LES Etats-Unis d’Amérique sont au premier rang mondial non seulement
pour leur production industrielle et militaire, mais aussi pour la production
agricole. Les terres cultivées y couvrent 2 millions de kilomètres
carrés, soit onze fois la surface cultivée de la France
(dont la population est environ 4 fois moindre). Presque toutes les
productions agricoles peuvent pousser sur le sol des EtatsUnis. On a
même réussi à faire pousser du riz, dont la culture
demande tant d’eau, au milieu du désert de l’Arizona ! Les Etats-Unis
occupaient, en 1979, le premier rang mondial pour la production du soja,
du maïs, des fruits, des céréales en général,
du sorgho et des chevaux ; le second rang pour l’avoine, le tournesol,
les oranges, le lait, le coton ; le troisième pour les bovins
et les porcs, le blé, le sucre de betteraves, les pommes de terre
et les arachides. Bref, produisant près de 10 % des produits
agricoles mondiaux, ils approvisionnaient chaque année et à
eux seuls la moitié du marché mondial des céréales.
Et cela en n’exploitant que les terres à bons rendements. S’ils
mettaient en culture les terres à rendement seulement moyen,
ils seraient en mesure de nourrir le monde entier, c’est-à-dire
de fournir à un peu plus de 4 milliards d’habitants l’équivalent
de 3 000 calories par jour, ce qui suffit largement à la nourriture
d’un être humain. L’excédent de leur balance commerciale
pour l’agriculture a atteint 78 milliards de francs en 1979, étant
de loin le plus important du monde tout en ne représentant que
0,8 % du produit national brut du pays.
Tous ces chiffres sont publics. Ils sont incontestables. Ils sont la
réalité : la production des EtatsUnis est plus que suffisante
pour qu’au moins tous leurs habitants puisse vivre très largement.
Comment de telles richesses sont-elles distribuées par le système
marchand qui repose sur les échanges, sur le trio travail-salaires-profits
? Une étude publiée en juillet dernier par J. Thackray
dans la revue « Management Today » est éloquente
à ce sujet. Elle parle de conditions dramatiques pour les exploitants
agricoles : les ventes en liquidation d’exploitations agricoles ont
atteint des chiffres jamais vus. Dans certaines régions, faillites
et cessation de paiement ont augmenté de façon vertigineuse,
et sur toutes les régions agricoles les catastrophes financières
vont s’abattre en un véritable raz- de-marée ».
D’après un spécialiste de l’Université du Missouri,
Harold Breimyer : « Pour chaque exploitation déclarée
en état de cessation de paiement, il y en a sans doute dix qui
se trouvent au bord du gouffre... Il y a au bas mot des milliers d’exploitations
qui ne survivraient pas à une nouvelle année avec des
revenus diminués ». A l’échelle nationale, le pourcentage
de défaut de paiement aux échéances est de 58 %
des crédits consentis.
Un pareil chiffre ne s’est jamais vu. Des baisses de revenus des agriculteurs
se sont souvent produites mais ce qui est différent aujourd’hui,
et ce n’est pas moi qui le souligne, mais le journaliste de la revue
« Management Today », c’est l’instabilité qui s’est
installée dans toute la structure financière de l’agriculture
américaine les 2 400 000 exploitants agricoles américains
étaient endettés au début 1982 pour un montant
de 195 milliards de dollars, deux fois plus qu’en 1977. Cet accroissement
de l’endettement donc cette instabilité dramatique, vient du
fait que les intéressés avaient emprunté en pariant
sur une inflation incessante entraînant avec elle la hausse des
prix de la terre et de ses produits. Or ce qui se produit c’est à
la fois la chute des prix et l’accroissement des taux d’intérêt
dans l’Iowa, le vice-président d’une banque raconte : «
L’an dernier, en septembre, j’ai mis aux enchères une exploitation
agricole qui s’est vendue 4 000 dollars l’hectare. Moins d’un an après,
une-ferme de 64 ha ne vaut plus que 1 750 dollars l’hectare. Nos clients
les plus âgés, ceux qui ont connu la crise de 1929 disent
que cela leur rappelle tout à fait cette époque, sauf
que maintenant les choses se passent à une toute autre échelle
». Une analyse faite par la Federal Reserve Bank de Chicago révèle
qu’en 1980 et 1981 le prix moyen des terrains a progressé à
un rythme plus lent d’environ la moitié du taux général
de l’inflation et qu’il a même régressé dans l’Iowa,
le Michigan, l’Illinois, l’Indiana et le Wisconsin.
Les conséquences de cette situation se retrouvent, comme en 1929,
sous ses deux aspects dramatiques. D’une part, leurs revenus baissant,
les exploitants agricoles diminuent leur production. D’autre part, la
misère ou la peur du lendemain dégradent les relations
sociales. Dans bien des communes rurales, on, note, rapporte John Thackray,
un déclin de la convivialité qui fait place à une
attitude soupçonneuse et à l’hostilité. Un pasteur
de l’Iowa raconte : « Beaucoup d’agriculteurs se moquent bien de
voir leur prochain faire faillite, du moment qu’ils peuvent acquérir
ses terres ». Et la faillite des exploitants agricoles entraîne
des effets en chaîne pour ceux qui leur ont vendu la terre à
crédit, pour leurs fournisseurs de semences, d’engrais, de matériel,
ainsi que pour les banques locales qui se trouvent paralysées
dans leurs opérations de crédit, conclut J. Thackray.
Voilà dans toute sa splendeur la logique du système de
l’économie de marché. Le pays le plus riche du monde,
riche de ces richesses vraies que sont ce que le sol et les industries
sont capables de produire, ce pays le plus riche du monde est amené,
par des lois économiques que personne n’ose remettre en question,
à diminuer sa production entraînant ainsi l’appauvrissement
d’un nombre croissant de ses habitants : la photo du « Nouvel
Observateur » que nous reproduisons en couverture est éloquente
: les files d’attente s’allongent dans les grandes villes quand une
entreprise charitable distribue des repas aux sans-travail - sans revenu.
« Près de la moitié du pays cherche du travail »
rapporte ce journal, ce pays où la faim, la vraie faim au ventre
gonflé, a réapparu à New-York, l’une des villes
les plus riches des Etats-Unis »... où les sans-logis envahissent
les trottoirs.
Des études prospectives prévoient des émeutes pour
1983 : D’autres se rappellent que la guerre a mis fin - et comment !
- à une situation semblable. A nous de faire entendre qu’il existe
une autre solution... avant qu’il ne soit trop tard !
DANS son livre « Libération », écrit en 1936,
J. Duboin explique ainsi pourquoi il est devenu nécessaire d’abandonner
l’économie de l’échange :
« Le droit aux produits et aux services doit être libéré
de la considération du travail fourni, car le labeur humain,
conjugué avec l’outillage dont on dispose, n’est plus proportionnel
au rendement. L’excédent social, fruit de la coopération,
appartient à la communauté dont l’Etat est le gérant.
»
Et c’est pour distribuer cet excédent que J. Duboin préconise
le revenu social, qui s’impose pour assurer la pérennité
de la vie économique.
Naguère, G. Pompidou, grand commis du monde de la finance, défenseur
du libéralisme échangiste, prédisait, lui aussi,
face à la crise tenace, l’imminence d’une mutation de l’économie.
Le séisme financier révélé à Toronto
le 6 septembre dernier, serait-il le prélude à la brusque
transformation organique de l’économie annoncée par cette
autorité financière ?
Il nous semble donc de circonstance de rappeler la proposition rationnelle
de mesure transitoire qu’est le Revenu Social qui, par sa progression
et son caractère d’intérêt général,
a pour rôle de permettre à tous ceux qui sont atteints
économiquement par la baisse des revenus (chômage, dévaluation,
mévente) de rester solvables.
Cette mesure de transition dans l’acheminement des revenus qu’impose
le remplacement du travail humain par les techniques nouvelles, libère
les hommes de la contrainte de l’échangisme primitif.
La répartition : « à chacun selon son travail »,
devient : « à chacun selon ses besoins », l’accès
aux biens et produits fabriqués à l’aide des machines
est, désormais, ouvert à tous du berceau au tombeau.
N’est-ce pas à cette mesure transitoire appelée par la
mutation prévisible de l’économie, que nous convia Jacques
Duboin un quart de siècle avant l’annonce de Georges Pompidou
?
Le texte qui suit...
TOUS ceux qui jettent un coup d’oeil sur les progrès prodigieux
accomplis dans le cours des dix-neuvième et vingtième
siècles par toutes les sciences naturelles entrevoient ce qu’elles
promettent de nous donner encore avant longtemps. Tous ceux-là,
dis- je, comprennent qu’une ère nouvelle s’ouvre pour l’humanité
puise qu’elle possède tous les moyens pour y atteindre.
Mais d’autres, obstinément tournés vers le passé,
se refusent encore à reconnaître cette évidence.
Un évêque, ces jours-ci, dans une lettre pastorale, n’hésitait
pas à débuter par ces mots « la misère a
toujours existé et existera toujours ».
Cette misère qui étreint des millions d’Européens
apparaît encore comme un phénomène naturel, inéluctable
comme la mort, un phénomène faisant partie du sort de
l’être humain.
Ces pessimistes impénitents se croient au temps de la disette,
alors que les greniers sont pleins ; ils oublient que la misère
n’avait de raison d’être que parce qu’il y avait trop peu de biens
et trop d’hommes qui en avaient besoin.
Or, c’est précisément tout le contraire aujourd’hui, puisque
nous devenons tous les jours, grâce à la science, plus
riches en marchandises alors que diminue le travail humain nécessaire
pour les produire. Le fait que le chômage existe en face de stocks
invendables ne vient-il pas démontrer que le problème
de la consommation reste à résoudre ?
C’est donc la consommation qui rie marche pas. Pourquoi ? Tout simplement
parce que les aspirants-consommateurs n’ont pas les moyens d’acheter
ce qui existe, et même ce qui existerait en bien plus grande abondance
si la production pouvait prendre l’essor que le progrès technique
rend possible.
Par un raisonnement bien simple, on incrimine la monnaie qu’on déclare
n’exister qu’en quantité insuffisante pour assurer l’achat de
tous les produits qu’il est possible de créer.
Cependant, on constate que la quantité de monnaie existant en
France bat tous les records connus. Elle n’a jamais été
aussi abondante qu’aujourd’hui.
Et cela nous amène au coeur du problème. Si l’on partageait
également entre tous les Français la quantité de
monnaie en circulation et même celle qui est thésaurisée,
chacun de nous ne recevrait guère que 2 000 francs pour sa part.
Evidemment, nous ne pourrions pas aller bien loin puisque nos moyens
seraient inférieurs à l’allocation que touche le chômeur...
C’est dire que la monnaie, dans le régime actuel, joue un rôle
de simple intermédiaire et qu’elle vient dans la poche du consommateur
que pour en ressortir aussitôt dès qu’il consomme. A ce
moment- là, la monnaie devrait revenir dans la poche du consommateur
afin de lui permettre de continuer à acheter ce dont il a besoin
pour vivre.
Si elle n’y revient plus aujourd’hui, c’est simplement parce que le
consommateur n’a pu s’en procurer parce que son travail n’était
pas nécessaire pour constituer les stocks invendus...
On voit donc qu’il est impossible de résoudre le problème
de la consommation et vaincre ainsi la misère, si l’on se refuse
d’admettre que le droit aux produits et aux services doit être
libéré de la considération du travail fourni, puisque
le travail de l’homme, lorsqu’il se conjugue avec un outillage de plus
en plus perfectionné, donne un rendement qui est sans commune
mesure avec le labeur encore nécessaire.
Tant que ce postulat n’est pas admis, à quoi bon discuter avec
les gens qui, ayant installé un moteur sur une vieille carriole,
s’imaginent avoir construit une automobile !
Au contraire, si ce postulat est admis, on voit qu’il conduit à
une. transformation complète du régime économique
puisque la production sera répartie en totalité à
la consommation, à condition que chaque travailleur fournisse
la part de travail que le progrès technique rend encore nécessaire.
Lorsque ce postulat sera admis,, les moyens de transition entre les
deux régimes n’épouvanteront plus personne.
... a été écrit en 1937 !
Les choses ont-elles vraiment changé ?
LES initiales PAC représentent la Politique Agricole Commune,
l’un des plus beaux fleurons de la Communauté Economique Européenne
aussi appelée Marché Commun. Elle est destinée
à harmoniser les politiques agricoles de chacun des dix participants,
tous fonctionnant en économie de marché. Il est intéressant
de voir un peu comment les choses se passent dans ce secteur délicat
car les agriculteurs ont parfois la tête pros du bonnet ainsi
qu’ils l’ont montré à de nombreuses reprises dans les
années passées.
Depuis l’entrée de la Grèce, les pays du Marché
Commun sont au nombre de dix. En 1958 (tous n’étaient pas encore
entrés dans la Communauté) ils avaient globalement environ
20 millions d’agriculteurs. Ce nombre est depuis retombé à
moins de 9 millions. Dans l’industrie, on dirait que les effectifs ont
été « dégraissés ’ . La production
globale n’a pas baissé pour autant, loin de là. En somme,
la productivité a crû et, en terme de marché, c’est
une bien bonne chose.
Pas vraiment, car l’agriculture des Dix doit demeurer très fortement
subventionnée, grâce au contribuable. En 1981, la Communauté
a consacré 13 milliards d’écus (unité de compte
européenne =environ 6 francs) à ses fermiers. Au cours
de la même année, les gouvernements des dix pays membres
ont versé à eux tous une somme au moins équivalente
dans les escarcelles de leurs agriculteurs. Ceci en totale infraction
aux règlements communautaires.
Pourquoi cette manne céleste ? Pour protéger les fermiers
des deux risques majeurs qu’ils courent : les aléas du marché
et du temps. De plus, aucun pays n’est prêt à sacrifier
son agriculture car l’emploi doit être préservé
là où il existe et aussi parce qu’un pays incapable de
se nourrir au moins un peu serait particulièrement vulnérable
en cas de conflit.
Pour toutes ces raisons, les agriculteurs ont droit à des prix
garantis pour leur production. Le niveau en est décidé
par décision politique plus que par les lois du marché.
Ainsi donc, chaque printemps, les ministres de l’Agriculture des Dix
se réunissent pour fixer les prix de céréales,
du lait, du sucre, du beurre, du veau, du boeuf, du porc, de certains
fruits et légumes et du vin de table. Si les prix qu’offre le
marché baissent pour ces produits au-dessous d’un certain niveau
dit prix d’intervention, la commission achète et stocke pour,
en théorie, revendre quand les prix auront remonté.
Pour mieux protéger encore les agriculteurs la PAC a recours
à des droits d’importation et à des subventions à
l’exportation qui les protègent de la concurrence mondiale.
La PAC est-elle une réussite ? Si l’on veut ! Tout au moins en
termes de production. Stimulés par des prix élevés
et la certitude que la Communauté achètera les excédents,
les agriculteurs européens tendent à produire de plus
en plus. Nous ne risquons pas dans l’immédiat de manquer de viande
(peutêtre de mouton), de blé, de beurre, de sucre, de fromage,
de lait... Mais il faut y mettre le prix. En 1981, les prix européens
étaient supérieurs aux prix mondiaux pour le beurre (+
53 %), le blé (+ 38 %), le sucre (+ 33 %), le porc (+ 24 %),
etc.
Faisons un peu le compte, ou plutôt ne le faisons pas. Avec les
produits alimentaires de base les plus chers du monde, les sommes colossales
qu’il faut verser à cet effet dans les caisses de la Communauté,
le contribuable est en droit de s’interroger. Par exemple sur certaines
causes de l’inflation ou sur les mérites de l’économie
de marché (commun ou pas), ou même sur la réalité
de l’économie de marché. Existe-t-elle vraiment dans les
pays industrialisés ? Car la Communauté Européenne
n’est pas la seule institution à déverser un pactole dans
l’agriculture. De juillet 1981 à juin 1982, les EtatsUnis ont
dépensé 14 milliards de dollars pour aider leurs fermiers
dont les revenus baissent aussi vite que leur production augmente. Les
Japonais paient leur riz six fois plus cher que les Américains
afin que le prix de leur nourriture de base soit garanti.
Si encore les agriculteurs étaient heureux... Certains le sont
qui engrangent de belles moissons de blé, par exemple, et de
subventions. Mais pas tous. Regardez donc ces derniers bloquer les autoroute.
Ils n’ont pas l’air de jouer la comédie. Alors ? Ne vaudrait-il
pas mieux adapter la production aux besoins ?
Toujours d’actualité : les pleurnicheries des entreprises privées.
Dans un de ses derniers « Blocnote économique » H.
Muller écrit sous le titre « L’entreprise en péril
» :
- Les entreprises agonisent « prises en étau entre l’augmentation
de leurs charges et le blocage de leurs prix ». Au mur des lamentations
les patrons se sont donné rendez-vous mais tous ne sont pas,
loin s’en faut, logés à la même enseigne. Il en
est des gros et des moins gros. Nombre parmi ceux-là, P.-D.G,
administrateurs, dirigeants de filiales commerciales ne semblent guère
touchés par l’austérité si l’on en juge par la
fréquentation clés salles de jeux, par la prospérité
des bijoutiers et autres commerces de luxe, par l’afflux des «
belles étrangères » sur nos routes et sur les lieux
d’estivage où ces gens dépensent sans compter.
Alors pourquoi ne pas faire appel à la solidarité patronale,
les plus chanceux aidant les autres à franchir une mauvaise passe
? Mais ces gens qui se rassemblent, défilent au coude à
coude dans la rue, qui se réunissent à toute occasion
pour soutenir une même idéologie, deviennent des loups
furieux face à leurs collègues concurrents. L’économie
de marché et de libre concurrence, exaltant l’individualisme,
exclut toute solidarité interprofessionnelle sauf quand il s’agit
pour les entreprises, de s’organiser en lobbies ou de se garantir contre
les jérémiades, souvent justifiées, du consommateur
et de l’usager.
*
Toute aussi indécente, la manifestation projetée par la Confédération Générale des Cadres. Ces messieurs entendent protester contre le blocage de la partie de leur rémunération supérieure à 25 000 francs (par mois). Si j’étais ministre de l’Intérieur, j’interdirais la manifestation. Comme les jeunes cadres dynamiques ne sont pas des dégonflés, ils manifesteraient quand même. Il ne resterait plus aux autorités qu’à envoyer les C.R.S. pour disperser la manifestation, à coups de grenades lacrymogènes.
*
A part ça, pour la première fois depuis 1945, le chômage
touche plus de 10 % de la population active de la Communauté
Européenne Economique, c’est-à-dire qu’on compte plus
de 11,2 millions de chômeurs. L’augmentation la plus forte a été
enregistrée en Allemagne, mais c’est en Belgique que la situation
est la plus grave puisque le chômage y atteint 14,8 % de la population
active.
La France et le Danemark sont pour le moment en dessous de la moyenne
communautaire.
*
C’est pourquoi, à la conférence des ministres européens
de la sécurité sociale qui s’est tenue fin septembre à
Madrid, la Belgique a recommandé « la redistribution du
travail disponible ». Mais cette proposition n’a pas été
acceptée, les ministres estimant que le problème du partage
du travail n’était pas de leur compétence !
Cela n’empêche pas le nouveau gouvernement belge de proposer les
35 heures par semaine à l’ensemble des entreprises du pays. C’est,
un exemple à suivre.
*
Abaisser la durée du travail, c’est tout de même un raisonnement
simple qui devrait être accessible à un gouvernement socialiste
qui cherche à réduire le chômage.
Que feront les socialistes espagnols après leur victoire électorale
Vont-ils faire comme les socialistes français qui se laissent
mener par le patronat ou iront-ils de l’avant ? Ce n’est pas ce que semblé
croire le Président de la Généralité de
Catalogne qui déclarait à une semaine des élections
: « Je redoute les socialistes et d’abord leurs certitudes flamboyantes.
Ils paraissent tellement convaincus d’avoir la bonne méthode
pour lutter contre la crise. C’est inquiétant... ». Et
M. Pujol ajoutait : « Personne, ni à gauche ni à
droite ne possède la solution idéale... Ni en Catalogne,
ni en Espagne, ni dans les autres pays occidentaux.... On !e. voit bien
aux récents bouleversements électoraux de sens contraire
en Europe. La crise est trop générale et trop grave. »
*
Nous allons envoyer quelques « Grande Relève » au président J. Pujol. Ça pourra peut-être lui donner quelques idées.
*
C’est que, mine de rien, les idées que nous défendons
progressent. C’est ainsi que lors de la tenue du convent du Grand Orient
de France, le grand maître P. Gourdot a déclaré
: « Il faut reconsidérer les notions d’emploi, de travail,
de revenus et, les dissocier. Le salariat, qui implique la domination
de !employeur, n’est plus compatible avec la conception nouvelle de
l’égalité et de la fraternité. » «
Le fait associatif, la mutualisation, le phénomène coopératif,
ne peuvent- ils être demain des relais à formes humaines
à des économies essoufflées ? » ... Si nos
sociétés industrialisées aujourd’hui, robotisées
à l’extrême demain, n’ont plus besoin de toute la population
active pour fournir les biens de consommation dont nous aurons besoin,
c’est le signe, que nous sommes à la fin d’un système.
»...
« Nous devons dès aujourd’hui nous poser la question de
savoir, si la crise économique que nous vivons n’est pas la conséquence
logique de l’évolution technologique, et si le chômage
actuel n’est pas la simple constatation que nous n’avons plus besoin
de la totalité de la population active pour assurer la production
nécessaire à la consommation. »
LA Patrie est en danger ! Ce sont deux représentants du nouveau
Comité de Salut Public qui s’est donné pour tâche
de sauver l’économie française François de Closets
et Michel Albert, qui nous le disent dans « l’Express »
du 1er octobre : La France, le vrai Défi.
La France s’enfonce dans le déclin faute de relever le défi
que lui lancent ses concurrents sur le marché international.
Et pourquoi donc la France est-elle incapable de relever ce défi
? Parce qu’elle entretient une multitude de privilégiés,
de parasites (plus de la moitié de la population d’après
de Closets) qui vivent aux dépens des travailleurs réellement
productifs, grevant ainsi nos coûts de production et empêchant
nos entreprises d’être compétitives.
François de Closets et Michel Albert sont les heureux auteurs
de deux essais économiques, best sellers de la saison. Celui
de F. de Closets « Toujours plus » s’est déjà
vendu à 300 000 exemplaires. Celui de Michel Albert « Le
Pari Français » atteint 70 000 exemplaires. Contrairement
à ce que dit « l’Express », ce n’est pas la première
fois que des ouvrages de caractère économique atteignent
de pareils tirages. Il y a eu les précédents du «
Défi mondial » de ServanSchreiber qui a dépassé
le million d’exemplaires et « Le Mal Français » de
Peyrefitte. Les essais de nos deux auteurs sont du même tonneau,
tant par la superficialité de l’analyse que par l’importance
des moyens publicitaires mis en oeuvre pour assurer leur diffusion.
Les milieux d’affaires ne lésinent pas quand il s’agit de répandre
la bonne parole...
Suivant une formule consacrée, « l’Express » a demandé
à François de Closets et Michel Albert d’aller encore
plus loin, d’identifier le défi et bien entendu de proposer des
solutions.
Nos intrépides théoriciens n’y vont pas par quatre chemins
: les catégories privilégiées devront consentir
de gros sacrifices pour financer la guerre économique, autrement
dit les investissements dans les secteurs de la production appelés
à affronter la concurrence internationale. F. de Closets condense
son programme dans une formule lapidaire : « l’austérité
pour financer la guerre ». Corollaire indispensable de cette restructuration
de l’économie française : la condition des travailleurs
du « front économique » devra être revalorisée.
La vraie coupure de la France, nous expliquent nos auteurs, se situe
entre un « front » soumis à la concurrence internationale
et un « arrière » abrité derrière ses
statuts et ses « droits acquis ».
Ces privilégiés, ces planqués qui se gobergent
aux frais des travailleurs productifs appartiennent à toutes
les classes de la société. Cela va des professions libérales
comme les notaires ou les pharmaciens et les toubibs engraissés
par la Sécurité. Sociale aux fonctionnaires et aux agents
des services publics qui bénéficient de la garantie de
l’emploi et d’un revenu stable. Les exploitants et commerçants
jouissant de « rentes de situation » ne sont pas non plus
oubliés. Pour désigner ces catégories parasitaires,
F. de Closets a forgé un joli néologisme « la privilégiature »
par référence à la « Nomenklatura »
des bureaucraties de l’Est.
Les métaphores guerrières abondent dans les rapports de
nos brillants préposés au dégraissage de l’économie
française. L’article de de Closets s’intitule « Le Front
et l’Arrière ». Rien d’étonnant à cela. Nos
auteurs sont convaincus que l’état normal de la société
est la guerre économique. C’est un point qui ne souffre pas de
discussion et n’est jamais remis en cause. C’est le socle de granit
sur lequel repose toute la démonstration de nos deux stratèges.
« La guerre économique a commencé », écrit
de Closets, mais la France ne veut pas le savoir et mange son capital
au lieu d’investir pour améliorer sa compétitivité
».
Compétitivité ! C’est le mot-clé du discours de
nos deux mentors. Compétitivité ! Espoir suprême
et suprême pensée. Eternel leitmotiv des harangues de nos
politiciens de tous poils, de Debré à Rocard, de Barre
à Chevènement, d’Attali à Michel Albert, sans oublier
Herzog, économiste du P.C.F. qui lui aussi appelle à gérer
le système, même s’il prétend le gérer autrement.
La stratégie qu’impose l’économie de marché est
tellement contraignante que F. de Closets voit bien que la gauche sera
inexorablement condamnée à passer sous les fourches caudines
du système, en tâchant de faire oublier aux Français
les fanfaronnades de la campagne électorale. C’est avec une ironique
satisfaction qu’il enregistre l’alignement du gouvernement de gauche
sur les positions qu’il préconise : « Le ministre communiste
Anicet Le Pors qui planifie la perte du pouvoir d’achat chez les fonctionnaires,
Pierre Bérégovoy qui réduit les dépenses
sociales, J.-P. Chevènement qui fait l’éloge du profit,
les patrons des sociétés nationalisées qui ferment
usines et aciéries, en attendant de licencier : c’est bien le
changement, mais pas celui qui avait été annoncé
». F. de Closets a des sarcasmes auxquels nous pouvons souscrire
: « Pour avoir dû passer de la grâce des mots à
la disgrâce des faits, les leaders de la gauche font l’amère
découverte de l’impopularité ». La fumisterie des
gouvernants n’a d’égale que la jobardise des peuples... (1)
F. de Closets est parfaitement fondé à prévoir
que, dans le cadre du système existant, la gauche, à quelques
détails près, sera contrainte de faire la même politique
que la droite. C’est pourquoi, en bon technocrate, il ne récuse
ni l’une ni l’autre, à l’instar de Michel Albert qui se veut
disciple de Barre et ami de Rocard. On aura besoin des deux, semble-t-il,
pour faire accepter aux Français des différentes catégories
concernées les sacrifices nécessaires. Son rôle
consiste à indiquer la voie à suivre et à désigner
les cibles « C’est la France forte et organisée, celle
de la bourgeoisie possédante héréditaire, celle
des notables qui tiennent le corps social et plus généralement
des travailleurs bien installés dans leur emploi que le gouvernement
socialiste doit mettre à contribution. Dans la nouvelle règle
du jeu, les gains ne rémunèreront pas le travail mais
la productivité, dont la seule mesure est la concurrence ».
« A chacun selon sa compétitivité ! » proclame
de Closets, énonçant ainsi, sans en mesurer toute la portée,
la règle d’or de la société marchande.
Comment d’ailleurs les gestionnaires du système, qu’ils se positionnent
à gauche ou à droite, sous la bannière de la social-démocratie
ou celle du libéralisme, pourraient- ils se différencier,
puisque, comme nous le dit de Closets : « Un principe est unanimement
admis jouer le jeu du marché international » Autrement
dit, subir la loi du Capital, la loi des multinationales. Quand on admet
un principe, on finit bien, bon gré mal gré, par en accepter
les conséquences.
C’est précisément pourquoi nous récusons catégoriquement
les thèses de « l’Express » et de ses factotums.
La dénonciation des privilèges des « vaches à
lait » qui pompent l’économie française, nous !’avons
faite bien avant eux et de façon beaucoup plus exhaustive (2).
Les sacrifices, les réformes, la remise en ordre de toute la
hiérarchie sociale, nous en sommes bien évidemment partisans.
Mais pas pour engloutir les ressources ainsi dégagées
dans le tonneau des Danaïdes de la guerre économique, dans
la course aux investissements, dans la compétition destructrice
entre les unités de production. L’austérité pour
financer la guerre, pas d’accord ! D’autant que l’on peut prédire,
à coup sûr, que la plus grande partie des capitaux ainsi
obtenus seront réinvestis dans les paradis fiscaux du Liechtenstein
ou des Bahamas et dans les P.V.D. (pays en voie de sous-développement)
où les salaires sont 10 fois inférieurs à ceux
des travailleurs européens. C’est un terrain sur lequel ces derniers
ne seront jamais compétitifs.
L’imposture est évidente. Les belles phrases sur l’abolition
des privilèges, l’évocation d’une nouvelle nuit du 4 août,
c’est de la carotte, du baratin, pour camoufler le véritable
objectif de la campagne orchestrée par « l’Express »
sous couvert d’une restructuration de l’économie française,
préparer le terrain pour une vaste opération de ratissage
de toutes les classes sociales de l’Hexagone au profit du grand capital
apatride. Du racket pur et simple mais de haut niveau. Dans cette chasse
aux pigeons, nos spécialistes de l’Intox, F. de Closets et M.
Albert font office de rabatteurs. Ce qui explique la publicité
tapageuse dont ils bénéficient auprès des médias.
Cela dit, il faut voir à quoi nous expose la stratégie
préconisée par
ces astucieux sycophantes. Bien loin d’offrir une issue à la
crise, cette stratégie contribuera à nous y enfoncer.
L’extension de la concurrence sauvage à tous les pays et la généralisation
des politiques d’austérité qui en est le corollaire ne
pourront que déprimer encore plus la conjoncture internationale
et aggraver le chômage.
Notre position est exactement à l’opposé de celle défendue
par F. de Closets. Nous disons que pour sortir de la crise, il faut
sortir de l’économie de marché, sortir de la guerre économique
au lieu de s’y ruer. Notre thèse découle de notre analyse
que nous avons déjà exposée dans « la Grande
Relève ». Rappelons-la brièvement : La crise est
consubstantielle à l’économie de marché dont elle
traduit périodiquement le désajustement entre l’offre
et la demande globales. Les conditions exceptionnelles et privilégiées
dont l’économie occidentale a bénéficié
au cours des XIXe et XXe siècles et qui ont assuré son
expansion en lui permettant de dépasser ses conditions structurelles
sont en voie de disparition. La raréfaction et le renchérissement
des ressources naturelles, la mondialisation du marché et des
capitaux, l’introduction des nouvelles technologies qui tendent à
éliminer le travail humain du procès de la production
rendent aujourd’hui ces contradictions insurmontables. Le système
ne continue de fonctionner qu’au prix du gaspillage démentiel
des pays riches, de la course aux armements et de l’endettement vertigineux
de créanciers devenus insolvables. La menace d’un Krach financier
sans précédent plane sur l’économie mondiale. Dernier
signal alarmant : les tendances déflationnistes commencent à
faire reculer l’inflation, malgré le laxisme monétaire
de la plupart des Etats.
Il ne sert donc à rien, dans ces conditions, de prôner
des mesures d’austérité ou de réclamer, comme le
fait Paul Fabra, le retour à l’orthodoxie financière.
Dans l’état des choses actuel, ces mesures (défendables
dans un autre contexte) pourraient avoir des effets négatifs
et accélérer la décomposition du système.
En bref, nous ne pensons pas, contrairement à de Closets, qu’en
optant pour la fuite en avant, en s’engageant à fond dans la
voie de l’économie conflictuelle, on trouvera une issue à
la crise. C’est dans une toute autre direction, celle de la concertation
entre les individus et les peuples, qu’il faut regarder si l’on veut
vraiment s’en sortir.
Que ce renversement d’optique et de stratégie ne soit pas chose
facile, surtout si l’on considère qu’il ne saurait s’opérer
dans les limites d’un seul pays, nous en sommes convaincus. Mais c’est
dans ce sens qu’il faut oeuvrer, quels que soient les obstacles et les
difficultés. A cet égard, la théorie de l’économie
distributive de J.* Duboin constitue une bonne approche du problème.
C’est également dans cette direction que progresse le mouvement
des Verts d’Allemagne occidentale, à la recherche d’une alternative
à la société actuelle, en s’enfonçant comme
un coin entre la droite et la gauche classiques. Un exemple que les
Français devraient suivre...
Certes, il y a loin des objectifs ponctuels des écologistes et
des positions éthiques des courants d’inspiration religieuse
à la définition d’un projet politique cohérent.
Mais c’est dans cette direction que l’humanité a une chance de
trouver une issue à la crise du monde actuel. Juste à
l’opposé de celle que veulent nous faire prendre « l’Express
» et ses sycophantes.
(1) Quand les socialistes me reprochent de ne pas les prendre au sérieux,
je leur réponds par une simple anecdote. Comment prendre au sérieux
un parti qui a accordé son investiture à un candidat (en
Ardèche) dont le programme électoral se résumait
à ce seul slogan : « Pour vivre à l’aise, votez
Allaize » ? Aujourd’hui, avec les mineurs de Largentière
aux trousses, le député de la basse Ardèche doit
se sentir beaucoup moins à l’aise. Le cas de cet obscur député
n’est pas plus consternant que celui de ce fondateur « historique
» du CERES, champion de la rupture avec le capitalisme avant Mai
1981 et qui fait aujourd’hui l’éloge du profit, aux grands ricanements
de de Closets. Des Charlots comme disait l’autre...
(2) On observera que nos réformateurs, très diserts quand
il s’agit de dénoncer les privilèges et passe-droits des
classes moyennes, sont d’une grande discrétion pour tout ce qui
concerne les exactions et les pillages autrement graves et scandaleux
auxquels se livrent les monopoles et les sociétés multinationales
dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les parties
du monde. L’éternelle histoire de la paille et de la poutre.
M. de Closets sait clore ses yeux quand il le faut...
DEVANT le gaspillage d’énergie, on accuse à juste titre
la société de consommation. Mais on l’assimile trop souvent
à la société d’abondance.
La société d’abondance, c’est l’abondance pour tous, dans
la mesure où les ressources naturelles le permettent. La société
de consommation, c’est l’abondance pour une partie de la population
et une abondance précaire : le revenu n’est réellement
garanti à personne, tandis que la publicité multiplie
les besoins.
La société de consommation n’est autre qu’un des nombreux
moyens adoptés par le capitalisme pour échapper à
l’asphyxie. On ne veut pas vraiment sortir de ce régime. Alors,
pour maintenir le cycle « production-vente-profit-investissement
», on crée sans cesse de nouveaux produits. Et, par la
débauche publicitaire, on crée aussi chez les consommateurs
le besoin de les acheter.
Autrement dit, pour compenser la mévente résultant de
la pauvreté, on tire tout ce qu’on peut des riches et plus ou
moins riches. Il n’est pas sûr que toutes les nouveautés
amènent un progrès véritable. Peu importe, du moment
que les clients solvables y croient dur comme fer !
Au stade où nous en sommes, le véritable progrès
serait de marquer un palier et de permettre à tout le monde de
bénéficier du... progrès. Abolir la pauvreté
et réduire fortement l’écart des revenus coûteraient
moins cher que le petit jeu actuel : l’éventail des revenus accroît
encore la frénésie d’achats. Au contraire, dans une société
égalitaire ou s’en approchant, les gens ne s’occuperaient plus
guère de comparer leur situation matérielle à celle
du voisin. C’est probablement ce qu’on cherche à éviter...
!
Au gaspillage du secteur privé répond le gaspillage du
secteur public, sans lequel, d’ailleurs, le premier n’aurait pu embellir
et durer à ce point. Au sommet trônent les armements.
Ajoutez-y tous les organismes installés pour limiter la crise
ou se protéger de ses effets, et vous aurez un bel ensemble énergivore !
Peut-être l’accès de tous à l’abondance serait-il
énergivore dans un premier temps. Mais à la longue, c’est
moins sûr ; une économie qui fonctionne sans « béquilles
» épargne fatalement plus d’énergie qu’une économie
grinçante.
En éliminant les sottises, les gaspillages qui fleurissent aujourd’hui,
en ôtant les obstacles à une large diffusion des techniques
diminuant la consommation d’énergie, l’Economie Distributive
pourrait bien se révéler une grande... économie
d’énergie. Que ce soit dans l’industrie, la santé et l’agriculture
(déjà abondamment étudiées ici), ou les
services.
Prenons cette fois un exemple dans l’industrie et les transports en
Economie Distributive, on ne cherchera pas à inonder le pays
de voitures, immobiles la plupart du temps, mais à offrir à
chacun le meilleur moyen de se déplacer (voir à ce sujet
l’intéressante expérience de Montpellier).
Les médias ont relaté que le Séminaire Socialiste
de Maisons- Laffite a reconnu la gravité de ce que vous continuez
à appeler la « Crise Mondiale » qualifiée
de « dramatique »...
C’est infiniment plus. Evolution sans aucun précédent
dans l’Histoire, elle a, sans jeu de mots, pris l’R de la Révolution.
En mai 1981, nous avons cru votre parti capable d’en maîtriser
l’analyse, de réduire inflation et chômage par un nouvel
équilibre, dans des expériences originales, inspirées
de générosité et d’imagination, loin des remèdes
orthodoxes appliqués aux crises cycliques d’antan. Quelque centaines
de milliers d’hommes et de femmes, lucides et pleins d’espoir, ont donné
à François Mitterrand, une courte victoire, bien loin
du « raz de marée » que vous avez tant magnifié.
Dans la foulée, c’est vrai, les législatives de juin vous
ont donné, au Palais Bourbon, la majorité. Confortant
notre espoir. Quinze mois après, vous vous engagez dans des chemins
si voisins de ceux de vos prédécesseurs, que, le 21 juillet,
André Bergeron se sentait « revenu 15 ans en arrière
». Acceptant l’idée de « Crise mondiale dramatique
», vous allez, bientôt, « apercevoir le bout du tunnel
» et, face au chômage, vous ne ferez pas mieux qu’eux. Chômage
irréversible sauf à accepter, et promouvoir, un changement
de mentalité et de civilisation.
*
Son caractère essentiel est la disparition, dans les pays industrialisés
(Occident, URSS, Japon) du travail humain assurant la production des
biens et services nécessaires à la satisfaction des besoins.
Dans ces pays, et de plus en plus, la plus grande partie de la population
trouve, dans la seule rémunération de son travail, le
moyen de « solvabiliser » ses besoins. La féroce
compétition économique internationale et le système
de rémunération du travail obligent au chômage ou
à une révision du système. Les pays industrialisés
font face à ce problème.
A l’Est, « il n’y a pas de chômage » (Pierre ZARKA,
député P.C. de Seine St-Denis). Les méthodes employées
ne sont pas celles de la démocratie française. Aux USA
et en Grande-Bretagne, Reagan et Thatcher appliquent rigoureusement
les règles du monétarisme cher au XIXe siècle.
Les grandes entreprises du Japon sont des modèles de réussite
sociale. Il n’en est pas de même des petites entreprises de sous-traitance.
Les médias insistent peu sur le développement de la misère,
le renouveau des soupes populaires, aux USA, en Angleterre, et au Japon,
où le chômage se développe plus vite qu’en France.
En France, la nécessité d’être compétitives
impose aux entreprises de diminuer les coûts et de promouvoir
Robotique, Bureautique, « Productique » (J.-P. Chevènement
le 22 juillet) donc, du moins dans un premier temps, de réduire
le travail des hommes.
Apparaît alors la quasi obligation de répartir ce travail
encore nécessaire. Apparaît aussi l’incompréhension
des syndicats français, frileux et corporatistes. Défense
de l’emploi - Maintien des avantages acquis, - Réduction du temps
de travail sans diminution de salaire sont autant de mots d’ordre inadaptés
à cette période difficile de transition socio-économique.
La France fait l’expérience de la pire des « Economies
duales ». Economie duale à l’Est avec internements et camps
de travail forcé, Economie duale au Japon avec la sous-traitance
impitoyable, Economie duale partout où l’indemnisation du chômage
crée un sous prolétariat d’assistés voués
au désespoir. C’est bien, après les camps de l’Est, la
pire de toutes. Elle frappe les jeunes mal qualifiés et les anciens,
trop jeunes pour la retraite. Elle mène au travail noir. A la
délinquance. Elle creuse, plus profond, le fossé des inégalités.
« Le Nouvel Observateur » a publié (1) un article
de Michel Bosquet intitulé « Travail : Requiem pour le
temps plein ». Remarquable par sa concision, il montre l’impossibilité
de retrouver, dans les pays industrialisés, le plein emploi.
Chemain faisant il cite cette phrase de Karl Marx :
« L’étalon de mesure de la vraie richesse sera non pas
le temps de travail, mais le temps disponible. Adopter le temps de travail
comme étalon de la richesse, c’est fonder celle-ci sur la pauvreté.
»
Beau sujet de méditation pour un syndicalisme dérapant
vers un corporatisme conservateur des avantages acquis !
Après avoir examiné diverses approches pour « percer
le mur du chômage », dont le travail à temps partiel
avec salaire adapté (Michel ALBERT le pari français),
Michel Bosquet résume ainsi sa pensée :
« Quand il y a de moins en moins de travail... pour le répartir
au mieux sur la population entière... il faut que le revenu distribué
cesse d’être fonction de la quantité de travail fournie,
pour devenir fonction de la quantité de richesse que la Société
choisit de produire. »
Il rappelle la solution de Jacques Duboin... à la méditation
des gens clairvoyants. La transition ne sera certes pas facile. Ni évidente.
Elle n’est pas impossible. Ce qui paraissait utopique il y a 15 ans
encore, peut devenir la réalité salvatrice de demain.
Dans son numéro de décembre 81, « la Grande Relève
» suggère de créer, dans le contexte « distributif
» une unité économique réservée, strictement,
aux chômeurs et à leurs familles. Le cadre, politique,
de la décentralisation, devrait permettre d’engager, avec les
volontaires, ce qu’on pourrait appeler une (ou plusieurs » «
expérience de laboratoire socio-économique ».
Cette idée a besoin d’être précisée. Pourquoi
ne pas attacher à son examen quelques-uns de vos spécialistes
?
Non, M. Jospin, ce n’est pas une Crise, mais une révolution boule
versante.
A. LIAUME
(1) N° 925 du 31 juillet 1982.
RIEN ne va plus ! tel est l’intitulé du dernier éditorial
de M.-L. Duboin. En effet, rien ne va plus ! et nulle part ! Chômage,
inflation, déficit du commerce extérieur et du Budget
; flambée de racisme et de chauvinisme propre à toute
époque troublée gravement cure d’austérité,
rien n’y manque. Pas même les bons apôtres et autres donneurs
de conseils et prôneurs de solutions. Ainsi l’Eglise elle-même
toujours aussi prompte à s’émouvoir des conséquences
de nos difficultés que peu pressée à chercher le
pourquoi des causes qui les provoquent, vient, par le truchement de
l’épiscopat d’exposer « urbi et orbi » son plan de
sauvetage consistant à inviter tous ceux qui, bénéficiant
(pour combien de temps ?) du privilège de jouir d’un poste de
travail, donc d’un revenu, à renoncer à une partie de
leurs avantages en faveur de ceux qui, exclus temporairement ou définitivement
du circuit des échanges, ont un besoin urgent d’être aidés.
Alors, et comme de coutume, l’Eglise propose comme solution la charité,
masquée il est vrai, sous le vocable plus « up to date »
de Solidarité. Ce qui a l’avantage de dégager comme un
relent polonais des plus opportuns.
Cette méthode, qui donnait les résultats que l’on sait,
était valable sous Jésus-Christ, époque de pénurie
et de dénuement que l’on peut supposer, pouvait expliquer le
don partiel ou total de ce qu’on possédait et assurait au généreux
donateur le séjour céleste. En somme, un bon placement
et à l’abri de l’inflation. Méthode dépassée
à notre époque d’abondance où il suffirait d’attribuer
un REVENU SOCIAL à tous, de la naissance à la mort, pour
éradiquer définitivement l’odieuse plaie de la misère
honte de notre civilisation.
Dépouiller Pierre pour habiller Paul ou inversement, voilà
ce que l’épiscopat propose. C’est inacceptable. Sans doute les
paroles du Christ ont guidé la décision. N’a t-il pas
dit : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses
biens ne peut être mon disciple ou encore, répondant à
un jeune homme qui lui demandait comment se comporter pour gagner la
vie éternelle, alors qu’il observait déjà la loi
mosaïque, « Très bien, maintenant quitte toutes tes
richesses et suis moi ». Cette philosophie de l’existence n’étant
plus de mise à, notre époque, les objections souvent véhémentes
de la part de nombreux fidèles, preuve d’un tollé général,
ont donné à réfléchir. L’aspect politique
de la question n’a pas échappé à certains qui se
montrent en outre très choqués. L’exemple de M. X., de
Niort, est exemplaire à cet égard ; il a envoyé
une lettre à son évêque pour lui indiquer que cette
fois-ci la coupe était pleine et qu’il rompait avec l’Eglise
Catholique. Cet évêque Mgr Rouzier du diocèse de
Poitiers, ’tout en approuvant la position de l’épiscopat (naturellement)
, n’en convient pas moins que s’orienter vers un partage du travail
au nom de la justice sociale pose des problèmes au niveau des
individus. Parbleu ! Qui s’en étonnerait ? Faut- il inciter les
femmes à rester au foyer, ou bien, qui de l’homme ou de la femme
doit renoncer à son salaire ? Eternel dilemme pour l’Eglise dans
son prurit de vouloir contenter tout le monde et son père. Avec
l’argent des autres... autant que possible.
Quand donc l’Eglise comprendra t-elle que vouloir concilier le temporel
et le divin est tâche impossible. Sa fonction spécifique
étant d’adorer Dieu et de propager l’Évangile, se mêler
de ce qui ne la regarde pas l’expose constamment à des contradictions
irréductibles dont elle ne sort que grâce à des
arguties savantes qui ne convainquent que ceux qui le sont d’avance.
C’est son affaire. Pourtant... Faut-il rappeler qu’après s’être
désespérément opposée à la séparation
de l’Eglise et de l’Etat, elle a dû subir cette laïcité
dont elle reconnaît aujourd’hui que le catholicisme ne s’en porte
pas plus mal. Sauf dans son orgueil dogmatique en tant que perte de
prestige, donc de puissance temporelle. De même sur les questions
concernant le divorce, la contraception, l’I.V.G., l’école confessionnelle
improprement appelée « libre », ce qui laisserait
supposer que !’autre la « laïque » est esclave ! Et
ainsi que de tout autre problème de société dont
la solution relève de la puissance civile et non d’une compétence
plus ou moins divine.
Il serait temps que les camarades distributistes croyants qui luttent
à nos côtés pour l’avènement d’une société
vraiment fraternelle puisque composée d’hommes libres économiquement,
redoublent d’efforts afin de faire admettre par l’Institution politico-cléricale
qu’est l’Eglise de Rome, qu’elle peut lutter autrement qu’avec de bonnes
intentions dont les chemins de l’enfer sont pavés, paraît-il.
En s’inspirant, que dis-je, en faisant siennes, hautement et clairement,
les idées et conclusions de précurseurs tels que St. Augustin,
St. Ambroise, St. Clément, St. Grégoire le Grand et St.
Grégoire de Mysse. Tous pareillement partisans d’une conception
humaniste de la société récusant le régime
de la propriété privée considérée
à l’origine comme une usurpation. En niant à quiconque
le droit de se dire propriétaire d’une chose qui est nécessaire
à la vie de tous. « Quand tu apparus un jour, quelles richesses
as-tu apportées avec toi ? » s’exclame St. Ambroise.
Voilà pour les anciens. Plus près de nous, les prestigieuses
figures de Theilard de Chardin, spiritualiste indéniablement,
qui écrivait dans son livre « L’activation de l’énergie
» (1) , ceci : « Je pense au phénomène du
chômage qui inquiète tellement les économistes mais
qui, pour un biologiste, est la chose la plus naturelle du monde il
annonce le dégagement de l’énergie spirituelle ; deux
bras libérés, c’est un cerveau libéré pour
la pensée » A celle si sympathique de l’abbé Monin
dont sa brochure sur « l’Eglise et le droit de propriété
» le place comme un des meilleurs précurseurs parmi les
gens d’Eglise. Que dire, enfin du Professeur François Perroux,
ni utopiste ni athée, je crois, titulaire de la chaire d’analyse
des faits économiques au Collège de France, et toujours
vivant, parmi nous, qui écrivit ces fortes paroles : « Si
l’on persistait à juger d’après les critères économiques
courants (pas de rémunération sans produit), cette masse
d’individus (les exclus de l’échange), DEVRAIT ETRE ELIMINEE
SANS APPEL ». La loi du cocotier, en somme...
L’épiscopat français connaît bien tout cela. Il
sait, par conséquent, que sa proposition, véritable coup
d’épée dans le vaste Océan de la Crise, avec majuscule,
c’est du vent. Et cela est de très mauvais goût, figurez-vous,
au moment où il urge d’apporter solution sérieuse aux
problèmes qui nous assaillent de tous côtés. Car,
je le répète, rien ne va plus ! Donc, plus qu’il n’en
faut pour dire que la proposition épiscopale péché,
non seulement de puérilité, ce qui serait déjà
grave, mais aussi de complète inefficacité. Et ça
c’est désastreux si l’on songe que cela risque d’entretenir chez
beaucoup des illusions mort-nées. En supposant qu’elle vînt
à être adoptée, cette proposition se réduirait
à un simple transfert de « pouvoir d’achat » sans
accroissement aucun du volume global de celui-ci, seule considération
valable en l’occurence. Qui pis est, ce transfert ne ferait qu’aggraver
la situation générale au lieu de l’améliorer. En
effet, un système d’indemnisation, en l’occurence transfert,
qui consiste à prélever sur les salariés à
plein temps afin de redistribuer aux chômeurs, c’est déjà
ce que nous voyons sous nos yeux depuis l’institution d’une allocation
chômage et atteint rapidement ses limites. Le volume global des
versements de cotisation à la Sécurité Sociale
s’en trouverait-il accru pour autant ? Certainement pas. Alors ?. Que
l’on prenne le problème par tous les bouts on sera obligé
de convenir qu’en définitive le seul moyen de’ résoudre
le problème est d’augmenter « globalement » le pouvoir
d’achat si l’on veut réellement en attribuer un peu plus à
chacun. Hors de là point de salut ! Et c’est justement ce que
le système n’est plus en mesure de faire ! Car même les
investissements ne sont plus créateurs d’emplois, et de cotisants
par voie de conséquence. Toute amélioration de l’outillage
ayant pour but l’élimination de salariés. C’est le cercle
infernal, dont on ne verra la fin que par d’autres mesures que celles
proposées par l’épiscopat.
Mais alors le problème change du tout au tout, ou plus exactement
de nature, car le revenu distribué cesse d’être fonction
de la quantité de travail fournie. Qui ne voit là l’impossibilité
pour l’épiscopat de voir qu’il lui faudra admettre, enfin, qu’un
changement fondamental de la société s’impose ; changement
impliquant la fin du régime des échanges et sa correspondante
substitution par un système distributif dont les modalités
sont à l’heure actuelle archiconnues y compris par l’épiscopat.
Pourrait-il aller jusque là ? Ce serait pour lui la reconnaissance
officielle de la mort d’un système de production qui distribue
de moins en moins de salaires, tout en produisant une masse croissante
de biens et de services.
Malheureusement pour l’Eglise, l’état d’esprit catastrophique
appelé par elle évangélique, est encore en vigueur
dans de nombreuses contrées pas toujours nécessairement
sous-développées. Exemple fourni par le propre Vicaire
du Christ sur terre, le pape Jean-Paul Il qui n’hésite pas à
se commettre en frayant avec de notoires fripons (junta argentine, coupable
de crimes atroces, et de tortures constantes). Pas plus tard qu’aujourd’hui
les média nous informent de la découverte d’un charniier
contenant des centaines de cadavres de disparus. Pariez-vous qu’aucune
protestation semblable à celles sur la défense des droits
de l’homme en Pologne n’est près de voir le jour ? Passons. Il
y a eu les multiples mascarades en terre africaine chez des satrapes
sanguinaires et encore, le petit laïus prononcé lors de
sa visite au sinistre dictateur philippin Marcos dont voici le passage
qui nous intéresse, du fait de s’être adressé à
des foules affamées en leur conseillant « de ne point se
laisser obséder (sic) par l’appétit des biens matériels
» (resic). Passons encore une fois de plus pour en arriver à
la conclusion.
Un théologien en fonction écrivait il n’y a pas longtemps
ceci dans un hebdomadaire de large diffusion : « ... et le fait
que, dans l’histoire, l’Eglise n’a pas été et ne peut
pas être seulement spirituelle. Elle ne sera jamais non plus hors
du temps ».
Qui n’applaudirait de si bonnes et louables intentions ? Moi je réponds
bravo ! à la bonne heure car nous ne serons jamais trop nombreux
à vouloir supprimer la misère matérielle sur terre.
Et puisque l’Eglise ne veut pas être hors du temps, je souhaite
de la voir descendre dans l’arène et à visage découvert
oser réclamer avec nous l’institution d’un REVENU SOCIAL MINIMUM
GARANTI DE LA NAISSANCE A LA MORT, POUR TOUS. Seul moyen d’en finir
avec la misère régnant encore dans les pays les plus supérieurement
équipés, honte de notre civilisation. Dans ces pays, les
stocks, les entrepôts, les magasins débordent de marchandises
de toute sorte auxquelles les plus démunis, qui sont légion,
n’accèdent que sporadiquement et insuffisamment, et non sans
subir de multiples vexations bureaucratiques. L’Eglise doit se dire
que l’ère du christianisme primitif est heureusement révolue,
espérons à jamais. Et que l’ère de la véritable
fraternité est déjà commencée avec l’affectation
de 42 à 50 % selon les pays, du produit national au budget social.
D’ici nue ce pourcentage atteigne 100 % il y aura des efforts à
faire. Que l’Eglise, qui se veut dans le siècle en faisant du
« social le fasse bien et le plus tôt possible. Le temps
presse ! Car rien ne va plus On ne le répètera jamais
assez !!
(1) Publié en 1947 au Seuil.