La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 806 - décembre 1982

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N° 806 - décembre 1982

Stupidité dramatique du système économique   (Afficher article seul)

De l’économie de l’échange à l’économie distributive   (Afficher article seul)

Un seul problème : la consommation   (Afficher article seul)

Les méfaits de la P.A.C.   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

La chasse aux pigeons   (Afficher article seul)

L’abondance énergivore ?   (Afficher article seul)

Lettre ouverte à L. Jospin   (Afficher article seul)

Le temporel et le divin   (Afficher article seul)

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Stupidité dramatique du système économique

par M.-L. DUBOIN
décembre 1982

LES Etats-Unis d’Amérique sont au premier rang mondial non seulement pour leur production industrielle et militaire, mais aussi pour la production agricole. Les terres cultivées y couvrent 2 millions de kilomètres carrés, soit onze fois la surface cultivée de la France (dont la population est environ 4 fois moindre). Presque toutes les productions agricoles peuvent pousser sur le sol des EtatsUnis. On a même réussi à faire pousser du riz, dont la culture demande tant d’eau, au milieu du désert de l’Arizona ! Les Etats-Unis occupaient, en 1979, le premier rang mondial pour la production du soja, du maïs, des fruits, des céréales en général, du sorgho et des chevaux ; le second rang pour l’avoine, le tournesol, les oranges, le lait, le coton ; le troisième pour les bovins et les porcs, le blé, le sucre de betteraves, les pommes de terre et les arachides. Bref, produisant près de 10 % des produits agricoles mondiaux, ils approvisionnaient chaque année et à eux seuls la moitié du marché mondial des céréales. Et cela en n’exploitant que les terres à bons rendements. S’ils mettaient en culture les terres à rendement seulement moyen, ils seraient en mesure de nourrir le monde entier, c’est-à-dire de fournir à un peu plus de 4 milliards d’habitants l’équivalent de 3 000 calories par jour, ce qui suffit largement à la nourriture d’un être humain. L’excédent de leur balance commerciale pour l’agriculture a atteint 78 milliards de francs en 1979, étant de loin le plus important du monde tout en ne représentant que 0,8 % du produit national brut du pays.
Tous ces chiffres sont publics. Ils sont incontestables. Ils sont la réalité : la production des EtatsUnis est plus que suffisante pour qu’au moins tous leurs habitants puisse vivre très largement.
Comment de telles richesses sont-elles distribuées par le système marchand qui repose sur les échanges, sur le trio travail-salaires-profits  ? Une étude publiée en juillet dernier par J. Thackray dans la revue « Management Today » est éloquente à ce sujet. Elle parle de conditions dramatiques pour les exploitants agricoles : les ventes en liquidation d’exploitations agricoles ont atteint des chiffres jamais vus. Dans certaines régions, faillites et cessation de paiement ont augmenté de façon vertigineuse, et sur toutes les régions agricoles les catastrophes financières vont s’abattre en un véritable raz- de-marée ». D’après un spécialiste de l’Université du Missouri, Harold Breimyer : « Pour chaque exploitation déclarée en état de cessation de paiement, il y en a sans doute dix qui se trouvent au bord du gouffre... Il y a au bas mot des milliers d’exploitations qui ne survivraient pas à une nouvelle année avec des revenus diminués ». A l’échelle nationale, le pourcentage de défaut de paiement aux échéances est de 58 % des crédits consentis.
Un pareil chiffre ne s’est jamais vu. Des baisses de revenus des agriculteurs se sont souvent produites mais ce qui est différent aujourd’hui, et ce n’est pas moi qui le souligne, mais le journaliste de la revue « Management Today », c’est l’instabilité qui s’est installée dans toute la structure financière de l’agriculture américaine les 2 400 000 exploitants agricoles américains étaient endettés au début 1982 pour un montant de 195 milliards de dollars, deux fois plus qu’en 1977. Cet accroissement de l’endettement donc cette instabilité dramatique, vient du fait que les intéressés avaient emprunté en pariant sur une inflation incessante entraînant avec elle la hausse des prix de la terre et de ses produits. Or ce qui se produit c’est à la fois la chute des prix et l’accroissement des taux d’intérêt dans l’Iowa, le vice-président d’une banque raconte : «  L’an dernier, en septembre, j’ai mis aux enchères une exploitation agricole qui s’est vendue 4 000 dollars l’hectare. Moins d’un an après, une-ferme de 64 ha ne vaut plus que 1 750 dollars l’hectare. Nos clients les plus âgés, ceux qui ont connu la crise de 1929 disent que cela leur rappelle tout à fait cette époque, sauf que maintenant les choses se passent à une toute autre échelle  ». Une analyse faite par la Federal Reserve Bank de Chicago révèle qu’en 1980 et 1981 le prix moyen des terrains a progressé à un rythme plus lent d’environ la moitié du taux général de l’inflation et qu’il a même régressé dans l’Iowa, le Michigan, l’Illinois, l’Indiana et le Wisconsin.
Les conséquences de cette situation se retrouvent, comme en 1929, sous ses deux aspects dramatiques. D’une part, leurs revenus baissant, les exploitants agricoles diminuent leur production. D’autre part, la misère ou la peur du lendemain dégradent les relations sociales. Dans bien des communes rurales, on, note, rapporte John Thackray, un déclin de la convivialité qui fait place à une attitude soupçonneuse et à l’hostilité. Un pasteur de l’Iowa raconte : « Beaucoup d’agriculteurs se moquent bien de voir leur prochain faire faillite, du moment qu’ils peuvent acquérir ses terres ». Et la faillite des exploitants agricoles entraîne des effets en chaîne pour ceux qui leur ont vendu la terre à crédit, pour leurs fournisseurs de semences, d’engrais, de matériel, ainsi que pour les banques locales qui se trouvent paralysées dans leurs opérations de crédit, conclut J. Thackray.
Voilà dans toute sa splendeur la logique du système de l’économie de marché. Le pays le plus riche du monde, riche de ces richesses vraies que sont ce que le sol et les industries sont capables de produire, ce pays le plus riche du monde est amené, par des lois économiques que personne n’ose remettre en question, à diminuer sa production entraînant ainsi l’appauvrissement d’un nombre croissant de ses habitants : la photo du « Nouvel Observateur » que nous reproduisons en couverture est éloquente  : les files d’attente s’allongent dans les grandes villes quand une entreprise charitable distribue des repas aux sans-travail - sans revenu. « Près de la moitié du pays cherche du travail » rapporte ce journal, ce pays où la faim, la vraie faim au ventre gonflé, a réapparu à New-York, l’une des villes les plus riches des Etats-Unis »... où les sans-logis envahissent les trottoirs.
Des études prospectives prévoient des émeutes pour 1983 : D’autres se rappellent que la guerre a mis fin - et comment ! - à une situation semblable. A nous de faire entendre qu’il existe une autre solution... avant qu’il ne soit trop tard !

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De l’économie de l’échange à l’économie distributive

par P. BUGUET
décembre 1982

DANS son livre « Libération », écrit en 1936, J. Duboin explique ainsi pourquoi il est devenu nécessaire d’abandonner l’économie de l’échange :
« Le droit aux produits et aux services doit être libéré de la considération du travail fourni, car le labeur humain, conjugué avec l’outillage dont on dispose, n’est plus proportionnel au rendement. L’excédent social, fruit de la coopération, appartient à la communauté dont l’Etat est le gérant.  »
Et c’est pour distribuer cet excédent que J. Duboin préconise le revenu social, qui s’impose pour assurer la pérennité de la vie économique.
Naguère, G. Pompidou, grand commis du monde de la finance, défenseur du libéralisme échangiste, prédisait, lui aussi, face à la crise tenace, l’imminence d’une mutation de l’économie. Le séisme financier révélé à Toronto le 6 septembre dernier, serait-il le prélude à la brusque transformation organique de l’économie annoncée par cette autorité financière ?
Il nous semble donc de circonstance de rappeler la proposition rationnelle de mesure transitoire qu’est le Revenu Social qui, par sa progression et son caractère d’intérêt général, a pour rôle de permettre à tous ceux qui sont atteints économiquement par la baisse des revenus (chômage, dévaluation, mévente) de rester solvables.
Cette mesure de transition dans l’acheminement des revenus qu’impose le remplacement du travail humain par les techniques nouvelles, libère les hommes de la contrainte de l’échangisme primitif.
La répartition : « à chacun selon son travail », devient : « à chacun selon ses besoins », l’accès aux biens et produits fabriqués à l’aide des machines est, désormais, ouvert à tous du berceau au tombeau.
N’est-ce pas à cette mesure transitoire appelée par la mutation prévisible de l’économie, que nous convia Jacques Duboin un quart de siècle avant l’annonce de Georges Pompidou  ?

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Le texte qui suit...

Un seul problème : la consommation

par J. DUBOIN
décembre 1982

TOUS ceux qui jettent un coup d’oeil sur les progrès prodigieux accomplis dans le cours des dix-neuvième et vingtième siècles par toutes les sciences naturelles entrevoient ce qu’elles promettent de nous donner encore avant longtemps. Tous ceux-là, dis- je, comprennent qu’une ère nouvelle s’ouvre pour l’humanité puise qu’elle possède tous les moyens pour y atteindre.
Mais d’autres, obstinément tournés vers le passé, se refusent encore à reconnaître cette évidence. Un évêque, ces jours-ci, dans une lettre pastorale, n’hésitait pas à débuter par ces mots « la misère a toujours existé et existera toujours ».
Cette misère qui étreint des millions d’Européens apparaît encore comme un phénomène naturel, inéluctable comme la mort, un phénomène faisant partie du sort de l’être humain.
Ces pessimistes impénitents se croient au temps de la disette, alors que les greniers sont pleins ; ils oublient que la misère n’avait de raison d’être que parce qu’il y avait trop peu de biens et trop d’hommes qui en avaient besoin.
Or, c’est précisément tout le contraire aujourd’hui, puisque nous devenons tous les jours, grâce à la science, plus riches en marchandises alors que diminue le travail humain nécessaire pour les produire. Le fait que le chômage existe en face de stocks invendables ne vient-il pas démontrer que le problème de la consommation reste à résoudre ?
C’est donc la consommation qui rie marche pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que les aspirants-consommateurs n’ont pas les moyens d’acheter ce qui existe, et même ce qui existerait en bien plus grande abondance si la production pouvait prendre l’essor que le progrès technique rend possible.
Par un raisonnement bien simple, on incrimine la monnaie qu’on déclare n’exister qu’en quantité insuffisante pour assurer l’achat de tous les produits qu’il est possible de créer.
Cependant, on constate que la quantité de monnaie existant en France bat tous les records connus. Elle n’a jamais été aussi abondante qu’aujourd’hui.
Et cela nous amène au coeur du problème. Si l’on partageait également entre tous les Français la quantité de monnaie en circulation et même celle qui est thésaurisée, chacun de nous ne recevrait guère que 2 000 francs pour sa part. Evidemment, nous ne pourrions pas aller bien loin puisque nos moyens seraient inférieurs à l’allocation que touche le chômeur...
C’est dire que la monnaie, dans le régime actuel, joue un rôle de simple intermédiaire et qu’elle vient dans la poche du consommateur que pour en ressortir aussitôt dès qu’il consomme. A ce moment- là, la monnaie devrait revenir dans la poche du consommateur afin de lui permettre de continuer à acheter ce dont il a besoin pour vivre.
Si elle n’y revient plus aujourd’hui, c’est simplement parce que le consommateur n’a pu s’en procurer parce que son travail n’était pas nécessaire pour constituer les stocks invendus...
On voit donc qu’il est impossible de résoudre le problème de la consommation et vaincre ainsi la misère, si l’on se refuse d’admettre que le droit aux produits et aux services doit être libéré de la considération du travail fourni, puisque le travail de l’homme, lorsqu’il se conjugue avec un outillage de plus en plus perfectionné, donne un rendement qui est sans commune mesure avec le labeur encore nécessaire.
Tant que ce postulat n’est pas admis, à quoi bon discuter avec les gens qui, ayant installé un moteur sur une vieille carriole, s’imaginent avoir construit une automobile !
Au contraire, si ce postulat est admis, on voit qu’il conduit à une. transformation complète du régime économique puisque la production sera répartie en totalité à la consommation, à condition que chaque travailleur fournisse la part de travail que le progrès technique rend encore nécessaire.
Lorsque ce postulat sera admis,, les moyens de transition entre les deux régimes n’épouvanteront plus personne.

... a été écrit en 1937 !

Les choses ont-elles vraiment changé  ?

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Les méfaits de la P.A.C.

par P. SIMON
décembre 1982

LES initiales PAC représentent la Politique Agricole Commune, l’un des plus beaux fleurons de la Communauté Economique Européenne aussi appelée Marché Commun. Elle est destinée à harmoniser les politiques agricoles de chacun des dix participants, tous fonctionnant en économie de marché. Il est intéressant de voir un peu comment les choses se passent dans ce secteur délicat car les agriculteurs ont parfois la tête pros du bonnet ainsi qu’ils l’ont montré à de nombreuses reprises dans les années passées.
Depuis l’entrée de la Grèce, les pays du Marché Commun sont au nombre de dix. En 1958 (tous n’étaient pas encore entrés dans la Communauté) ils avaient globalement environ 20 millions d’agriculteurs. Ce nombre est depuis retombé à moins de 9 millions. Dans l’industrie, on dirait que les effectifs ont été « dégraissés ’ . La production globale n’a pas baissé pour autant, loin de là. En somme, la productivité a crû et, en terme de marché, c’est une bien bonne chose.
Pas vraiment, car l’agriculture des Dix doit demeurer très fortement subventionnée, grâce au contribuable. En 1981, la Communauté a consacré 13 milliards d’écus (unité de compte européenne =environ 6 francs) à ses fermiers. Au cours de la même année, les gouvernements des dix pays membres ont versé à eux tous une somme au moins équivalente dans les escarcelles de leurs agriculteurs. Ceci en totale infraction aux règlements communautaires.
Pourquoi cette manne céleste ? Pour protéger les fermiers des deux risques majeurs qu’ils courent : les aléas du marché et du temps. De plus, aucun pays n’est prêt à sacrifier son agriculture car l’emploi doit être préservé là où il existe et aussi parce qu’un pays incapable de se nourrir au moins un peu serait particulièrement vulnérable en cas de conflit.
Pour toutes ces raisons, les agriculteurs ont droit à des prix garantis pour leur production. Le niveau en est décidé par décision politique plus que par les lois du marché. Ainsi donc, chaque printemps, les ministres de l’Agriculture des Dix se réunissent pour fixer les prix de céréales, du lait, du sucre, du beurre, du veau, du boeuf, du porc, de certains fruits et légumes et du vin de table. Si les prix qu’offre le marché baissent pour ces produits au-dessous d’un certain niveau dit prix d’intervention, la commission achète et stocke pour, en théorie, revendre quand les prix auront remonté.
Pour mieux protéger encore les agriculteurs la PAC a recours à des droits d’importation et à des subventions à l’exportation qui les protègent de la concurrence mondiale.
La PAC est-elle une réussite ? Si l’on veut ! Tout au moins en termes de production. Stimulés par des prix élevés et la certitude que la Communauté achètera les excédents, les agriculteurs européens tendent à produire de plus en plus. Nous ne risquons pas dans l’immédiat de manquer de viande (peutêtre de mouton), de blé, de beurre, de sucre, de fromage, de lait... Mais il faut y mettre le prix. En 1981, les prix européens étaient supérieurs aux prix mondiaux pour le beurre (+ 53 %), le blé (+ 38 %), le sucre (+ 33 %), le porc (+ 24 %), etc.
Faisons un peu le compte, ou plutôt ne le faisons pas. Avec les produits alimentaires de base les plus chers du monde, les sommes colossales qu’il faut verser à cet effet dans les caisses de la Communauté, le contribuable est en droit de s’interroger. Par exemple sur certaines causes de l’inflation ou sur les mérites de l’économie de marché (commun ou pas), ou même sur la réalité de l’économie de marché. Existe-t-elle vraiment dans les pays industrialisés ? Car la Communauté Européenne n’est pas la seule institution à déverser un pactole dans l’agriculture. De juillet 1981 à juin 1982, les EtatsUnis ont dépensé 14 milliards de dollars pour aider leurs fermiers dont les revenus baissent aussi vite que leur production augmente. Les Japonais paient leur riz six fois plus cher que les Américains afin que le prix de leur nourriture de base soit garanti.
Si encore les agriculteurs étaient heureux... Certains le sont qui engrangent de belles moissons de blé, par exemple, et de subventions. Mais pas tous. Regardez donc ces derniers bloquer les autoroute. Ils n’ont pas l’air de jouer la comédie. Alors ? Ne vaudrait-il pas mieux adapter la production aux besoins ?

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Au fil des jours

par J.-P. MON
décembre 1982

Toujours d’actualité : les pleurnicheries des entreprises privées. Dans un de ses derniers « Blocnote économique » H. Muller écrit sous le titre « L’entreprise en péril  » :
- Les entreprises agonisent « prises en étau entre l’augmentation de leurs charges et le blocage de leurs prix ». Au mur des lamentations les patrons se sont donné rendez-vous mais tous ne sont pas, loin s’en faut, logés à la même enseigne. Il en est des gros et des moins gros. Nombre parmi ceux-là, P.-D.G, administrateurs, dirigeants de filiales commerciales ne semblent guère touchés par l’austérité si l’on en juge par la fréquentation clés salles de jeux, par la prospérité des bijoutiers et autres commerces de luxe, par l’afflux des «  belles étrangères » sur nos routes et sur les lieux d’estivage où ces gens dépensent sans compter.
Alors pourquoi ne pas faire appel à la solidarité patronale, les plus chanceux aidant les autres à franchir une mauvaise passe  ? Mais ces gens qui se rassemblent, défilent au coude à coude dans la rue, qui se réunissent à toute occasion pour soutenir une même idéologie, deviennent des loups furieux face à leurs collègues concurrents. L’économie de marché et de libre concurrence, exaltant l’individualisme, exclut toute solidarité interprofessionnelle sauf quand il s’agit pour les entreprises, de s’organiser en lobbies ou de se garantir contre les jérémiades, souvent justifiées, du consommateur et de l’usager.

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Toute aussi indécente, la manifestation projetée par la Confédération Générale des Cadres. Ces messieurs entendent protester contre le blocage de la partie de leur rémunération supérieure à 25 000 francs (par mois). Si j’étais ministre de l’Intérieur, j’interdirais la manifestation. Comme les jeunes cadres dynamiques ne sont pas des dégonflés, ils manifesteraient quand même. Il ne resterait plus aux autorités qu’à envoyer les C.R.S. pour disperser la manifestation, à coups de grenades lacrymogènes.

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A part ça, pour la première fois depuis 1945, le chômage touche plus de 10 % de la population active de la Communauté Européenne Economique, c’est-à-dire qu’on compte plus de 11,2 millions de chômeurs. L’augmentation la plus forte a été enregistrée en Allemagne, mais c’est en Belgique que la situation est la plus grave puisque le chômage y atteint 14,8 % de la population active.
La France et le Danemark sont pour le moment en dessous de la moyenne communautaire.

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C’est pourquoi, à la conférence des ministres européens de la sécurité sociale qui s’est tenue fin septembre à Madrid, la Belgique a recommandé « la redistribution du travail disponible ». Mais cette proposition n’a pas été acceptée, les ministres estimant que le problème du partage du travail n’était pas de leur compétence !
Cela n’empêche pas le nouveau gouvernement belge de proposer les 35 heures par semaine à l’ensemble des entreprises du pays. C’est, un exemple à suivre.

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Abaisser la durée du travail, c’est tout de même un raisonnement simple qui devrait être accessible à un gouvernement socialiste qui cherche à réduire le chômage.
Que feront les socialistes espagnols après leur victoire électorale
Vont-ils faire comme les socialistes français qui se laissent mener par le patronat ou iront-ils de l’avant ? Ce n’est pas ce que semblé croire le Président de la Généralité de Catalogne qui déclarait à une semaine des élections  : « Je redoute les socialistes et d’abord leurs certitudes flamboyantes. Ils paraissent tellement convaincus d’avoir la bonne méthode pour lutter contre la crise. C’est inquiétant... ». Et M. Pujol ajoutait : « Personne, ni à gauche ni à droite ne possède la solution idéale... Ni en Catalogne, ni en Espagne, ni dans les autres pays occidentaux.... On !e. voit bien aux récents bouleversements électoraux de sens contraire en Europe. La crise est trop générale et trop grave. »

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Nous allons envoyer quelques « Grande Relève » au président J. Pujol. Ça pourra peut-être lui donner quelques idées.

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C’est que, mine de rien, les idées que nous défendons progressent. C’est ainsi que lors de la tenue du convent du Grand Orient de France, le grand maître P. Gourdot a déclaré  : « Il faut reconsidérer les notions d’emploi, de travail, de revenus et, les dissocier. Le salariat, qui implique la domination de !employeur, n’est plus compatible avec la conception nouvelle de l’égalité et de la fraternité. » «  Le fait associatif, la mutualisation, le phénomène coopératif, ne peuvent- ils être demain des relais à formes humaines à des économies essoufflées ? » ... Si nos sociétés industrialisées aujourd’hui, robotisées à l’extrême demain, n’ont plus besoin de toute la population active pour fournir les biens de consommation dont nous aurons besoin, c’est le signe, que nous sommes à la fin d’un système.  »...
« Nous devons dès aujourd’hui nous poser la question de savoir, si la crise économique que nous vivons n’est pas la conséquence logique de l’évolution technologique, et si le chômage actuel n’est pas la simple constatation que nous n’avons plus besoin de la totalité de la population active pour assurer la production nécessaire à la consommation. »

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La chasse aux pigeons

par J. MALRIEU
décembre 1982

LA Patrie est en danger ! Ce sont deux représentants du nouveau Comité de Salut Public qui s’est donné pour tâche de sauver l’économie française François de Closets et Michel Albert, qui nous le disent dans « l’Express » du 1er octobre : La France, le vrai Défi.
La France s’enfonce dans le déclin faute de relever le défi que lui lancent ses concurrents sur le marché international. Et pourquoi donc la France est-elle incapable de relever ce défi  ? Parce qu’elle entretient une multitude de privilégiés, de parasites (plus de la moitié de la population d’après de Closets) qui vivent aux dépens des travailleurs réellement productifs, grevant ainsi nos coûts de production et empêchant nos entreprises d’être compétitives.
François de Closets et Michel Albert sont les heureux auteurs de deux essais économiques, best sellers de la saison. Celui de F. de Closets « Toujours plus » s’est déjà vendu à 300 000 exemplaires. Celui de Michel Albert « Le Pari Français » atteint 70 000 exemplaires. Contrairement à ce que dit « l’Express », ce n’est pas la première fois que des ouvrages de caractère économique atteignent de pareils tirages. Il y a eu les précédents du «  Défi mondial » de ServanSchreiber qui a dépassé le million d’exemplaires et « Le Mal Français » de Peyrefitte. Les essais de nos deux auteurs sont du même tonneau, tant par la superficialité de l’analyse que par l’importance des moyens publicitaires mis en oeuvre pour assurer leur diffusion. Les milieux d’affaires ne lésinent pas quand il s’agit de répandre la bonne parole...
Suivant une formule consacrée, « l’Express » a demandé à François de Closets et Michel Albert d’aller encore plus loin, d’identifier le défi et bien entendu de proposer des solutions.
Nos intrépides théoriciens n’y vont pas par quatre chemins  : les catégories privilégiées devront consentir de gros sacrifices pour financer la guerre économique, autrement dit les investissements dans les secteurs de la production appelés à affronter la concurrence internationale. F. de Closets condense son programme dans une formule lapidaire : « l’austérité pour financer la guerre ». Corollaire indispensable de cette restructuration de l’économie française : la condition des travailleurs du « front économique » devra être revalorisée.
La vraie coupure de la France, nous expliquent nos auteurs, se situe entre un « front » soumis à la concurrence internationale et un « arrière » abrité derrière ses statuts et ses « droits acquis ».
Ces privilégiés, ces planqués qui se gobergent aux frais des travailleurs productifs appartiennent à toutes les classes de la société. Cela va des professions libérales comme les notaires ou les pharmaciens et les toubibs engraissés par la Sécurité. Sociale aux fonctionnaires et aux agents des services publics qui bénéficient de la garantie de l’emploi et d’un revenu stable. Les exploitants et commerçants jouissant de « rentes de situation » ne sont pas non plus oubliés. Pour désigner ces catégories parasitaires, F. de Closets a forgé un joli néologisme « la privilégiature » par référence à la « Nomenklatura » des bureaucraties de l’Est.
Les métaphores guerrières abondent dans les rapports de nos brillants préposés au dégraissage de l’économie française. L’article de de Closets s’intitule « Le Front et l’Arrière ». Rien d’étonnant à cela. Nos auteurs sont convaincus que l’état normal de la société est la guerre économique. C’est un point qui ne souffre pas de discussion et n’est jamais remis en cause. C’est le socle de granit sur lequel repose toute la démonstration de nos deux stratèges.
« La guerre économique a commencé », écrit de Closets, mais la France ne veut pas le savoir et mange son capital au lieu d’investir pour améliorer sa compétitivité  ».
Compétitivité ! C’est le mot-clé du discours de nos deux mentors. Compétitivité ! Espoir suprême et suprême pensée. Eternel leitmotiv des harangues de nos politiciens de tous poils, de Debré à Rocard, de Barre à Chevènement, d’Attali à Michel Albert, sans oublier Herzog, économiste du P.C.F. qui lui aussi appelle à gérer le système, même s’il prétend le gérer autrement.
La stratégie qu’impose l’économie de marché est tellement contraignante que F. de Closets voit bien que la gauche sera inexorablement condamnée à passer sous les fourches caudines du système, en tâchant de faire oublier aux Français les fanfaronnades de la campagne électorale. C’est avec une ironique satisfaction qu’il enregistre l’alignement du gouvernement de gauche sur les positions qu’il préconise : « Le ministre communiste Anicet Le Pors qui planifie la perte du pouvoir d’achat chez les fonctionnaires, Pierre Bérégovoy qui réduit les dépenses sociales, J.-P. Chevènement qui fait l’éloge du profit, les patrons des sociétés nationalisées qui ferment usines et aciéries, en attendant de licencier : c’est bien le changement, mais pas celui qui avait été annoncé  ». F. de Closets a des sarcasmes auxquels nous pouvons souscrire  : « Pour avoir dû passer de la grâce des mots à la disgrâce des faits, les leaders de la gauche font l’amère découverte de l’impopularité ». La fumisterie des gouvernants n’a d’égale que la jobardise des peuples... (1)
F. de Closets est parfaitement fondé à prévoir que, dans le cadre du système existant, la gauche, à quelques détails près, sera contrainte de faire la même politique que la droite. C’est pourquoi, en bon technocrate, il ne récuse ni l’une ni l’autre, à l’instar de Michel Albert qui se veut disciple de Barre et ami de Rocard. On aura besoin des deux, semble-t-il, pour faire accepter aux Français des différentes catégories concernées les sacrifices nécessaires. Son rôle consiste à indiquer la voie à suivre et à désigner les cibles « C’est la France forte et organisée, celle de la bourgeoisie possédante héréditaire, celle des notables qui tiennent le corps social et plus généralement des travailleurs bien installés dans leur emploi que le gouvernement socialiste doit mettre à contribution. Dans la nouvelle règle du jeu, les gains ne rémunèreront pas le travail mais la productivité, dont la seule mesure est la concurrence ». « A chacun selon sa compétitivité ! » proclame de Closets, énonçant ainsi, sans en mesurer toute la portée, la règle d’or de la société marchande.
Comment d’ailleurs les gestionnaires du système, qu’ils se positionnent à gauche ou à droite, sous la bannière de la social-démocratie ou celle du libéralisme, pourraient- ils se différencier, puisque, comme nous le dit de Closets : « Un principe est unanimement admis jouer le jeu du marché international » Autrement dit, subir la loi du Capital, la loi des multinationales. Quand on admet un principe, on finit bien, bon gré mal gré, par en accepter les conséquences.
C’est précisément pourquoi nous récusons catégoriquement les thèses de « l’Express » et de ses factotums. La dénonciation des privilèges des « vaches à lait » qui pompent l’économie française, nous !’avons faite bien avant eux et de façon beaucoup plus exhaustive (2). Les sacrifices, les réformes, la remise en ordre de toute la hiérarchie sociale, nous en sommes bien évidemment partisans. Mais pas pour engloutir les ressources ainsi dégagées dans le tonneau des Danaïdes de la guerre économique, dans la course aux investissements, dans la compétition destructrice entre les unités de production. L’austérité pour financer la guerre, pas d’accord ! D’autant que l’on peut prédire, à coup sûr, que la plus grande partie des capitaux ainsi obtenus seront réinvestis dans les paradis fiscaux du Liechtenstein ou des Bahamas et dans les P.V.D. (pays en voie de sous-développement) où les salaires sont 10 fois inférieurs à ceux des travailleurs européens. C’est un terrain sur lequel ces derniers ne seront jamais compétitifs.
L’imposture est évidente. Les belles phrases sur l’abolition des privilèges, l’évocation d’une nouvelle nuit du 4 août, c’est de la carotte, du baratin, pour camoufler le véritable objectif de la campagne orchestrée par « l’Express » sous couvert d’une restructuration de l’économie française, préparer le terrain pour une vaste opération de ratissage de toutes les classes sociales de l’Hexagone au profit du grand capital apatride. Du racket pur et simple mais de haut niveau. Dans cette chasse aux pigeons, nos spécialistes de l’Intox, F. de Closets et M.  Albert font office de rabatteurs. Ce qui explique la publicité tapageuse dont ils bénéficient auprès des médias.
Cela dit, il faut voir à quoi nous expose la stratégie préconisée par
ces astucieux sycophantes. Bien loin d’offrir une issue à la crise, cette stratégie contribuera à nous y enfoncer.
L’extension de la concurrence sauvage à tous les pays et la généralisation des politiques d’austérité qui en est le corollaire ne pourront que déprimer encore plus la conjoncture internationale et aggraver le chômage.
Notre position est exactement à l’opposé de celle défendue par F. de Closets. Nous disons que pour sortir de la crise, il faut sortir de l’économie de marché, sortir de la guerre économique au lieu de s’y ruer. Notre thèse découle de notre analyse que nous avons déjà exposée dans « la Grande Relève ». Rappelons-la brièvement : La crise est consubstantielle à l’économie de marché dont elle traduit périodiquement le désajustement entre l’offre et la demande globales. Les conditions exceptionnelles et privilégiées dont l’économie occidentale a bénéficié au cours des XIXe et XXe siècles et qui ont assuré son expansion en lui permettant de dépasser ses conditions structurelles sont en voie de disparition. La raréfaction et le renchérissement des ressources naturelles, la mondialisation du marché et des capitaux, l’introduction des nouvelles technologies qui tendent à éliminer le travail humain du procès de la production rendent aujourd’hui ces contradictions insurmontables. Le système ne continue de fonctionner qu’au prix du gaspillage démentiel des pays riches, de la course aux armements et de l’endettement vertigineux de créanciers devenus insolvables. La menace d’un Krach financier sans précédent plane sur l’économie mondiale. Dernier signal alarmant : les tendances déflationnistes commencent à faire reculer l’inflation, malgré le laxisme monétaire de la plupart des Etats.
Il ne sert donc à rien, dans ces conditions, de prôner des mesures d’austérité ou de réclamer, comme le fait Paul Fabra, le retour à l’orthodoxie financière. Dans l’état des choses actuel, ces mesures (défendables dans un autre contexte) pourraient avoir des effets négatifs et accélérer la décomposition du système.
En bref, nous ne pensons pas, contrairement à de Closets, qu’en optant pour la fuite en avant, en s’engageant à fond dans la voie de l’économie conflictuelle, on trouvera une issue à la crise. C’est dans une toute autre direction, celle de la concertation entre les individus et les peuples, qu’il faut regarder si l’on veut vraiment s’en sortir.
Que ce renversement d’optique et de stratégie ne soit pas chose facile, surtout si l’on considère qu’il ne saurait s’opérer dans les limites d’un seul pays, nous en sommes convaincus. Mais c’est dans ce sens qu’il faut oeuvrer, quels que soient les obstacles et les difficultés. A cet égard, la théorie de l’économie distributive de J.* Duboin constitue une bonne approche du problème. C’est également dans cette direction que progresse le mouvement des Verts d’Allemagne occidentale, à la recherche d’une alternative à la société actuelle, en s’enfonçant comme un coin entre la droite et la gauche classiques. Un exemple que les Français devraient suivre...
Certes, il y a loin des objectifs ponctuels des écologistes et des positions éthiques des courants d’inspiration religieuse à la définition d’un projet politique cohérent. Mais c’est dans cette direction que l’humanité a une chance de trouver une issue à la crise du monde actuel. Juste à l’opposé de celle que veulent nous faire prendre « l’Express  » et ses sycophantes.

(1) Quand les socialistes me reprochent de ne pas les prendre au sérieux, je leur réponds par une simple anecdote. Comment prendre au sérieux un parti qui a accordé son investiture à un candidat (en Ardèche) dont le programme électoral se résumait à ce seul slogan : « Pour vivre à l’aise, votez Allaize » ? Aujourd’hui, avec les mineurs de Largentière aux trousses, le député de la basse Ardèche doit se sentir beaucoup moins à l’aise. Le cas de cet obscur député n’est pas plus consternant que celui de ce fondateur « historique  » du CERES, champion de la rupture avec le capitalisme avant Mai 1981 et qui fait aujourd’hui l’éloge du profit, aux grands ricanements de de Closets. Des Charlots comme disait l’autre...
(2) On observera que nos réformateurs, très diserts quand il s’agit de dénoncer les privilèges et passe-droits des classes moyennes, sont d’une grande discrétion pour tout ce qui concerne les exactions et les pillages autrement graves et scandaleux auxquels se livrent les monopoles et les sociétés multinationales dans tous les secteurs de l’économie et dans toutes les parties du monde. L’éternelle histoire de la paille et de la poutre. M. de Closets sait clore ses yeux quand il le faut...

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L’abondance énergivore ?

par J. MESTRALLET
décembre 1982

DEVANT le gaspillage d’énergie, on accuse à juste titre la société de consommation. Mais on l’assimile trop souvent à la société d’abondance.
La société d’abondance, c’est l’abondance pour tous, dans la mesure où les ressources naturelles le permettent. La société de consommation, c’est l’abondance pour une partie de la population et une abondance précaire : le revenu n’est réellement garanti à personne, tandis que la publicité multiplie les besoins.
La société de consommation n’est autre qu’un des nombreux moyens adoptés par le capitalisme pour échapper à l’asphyxie. On ne veut pas vraiment sortir de ce régime. Alors, pour maintenir le cycle « production-vente-profit-investissement  », on crée sans cesse de nouveaux produits. Et, par la débauche publicitaire, on crée aussi chez les consommateurs le besoin de les acheter.
Autrement dit, pour compenser la mévente résultant de la pauvreté, on tire tout ce qu’on peut des riches et plus ou moins riches. Il n’est pas sûr que toutes les nouveautés amènent un progrès véritable. Peu importe, du moment que les clients solvables y croient dur comme fer !
Au stade où nous en sommes, le véritable progrès serait de marquer un palier et de permettre à tout le monde de bénéficier du... progrès. Abolir la pauvreté et réduire fortement l’écart des revenus coûteraient moins cher que le petit jeu actuel : l’éventail des revenus accroît encore la frénésie d’achats. Au contraire, dans une société égalitaire ou s’en approchant, les gens ne s’occuperaient plus guère de comparer leur situation matérielle à celle du voisin. C’est probablement ce qu’on cherche à éviter...  !
Au gaspillage du secteur privé répond le gaspillage du secteur public, sans lequel, d’ailleurs, le premier n’aurait pu embellir et durer à ce point. Au sommet trônent les armements.
Ajoutez-y tous les organismes installés pour limiter la crise ou se protéger de ses effets, et vous aurez un bel ensemble énergivore !
Peut-être l’accès de tous à l’abondance serait-il énergivore dans un premier temps. Mais à la longue, c’est moins sûr ; une économie qui fonctionne sans « béquilles  » épargne fatalement plus d’énergie qu’une économie grinçante.
En éliminant les sottises, les gaspillages qui fleurissent aujourd’hui, en ôtant les obstacles à une large diffusion des techniques diminuant la consommation d’énergie, l’Economie Distributive pourrait bien se révéler une grande... économie d’énergie. Que ce soit dans l’industrie, la santé et l’agriculture (déjà abondamment étudiées ici), ou les services.
Prenons cette fois un exemple dans l’industrie et les transports en Economie Distributive, on ne cherchera pas à inonder le pays de voitures, immobiles la plupart du temps, mais à offrir à chacun le meilleur moyen de se déplacer (voir à ce sujet l’intéressante expérience de Montpellier).

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Lettre ouverte à L. Jospin

par A. LIAUME
décembre 1982

Les médias ont relaté que le Séminaire Socialiste de Maisons- Laffite a reconnu la gravité de ce que vous continuez à appeler la « Crise Mondiale » qualifiée de « dramatique »...
C’est infiniment plus. Evolution sans aucun précédent dans l’Histoire, elle a, sans jeu de mots, pris l’R de la Révolution.
En mai 1981, nous avons cru votre parti capable d’en maîtriser l’analyse, de réduire inflation et chômage par un nouvel équilibre, dans des expériences originales, inspirées de générosité et d’imagination, loin des remèdes orthodoxes appliqués aux crises cycliques d’antan. Quelque centaines de milliers d’hommes et de femmes, lucides et pleins d’espoir, ont donné à François Mitterrand, une courte victoire, bien loin du « raz de marée » que vous avez tant magnifié. Dans la foulée, c’est vrai, les législatives de juin vous ont donné, au Palais Bourbon, la majorité. Confortant notre espoir. Quinze mois après, vous vous engagez dans des chemins si voisins de ceux de vos prédécesseurs, que, le 21 juillet, André Bergeron se sentait « revenu 15 ans en arrière  ». Acceptant l’idée de « Crise mondiale dramatique  », vous allez, bientôt, « apercevoir le bout du tunnel  » et, face au chômage, vous ne ferez pas mieux qu’eux. Chômage irréversible sauf à accepter, et promouvoir, un changement de mentalité et de civilisation.

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Son caractère essentiel est la disparition, dans les pays industrialisés (Occident, URSS, Japon) du travail humain assurant la production des biens et services nécessaires à la satisfaction des besoins. Dans ces pays, et de plus en plus, la plus grande partie de la population trouve, dans la seule rémunération de son travail, le moyen de « solvabiliser » ses besoins. La féroce compétition économique internationale et le système de rémunération du travail obligent au chômage ou à une révision du système. Les pays industrialisés font face à ce problème.
A l’Est, « il n’y a pas de chômage » (Pierre ZARKA, député P.C. de Seine St-Denis). Les méthodes employées ne sont pas celles de la démocratie française. Aux USA et en Grande-Bretagne, Reagan et Thatcher appliquent rigoureusement les règles du monétarisme cher au XIXe siècle. Les grandes entreprises du Japon sont des modèles de réussite sociale. Il n’en est pas de même des petites entreprises de sous-traitance. Les médias insistent peu sur le développement de la misère, le renouveau des soupes populaires, aux USA, en Angleterre, et au Japon, où le chômage se développe plus vite qu’en France.
En France, la nécessité d’être compétitives impose aux entreprises de diminuer les coûts et de promouvoir Robotique, Bureautique, « Productique » (J.-P. Chevènement le 22 juillet) donc, du moins dans un premier temps, de réduire le travail des hommes.
Apparaît alors la quasi obligation de répartir ce travail encore nécessaire. Apparaît aussi l’incompréhension des syndicats français, frileux et corporatistes. Défense de l’emploi - Maintien des avantages acquis, - Réduction du temps de travail sans diminution de salaire sont autant de mots d’ordre inadaptés à cette période difficile de transition socio-économique. La France fait l’expérience de la pire des « Economies duales ». Economie duale à l’Est avec internements et camps de travail forcé, Economie duale au Japon avec la sous-traitance impitoyable, Economie duale partout où l’indemnisation du chômage crée un sous prolétariat d’assistés voués au désespoir. C’est bien, après les camps de l’Est, la pire de toutes. Elle frappe les jeunes mal qualifiés et les anciens, trop jeunes pour la retraite. Elle mène au travail noir. A la délinquance. Elle creuse, plus profond, le fossé des inégalités.
« Le Nouvel Observateur » a publié (1) un article de Michel Bosquet intitulé « Travail : Requiem pour le temps plein ». Remarquable par sa concision, il montre l’impossibilité de retrouver, dans les pays industrialisés, le plein emploi. Chemain faisant il cite cette phrase de Karl Marx :
« L’étalon de mesure de la vraie richesse sera non pas le temps de travail, mais le temps disponible. Adopter le temps de travail comme étalon de la richesse, c’est fonder celle-ci sur la pauvreté.  »

Beau sujet de méditation pour un syndicalisme dérapant vers un corporatisme conservateur des avantages acquis !
Après avoir examiné diverses approches pour « percer le mur du chômage », dont le travail à temps partiel avec salaire adapté (Michel ALBERT le pari français), Michel Bosquet résume ainsi sa pensée :
« Quand il y a de moins en moins de travail... pour le répartir au mieux sur la population entière... il faut que le revenu distribué cesse d’être fonction de la quantité de travail fournie, pour devenir fonction de la quantité de richesse que la Société choisit de produire. »

Il rappelle la solution de Jacques Duboin... à la méditation des gens clairvoyants. La transition ne sera certes pas facile. Ni évidente. Elle n’est pas impossible. Ce qui paraissait utopique il y a 15 ans encore, peut devenir la réalité salvatrice de demain.
Dans son numéro de décembre 81, « la Grande Relève  » suggère de créer, dans le contexte « distributif  » une unité économique réservée, strictement, aux chômeurs et à leurs familles. Le cadre, politique, de la décentralisation, devrait permettre d’engager, avec les volontaires, ce qu’on pourrait appeler une (ou plusieurs » «  expérience de laboratoire socio-économique ».
Cette idée a besoin d’être précisée. Pourquoi ne pas attacher à son examen quelques-uns de vos spécialistes  ?
Non, M. Jospin, ce n’est pas une Crise, mais une révolution boule
versante.

A. LIAUME

(1) N° 925 du 31 juillet 1982.

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Le temporel et le divin

par J. MATEU
décembre 1982

RIEN ne va plus ! tel est l’intitulé du dernier éditorial de M.-L. Duboin. En effet, rien ne va plus ! et nulle part ! Chômage, inflation, déficit du commerce extérieur et du Budget  ; flambée de racisme et de chauvinisme propre à toute époque troublée gravement cure d’austérité, rien n’y manque. Pas même les bons apôtres et autres donneurs de conseils et prôneurs de solutions. Ainsi l’Eglise elle-même toujours aussi prompte à s’émouvoir des conséquences de nos difficultés que peu pressée à chercher le pourquoi des causes qui les provoquent, vient, par le truchement de l’épiscopat d’exposer « urbi et orbi » son plan de sauvetage consistant à inviter tous ceux qui, bénéficiant (pour combien de temps ?) du privilège de jouir d’un poste de travail, donc d’un revenu, à renoncer à une partie de leurs avantages en faveur de ceux qui, exclus temporairement ou définitivement du circuit des échanges, ont un besoin urgent d’être aidés.
Alors, et comme de coutume, l’Eglise propose comme solution la charité, masquée il est vrai, sous le vocable plus « up to date » de Solidarité. Ce qui a l’avantage de dégager comme un relent polonais des plus opportuns.
Cette méthode, qui donnait les résultats que l’on sait, était valable sous Jésus-Christ, époque de pénurie et de dénuement que l’on peut supposer, pouvait expliquer le don partiel ou total de ce qu’on possédait et assurait au généreux donateur le séjour céleste. En somme, un bon placement et à l’abri de l’inflation. Méthode dépassée à notre époque d’abondance où il suffirait d’attribuer un REVENU SOCIAL à tous, de la naissance à la mort, pour éradiquer définitivement l’odieuse plaie de la misère honte de notre civilisation.
Dépouiller Pierre pour habiller Paul ou inversement, voilà ce que l’épiscopat propose. C’est inacceptable. Sans doute les paroles du Christ ont guidé la décision. N’a t-il pas dit : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple ou encore, répondant à un jeune homme qui lui demandait comment se comporter pour gagner la vie éternelle, alors qu’il observait déjà la loi mosaïque, « Très bien, maintenant quitte toutes tes richesses et suis moi ». Cette philosophie de l’existence n’étant plus de mise à, notre époque, les objections souvent véhémentes de la part de nombreux fidèles, preuve d’un tollé général, ont donné à réfléchir. L’aspect politique de la question n’a pas échappé à certains qui se montrent en outre très choqués. L’exemple de M. X., de Niort, est exemplaire à cet égard ; il a envoyé une lettre à son évêque pour lui indiquer que cette fois-ci la coupe était pleine et qu’il rompait avec l’Eglise Catholique. Cet évêque Mgr Rouzier du diocèse de Poitiers, ’tout en approuvant la position de l’épiscopat (naturellement) , n’en convient pas moins que s’orienter vers un partage du travail au nom de la justice sociale pose des problèmes au niveau des individus. Parbleu ! Qui s’en étonnerait ? Faut- il inciter les femmes à rester au foyer, ou bien, qui de l’homme ou de la femme doit renoncer à son salaire ? Eternel dilemme pour l’Eglise dans son prurit de vouloir contenter tout le monde et son père. Avec l’argent des autres... autant que possible.
Quand donc l’Eglise comprendra t-elle que vouloir concilier le temporel et le divin est tâche impossible. Sa fonction spécifique étant d’adorer Dieu et de propager l’Évangile, se mêler de ce qui ne la regarde pas l’expose constamment à des contradictions irréductibles dont elle ne sort que grâce à des arguties savantes qui ne convainquent que ceux qui le sont d’avance. C’est son affaire. Pourtant... Faut-il rappeler qu’après s’être désespérément opposée à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, elle a dû subir cette laïcité dont elle reconnaît aujourd’hui que le catholicisme ne s’en porte pas plus mal. Sauf dans son orgueil dogmatique en tant que perte de prestige, donc de puissance temporelle. De même sur les questions concernant le divorce, la contraception, l’I.V.G., l’école confessionnelle improprement appelée « libre », ce qui laisserait supposer que !’autre la « laïque » est esclave ! Et ainsi que de tout autre problème de société dont la solution relève de la puissance civile et non d’une compétence plus ou moins divine.
Il serait temps que les camarades distributistes croyants qui luttent à nos côtés pour l’avènement d’une société vraiment fraternelle puisque composée d’hommes libres économiquement, redoublent d’efforts afin de faire admettre par l’Institution politico-cléricale qu’est l’Eglise de Rome, qu’elle peut lutter autrement qu’avec de bonnes intentions dont les chemins de l’enfer sont pavés, paraît-il. En s’inspirant, que dis-je, en faisant siennes, hautement et clairement, les idées et conclusions de précurseurs tels que St. Augustin, St. Ambroise, St. Clément, St. Grégoire le Grand et St. Grégoire de Mysse. Tous pareillement partisans d’une conception humaniste de la société récusant le régime de la propriété privée considérée à l’origine comme une usurpation. En niant à quiconque le droit de se dire propriétaire d’une chose qui est nécessaire à la vie de tous. « Quand tu apparus un jour, quelles richesses as-tu apportées avec toi ? » s’exclame St. Ambroise.
Voilà pour les anciens. Plus près de nous, les prestigieuses figures de Theilard de Chardin, spiritualiste indéniablement, qui écrivait dans son livre « L’activation de l’énergie  » (1) , ceci : « Je pense au phénomène du chômage qui inquiète tellement les économistes mais qui, pour un biologiste, est la chose la plus naturelle du monde il annonce le dégagement de l’énergie spirituelle ; deux bras libérés, c’est un cerveau libéré pour la pensée » A celle si sympathique de l’abbé Monin dont sa brochure sur « l’Eglise et le droit de propriété  » le place comme un des meilleurs précurseurs parmi les gens d’Eglise. Que dire, enfin du Professeur François Perroux, ni utopiste ni athée, je crois, titulaire de la chaire d’analyse des faits économiques au Collège de France, et toujours vivant, parmi nous, qui écrivit ces fortes paroles : « Si l’on persistait à juger d’après les critères économiques courants (pas de rémunération sans produit), cette masse d’individus (les exclus de l’échange), DEVRAIT ETRE ELIMINEE SANS APPEL ». La loi du cocotier, en somme...
L’épiscopat français connaît bien tout cela. Il sait, par conséquent, que sa proposition, véritable coup d’épée dans le vaste Océan de la Crise, avec majuscule, c’est du vent. Et cela est de très mauvais goût, figurez-vous, au moment où il urge d’apporter solution sérieuse aux problèmes qui nous assaillent de tous côtés. Car, je le répète, rien ne va plus ! Donc, plus qu’il n’en faut pour dire que la proposition épiscopale péché, non seulement de puérilité, ce qui serait déjà grave, mais aussi de complète inefficacité. Et ça c’est désastreux si l’on songe que cela risque d’entretenir chez beaucoup des illusions mort-nées. En supposant qu’elle vînt à être adoptée, cette proposition se réduirait à un simple transfert de « pouvoir d’achat » sans accroissement aucun du volume global de celui-ci, seule considération valable en l’occurence. Qui pis est, ce transfert ne ferait qu’aggraver la situation générale au lieu de l’améliorer. En effet, un système d’indemnisation, en l’occurence transfert, qui consiste à prélever sur les salariés à plein temps afin de redistribuer aux chômeurs, c’est déjà ce que nous voyons sous nos yeux depuis l’institution d’une allocation chômage et atteint rapidement ses limites. Le volume global des versements de cotisation à la Sécurité Sociale s’en trouverait-il accru pour autant ? Certainement pas. Alors ?. Que l’on prenne le problème par tous les bouts on sera obligé de convenir qu’en définitive le seul moyen de’ résoudre le problème est d’augmenter « globalement » le pouvoir d’achat si l’on veut réellement en attribuer un peu plus à chacun. Hors de là point de salut ! Et c’est justement ce que le système n’est plus en mesure de faire ! Car même les investissements ne sont plus créateurs d’emplois, et de cotisants par voie de conséquence. Toute amélioration de l’outillage ayant pour but l’élimination de salariés. C’est le cercle infernal, dont on ne verra la fin que par d’autres mesures que celles proposées par l’épiscopat.
Mais alors le problème change du tout au tout, ou plus exactement de nature, car le revenu distribué cesse d’être fonction de la quantité de travail fournie. Qui ne voit là l’impossibilité pour l’épiscopat de voir qu’il lui faudra admettre, enfin, qu’un changement fondamental de la société s’impose ; changement impliquant la fin du régime des échanges et sa correspondante substitution par un système distributif dont les modalités sont à l’heure actuelle archiconnues y compris par l’épiscopat. Pourrait-il aller jusque là ? Ce serait pour lui la reconnaissance officielle de la mort d’un système de production qui distribue de moins en moins de salaires, tout en produisant une masse croissante de biens et de services.
Malheureusement pour l’Eglise, l’état d’esprit catastrophique appelé par elle évangélique, est encore en vigueur dans de nombreuses contrées pas toujours nécessairement sous-développées. Exemple fourni par le propre Vicaire du Christ sur terre, le pape Jean-Paul Il qui n’hésite pas à se commettre en frayant avec de notoires fripons (junta argentine, coupable de crimes atroces, et de tortures constantes). Pas plus tard qu’aujourd’hui les média nous informent de la découverte d’un charniier contenant des centaines de cadavres de disparus. Pariez-vous qu’aucune protestation semblable à celles sur la défense des droits de l’homme en Pologne n’est près de voir le jour ? Passons. Il y a eu les multiples mascarades en terre africaine chez des satrapes sanguinaires et encore, le petit laïus prononcé lors de sa visite au sinistre dictateur philippin Marcos dont voici le passage qui nous intéresse, du fait de s’être adressé à des foules affamées en leur conseillant « de ne point se laisser obséder (sic) par l’appétit des biens matériels  » (resic). Passons encore une fois de plus pour en arriver à la conclusion.
Un théologien en fonction écrivait il n’y a pas longtemps ceci dans un hebdomadaire de large diffusion : « ... et le fait que, dans l’histoire, l’Eglise n’a pas été et ne peut pas être seulement spirituelle. Elle ne sera jamais non plus hors du temps ».
Qui n’applaudirait de si bonnes et louables intentions ? Moi je réponds bravo ! à la bonne heure car nous ne serons jamais trop nombreux à vouloir supprimer la misère matérielle sur terre. Et puisque l’Eglise ne veut pas être hors du temps, je souhaite de la voir descendre dans l’arène et à visage découvert oser réclamer avec nous l’institution d’un REVENU SOCIAL MINIMUM GARANTI DE LA NAISSANCE A LA MORT, POUR TOUS. Seul moyen d’en finir avec la misère régnant encore dans les pays les plus supérieurement équipés, honte de notre civilisation. Dans ces pays, les stocks, les entrepôts, les magasins débordent de marchandises de toute sorte auxquelles les plus démunis, qui sont légion, n’accèdent que sporadiquement et insuffisamment, et non sans subir de multiples vexations bureaucratiques. L’Eglise doit se dire que l’ère du christianisme primitif est heureusement révolue, espérons à jamais. Et que l’ère de la véritable fraternité est déjà commencée avec l’affectation de 42 à 50 % selon les pays, du produit national au budget social. D’ici nue ce pourcentage atteigne 100 % il y aura des efforts à faire. Que l’Eglise, qui se veut dans le siècle en faisant du « social le fasse bien et le plus tôt possible. Le temps presse ! Car rien ne va plus On ne le répètera jamais assez !!

(1) Publié en 1947 au Seuil.