La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 756 - mai 1978

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N° 756 - mai 1978

Non, ce n’est pas la rançon du progrès   (Afficher article seul)

La photonique   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

L’emploi aux États-Unis   (Afficher article seul)

On récupère ?   (Afficher article seul)

L’oeuf de Colomb   (Afficher article seul)

La percée   (Afficher article seul)

De la coopération à l’économie distributive   (Afficher article seul)

Trop tard   (Afficher article seul)

Les coopératives   (Afficher article seul)

A propos des grèves des services publics   (Afficher article seul)

Démocratisation des prêts au logement ?   (Afficher article seul)

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Non, ce n’est pas la rançon du progrès

par M.-L. DUBOIN
mai 1978

A peine venions-nous de publier un dossier «  économie et écologie » (1) que le naufrage lamentable de l’« AMOCO-CADIZ » vient nous apporter une preuve magistrale et tristement spectaculaire du bien-fondé de nos analyses. Il suffit, en effet, de reprendre chacune des causes du désastre pour voir apparaître, sous-jacente ou évidente, mais toujours déterminante, la recherche du profit d’une minorité aux détriments de toute une population de travailleurs, marins pêcheurs, ostréiculteurs, agriculteurs, récolteurs d’algues, hôteliers, commerçants, etc... et de toute la faune et la flore d’une merveilleuse partie de la côte bretonne.

LA CONSTRUCTION DES PETROLIERS

AU niveau de la construction de pétroliers géants, d’abord. Avec ses 230 000 tonnes, l’« AMOCO CADIZ  » n’est pas le plus gros ! On va jusqu’à 550 000 tonnes. Huit font plus de 400 000 tonnes, trente neuf jaugent entre 200 et 400 000. C’est ainsi une cinquantaine de monstres de ce type qui menacent les mers, représentant 55% du tonnage mondial des pétroliers en circulation. Mais pourquoi ces tailles ? Pourquoi ne pas diminuer les risques en ne faisant circuler que des pétroliers qu’il soit possible de remorquer vite en cas d’avarie ? Même en cas d’échouage le désastre, au moins, serait limité.
Seulement voilà : transporter la même cargaison en deux pétroliers plus petits au lieu d’un seul coûterait deux fois plus cher... Et ce point de vue prime tout. Par intérêt financier, on oublie tous les risques, même les plus abominables. Et les écologistes peuvent bien s’égosiller.
Augmentant la taille, on pourrait au moins investir pour augmenter la sécurité. Les progrès techniques nous en donnent la possibilité... Oh là, pas question ! Pas de double paroi. Une seule hélice. Huit compartiments que la tempête parvient vite à percer. On compte au plus juste. La sécurité ne compte pas : « On pousse au maximum le matériel », disent les marins, « dans un souci d’économie et de profit. On prend des risques de plus en plus importants. Cela, tout le monde le sait. Et rien n’est fait. On attend les catastrophes qui ne peuvent qu’arriver » (2).

L’EXPLOITATION

IL y a bien des lois. Elles sont faites, en principe, pour protéger les personnes et les biens contre les initiatives individuelles dangereuses. Mais il ne faut pas gêner les affaires... C’est sans doute pourquoi la France a ralenti la fréquence des révisions imposées : de une fois tous les douze mois il y a quelques années, on l’a gentiment faite passer à une tous les 27 mois.
Mais c’est encore trop. Alors les puissants armateurs, ceux qui ont les moyens, méprisent tout simplement les lois internationales de la navigation maritime. C’est très facile, il suffit de se placer sous pavillon de complaisance. De petits pays, tels le Libéria, le Panama ou la Grèce, font fortune en bradant leur nationalité. Ainsi de grandes compagnies pétrolières, telle la Shell qui affrétait l’« AMOCO CADIZ », bénéficient de conditions fiscales honteusement anormales : on estime à quelque 10 milliards de dollars les recettes qui échappent au fisc des Etats ainsi « dupés ».
Pour arriver jusqu’à réduire de 20 à 40 % le prix d’un affrètement, cette soustraction fiscale s’accompagne de tolérances juridiques scandaleuses : non seulement sur la sécurité (une convention impose, par exemple, la présence d’un dispositif en cas d’avarie de gouvernail comme celle qui s’est produite sur l’«  AMOCO CADIZ ») mais aussi sur les conditions de travail des marins.
D’abord, ceux-ci sont embauchés au rabais. Il n’y a pas non plus de petits profits. On choisit donc un équipage réduit au strict minimum (44 personnes pour ces 230 000 tonnes) et non qualifié et en tout cas incapable de réparer une pièce endommagée. Si bien que ces pétroliers monstres promènent sur les mers un danger permanent mis entre les mains d’un personnel incompétent. Il ne faut donc pas s’étonner d’une erreur de navigation comme celle du « TORREY CANYON ». Et ces malheureux Pakistanais ou Philippins embarqués par les négriers des temps modernes vivent dans des conditions infernales, mal logés, dormant sur des paillasses et travaillant sur des machines souvent bonnes pour la ferraille. Ils y sont à la merci d’un « pacha » (3) qui les laissent souvent attendre plusieurs mois leurs salaires... mais ils n’ont pas le choix. Vive la société de profit qui stimule l’ardeur au travail et exalte le sens des responsabilités  !

LA PROTECTION DES COTES

CONSEQUENCE directe ou non de la fraude fiscale dénoncée ci-dessus, nos côtes ne sont pas suffisamment protégées. Il n’y a pas d’antenne radar à Ouessant, malgré sa position stratégique, et quand les guetteurs sémaphoriques ont annoncé à la préfecture maritime le remorquage du pétrolier, c’était trop tard. Nos côtes sont bien balisées par des bouées excellentes... mais mal entretenues  : cela coûte cher et après une période de mauvais temps, qu’elles dérivent ou s’éteignent, il faut attendre souvent des mois avant qu’elles soient remises en place !
De plus, la route des pétroliers est tracée au plus court, donc trop prés des côtes... Toujours par économie. On entend bien dire qu’une loi va augmenter la distance minimale. Mais il y a longtemps qu’on en parle, et en attendant, c’est toujours ça de gagné !
Et notre Marine Nationale ? La « Royale » n’est- elle pas là pour assurer l’intégrité du rivage en protégeant les côtes ?
Elle n’a pas rempli sa mission. D’abord, bien qu’elle possède de redoutables et coûteux sous-marins atomiques, elle ne disposait d’aucun remorqueur de haute mer à Brest le 16 mars.
Et puis... et c’est là sans doute le comble : les remorqueurs ne sont pas tenus de signaler les demandes qui leur sont adressées. Vive la sacro-sainte Economie Libérale et que la Marine Nationale ne vienne pas entraver ces merveilleuses tractations qui se déroulent entre le capitaine du pétrolier, aux ordres d’un armateur en sécurité, qui marchande, cinq heures durant, malgré les
risques, et le commandant du remorqueur qui veut l’argent du remorquage pour lui tout seul (et pas rien : la moitié de la valeur du bateau et de sa cargaison !).
Ces écumeurs de mer, que nous a montrés TF1 dans l’«  Evènement », ces pirates modernes nui ne sortent que par mauvais temps dans l’espoir de mettre le grappin sur un navire en détresse, sont une remarquable illustration de l’économie de profit. Vive ces chacals !

BEAUX RESULTATS

D’AILLEURS, il n’y a pas grand mal puisque armateur et propriétaire de la cargaison seront remboursés par leur assurance. La Lloyd a les moyens et s’en tirera.
Qui plus est, certains se frottent peut-être les mains à la pensée que c’est un pétrolier à reconstruire  : de l’emploi en perspective ?
Quant aux Bretons... il viennent de prouver qu’ils sont en majorité contents du régime. Et ils vont avoir du travail, pour éponger  !
Ce qui va d’ailleurs permettre encore à certains de faire de bonnes affaires : justement la B.P. (British Petroleum, par hasard) venait de mettre au point un dispersant qui ne coûte que 1 000 à 1 200 F la tonne. Comme il en faut 5 000 tonnes pour disperser 250 000 tonnes de pétrole, la B.P. ramassera le manque à gagner résultant du boycott de la Shell que proposent les Amis de la Terre.
Quant à certains consommateurs, ils préfèrent boycotter tout ce qui est Breton, ne connaissant pas bien la géographie... on ne sait jamais !
Merci à tous pour la Bretagne, et conservons longtemps ce beau régime du profit.

(1) Dans notre dernier numéro, le 755 d’avril.
(2) Citation du « Monde » du 19-20 mars.
(3) Nom donné par l’équipage au capitaine du navire.

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SCIENCES ET TECHNIQUES

Nous donnons ici la suite de l’article sur la Photonique commencé dans le numéro 753 et que des raisons d’actualité nous ont empêches de publier plus tôt.

La photonique

(suite)
par J.-P. MON
mai 1978

LES GENERATEURS ET LES RECEPTEURS OPTIQUES

LES fibres optiques ne peuvent être utilisées telles quelles pour transmettre les divers signaux électriques que l’on rencontre dans le, domaine des télécommunications. Il est donc nécessaire de disposer de composants permettant, à une extrémité de la fibre, de transformer les signaux électriques en signaux lumineux et inversement, à l’autre extrémité de la fibre, de transformer des signaux lumineux en signaux électriques. Ces composants, qui sont des dispositifs solides, sont :
- pour l’émission de la lumière, les diodes électroluminescentes (telles que celles qui permettent de visualiser les chiffres des calculatrices de poche) et les diodes laser à l’arséniure de gallium et d’aluminium dont la taille n’excède pas celle d’un grain de sel ;
- pour la réception des impulsions de lumière, les photodétecteurs à avalanche et les détecteurs P.I.N., qui sont des dispositifs analogues aux cellules solaires et qui transforment la lumière en courant électrique.
L’association de ces composants et de fibres optiques permet de constituer des systèmes de transmission dans lesquels les photons (ou grains de lumière) remplacent les électrons. Cette toute nouvelle branche de la physique porte le nom de « photonique ».

LA PHOTONIQUE ET SES APPLICATIONS

LA photonique est appelée à supplanter l’électronique dans un grand nombre d’applications :
- c’est ainsi qu’une émission de télévision peut mitre acheminée à l’aide d’une seule fibre optique, ce qui ouvre des possibilités innombrables tant pour le spectacle que pour les affaires ;
- on peut envisager d’établir à l’intérieur des grands ensembles ou des immeubles commerciaux des réseaux pratiquement invisibles de fibres optiques permettant d’assurer divers services ;
- on peut connecter les diverses parties d’un ordinateur et ses périphériques par l’intermédiaire de fibres optiques ; ...
C’est cependant dans le domaine du téléphone que l’on doit s’attendre à trouver les premières applications importantes de la photonique.
En effet, la plus grande partie du réseau d’inter-connexion par câbles entre les centraux téléphoniques des grandes villes est installée dans des canalisations souterraines dont la construction devient de plus en plus coûteuse et pose de plus en plus de problèmes à mesure que leur nombre s’accroît. Le remplacement des câbles métalliques par des câbles optiques, dont les dimensions sont beaucoup plus faibles et les capacités de transmission beaucoup plus grandes, permet une utilisation plus efficace des conduits souterrains déjà existants et retardera de ce fait le creusement, toujours difficile dans les villes, de nouvelles canalisations. Qui plus est, comme dans la plupart des villes les centraux téléphoniques ne sont jamais distants de plus de sept kilomètres, il ne sera plus nécessaire de construire des stations intermédiaires d’amplification, ce qui va représenter une source d’économie considérable.

LES REALISATIONS ACTUELLES

SI les premières expériences de transmissionpar fibres optiques remontent à 1964, ce n’estque depuis trois ou quatre ans que sont apparus sur le marché les composants permettantd’envisager la réalisation et la mise au service dupublic de systèmes de télécommunication parfibres optiques. Il y a actuellement en fonctionnement aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, unecentaine de systèmes utilisant des fibres optiques.
Comme toujours en pareil cas, il est difficile de dire avec certitude quelle a été la première réalisation commerciale. Peut-être est-ce la liaison établie, il y a moins d’un an, par la Compagnie Générale des Téléphones de Californie entre deux de ses immeubles de Long Beach distants d’environ 9 kilomètres, ou celle mise en service sur une distance de deux kilomètres et demi par la Compagnie des Téléphones Bell entre deux centraux téléphoniques et un immeuble commercial du centre de Chicago ?
Cette dernière réalisation est la concrétisation des expériences menées l’an dernier conjointement par les laboratoires de la Compagnie des Téléphones Bell et de la Western Electric à Atlanta. Ces essais faisaient intervenir deux câbles optiques de 640 mètres de long, installés dans le réseau souterrain existant et comportant chacun 144 fibres optiques assemblées par ruban de douze. chacune des fibres pouvant transporter 44,7 millions de bits (*) par seconde, une paire de fibres permet d’acheminer simultanément dans les deux seps de transmission 672 communications téléphoniques. Dans ce même dispositif expérimental, un certain nombre de fibres avaient été réunies de Tacon à constituer un réseau de communication de 70 kilomètres de long comportant seulement onze régénérateurs ou amplificateurs. On n’a Pratiquement décelé aucune erreur de transmission pendant toute la durée de l’expérience.
Au mois d’octobre dernier, un câble du même type mais ne comportant que huit fibres et ayant un diamètre hors tout de onze millimètres a été mis en service commercial entre deux centraux téléphoniques de Turin distants d’environ quatre kilomètres. Toujours en Italie, des essais ont été entrepris sur un câble de neuf kilomètres de long travaillant sans régénérateurs et pouvant transmettre 140 millions de bits par seconde et par fibre, soit l’équivalent avec huit fibres de 8 000 voies téléphoniques dans les deux sens.
En Angleterre, une série d’essais de transmission de programmes de télévision en couleur sur une boucle de 18 kilomètres a été tentée avec succès par la B.B.C. en collaboration avec la compagnie Standard Telephones and Cables.
Les équipements de la B.B.C., tant dans le domaine des audiofréquences que dans celui des vidéofréquences, ont travaillé à la vitesse de 140 mégabits par seconde.
En Belgique, un système de transmission par fibres optiques est en cours d’installation le long d’une route sur une distance de 10 kilomètres, entre Bruxelles et Vilvoorde. C’est la première liaison de ce type installée en Belgique.
Pour l’instant, le câble optique a une capacité de 480 voies téléphoniques sur deux fibres de 0.1 mm de diamètre  ; vers le milieu de 1979, d’autres unités de transmission seront ajoutées et deux nouvelles fibres parmi les sept que comporte le câble seront mises en service, ce qui portera la capacité du câble à 1 920 voies.

ON peut espérer à brève échéance réaliser quelques progrès dans la fabrication des fibres optiques permettant de diminuer sensiblement les pertes de lumière mais cela ne changera pas fondamentalement la technologie des systèmes dont nous venons de donner un aperçu.
Par contre, les recherches en cours dans un certain nombre de laboratoires universitaires ou industriels, sur l’optique intégrée et le traitement des signaux lumineux à l’intérieur de couches minces (que l’on peut considérer comme l’équivalent ontique des circuits de la microélectropique) font prévoir une véritable révolution dans la pourtant très jeune photonique.
On peut en effet penser que ces nouveaux circuits optiques permettront un jour de supprimer les conversions courant électrique - lumière et lumière-courant électrique.
qui plus est, des recherches théoriques et expérimentales viennent d’être entreprises sur la possibilité de commuter (c’est-à-dire d’acheminer dans une direction ou une autre) directement des impulsions de lumière. L’aboutissement de ces recherches serait le remplacement des centraux téléphoniques (électromécaniques ou électroniques) actuels par des centraux optiques, ce gui permettrait de raccorder un plus grand nombre d’abonnés à un même central et d’acheminer les communications à des vitesses beaucoup puis grandes que celles que nous connaissons aujourd’hui.

(*) le bit ou digit linaire désigne les nombres 0 ou 1 qui sont les deux seules quantités utilisées pour coder les informations à transmettre ou à traiter.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
mai 1978

Commentant l’échec des écologistes (qu’il représentait au sein du collectif Ecologie 78), Brice LALONDE a déclaré le 13 mars à Antenne 2 : « Nous abordons des problèmes généraux, très difficiles, nous n’avons pas nous-mêmes les réponses. Et un mouvement qui pose des questions nouvelles sans avoir réponse à tout, il est normal qu’il ait du mal à se frotter à la politique ».
Quel aveu d’impuissance ! Si, après avoir dénoncé les méfaits du profit, Brice LALONDE avait proposé d’instaurer l’économie distributive, peut-être les écologistes auraient-ils réalisé de meilleures performances aux législatives  !

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Selon la F.A.O. (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), le nombre des personnes sous-alimentées dans le monde est passé de 400 millions en 1969 à 455 millions en 1974.
L’enquête fait apparaître que la tendance croissante dans les zones rurales à nourrir les bébés au biberon plutôt qu’au sein a des répercussions tragiques sur la malnutrition infantile dans les groupes à faibles revenus, le lait utilisé dans ces groupes étant le plus souvent malsain ou excessivement dilué.
Dans le même temps, dans les pays de la communauté économique européenne on cherche par tous les moyens à diminuer la production de lait.
Apparemment cela ne trouble pas les représentants des soixante-huit pays a la Conférence des Nations Unies sur le blé qui viennent d’ajourner leurs travaux jusqu’en septembre prochain.
Ils n’arrivent pas à se mettre d’accord bien qu’ils aient accepté de fournir une aide de 10 millions de tonnes de céréales par an (objectif fixé en 1974 !). Jusqu’à présent, seuls deux pays ont présenté une offre, les Etats Unis pour 4,47 millions de tonnes, et le Canada pour 750 000 tonnes.
En ce qui concerne le blé, l’accord entre les Etats Unis et la Communauté Européenne paraît difficile car les Européens estiment que des mécanismes de stockage et de déstockage doivent être mis en place pour maintenir les cours dans une fourchette de prix impérative. Les Etats Unis, premiers exportateurs mondiaux, souhaitent que les cours restent libres.
Comme on le voit une fois de plus, ce qui compte, c’est le profit !

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Les représentants en armements de tous ordres sont persuadés, ou veulent se persuader, que leur activité est tout aussi normale que la vente des parfums, des automobiles ou des machines-outils. Ils n’agissent, pour la plupart, que sous l’impulsion de leur gouvernement. C’est qu’ils donnent du travail aux ouvriers et qu’ils font rentrer de précieuses devises dans les coffres nationaux  !

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L’idée reste ancrée que, pour se maintenir armé, il faut armer le monde. Si les gouvernements ont pris la responsabilité directe de la vente des armements, c’est qu’ils sont poussés non seulement pas les constructeurs et par la recherche de devises, mais aussi par la nécessité de maintenir l’emploi.
Il est bien connu que dans certains pays les « lobbys » syndicaux ne sont pas les moins insistants.
En France, les ventes d’armement à l’étranger font travailler 90 000 personnes et représentent près de la moitié de nos importations de pétrole. L’exportation d’armements tait vivre plus de 80% des usines de la S.N.I.A.S.

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Après toutes ces nouvelles attristantes, quelques informations qui nous confirment que nous sommes toujours sur la bonne voie :
- Dans une étude publiée à Genève par le Bureau International du Travail, Vassily LEONTIEF, professeur à l’Université de New-York, prix Nobel d’économie en 1973, après avoir affirmé que le progrès technique supprimait plus d’emplois qu’il n’en créait, préconise une réduction du nombre d’heures travaillées par semaine et du nombre de jours de travail dans l’année.

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En Allemagne Fédérale, le conflit qui a secoué l’ensemble de la presse a été essentiellement provoqué par le problème de l’adaptation des nouvelles techniques de fabrication des journaux.
Le conflit s’est terminé le 21 mars dernier par la signature entre représentants syndicaux et patronaux d’un compromis qui prévoit que les revenus des ouvriers imprimeurs seront garantis jusqu’à leur retraite.
Cette disposition est sans précédent dans l’histoire sociale allemande.

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C’est en fait le début d’une véritable révolution : la même revendication d’un revenu garanti est maintenant reprise par les ouvriers de la métallurgie allemande. Les syndicats veulent obtenir l’assurance que les travailleurs qualifiés verront maintenir leur niveau de vie, bien que les innovations technologiques les amènent à n’exercer que des fonctions plus élémentaires en supervisant des systèmes de production animés par l’électronique et les ordinateurs.

Les syndicats allemands commencent en effet à s’apercevoir que la thèse classique, défendue par le patronat, selon laquelle il est absolument nécessaire d’investir pour créer des emplois, correspond de moins en moins à la réalité et que, tout au contraire, les entreprises cherchent avant tout à investir pour acquérir des équipements qui suppriment la main-d’oeuvre.
Il n’est que temps que les syndicats français adoptent les mêmes positions.

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Étranger

L’emploi aux États-Unis

par P. SIMON
mai 1978

UN article paru en novembre 1977 du SCIENTIFIC AMERICAN, sous la plume d’Eli Ginzberg, traite du problème de l’emploi dans l’économie américaine ou la composition de la population active a considérablement changé avec l’arrivée d’un plus grand nombre de femmes et de jeunes sur le marché du travail et l’incapacité où se trouve l’économie de la nation à créer suffisamment d’emplois qui soient « bons », c’est-à-dire des emplois sûrs mais surtout bien rémunérés.
Désireux d’effectuer une relance, le Président vient de décider la création d’emplois publics pour une dépense de 10 milliards de dollars. Cette mesure est une véritable petite révolution tant elle contraste avec l’attitude de précédents présidents, dont M. Nixon, qui refusait de ressusciter les «  balayeurs de feuilles mortes » des années 30.
Pour mieux comprendre cette orientation nouvelle, Eli Ginzberg étudie l’évolution du marché du travail aux Etats-Unis entre 1950 et 1976. Il constate que, au cours de cette période, le pourcentage d’emplois civils s’est élevé aussi vite que la population en âge de travailler mais que le taux de chômage a plus que doublé. A présent, on manque cruellement d’emplois et surtout de « bons » emplois, principalement dans le secteur privé où seulement 3 emplois sur 10 nouvellement créés répondent aux critères du « bon » emploi alors que dans le secteur public la proportion est de deux tiers.
Entre 1950 et 1976, la population active est passée de 62 à 95 millions d’individus, soit une augmentation de 33 millions dont 13 millions d’hommes et 20 millions de femmes (environ une femme sur deux travaille maintenant contre une sur trois en 1950). Dans la même période, le nombre des jeunes de 16 à 24 ans dans la population active est passé de 11,5 millions à 23 millions, soit une augmentation de 100 %. Une des conséquences de cette évolution est l’accroissement du nombre des demandeurs d’emplois à temps partiel qui sont 3 fois plus nombreux que les demandeurs d’emploi à temps plein. Une autre est la redéfinition du « taux de chômage acceptable » qui est passé de 4 à 5 °fo pour tenir compte de l’entrée massive des femmes et des jeunes sur le marché du travail. Selon que l’on adopte un chiffre ou l’autre on trouve quand même, sur 27 années, 7 ou 14 années pendant lesquelles le taux réel de chômage a dépassé ce seuil, malgré l’effort indéniable de l’économie pour absorber ces nouveaux venus.
Tout en s’essoufflant à cette tâche, le secteur privé a créé deux fois plus de « mauvais » emplois que de « bons ». Les écarts sont importants. En 1976, un « bon » emploi rapportait 176 dollars par semaine, un « mauvais » 114 seulement. Cette dernière catégorie se rencontre dans le secteur des services et surtout de la vente au détail. Voilà qui n’est guère rassurant. Par contre, les emplois publics, et singulièrement ceux qu’offre le gouvernement fédéral, sont dans l’ensemble « bons ».
Les perspectives d’avenir sont que le nombre des jeunes arrivant sur le marché du travail va nettement diminuer d’ici 1990 et que le nombre des femmes actives va croître en même temps que leurs ambitions car elles recherchent de plus en plus de « bons  » emplois.
L administration Carter s’est lancée dans la création d’emplois pour plusieurs raisons. D’abord, elle compte ainsi accroître les revenus de consommateurs modestes (pour leur faire plaisir ?) ensuite, elle veut réduire le nombre d’allocataires secourus (mais l’argent versé en salaires ou en allocations ne vient-il pas de la même source ?). Elle veut également résorber un chômage qui atteint à présent 7,3 millions d’individus en donnant un emploi à 3 millions d’entre eux d’ici 1981, date à laquelle elle pense avoir « rééquilibré » le marché du travail. Mais elle ne pourra pas grand chose (et le secteur privé encore moins !) pour les 17 millions d’Américains et d’Américaines qui ne font pas encore partie de la population active mais le voudraient bien. Décidément, l’abondance est partout.
Le problème de l’emploi ne sera pas facile à résoudre aux Etats-Unis et, conclut Eli Ginzberg, les secteurs public et privé s’y emploieront sans succès. Il recommande donc l’innovation sans dire exactement quoi. Ici, à « la Grande Relève  », nous avons des propositions à faire.

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Soit dit en passant

On récupère ?

par G. LAFONT
mai 1978

Le peuple souverain a voté... Et la vie continue. A ce jour, autant que je puisse en juger de visu, rien de ce que nous ont promis, au cours de la campagne électorale les augures patentés de chaque parti si nous n’étions passages, je veux dire Si nous votions pour leurs adversaires, n’est encore arrivé. Mais tous les espoirs restent permis.
Aujourd’hui, un mois après la grande tombola du 19 mars. alors que tout le monde s’est remis de ses émottions ou de sa surprise, je me demande lequel du vainqueur vainqueur du vaincu est le plus heureux du résultat, ou le plus soulagé.
Parce qu’il va falloir, pour le nouveau gouvernement, ranimer le franc, relancer les affaires, trouver du boulot pour les chômeurs. porter le SMIC à 2 300 ou 3 000, francs qui dit mieux ? - Bref. tenir ses promesses, et même celles des antres.
Il va avoir du patin sur la planche, le nouveau gouvernement. Et je souhaite beaucoup de plaisir à M. le Premier Ministre. On l’attend au tournant. Et comme la recette-miracle pour réduire l’inflation sans augmenter le chômage, et vice-versa, n’existe pas dans les traités d’économie politique à l’usage des élèves de Sciences-Po, on ne voit pas comment il réussirait mieux que ces prédécesseurs.
Alors ? Ça va être dur pour tenir le coup. On pourrait reprendre à son intention le refrain irrespectueux d’un chansonnier de l’entre-deux guerres à l’adresse de je ne sais plus quel grand homme politique de l’époque que le chef de l’Etat venait de charger - déjà ! - de sauver la France
« - Fais pas le couillon, t’as une bonne place ! ».
Je crois me souvenir, soit dit entre parenthèses, sans vouloir décourager M. le Premier Ministre, que le grand homme politique en question n’a pas réussi à tenir le coup plus de deux mois mais j’ajoute, pour rassurer, s’il en était besoin. nos lecteurs, qu’il s est trouvé beaucoup d’autres sauveurs pour lui succéder.
Faut-il pour autant s’abandonner au pessimisme ? D’abord, nous ne sommes plus soirs la IIIe République, mais, si j’ai bien compris, sous la Ve, ce qui devrait changer tout.
Ça ne change rien. Quel que soit le numéro dont on l’affuble et les étiquettes qu’on lui colle, qu’elle se dise libérale avancée ou socialiste en retard d’une révolution, notre République, rafistolée tant bien que mal avec des remèdes de bonne femme par des énarques distingués, est incapable de sortir de l’économie de marché, et merdoie depuis plus d’un demi siècle dans la plus affligeante pagaille que l’on puisse rêver. Et dont elle crève.
Une preuve ? Un parlementaire, si j’en crois mon journal habituel, a déposé, avant de partir en campagne, au bureau de l’ancienne Assemblée Nationale, un projet de loi sur la récupération des déchets.
J’ignore, à l’heure où j’écris, ce qu’il est advenu de ce beau projet, et même si le député qui en assume la paternité a récupéré son siège, ce qui serait justice, après tout. Mais j’espère que, toutes affaires cessantes, la nouvelle Assemblée adoptera ce projet à l’unanimité. En pleine marée noire, il ne peut pas mieux tomber.
Seulement attention. Récupérer les déchets, c’est un premier pas contre le gaspillage, ce qui peut nous entraîner loin dans un système économique dont la seule raison d’être est le profit et où les techniques modernes condamnent à produire de plus en plus pour la seule satisfaction des besoins solvables, alors que les besoins réels ne sont pas tous satisfaits, à créer des besoins nouveaux, grâce à la publicité envahissante, enfin à détruire les « excédents » aux frais des contribuables, comme de bien entendu.
Alors, récupérer les déchets...
Je ne suis pas contre, remarquez. Mais à une condition : qu’un de nos parlementaires, s’il s’en sent le courage, dépose un projet de loi sur la récupération des coups de pied au cul qui se perdent.

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Lectures

Aujourd’hui : Vodka-Cola, de Charles Levinson, publié par les Editions Stock.

L’oeuf de Colomb

par H. MULLER
mai 1978

IL fallait y penser. « Produisez dans la région du monde où l’efficacité du coût est la plus favorable, c’est-à-dire en Europe de l’EST, et vendez dans celle où les profits réalises sur les ventes sont, après comparaison, les meilleurs, donc en Occident industrialisé ». Mise en pratique par les Multinationales, la formule allait déboucher, à partir des années 70, sur la plus rocambolesque des opérations politico-économiques jamais imaginées, tracassant défi asséné aux idéologues.
De quoi s’agit-il ? D’opérations de troc ultrasophistiquées, mariant des multinationales américaines, européennes et japonaises, directement aux gouvernements des pays « communistes  » de l’EST. Le troc consiste, ici, à échanger des conditions d’implantation favorables et la mise à disposition d’une main-d’oeuvre à coût et charges réduites, contre une technologie, l’envoi de machines et de personnels aptes à assumer la bonne marche de coproductions, de co-entreprises, aptes à veiller aux normes de qualité exigées pour la vente des produits sur les marchés occidentaux.
Effectuées par les réseaux commerciaux des grandes firmes capitalistes, ces ventes de produits made in Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, URSS, Yougoslavie sont appelées à rembourser les crédits à long terme, publics ou bancaires, dollars et eurodollars accordés aux multinationales pour couvrir leurs dépenses d’implantation dans les pays de l’EST. Selon Lévinson, l’endettement cumulé atteindrait quelque 60 milliards de dollars. Au rythme où se développe ce type d’investissements, le découvert risque davantage d’augmenter que de diminuer ; il explique, mieux que les arguties des « experts », l’inflation dont l’Occident est victime.
Succèdant à 20 années de guerre froide, de violences verbales contre les communistes de l’EST, la détente exigée par les étroits rapports industriels et commerciaux entre l’OUEST et l’EST est- elle du moins garante d’une paix durable ? Ch. Lévinson l’affirme. L’Occident, explique-t-il, ne saurait faire la guerre à un débiteur qui s’est engagé à lui rembourser 60 milliards de dollars en marchandises au cours des 10 à 15 prochaines années, pas plus d’ailleurs qu’il n’est question de détruire les installations, le co-patrimoine des multinationales implantées en pays communistes. Craignons, en revanche, que las de l’exploitation dont il est l’objet, tant de la part de ses gouvernants que des Multinationales, l’ouvrier ne se rebelle, exigeant de ses gouvernants qu’il soit mis fin à son servage. Alors la dénonciation des accords négociés pourrait constituer un casus belli. Il sera tentant, pour l’EST, d’user de ce biais pour se libérer de sa dette.
Une pareille situation exige donc à la fois détente et vigilance. En s’implantant à l’Est, les multi-nationales ont semé un germe de guerre, assez pour procurer au complexe militaro-industriel occi-dental la justification qui lui faisait defaut face a la constance des declarations pacifiques (« l’avalanche de paix ») des dirigeants du Kremlin, de Staline a Brejnev. Ainsi tout va-t-il bien pour le capitalisme assure de ses débouches d’appoint : armements à l’Ouest, vodka-colonisation a l’EST. On a « transformé des consommateurs inintéressants en producteurs peu coûteux  ». On « exploite les travailleurs de l’EST pour exploiter mieux encore ceux de l’OUEST ».
A cette action concertée correspond un Pouvoir économique supra-national. Ch. Levinson en décrit la composition, les buts, les rouages, la liturgie et les rites. Commission trilatérale, groupe de Bildeberg, grandes Fondations et leurs annexes, Gouvernement de Washington, c’est une sorte de confrérie réunissant une élite mondiale : banquiers, hommes politiques, chefs des plus grandes entreprises, universitaires et jusqu’à des syndicalistes de renom, triés sur le volet, cow-boy chargés d’encadrer le troupeau, de l’amadouer, d’empêcher qu’il ne rue dans ses brancards, durant que d’autres ont pour tâche de distraire son attention, de l’abrutir, de paralyser sa réflexion.
Quant aux gouvernements, leur rôle se borne à suivre le coche, à entériner les accords de co-production après que ceux-ci aient été conclus, à camoufler devant l’opinion, la nature et la portée de ce genre d’opérations ignorées des parlements eux-mêmes, enfin à pratiquer une politique d’austérité salariale en vue de combattre l’inexorable montée du chômage. Témoin le cas de l’Italie : « Le pays connaît un curieux phénomène qui réside dans un excès de travailleurs inemployés à la recherche de patrons volatilisés. Le potentiel industriel et financier du pays s’est dispersé entre la Pologne, l’URSS, la Hongrie et les paradis fiscaux, laissant sur le sable de l’Adriatique les ouvriers qui n’ont pas les mêmes possibilités de voyager. Pirelli, Montedison ne sont pas K.O. mais OUT et il faudra vraiment que le P.C. restaure un climat social sûr, pour que les capitalistes transalpins et internationaux se laissent convaincre de réinvestir  ». (p. 321)
Il ne reste plus aux Syndicats qu’à mettre le riez hors de leur bocal, à présent que le couvercle vient d’en être soulevé, et s’ils ne craignent pas la lumière crue.
VODKA-COLA ? un livre grinçant, corrosif, décapant, de nature à déclencher une lame de fond pouvant balayer les fantoches agités par les grands prêtres de ce veau d’or que nos démocraties ont placé au pinacle. VODKA-COLA ? Une information exceptionnellement dense. A lire absolument pour qui recherche un fil conducteur dans l’imbroglio politique et économique du monde d’aujourd’hui.

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La percée

par M. DUBOIS
mai 1978

LES Français ont la réputation d’être individualistes, et il y a certainement là un fond de vérité. Pourtant, il n’est pas très difficile d’unir un groupe quelconque  : il suffit simplement de l’opposer à un autre. Pour critiquer, pour mépriser, pour haïr, l’union naît spontanément et, le plus souvent, disparaît avec l’objectif. Ce phénomène est observable dans les plus petits villages où les clans sociaux, ou religieux, ou professionnels, s’entre-déchirent allègrement sauf s’il s’agit de contrer !e village voisin. Et ainsi de suite à chaque niveau de toutes les liaisons horizontales ou verticales, lesquelles, comme chacun sait, convergent sur l’Etat. Rien d’étonnant donc à ce que ce dernier fasse l’unanimité contre lui, quitte à proclamer et réussir de temps à autre l’Union sacrée contre le dernier ennemi héréditaire de service.
Le même empressement, hélas, ne se rencontre que rarement lorsqu’il s’agit de s’unir non plus CONTRE quelque chose ou quelqu’un, mais POUR une action constructive. On part à la guerre avec la fleur au fusil, mais on retrousse ses manches en renâclant et surtout en lorgnant l’attitude du voisin. Les programmes de reconstruction n’enflamment jamais les foules, et si d’innombrables films ou récits font revivre les épopées guerrières, combien rares sont ceux qui retracent des actes positifs !

LE VOTE « CONTRE »

S’IL est un domaine où le comportement cidessus est particulièrement évident, c’est bien celui des campagnes électorales. On a dit et écrit que la France était coupée en quatre. Faut-il en conclure que chacun des quarts exerce son choix selon la consistance du programme concret présenté par les candidats ? Oh certes, tous font des promesses : les unes pour le court terme en se gardant bien de préciser comment, dans le cadre de l’économie de marché, elles pourront être financées ; les autres pour un avenir plus lointain en se gardant bien de préciser quels seront les faits nouveaux susceptibles de rendre alors possible ce qui ne l’a pas été jusqu’à maintenant. Alors on peut être à peu près certain que, dans leur très grande majorité, les électeurs votent CONTRE. Contre les tenants actuels du pouvoir par lassitude ou rancoeur, ou contre l’épouvantail du collectivisme politique volontairement présenté comme la seule alternative de progrès économique et social.
Rien d’étonnant, sous cet angle, à ce que depuis prés d’un demi siècle les adeptes de J. DUBOIN aient l’impression de prêcher dans le désert. Ne voua-t-il pas en effet des farfelus qui ne sont contre personne et accueillent les bonnes volontés venues de tous les horizons politiques pour une oeuvre constructive de longue haleine nécessitant une très large union ! Face aux destructeurs épris de chambardements purs, n’osent-ils pas brandir la possibilité d’améliorer le sort de tous sans léser quiconque grâce au plein emploi des capacités de production enfin libérées du carcan financier !

S’UNIR POUR L’ECONOMIE DES BESOINS

CETTE constatation est tellement vraie que notre analyse critique du système économique actuel, indispensable pour comprendre les assises de notre synthèse, est généralement beaucoup mieux admise que cette dernière par notre entourage. Tant que nous faisons le procès du PROFIT, et proclamons la nécessité de détruire l’économie de marché, les contradicteurs sont rares (et pour cause, puisque nous nous appuyons essentiellement sur des faits absolument indéniables, même par les plus enragés). Tout commence à se gâter dès que nous abordons la construction de l’Economie des Besoins, conséquence pourtant quasi-mathématique de l’analyse précédente.
Pourtant, il ne faudrait surtout pas perdre tout espoir de réussir un jour notre percée dans l’opinion publique, bien au contraire. Observons par exemple l’audience grandissante prise ces dernières années par les mouvements se réclamant de l’Ecologie. A l’origine de leur succès une constatation analogue à la nôtre : celle d’une faillite de notre civilisation, incapable de sauver l’essentiel et même d’assurer la survie de l’espèce. Et puis ensuite, de-ci, de-là, des actions concrètes pour régénérer telle rivière, ou sauvegarder telle grande forêt, ou infléchir l’urbanisation sauvage, etc... Il est hors de doute qu’un très grand nombre de responsables des mouvements écologistes connaissent nos thèses et sont conscients de leur efficacité pour gagner la course de vitesse engagée en matière de protection de la Nature. Leur percée peut donc servir à la fois de modèle et de moteur à la nôtre si nous savons, comme ils l’ont fait, ne jamais manquer une occasion de communiquer notre foi.

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DIALOGUE SUR LE COOPERATISME

De la coopération à l’économie distributive

par P. HERDNER
mai 1978

PEU informé de la doctrine du coopératisme (système fondé essentiellement sur le développement des coopératives de consommation), le public ignore généralement l’ampleur de son programme, dont l’objectif final est une transformation complète de l’économie. Comme l’a écrit un de ses plus illustres théoriciens, Charles Gide,« la coopération, par sa réalisation intégrale, impliquerait la fin du régime du profit, en tant que seul moteur de l’activité, économique, pour lui substituer la seule préoccupation des besoins à satisfaire ».
Pour bien comprendre en quoi consiste cette « réalisation intégrale », il faut imaginer une vaste fédération de coopératives de consommation, que pour la clarté de l’exposé nous supposerons autarcique ; et qui est approvisionnée en partie par les usines qu’elle a créées elle-même, en partie par l’ensemble des entreprises (dont certaines peuvent être organisées en coopératives de production), des cultivateurs et des artisans. Toutes les personnes impliquées dans la production sont membres des coopératives de consommation.
Arrivé à ce stade, qui peut paraître encore un peu théorique, ce système réalise l’économie des besoins, avec ses caractéristiques fondamentales : le double mouvement « vertical. » des produits, qui deviennent la propriété de la collectivité des consommateurs avant d’être répartis entre les individus ; la production mise au service de la consommation, et libérée de la concurrence  ; la possibilité d’écouler les produits, dont les prix sont fixés par les consommateurs associés.
Au lieu de considérer « économie distributive » et « économie des besoins » comme deux expressions équivalentes, je crois qu’il serait préférable de voir dans la première la forme la plus parfaite de la seconde. En effet, si le coopératisme répond à la définition que j’ai donnée de l’économie des besoins, il ne réalise pas nécessairement une répartition équitable. Il n’a pas aboli le salariat, et il laisse subsister des problèmes que l’économie distributive, avec sa rigueur plus grande, permettrait de résoudre. Mais il est clair qu’il lui a préparé le terrain.
La réflexion sur les analogies et les différences des deux systèmes nous ouvre des horizons très intéressants tant sur le plan de l’action que sur celui de la propagande :
1. On peut concevoir sur le plan local et à titre de mesures transitoires - j’y reviendrai à l’occasion - des réalisations de caractère coopératif, susceptibles de devenir ultérieurement, par des transformations appropriées, des îlots d’économie distributive.
2. Les structures fédérales adoptées par les organisations coopératives s’accordent avec une conception fédéraliste de l’économie distributive, qui s’impose à nous si nous voulons éviter l’écueil du centralisme. Les expériences à la fois progressives et diverses que nous pourrions tenter dans des zones d’étendues restreintes s’inséreraient très naturellement dans le schéma d’ensemble d’une économie fédérale.
3. Enfin. pour donner à notre programme un aspect plus réaliste et plus crédible, il y aurait avantage à le présenter comme une forme élaborée du système coopératif.

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DEBAT SUR LE COOPERATISME

Trop tard

par P. BUGUET
mai 1978

LA mesure transitoire proposée par P. Herdner pour parvenir à l’Economie Distributive, via le coopératisme, vient trop tardivement. L’échange plus juste, mais l’échange quand même, sur lequel repose le coopératisme ne peut plus, à notre stade productif, assurer le passage des produits à la consommation.
Nous remercions notre ami P. Herdner de sa collaboration qui nous amène à préciser les conditions et caractéristiques du système de répartition distributif. Rendons leur contenu aux expressions
- Coopération : « Méthode d’action économique par laquelle des personnes ayant des intérêts communs constituent une entreprise où les droits de chacun à la gestion sont égaux et où le profit est réparti entre les associés au prorata de leur activité. » (« A chacun selon ses oeuvres », ajouterons- nous).
- Coopérative : « Groupement d’acheteurs, de commerçants ou de producteurs visant à réduire les prix de revient  ».
Ces deux définitions sont du : LEXIS (Larousse 1975).
Nos objections :
Des deux rôles de la production dans le cadre de l’échangisme :
- Création des produits et d’articles de consommation de toute sorte.
- Création des revenus permettant leur acquisition. seul le premier est potentiellement existant : le second est en voie d’amenuisement constant par suite de la mécanisation de l’appareil productif.

Le problème que nous vivons, difficulté, voire impossibilité d’accès aux produits et services, du fait du défaut de solvabilisation par la production, ne saurait être résolu par une plus avantageuse possibilité d’achat des coopérateurs ayant encore un emploi, ou par une meilleure rentabilité pour les coopérateurs producteurs.
L’écart entre le volume de la production et les revenus qu’elle crée est indépendant du mode de gestion, il croît avec la mécanisation elle-même. Ce processus irréversible condamne les coopérateurs d’aujourd’hui à être rejetés de la production de demain, car : « Celui qui ne peut acheter, ruine ceux qui voudraient vendre » (commerçants ou coopératives).
Nous courons vers le chômage massif qui bloque l’échange. Il n’est plus temps de tenter, même sous l’appât de l’amélioration du standing des privilégiés qui touchent encore un salaire, de mettre en place des unités de vente et de production, en vue de leur mutation distributive ; alors que la capacité de la consommation solvable en se restreignant, entraîne faillites et réduction de l’activité productrice.
Le chômage, la mévente, les artifices de solvabilisation au détriment de la stabilité de la monnaie sont là. Ils nous commandent impérativement de développer un mode de répartition des biens, indé. pendant de la seule solvabilisation par la production. Autrement dit : le passage radical à l’Economie Distributive.
Tout en étant reconnaissant à notre ami P. Herdner pour son active collaboration, nous ne regrettons pas que les faits soient plus révolutionnaires que les hommes. Et nous rappelons à ce sujet l’analyse du coopératisme faite par J. Duboin.

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En relisant J. Duboin

Les coopératives

2 septembre 2008

« Les coopératives sont nées de l’observation banale que voici : Si le commerçant me vend ses articles si cher, c’est qu’il prélève un bénéfice sur moi : quelle en est la raison ? C’est qu’il achète lui-même en plus grosse quantité que je ne puis le faire. Si donc mes amis et moi pouvions réunir nos achats, nous nous adresserions au producteur lui-même, et nous ferions l’économie des bénéfices que les intermédiaires prélèvent sur nous. Les coopératives de consommation se sont donc multipliées et ont fait le commerce en ristournant leurs bénéfices à leurs adhérents. N’est-ce pas perfectionner l’échange en le rendant plus équitable, sans sortir du cadre du régime capitaliste ? Voyons maintenant quelles auraient été les conséquences du mouvement coopératif, si ses progrès avaient pu s’étendre aussi bien à la consommation qu’à la production.
« Faisons une supposition : tous les consommateurs solvables sont devenus des coopérateurs et achètent en commun. Et les autres ? Oui, que deviennent ceux à qui la production moderne ne fournit aucun revenu parce qu’ils n’y prennent aucune part depuis qu’elle n’a plus besoin d’eux ? Que deviennent les chômeurs, les jeunes sans emploi, les patrons et les rentiers ruinés ? Qu’importe que la coopérative permette d’acheter dans les meilleures conditions, s’ils ne peuvent rien acheter du tout ! Au moment où le progrès technique fait disparaître les consommateurs solvables, il semble vain de limiter les réformes à l’amélioration de la condition de ceux qui le sont encore ; c’est un peu comme si l’on remplaçait dans un radiateur qui fuit, l’eau ordinaire par de l’eau distillée. En second lieu, que deviendraient les commerçants et les intermédiaires de toute nature qui auront été remplacés par les coopératives ? Et leur personnel ? Il est évident qu’ils disparaissent, mais le régime n’ayant pas disparu en même temps, ils iront grossir l’armée des chômeurs et des patrons ruinés. Ainsi les derniers clients devenus coopérateurs seront obligés de prendre en charge le nombre toujours croissant de ceux qui n’ont plus de pouvoir d’achat.
« Plaçons nous maintenant dans l’hypothèse où tous les producteurs capitalistes auraient été incorporés dans les coopératives de production. Utilisant évidemment l’outillage moderne que la science met à notre disposition, la production coopérative ne créerait pas un client de plus que ne le fait la production capitaliste, puisqu’il serait inutile d’embaucher du personnel supplémentaire. Comment les coopératives réussiraient-elles à vendre toute leur production ? En plaçant un patron, des administrateurs, un comité de gérance, un syndicat d’ouvriers, une association de consommateurs à la tête d’une entreprise, on modifie simplement ses organes de direction, mais la technique utilisée par la production est obtenue par les mêmes moyens. Or, comme c’est l’ensemble du processus de production qui solvabilise les besoins des clients, l’impossibilité de répartir une production abondante subsiste toute entière ».

Ces lignes sont extraites de « Demain, ou le Socialisme de l’Abondance », édition de 1944, pages 138 et 139.

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A propos des grèves des services publics

par R.-H. LASSERRE
mai 1978

Un de nos abonnés fait une suggestion à partir de l’affirmation suivante qui ne parait pas contestable : dans un pays moderne, aux institutions demo-cratiques comme celles de la France, qui aurait remplacé l’économie de marché par l’économie distributive, il est impensable que les travailleurs des services publics envisagent d’avoir recours a la grève, comme l’ont fait récemment ceux de l’EDF. On ne peut douter que les Français aient désapprouvé ces grèves qui leur étaient imposées par un très petit nombre de travailleurs au mépris de l’interêt général dont ils se réclament parfois.
Cet etat d’esprit devrait rendre les français plus réceptifs aux theses de l’économie distributive exposée par la plume et par la parole de nos militants. Dans ces conditions ne serait-il pas nécessaire et urgent de faire prendre conscience aux françaises et aux Français du fait que le grand developpement dès services publics au cours des dernières années a eu des conséquences insoupçonnées et auxquelles la population n a pas prêté attention, comme le montre Jean-Marie Bressand sous le titre « Les Otages » dans l’article remarquable du « Monde » du 17 décembre 1977 où il développe les points suivants :
« Il y a des syndicalistes qui se sont aperçu que seules les grèves « payantes » sont celles ou le public n’est pas seulement témoin, MAIS OTAGE. Et leur tactique consistait dès lors à faire endurer au plus grand nombre de citoyens possible et même à l’ensemble de la population un certain nombre de désagréments, de contraintes, de dommages, de souffrances et de pousser l’avantage jusqu’aux limites de l’intolérable, AFIN QUE LA PRESSION PUBLIQUE S’AJOUTE A CELLE DES GREVISTES.
Ce n’est ni très moral ni très démocratique ; mais c’est un fait que les grèves des services publics sont devenues de véritables « PRISES EN OTAGE » du peuple français  ».

Avec le développement de la technique, la grève de certains services publics prend l’aspect dune véritable calamité nationale du fait de quelques uns qui ont entre les mains le pouvoir de paralyser le pays. Cela pourrait peut-être permettre de faire obstacle à un danger fasciste, mais aussi de favoriser la prise du pouvoir par un parti minoritaire, dans l’illégalité. (Voir ci-dessous la note de la rédaction).
Citons encore cette réflexion pertinente de J.-M. Bressand : « Quand on pense au luxe de précautions entourant, au niveau du Président de la République, l’opération qui provoquera la guerre atomique, on reste confondu que personne ne se soit avisé que la guerre sociale et économique peut être déclenchée à tout montent par une toute petite minorité qui détient dans ses mains, pratiquement sans contrôle, le sort de la paix civile ».
Ajoutons que l’auteur, ne se bornant pas à critiquer, propose une juridiction similaire à celle dès conseils de prud’hommes pour régler les conflits collectifs survenant dans les services publics.
Un conviendra qu’une telle juridiction cesserait d’avoir une utilité quelconque dans une societe beneficiant d’une economie distributive, en raison dé la complète transformation de la mentalité des travailleurs qui résulterait du changement, de genre de vie qui aurait mis fin au règne de l’argent et aux privilèges d’une classe. Les revendications incessantes, en vue d’un pouvoir d’achat qui est. sans cesse compromis par l’inflation structurelle propre au systeme capitaliste, ne s’imposeraient plus aux travailleurs puisqu’ils seraient assures de fa satisfaction de leurs besoins essentiels avec équité.
Ceci devrait encourager les français à exiger de leurs nouveaux élus qu’ils prennent position sur l’économie distributive qui s’impose chaque jour davantage. Elle respecte la dignité des citoyens par l’attribution à chacun deux d’un revenu social (de base et d’émulation) qui a sa justification dans le lait que chacun de nous a droit à sa part d’usufruit dans l’énorme patrimoine légué par les générations précédentes.

NDLR - Il en serait tout autrement si ces grèves totales étaient remplacées par des GREVES DE GRATUITE. D’abord de telles grèves seraient plus logiques, dans le système capitaliste : nées d’un contrit entre l’Etat-patron et ses employés, elles seraient supportées par celui dont les travailleurs sont mécontents et non pas par les usagers qui ne sont pas responsables du conflit. Mais en plus ces grèves de gratuité mettraient les usagers du côté des travailleurs et montreraient ainsi à tous qu’un service public peut être au service du public, gratuitement, comme en économie distributive. Cette thèse est développée sous l’impulsion de Joseph Pastor, par les Groupes de Salariés pour l’Economie Distributive.

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Démocratisation des prêts au logement ?

par P.-N. ARMAND
mai 1978

« LE Monde » (1) annonce des mesures, en substance celles-ci : Prêts de 20 000 F sur vingt-cinq ans, sans intérêt. L’Etat prend en charge intégralement les cinq premières annuités de remboursement. A partir de la sixième année et pendant vingt ans, l’emprunteur n’a à rembourser, au maximum, que 83 F par mois. Cette somme ne peut aller qu’en diminuant. La qualité de l’habitat sera améliorée et supérieure à ce qu’elle aurait dû être. Voici, résumées, les dispositions prises le 9 décembre 1977 en Conseil des Ministres.
Ainsi pour la première fois en France un gouvernement, que ses adversaires estime encore gaulliste et même de Droite, a pris conscience de la misère de l’habitat des Français et a décidé des mesures financières importantes et intéressantes quoique sans atteindre encore les 65 années de prêt pratiquées en Allemagne fédérale. Mais ces dispositions s’opposent diamétralement aux habituelles libéralités réservées à la sidérurgie, au patronat hôtelier ou à M. Marcel Bloch-Dassault.
Simultanément c’est un coup décisif porté aux calomniateurs prêchant une nouvelle Economie politique. Des mesures de cette nature, sans bouleverser le système financier, s’inscrivent cependant en contradiction de ses principes pour obtenir une atténuation des lésions qu’il engendre.

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Malheureusement, il reste à dire que cette mirifique démocratisation de l’aide au logement », les millions d’intéressés l’attendront encore longtemps d’un gouvernement Raymond Barre.
Il s’agit, en réalité, très humblement, d’une indemnisation allouée à 2 000 bénéficiaires. « Bénéficiaire  » est peut-être même excessif, puisque étant relatif aux malheureux « couillonnés » par Albin Chalandon, ex-ministre de l’Equipement et du Logement, géniteur irresponsable de la maison individuelle à bon marché (*) .
Pour étouffer l’affaire dans l’oeuf et au sein de la cathédrale de Montpellier, que les souscripteurs occupaient depuis une semaine, le gouvernement a tout simplement décidé de payer la note des escroqueries en cascade que cette initiative, mal conduite, avait suscitées.

(1) « Le Monde » du 11-12-77 communiqué par M.-R. Lepage.

(*) N.D.L.R. - Et allouée est excessif aussi, car il s’agit d’un prêt et les « intéressés  » ne sont pas d’accord, ne s’estimant pas responsables des malfaçons.