La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 788 - avril 1981

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N° 788 - avril 1981

Cet homme est dangereux   (Afficher article seul)

Appel aux jeunes   (Afficher article seul)

Femme, tu peux   (Afficher article seul)

Contradictions   (Afficher article seul)

Lettre à J. Chirac   (Afficher article seul)

Perles   (Afficher article seul)

On y va...   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Le général R. Joffre dans les marais de St Con   (Afficher article seul)

Halte au pillage   (Afficher article seul)

A qui gagne perd !   (Afficher article seul)

Le frein   (Afficher article seul)

Abolition de l’esclavage   (Afficher article seul)

Le chômage   (Afficher article seul)

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Éditorial

Cet homme est dangereux

par J.-P. MON
avril 1981

IL se fout de nous, et depuis longtemps. Avant d’être Président de la République, il était Ministre des Finances. Il nous disait tous les ans que l’inflation ne dépasserait pas tant pour cent. A la fin de chaque année, c’est le double qu’on avait !
Devenu Président, grâce aux voix des Commores et de Mayotte, il a continué à bourrer le crâne des Françaises-Français  : l’inflation dépasse les 13 % par an (les prix ont doublé en 7 ans), le chômage a été multiplié par 4, sous son septennat, les faillites se sont accumulées*, le déficit du commerce extérieur s’accroit, le pouvoir d’achat des salariés diminue. Et c’est le même homme qui a l’impudence de se présenter comme un homme nouveau.
Dans sa déclaration du 2 mars 1981, il a dit : « Le Président de la République continuera sa tâche jusqu’au bout, comme c’est son devoir. Le candidat s’en distinguera entièrement. Je ne serai pas un Président-candidat, mais un citoyen- candidat  ». Or, moi, simple citoyen, je me suis présenté à la Maison de la Radio et de la Télévision, Quai Kennedy, pour faire une déclaration en tant que candidat à la Présidence de la République, eh bien, on m’a foutu dehors ! Encore heureux qu’on ne m’ait pas fait interner dans un hôpital psychiatrique !
Giscard nous dit encore : « Le Président ne peut être l’homme d’un parti ». D’un parti politique, peut-être pas, mais du parti des banques et des grandes industries, certainement. Il n’y a qu’à voir d’où père, frères cousins, enfants tirent leurs revenus.
Nous aimerions aussi savoir d’où le citoyen-candidat Giscard tire l’argent nécessaire à sa campagne électorale  ? Et comment il dispose des fichiers électoraux et des préfets eux-mêmes ?
- C’est cet homme nouveau, qui, comme le dit son comité de soutien « s’engage à ce que la France demeure une terre de liberté : la patrie des Droits de l’homme », MAIS la France de V.G.E. n’accepte pas toutes les conditions de la Convention Européenne des Droits de l’homme. En particulier, un simple citoyen Français ne peut pas présenter un recours quelconque devant la Cour de Justice Européenne.
- C’est « celui qui, sans fausses promesses, poursuit l’effort qui a permis à la France de créer en sept ans plus d’emplois que n’importe quel autre pays européen », MAIS au 1er janvier 1981, le chômage frappait 5,1% de la population active en Allemagne et 7,5 en France. Le Royaume-Uni en est, il est vrai, à 9,3 %... mais on fera mieux si on laisse Giscard en place pour un second mandat.
- C’est « celui qui a su, malgré la tempête-économique, faire progresser notre pouvoir d’achat » : 23% pour les Français, contre 16% pour les Allemands, 15% pour les Américains et 13 % pour les Anglais, MAIS, comme le montre le deuxième rapport du Centre d’Etudes des Revenus et des Coûts (1979), pour payer leurs biens de consommation courante, les Allemands ont moins à travailler que les Français et, d’une manière générale, les salariés français ont un pouvoir d’achat moins élevé que celui des Allemands.
- C’est « celui qui défend inlassablement la paix » MAIS la France est devenue le troisième exportateur mondial d’armements, le premier par tête d’habitant.
- C’est « celui qui n’oublie pas les pays les plus pauvres », MAIS la France ne consacre que 0,59% de son produit intérieur brut à l’aide aux pays sous-développés et la plus grande partie de cette aide (40 %) va aux Territoires et Départements Français d’Outre - Mer clientèle électorale oblige  !
C’est encore V.G.E. qui se targue d’avoir réduit les inégalités. En fait, le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n’a cessé de s’agrandir et l’inégalité des patrimoines est encore plus considérable que celle des revenus : en 1977, 10 % des plus fortunés détenaient la moitié du patrimoine national**.
Il a au moins défendu le Franc, dit-on. Même pas. De 1975 à 1980, le cours du Mark allemand a monté de 36 % et la Livre anglaise de 23 %.
En un mot, Giscard a échoué sur toute la ligne. Il n’y a guère que l’U.R.S.S. et les banques pour soutenir le contraire. Alors n’hésitons pas ; renvoyons-le dans ses châteaux. Ça fera un chômeur de plus, mais rassurez-vous, il n’est pas dans le besoin.
Il pourra vivre sans travailler et ne pourra donc pas dire que l’économie distributive est une utopie !

* De 1977 à 1980 le nombre des faillites d’entreprises industrielles en France a augmenté de 70 %.
** Dans « Economie et Statistiques », n°98 de mars 1978.

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Appel aux jeunes

par R. THUILLIER
avril 1981

LA jeunesse est actuellement plus désemparée que jamais. Ce que l’on s’obstine encore à appeler la « crise » économique lui laisse peu d’espoir en l’avenir ; sinon de s’insérer dans la file des deux millions de chômeurs prévus pour 1981.
Depuis longtemps, les Partis politiques ne prétendent plus remplacer la société capitaliste par d’autres structures adaptées au progrès technique. Leurs programmes - s’ils en ont un - ne s’attaquent pas aux causes de cette « crise ». Ils se proposent seulement d’en aménager les effets, en réformant certains de leurs aspects trop inhumains.
Quant aux syndicats, la crainte du chômage modère leurs actions qui restent ponctuelles. Leur principale préoccupation est de conserver des emplois et d’occuper, le cas échéant, les lieux de travail que le patronat ferme, faute de commandes. «  Du travail avant tout » ! « Sauvegardons nos emplois ! » tels sont les slogans qui dominent toutes les professions.
Il ne vient à l’idée de personne de reprendre la phrase maîtresse de Jacques Duboin : « Quand on ne peut plus payer les gens faute de travail, il faut les payer pour qu’ils consomment ».
C’est partout le règne du « fric », de la combine, des spéculations malhonnêtes, des scandales en tous genres. On en est écoeuré, mais on ne sait comment s’en sortir.

*

Devant cette situation, à quoi peut bien se raccrocher un jeune  ? Il ne croit plus à rien et condamne mollement ceux qui dévient vers la délinquance. Et cependant, ne pourrait-il s’enthousiasmer pour défendre les thèses que présente l’Economie Distributive ?
Elles sont pourtant simples à comprendre - plus que les combinaisons politiciennes et les études sophistiquées des Economistes plus ou moins distingués.
De plus en plus, les machines remplacent l’homme. En conséquence le travail pourra de moins en moins permettre de vivre dans une société où les possibilités de pléthore sont immenses.
Voilà le fond du problème économique et social de notre temps. En préconisant un Revenu Social pour tous, Jacques Duboin avait été un précurseur puisque, par le truchement des indemnités diverses, le « droit à la vie » est accordé aux plus nécessiteux.
Militer pour un Revenu Social généralisé devrait pouvoir mobiliser toute la jeunesse, puisque les moyens de production le permettent dès à présent.
Certes, il lui faudrait lutter contre cette « civilisation du gain », si bien dénoncée par Marcel Dieudonné dans son ouvrage « Que faire ? ». Mais ne serait-ce pas apporter une moralisation dans la jungle économique où, peu ou prou, nous sommes obligés de combattre ?
Et qui, plus que la jeunesse, pourrait apporter ce souffle idéaliste qui manque à notre société ?
Reste ce que Jacques Duboin a dénommé un « Service Social ». En réalité, il ne constituerait que des prestations professionnelles, encore indispensables pour faire marcher les machines - et les concevoir - et, surtout, pour répartir les marchandises au gré des consommateurs. Que ces prestations professionnelles (dues par tous les citoyens valides, en contre-partie du Revenu Social servi à tout le monde, enfants compris) soient gratuites, est un gros obstacle à faire franchir à nos concitoyens.
Habitués à travailler uniquement pour vivre, conditionnés par la civilisation qui place le profit et le gain comme seul moyen de subsister, travailler gratuitement est actuellement inconcevable pour nos esprits.
Cependant, lorsque nous serons placés dans des structures sociales et économique nouvelles, les mentalités changeront.
Au reste, dans une courte période transitoire d’adaptation, avant que l’abondance généralisée permette ce que les vieux anarchistes appelaient « la prise au tas », un revenu complémentaire d’émulation pourrait, à la rigueur, récompenser les plus méritants.
Il n’y a pas encore si longtemps, les syndicats n’avaient-ils pas pour but la suppression du salariat ?
Jacques Duboin, là encore, n’a fait que reprendre ce que les syndicats, englués aujourd’hui dans le système capitaliste, avaient préconisé dès leur fondation. Ce n’était peut-être pas possible il y a 50 ans, mais à présent c’est concevable.

*

L’ensemble de ces transformations constitue cette véritable Révolution à laquelle tous les jeunes devraient aspirer.
Il ne s’agit pas là de replâtrages, d’à peu près réformistes, mais vraiment d’une nouvelle société adaptée au progrès mécanique mais, et surtout, aussi plus humaine.
En fait, ce serait le véritable socialisme, tel que ses penseurs l’avaient conçu. Il ne pouvait être instauré dans la rareté, qui dominait encore le monde jusqu’à la crise de 1930 - dont le capitalisme n’est pas encore sorti et ne peut sortir - mais à présent nous n’avons plus le choix.
Si nous acceptons que l’abondance (susceptible d’être créée par l’emploi non limité artificiellement des machines) soit la cause du mal-être des hommes, nous courons à la catastrophe.
Comment accepter cela ?
Il appartient aux Jeunes de le comprendre et de lutter avec nous, pour l’instauration de cette Economie Distributive (d’aucuns la dénomment Répartitive) qui, seule, peut apporter à tous la joie de vivre.

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« La guerre est un crime contre l’homme, mais plus encore contre la femme. »

Femme, tu peux

par A. CHANTRAINE
avril 1981

Femme ! Si tu veux, tu peux créer
Dans ce monde une révolution.
Une révolution de beauté
Par ton amour et ta raison.

Tu peux tout, parce qu’au fond de toi
Règne constamment la non-violence.
Et que la douceur de ta voix
Peut beaucoup par ton éloquence.

Parce que ton corps a enfanté
Tu as mieux compris la souffrance.
Parce que ton coeur a tout donné,
Tu as ressenti l’espérance.

Certes, tu comprends l’homme mieux que lui
Car tu l’as conservé en toi.
Dans son embryon il apprit
Tout l’alphabet des premiers pas.

Femme, tu peux certainement changer
Cet homme qui ne sort que de toi.
Inculque-lui la vérité
C’est ta vocation, c’est ton droit.

Femme ! tu dois faire comprendre à l’homme
Qu’il ne peut répandre le sang ;
Car tout ce sang qu’il verse, en somme,
Vient de ta vie, de tes enfants.

J’aimerais que tu fasses en sorte,
Que tout petit, l’homme soit guidé
Vers un idéal qui le porte
A ne jamais te faire pleurer.

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Contradictions

par M. DUBOIS
avril 1981

DEPUIS plusieurs décennies,nous ne cessons de dénoncerles contradictions inhérentesà notre système économique actuelet qui, mathématiquement, s’opposent à toute tentative de replâtrage. La plus spectaculaire de cescontradictions est la destructionsystématique des biens de consommation soi-disant excédentairesdans un monde où les besoins vitaux sont bien loin d’être satisfaits.
Mais il en existe d’autres, beaucoup plus subtiles ; elles obligent nos dirigeants à pratiquer une vertigineuse fuite en avant sur une corde raide. Essayons d’en analyser ensemble quelques-unes, de comprendre les mécanismes vainement utilisés pour résoudre ces quadratures du cercle, et de comparer ces mécanismes avec les solutions possibles en économie des Besoins.

CHOMAGE - PRODUCTIVITE

On peut comparer les échanges internationaux à ces jeux dans lesquels le perdant accumule les cartes inutiles, en l’occurence les déficits. Il faut donc rester dans le peloton-de tête et être compétitif, sous peine de voir les investissements de productivité engendrer la diminution de l’emploi. Malheureusement tous les pays sont soumis à la même contrainte et certains d’entre eux, pour des causes diverses, nous ont allègrement doublé. Notons d’ailleurs au passage que même si notre classement était meilleur, la persistance d’un système mondial basé sur la condamnation impitoyable à la misère des moins bien armés ne peut qu’accumuler les germes de conflits avec extensions en chaîne.
Nous sommes donc actuellement dans une situation de compromis entre la sauvegarde de l’emploi et la reconversion de la production. Equipements plus performants et recherches de secteurs chargés de promesses d’avenir ne nous empêchent pourtant pas d’avoir 1 million et demi de demandeurs d’emploi, en attendant mieux de l’aveu du Plan lui-même... Et les mesures en faveur des chômeurs, ou les aides aux reconversions, pèsent sur les coûts et nourrissent l’inflation.

CROISSANCE INTERNE OU EXTERNE

Stimuler la consommation intérieure est l’un des remèdes le plus souvent préconisé par les partis d’opposition. Comment ne pas admettre pourtant que cet accroissement entraîne une augmentation (environ deux fois plus forte) du déficit de la balance commerciale ?
On essaye donc de trouver un compromis par l’intermédiaire du marché des changes, en tentant de conserver une monnaie stable vis- à-vis des monnaies les plus utilisées dans le commerce international. On y parvient plus ou moins bien en manipulant savamment les taux d’intérêt, la gestion du crédit et des emprunts extérieurs, etc... Mais nous restons à la merci des innombrables magouilles politico- financières qui, par le biais de la haute spéculation, brouillent totalement les cartes. Que, toutes choses égales par ailleurs, nous soyions obligés de souffrir un peu plus devant la pompe à essence parce que Reagan succédant à Carter, les capitaux flottants font grimper le dollar, illustre l’absurdité et la fragilité du système.
Alors, bien sûr, il faut exporter. Mais lâcher le grand mot ne résout rien, car, si un taux de change fort, réduit le coût des paiements des importations indispensables, il renchérit le prix de nos produits et nuit à notre compétitivité, donc à l’accroissement de nos exportations. C’est pourquoi, sur une période à moyen terme, nous voyons alterner les rigueurs monétaires avec des dévaluations plus ou moins réussies, ou des déficits budgétaires volontairement acceptés, entraînant les uns et les autres leur cortège de privations inutiles pour le plus grand nombre, et de profits éhontés pour les initiés.

CONSOMMATION INVESTISSEMENT

En économie de libre entreprise, personne n’investit sans escompter de débouchés. Et, d’autre part, les sommes investies sont automatiquement prélevées au détriment de la consommation. On ne peut donc plus guère parler de libre choix entre jouissance immédiate et jouissance différée, mais bien plutôt d’une obligation de choix déchirant entre les restrictions imposées au marché interne et les impératifs de la compétitivité externe.
Les entreprises françaises, dans leur grande majorité, sont totalement empêtrées dans cette contradiction qui décourage les investissements en dépit de la liberté des prix et de l’application toute relative des consignes de modération des hausses nominales de salaires. Là encore, le compromis difficile n’aboutit qu’à une strangulation de l’appareil productif par le système financier, et même si l’on considère qu’il s’agit là d’un moindre mal, il faut bien convenir du piètre résultat de tant d’efforts d’intelligence gaspillés en vain. Il est également indispensable d’avoir ces vérités contradictoires bien présentes à l’esprit au moment où, à l’occasion des élections présidentielles, chacun va vous promettre monts et merveilles. Mais personne ne vous expliquera comment pourront être tenues ces promesses sans échouer sur les écueils au milieu desquels naviguent dangereusement, les yeux bandés, nos dirigeants actuels. D’un bord à l’autre de l’échiquier politique ces prometteurs ne peuvent être que des inconscients ou des menteurs.

POUR EN SORTIR

Il en irait tout autrement pour qui accepterait de briser le cercle infernal et d’instaurer l’économie des Besoins.
Dans ce nouveau cadre, en effet, plus de contradiction entre chômage et productivité, ni entre investissement et consommation puisque la monnaie distributive gagée sur la capacité productive, permet d’assurer le Revenu social sans peser sur les prix de revient.
Assurées de leurs débouchés internes, les entreprises peuvent obéir sans réticence aux orientations données par les consommateurs, et accroître au maximum les parts de gâteau sans craindre d’excédents, même si ces gâteaux sont confectionnés avec de moins en moins d’intervention humaine. Les seules limitations concevables seront celles consécutives à la consommation d’énergie, mais n’oublions pas la masse de manoeuvre considérable dégagée par la suppression des gaspillages et des fabrications inutiles.
De même, sur le plan du commerce extérieur, le pays qui adoptera le premier une économie des Besoins prendra, par le libre épanouissement de son appareil producteur, un tel avantage sur ses concurrents que ces derniers n’auront d’autre solution que de l’anéantir militairement dans les plus brefs délais (avec tous les risques de riposte) ou, plus raisonnablement, d’adopter le même système. Ce qui constitue d’ailleurs la seule chance de réussite d’un début de désarmement mondial, inconcevable dans l’actuel système.
Reste pourtant une interrogation, d’importance capitale. Dans quelle mesure les hommes responsables de la production continueront-ils à déployer d’incessants efforts d’études et de recherches pour perfectionner leurs produits, pour en imaginer de nouveaux, pour économiser l’énergie et la peine des hommes, s’ils ne sont plus du jour au lendemain, stimulés par l’aiguillon du Profit  ?
Aucun précédent, aucune expérience concrète ne permettent actuellement de répondre à cette interrogation, encore que les résultats obtenus par les quelques essais de société égalitariste ébauchés ça et là n’incitent guère à l’optimisme béat. Sans doute ces essais ont-ils été tentés dans des pays n’ayant pas encore atteint un niveau de développement suffisant pour en tirer des conclusions définitives. Mais c’est incontestablement dans ce domaine qu’une étude approfondie, objective, et sans passion, d’éventuelles mesures de transition, prend toute son importance.

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Pour suivre la proposition de J.-M., largement acceptée par nos lecteurs, de prendre leur plus belle plume et écrire aux candidats, voici ce mois-ci une proposition de

Lettre à J. Chirac

par P.-N. ARMAND
avril 1981

Comité National de soutien à la candidature de J Chirac, 7, rue de Tilsitt, Paris-17e.

« Impressionné par vos affiches, où, sous votre visage énergique est proclamé : « Un espoir pour les Français » j’ai pris connaissance de votre programme qui figure sur de larges surfaces dans les quotidiens. Hélas, je suis déçu. Renforcer et moderniser la capacité de Défense. N’est-ce pas devoir augmenter la fiscalité et pour se défendre contre qui ? Vous ne désignez pas notre prochain ennemi héréditaire !
Il faut rétablir l’équilibre des Pouvoirs, Très bien. C’est le principe de Montesquieu (L’esprit des lois). Le Législatif fait la loi. L’exécutif l’applique. Le Judiciaire contrôle. Mais n’est-ce pas celui dont vous vous réclamer (avec M. Debré), le général de Gaulle, qui a ignoré le Sénat, diminué la Chambre, abaissé la Magistrature (tribunaux d’exception. etc.) ? Rétablir la séparation des Pouvoirs serait renier le général.
Se libérer du corset bureaucratique. C’est un peu la tarte à la crème des candidats. Mais, en ce qui vous concerne, c’est assez inattendu, puisque pendant tout le temps où vous étiez Premier Ministre, nous n’avons remarqué aucune amélioration sur ce point.
La justice fiscale sera le premier atout de la réconciliation. Diminuer les impôts des humbles, c’est augmenter ceux des possédants, c’est-à-dire des puissants. Se laisseront-ils faire ? N’est-ce pas votre Parti qui a refusé de voter l’impôt sur la fortune  ?
Une vraie participation proposée à tous les travailleurs. Cela intéresse de moins en moins d’individus, puisque de plus en plus ils sont sans emploi ! Et vous ne proposez aucune participation aux machines, aux robots, à l’informatique, à la bureaumatique qui les remplacent à moindres frais ?
Le référendum a été abandonné. C’est que le dernier avait laissé M. Pompidou assez amer. Il s’agissait en réalité de plébiscite et non de referendum (comme en Suisse). La preuve, le général de Gaulle au lieu de renoncer à son projet réformant le Sénat et déconcentrant les Provinces, a mis la clef sous la porte.
Le fléau du chômage s’étend. L’inflation rançonne les familles. C’est exact. Votre solution ? Pourquoi nous la cacher. N’en n’auriez-vous pas ? Prenez alors celle offerte par l’Economie distributive, dont j’annexe la documentation à la présente.
Cette conception, à l’indéniable esprit novateur, est loin des « répétions usées conservatrices  » (que vous dénoncez judicieusement). Elle créera l’enthousiasme de la masse électorale, qui comprend, incontestablement, plus de déshérités que de « nantis ».
Je vous prie de croire, monsieur, etc.

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Perles

avril 1981

Le consommateur paiera

La loi Royer a été votée en 1974 pour rétablir, selon son auteur, l’équilibre économique, fiscal, social et même éducatif entre les petits commerçants et les magasins à grande surface.
7 ans après, une enquête du « Matin » révèle que des autorisations d’ouverture ont encore lieu grâce à un trafic d’influences s’exerçant tant au niveau local qu’au niveau national..., qui a pour effet d’augmenter les prix de vente au consommateur !

-« o »-

COMPTES ET CONTES DU REGIME

L’industrie française à l’encan
(suite)

Construite il y a deux ans grâce à des emprunts souscrits par la commune et garantis par le département du Morbihan, la tréfilerie de Saint Armel, à Ploërmel, est fermée depuis octobre 1980 (chômage technique de 60 employés).
Le groupe de Saint-Urbain (5 usines, plus de 1 000 personnes, 260 millions de chiffre d’affaires) qui exploitait cette usine par l’intermédiaire de son holding, la Sté Française de forge et de métallurgie, mais qui menait le groupe à l’abîme après une dépense de 25 milliards de francs, recherche un partenaire ou un acquéreur.
S’il se présente, ce dernier pourra certainement obtenir du «  libéralisme nucléaire » une subvention ou des primes de décentralisation.

-« o »-

Le redéploiement industriel mondial
(suite)

L’hyper-centralisation du Pouvoir a permis à la Sté Française MATRA et ses alliés d’obtenir début 1980 un contrat pour l’équipement en automatismes de champs pétroliers à ABOU DHABI avec des produits de la société américaine HYDRILL, les services et la maintenance étant assurés par la filiale locale de la société britannique PLESSEY.
La société MATRA prospère, s’étend et prend des participations grâce aux armements et aux exportations d’armements avec l’appui des « fonctionnaires vendeurs d’armes ».
(Déclaration d’un ancien haut fonctionnaire au journal «  Le Monde », 13 janvier 1981).

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On y va...

par G. LAFONT
avril 1981

AU lendemain de son élection, un président de la République, dont j’ai oublié le nom - mais ça va me revenir - à peine installé faubourg St-Honoré et histoire de montrer au bon peuple de France qu’il ne s’était pas fait élire pour inaugurer des chrysanthèmes, s’avisa un beau matin, toutes affaires cessantes, d’aller faire une virée dans les prisons pour serrer la paluche des truands, leur demander si la soupe est bonne et leur montrer ce que c’est que le libéralisme avancé.
J’ignore quel goût avait la soupe à l’époque, mais ce geste spectaculaire, et d’autant plus gratuit que les taulards ne votent pas, n’avait pas valu à l’illustre visiteur la reconnaissance éternelle des intéressés. Au contraire. Cela avait fait grincer les dents dans les Q.H.S. Et rigoler dans les chaumières. Les gens sont ingrats.
Le président n’est jamais retourné dans les prisons. Il a tant de choses à faire, cet homme. Résultat : je ne sais pas si la soupe était bonne, mais ça ne s’est pas amélioré. Et depuis que M. Alain Peyrefitte s’est mêlé de mettre les truands au pas en appliquant la politique de la main tendue, mais avec une matraque au bout, c’est la grogne. Voilà que les pensionnaires de ces hôtels trois-étoiles, dits Quartiers de Haute Sécurité, à Fresnes, entreprennent la grève de la faim. Pourquoi ? Parce qu’ils voudraient bien savoir au juste quelle est la politique du gouvernement en matière de justice ; celle de la main tendue ou celle de la trique ?
Je comprends que le président soit indécis et même cruellement déchiré comme lorsqu’il doit exercer son droit de grâce, lui qui est enclin par nature à la clémence. Seulement la clémence n’est pas une vertu politique, à moins de s’appeler Auguste, et il faut regarder les choses en face. Selon les dernières statistiques de la délinquance il y a, en France, 40 000 personnes pour 20 000 places dans les prisons. 40 000 pensionnaires qui, même si la soupe est dégueulasse, coûtent cher à nourrir. La clémence, alliée au bon sens et à l’esprit d’économie, voudrait que l’on libère le plus rapidement possible les détenus pour soulager le budget de la justice. Erreur. A cette solution de facilité un homme politique digne de ce nom doit préférer la rigueur. Pas de pitié pour les truands. Pas de fausse sensibilité Au trou ! Jusqu’à perpète...
De bonnes âmes vont m’objecter que les prisons étant déjà pleines, voire surchargées, les fours crématoires, avec la crise du pétrole, hors de prix, et la Sibérie un peu loin, qu’allons-nous faire de tous ces pensionnaires encombrants ? Où les mettre ?.. Où ? Mais... dans les nouvelles prisons bien grillagées qu’il va falloir faire construire à grand renfort de béton armé et de miradors ! Une occasion inespérée pour faire démarrer le bâtiment - quand le bâtiment va tout va -, relancer les affaires, juguler l’inflation, créer des emplois et rendre le sourire à nos économistes patentés.
Alors, qu’est-ce qu’on attend ? Qu’il y ait 3 millions de chômeurs, ou que Raymond Barre ait pris sa retraite ?
Au début de son règne un président de la République, dont j’ai oublié le nom, déclarait avec solennité - c’était en 1974 - dans un bref moment de lucidité :
« Le monde est malheureux. Il est malheureux parce qu’il ne sait pas où il va. Et parce qu’il devine que s’il le savait ce serait pour découvrir qu’il va à la catastrophe. »
Il y a sept ans de cela... Mais ça me revient, je vous l’avais dit, ce président, le même que le visiteur des prisonniers, c’était Giscard. Je ne voudrais pas, à la veille, peut-être, d’un second septennat, le décourager. Lui dire brutalement que ça va encore plus mal aujourd’hui qu’en 1974 serait cruel. Il nous reste quand même un dernier espoir. Et cet espoir, puisque toutes les doctrines économiques - le libéralisme avancé, devenu le libéralisme faisandé, y compris - ont fait faillite, et en attendant le socialisme distributif auquel il faudra bien venir un jour, c’est l’Homme providentiel qui le porte, celui que la France sait toujours trouver aux heures les plus sombres de son histoire.
Celui qui, avec plusieurs lustres d’avance, a su exprimer dans un brillant raccourci la pensée de Giscard d’Estaing par ces mots devenus historiques : « On ne sait pas où on va mais on y va », cet homme pourrait aujourd’hui remplacer avantageusement Raymond Barre décidément un peu fatigué, et devenir le Sauveur que la France attend.
Malheureusement il est mort.
Il s’appelait Pierre Dac.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
avril 1981

Mourir de faim et de froid à cause du chômage, c’est pour la police une mort naturelle : licencié par Peugeot en juillet 1979, un jeune homme de 25 ans a été découvert mort de faim et de froid dans un hangar qui lui servait d’abri. Il ne pesait plus qu’une quarantaine de kilos. C’est un huissier qui a découvert son corps en venant lui notifier une citation à comparaître devant le tribunal. L’enquête de police a conclu « mort naturelle ».

*

A Blois, c’est un jeune père de famille de 25 ans qui s’est donné la mort en se tirant un coup de carabine en plein coeur. Il était au chômage depuis huit mois et, venant de perdre son indemnité, il n’avait plus aucune ressource.

*

Mais tout cela n’est que péripétie subalterne : Giscard s’occupe activement de résoudre le problème de l’emploi pour les jeunes. Après tout, ils n’avaient qu’à attendre un peu, non ?

*

La C.G.T. a organisé une grande manifestation pour défendre l’industrie automobile française. Entre autres arguments, elle soutient que le parc automobile français a six ans d’âge et doit donc être renouvelé. Ne vaudrait-il pas mieux construire des voitures qui durent plus longtemps ? Au même moment, G. Marchais déclarait qu’il faut s’attaquer avec rigueur à l’élimination de tous les gâchis du système actuel : gaspillage de matières premières, etc... La C.G.T. donne l’exemple.

*

Les Américains sont de plus en plus mécontents de la politique japonaise d’exportations d’automobiles et de moyens de défense. En effet, les divergences d’intérêt des deux pays restent de taille et menacent même de dégénérer en crise politique. Les pressions en faveur de mesures protectionnistes s’accroissent et leur mise en place paraît inévitable. (Les Japonais occupent près de 25 % du marché automobile américain). En 1980, l’industrie américaine a licencié plus de 200 000 ouvriers sur un total de 700 000 pendant que les Japonais vendaient 2,4 millions de voitures et de camions aux U.S.A. Certains hommes politiques et dirigeants syndicaux poussent le gouvernement à adopter une législation limitant les importations de voitures japonaises à un niveau acceptable. Le problème risque d’être d’autant plus difficile, souligne le correspondant du «  Monde » à Tokyo, qu’au Japon, comme sur les marchés européens, les fabricants sont confrontés à une « saturation du marché intérieur », poussent leurs exportations et cherchent à retarder l’ouverture de négociations qui les limiteraient.
Autre point de friction américano-japonais : l’effort de défense du gouvernement japonais, qui n’a prévu que 7,61 % d’augmentation des crédits correspondants, alors que les U.S. considéraient qu’ils devaient au minimum en prévoir 9,7 %. Le chef du gouvernement japonais, M. Susuki, affirme qu’il ne faut pas s’attendre à voir le Japon assurer un rôle militaire dans les relations internationales et qu’il reste très attaché à sa politique antimilitariste et antinucléaire : « J’ai l’intention de dire franchement au Président Reagan que le Japon, nation pacifique, contribue à la promotion de la paix internationale par des mesures d’aides économiques et technologiques », vient-il de déclarer.

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L’automobile aura pourtant une nouvelle jeunesse. Mais après 1990 et grâce à l’hydrogène. C’est ce que nous dit la revue « Energies » du 16 janvier 1981 : « Les progrès de la technologie permettant d’utiliser l’hydrogène comme combustible pour les transports, laissent penser que d’ici dix à quinze ans, les voitures pourront rouler à l’hydrogène. Il est même probable que la première génération sera commercialement disponible d’ici 1990. Le problème le plus important est celui du stockage qui doit être performant et sûr. Le principe dit « de l’éponge » a été retenu : il consiste à stocker l’hydrogène dans un métal éponge qui puisse le restituer à volonté. Une des éponges les plus intéressantes est constituée par un mélange de magnésium et de 10 % de lanthane-nickel. Le stockage de l’hydrogène à bord des véhicules pourrait se faire en utilisant à la place du réservoir d’essence un réservoir hermétique rempli de poudre métallique absorbant l’hydrogène insufflé et le restituant au fur et à mesure des
besoins.

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En attendant, les pays arabes producteurs de pétrole ne savent pas quoi faire de leurs excédents de dollars. Alors ils en prêtent à tout le monde : l’agence monétaire de l’Arabie Saoudite prête discrètement des milliards de dollars à I.T.T., I.B.M., Dow Chemical... Les Kowétiens détiennent pratiquement 5 % du capital des vingt premières banques américaines, un pourcentage très important du capital d’Eastern Airlines et de très gros paquets d’actions de Exxon, Texaco, Getty Oil, Mobil... La Lybie possède 10 % du capital de Fiat ; les banques arabes ont de très grosses participations dans les industries de pointe japonaises. Les actifs de l’O.P.E.P., au total et en milliards de dollars, sont passés de 7 en 1963 à 100 en 1975, 160 en 1978, 343 en 1980. Les estimations prévoient 450 en 1981, 600 en 1982, ...plus de 1 000 en 1985. Autrement dit, les pays de l’O.P.E.P. sont en train de créer un nouveau système bancaire international qui leur facilitera la prise de contrôle des ressources financières mondiales d’ici à 1990.

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Le général R. Joffre dans les marais de St Con

par H. de JOYEUSE
avril 1981

EN septembre 1914, coup de tonnerre sur l’Europe en fièvre ! L’armée allemande, le 2 août, avait ouvert les hostilités, avançant irrésistiblement sur Paris, bousculant toutes les armées belges, luxembourgeoises, anglaises, françaises, qui cherchaient à’ s’opposer à elle. Sur la Marne, cessant de reculer, le Général Joffre faisait volte face et battait les armées du Kaiser, leur faisant rebrousser chemin sur le quart du territoire conquis.
Le 25 août 1976. Coup de tonnerre sur l’Europe. En pleine paix, sans la moindre provocation étrangère, sans risque externe, JOFFRE BIS est bombardé « Premier Ministre ». Inconnu la veille, il a en poche sa carte de « Membre de la Trilatérale » et ça suffit. On va voir ce que l’on va voir.
Pour mesurer la victoire de Raymond, on va utiliser la métrologie du système lui-même : les monnaies. Ainsi ne nous accusera-t-on pas de tricherie.
Qu’observons-nous, capitaine ?
Le Général Raymond Joffre a grignoté de l’Italien, de l’Espagnol, du Danois, du Suédois et même du Canadien. Leurs devises respectives tombant, entre le 25 août 1976 et ce jourd’hui (2-2-81), la Lire de 0,06 à 0,05 - la Peseta de 0,07 à 0,05 - la Couronne danoise de 0,80 à 0,75 - la Couronne suédoise de 1,09 à 1,07 - le dollar canadien de 5 à 4,11. Tout ceci en francs français naturellement. Minces victoires (sauf pour le dernier) mais positives quand même.
Hélas, rien ne va plus avec les grognards sérieux. Là, Raymond Bourbaki prend la pâtée, avec des marges autrement sensibles. Ça monte : Couronne norvégienne 0,87 à 0,97 - Franc belge 1,24 à 1,43 - Florin 1,78 à 2,12 - Mark 1,91 à 2,30 (un malade bien portant) - Franc suisse 1,97 à 2,54 - Livre 8,76 à 11,25.
Match nul avec le Dollar US : 4,93 en 1976 et 4,93 en 1981.
Quant au Yen, à 2,41 F c’est une cible hors de portée du pitaine qui, de dépit, n’en parle jamais.
On dira, les monnaies, ça va, ça vient. Un jour en haut, un jour en
bas. D’accord. Mais ce n’est pas nous qui avons inventé le mètre- caoutchouc pour mesurer la richesse ! Alors, prenons l’or pour référence.
Toujours la même date, 1976, arrivée du célèbre Pas Peur Camembert. La veille de son arrivée Or fin, kilo en barre 19 200 F, ce jour 89 700 F. Le même en lingot 19 070 F, actuellement 89 995 F. Le Napoléon avant : 226 F, après 899 F.
Et ce n’est pas fini. Les victoires de Babar ne se termineront qu’avec son mandat (Merci, pour lui,’ il est grassouillet, comme son proprio). Encore quelques victoires comme celles-là et on est foutu. Enfin, ne soyons pas méchant et souhaitons que pour son coffre particulier, le Général Babarre ait eu plus de perspicacité que pour sa « Boulitique » économique et qu’il ait su faire parvenir quelques kilos jaunes (en Raymond barre ou en lingot) au Liechtenstein où il a ses aises.

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Halte au pillage

par P. SIMON
avril 1981

« L’extinction d’une espèce peut avoir un effet direct sur notre vie quotidienne. Dans le monde entier, on consomme de plus en plus de produits alimentaires ou pharmaceutiques et l’industrie utilise de plus en plus de matières tirées des espèces animales et végétales des forêts tropicales. Les réserves que constituent ces espèces peuvent être rangées parmi les matières premières les plus précieuses pour la société. Toute réduction de la diversité de nos ressources limite notre capacité à réagir aux nouveaux problèmes qui se posent à nous. » (National Academy of Sciences, USA).

UN TRESOR DILAPIDE

Les forêts tropicales commencent à disparaître. Du Zaïre au Brésil, de l’Indonésie au Guatemala, les fragiles écosystèmes tropicaux qui font vivre peut-être les deux tiers des 4,5 millions d’espèces animales et végétales de la planète sont soumis au massacre. Au nom du progrès, l’humanité passe au bulldozer, inonde, abat et brûle un vaste trésor scientifique et technologique. Ce faisant, on est peut-être en train de faire disparaître définitivement les réponses aux problèmes mêmes qui poussent les hommes à cette destruction sans précédent de l’environnement.
Le président de la Commission de biologie tropicale de la National Academy of Sciences déclare : Plus de 20 hectares de forêt tropicale sont défrichés chaque minute, ce qui fait environ 11 millions d’hectares par an... L’écharpe de forêts tropicales qui autrefois ceignait la terre entre les tropiques du Cancer et du Capricorne a été ramenée de 41 millions de kilomètres carrés à 23 millions. Sous la poussée formidable des humains en quête de nourriture et d’énergie, dont le nombre va doubler d’ici l’an 2000, la destruction de ce qui reste sera pratiquement achevée dans 50 ans. »

LA FIN DES ESPECES

Les espèces s’éteignent rapidement. Selon un écologiste du Kenya, le monde perd une espèce par jour et, d’ici la fin du siècle, la population du globe sera peut-être bien réduite au rythme quotidien de cent espèces. Les espèces animales et végétales disparues sont d’ailleurs souvent remplacées par des espèces intelligentes et opportunistes telles que les mauvaises herbes, les rats, la mouche domestique et les moineaux jugés inutiles.
Près de la moitié des forêts tropicales d’Afrique a été consommée. En Inde, au Sri Lanka et en Birmanie, la proportion atteint les deux-tiers Selon certains experts il n’y aura plus de forêts à Madagascar, aux Philippines et en Malaisie dans 10 ou 20 ans.
Les responsables de ce pillage ne sont pas seulement les exploitants en quête de bois, de terres cultiver ou de pâturages mais, en proportion égale, les populations pauvres et mal nourries qui cherchent désespérément les terrains qui vont leur fournir de quoi se nourrir, faire chauffer leurs aliments et se procurer un peu d’argent. Venus des grands centres surpeuplés, ignorant les techniques agricoles, ces nouveaux arrivants adoptent des méthodes intensives qui épuisent le soi et ne permettent pas à la forêt de se régénérer.
En agissant ainsi, ces populations ne résolvent leurs problèmes qu’à très court terme et sont lancées dans une espèce de fuite en avant. Le malheur est grand aussi pour la planète entière car les espèces végétales de la forêt tropicale recèlent, selon les experts, des trésors de substances utiles comme les gommes, le latex, les résines, les huiles. Certaines sont utilisées par les Indiens comme contraceptifs, d’autres ont la vertu de repousser les insectes. Quant aux possibilités offertes à l’industrie pharmaceutique elles sont très prometteuses. C’est ainsi que la pervenche de Madagascar a déjà donné des résultats dans le traitement de la leucémie.

L’ESPOIR

Une toute autre attitude à l’égard de la forêt doit être possible puisque les anciens Mayas du Yucatan faisaient vivre peut-être trois millions de personnes dans une forêt tropicale aujourd’hui dépeuplée. Le tout est de savoir tirer parti des énormes ressources qu’offre la forêt en elle-même. Les protéines du fruit de l’arbre à pain sont supérieures à celles du maïs ou du manioc et la récolte peut atteindre sept tonnes à l’hectare. Les Indiens de l’Etat de Chiapas au Mexique tirent de la forêt 80 variétés de plantes alimentaires ainsi que du poisson. C’est donc vers les aborigènes qu’il faut se tourner pour apprendre un domaine que les autres populations ignorent et saccagent.
Sans doute, il y a là de quoi stimuler l’ingéniosité (et l’humilité) des gouvernements. Puissent-ils se pencher rapidement sur ces graves problèmes.

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A qui gagne perd !

par E.R. BORREDON
avril 1981

CETTE fois le jeu est bien lancé, le départ pour la course présidentielle est donné. Et les électeurs n’ont aucune illusion à se faire. Se retrouveront en tête après le premier tour nos quatre grands et sans doute dans l’ordre numérique des voix obtenues : Giscard, Mitterand, Marchais, Chirac. De toute façon, l’ordre importe peu et au second tour ce sera le match au sommet, selon toute vraisemblance, entre Giscard et Mitterand.
A moins que...
Car s’il ne fait aucun doute de voir Mitterand représenter ce qu’il est convenu d’appeler « la gauche », par contre, de l’autre côté, rien n’est encore joué.
En fait, la situation intérieure et extérieure est telle dans les domaines sociaux, financiers et économiques, que l’on peut penser à juste titre que l’enjeu de la partie est une belle gamelle à ramasser et qu’elle ne peut être que celle que l’on souhaiterait voir prendre à son pire ennemi.
Considérée en elle-même, cette élection présidentielle française n’a pas dans le contexte international actuel une importance primordiale. Les ficelles de l’économie et des finances du monde sont tirées, depuis belle lurette, par un symposium de têtes choisies pour lesquelles les nations, en tant que telles, n’existent déjà plus. Et l’on ne peut que considérer avec une ironique dérision les contorsions auxquelles se croient obligés de se livrer nos candidats pour essayer de rendre encore plus crédible et payant le mythe de l’indépendance de la France.
Car les têtes citées plus avant ont réussi à instaurer, dans l’ensemble des relations internationales, un tel désordre, que ce soit en matière d’échanges commerciaux, techniques ou culturels, ou en matière de monnaie et de rapports financiers, que ce désordre interfère dramatiquement dans la vie intérieure de tous les pays.
Ah ! comme il est beau Michel Debré lorsqu’il prétend que notre pays a les moyens de se faire respecter tous azimuts. Comme il nous prend aux tripes le fier Chirac quand il en rajoute sur son compère dans le même sujet. Comme il sait nous toucher du côté du coeur avec son projet de suppression de l’impôt sur le revenu et de la taxe professionnelle ! (en se gardant bien toutefois de nous préciser comment il assurerait, dans ces conditions, l’équilibre budgétaire national).
Mais, par contre, comme il nous prend bien pour ces animaux chers au seul grand général de notre histoire contemporaine, lorsqu’il envisage, en accord avec l’ineffable Rueff, et ce, pour donner à la monnaie une valeur stable et significative, de rattacher cette dernière à l’étalon-or ! Au moment même où l’exemple du pétrole démontre tous les jours les dangers présentés par une matière de base dont tous les pays n’ont pas la même disposition, la France aurait bonne mine face à l’Afrique du Sud et à l’URSS, malgré les réserves de la Banque de France et des bas de laine des Français !
Mais c’est surtout le non-sens, sinon l’absurdité, d’une telle opération qui frappe les esprits réfléchis, alors que la monnaie, bien au contraire, devrait s’adapter’ à la révolution économique et sociale en cours, pour ne plus être que l’élément facilitant la répartition des produits, des biens et des services entre les consommateurs. Lui rendre un rôle restrictif et sélectif, rôle qu’elle a dû abandonner depuis longtemps par la force des choses, constituerait une régression invraisemblable et insupportable.
Du côté de la gauche, le « suspense » est moindre, car les jeux, de toute évidence, y sont faits depuis longtemps.
Mitterand est, par la volonté de Moscou, le candidat du 2e tour. Il n’a pas le choix et Marchais joue sur le velours, car il gagne, quelque soit le résultat, et Moscou avec lui.
Si Mitterand est élu, la gamelle qui lui écherra sera non seulement celle que la situation économique et financière internationale lui réserve, mais, sur le plan intérieur, ces problèmes seront aggravés par l’attitude non coopérative de ses pseudo-alliés du P.C.F. qui n’auront de cesse de susciter revendications, grèves et mouvements divers propres à lui rendre la situation impossible et à démontrer par cela même son incapacité à occuper le poste auquel l’aura porté une élection démocratique.
Alors, amis lecteurs et électeurs, que conclure ?
Qu’il serait temps de prendre conscience de la chance inouïe donnée par les progrès techniques à l’humanité et d’aider tous ceux qui, comme les amis de J. Duboin, se battent depuis un demi-siècle pour lui permettre de la saisir.

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Le frein

par G. STEYDLÉ
avril 1981

« Ce qui est techniquement possible doit l’être financièrement. »
Jacques DUBOIN

Un grand hebdomadaire (1) se livre à quelques réflexions sur différents sujets cueillis à diverses sources concernant les questions agricoles, les possibilités énergétiques, les inégalités économiques.

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LA TERRE EST ASSEZ GRANDE

Roger Revelle, de l’Université Harvard, a calculé que la superficie totale des terres arables dans le monde (les surfaces des terres donnant plusieurs récoltes par an étant affectées d’un coefficient) était environ de 4,1 milliards d’hectares. Or, actuellement, moins de la moitié de cette superficie est utilisée chaque année. Les terres disponibles pour l’agriculture sont donc abondantes, sous réserve de disposer des capitaux nécessaires à leur mise en valeur (2).
Donc, sans capitaux, les terres susceptibles d’être exploitées pour le bien de l’humanité, resteront en friche. Dans le système économique actuel, tout doit être rentable. Il est illusoire et même honteusement hypocrite de vouloir supprimer la faim dans le monde alors que la nécessité de rentabilité ne le permet point et c’est bien là, le frein ! Il faut donc sortir de ce système qui transforme les possibilités d’abondance en ce que nous appelons la rareté, laquelle maintient la misère et non la satisfaction des besoins élémentaires, pour beaucoup d’humains dans le monde entier.

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ENERGIES RENOUVELABLES

La conférence des Nations Unies sur les sources nouvelles et renouvelables de l’énergie aura lieu à Nairobi en août 1981. Parmi les énergies étudiées : l’énergie solaire, géothermique, éolienne ; l’énergie des marées, du bois, du charbon, de l’eau...
Mais une fois encore, la question de rentabilité limitera les ardeurs des différents groupes d’experts chargés de confronter leurs conclusions.

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LA POLITIQUE DES FAIBLES

Le dialogue Nord-Sud et la réduction des inégalités (3) est un ensemble d’études et de recherches entreprises par le Council on Foreign Relations. Cet ouvrage se compose de deux essais complémentaires portant l’un et l’autre sur le problème posé par l’accroissement de l’extrême pauvreté dans les pays en développement.
La première étude de Howard Wrigging, plus politique, analyse les stratégies que les pays en voie de développement utilisent généralement pour retirer des avantages politiques et économiques de leurs négociations avec les pays développés. C’est la politique des faibles... Toutes les approches nouvelles que propose Howard Wrigging donnent une priorité absolue à la satisfaction des besoins élémentaires.
La deuxième étude, plus économique, est de Gunnar Adler Karlson... L’auteur souligne avec force qu’accroître les dimensions du « gâteau » économique sans éliminer les inégalités politiques et socio-économiques est un leurre.

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Nous n’avons jamais dit le contraire !

(1) « Le Monde Dimanche » 14-12-80.
(2) C’est nous qui soulignons.
(3) Nous pensons : suppression des inégalités.

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Abolition de l’esclavage

par P. BUGUET
avril 1981

A l’exploitation de l’homme par l’homme, l’esclavagisme japonais préfère « l’esclave machine ». Au Japon l’utopie d’hier, l’usine sans ouvrier, devient la réalité d’aujourd’hui, a constaté Poniatowski, au cours de sa récente enquête, où il relate avoir vu une usine d’automobiles entièrement automatisée, sans aucun ouvrier*. Ton esclavage prend fin, travailleur, mais de Toyota, plus un maravédis tu n’auras.
Sous la poussée technique le Monde change de bases, il devient crucial d’accoucher de bases résolument sociales.
Soit, le Japon est aux antipodes, mais ses voitures son mobiles et roulent sur nos routes. Fiat automatise, Général Motors automatise  ; que demain, l’industrie automobile française, acculée par la concurrence, se modernise par l’automatisation et nous voilà non plus avec deux millions de chômeurs, mais avec quatre, huit, seize !
La solution réside cependant dans sa contradiction même. Un sauveur nous est arrivé en la personne de l’économiste Alfred Sauvy. Celui-ci professe que les profits réalisés par l’économie de main-d’oeuvre peuvent être réutilisés par l’embauche d’un domestique supplémentaire. C’est donc très simple : transformons nos x millions de métallos conscients et organisés, atteints du virus de la paresse, en x millions de « supplémentaires » à gilet rayé, que nous doterons d’une brosse à reluire pure soie de porc, made in « Hermès », à la place de leur clef à molette !
Alfred Sauvy aura alors bien mérité de l’altière classe ouvrière, tandis que les Japonais, barbares à l’imagination fertile, pourront à l’aide d’aménagements financiers, se constituer un Revenu Social et regarder leur outillage travailler à leur place.

* Voir G.R. n° 786.

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Le chômage

par G. GILET
avril 1981

« LA guerre économique, ouverte verte au nom du libéralisme, n’éventre pas les maisons comme les obus de la guerre militaire, mais elle broie également des êtres de chair et de sang. Ils défilent en criant « ASSASSINS » et « DU TRAVAIL ». Les travailleurs en appellent de la sentence qui leur est infligée. Sommes-nous du bétail pour être condamnés à la transhumance, afin de trouver une maigre pâture ? interroge le maire d’une commune de la région de Denain, dans « F.O. magazine ».
Des gens titrés, compétents, haut placés, ne perdent aucune occasion de rappeler que nous sommes en état de guerre économique appelée à s’exacerber.
Vouloir créer des emplois, alors qu’à l’aube du micro-processeur, les techniciens et les ingénieurs par leurs innovations technologiques, s’acharnent à en réduire le nombre, conduit à une politique de fuite en avant et représente une monumentale contradiction qui devrait être unanimement perçue.
Le droit au travail est, dans ce contexte, devenu une exigence périmée en raison de la raréfaction croissante du travail. Pourquoi continuer à revendiquer l’exercice de ce droit, dans un système dont la nature des moyens mis en oeuvre pour en assurer l’existence et la pérennité vise, au contraire, à la faire disparaître ? Il n’est que de regarder, d’écouter et de réfléchir. Grâce à un ensemble de mécanismes coercitifs, puissamment et savamment établi, entretenu et développé, le mouvement syndical, divisé, déprimé et «  concurrencé » est de moins en moins en mesure de le maîtriser et de le contenir. Il devrait plutôt nous inciter à en tirer des conséquences originales Ainsi le chômage ne serait pas le fruit amer des caprices d’un hasard fantaisiste ou malintentionné.
A l’évidence et de plus en plus, les uns travaillent trop, les autres pas assez. Une diminution progressive et une meilleure répartition du temps d’occupation s’imposent chaque jour davantage. Une solution satisfaisante ne saurait être trouvée - si elle existait vraiment, elle le serait déjà - qui ne prendrait pas en compte cette vérité qui relève de la simple logique, mais dont notre régime, pour des impératifs bien connus, ne peut fondamentalement s’accommoder.
D’où la nécessité de le transformer, en levant ce blocage et cette contradiction. Et de développer des attitudes nouvelles à l’égard de l’emploi, et, par corollaire, en faveur du travail, qu’il devient urgent de désacraliser pour le confort moral des chômeurs.
Cela requiert, bien évidemment, dans nos pays développés, un mode de répartition des ressources et des richesses produites, différent de celui résultant de l’application des règles économiques et financières traditionnelles. Un mode qui ne soit plus soumis obligatoirement à la dure loi du rapport TRAVAIL-ARGENT, bien atténuée, il est vrai depuis la naissance lointaine de l’antique formule « qui ne travaille pas ne mange pas ».
D’où une dissociation nécessaire entre travail et salaire, par l’instauration d’une économie distributive, seule capable de nous conduire vers une solution logique et rationnelle de nos problèmes. Elle ne serait pas le moins du monde incompatible - bien au contraire - avec les nécessités impérieuses d’économies généralisées et de croissance ralentie qui, pour la sécurité des générations à venir, se profilent à l’horizon des prochaines décennies. Elle permettrait, en outre, de se soustraire aux exigences insupportables de notre économie concurrentielle prônée par les puissants, libres de détruire en toute légalité, l’entreprise du voisin et de priver d’emploi ses salariés, redoutée par les humbles qui voudraient bien pouvoir s’affranchir ; honnie par les victimes de la lutte impitoyable que se livrent les nations en mal d’énergies mais tenaillées par la croissance et obsédées par les coûts.
Et le progrès technique serait enfin mis au service de l’homme et non l’inverse !
UTOPIE ! pensera-t-on. « C’est par les portes de l’UTOPIE qu’on entre dans les réalités bienfaisantes »*.
Lorsqu’on se trouve engagé dans une mauvaise voie, plus on avance, dit-on, plus on s’égare. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le tunnel est en train de se muer en
labyrinthe, à l’intérieur duquel existent mille et une manières de tourner en rond et de marcher de travers ?
Le chômage, phénomène angoissant, inéluctable tant que les causes qui le favorisent progressent, est donc destiné à s’accroître inexorablement, avec les innombrables conséquences graves qui en découlent ?
Vouloir soigner nos maux en accélérant la cadence, par l’intensification et le durcissement des moyens qui les engendrent, si cela permet, provisoirement, le report d’inévitables décisions, ne pourra, en aucune façon, constituer le remède, quelles que puissent être la compétence et l’habileté du praticien chargé de l’administrer.
Thérapeutique étonnante et paradoxale ! Qui pourrait ne pas en convenir ?

* André GIDE.