La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 795 - décembre 1981

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N° 795 - décembre 1981

Une mesure de transition   (Afficher article seul)

Pour que la gauche soit efficace   (Afficher article seul)

Un marché prospère   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

La crise en U.R.S.S.   (Afficher article seul)

La Relance   (Afficher article seul)

Mon séjour en kibboutz   (Afficher article seul)

Perspectives d’un socialisme authentique   (Afficher article seul)

Socialistes et vieilles chimères   (Afficher article seul)

Bienfait pas perdu   (Afficher article seul)

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Editorial

Une mesure de transition

par M.-L. DUBOIN
décembre 1981

L ’ELECTION du 10 mai a été un immense espoir pour une majorité de Français qui ont vu dans les intentions de F. Mitterrand et les projets du Parti Socialiste l’annonce d’une société plus humaine et plus juste.
Les premiers résultats économiques sont éloquents  : le cap des deux millions de chômeurs vient d’être franchi. Pour un gouvernement qui a fait de sa lutte contre ce fléau » son objectif prioritaire, ce n’est pas un succès, même si, paraît-il, c’était prévu. Et pour nous qui savons qu’on peut produire beaucoup plus avec la main-d’oeuvre actuelle, une hypothétique « relance » ne nous paraît pas la panacée. Quant à la hausse des prix, qui ne semble pas tellement inquiéter les nouveaux économistes qui nous ont pris en charge, elle galope de plus belle...
Les meilleures intentions du monde, servies par des pouvoirs politiques exceptionnels, vont-elles échouer faute d’avoir su comprendre la nature de la crise économique qui perturbe tous les pays industrialisés  ? Un tel échec serait une véritable catastrophe. C’est sans doute la raison pour laquelle une remarquable convergence entre beaucoup de nos lecteurs (des extraits de lettres dans ce numéro en témoignent), la plupart de nos camarades parmi les plus actifs, et nous-mêmes, au cours de nos réunions mensuelles de préparation du journal, nous a conduits à proposer un plan de transition vers !’économie distributive.

*

L’initiative de ce plan, et l’essentiel des propositions qu’il contient, sont dûs à André Hunebelle, dont la réputation de cinéaste ne doit pas faire oublier qu’il a acquis une grande expérience en matière économique*. Deux de ses articles ont posé les prémisses. En juillet, il nous rappelait que « la crise » a les mêmes causes profondes que celle de 29 : les problèmes posés par la production sont solubles, ce sont ceux posés par sa distribution qu’il faut enfin se décider à aborder. Le mois dernier, il rappelait à nos gouvernants que l’utopie, à notre époque, c’est de croire qu’on va pouvoir revenir au « plein emploi » (sous entendu : pour produire les choses utiles, car on sait bien qu’on pourrait le rétablir en faisant creuser de grands trous avec des cuillers à café...).
Pris par ses obligations, A. Hunebelle ne pourra publier qu’un peu plus tard les détails de son projet. Mais nous sommes conscients qu’il est urgent de faire des propositions constructives. C’est pourquoi notre ami a accepté que je livre dès maintenant les grandes lignes de notre plan afin que nos lecteurs nous apportent au plus vite leur collaboration sous forme d’amendements, de chiffres, d’arguments, etc...

*

La croissance du chômage et la montée fulgurante des prix au cours de l’été, nous ont conduits à prévoir deux étapes.
La première est une mesure d’urgence. Une mesure de salut public envers, d’une part, les chômeurs et. tous les jeunes à la recherche d’un premier emploi, et d’autre part envers tous ceux qui, par divers impôts ou taxes, sont amenés à les prendre en charge. Il s’agit d’obtenir du gouvernement que soient créés, à l’usage des chômeurs, qui y auraient accès grâce à une monnaie spéciale, des magasins qui leur procureraient tout ce dont ils ont besoin, au prix coûtant. Comme le fait remarquer notre ami : « les salariés ont accès, grâce aux comités d’entreprise par exemple, à des cantines et à des coopératives à prix réduits, pourquoi pas les chômeurs qui en ont tant besoin ? ». Créer un hypermarché est chose, facile, et rapide, à notre époque. Et créer un circuit de distribution qui permette de l’approvisionner directement par les producteurs est à la portée d’un gouvernement entreprenant à qui il appartient d’embaucher le personnel nécessaire.
Cela fera baisser les chiffres d’affaires de ceux qui, à l’heure actuelle, vendent aux chômeurs ? Même pas, puisque ce sont eux, qui, de l’autre main, versent à l’Etat ce qui permet aux chômeurs d’acheter !

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Cette première étape contient l’amorce de notre plan de transition. Celui-ci consiste, essentiellement, à créer un système économique parallèle, à l’usage de tous les actuels « sans travail », qu’ils soient chômeurs ou « faillis ». Ils sont disponibles : ils pourraient donc travailler à assurer la bonne marche de ce circuit dont la rentabilité ne serait plus l’objectif essentiel : ils travailleraient pour eux. N’ayant plus à être compétitifs pour séduire les clients, ils pourraient même utiliser le matériel des entreprises jugées « dépassés » non rentables, aux yeux du marché.
Bien entendu, un tel circuit ne pourrait pas, du jour au lendemain, se mettre à fabriquer tout ce qui lui est nécessaire. Il faut prévoir des dispositifs d’échanges entre ce circuit parallèle « distributif » fonctionnant avec sa monnaie interne et le circuit actuel du marché à monnaie capitaliste. Mais à la réflexion, ceci est possible. Il ne manque que la volonté de l’entreprendre.
Nos lecteurs auront certainement celle d’aider A. Hunebelle à chiffrer son projet, puis de le défendre auprès de ceux qui détiennent notre avenir entre leurs mains.

* Qui, de 1935 à 1939, fut un des plus intimes collaborateurs de G. Bergery, fondateur du « parti frontiste » et de «  La Flèche ».

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Pour que la gauche soit efficace

par M. LAUDRAIN
décembre 1981

LA démarche vacillante du gouvernement socialiste ne doit ni nous surprendre ni nous décourager. Nous savons depuis longtemps que les responsables tant socialistes que communistes n’ont pas accompli l’effort de réflexion qu’imposent logiquement à tous candidats au gouvernement de son pays, les problèmes politicoéconomiques auxquels ils seront confrontés. Nous n’avons jamais cessé de répéter que c’est avant l’accession au pouvoir politique qu’il convient d’étudier ces problèmes afin d’être prêts à les résoudre. Les ouvrages, si lucides et si pertinents, de Jacques Duboin, nos livres et nos brochures, toujours envoyés gracieusement aux responsables de la Gauche, tant politique que syndicale, n’ont rencontré que leur méprisante indifférence.
Les dirigeants socialistes ou communistes ne seront instruits que par leurs propres expériences et par... leurs échecs. Nous devons nous préparer à les aider, le moment venu, à surmonter leurs déficiences.
Pour les actuels responsables politiques et syndicaux, tout exposé d’ensemble, en vue d’élargir leurs horizons sociologiques, serait vain. Ils ne sont accessibles qu’au niveau des techniques. Il faut donc leur faire comprendre qu’il existe des techniques particulières pour résoudre les problèmes posés, notamment par le chômage et l’inflation, ces deux maux dominants de la période présente.

LE CHOMAGE

Une majorité de Français comprend maintenant que le développement des sciences et des techniques élimine - et éliminera de plus en plus - le travail humain. Mais elle ne comprend pas encore que le partage de ce travail entre tous les hommes et toutes les femmes qui ont besoin d’un salaire pour vivre... ou pour survivre, demeurera une vue de l’esprit tant que les entreprises resteront soumises aux exigences de la rentabilité. La modernisation des techniques de production, de distribution, des travaux de bureau est préférée à l’embauche puisqu’elle permet de réduire les dépenses de main-d’oeuvre et d’élargir la marge des profits. L’embauche ne sera, de plus en plus, pratiquée que par les petites entreprises qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires à leur modernisation. Or le nombre de ces entreprises ne cessera pas de se réduire d’année en année par manque de compétitivité.
La remise en selle de la société française exige une adaptation de ses institutions économiques et sociales au développement de la technique. Dans son numéro du 10 septembre, le journal « VSD » écrit que le président François Mitterrand « s’impatiente de ne pas trouver autour de lui, les trésors d’ima-gination et d’audace espérés  ». Si François Mitterrand avait pris connaissance de seulement quelques- uns des ouvrages que nous lui avons envoyés, il serait maintenant en mesure d’orienter l’imagination et l’audace de ses ministres...
Le gouvernement socialiste a déclaré dès sa constitution qu’il donnerait la priorité à la lutte contre le chômage. Or, à ce jour, la priorité n’a été donnée qu’au problème de la décentralisation, à celui de la peine de mort et à la mise en route de cinq nationalisations... qui resteront soumises au exigences de la rentabilité. Ce qui montre que ce gouvernement s’imagine qu’une gestion différente de la société capitaliste parviendra à résoudre peu à peu le problème du chômage et celui de l’inflation.
Espérons que les résultats de cette expérience lui ouvriront assez rapidement les yeux pour qu’ils ne perdent pas complètement la confiance populaire qui l’a porté au pouvoir, et pour qu’il devienne attentif à nos propositions.

LA TECHNIQUE QUI S’IMPOSE

Lorsqu’un gouvernement capitaliste institua les Caisses d’Allocations Familiales qui prirent en charge, à partir du deuxième enfant, le supplément de revenu nécessaire aux familles, la grande majorité des entreprises approuva cette nouvelle institution et accepta de la financer par une taxe proportionnelle aux salaires versés. Il s’agissait pourtant d’une mesure tout à fait contraire au « libéralisme économique » dont le patronat se réclame habituellement, puisqu’elle socialisait une partie des revenus.
L’actuelle désagrégation du salariat, en tant qu’institution, élargit sensiblement cette socialisation puisque les pouvoirs publics doivent prendre en charge des, indemnités de chômage de plus en plus lourdes pour la collectivité française.
Nous devons prendre conscience que l’évolution des sociétés modernes impose une socialisation croissante des revenus. Une nouvelle organisation de ces sociétés devient indispensable pour assurer, entre tous les membres de la communauté nationale, une répartition équitable de la production. Le partage du travail entre tous les actifs ne sera possible qu’après la socialisation de l’ensemble des revenus.
Qu’en résultera-t-il pour les entreprises, leurs cadres et leurs salariés ? Les lignes ci-après, extraites de « Rareté et Abondance », l’un des derniers livres importants que nous devons à Jacques Duboin, éclairent ce problème : (1)
« Les établissements ne sont pas assujettis à l’équilibre comptable. Ne payant ni appointements, ni salaires, ni les fournitures qui leur sont nécessaires, ils ne peuvent établir de prix de revient, ce qui importe peu puisqu’ils n’ont pas de bénéfices à réaliser. Ils tiennent donc la comptabilité des matières employées et des temps de travail afin de permettre le contrôle de la fabrication ; ils règlent par des écritures et au moyen de bons matières les opérations qu’ils traitent entre eux pour l’exécution de leur programme de production. Ce n’est qu’au stade de la distribution des biens de consommation que ceux-ci sont appréciés en monnaie, conformément aux décisions du plan... ».

La socialisation des revenus implique leur distribution par les pouvoirs publics sous le contrôle d’un peuple devenu souverain. Elle permet le partage du travail et la répartition des fonctions.
Dans une étude qui demanda plus d’une année de réflexion à une commission composée de dix- sept militants, disciples de Jacques Duboin, les directives génétrales de celui-ci furent reprises et exprimées en projets de loi. Il en résulta l’édition, en 1975, d’une brochure intitulée « Le peuple au pouvoir ». Elle fut diffusée à plus de 60 000 exemplaires.
Cette étude a consacré un chapitre important à l’organisation politique afin que celle-ci permette une authentique souveraineté populaire par l’organisation d’un contrôle permanent des représentants du peuple, tant à l’échelon régional qu’à l’échelon national.

L’AUTONOMIE MONETAIRE CONDITION DE LA MAITRISE DES PRIX ET DE L’INDEPENDANCE NATIONALE

La socialisation du système financier et sa dissociation des activités économiques et sociales permet à la collectivité nationale de planifier et de contrôler ce activités. Elle permet aussi l’établissement de prix nationaux correspondant au pouvoir d’achat des revenus distribués.
Elle permet aussi - et c’est primordial - d’assurer l’indépendance monétaire de la nation. La monnaie française devient strictement intérieure. Le Franc n’a plus besoin d’être défendu contre les pressions et les spéculations extérieures. Les exportations et les importations sont réglées dans la monnaie du pays partenaire ou dans toute autre devise étrangère de son choix. Le contrat et la compensation économiques deviennent le règle des relations extérieures.
Il faut que la Gauche comprenne qu’il est vain de discuter à perte de vue avec un patronat dont la grande majorité lui est politiquement hostile. Elle ne peut que s’appuyer sur les travailleurs et l’ensemble des démocrates qui l’ont portée au pouvoir.
La suppression du chômage et de l’inflation exige une transformation des institutions actuelles. Elle ne sera pas réalisée sans lutte.

(1) Cf. éditions OCIA, 1945, p. 413

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Un marché prospère

par P. SIMON
décembre 1981

DANS son numéro daté du 26 octobre 1981, la revue internationale Time consacre un long article au marché mondial des armes. A une époque où, de toutes parts, montent des bruits de bottes, le gigantesque trafic d’engins de mort explique, en partie, l’agressivité croissante des pays et des innombrables organisations de libétration des peuples qui s’engagent ouvertement dans la lutte armée ou le terrorisme. Sans vouloir juger du bien fondé de la cause que défendent les uns et les autres, on peut se demander si la facilité déconcertante avec laquelle on peut se procurer des armements légers ou lourds ne favorise pas l’explosion de conflits multiples à laquelle on assiste.

QUELQUES CHIFFRES

En 1980, les ventes mondiales d’armes se sont élevées à environ 700 milliards de francs soit à peu près la somme consacrée aux achats de produits alimentaires. Ce chiffre est d’ailleurs peut-être en-dessous de la réalité car les statistiques officielles sur lesquelles s’appuie Time ne tiennent compte que des transactions dûment enregistrées.
A lui seul, le Tiers Monde, pourtant en proie à tant de difficultés économiques, a acquis l’année dernière pour près de 100 milliards de francs d’armements divers (contre 45 milliards en 1975) et signé des contrats de fourniture pour 230 milliards. A titre de comparaison, l’aide économique qu’il a reçue pendant la même période se montait à environ 110 milliards.

UNE POUDRIERE

Près du tiers de ces transactions s’effectue au Moyen Orient où tous les fournisseurs déversent leurs produits ; moyennant paiement, bien sûr. La guerre qui, depuis treize mois, oppose l’Irak et l’Iran illustre bien le caractère international des approvisionnements. C’est ainsi que l’Irak a mis en ligne des avions soviétiques et français, des transports de troupe brésilien et des tanks soviétiques. Son adversaire répliquait à l’aide d’avions américains, de tanks britanniques et d’hélicoptères italiens.
Heureusement, les deux Grands se sont empressés de cesser leurs livraisons directes d’armes aux deux belligérants mais l’Egypte a expédié à l’Irak de vieilles armes soviétiques qu’elle remplaçait par du matériel américain, en les faisant transiter par la Jordanie. Quant à l’Iran il a trouvé les pièces de rechange nécessaires en Corée du Nord et même en Israël.
A quand les supermarchés vendant des armes ? Pour bientôt, sans doute, dès que nos as du marketing auront franchi le pas. En Iran, c’est dans les villages de tentes près de Tabriz, que de peu scrupuleux marchands offrent des fusils mitrailleurs soviétiques et leurs copies chinoises à des prix fort raisonnables. L’arme soviétique se vend environ 900 francs, et la chinoise 450 francs. Mais si vous voulez des pistolets automatiques américains neufs, alors il faudra compter 1 800 francs. Au diable l’avarice.
L’OLP possède 60 chars soviétiques T-34 et a reçu l’année dernière pour près de 600 millions de francs d’armement financé en grande partie par l’Arabie Saoudite. Ce dernier pays est en train d’obtenir des Etats-Unis la livraison de 5 avions radar pour la coquette somme de 50 milliards de francs. On est content de savoir où passe l’argent qu’on laisse chez le pompiste.

LES VENDEURS

Au début du 20e siècle les marchands de canons étaient des hommes d’affaires comme l’Anglais Zaharoff et les Allemands Krupp. Mais l’industrie et le marché des armes sont devenus une affaire d’Etat dont les gouvernements s’occupent directement. D’abord pour soutenir les économies vacillantes de leurs pays mais aussi pour aider à mettre en place l’a politique internationale qu’ils ont choisie. En particulier il s’agit pour les deux Grands de s’assurer la main-mise sur des pays du Tiers Monde dont ils peuvent craindre qu’ils passent sous la domination de l’adversaire.
Dans ce but, Reagan fait sauter des obstacles que Carter avait essayé de mettre aux ventes d’armes à destination du Chili, de l’Argentine et du Pakistan, qui pourrait bien en profiter pour régler une vieille querelle avec l’Inde.
Les plus grands vendeurs d’ormes sont les Etats-Unis, l’Union Soviétique et la France. La GrandeBretagne et l’Allemagne sont aussi dans le peloton que viennent grossir l’Italie, le Brésil et Israël.
Depuis 1945 près de 130 conflits armés se sont déroulés sur le territoire des pays pauvres. Il est grand temps que les nations prennent conscience du jeu dangereux auquel elles se livrent et réglementent la vente des armes d’une façon quelconque. Tant qu’il sera possible de se procurer librement dans les souks du Moyen Orient des engins faciles à manier mais dotés d’un pouvoir destructeur considérable, la paix déjà fragile sera davantage menacée pendant que les économies malades des pays riches et des pays pauvres achèveront de se ruiner sans profiter aux hommes autres que les marchands de mort.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
décembre 1981

Encore une fois, les Allemands donnent l’exemple. Et ce n’est pas dans le domaine économique. C’est pour le désarmement ! Depuis le mois de juin dernier le pacifisme se développe fortement en Allemagne de l’Ouest. Sous la pression de la base, il n’y a plus une institution qui ne soit obligée de prendre position sur le problème du désarmement : des sections syndicales élaborent des plans de reconversion de l’industrie de l’armement, les libraires affichent des brochures aux titres significatifs tels que : « Construire la paix sans armes », « Plutôt Rouges que morts », « La troisième guerre mondiale est-elle évitable  ? »...
Le mouvement de protestation englobe des catholiques, des protestants, des communistes, ... Tous rejettent en bloc les discours habituels et refusent d’argumenter sur les rapports Est-Ouest. Ils se bornent à constater « l’incommensurable absurdité » à laquelle ces arguments ont mené le monde. Ils font valoir qu’on ne peut à la fois vouloir la paix et contribuer à l’accumulation d’armements qui portent en eux la menace de l’anéantissement de la planète.

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Ce qu’il y a de nouveau dans les manifestations contre la course aux armements, c’est que le désarmement est maintenant devenu l’affaire des opinions publiques (du côté occidental, au moins).
Après l’échec des pourparlers SALT-2, les opinions publiques occidentales demandent des comptes à leurs dirigeants.
C’est que le bilan économique de la course aux armements est lourd, et négatif. Si bien que les populations européennes à qui les gouvernements demandent une austérité renforcée souhaitent privilégier les dépenses sociales au détriment des dépenses de défense.

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C’est que l’opinion publique européenne a le sentiment (confus, peut-être) que la course aux armements a surtout pour but d’assurer définitivement la suprématie économique américaine.
Comme le souligne A. Joxe dans « Le Monde » du 27 10-1981, « la course aux armements est devenue un but en soi, un objectif industriel. L’apparition de la capacité de détruire plusieurs fois le pays adverse en entier est le symbole même du passage d’une logique stratégique opérationnelle à une logique comptable devenue folle. »
A. Joxe nous montre que le développement de la course aux armements est une constante de la politique américaine. Kennedy, dès son accession au pouvoir, avait utilisé le mensonge de la supériorité des Russes en fusées intercontinentales pour lancer une formidable course aux armements.
« En fait, les Etats-Unis veulent d’abord pousser l’U.R.S.S. à l’échec économique à long terme en l’obligeant à relever le défi sur la base d’une économie insuffisamment développée. Les Soviétiques, ou bien devront abandonner et se soumettre à la menace de génocide, ou bien arriveront grâce à leurs scientifiques à rattraper leur retard militaire, mais la structure de leur système s’en trouvera profondément pervertie et ils s’effondreront dans des contradictions internes. Ce calcul américain à conduit à la situation actuelle. Presque à la victoire prévue par McNamara, mais pas tout à fait. Il a conduit aussi à la crise en Occident.

*

Ce sont les mêmes arguments que développe le Pasteur Niemoller dans « Le Monde » du 27 octobre dernier lorsqu’il écrit :
« Si l’on admet que la politique d’armement du président Reagan absorbe environ 5 % du produit national brut des Etats-Unis, on sait que celle de l’U.R.S.S. en consomme 20 % et que cette proportion croît sans cesse chez les alliés des Etats-Unis. Le budget militaire français n’est-il pas en augmentation de 18 % par rapport à celui de l’an passé ? Beau succès pour un gouvernement socialiste ! Ce que veulent les Etats-Unis, c’est, en leur imposant ce rythme fou de croissance militaire, ruiner complètement leurs rivaux, les Soviétiques, certes, mais aussi les Japonais et les Européens. Alors leur empire s’étendrait sans obstacle au monde entier. »

*

Le Pasteur Niemoller écrit encore :
« Les socialistes français me déçoivent profondément  : ils participent, eux aussi, de la politique de démission généralisée face au républicain Reagan et au social- démocrate Schmidt.
J’espère donc intensément un réveil de la gauche française, une vigilance exigeante à l’égard de son propre gouvernement. La politique prometteuse de ce dernier à l’égard du tiers-monde est actuellement tristement démentie par son acceptation des impératifs surarmement de l’Europe occidentale.
Je redis ce que j’écrivais ici en 1977 : il s’agit de sauver l’humanité. Actuellement, alors que la planète peut largement faire vivre tous ses habitants, un être humain sur trois meurt - dans la paix  ! - de l’irresponsable gaspillage financier, policier, énergétique... que représente la course à l’armement, la course à l’abîme. Faire machine arrière pendant qu’il est encore temps, c’est à la fois lutter contre la guerre - mort rapide - et contre la faim - mort lente. On ne vaincra pas la faim sans réduire fortement les dépenses militaires insensées. »

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Etranger

La crise en U.R.S.S.

par A. DELAUDE
décembre 1981

A titre d’information, les données présentées ci-dessous sont extraites de la revue « La Documentation Française  » (1).

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De 6 % dans l’année 1950, le taux annuel de croissance est tombé à 3,7 % de 1976 à 1979. En termes quantitatifs la croissance de l’économie soviétique n’est désormais plus tellement différente de celle des pays à économie de marché pris dans leur ensemble (3,7 % pour les années 1971-1978 contre 3,5 % pour les pays de l’O.C.D.E. pour la même période). Mais les mauvaises récoltes de 1979 ont peut-être ramené cette croissance à 0,5 % ce qui retvient à une croissance négative par habitant.
De 1965 à 1970, l’U.R.S.S. a perdu du terrain sur le Japon et le Brésil (5,4 % par an au lieu de 10 %). De 1971 à 1978, le Japon a connu un taux annuel de 5,5 % contre 3,7 pour l’U.R.S.S. (2)
Dans des secteurs déterminés, la capacité de l’U.R.S.S. à concentrer l’utilisation de ses ressources sur des secteurs prioritaires lui confère une formidable puissance pour le pétrole, l’acier, l’amiante, le ciment. Au premier ou au deuxième rang pour lu machine-outil, les tracteurs. Ses capacités dans les technologies spatiales, les missiles, le matériel militaire sont considérables.
A considérer le revenu par habitant, l’U.R.S.S. est loin derrière n’importe lequel des pays industrialisés ; derrière l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie
et précède l’Irlande, la Grèce et le Portugal.
En termes de niveau de vie, l’U.R.S.S. occupe une place encore moins favorable que ne l’indiquent les comparaisons du P.N.B. par habitant. A l’époque stalinienne de l’industrialisation forcenée, le niveau de vie des soviétiques fut sévèrement restreint (choix entre beurre et catnons). Dans les années 1960, avec M. Khroutchev au pouvoir, la situation du consommateur, s’est améliorée. Sur 30 ans, la consommation a augmenté en moyenne de 3,6 % par an, transformant le niveau de vie. Néanmoins, malgré cette amélioration, ce niveau reste à l’heure actuelle au- dessous de celui des autres pays industrialisés (logement, automobiles pénurie de produits de base) mais déjà engagé dans la société de consommation (plus des 2/3 des ménages ont la télévision, le réfrigérateur et la machine à laver). La situation est également satisfaisante au point de vue éducation, santé et services communaux.

STAGNATION DU NIVEAU DE VIE

Cependant, les perspectives pour les années 1980 et suivantes font craindre une stagnation du niveau de vie. L’industrie soviétique a une faible productivité, elle ne possède pas les infrastructures élémentaires. Ces problèmes ont été soulevés au cours du 26e Congrès du P.C. à Moscou par des dirigeants pessimistes.
Le 11e Plan quinquennal (1981-82) ne fixe que des objectifs moyens de 3,5 à 3,8 % par an de progression du Revenu National qui équivaut, en termes du P.N.B. des pays occidentaux, à une croissance annuelle de 2,5 %. La population soviétique augmentant d’environ 1 % par an, la croissance par habitant serait donc modeste.
Pour les dirigeants soviétiques, se posent des problèmes de contrainte énergétique, de pénurie de maind’oeuvre et de baisse de productivité (aux U.S.A., la productivité est 2,8 fois celle de l’U.R.S.S. et en R.F.A. 2,7 fois).

OPERER DES CHOIX

L’Union Soviétique consacrerait un pourcentage de 11 à 13 % de soit P.N.B. aux dépenses de défense (aux U.S.A. : 4,7 %). Compte tenu de ce que le P.N.B. soviétique par habitant est environ le tiers de l’équivalent américain, la charge que ce poids fait peser sur la population russe est sans précédent en temps de paix.
D’autre part l’U.R.S.S. a mis sur pied d’énormes programmes d’investissements pour l’application des ressources sibériennes, y compris les ressources énergétiques.
Alors, une modération de la consommation au profit des dépenses d’investissement ? Emprunter plus à l’étranger ? Une solution néo-stalinienne ? Un leader fort, soutenu par les militaires alliant le renforcement (l’une discipline draconienne à d’ardents appels idéologiques et nationalistes à resserrer les rangs  ? L’investissement serait ainsi accru et des sacrifices imposés.
Une solution radicale qui toucherait au système même, en rétablistsant le libre jeu des forces du marché, mais sans aller jusqu’à revenir à l’entreprise privée  ?
Même en préservant la propriété collective, l’idée d’une e économie socialiste de marché » reste un protblème politiquement sensible.

QUEL AVENIR POLITIQUE ?

Réformes en profondeur ou expédients, l’équipe au pouvoir hésite à prendre parti et gagne du temps.
Une renaissance économique de l’U.R.S.S. ne peut se concevoir sans des changements radicaux du système et des réductions importantes de son budget militaire.
En attendant, avec le ralentissement de la croissance, le budget de la défense soviétique exerce une pression décourageante sur le reste de l’économie.
La perspective d’une nouvelle accélération de la course aux armements pourrait déclencher une véritable crise économique dans le pays.

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La situation de l’U.R.S.S., comme celle des pays occidentaux, est une démonstration éclatante d’une crise économique à l’échelle mondiale qui atteint tous les pays, qu’ils soient à économie de marché ou capitalisme d’Etat.
La production actuelle, orientée soit pour satisfaire des besoins solvables, donc sans croissance économique, soit pour des besoins militaires (plus de 950 milliards par an) ne peut que déboucher sur un conflit guerrier.

(1) Articles de B. Kaplan, n° 1728.

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Soit dit en passant

La Relance

par G. LAFONT
décembre 1981

LE président de la République nouvellement élu en offrant aux communistes, dès son entrée en fonctions, quatre sièges dans son gouvernement - quatre sièges, pas des strapontins, comme cela se fait couramment pour caser des copains ou même des emmerdeurs - n’a pas dû faire plaisir à son homologue de Washington M. Ronald Reagan. Lequel, avec son franc parler d’ancien cow-boy qui n’a rien à voir avec le langage diplomatique, lui a manifesté sa réprobation pour cette initiative inconsidérée. De quoi je me mêle ?
Tant pis pour Mitterrand. Que cela lui serve de leçon pour l’avenir. Il débute dans le métier de président, en somme. Et la prochaine fois qu’il formera un gouvernement, s’il veut éviter que semblable incident ne se renouvelle, il n’aura qu’à soumettre à Reagan la liste des ministrables avec curriculum vitae et casier judiciaire pour avis favorable.
Ce n’est pas qu’il soit plus fûté, le locataire de la Maison-Blanche, plus compétent qu’un autre, ni plus fortiche que tous nos tireurs de plans qui passent des nuits blanches pour nous mijoter le prochain redressement définitif. Et rien ne l’empêche, après tout, d’en prendre lui aussi, des communistes, dans son gouvernement. Au besoin, s’il n’en trouvait pas chez lui de présentables, l’Elysée se ferait un plaisir de lui en refiler quelques-uns. Ne fût-ce que pour s’en débarrasser. Ce sont des petits services que l’on peut bien se rendre entre amis.
Toutefois, il me paraît douteux et à tout le moins aventuré que Ion puisse dans un proche avenir voir un communiste installé à la Maison-Blanche, même sur un strapontin. M. Reagan ne le tolèrerait pas. Il a ses raisons. L’ancien cowboy - lui serait-il resté dans les veines quelques gouttes de sang aztèque  ? - vient de déterrer la hache de guerre qu’un de ses ancêtres, il y a près de deux siècles, la paix signée, avait planquée dans l’Arizona au fond du jardin, avant de prendre la retraite. Il vient de se découvrir un ennemi héréditaire  !
Il était temps. La paix c’est comme la santé, dirait le docteur Knock, c’est un état provisoire qui ne laisse rien présager de bon. On s’endort dans une sécurité trompeuse sans voir venir le danger et l’on se réveille un beau matin au son du tocsin avec un pétard nucléaire sous le paillasson.
On en est là aujourd’hui. Mais ce n’est pas une raison pour s’affoler. Surtout pas de panique. L’ennemi héréditaire tombe à pic. La crise économique que traverse le monde occidental, et dont il se croyait guéri, a fait une brusque réapparition comme la grippe de Hong-Kong, et les nations les plus riches, même les U.S.A., connaissent de nouveau les maux qui l’accompagnent, avec l’inflation, le déficit budgétaire, les excédents agricoles et les milliers de travailleurs dont les derniers progrès dans les techniques de pointe ont fait des demandeurs d’emploi.
Le marasme dans lequel le monde est plongé avait besoin d’un stimulant pour relancer les affaires. C’est pourquoi Reagan n’a pas attendu Pierre Mauroy pour déclarer la guerre au chômage :
« En prenant possession de la Maison-Blanche, écrit «  Le Noutvel Observateur » du 25 septembre, Ronald Reagan a proclamé la priorité de deux problèmes : le redressement économique des Etats-Unis et son renforcement militaire face à l’U.R.S.S... Le reste, tout le reste, pouvait attendre. »

Le reste, c’est-à-dire tous les oubliés, tous les sans-travail, tous les crève-la-faim arrêtés, le ventre creux, devant les boutiques pleines, tous les enfants de pauvres qui meurent de malnutrition, tous les vieillards qui grelottent l’hiver dans leurs mansardes sans feu ou qui vont finir leur chienne de vie à l’hospice. Ils ont l’habitude. Oui, ils peuvent attendre. Que pourraient-ils faire d’autre ?
Patience, on en sortira. Le renforcement militaire de Reagan, si ce n’est pas une idée neuve est une bonne idée. Tout le monde sait aujourd’hui, mais il n’est pas inutile de le répéter pour les sourds, que dans le système salaires-prix- profits, l’industrie du casse-pipes, toujours à la pointe du progrès et dont la production n’a pas besoin d’être « assainie », est le seul remède aux crises économiques.
Alors, pourquoi hésiter ? En avant pour la relance et la course aux armements. C’est bien parti. On est sur la bonne voie. Et quand tous les chômeurs de la planète seront occupés, les uns à fabriquer des armes, les autres à les utiliser sur le voisin devenu l’ennemi héréditaire, tout ira pour le mieux, il n’y aura plus de problème, plus d’excédents, plus de chômeurs, et les économistes distingués pourront enfin dormir tranquilles.

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Nous avons souvent entendu cette réflexion : « Ce que vous proposez, c’est ce qui se passe dans les kibboutzs ». Voici à ce sujet le récit d’un de nos camarades. A nos lecteurs de juger : est-ce l’économie distributive ?

Mon séjour en kibboutz

décembre 1981

J’ai été accueilli à Gan Schmuel (le jardin de Samuel), kibboutz d’environ mille personnes situé entre Haiffa et Tel Aviv. J’y suis resté une dizaine de jours passés à travailler à l’usine installée dans le kibboutz.
Comment situer le kibboutz dans la société israélienne et l’histoire récente du peuple juif ?
Les premiers kibboutz ont été implantés avant la guerre de 14 (Gan Schmuel date de 1920) par des émigrants venus d’Europe Centrale. Ces émigrants, souvent des révolutionnaires fuyant le régime tsariste, emportèrent à la semelle de leurs souliers les idéaux anarchistes et socialistes de la révolution russe. A cette dose de socialisme souvent utopique il convient d’ajouter une transcendance du travail manuel et plus spécialement agricole, inspiré à la fois par les idées de Tolstoi et par une volonté de réformer l’image antisémitique du juif incapable de travailler de ses mains.
Ces pionniers ont permis l’édification de l’Etat d’Israël, la naissance du parti travailliste et des syndicats tout puissants d’Israël.
Actuellement, les kibboutz ne représentent que 3 % de la population juive d’Israël, mais assurent la moitié de la production agricole et sont à la pointe de nombreuses industries.

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« Quels sont les principes de base de l’organisation en kibboutz ?  »
La société kibboutznique est librement constituée, n’en font partie que ceux qui le désirent et qui sont admis par l’A.G. du kibboutz.
La propriété n’existe pas (le sol appartient à l’Etat), on partage le travail, la consommation, les services.
Aucune propriété privée, aucune société économique privée n’est admise. Seuls les objets personnels sont propriétés individuelles. Aucun droit d’entrée n’est perçu si l’on veut quitter la communauté (on peut le faire librement) l’on ne reçoit qu’un pécule permettant de subsister avant de retrouver un emploi.
En fait il m’a été dit que le kibboutz continuait à se préoccuper de ses membres partis et en difficulté en continuant à les aider malgré leur départ.
L’on ne perçoit pas de salaire mais de l’argent de poche utilisable à l’extérieur du kibboutz, à l’intérieur l’on ne paie rien (c’est très agréable de déambuler sans porte- monnaie, le cinéma ne possède pas de caisse, pas plus que le night-club installé dans un abri).
La satisfaction des besoins de consommation est assouvie par les différent services du kibboutz : salle à manger commune (on peut également confectionner soi-même ses repas chez soi ; vêtements : blanchisserie commune ; logements : en maison individuelle, meubles, vacances.
L’organisation communautaire permet également de disposer de beaucoup de temps à consacrer au loisir ou à l’éducation. En flet, le soir plus de repas à préparer, de linge à laver ou à repasser ou d’achats à effectuer.
A Gan Schmuel, les membres disposent d’une somme fixée par l’A.G. pour leur permettre d’acquérir à l’extérieur vêtements et meubles de leur choix.
Ils ont également la possibilité d’effectuer deux grands voyages dans leur vie en Europe, U.S.A., etc... ceci en plus de vacances annuelles de dix jours passées en Israël dans des motels du mouvement kibboutzine.
Les enfants, les vieillards, les infirmes sont naturellement pris en charge par la collectivité. La place faite aux enfants et à leur éducation est remarquable.
De ces quelques principes il découle que ceux qui s’engagent dans ce mode de vie doivent avoir d’autres motivations que l’argent et ce qui en découle.
En fait le kibboutz ne s’adresse pas à tout le monde, ce qui explique que ce n’est pas un phénomène de masse en Israël. La majorité des gens est partout encore très sensible aux stimulants matériels, cette vie exige une maturation intellectuelle plus avancée que la moyenne. Le niveau intellectuel en kibboutz est d’ailleurs très élevé, dans son sein se recrutent les cadres israéliens (chercheurs, techniciens, militaires de haute valeur).
L’institution de base du kibboutz qui lui assure son fonctionnement démocratique est l’assemblée générale. Elle est investie des pouvoirs les plus étendus ; élection des responsables (rotation tous les deux ans), décision de l’affectation des bénéfices, investissements, vacances, constructions nouvelles.
L’exécutif du kibboutz est le secrétariat, il prépare les décisions clé l’A.G., organise le travail, résout les problèmes financiers et commerciaux du kibboutz, mais également règle les relations sociales à l’intérieur. Les membres du secrétariat, en général juifs, sont aidés par les comités spécialisés qui assurent une participation élargie aux responsabilités de la gestion économique et sociale du kibboutz.
Au niveau du lieu de travail il existe des cercles de travailleurs.
Voici en quelques lignes ce que je peux vous indiquer sur l’organisation du kibboutz.
En relisant votre lettre, je m’aperçois que vous me demandez de préciser ce qui pourrait être relevé comme analogie entre le kibboutz et_ l’économie distributive. _
Je crois comprendre que le principe défendu par la thèse de l’économie distributive était sortir du vieux concept économiste posant comme postulat qu’il n y a de valeur que celle créée par le travail humain, alors que les progrès technologiques permettent de produire par les machines. Le vrai problème étant la distribution de la production ainsi réalisée.
Au kibboutz la plus haute valeur morale est le travail, élevé à la hauteur d’une institution. Mais la récompense du travail ne se mesure pas au niveau des biens qu’il procure mais d’une considération générale des membres de la communauté. Tous les membres bénéficient également des biens mis à disposition quelque soit leur fonction.
Les vélos et les voitures sont communs et la maison du directeur de l’usine ne se distingue pas de celle d’un autre travailleur de l’usine.
Pour exister le kibboutz vend une partie de sa production à l’extérieur avec toutes les contraintes de marché que cela implique. Il reste deux circuits de commercialisation ; l’un pour les coopératives créées par le kibboutz pour le marché intérieur, l’autre à l’initiative des membres du kibboutz pour l’exportation.
Par contre, la finalité de la production est essentiellement différente puisque les bénéfices réalisés retournent à la collectivité qui décide de leur utilisation.
Je ne pense pas qu’il y ait de grandes interrogations sur la consommation, on fabrique à la demande du marché, par contre le besoin intérieur est soigneusement étudié.
Le kibboutz dans lequel j’ai résidé est très moderne et très équipé, à la lois pour faire face au manque de main-d’oeuvre et pallier aux à-coups de la production agricole.
Quant aux loisirs, ma journée de huit heures terminée (entrecoupée par le café en arrivant à 6 h 30, breakfast à l’usine à 8 heures et le déjeuner en commun à midi) je me retrouvais vers 15 heures à la piscine avec mes compagnons de travail. J’aurais pu faire du cheval à la place ou un autre sport, je finissais ma journée à la salle de lecture, mis à ma disposition les journaux du monde entier, des revues et des livres et des Bateaux et boissons pour les accompagner.

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Perspectives d’un socialisme authentique

par G. DROAL
décembre 1981

LE Socialisme nouveau ne s’inspire que de l’intérêt général : il reconnaît à chaque citoyen un droit au travail, mais ce travail est obligatoire, il considère que la rente est immorale et il supprime l’intérêt de l’argent.
Il s’agit là d’un socialisme nouveau que permet les progrès inouïs du machinisme. Utopie ? Pas du tout, mais cela conduit à s’évader analytiquement du système économique capitaliste tout comme Descartes qui, pour atteindre à la vérité, a dû s’évader de la philosophie scolastique.

DE L’EAU AU MOULIN :

C’est l’éminent polytechnicien Louis Armand, membre de l’Académie Française, disant dans un colloque du « Figaro », le samedi 10 décembre 1960 : « Nous sommes au seuil d’une mutation, c’est-à-dire de quelque chose de plus brutal et total qu’une simple évolution ». Il précisait que toutes les vieilles structures économiques et politiques y passeraient.
C’est M. Jacques RUEFF, économiste distingué, mondialement connu, insistant sur cette idée de mutation, qui n’a d’équivalent qu’en biologie, quand par exemple à la fin du secondaire : des reptiles ont été éliminés parce qu’ils n’avaient plus la possibilité d’évoluer. C’est pour cela que les mammifères les ont supplantés. Nous sommes dans l’ordre économique au seuil d’une transformation aussi importante.
Les caractéristiques des civilisations naissent, évoluent et meurent comme les individus eux-mêmes.
Il existe en cette matière une horloge qui ne ment pas. Il ne peut en être autrement pour le système capitaliste : les temps ne sont plus très éloignés de l’écroulement définitif du système. Cette civilisation dont toutes les normes politiques, économiques, philosophiques étaient fonction de la rareté des produits utiles aux hommes.
C’est Karl MARX qui a dit : Viendra un moment où le système capitaliste ne pourra plus fonctionner normalement par suite des contradictions engendrées par tous les progrès inouïs du machinisme toujours plus révolutionnaires. Karl Marx ne pouvait être plus clairvoyant.
Dans le système capitaliste, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, le premier souci, n’est pas celui de produire des biens de consommation utiles aux hommes, mais bien celui de réaliser le maximum de profit, qui lui- même est fonction de la rareté des produits quels qu’ils soient.
Il ne faut donc pas s’étonner dans ces conditions que les viticulteurs, les producteurs de légumes ou autres produits, soient condamnés dans une période d’abondance, à détruire une partie de leurs récoltes, afin de rétablir un équilibre entre l’offre et la demande des produits, donc une fourchette rentable pour les producteurs.
Même avec un minimum de rentabilité pour les producteurs, il y aura néanmoins quantité de petites gens qui ne pourront s’offrir leurs produits... Vraiment le système capitaliste n’est que contradictions...
Citons pour terminer le LAROUSSE UNIVERSEL au mot : SOCIALISME.
Système de réformes sociales visant surtout une nouvelle distribution des richesses sociales. En opposition avec l’individualisme.
Le Socialisme fait consister le progrès dans :
1°) La Socialisation immédiate ou progressive, volontaire ou forcée des moyens de production.
2°) Le retour des biens à la collectivité.
3°) La répartition, entre tous, du travail commun et des objets de consommation...

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Socialistes et vieilles chimères

par H. MULLER
décembre 1981

DISPOSANT d’une solide majorité, le gouvernement socialiste a les coudées franches pour construire une France socialiste. Il y aurait tromperie sur l’étiquette si, après y avoir réfléchi durant tant d’années, dressé tant de projets, prodigué tant de discours, nos socialistes devaient se borner à faire du social-capitalisme. Auraient-ils été élus pour relancer l’économie de marché et de libre concurrence, subventionner la libre entreprise, garantir la liberté des prix et des profits ? Socialiser le crédit ? La belle affaire si c’est pour se désintéresser du cheminement de l’argent introduit dans la circulation et ses innombrables canaux ! Qu’en font les bénéficiaires plus enclins à se remplir les poches qu’à créer des emplois ? Et puis, des emplois pour faire quoi ? Il est grand temps de se préoccuper de la finalité du travail, de réduire les gaspillages, de répartir entre les personnels physiquement et intellectuellement aptes, l’effort, les tâches seulement nécessaires pour assurer un niveau d’approvisionnement souhaité par les consommateurs, les opérations de mise en place et de distribution.
Il n’est certes pas besoin de mobiliser à cet effet vingt millions de personnes de l’aube au crépuscule, eu égard au renfort apporté par l’armée des robots, celle d’un milliard d’esclaves mécaniques capables de travailler sans relâche et qu’il suffit d’encadrer et d’approvisionner. Cette force d’appoint, considérable mais si mal utilisée au service des hommes - priorité au capital - ne devrait-elle pas procurer plus d’abondance et de loisirs, refuge des activités Iibres ? Un Etat socialiste craindrait-il de s’engager dans l’édification du socialisme, de quitter la voie sécurisante d’un social- capitalisme, renonçant à libérer la production de ses freins financiers, des griffes du profit ? Il faut au socialisme un nouvel outil monétaire, une monnaie de consommation, un système de prix, d’autres modes de formation des revenus de nature à remplacer le rôle du capital et celui du profit. Après quoi, tout ou presque tout devient possible, une fois les revenus dissociés des prix et de la durée de l’emploi ; notions encore insolites pour les esprits formés aux vieilles disciplines économiques, enclins à n’y voir qu’utopie, illusions, chimères. En réponse, ces propos de Victor ALTER, toujours actuels bien que datant de 1932 (1) :
« De nombreux socialistes considèrent que la socialisation, c’est le socialisme lui-même. Nous croyons que la socialisation n’est que du capitalisme d’Etat et que le
capitalisme social aura les mêmes défauts, les mêmes contradictions et les mêmes difficultés que le capitalisme actuel.
« Rien de plus surprenant que le profond respect des dirigeants socialistes envers les bases et les principes du système financier capitaliste.
« La première condition pour surmonter la crise sans que la classe ouvrière ait à en supporter les frais, c’est de changer radicalement le système financier actuel. Une croyance beaucoup trop répandue, c’est qu’il est possible d’augmenter le bien-être des travailleurs d’une façon continue, sans mettre en danger les bases du régime capitaliste. On s’aperçoit maintenant que cette croyance n’était qu’une illusion, même une duperie. »

(1) Dans « Comment réaliser le socialisme » librairie Valois.

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Bienfait pas perdu

par P.-N. ARMAND
décembre 1981

La riche artiste marseillaise Gaby Deslys a légué, à sa mort, en 1922, un parc splendide et une superbe villa, sur la Corniche, afin qu’un hôpital y soit construit, pour les déshérités de la ville. « Ainsi, disait-elle ; j’aurai dansé toute ma vie pour les pauvres .
Mais rien ne s’éleva. En 1958, la Ville cède les lieux à l’Assistance Publique avec la même obligation. Toujours rien. Si ce n’est la vente discrète d’une parcelle au Banquier Bonasse, ami de la Municipalité en place.
Enfin, en 1979, se dresse un somptueux édifice (coût 200 millions d’il y a 12 ans). Un petit hôpital ?
Pas exactement... tout timidement la villa de M. le directeur de l’Assistance Publique de Marseille, qui se trouvait à l’étroit, dans son H.L.M..