La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 761 - novembre 1978

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N° 761 - novembre 1978

Quel chômage ? Quel plein emploi ?   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Bouchons au tertiaire   (Afficher article seul)

À M. Robert Fabre   (Afficher article seul)

Ils y viennent !   (Afficher article seul)

Pourquoi la gauche ne nous suit pas   (Afficher article seul)

À l’Est, rien de nouveau   (Afficher article seul)

Chronique de l’absurde   (Afficher article seul)

L’homme distrait est, et sera, puni   (Afficher article seul)

La monnaie   (Afficher article seul)

Je suis mort pour rien   (Afficher article seul)

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Quel chômage ? Quel plein emploi ?

par M.-L. DUBOIN
novembre 1978

LE chômage croit et ne va pas cesser de croître dans les pays industrialisés ». C’est en général sous cette forme qu’est présentée « la crise ». Partant de là, syndicats et partis de gauche réclament avec obstination « le plein emploi » des travailleurs, n’ayant en vue que leur gagne-pain. Et c’est ainsi qu’on peut voir des ouvriers placés dans la situation aberrante de réclamer, pour vivre, qu’on fabrique des engins de mort !
Il est pourtant essentiel de pouvoir choisir !
C’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu !

*

Il importe de ne pas tout mélanger. Le chômage qui croît, c’est celui du secteur que j’appellerai le secteur de l’entretien. Le domaine où s’élabore tout ce qui permet à l’homme de survivre : son alimentation d’abord, son habitat, ses vêtements, ses déplacements, etc... Le domaine de la production et des services utilitaires.
Dans ce vaste secteur, le chômage croît pour la bonne raison que l’homme a fait tout ce qu’il pouvait pour cela ! De tout temps il a cherché à ménager sa propre peine en mettant au point des techniques susceptibles de produire pour lui et plus que lui. C’est le but poursuivi par les générations qui nous ont précédés et c’est aussi le sens même de l’investissement des sociétés capitalistes qui suppriment de la main-d’oeuvre afin d’améliorer leur rentabilité. Il faut être arriéré, « demeuré », pour nier le bond fantastique qu’a ainsi réalisé la productivité, dans tous les domaines, au cours des dernières décennies. Il faudrait être aveugle pour ignorer, après l’étude publiée par Simon NORA et Alain MINC (1), le bouleversement que nous apportent la télématique et l’informatique dans le domaine des services.
Mais je n’insiste pas, car nous ne cessons, dans ces colonnes, de rapporter des exemples de cette croissance fulgurante des possibilités techniques. Et il semble bien que ceci soit enfin de mieux en mieux reconnu, comme en attestent les témoignages que G. STEYDLE collectionne maintenant sous la rubrique « Ils y viennent » (2).

*

Ce qui caractérise le secteur de la production, c’est que, créant des richesses, il distribue le pouvoir d’achat, sous quelque forme que ce soit salaires, bénéfices...
Il n’en est pas de même dans l’autre secteur de l’activité humaine, celui qui ne se manifeste pas par des biens de consommation ou rien d’immédiatement concret : le secteur de l’activité purement intellectuelle, artistique, culturelle et que j’appellerai le secteur de l’évolution humaine.
La véritable, l’énorme révolution à laquelle nous assistons est le transfert de l’activité du secteur de l’entretien vers le secteur de l’évolution. Débarrassé de la charge d’avoir à fabriquer lui-même, à la sueur de son front, ce dont il a besoin pour vivre, libéré par les machines qu’il a créées, l’homme accède à une autre civilisation en ayant la possibilité de consacrer de moins en moins de son temps a son entretien et de plus en plus à la réflexion, à l’art, à la philosophie, au sport... C’est pour lui une véritable mutation, dans le plein sens de ce mot.

*

Ce transfert, cette incontestable évolution de l’humanité, est matériellement, techniquement possible. Par quelle aberration peut-on encore essayer de nous persuader qu’au lieu de le favoriser il convient de vivre dans l’austérité  ?
Il suffit, pour s’en rendre compte, d’observer à quel niveau se placent les objections lorsque nous proposons le changement de structure (3) qu’appellent ces possibilités nouvelles. Lorsque le Parti Socialiste, nous rejoignant, estime qu’il suffirait de 35 heures (au lieu de 42) hebdomadaires de travail pour assurer la production française, les conservateurs, tel Pierre DROUIN, du journal « Le Monde », opposent l’objection suivante : à salaire égal, ce serait une charge supplémentaire intolérable pour les producteurs, charge qui se répercuterait sur les prix, sur le chiffre des exportations et... augmenterait le nombre des chômeurs. Et dans le système des prix-salaires-profits, cela est indéniable.
De même, on rétorque qu’amorcer seulement une économie partiellement distributive en subventionnant la consommation par des allocations diverses, familiales, de vieillesse, de chômage, etc., c’est alimenter l’inflation dans ce système économique. Et une telle relance, c’est P. Drouin qui le dit, entraînerait un plan de « redressement » qui engendrerait un nouveau chômage.
Ainsi, de l’aveu même de nos plus réputés économistes, il n’y a pas, dans ce système, de recette pour lutter contre le chômage qui se développe dans le secteur de l’entretien. Pas plus qu’il n’y a de moyen de développer le secteur de l’évolution tous les budgets de ce secteur, recherche scientifique, enseignement supérieur, activités artistiques et culturelles, protection de l’environnement, etc., subissent une catastrophique régression, pour la « bonne » raison qu’ils... ne rapportent rien : lis ne sont PAS RENTABLES !

*

Ce sont donc bel et bien les structures économiques qui constituent le carcan entravant l’épanouissement que l’homme a aujourd’hui à sa portée : il n’y a pas d’autre issue raisonnable que l’abolition du salariat.

(1) Voir l’article de J.-P. Mon dans le n° 751 de « La Grande Relève ».
(2) Voir plus loin, page 6.
(3) Exposé pages 15 et 16.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
novembre 1978

R. BARRE fait reposer toute sa stratégie économique sur les deux postulats suivants :
- pour créer des emplois, il faut que les entreprises recommencent à investir ;
- pour que les entreprises investissent, elles doivent disposer de meilleurs moyens financiers.
D’où la libération des prix industriels, le freinage des salaires, la réévaluation des bilans des sociétés, et autres mesures destinées à reconstituer les marges ou les fonds propres des entreprises.
Ces mesures se sont effectivement révélées efficaces puisque, selon le rapport du gouvernement, l’excédent d’exploitation des sociétés privées augmentera en 1978 de 19 % et que, compte tenu d’une plus faible imposition des bénéfices, le revenu brut de ces sociétés se sera accru cette année d’environ 46 %.
Mais malgré tous ces nouveaux avantages, les investissements du secteur privé n’ont pas repris. Et nos brillants économistes s’interrogent...
Comme s’il n’était pas évident que ce que tout bon chef d’entreprise recherche, c’est avant tout de faire le maximum de profit.
Alors pourquoi investir dans des technologies nouvelles et coûteuses dont la rentabilité à court terme n’est pas assurée quand on peut s’assurer de solides bénéfices en profitant simplement de la générosité du gouvernement «  libéral avancé » ?
Il faut d’ailleurs être le premier décono...miste de France, pour penser encore que l’investissement dans les technologies modernes crée des emplois. Voyons plutôt ce qu’en pensent des gens sérieux comme le professeur Wassily Léontief, prix Nobel d’économie, qui écrivait dans la « Revue de l’Entreprise  » de mai 1978
« Il est incontestable que les machines évincent la main-d’oeuvre. Mais de nombreux théoriciens en économie se sont empressés de préciser que cela n’implique pas pour autant que la demande totale de main-d’oeuvre et d’emploi considérée globalement diminue. Et d’ajouter qu’un nombre égal, voire plus important, de nouveaux emplois sera nécessairement créé dans l’industrie des machines et les branches annexes.
Mais est-ce réellement le cas ?
La réponse est négative : car effectivement, les technologies et machines nouvelles, introduites parce qu’elles permettent de diminuer les coûts de production, réduisent la demande totale de main-d’oeuvre, c’est-à-dire le nombre total d’emplois disponibles dans tous les secteurs de l’économie, à n’importe quel prix donné de la main-d’oeuvre, c’est-à-dire à n’importe quel taux salarial...
« Prétendre que les travailleurs évincés par des machines trouveront inévitablement de l’emploi, pour construire ces mêmes machines n’a pas plus de sens que de s’attendre à ce que les chevaux remplacés par des véhicules mécaniques puissent être utilisés directement dans les différentes branches de l’industrie automobile ».
Léontief montre ensuite que la méthode qui consiste à vouloir créer ou conserver des emplois en accroissant les investissements a des limites bien précises : « Le taux d’investissement nécessaire à cet effet risque d’être tellement élevé qu’il n’en restera que fort peu pour la consommation courante. Dans sa poursuite du plein-emploi par un volume sans cesse croissant d’investissement productif, la société se retrouverait finalement dans la situation du miséreux qui se prive du minimum tout en épargnant et ce nonobstant son revenu annuel augmentant régulièrement.
C’est exactement ce qui pourrait sep produire à la longue sous la pression incessante du progrès technologique si on laisse - espérons que ce ne sera pas le cas - les forces débridées d’une concurrence acharnée déterminer le fonctionnement du marché du travail et les conditions d’emploi...
Une solution réside dans l’étalement du travail par le moyen de la réduction du nombre d’heures travaillées par semaine et de jours de travail par année. Des loisirs accrus - tout un chacun étant assuré d’un emploi stable - peuvent grandement contribuer au bien-être général dans une société développée tel a été le cas dans le passé, et tel peut certainement être le cas dans l’avenir ».

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Tout cela n’émeut guère le Premier ministre qui considère que les propositions de réduction de la durée du travail ne font que « déchaîner l’hilarité générale ». Merci pour les chômeurs. Ce qui n’empêche pas que d’après le dernier rapport gouvernemental le chômage continuera à croître. Rien d’étonnant à cela puisque le gain de productivité attendu pour 1978 sera de l’ordre de 4,3%.
Si, comme on l’a vu plus haut, le revenu brut des sociétés privées s’est considérablement accru en 1978, il n’en a pas été de même pour les ménages. Leur revenu n’aura augmenté que de 13,4% à cause du tassement des salaires et de l’alourdissement des impôts.
Dans ces conditions, il paraît peu probable que la consommation des ménages puisse s’accroître considérablement, de sorte que l’on revient toujours au même point : pourquoi investir puisque nos capacités de production ne sont utilisées qu’à 83% ?

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Nos gouvernants (et le patronat) ne manquent pas une occasion pour dire tout le mal qu’ils pensent des secteurs publics et nationalisés qu’ils accusent de n’être pas rentables, et de dilapider les deniers du contribuable. Mais en même temps cela ne les empêche pas d’inciter vigoureusement les entreprises nationalisées à investir pour rassurer la conjoncture : entre 1970 et 1978, les investissements dans le secteur nationalisé ont augmenté trois fois plus vite que ceux des firmes privées.
C’est finalement grâce aux entreprises publiques et nationalisées que la dépression ne s’est pas accentuée. Ce sont elles qui sont devenues le moteur de l’économie française, mais ce sont les entreprises privées qui font l’objet de la sollicitude gouvernementale.

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Aux Etats-Unis, champions du « libéralisme économique », il est prévu que les effectifs du secteurs public passeraient de 8 353 000 en 1960 à 19 350 000 en 1985. L’accroissement sera très important dans le domaine des services et des communications. En France, le gouvernement freine au maximum le recrutement dans le secteur public et réduit les dépenses d’équipement de l’Etat (-10% pour l’éducation nationale, - 15 % pour le cadre de vie, - 1 % pour les transports terrestres, etc.).

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A un congrès d’informaticiens qui s’est tenu à Toronto au printemps dernier, un économiste ouest-allemand a déclaré : « Aujourd’hui, 40% des cols blancs au chômage et 20 % des ouvriers sans emploi le sont à cause de l’informatisation qui explique 15 % des suppressions d’emploi depuis 1970 ».
En conclusion du débat, le président de la session a souligné que les règles économiques traditionnelles ne fonctionnaient plus et « qu’il fallait développer de nouvelles attitudes à l’égard de l’emploi ».

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Bouchons au tertiaire

par P. CÉVENOL
novembre 1978

AU Canada, au manque d’enseignants des deux décennies passées, succède brutalement leur surplus sur le «  marché du travail ».
Même les permanents des Collèges d’Enseignement Général et Professionnel Supérieur (C.E.. E.P.S.) sont sous le coup de résiliation de contrat.
Différentes initiatives sont émises dans le journal syndical « Nouveau pouvoir », de la Fédération Nationale de l’Enseignement du Québec, tendant à occuper les loisirs des enseignants futurs chômeurs :
« - Expansion de l’éducation permanente, commission pédagogique nationale, amélioration générale de la tâche, un programme de recyclage plus étendu, un système de congé sabbatique, le développement de la recherche, augmentation des effectifs et amélioration des programmes, acceptation de plus d’étudiants marginaux », etc.
Une marée de suggestions et de vocations déferle sur les côtes Est Atlantique. La chasse au plein emploi y est ouverte. Nos syndicats français n’en ont pas l’exclusivité. Ils n’ont pas non plus celle de l’inefficacité.
Ces propositions d’amélioration de l’emploi s’avèrant problématiques, les enseignants canadiens exigèrent des garanties plus positives. Tel, pratiquement, le salaire garanti inscrit dans leur Convention collective, au titre de la sécurité d’emploi pour le professeur permanent.
Nous en donnons quelques clauses :
- « Un an de préavis avant la mise en disponibilité.
- « Durée de la disponibilité : En principe elle peut se prolonger jusqu’à la retraite, car il n’y a aucune limite de temps.
- « Recyclage : le professeur qui a choisi le, recyclage, conserve son plein salaire et tous ses droits, jusqu’à la fin du recyclage et, par la suite, jusqu’à ce qu’il obtienne un poste convenant à ses compétences.
- « Maintien des droits : Ni le préavis, ni la mise en disponibilité n’affectant les droits du professeur, tant qu’il n’est pas replacé, ancienneté, salaire, etc., sont intégralement maintenus.
- « Prime de séparation : A la suite de démission du professeur, ce dernier a droit à une prime équivalente à un mois de traitement par année de service (plafond 6 mois de salaire).
- « Pré-retraite : Durant cette année le professeur conserve tous ses droits, y compris son salaire comme s’il était encore à l’emploi du collège. En outre cette année est reconnue comme année de service aux fins du régime de retraite. »
Cette garantie du revenu imposée par l’ampleur du problème de la disparition de l’emploi, par « la force des choses », traduit l’O.C.D.E., n’effleure pas encore notre F.E.N. qui se cantonne aux revendications salariales, aux conditions de travail, aux «  droits des syndiqués », à quelques mesures catégorielles anodines et à la teneur pédagogique.
Nous sommes au pays de Descartes, nous avons vécu 1789-1830-48-71-1906-36-68 et notre revendication au stade où disparaît l’emploi reste... le bon salariat !

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Soit dit en passant

À M. Robert Fabre

par G. LAFONT
novembre 1978

Tu seras peut-être surpris par ce tutoiement familier, assez inhabituel entre gens de la bonne société, fussent-ils radicaux de gauche. Mais ne cherche pas dans tes souvenirs  : nous n’avons jamais gardé les petits cochons ensemble.
Si je me permets cette entorse aux usages mondains, c’est en ma seule qualité - si j’ose dire - de compatriote. Je suis né, en effet, et, sans me vanter bien avant toi, dans le Rouergue. Mais, comme je n’ai que de bonnes fréquentations et qu’il y a un pharmacien à cent mètres de chez moi, je n’ai pas encore trouvé l’occasion d’entrer dans ta boutique pour te serrer la paluche et discuter avec toi sur l’inflation et le chômage, ces deux maladies de notre époque. Mais d’être « pays » ça crée des liens.
Quand j’ai appris, comme tout le monde, que Giscard, en pleine décrispation, te faisait l’honneur - ou la vacherie, va t’en savoir - de te confier une mission sur les problèmes de l’emploi, j’ai cru à un canular. Ou à un coup des communistes qui n’en sont pas à une calomnie près pour accuser leurs anciens partenaires de virer à droite. Et j’espérais que tu n’allais pas marcher. Ce n’était pas un canular. Et tu as marché.
Je regrette de ne pas t’avoir crié : « Casse-cou ! » pendant qu’il était temps encore. Séduit à l’idée d’avoir un bureau avec secrétaire, un chauffeur avec voiture et cocarde tricolore, tu t’es laissé piéger. Qu’avais-tu à gagner en allant te fourrer dans ce merdier, d’où Barre, pas mieux que les autres, n’a réussi à nous tirer ? Un portefeuille dans le prochain gouvernement de redressement définitif  ? Tu ne pouvais que compromettre ta réputation, sinon de pharmacien, du moins d’homme politique et ternir l’image de marque des natifs de l’Aveyron, ce département qui a donné à la France tant d’hommes illustres Robert Fabre - ne rougis pas -, le grand entomologiste J.-H. Fabre, qui est peut-être ton ancêtre, Paul Ramadier l’immortel inventeur de la vignette auto, le juge Fualdès héros d’une complainte célèbre, Mgr Marty et, j’allais oublier, le signataire de ces lignes.
Si Giscard t’a demandé de faire ce boulot, ce n’était pas, soit dit sans te vexer, pour ta compétence en la matière. Il a ses raisons.
Ses raisons, si tu veux, savoir, c’est que notre président, qui fut longtemps ministre de l’Economie et des Finances avant d’aller s’installer à l’Elysée, ayant eu de nombreuses occasions lui-même d’appliquer toutes les recettes connues pour sortir le pays de la crise dans laquelle il se débat depuis la deuxième guerre mondiale, commence à douter de leur efficacité et se demande même si sa société libérale avancée pourra y parvenir avant l’an 2000.
Alors, il veut mettre tout le monde dans le bain pour ne pas avoir l’air plus idiot que les autres. Parce que, entre nous, Robert, ta mission sur les problèmes de l’emploi est plutôt mal partie. Et avec l’annonce des prochains licenciements de canards boîteux à la Ciotat, à Marseille ou en Lorraine, tu as bonne mine.
Mais tout espoir n’est pas perdu. J’ai une idée. Comme je n’ai que des chances réduites d’être écouté par notre président, cette idée, je te la soumets. Tu me remercieras plus tard, lorsque ta statue se dressera sur la place de la Préfecture de Villefranche-de-Rouergue en face de ta pharmacie.
Au début de septembre, toute la presse en a parlé, premier test de mobilisation de l’armée de terre, une division de réserve au grand complet (3 370 hommes) a participé à la grande manoeuvre « Sarigue » dans la région de Sarlat, le long de la Dordogne. Tout a bien marché, l’Etat-Major est satisfait. La France est bien défendue. Du coup, en 1979, deux divisions de réserve participeront aux manoeuvres, et trois en 1980. Ce qui fera, si mes calculs sont justes, 10 110 réservistes qui vont laisser momentanément la place à 10 110 chômeurs. C’est peu tu vas dire. Justement. Parce qu’il faudrait arriver à trouver du boulot, et pas pour deux semaines, à 1 200 000 demandeurs d’emploi - chiffre provisoire - en attendant 1 500 000. Je ne vois qu’un moyen : décréter la mobilisation générale.
Tu vas dire que je plaisante. A peine. Dans notre système dit « salaires-prix-profits », grâce aux extraordinaires progrès des sciences et des techniques, tout le monde sait ça aujourd’hui, sauf M. Barre, la production peut croître en même temps que le chômage et même devenir « excédentaire  » sans pour autant que tous les besoins soient satisfaits. Les crises économiques qui secouent le monde industrialisé, toute l’histoire de notre XXe siècle finissant en fournit la démonstration, n’ont été provisoirement surmontées que par le recours aux armements et à la guerre. Laquelle rétablit le profit, résorbe le chômage et même les chômeurs, et nous débarrasse des excédents.
Alors, pourquoi pas la mobilisation générale ?
Parles-en à Bigeard. Je te laisse le soin - c’est ton boulot, après tout - de mettre la chose au point, et même d’en assurer la paternité.

Salut.

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UNE NOUVELLE RUBRIQUE POUR CEUX QUI PERDENT PATIENCE...

Quand on ne sait quel argument nous opposer, il arrive souvent qu’on nous traite, c’est si facile, d’utopistes que personne ne prend au sérieux. Bien au contraire, la lecture des journaux montre que de plus en plus nos idées font leur chemin. Elles sont reprises un peu partout.

Avec l’aide de nos lecteurs attentifs à l’actualité, G. Steydlé entreprend ici d’en rendre compte.

Ils y viennent !

par G. STEYDLÉ
novembre 1978

" « Le Monde » (28-10-1977)

LA SOCIETE INUTILE

« Le degré de productivité auquel sont parvenues les sociétés industrialisées doit leur permettre de pourvoir en un minimum de temps à leurs besoins matériels et d’en consacrer toujours davantage à l’épanouissement du défi humain. D’une part, en améliorant sans cesse notre capacité de comprendre et de contrôler l’univers. D’autre part, en renforçant une solidarité humaine dont l’expérience a montré qu’elle était aussi aléatoire dans la pénurie que dans la consommation acharnée qui caractérise actuellement nos sociétés. Compte tenu des formidables moyens de destruction dont celles-ci disposent et d’une complexité qui les rend d’autant plus fragiles, cette dernière exigence conditionne vraisemblablement la poursuite du premier objectif.
Cependant, cette solidarité ne serait pas acceptable si elle devait conduire à la mise entre parenthèses des aspirations individuelles de chacun de nous. Bien au contraire, elle ne peut avoir de sens qu’en donnant à tous le sentiment de participer à une aventure commune qui n’a aucune issue déjà tracée, sur laquelle n’importe quel individu peut influer, pour laquelle chacun est nécessaire, toute expérience unique et irremplaçable. Il n’est sans doute pas de tâche plus urgente pour notre société que d’assurer à chaque homme la liberté indispensable pour découvrir la voie qui le conduira à prendre part à ce défi humain de la façon la plus conforme à ses aspirations. Utopie, dira-t-on, que cet espoir de voir une passion défaillante pour satisfaire les besoins propres de chacun réapparaître et se renforcer en vue d’une aventure commune... Et si c’était la seule chance de pérennité, non d’une humanité abstraite, mais de chacun de nous, dans un monde sans au-delà  ? »

André GRJEBINE

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" « La Croix » (25-7-1978)

LA DELIVRANCE DU TRAVAIL

« On dirait que le plein emploi une fois assuré, tout le reste serait donné par surcroît. Or en soi le plein emploi salarial n’est pas un idéal. S’il était réalisé, en tout cas, ce serait avec des durées de travail de plus en plus courtes. Et, à bien y réfléchir, ce n’est pas tellement le plein emploi que réclament les syndicats, c’est bien plutôt le plein revenu. Mais cette nouvelle plénitude n’a pas encore été clairement formulée.

L’allocation de vie

C’est J.-B. Jeener qui a posé la question : « Fautil créer l’allocation de vie ? » Qu’est-ce donc à dire ? Que la société de demain pouvant, avec le développement de l’informatisation, produire de plus en plus et de mieux en mieux, en utilisant de moins en moins de travail, elle pourrait assurer à chacun, même s’il intervient très peu dans la production, une sorte de revenu existentiel minimum ?
Evidemment, il faudrait déterminer les règles de calcul et d’attribution de cette allocation de vie. Et ce ne sera pas commode. Mais l’idée est en l’air, comme le prouvent les travaux d’un certain ingénieur américain James S. Albus, spécialiste de l’automation.
« Un revenu substantiel, écrit Albus, donnerait à l’individu le pouvoir de résister aux pressions politiques indésirables. Les hommes ne seraient plus contraints d’adhérer à des partis de masses pour protéger leurs droits et ainsi de sacrifier leur individualité à la sécurité. »

Henri GUITTON, de l’Institut
(Envoi de M. MARLIN)

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" « Elle » (14-11-1977)

A BAS LE TRAVAIL

« Un film : « Pour Clémence » de Charles Belmont. Le film raconte l’histoire d’un cadre au chômage qui ne sait que faire de son temps libre. Dès les premières projections, Belmont a reçu des dizaines de coups de fil.
« On dirait, dit Belmont, qu’un mouvement grandit, au-delà des partis politiques, celui des gens qui veulent se sentir bien dans leur vie, et ne pas la perdre enfermés dans un travail sans intérêt.  »
Désespoir des partis pour qui l’homme est avant tout un travailleur. Voilà qu’il se met à vouloir être aussi un homme  ! »

Françoise SIMPERE
(Envoi de Marcel COUTON)

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" « Le Nouvel Observateur » (11-17-9-1978)

CE QUI NOUS MANQUE POUR ETRE HEUREUX

« Il n’est pourtant pas difficile de dégager, pour les dix à vingt ans qui viennent, quelques orientations simples qui éclaireraient l’avenir et réconcilieraient la vie et la politique. Par exemple :
- nous avons besoin non que l’Etat nous prenne intégralement en charge mais qu’il nous laisse ou rende des moyens pour notre prise en charge autonome, individuelle et collective ;
- puisque la productivité doublera facilement dans les vingt ans qui viennent, il sera possible, en travaillant moitié moins, d’assurer à tous et à chacun tout le nécessaire et beaucoup de superflu, à condition de supprimer les destructions inutiles et les gaspillages somptuaires ;
- le seul objectif raisonnable, pour les années 1990, est la semaine de vingt heures pour tous, et le revenu social garanti, à vie, à chacun en échange de vingt mille heures de travail à accomplir en autant ou en aussi peu de journées qu’il lui plaira ;
- le défi auquel le capitalisme est incapable de répondre, ce n’est pas le maximum d’emplois et le maximum de consommation et de produits mais le maximum de satisfaction avec le minimum de travail, de produits et de contraintes ;
- une part de gestion centrale sera sans doute toujours nécessaire  ; toutefois son but doit être non de tout englober mais, au contraire, de, dégager des espaces toujours plus étendus d’autonomie dans lesquels puisse s’épanouir l’infinie diversité des capacités humaines ;
- la sortie de la crise donnera naissance à une société plus malheureuse encore (quoique peutêtre plus distraite) si elle ne s’opère pas très consciemment dans cette direction-là.
Répondra-t-on encore que tout cela relève de l’utopie, alors que la politique, elle, consiste à programmer des réformes pour les six mois ou les cinq ans à venir, non à préparer une société fondamentalement différente ?
Comme si, en une période où le système social, la civilisation productiviste et donc l’avenir lui- même sont en crise, l’intérêt principal des programmes à six mois ou cinq ans ne venait pas précisément des changements fondamentaux qu’ils amorcent ou préfigurent.
Définir une civilisation, une société, dans lesquelles pourront se déployer la vie ou, plutôt, les vies infiniment diverses et riches que nous désirons vivre ; définir les voies et les instruments d’y parvenir, voilà le seul moyen de sortir de la politique de crise et de la crise de la politique.
Quels changements partiels, ici et maintenant, en vue de quels changements fondamentaux et d’ensemble ? Quels changements fondamentaux et d’ensemble pour lever les obstacles au pouvoir de chacun sur sa propre vie, au « droit de poursuivre le bonheur » ? Telles sont les seules questions vraiment importantes. »

Michel BOSQUET

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" « Le Journal du Dimanche » (25-7-1978)

« Le capitalisme agonise. Le marxisme est devenu une religion de fanatiques. C’est une 38 voie qu’il faut trouver. Un économiste français mort il y a quelques années, Jacques Duboin, préconisait une « Economie Distributive  ». C’est sans doute dans cette direction qu’il faut aller »...

René BARJAVEL

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" « Le Monde » (27-6-1978)

TICKET D’ENTREE

« Comment modifier l’opinion moyenne, rappeler qu’un homme en vaut un autre, fût-il clochard, handicapé de naissance, voué aux travaux les moins « reconnus » par la société ? Un de nos confrères, Jean-Baptiste Jeener a eu une idée simple. En attendant qu’une redistribution des revenus par l’impôt ou autrement diminue substantiellement les écarts entre riches et malheureux, il faudrait qu’une «  allocation de vie » soit versée à chaque Français. Du seul fait qu’il est né et qu’il a par là même des besoins incompressibles, il toucherait mensuellement 1 millier de francs (la somme serait évidemment révisable avec le coût de la vie). Une économie développée doit pouvoir sans trop de dommages verser ce « ticket d’entrée » dans la vie à chaque communauté, estime-t-il. La formule entraînerait en effet la suppression des allocations familiales, les indemnités de chômage, d’une partie des aides aux personnes âgées, aux veuves de guerre, etc.
La réforme suggérée par M. Jean-Baptiste Jeener est plus radicale et plus simple : nul n’aurait besoin de faire une déclaration pour obtenir son minimum vital. L’acte de naissance déclencherait automatiquement le versement mensuel qui se poursuivrait jusqu’à la mort. On ne pourrait parler d’assistance puisque le « fils de famille » comme l’enfant d’O.S. toucheraient la même chose. Les parents bénéficieraient de cette prime jusqu’à ce que l’enfant subvienne à ses besoins. De même l’armée percevrait l’« allocation de vie  » des appelés, l’administration pénitentiaire celle des prisonniers, et les hôpitaux celle des malades, jusqu’à la fin de leur prise en charge ».

Analyse par P. DROUIN de « Délivrer le travail » de J.-B. JEENER.
(Envoi de Mme POMMEROLLE)

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" « Télé 7 Jours » (7-1-1978)

NOUS TOUCHERONS NOS RETRAITES

« Tout le monde sait, et les « experts  » mieux que personne, que depuis des décennies la produc
tion augmente alors que le nombre d’heures de travail diminue. Et la France est loin d’utiliser à plein ses possibilités de production actuelles (il s’en faut de 20 à 30 %). Il est donc indiscutable que la production globale de la France pourra être maintenue et même augmentée progressivement, malgré une réduction du nombre des actifs. Or, ce volume de production est évidemment la seule chose qui importe. A quoi serviraient le progrès technique, l’automatisation, etc., si nous ne vivions pas mieux, matériellement, en travaillant moins ! Retraités, soyez rassurés, et vous aussi, les actifs d’aujourd’hui. Si hauts placés soient-ils, n’écoutez pas les pessimistes, ce sont des attardés dont l’ignorance et la mauvaise foi ne méritent pas votre attention. »

(Envoi de R. PELOFI )

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Réponses aux objections

Pourquoi la gauche ne nous suit pas

par R. THUILLIER
novembre 1978

ON nous dit souvent : même s’ils admettent la justesse et la simplicité de nos raisonnements, bien peu de vos interlocuteurs acceptent de diffuser les principes d’une Economie Distributive et, a fortiori, de militer pour les propager.
A quoi attribuez-vous cette différence ?

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Pour remplacer le régime capitaliste, qui n’est pas adapté aux productions de masse, on sait que nous proposons un modèle de socialisme véritable : celui du nouvel âge de l’humanité qui découle de la Révolution mécanicienne.
A notre avis, c’est surtout parce que la Gauche nous ignore délibérément que nos thèses ont du mal à s’imposer. Si la gauche avait compris l’importance de la grande relève du travail humain par celui des techniques modernes, elle ne pourrait qu’adopter nos conclusions, faute de trahir son rôle économique et social d’avant-garde.
Non seulement leurs théoriciens mais les mouvements qui se réclament du progrès social devraient se rendre compte que ce sont les structures mêmes du capitalisme qui s’opposent à la juste répartition des fruits des techniques pouvant créer une abondance de biens et de services.
Mais tous les efforts de la gauche ne visent qu’à apporter des palliatifs aux conséquences néfastes du régime capitaliste et de sa fameuse « crise » qui, à notre avis, ne fait que commencer et n’ira qu’en s’aggravant.
Depuis Proudhon et Marx, les syndicats, les partis et tous les mouvements qui se disent de gauche, luttaient énergiquement pour établir un régime vraiment socialiste. Ils condamnaient l’économie marchande de l’échange tarifé, basée sur le profit. Certes ils le font encore et ils proposent toujours le socialisme mais seulement comme but lointain. Ils n’envisagent absolument plus de l’édifier en faisant, dès à présent, table rase des structures capitalistes. Ils se sont ralliés à des réformismes qui ne font pas peur surtout à des électeurs qu’ils n’ont pas informés des possibilités, et de la nécessité, de changer réellement l’économie et ceci dans l’immédiat.
Ils craignent de « sauter le pas », même théoriquement  !
Cependant, avec quelle vigueur partis et syndicats nous incitaient, il n’y a pas si longtemps, à faire des révolutions politiques  ! Or ils le faisaient lorsque l’économie mondiale était encore basée sur la rareté.
Si le socialisme, c’est-à-dire l’appropriation collective des moyens de production et de distribution, avait été instaurée avant... disons la première guerre mondiale (par la révolution ou autrement), il n’aurait cependant pu, à ce stade de l’économie, faire autre chose que répartir un peu plus justement la pénurie. Nous avons vu cela en Russie...
Depuis, nous sommes entrés dans l’ère de l’abondance. Elle s’est ouverte, et Jacques Duboin l’a bien compris, lorsque les machines ont pu fabriquer en masse des marchandises et offrir des services nouveaux adaptés aux loisirs.
La Gauche en est restée au stade de la rareté. Elle n’a pas encore admis l’importance capitale de la Révolution mécanicienne et de ses conséquences inéluctables.
En fait, la Gauche ayant voulu instaurer le socialisme alors qu’il n’était pas encore réalisable, ne le propose plus, sinon verbalement, alors qu’il constitue la seule solution à la « crise » structurelle du capitalisme.
Pourtant, le peuple français, ou du moins sa moitié électorale, fait encore confiance à la Gauche pour instaurer le socialisme. Mais il estime que, puisque ses appareils dirigeants ne nous suivent pas, notre Mouvement, pour l’adoption d’une Economie Distributive se confond simplement avec les buts lointains du Socialisme et, même, du Communisme.
C’est parce que nous allons au bout des conséquences de nos thèses que l’on préfère nous ignorer.
Mais les faits, tous les jours, nous donnent raison.
Et ce n’est pas parce que nous ne sommes pas encore parvenus à convaincre la Gauche de sa mission véritable, que nous devons désespérer d’y parvenir un jour que nous espérons proche.

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Étranger

À l’Est, rien de nouveau

par P. SIMON
novembre 1978

A première vue, les pays de l’Est paraissent offrir ce que le travailleur occidental recherche souvent désespérément  : des emplois.
En effet, le chômage y est virtuellement inconnu, à l’exception de ce qu’on appelle le chômage frictionnel, purement temporaire, qui ne concerne que les travailleurs en train de changer d’emploi, par exemple. De plus, la constitution soviétique de 1977, dans son article 40, garantit le droit au travail dont on parle tant en ce moment de notre côté du rideau de fer. Tout est-il donc résolu à l’Est dans le domaine de l’emploi ?
On pourrait le croire puisqu’on n’entend pas les travailleurs réclamer du travail mais le gouvernement réclamer des travailleurs. Car il y a pénurie de main d’oeuvre. Pourquoi ? Les économistes occidentaux diront que le caractère fermé des marchés intérieurs des pays de l’Est et la fixation des prix à l’exportation par le pouvoir politique ne favorisent guère la productivité. La concurrence ne joue pas. Si bien que, pour produire un article, il faut davantage de main d’oeuvre qu’à l’Ouest. Première source de pénurie.
Ajoutez à cela que le taux de croissance de la population des pays de l’Est va sans doute décroître d’ici l’an 2000 pour n’être qu’environ un tiers de ce qu’il était dans les années 50. Où donc trouver d’autres bras pour l’industrie ?
De 1950 à 1975, la main d’oeuvre industrielle est passée en U.R.S.S. de 15 à 34 millions au détriment de l’agriculture. Même phénomène en Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Allemagne de l’Est. Il n’est plus possible d’accroître cette évolution sans mécaniser encore davantage l’agriculture, ce que l’économie nationale des pays concernés ne supporterait peut-être pas actuellement.
Où trouver alors le supplément de main d’oeuvre nécessaire  ? Pas dans l’armée bien décidée à carder ses pensionnaires. Restent les femmes et les retraités qui sont effectivement incités à prendre un emploi (le monde à l’envers, presque). C’est ainsi que plus de 4 millions de retraités avaient repris du travail en 1975 contre 2,5 millions en 1970. Il y a encore la possibilité de faire venir des travailleurs étrangers mais les commissaires au plan s’y opposent et ne tolèrent l’entrée de techniciens que lorsqu’il est impossible de faire autrement, et encore pour la période la plus brève possible.
La solution réside sans doute dans une meilleure utilisation de la main d’oeuvre disponible. Selon un ministre tchécoslovaque, l’industrie de son pays utilise 25 % de plus de main d’oeuvre que les industries comparables des pays occidentaux. Si la productivité d’un ouvrier spécialisé de l’Est est environ les trois-quarts de celle de son homologue américain, la proportion tombe à un quart pour les ouvriers non spécialisés qui représentent 85 % de la main d’oeuvre.
D’autres facteurs de distorsion sont la hâte fébrile qui s’empare, dans les derniers jours d’un plan annuel, des usines qui n’ont pas reçu à temps les matériaux nécessaires  ; ou encore, les objectifs du plan sont brusquement relevés, à moins que les autorités ne prélèvent une partie du personnel d’une entreprise pour faire les moissons. Pour toutes ces raisons, les chefs d’entreprise maintiennent en permanence des effectifs supérieurs à leurs besoins réels.
D’ailleurs, une remise en ordre n’irait pas sans conséquences graves. Quelques tentatives ont bien été faites en Russie et en Hongrie pour produire davantage avec moins de travailleurs que l’on paye plus. Mais l’exemple de la Yougoslavie (qui n’est pas membre du Comecon) incite à réfléchir. En supprimant, en 1965, les subventions qu’il pavait aux entreprises en difficulté, le gouvernement a déclenché une spectaculaire montée du chômage qui à l’heure actuelle, demeure élevé.
Allons, il semble bien que les pays du Comecon n’aient pas non plus résolu la quadrature du cercle de l’emploi en économie non distributive. Pendant ce temps, les ménagères russes ne sortent jamais sans un panier qu’elles appellent, dit-on, un «  aucas-où », au cas où elles trouveraient enfin les articles qui font défaut depuis si longtemps dans les magasins.

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Chronique de l’absurde

par R. BORREDON
novembre 1978

LA lecture de la presse et des périodiques spécialisés dans l’étude des phénomènes socio économiques ne laisse pas de renforcer l’impression de confusion, voire d’anarchie, qui préside aux rapports commerciaux des pays occidentaux entre eux et aux rapports analogues de ces mêmes pays avec le tiers monde et les producteurs de la manne pétrolière.
Il est vrai qu’en ce qui concerne ces derniers, ils se présentent avec des caractères si divers qu’il paraît difficile, sinon impossible, d’accorder leurs intérêts et, partant, d’aboutir à une politique cohérente à leur égard.
Comment en effet traiter de la même manière les émirats du Golfe Persique, de faible population, et des pays comme l’Algérie et la Lybie aux besoins économiques et sociaux illimités  ?
Il est bien évident que si des mesures trop sévères de restriction relatives à la consommation d’énergie étaient appliquées par les pays importateurs entraînant pour les pays producteurs une diminution sensible de leurs exportations, ces derniers ne pourraient recourir qu’à une augmentation des prix pour maintenir un niveau de recettes nécessaire à leur survie.
Ce qui annulerait pour les pays importateurs l’effet financier escompté des mesures de restriction.
On ne voit pas comment sortir du dilemme. Dans cette optique, la seule réaliste, la remontrance adressée au président Carter par les occidentaux critiquant le « gaspillage » d’énergie pratiqué aux Etats-Unis perd toute valeur et prend le caractère d’une manifestation d’humeur masquant très mal l’impuissance de nos gouvernants à résoudre leurs propres problèmes.
Comme d’ailleurs tous les problèmes socio-économiques qui se posent actuellement à un système périmé et dépassé, que toutes les médecines traditionnelles ne parviennent pas à maintenir en vie.

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Le périodique économique « l’Expansion  » de juillet-août 78 en donne un exemple saisissant.
Dans un article très documenté sur les comptes de la France pour 1978 et sur les perspectives que l’on doit escompter pour 1979, il présente l’évolution propre à notre pays dans les domaines sociaux, économiques et financiers. Les comptes de la France pour 1978, estimés par le « Laboratoire de l’Expansion », équilibrent « l’Offre » et la « Demande » (Consommation des ménages et des Administrations + Investissement brut + Variation des stocks + Exportations) à la somme de 2 271 milliards de francs, la consommation et l’investissement des ménages intervenant dans ce total pour 1 415 milliards, soit un peu plus de 62 %.
Les prévisions du « Laboratoire de l’Expansion » pour l’année 1979 établissent l’équilibre de «  l’offre » et de la « Demande » à 2 362 milliards, la consommation et l’investissement des ménages intervenant dans cette somme pour 1 460 milliards, soit un peu moins de 62 %.
Alors que l’Offre, en volume, serait supérieure en 1979 de 4  % à 1978, la consommation et l’investissement correspondant des ménages ne serait en 1979 supérieure que de 3,2 % à 1978.
C’est donc une régression dans ce domaine qu’il y aurait lieu de prévoir, récession annulant en fait toutes les mesures prises en faveur des catégories sociales défavorisées.
Quant aux explications relatives à l’évolution des phénomènes étudiés, elle ne fait que démontrer, et la complexité de leurs incidences réciproques, et l’impuissance des gouvernants et des responsables techniques de porter remède efficace à une situation dont les aléas permettent de craindre le pire.
Aussi bien les conclusions de l’« Expansion » sont-elles empreintes d’un prudent pessimisme quant au proche avenir.

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D’ailleurs dans la présentation des comptes, « l’Offre » précède, commande et limite la « Demande », les problèmes fondamentaux sociaux et humains n’étant jamais évoqués et solutionnés qu’au travers de cette optique imposée par le Système toujours en vigueur. La « masse monétaire » assurant les échanges continue de s’accroître au rythme de l’inflation, sans que le « Crédit » qui en représente la majeure partie soit effectivement contrôlé et rationalisé.
Les relations internationales sont directement affectées par ce désordre et les conclusions des réunions des pays dits « riches » telles que celles oui viennent de se tenir en ce mois de juillet à Brème et à Bonn, ne font que rendre plus évidentes les difficultés rencontrées pour apporter une solution valable et raisonnable à cet aspect du problème.
Il est de plus en plus patent qu’un changement profond des structures et des modalités du système capitaliste, basé exclusivement sur le profit et la rentabilité financière devient nécessaire.
Le problème réel constitué par la permanence de classes sociales défavorisées (économiquement faibles, sans-emploi et chômeurs entr’autres) doit conduire à mettre en place un système déterminant « l’Offre » à partir de la « Demande », cette dernière étant égale aux « Besoins ».
Cette opération s’avère parfaitement possible dans les pays industrialisés qui ont à leur disposition les capacités intellectuelles et techniques adéquates.
Il est inconcevable que le développement de ces capacités n’ait pas encore permis de satisfaire les besoins essentiels de l’ensemble de leurs populations.
C’est inconcevable et inadmissible.
Après l’établissement d’une première équation ou équivalence financière et monétaire à l’intérieur de chacun des pays dits « riches « , d’autres équations ou équivalences pourront régler leurs échanges de toute nature entre eux, puis les mêmes échanges entre ces pays et les pays en voie de développement.
La stabilisation générale des prix en résultera, donc celle des masses ou signes monétaires dont l’accroissement sera automatiquement équilibré par la « Demande  ».
C’est la solution proposée dans « La fin d’un système  », solution dont l’adoption paraît de plus en plus inéluctable.

(1) R. Borredon est l’auteur d’une étude intitulée « La fin d’un système » que nos lecteurs peuvent nous demander.

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L’homme distrait est, et sera, puni

par H. de JOYEUSE
novembre 1978

SI, distraitement, vous traversez la route sans regarder à gauche et à droite, vous serez réduit à l’état du hérisson qui agit de même et dont c’est la fin naturelle selon les statisticiens naturalistes contemporains.
Si, toujours distraitement, vous posez votre main bien à plat sur la plaque chauffante de votre cuisinière électrique (où rien n’indique le danger), vous ferez disparaître vos empreintes digitales et la police vous le reprochera un jour.
Si, distrait, vous oubliez de laver la vaisselle, votre femme n’oubliera pas de vous engueuler. Si. perdu dans la pensée pythagoricienne ou, plus aimablement dans l’idée de retrouver les sphéricités de Lulu, vous confondez l’accélérateur avec le frein, un platane amnésique se précipitera sur votre carrosserie.
Donc, le moindre oubli, ou la plus grave omission est inexorablement sanctionné. C’est la « Modern Life ». Mais jusqu’ici l’on peut dire que c’est de votre faute, que vous n’aviez qu’à veiller à ce que vous faites ou ne faites pas, qu’il y a un minimum ou un maximum d’élémentaires précautions. à prendre et que vous êtes puni par où vous avez pêché. Bien.
Mais où les choses se compliquent, c’est lorsque l’Etat, son Administration ou leur& émanations, s’en mêlent en contraignant le bipède distrait à être attentif en exécutant, à leur place, leur propre boulot.
Exemples empoignés sur le vif :
- Si vous laissez passer de 24 h la date de régler vos impôts, vous paierez 10 % en sus, alors que le Trésor public pourrait vous signaler cette ommission.
- Si vous vous trompez en calculant vous même votre tiers dit provisionnel, idem au cresson, 10% !
- Si vous oubliez de reproduire le numéro de votre Carte orange sur le coupon mensuel que vous venez de payer, vous êtes considéré comme voyageant sans titre de transport valable.
- Encore itou, si vous avez omis de poinçonner, vous même, un billet acheté au guichet, etc., etc...
Dans tous ces cas, les Services Publics n’ont fait leur travail qu’à moitié, reversant sur le dos du contribuable ou de l’usager, la finition de l’ouvrage. Non seulement, ceci à titre gratuit, mais encore sous menace explicite de sanction. De quel droit, en vertu de quel principe philosophique, l’Etat estime-t-il, unilatéralement, que ce que vous avez payé, au tarif qu’il a déterminé tout seul, est nul et non avenu, parce que, par défaillance temporaire de mémoire, vous n’avez pas parachevé son acte incomplet par tel ou tel rituel de son cru et que, consécutivement, vous êtes condamnable.
On débute dans ce domaine. Dans quelque temps on ne pourra exister légalement que si l’on achève tous les inachevés d’autrui.
A propos, j’ai oublié de me faire doubler mes appointements par « La Grande Relève ». Petit malheur, zéro multiplié par deux, ça fait toujours zéro, depuis les origines. Les maths, c’est sérieux.

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La monnaie

par R. ROCHE
novembre 1978

LA monnaie ? C’est tout simple ! « ...pièce de métal frappée par l’autorité souveraine pour servir aux échanges » (Petit Larousse - 1970).

Voilà cependant un sujet qui pourrait permettre de remplir de nombreuses pages, et pour en oser l’étude exhaustive il faut être un très, très grand économiste... et Dieu sait si j’en suis loin !

Je vois tout de même (qui ne le verrait) qu’elle sert aux échanges, raison d’être majeure du commerce : sans échanges, et sans monnaie, point de commerçants. Hermès, le dieu grec du Bagou, du Commerce et des Voleurs, préside à ces activités. Du commerce et des voleurs ? Comme ils y allaient, ces Grecs ! Serait-ce que sans monnaie il n’y aurait pas de voleurs ? Et serait-ce que les commerçants excellent à distraire pas mal de monnaie à la faveur des échanges  ? A en distraire tant qu’ils amassent d’énormes fortunes ?

Chacun le sait, la monnaie a beaucoup évolué et, en nos temps réjouissants, la définition du Larousse apparaît plutôt restreinte, car ladite monnaie s’éloigne de plus en plus de sa forme ronde et métallique pour se «  papiériser » et même s’éthérifier (monnaie fiduciaire, scripturale, lettre de change, etc., se documenter auprès d’un banquier) .

Mais sa caractéristique essentielle réside dans le fait qu’elle possède une valeur propre, qu’elle est, sur le marché, une marchandise à l’instar de toutes les autres. Idéalement, sa valeur devrait égaler celle de la marchandise fournie en échange. Or, cette égalisation équitable est proscrite par tout bon commerçant, un bon commerçant ne peut pas échanger à l’oeil, c’est la loi du profit et, dans le monde qui nous est fait, personne ne s’en étonne. De là émane un déséquilibre permanent se poursuivant tout au long des tractations commerciales. A chacune d’elles le vendeur perçoit trop de monnaie, par contre l’acheteur reçoit un objet qu’il paie trop cher. L’un a augmenté son capital, tandis que l’autre l’a vu diminuer d’autant. Ce dernier se trouve malheureusement presque toujours du mauvais côté. Les écarts entre les fortunes se creusent et l’on voit à la longue s’agiter tout un peuple frôlant le paupérisme à côté d’opulents et de quelques milliardaires.

Peut-être n’est-ce pas là un langage d’économiste  ? J’en demande pardon. Ce dernier ne niera cependant pas que la valeur intrinsèque de la monnaie diminue à travers les temps. que ce mouvement s’accélère beaucoup de nos jours et à telle enseigne qu’elle ne vaut plus guère qu’un fifrelin. C’est que « l’autorité souveraine » en fabrique beaucoup pour paver des armements, des chomeurs, pour soutenir les marchés et subventionner la libre entreprise tombant en quenouille.
Cet état de choses n’empêche pas la monnaie émaciée et surmultipliée de fausser les échanges et de faire que le ; monde « libre » subisse une dure crise, que la théorie des chômeurs s’allonge... parce que, justement, la monnaie c’est aussi « l’argent », le capitalisme : un système devenu caduc devant l’abondance déferlant sur les pays dits riches. Alors, coûte que coûte, les bénéficiaires du régime s’acharnent à insuffler une valeur évanescente à la monnaie pour la maintenir artificiellement en vie. Il, font cela au détriment de millions d’hommes, lesquels ne profiteront jamais de la fantastique abondance qui devrait faire un riche de chacun de nous. Ils iront même, pour sauver leur état de privilégié, jusqu’à déclencher une nouvelle guerre « d’un certain type » (1) , sans doute pour bientôt, au risque probable de la voir dégénérer en guerre atomique.
Seule, une économie distributive d’un modèle préconisé par Jacques Duboin permettrait la grande délivrance du genre humain attendue depuis des millénaires, aujourd’hui à portée de la main grâce à l’abondance que les hommes ont su créer ensemble et dont tous devraient profiter sans aucune discrimination.

(1) Jacques Attali : « La nouvelle économie française ». page 124 : « ... on peut prévoir qu’une guerre d’un certain type permettrait, plus que tout autre événement, d’accélérer le passage à un nouveau capitalisme efficace. »

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Je suis mort pour rien

par A. CHANTRAINE
novembre 1978

D’où je vous vois, vous me peinez
Quand vous vous penchez sur ma tombe.
Triste, je vous regarde prier
Sur de nouvelles hécatombes.

Je vous vois près du monument,
Dans l’éclat de vos chamarrures,
Vos décorations vos rubans.
Que vous aimez donc les parures !

Gardez vos couronnes de fleurs
Qui me rappellent mes frères tués.
Abandonnez vos mots ronfleurs.
Je n’ai que faire de mots usés.

Ne parlez pas de sacrifices,
Mon sang versé n’a pas servi.
Seuls les noms restent aux édifices,
Mais vous, vous n’avez rien compris.

Souvent, vous ravivez les flammes
Sur les dalles d’inconnus tués
Qui préféreraient que ces flammes
S’éteignent pour l’éternité.

Ne rendez plus hommage aux morts.
Rendez plutôt hommage à ceux
Qui cherchent à réparer les torts
Et qui veulent rendre ce monde heureux.

Ne priez donc plus sur ma tombe,
Mais partout dites la vérité,
Pour ne pas que sur vous retombe
La faute d’un monde suicidé.