des banquiers et les réalités des hommes économiques, telles que les a formulées l’O.N.U.
Le système bancaire est-il aux abois ? Son remplacement est-il prêt dans les esprits et dans les outils sociaux ? Là est le réel problème de notre suivie, M. Fabra.

* Dans son article « La dette du Tiers-Monde et l’insuline, Le Monde du 16 avril 1985.

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Une vue courte

par R. CARPENTIER
juin 1985

Bien des gens se comportent comme s’ils avaient des oeillères. Ils critiquent à sens unique en disant qu’en France, le gouvernement de gauche nous a mis dans la « merde » avec nos trois millions de chômeurs. Je réponds qu’ils ont la vue courte, car l’Angleterre bat ce record de chômage, avec bientôt cinq millions de chômeurs... et un gouvernement de Droite !
C’est bien là une vision étroite, car si un gouvernement de gauche et un gouvernement de droite arrivent au même résultat et ne peuvent pas plus l’un que l’autre créer des emplois, malgré toutes leurs promesses, c’est bien que la crise économique, dans les pays industrialisés, n’est pas le fait de la couleur du gouvernement, mais vient de ce que tous quels qu’ils soient gèrent pareillement l’économie marchande, avec les mêmes critères de rentabilité et de profit financier... et tous sont donc également impuissants devant la crise économique ! Cette crise est la conséquence du fait que la production est parvenue au stade de la robotisation : elle crée des produits en abondance mais, évinçant une main-d’oeuvre qui ne perçoit plus de salaire, elle ne distribue plus les revenus pour acheter ces produits. Et c’est ainsi qu’une partie de plus en plus grande de la production devient INVENDABLE et que la machine économique s’enraie.
Si les consommateurs plongent de plus en plus dans l’insolvabilité, voire dans la misère, en pleine période d’abondance, faute d’emplois, ce n’est ni un Mitterrand ou un Marchais, ni un Barre ou un Chirac, ni un Le Pen, qui leur en donneront, ni qui rétablierons le circuit production-distribution-consommation !
Il faut changer les structures de l’économie. Il faut abandonner l’économie de marché, en se décidant à admettre qu’aujourd’hui le temps de travail ne peut plus servir à mesurer le pouvoir d’achat.

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Connaissez-vous Jack LONDON ?

par V. SOUDJIAN
juin 1985

Dans l’oeuvre de Jack London dont certains livres sont très connus tels que « crocs Blancs », l’Appel de la Forêt », le « loup des Mers », il en est un de tout a fait remarquable mais peut-être le moins connu : « Le Talon de Fer » qui est un roman social publié en 1908 dans lequel il prophétise les événements économiques et sociaux à venir. Jack London avait le génie de voir ce qui est caché à la foule des hommes et d’anticiper avec une clairvoyance peu commune.
Adhérant au « Socialist Labour Party » en 1896, il découvrit en 1903 l’atroce misère des bas-fonds de Londres ce qui lui suggéra d’écrire « Le peuple de l’Abime  », et le mena par la suite à écrire le « Talon de Fer ».
Anatole France, qui admira ce livre, accepta d’en écrire la préface dans une nouvelle édition, en qualifiant le titre de l’ouvrage de « terme énergique désignant la ploutocratie ».
Dans cet ouvrage, Jack London décrit, avec une sensibilité indignée, l’exploitation inhumaine du prolétariat de son époque et il en analyse les conséquences futures sur le plan économique et social dans un discours, resté célèbre, qu’il prononça devant un groupe de riches New-Yorkais en décembre 1905.
Ce discours qu’il attribue dans son livre à son héros Ernest, fut admiré par Trotsky qui écrivit en 1937 à Madame Jack London, la veuve de l’auteur, une lettre dont j’extrait certains passages :
« Chère Camarade, j’éprouve une certaine confusion à vous avouer que c’est avec un retard de 30 ans que j’ai lu pour la 1re fois le « Talon de Fer » de Jack London. Ce livre a produit sur mois (je le dis sans exagération) une vive impression »... « Ce livre m’a frappé par la hardiesse et l’indépendance de ses précisions dans le domaine de l’histoire ».
Paul Vaillant-Couturier, dans une autre édition, décrit, en introduction, Jack London avec admiration et qualifie le «  Talon de Fer » de « livre de grande classe dans l’oeuvre d’un écrivain que le prolétariat peut revendiquer hardiment comme l’un des siens ».
Je ne peux m’empêcher de citer ce court extrait du fameux et long discours de Ernest devant son auditoire de New York : « ... Nous avons découvert que le travail ne peut racheter avec ses salaires qu’une partie du produit (qu’il a fabriqué) et que le capital n’en consomme pas tout le reste. Nous avons trouvé qu’une fois que le travail avait consommé tout ce que lui permettent ses salaires, et le capital tout ce dont il a besoin, il restait encore un surplus disponible. Nous avons reconnu qu’on ne pouvait disposer de cette balance qu’à l’étranger. Nous sommes convenus que l’écoulement du trop-plein dans un pays neuf avait pour effet d’en développer les ressources, de sorte qu’en peut de temps, ce pays, à son tour se trouvait surchargé d’un trop plein (par suite de son développement économique). Nous avons étendu ce procédé à toutes les régions de la planète jusqu’à ce que chacune s’encombre d’année en année et de jour en jour, d’un surplus dont elle ne peut se débarrasser sur aucune autre contrée. Et maintenant encore une fois, je vous le demande, qu’allons- nous faire de ces excédents  ? »
Après avoir écrit ce petit article, je garde l’espoir que le « Talon de Fer » soit lu par le plus grand nombre de jeunes. Si chaque lecteur de la « Grande Relève » pouvait se procurer ce livre (en neuf ou d’occasion) et l’offrir à un jeune, je crois qu’il y aurait là une oeuvre utile à accomplir.
(Je crois que ce livre existe dans la collection « 10-18 » dans la série « L’appel de la Vie » de l’Union Général d’Editions 8, rue Garancière, 75006 Paris, et peutêtre, en livre de poche).

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Le Rubicon

par J. MATEU
juin 1985

« Mais alors pourquoi le Pape, chef suprême de l’Eglise, du haut de son infaillibilité que lui confèrent les dogmes, ne lance-t-il pas l’anathème contre les fauteurs de génocide ? Pourquoi ne dénonce-t-il pas solennellement les Etats et les systèmes économiques et sociaux qui bafouent cyniquement les droits de l’homme ? Pourquoi ne frappe-t-il pas d’excommunication Reagan et Brejnev, les affairistes de tout poil et d’abord les trafiquants d’armes et les sociétés multinationales qui pillent et affament ? »

(Jean Malrieu - GR d’avril 1982)

Retenons cette date. Elle servira de point de repère à ce qui va suivre. Exactement trois années viennent de s’écouler. Que s’est-il passé depuis ce laps de temps  ? Beaucoup de choses évidemment, sauf l’anathème et l’excommunication papale si impérativement demandés par Malrieu. Et pour cause ! Un simple rappel de certains faits aideront mieux à comprendre cette lamentable carence.
Lors de la disparition de L. Brejnev, « homme d’Etat de grande stature », dit Jean-Paul II dans son message », à l’occasion du grand deuil qui frappe l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques après la mort de M. Brejnev qui a joué un rôle si important dans la vie et les rapports internationaux, j’exprime à votre excellence (le Président du Presidium) mes vives condoléances en l’assurant d’une pensée particulière à la mémoire de l’illustre disparu ».
On a beau se dire qu’il faut faire la part des choses, tout de même  ! Il n’y a plus de suppôt de Satan et autres aménités, plus de goulag, de génocide et de violation des Droits de l’Homme. C’est tout juste si l’on ne vient pas nous dire que des messes seront dites pour le repos de l’âme de ces ci-devant forbans d’où nous vient tout le mal. Il est vrai que le Christ a dit qu’il fallait pardonner à ses pires ennemis...
Ce qui me surprend en l’affaire, c’est de voir le camarade Jean Malrieu attendre une sanction papale... J’ai du mal à comprendre qu’un homme si avisé et compétent en la matière se fasse des illusions au sujet de Jean- Paul Il et de son éventuelle influence dans les affaires du monde. Bien entendu, je ne vais tout de même pas dire comme Staline (un autre « illustre homme d’Etat », dirait Jean-Paul il) : « Le Pape ? combien de divisions  ? », ce qui serait excessif de ma part. Cependant, Jean Malrieu n’ignore pas qu’à partir d’un certain degré de perversion chez les grands décideurs, et le Pape en est un, quoique de nature particulière, le critère éthique dont on se sert pour mesurer le comportement de ces messieurs change du tout au tout au gré des circonstances, et non des idéaux dont on se prétend l’ardent défenseur. Ce qui explique, mais ne justifie pas, que le même qui prône la doctrine du Christ ici, devienne le complice « objectif », mais complice tout de même, des pires gredins de la scène politique là. Ignore-t-il, Malrieu, que lors de la minable équipée des Malouines, c’est Jean-Paul Il qui « organisa » un de ces ostentatoires « one man show » dont il a le secret, allant donner, outre son cautionnement spirituel, l’accolade fraternelle (ou paternelle, allez savoir), au sinistre général Galtieri, chef du gouvernement de coquins qui, non seulement mirent à sac le pays, mais furent honnis et vomis parla population excédée, accusés qu’ils étaient de crimes de lèse- humanité, puis traduits devant les tribunaux pour délit de droit commun. Les mères de la place de Mai à Buenos-Aires sont toujours là pour témoigner. Un détail : un crucifix est toujours accroché au-dessus du tribunal, présidé, à l’époque, par le non moins de triste mémoire général Videla. Et d’un !
Ignore-t-il, Malrieu, la triomphaliste visite de Jean-Paul II aux Philippines, saluant, comme délégué de la Nation, le sanguinaire dictateur Marcos (et Madame) dont on connait le terrifiant curriculum vitae, mais trouvant bon de conseiller aux foules ignares et affamées de ne pas se laisser obséder par l’appétit des biens matériels  ! Il y a, comme cela, des choses qui ne s’inventent pas. Et de deux  !
Ferais-je mention des visites à grand spectacle chez les roitelets d’Afrique où Jean-Paul II passait en revue les troupes qui lui rendaient les honneurs militaires ? Au Vicaire du Christ ! Et de trois.
Demander, et avec quels accents, l’anathème et l’excommunication pour les « affairistes de tout poil » relève de la gageure, sinon de l’humour noir, car ça fait beaucoup de monde. Croire à je ne sais quels effets d’électro-choc les lénifiantes homélies dont tout le monde sait ce qu’en vaut l’aune, ce n’est pas sérieux.
Pensons plutôt à tout ce que ces directeurs de conscience pourraient faire d’utile en France. Pour commencer. Mais il y a un Rubicon à franchir.
En attendant, que Malrieu se fasse une raison, il n’y aura pas d’anathème ni d’excommunication. Ces messieurs s’entendent comme larrons en foire et je ne désespère pas de voir un jour Rome et Moscou établir des rapports plus que cordiaux, chacun conservant, mutatis mutandis, cela va de soi, son idéologie spécifique. On a déjà vu le Très Chrétien François 1er apostasier, vu que Paris valait bien une messe. On pourrait citer d’autres exemples...
Les idéologies n’étant que des croyances qui se traduisent en actes, les deux systèmes antagonistes se complètent si besoin est. La croyance en une mission rédemptrice du genre humain postule la domination du monde. Rome et Moscou, ennemis aujourd’hui, peuvent très bien collaborer demain, surtout si un troisième larron vient à se manifester, l’islam, peut-être.
On ne sera pas surpris si je fais des réserves sur le comportement de certains princes de l’Eglise, point chiches en homélies tant l’art de dorer la pilule aux masses leur est aisé. La crédulité des masses leur facilite la tâche. On continuera de miser sur l’artifice appelé coexistence et le tour sera joué. Les voila acceptant la politique de rigueur, ce qui garantit la puissance et les profits aux « décideurs », dont les spiritualistes. Quelle que soit la structure politique de l’Etat, bourgeois, libérai, capitaliste d’Etat, théocratique si l’occasion se présente. Ce qui consolide le système qui, lui, ne fonctionne plus. C’est bien pourquoi l’affranchissement des individus ne peut se concevoir que sous la forme d’une libération économique radicale. Tout le reste est de la roupie de sansonnet.
Contre la tendance spirituelle, j’ai envoyé deux articles que la G.R. publia en son temps (Décembre 1982 puis Février 1984). Le premier, intitulé « Le temporel et le divin », le second « Toujours Marx ». Les deux m’ont valu des lettres courroucées de la part d’abonnés de la G.R. Naturellement, il m’était reproché ma conception matérialiste d’aborder le problème de l’affranchissement de l’individu au sein d’une société distributrice. On m’opposait une conception « spiritualiste » dont l’imprécision se perd dans un flou artistique satisfaisant sans doute les esprits imbus de métaphysique mais dépourvus absolument, selon moi, de toute réalité. Je répétais avec regret ce que j’avais dit naguère. J’exposais, une fois de plus, les sources de ma conviction : la «  Contribution à la critique de l’économie politique de Marx » relevant tout spécialement le passage célèbre  : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle en général. Ce n’est donc pas la conscience des hommes qui détermine leur être : c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». Puis ce court texte de Jacques Duboin : «  L’histoire des sociétés humaines montre qu’elles ne s’organisent jamais sur un plan préconçu mais d’après leurs moyens techniques. »
Je rougis, encore une fois, d’avoir à rappeler ces textes pour moi essentiels. C’est ce qui m’a permis de comprendre pourquoi «  le minimum vital réclamé à cor et à cri par les syndicats les plus révolutionnaires était déjà fourni par les négriers à leurs esclaves pour leur conserver la santé. C’est le maximum vital qu’il faut exiger aujourd’hui » (texte encore de Jacques Duboin).
Or, il paraitrait que cette manière de vol, les choses à la G.R, relèverait d’une conception bassement matérialiste. N’ayant quant à moi jamais rencontré un « spiritualiste » se nourrir de rosée matinale, j’en conclus que les « spiritualistes  » sont dans l’erreur ou ne disent pas la vérité. C’est en se référant au Christ, selon eux, que nous trouverons solution à tous nos maux. Ce n’est pas le cas de Jean Malrieu, je m’empresse de le dire, le sachant trop avisé pour savoir à quoi s’en tenir, mais le fait est que de nombreux spiritualistes, peu importe la confession à laquelle ils adhèrent, abhorrent le matérialisme que certains n’hésitent point parfois à taxer de sordide. Oubliant que c’est grâce à lui que tous, autant que nous sommes, avons pu émerger du stade de la bête pour nous élever, progressivement, au stade supérieur de la société de consommation. Tant il est vrai que ce n’est pas la morale qui évolue, mais le perfectionnement de ’’appareil productif qui a permis l’abolition de l’esclavage, pour ne citer que l’exemple le plus frappant. La morale des sociétés n’a pas changé Si demain toute forme d’énergie s’éteignait sur terre, nul doute que nous verrions refleurir la barbarie et l’esclavage.
Cela étant, le camarade Malrieu ne trouvera donc pas étonnant que je fasse des réserves sur les jugements concernant les déclarations faites par certains hauts dignitaires de l’Eglise à l’occasion du voyage de Jean-Paul II en Afrique Noire. Notre camarade, emporté par un généreux élan, n’hésite pas à qualifier d’électro-choc, celles faites par l’Archevèque Lustiger en personne. « J’ai cru que le Christ était ressuscité ! » s’exclame Malrieu. Pas moins !
J’ai essayé, avec les deux articles sus-nommés, de ramener ces explosions dithyrambiques à des proportions plus modestes. En montrant l’inefficacité des déclarations des princes de l’Eglise, j’ai toujours regretté que ces messieurs n’aient pas mieux su préciser leur pensée. « Nous perdons notre âme ! », clame emphatiquement Mgr Lustiger, «  Notre civilisation signe son arrêt de mort quand nous n’accordons pas aux Africains l’égale dignité des enfants de Dieu ». Qui n’applaudirait des deux mains ces
belles fleurs de rhétorique ? Hélas ! autant en a emporté le vent de l’Histoire depuis des siècles. Quoi de fondamentalement changé depuis lors ? Le Rubicon des préjugés et la force d’inertie des uns et des autres font qu’il y a une solution qui échappe à la plupart, fi faut franchir ce Rubicon Monseigneur, autrement vos accents rappelleront par trop la «  vox clamens in deserto » de biblique mémoire. Avouez qu’à l’heure de l’électronique et vraisemblablement de la guerre des étoiles, il nous faut d’autres preuves de votre bonne volonté. C’est la même réflexion que j’ai portée en Septembre 1982, au fameux appel des évêques. Au fait, qu’a-t-ii donné de positif cet appel à la solidarité au nom de la charité chrétienne ? J’en rappelle l’essentiel : « exigeantes, réalistes et sources d’espérance, renonciation partielle ou totale du cumul des salaires, au cumul d’une retraite et d’un emploi, recours à la retraite anticipée », etc...
La presse se mobilisa ; belle occasion de confrontation entre «  croyants » sur l’opportunité ou l’efficacité de ces mesures. Et puis... silence absolu. L’abbé Pierre a pris la relève.
Minable fout cela. Et quelle perte d’énergies... Je pense avoir donné suffisamment d’exemples montrant l’inanité de certaines initiatives. Les meilleures intentions du monde ne pourront jamais résoudre le problème de la misère dans l’abondance. Je refuse le droit de se dire sincère à tout « croyant » qui ne passe pas contrat entre sa conscience et la réalité des faits. Si les croyants s’étaient contentés d’invoquer le Christ, jamais la Sécurité Sociale n’eut vu le jour. Aujourd’hui, il faut poursuivre l’-Suvre commencée. Franchir, je le répète, le Rubicon des insuffisances et des petits calculs. Ii faut le traverser quitte à se mouiller comme viennent de le faire les amis de « La Croix » en date du 10 janvier dernier. « Evohé », comme dirait Jean Malrieu. L’encadré paru dans le dernier numéro de la G.R. de ce mois d’Avril et transmis par Paul Rosset fera date, n’en doutons pas. Enfin, voilà qui est savoir se mouiller. Modèle de concision et de clarté, ce petit texte résume magistralement toute la philosophie de l’Economie Distributive. C’est l’exemple à proposer à tous les nostalgiques d’un passé révolu à jamais. Terminé le temps où le Christ chassait à coups de fouet les marchands du Temple. Pour quel résultat ? Sortis par la porte, les marchands rentrèrent par la fenêtre. Et le veau d’or est toujours debout !
Conclusion : à société nouvelle, évangile nouveau. Les amis de « La Croix » l’ont parfaitement compris. Le Christ ne pouvait prévoir l’apparition des « robots  » non plus que l’assainissement des marchés, ni le malthusianisme agricole et industriel, tous péchés contre l’esprit ; ni l’armement nucléaire, cette monstruosité impossible à qualifier, innommable. Jamais le Christ ne s’est trouvé dans une situation pareille. Qu’aurait-il fait ? Je laisse aux exégètes le soin de trouver la réponse. Les croyants de « La Croix  » savent, eux, ce qu’ils veulent. Ils ne parlent, eux, ni d’anathème ni d’excommunication. Réalistes, ils affirment que le chômage s’accroit dans des proportions alarmantes. Mais si nous continuons à lier étroitement les revenus au travail, nous allons tout droit, si ce n’est déjà fait, vers une société duale : une minorité de privilégiés ayant un emploi (pour combien de temps encore ?) peut bénéficier abondamment des bienfaits de la société de consommation, alors qu’une foule croissante de sous- consommateurs n’y a plus accès.
Affirmer dans ces conditions que l’on va créer des emplois nouveaux et donner du travail à tous relève d’une illusion criminelle ou d’une démagogie à courte vue. (Admirons la force de langage). lis poursuivent : « Le traitement social » du chômage a déjà trouvé ses limites au prix d’inégalités flagrantes. Partager le travail. Chimère ! D’ailleurs, est-ce toujours possible ? Pourquoi pas partager les revenus ? Pas évident, disent-ils. Mais si l’on accordait à chaque individu, quelle que soit sa position sur l’échiquier social, un droit à la subsistance ?
Et pour finir en beauté ce superbe raisonnement, « ce droit nouveau se traduirait par l’accès de tout citoyen à un véritable revenu social garanti, formulation contemporaine d’un minimum vital, distribué par le truchement d’une monnaie dite de consommation ».
Et ce magnifique exposé, sans la moindre référence au sacré ! N’est-ce pas formidable ?
Une nouvelle race de « croyants » est née. Evohé !
C’est la parabole de la graine de sénevé moderne. Germination d’une race de croyants de type nouveau. Pour la première fois peut-être, ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, vont pouvoir marcher la main dans la main pour la conquête de l’affranchissement économique, préfiguration de l’épanouissement spirituel.
Paix aux hommes de bonne volonté !

J. Mateu, Parmain