TELLE est bien, en résumé, l’« utopie » que nous défendons, en l’appuyant par l’analyse des moyens destinés à abolir l’économie de marché, ces conventions de « prix-salaires-profits » d’où viennent, consciemment ou non, tant de criminels gâchis.
Eh bien, voici encore de nouvelles preuves que notre « utopie » est de moins en moins considérée comme telle, et que, par des voies différentes, c’est de tous les côtés que nos contemporains prennent conscience que notre seul tort, comme le disait Jacques Duboin est d’« avoir eu raison trop tôt » !
SALUONS d’abord un bouquin remarquable de courage et de lucidité que nous commentons ci-dessous (1). Intitulé « Travailler deux heures par jour », il est pour nous la preuve que le degré d’absurdité qu’atteignent aujourd’hui les conditions de travail, amène les travailleurs, malgré leur esclavage, à en prendre conscience. Nous aurions évidemment préféré les convaincre tous avant qu’ils en arrivent à ce point. L’important maintenant est qu’ils soient nombreux. Souhaitons donc que ce livre collectif soit beaucoup lu et qu’il fasse partout réfléchir.
Une critique parallèle de notre société est celle de B. Esambert (2) qui montre que sans même le comprendre nous sommes entrés dans la troisième guerre mondiale. Il s’agit d’une guerre un peu différente ; des précédentes puisqu’on se bat aujourd’hui pour vendre alors qu’on se battait autrefois pour prendre aux autres leurs biens. Si cette guerre nouveau style n’a pas été déclarée officiellement, par un porte-parole, c’est qu’elle s’est introduite sous les aspects de la « société de consommation ». Mais ses règles n’en sont pas moins codifiées, même si les anciens Alliés se battent entre eux : l’Europe y apparaît comme une addition d’égoïsmes, une collectivité de marchands avides, conquérants sans âme. Et les misères qu’entraîne cette guerre ne sont ni moins terribles ni moins générales, même si l’un des aiguillons qui lui permet de durer est la peur d’un conflit « ancien style ».
D’un autre point de vue, le sociologue A. Grjebine
(3) interprète cette course à la consommation comme la
peur de l’homme devant le changement de civilisation que nous annonçons.
On pouvait s’attendre à ce que les économistes distingués
soient évidemment les derniers à trouver le chemin de
nos thèses. Aussi incroyable que cela soit, même ce dernier
bastion du système est ébranlé, comme en témoigne
l’anecdote suivante qui vient de m’être rapportée : les
27 et 28 octobre derniers s’est tenu à Bordeaux un colloque pour
célébrer le dixième anniversaire de la création
des départements de « Techniques de Commercialisation »
des Instituts Universitaires de Technologie. L’économiste Guillaume
qui est Maître de Conférence à l’Université
Paris 9 (Dauphine) et à l’Ecole Polytechnique, intervenant sur
« L’évolution de l’environnement économique depuis
dix ans » y fut pris à partie par Alfred Sauvy (qui le
fut ici-même souvent, il faut le reconnaître) , en ces termes
: « Vous me rajeunissez, vous nous ramenez quarante ans en arrière
car je crois en vous écoutant, entendre l’utopie de Jacques Duboin
». Et Guillaume surprit l’assistance en répondant : «
Il n’a sans doute jamais eu autant raison qu’aujourd’hui »...
C’EST donc de tous les côtés qu’est perçue l’absurdité criminelle de la société-de- consommation-pour-le-profit, que nous n’avons cessé de dénoncer. Elle est condamnée par les travailleurs qui en ont assez d’être asservis à un travail dès lors qu’ils n’en comprennent plus le sens ou n’en admettent pas la finalité. Par les femmes qui n’acceptent plus de sacrifier l’épanouissement de leur famille à la course vers un « avoir plus » qui n’est pas un « être mieux ». Par les agriculteurs qui souffrent de voir détruire leur production quand ils ne peuvent pas la vendre « assez cher ». Par tous les économiquement faibles qui savent qu’on détruit ces richesses alors qu’eux-mêmes manquent de tout. Par les écologistes qui voient dégrader un patrimoine dont nous devrions tous nous sentir responsables. Enfin par les économistes qui comprennent que l’inadaptation des règles de notre société aux moyens modernes de production est comme le ver qui ronge de l’intérieur le fruit capitaliste. En un mot par tous ceux qui entendent assumer la responsabilité de leurs conditions de_vie et de leur avenir et ne pas demeurer des moutons de Panurge en proie à toutes les publicités.
CETTE abolition du profit, de la publicité
et de l’absurdité qu’il entraîne, aucun parti ni aucun
syndicat n’en fera son programme si ses électeurs ne le lui réclament
pas. C’est donc par une prise de conscience massive que doit passer
notre action, et ceci est la tâche à laquelle nous donnons
la priorité depuis tant d’années.
Mais il ne suffit pas de l’écrire dans ces colonnes si nous restons
toujours les mêmes à les lire.
IL APPARTIENT A TOUS NOS LECTEURS D’EN PARLER AUTOUR D’EUX, à
tous ceux qui ont compris, d’informer leurs amis, leurs relations, leurs
collègues, de saisir toutes les occasions pour les amener à
réfléchir.
Il existe un moyen bien facile d’aborder le sujet : posez autour de
vous cette simple question :
« Si demain vous étiez assuré, pour vous et les
vôtres, de revenus corrects tout en disposant de beaucoup plus
de temps libre qu’actuellement, à quoi utiliseriez-vous ces loisirs
? »
Envoyez-nous les réponses que vous obtiendrez. Nous les publierons.
(1) Voir page 5.
(2) B. Esambert, « Le 33 conflit mondial », publié
chez Plon.
(3) A. Grjebine, « La Société inutile », dans
« Le Monde » du28 octobre 1977 (voir page 7 dans «
Le fil des jours »).
« Créons de nouveaux emplois, il y a
trop de chômeurs ».
Voici le refrain que nous chantent les dirigeants et les dirigés.
Pour cela, il faut exporter coûte que coûte. Curieux raisonnement.
Lorsqu’il y avait le plein-emploi, on n’exportait pas plus ni moins
qu’aujourd’hui. Tous les pays développés en technique,
mais pauvres en pensée réfléchie, disent la même
chose. Comment voulez-vous dès lors arriver à une juste
répartition. Je dis que l’on ne pourra jamais satisfaire une
politique de plein- emploi dans nos pays dits civilisés.
En effet, pour créer de nouveaux emplois, il faudrait créer
des usines fabriquant du futile, du médiocre, du nuisible et
de l’inutile. Or, pour le moment, nous travaillons déjà
dans de telles usines. Ces usines-là profitent uniquement aux
industriels et aux puissances financières qui sont responsables
du plus révoltant gaspillage et de la plus grande pollution de
tous les temps.
Une seule solution s’impose pour bannir le chômage définitivement
: les hommes doivent travailler moins d’heures par jour, chacun disposant
d’un revenu social pendant toute sa vie. C’est tout simple mais pour
vivre dans cette simplicité, il ne faut plus accepter un système
économique- financier basé sur les prix, les salaires
et les profits.
Les hommes doivent prendre conscience de l’économie distributive
dont la monnaie deviendra l’instrument d’équilibre entre la production-consommation.
Cette réalité, cette simplicité, cette logique,
cette joie de vivre correctement semblent encore peu claires dans les
esprits.
Etudiez donc l’économie distributive et faites preuve de pensée
réfléchie.
TECHNOLOGIE ET POLITIQUE
DANS LE DOMAINE DE LA TELEVISION, COMME DANS TOUT AUTRE, LES MOYENS TECHNOLOGIQUES OFFRENT DES POSSIBILITES A CEUX QUI LES MAITRISENT. CES MOYENS PEUVENT DONC DEVENIR ASSERVISSEMENT OU PROGRES : ASSERVISSEMENT TANT QU’ILS RESTENT ENTRE LES MAINS D’UN POUVOIR CENTRALISE (PUBLIC OU PRIVE), PROGRES DES LORS QU’ILS SONT MIS AU SERVICE DES BESOINS DES POPULATIONS.
LES moyens de communication modernes ne connaissent
pas de frontières. Les nouvelles technologies, dont nous avons
donné un aperçu dans le numéro précédent,
permettent de distribuer des programmes de radio ou de télévision
dans le monde entier, de diffuser informations, éducation, culture
ou variétés dans tous les pays et à des peuples
de langues et de cultures différentes.
En particulier, les problèmes soulevés par l’éducation
des populations isolées sont en voie d’être résolus
par l’utilisation de méthodes audiovisuelles (et notamment par
la télévision scolaire).
Mais, jusqu’à présent, un des problèmes techniques
les plus importants auquel on se heurtait était la difficulté
de disposer en des lieux d’accès malaisé de sources autonomes
d’énergie électrique. La solution la plus courante consistait
à mettre en place des groupes diesel électrogènes
dont l’inconvénient majeur était qu’ils nécessitaient
un approvisionnement relativement fréquent en carburant et un
entretien important.
Les progrès effectués depuis une dizaine d’années
dans la fabrication et la fiabilité des cellules solaires permettent
maintenant d’envisager leur généralisation comme source
d’alimentation autonome. C’est une solution d’autant plus intéressante
qu’elle concerne généralement des pays bénéficiant
d’un ensoleillement important.
Une première réalisation expérimentale, en ce qui
concerne la télévision scolaire, a été faite
au Niger dès 1968. Elle a été suivie depuis peu
par plusieurs autres.
La télévision scolaire n’est évidemment pas le
seul domaine d’application des cellules solaires qui sont maintenant
de plus en plus utilisées toutes les fois que l’on a affaire
à des installations de télécommunication implantées
dans des lieux difficiles d’accès comme c’est souvent le cas
pour les réémetteurs de télévision en région
montagneuse, les relais hertziens, les balises marines, les balises
lumineuses ou radioélectriques nécessaires à la
sécurité de la navigation aérienne.
C’est qu’en effet au bout de quelques années de fonctionnement,
les cellules solaires deviennent rapidement compétitives, bien
que leur coût de fabrication demeure encore relativement élevé.
On a pu d’ores et déjà constater que, sur une période
de dix ans, les prix du kilowatt-heure électrique étaient
les suivants, selon qu’ils étaient produits par :
- un groupe diesel 16,95 F
- un générateur thermoélectrique 26,05 F
- des cellules solaires 10,50 F
Qui plus est, les recherches actuellement poursuivies
sur les cellules solaires utilisant du silicium amorphe (et non plus
du silicium cristallisé) permettent d’espérer rapidement
une division des coûts par 100 ou 200, ce qui abaissera considérablement
le prix de revient du Kilowatt électro- solaire.
Mais si, comme nous venons de le voir brièvement, existent les
moyens technologiques pour assurer l’instruction des populations isolées,
de nombreux problèmes, politiques eux, subsistent.
En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que communication
signifie puissance et que le contrôle des mécanismes et
du contenu des systèmes de communication d’un pays permet soit
aux pouvoirs publics, soit à des groupes d’intérêts
privés, de contrôler d’importants aspects de l’appareil
de prise de décisions d’une société humaine ainsi
que les symboles culturels et politiques qui unissent cette société.
Quant aux moyens internationaux de communication, il est bien évident
qu’ils reflètent les valeurs et les priorités de certaines
sociétés d’une manière disproportionnée,
les pays les plus avancés en la matière jouant le rôle
de gardiens de la communication, ce qui risque, à l’avenir, d’accroître
le monopole des pays exportateurs et d’entraver encore plus la liberté
des pays importateurs ainsi que leurs possibilités de développer
leurs propres systèmes, seuls capables d’exprimer les valeurs
culturelles locales.
Comme dans d’autres domaines, c’est donc seulement la volonté
politique qui manque pour promouvoir un système réellement
décentralisé permettant d’être à l’écoute
des véritables besoins des populations.
Lectures
SOUS ce titre est paru, aux éditions du Seuil,
un livre collectif qui a l’énorme mérite de poser le vrai
problème pour l’immense majorité des travailleurs : l’habitude,
la religion du travail ; à tel point que nous y perdons toute
personnalité, toute possibilité d’observation critique
et que nous arrivons à croire qu’en travaillant plus nous vivrons
mieux, ce qui s’avère, réflexion faite, à l’opposé
de la réalité.
Plusieurs témoignages courageux permettent de comprendre. C’est
d’abord celui d’un ouvrier de la chaussure, astreint au régime
des 3 x 8. Travailler 8 heures d’affilée l’avait séduit,
parce qu’il s’était imaginé avoir ainsi plus de temps
libre. Il a compris quand il s’est aperçu qu’il était
tellement fatigué qu’il ne se contrôlait plus : «
Au bout d’un moment », explique-t-il, « tu arrives à
être tellement crevé que c’est plus ton esprit qui marche,
mais des flashes publicitaires... Intellectuellement, tu ne vaux plus
rien, d’abord pour la bonne raison que tu serais incapable d’écouter
quelqu’un ». Plus de vie affective, plus de relations humaines
; la hantise du boulot, la porte ouverte à tous les slogans et
à tous les racismes. L’annonce d’une réduction des horaires
fut ressentie comme une privation : « On va y perdre tant et tant
de fric ». Puis, petit à petit, ce fut la découverte
plus ou moins lente, d’une vie meilleure « et la notion de fric
a vachement perdu d’intérêt ». Et la réflexion
« Si il y a un truc dingue, c’est que d’un côté les
mecs bossent et de l’autre, d’autres gaspillent ».
Une ouvrière des chèques postaux décrit son travail
idiot. « Si je suis venue au mi-temps », explique-t-elle,
« c’est dans l’idée de pouvoir faire un petit peu autre
chose, de réfléchir plus... Avoir une chaîne Hi
Fi, ça ne m’intéresse pas ; mais ce que le veux c’est
avoir du temps pour vivre réellement, être avec les miens,
voir des amis avec qui on parle... La majorité des gens ne sont
pas prêts à ça et revendiquent ce travail comme
la valeur première de leur vie. Ils existent par leur travail,
par leur voiture, par leur paraître, mais ils ne pensent pas qu’il
y a plein d’autres choses à faire qui ne se voient pas mais qui
font qu’on est des êtres humains, sinon on est quoi ? Des espèces
de machines complètement hébétées, vides...
» Parlant de son père, « Il n’a existé que
par nous » constate-t-elle, « il est lui aussi d’un milieu
très pauvre, où on n’a que sa force physique à
donner : mais il n’a pas rempli sa tête et maintenant qu’il ne
peut plus travailler il est au bord de la dépression ; bien qu’il
soit fragile, il veut quand même travailler encore parce que ou
on travaille ou on meurt ». Elle a essayé d’amener ses
camarades de travail à comprendre, « Mais il y a cette
espèce de résignation, cette fatalité du travail,
qu’on ne veut pas remettre en question : je crois que c’est parce qu’on
ne veut pas SE remettre en question et envisager sa vie autrement, qu’on
est tout vide, tout creux. »
Un docker de Saint-Nazaire va plus loin. L’influence, pourtant curieusement
inavouée, de Jacques Duboin, apparaîtra à tous nos
lecteurs quand ils liront, par exemple : « Dans le mouvement ouvrier,
ça doit quand même être un objectif de réduire
le temps de travail, mais reste à trouver les moyens pour y parvenir...
Avec les machines, la mécanisation, tous les progrès,
de la productivité qu’il y a eu depuis 50 ans... c’est sûr
qu’on pourrait travailler beaucoup moins... La production s’est mise
à croître en même temps que le chômage. D’où
la crise... Palliatif : la destruction des marchandises ! Il y a eu
303 décrets votés entre 1929 et 1939 pour détruire
les marchandises excédentaires. Votés à l’unanimité,
députés de droite et de gauche, pour lutter contre une
surproduction généralisée qu’ils n’arrivaient plus
à éliminer. Et malgré cette augmentation de productivité,
les militants ouvriers ont continué avec les mêmes revendications
qu’avant : « garantie d’emploi » au lieu de « dissolution
salaire et emploi », et de se battre pour la garantie du salaire...
Moi, la mécanisation, je suis pour, je t’assure que je préfère
qu’il y ait une machine pour faire mon travail parce qu’autrement le
soir, tu sais, il n’y a pas besoin de me bercer ». Et ce camarade
montre par des exemples combien de boulots, des plus pénibles,
ont disparu déjà grâce aux machines. Il ajoute :
« une chose qui nous a frappés, quand on était sur
les bateaux à blé, il y avait plus de personnel pour le
rendre impropre à la consommation domestique (le « dénaturer
») que pour charger le navire ! » Et, pour lui aussi «
il n’y a pas d’égalité possible entre les hommes si il
n’y a pas au moins une égalité économique au départ
».
Une secrétaire explique que « réduire à la
bonne foi des personnes (parfois inconsciemment) de mauvaise foi, cela
a été une lutte personnelle » difficile.
Un retraité, qui commença à quatorze ans un apprentissage
de serrurier, remarque « Pourquoi les gens ne réfléchissent
plus, pourquoi ne prennent-ils plus de responsabilité ? Parce
qu’on leur mâche tout, même les choses les plus simples
». II omet ici d’ajouter« pour en tirer un profit ».
Mais ii conclut « Il y a des gens qui finissent par ne plus avoir
aucun intérêt à rien parce qu’on ne fait plus appel
à leur intelligence... Une fois qu’ils sont privés de
travail... il ne savent plus quoi faire... ils n’ont jamais pensé...
à la façon dont ils pourraient occuper leur temps, aux
services qu’ils pourraient rendre à la société...
Pour l’homme de 1976, être chômeur c’est pire que d’être
malade ! » Ce philosophe, plus sain d’esprit que nos économistes
et nos politiciens, tous réunis, sait que « Savoir vivre
dans un milieu, dans une société, sans en être l’esclave...
c’est déjà une richesse ». Il analyse tellement
bien le rôle joué par la publicité pour nous pousser
à l’aliénation au travail qu’il trouve cet exemple savoureux
: « Bientôt, si on invente un nouveau truc pour se torcher
je sais bien quoi, tous ceux qui ne l’auront pas se sentiront malheureux...
On esquinte tout pour une production de trucs qui ne sont même
pas utiles... quand on pense aux millions de travailleurs asservis bêtement
à des choses comme çà ! »
Ces témoignages sont tellement intelligents, tellement bien exprimés,
que c’est tout le livre qu’il faut lire et pas seulement ces quelques
extraits.
L’un des responsables de ce travail a pris la peine de se documenter, en scientifique, pour voir si oui ou non, il est absurde d’imaginer qu’on pourrait tous ne « travailler que deux heures par jour » et cependant produire assez. Cette recherche, si parallèle aux nôtres, l’a conduit bien évidemment à partager notre « utopie ». Il trouve ainsi le courage d’entrevoir une société sans profit, dans laquelle le travail nécessaire est partagé entre tous. C’est ce qu’il appelle le travail « lié », le distinguant du travail « libre » dont chacun pourra alors meubler ses loisirs en y trouvant l’épanouissement de sa personnalité. Il ne manque plus à ce projet que l’indication sur les règles économiques rendant possible cette répartition du travail et des revenus et qui constituent l’économie distributive. Mais l’auteur en a défini l’essentiel et a parfaitement compris à quel point sa réalisation passe par le prise de conscience de l’aliénation au sacro-saint PROFIT.
« On n’accepte plus les chèques »
ou « On n’accepte les chèques qu’à partir de 100
F », formules déjà vues chez les petits commerçants.
Une pièce d’identité étant toujours exigée.
Maintenant, les banques n’acceptent à leurs guichets que les
chèques des personnes ayant un comptent chez elles. En refusant
les chèques de leurs consoeurs, elles renient, contestent, mutuellement,
leur propre mécanisme. Ces organes essentiels du système,
que sont les banques, n’ont plus confiance en leur propre institution
!
Le fait paraît si énorme que confirmation en a été
demandée à la Banque des Banques, celle de France. Laquelle
affirme : « Un créancier n’est pas tenu d’accepter un chèque
en paiement ». (Lettre du Secrétaire général,
M. P. Strohl, du 11 juillet 1977).
Cependant, l’Etat, l’Etat lui-même, va plus loin. Il refuse, en
la personne des P.T.T., les chèques de ses propres C.C.P., à
ses guichets. En effet, si pour vous acquitter, par exemple, d’un achat
de timbres-poste en gros, vous présentez un chèque C.C.P.
assorti de votre carte nationale d’identité, il vous sera refusé.
(L’exception à cette règle peut être faite si vous
êtes personnellement connu des employés). Cette attitude
nouvelle est, paraît-il, exigée par la Banque de France.
L’incidence en la matière n’est pas évidente. Ainsi l’Etat,
par le ministère des Télécommunications, bloque
des fonds que ses clients lui ont confiés, n’acceptant de s’en
désaisir que lors de virements internes de compte à compte.
D’autre part, depuis janvier 1976, une disposition légale impose
au banquier de « faire figurer l’adresse du domicile sur les formules
de chèques ». Une banque va plus loin. Elle annonce, par
triomphalisme publicitaire, que sur ses chèques s’imprime la
trombine du seul qui lui concède encore un peu confiance : son
client.
Dans la même optique, les C.C.P. n’admettent plus de libeller
leurs chéquiers avec pour domiciliation une Boîte de commerce
(ou postale) ; alors que pour en disposer d’une, moyennant abonnement
annuel, il faut satisfaire à une enquête constitutive d’un
dossier. L’utilisateur est parfaitement connu. La Poste confond Boîte
postale et Poste restante !
Jacques Duboin a comparé notre bien-aimé système
capitaliste à une vieille chambre à air se perforant un
peu plus chaque jour et sur laquelle les morticoles de la Finance collent
rustines sur rustines. Aujourd’hui, il n’y a plus de chambre à
air. Ce sont les rustines, surajoutées en couches de plus en
plus épaisses qui constituent la chambre.
Décidément, quoi qu’en pensent certains,
nos idées progressent à grands pas.
C’est ainsi que dans la rubrique « Idées » du Monde
du 28 octobre dernier, André GRJEBINE, Maître de conférences
à l’Institut d’études politiques, après avoir évoqué
l’angoisse qui étreint un nombre toujours plus grand de travailleurs
de tous ordres à l’idée de l’inutilité, voire de
la nocivité, de leur travail, écrit : « une saturation
progressive des biens de consommation, l’automatisation, enfin les limites
à la capacité du tertiaire d’offrir sans cesse de nouveaux
emplois, laissent prévoir une modification de cet état
de fait. En revanche, la généralisation des allocations-
chômage, voire dans un avenir prévisible celle du maintien
du revenu en cas de perte ,d’emploi, devrait rendre moins incertaine
la situation économique des sans-emploi. On peut donc penser
que, d’ici quelques décennies, le problème majeur sera
moins d’être rémunéré que d’avoir une occupation
dont on perçoit l’utilité. »
Et d’ajouter plus loin : « Le degré de productivité
auquel sont parvenues les sociétés industrialisées
doit leur permettre de pourvoir en un minimum de temps à leurs
besoins matériels et d’en consacrer toujours davantage à
l’épanouissement du défi humain. D’une part, en améliorant
sans cesse notre capacité de comprendre et de contrôler
l’univers ; d’autre part, en renforçant une solidarité
humaine dont l’expérience a montré qu’elle était
aussi aléatoire dans la pénurie que dans la consommation
acharnée qui caractérise actuellement nos sociétés.
»
*
Le 15 novembre dernier, à la demande du Président
de la République, le Premier Ministre a réuni les Ministres
et Secrétaires d’Etat afin de définir « les objectifs
d’action » du gouvernement gui lui succéderait lors de
la prochaine législature. Malgré le « rigoureux
secret » exigé par R. BARRE, on a pu savoir entre autres
choses que Mme Simone Veil avait parlé de la « nécessité
d’assurer à chaque citoyen un minimum de ressources, de protection
sociale et de soins ».
J. DUBOIN, lui. aurait proposé un « maximum de ressources
» pour tous. Mais n’est-ce pas déjà un bon début
de la part d’un ministre d’un gouvernement de droite ?
*
Confirmant cette évolution, le ministre du Travail vient d’annoncer que, dès le 1er janvier prochain, la garantie des ressources sera assurée aux handicapés. Cette garantie ira de 90 à 140% du S.M.I.C. suivant la catégorie dans laquelle est classé le handicapé.
*
Toujours dans le même esprit. le Conseil des
ministres du 30 novembre dernier a chargé le secrétaire
d’Etat au Tourisme d’entreprendre une étude sur les possibilités
de développement des aides directes aux ménages les moins
favorisés pour faciliter leur départ en vacances et notamment
sur l’institution d’un titre-vacances.
Si du côté de la garantie des ressources il semble comme
on vient de le voir, que nos idées font leur chemin il n’en est
pas encore de même en ce qui concerne les problèmes du
chômage, de la hausse des prix ou de la surproduction. On nous
propose toujours les mêmes remèdes aussi périmés
qu’inefficaces.
C’est ainsi que les ministres de l’Agriculture des neuf pays membres
du Marché Commun ont décidé d’octroyer aux producteurs
de houblon une prime d’environ 10 400 francs (nouveaux !) par hectare
arraché, afin de réduire les excédents qui s’élèvent
à environ 6 000 tonnes par an.
*
Dans le même ordre d’idées, le baptême
à St-Nazaire, le 8 octobre dernier, du plus grand pétrolier
du monde, (550 000 tonnes, 414 mètres de long) s’est fait dans
la plus grande morosité.
C’est qu’en effet on ne sait plus qu’en faire et que sa mise en service
amènera le désarmement de trois pu quatre pétroliers
ou méthaniers qui iront grossir la flotte des 500 ou 600 navires
qui attendent dans les fjords norvégiens un hypothétique
frêt.
Quoi qu’il en soit, le « Pierre Guillaumat », (c’est le
nom du pétrolier en question qui a coûté 550 millions
de francs) est parti le 28 octobre pour le golfe Persique pour ramener
sa cargaison de pétrole brut aux raffineurs français dont
« on déplore l’inquiétante surcapacité »
de raffinage. Ce qui a amené le Président d’Elf Aquitaine
à déplorer l’obligation faite aux entreprises de vendre
le pétrole raffiné en dessous du prix de revient et à
déclarer : « Nous attendons avec confiance les initiatives
du gouvernement français pour soutenir notre industrie et préserver
l’emploi dans ce domaine ».
Gageons que M. BARRE ne restera pas insensible à cet appel...
et déplorera ensuite la hausse du croissant.
*
Dans la construction navale, les années 1978,
1979 et 1980 s’annoncent désastreuses. Les experts de la Communauté
Economique Européenne proposent donc aux Etats membres une réduction
de 40 % du potentiel de production, ce qui se traduira principalement
d’ici à 1980 par la mise au chômage de plus de 80 000 travailleurs.
Tout ceci, bien sûr, au nom de la sacro-sainte compétitivité,
chère au libéralisme économique.
*
Dans ce domaine, comme tant d’autres, l’ennemi n° 1 est le Japon... dont l’appareil de production ne tourne qu’à 80 % de sa capacité.
*
A propos de compétitivité, nos dirigeants évitent de nous parler de celle des salaires. Dans un rapport de 1975, demeuré confidentiel, le ministre français du Travail notait que les rémunérations des ouvriers français étaient inférieures de 20 à 30 %à celles des ouvriers allemands.
*
Un laboratoire de Caen fabrique un produit appelé métaclotranide et le vend à la Belgique au prix de 100 francs le kilo. De là il part pour la Suisse à qui les Laboratoires Delalande le rachètent à 4 000 francs le kilo pour fabriquer le Primpéran et le revendent aux Normands à 8 000 francs le kilo. Sans ce petit voyage en Europe on l’aurait payé 200 francs au détail !
« L’INFLATION c’est un problème qui nous
concerne TOUS » vient de nous dire notre Premier Ministre Monsieur
Raymond BARRE.
Cela donne à réfléchir ! Me sentant ainsi mis en
cause, dans une certaine mesure (pour Un cinquante millionième)
par le plus grand économiste que le Monde entier nous envie,
je me suis dit que peut-être... étant donné que...
à supposer que Jacques DUBOIN se soit trompé, j’étais
en train de participer à la ruine de notre monnaie.
Je me suis donc précipité sur mon « Nouveau Petit
LAROUSSE en couleurs » et j’ai trouvé :
INFLATION (du lat. Inflare= enfler). Déséquilibre économique caractérisé par une hausse générale des prix, et qui provient de l’excès de pouvoir d’achat de la nasse des consommateurs (particuliers, Entreprises, Etat) par rapport à la quantité des biens et des services mis à leur disposition.
Augmentation excessive : Inflation de fonctionnaires.*
L’Inflation de fonctionnaires ne pouvant pas être
retenue, alors que l’on demande à cor et à cri de créer
des emplois, il reste donc la définition claire et précise
sur laquelle, hélas, les deux parties mises en cause
sont diamétralement opposées. Les consommateurs (particuliers,
Entreprises, Etat) se plaignent, tous, de manquer de pouvoir d’achat...
Les commerçants, dispensateurs de biens et de services se plaignent,
tous, de leurs magasins et resserres bourrés de marchandises
et du manque ruineux de clients...
Mais le Petit Larousse peut-il être pris en considération
par un scientifique de l’Economie ?
Mon petit-fils, Michel, étudiant en Sorbonne, Sciences Economiques
: Licence, Maîtrise, D E A (Diplôme d’Etudes Approfondies)
prépare son doctorat. En furetant dans ses livres de cours, je
ne devais pas manquer de trouver une explication valable à ce
qui devenait, pour moi, un grand mystère. Et j’ai trouvé
un tout petit livre, avec un gros titre : - INFLATION -. Ça y
est, pensais-je, le mystère va s’éclaircir. L’auteur R.
BARRE. Non, je ne dis pas Raymond, car il y a des René, Robert,
Raoul, Rodolphe, Roland... mais enfin Raymond ou pas, j’allais être
fixé.
1re page, en haut :
« L’Inflation est un phénomène complexe aux
aspects variés ».
1re page, au centre :
« Prenons le risque d’un départ abrupt et d’un tour
elliptique ».
(Le Petit Larousse se fige).
« L’inflation est un processus de hausse générale
des prix, ou, exprimé autrement, une diminution du pouvoir d’achat
de la monnaie ».
Plus de relation de cause à effet. (Le P.L. s’évanouit).
2e page :
« La définition que nous proposons pourrait être
développée. On désignerait alors par le terme d’inflation,
un mouvement de hausse dispersée des prix, qui s’entretient de
lui-même, et qui est dû à une insuffisance relative,
à un certain moment, des offres spontanées par rapport
aux demandes formulées aux prix courants du début de la
période d’analyse ».
Et voilà pourquoi votre fille est muette.
(Le Petit Larousse disparaît).
En effet, le départ est abrupt et le tour elliptique, mais je
me demande pourquoi R. (Raymond) va chercher plus loin, puisque le mouvement
de hausse dispersée des prix... s’entretient de lui-même.
Alors, des deux R, quel est celui qui a raison ?
L’INFLATION nous concernet-elle TOUS ?
Je comprends, à ne considérer que la définition
scientifique, que nous soyons nombreux à y comprendre goutte,
donc à ne pas nous sentir concernés !
ETRANGER
L ’ECONOMIE américaine repose sur le dogme de la libre entreprise et les Américains, en toute circonstance, et singulièrement à l’occasion des élections, sont invités à en préserver la pureté. Le dogme ne court pourtant pas grand risque de manquer d’adeptes outre-Atlantique comme le prouvent les fréquentes dénonciations et condamnations d’une bureaucratie stérilisante, juste bonne pour les pays de l’Est. ; Et tout le monde sait qu’ils en crèvent.
Le citoyen américain, cependant, lorsqu’il reçoit
ses feuilles d’impôt, ne peut que constater que la facture qu’il
paye au gouvernement fédéral, aux bureaucrates de Washington,
est au moins aussi élevée que celle qu’il paye au gouvernement
de son Etat et à celui de sa ville. Pas plus que son confrère
européen, le contribuable n’est heureux.
Il comprendrait mieux son sort et le pourquoi des impôts qu’il
paye en rechignant s’il se penchait sur l’article que le « Scientific
American », désormais publié en français,
a fait paraître en décembre 1976. En voici les points essentiels.
Au pays de la libre entreprise, le secteur public est responsable d’au moins un quart des emplois. Certes, les statistiques officielles se veulent rassurantes et ne reconnaissent que 13 millions et demi de « fonctionnaires » sur une population active d’à peu près 85 millions, soit un sixième environ. Mais si on regarde de plus près on constate que le gouvernement fédéral fait vivre, par ses commandes de fournitures et d’armement, un peu plus de 7 millions d’Américains dont le patron est un chef d’entreprise du secteur privé. Comme les salaires de ces travailleurs proviennent en totalité des fonds publics et puisque leur production va toute entière à la communauté, on pourrait bien ranger ces travailleurs au côté des fonctionnaires et, ainsi, on arriverait à un total de 20 millions et demi d’Américains dépendant entièrement du secteur public, soit environ un travailleur sur quatre.
Et que dire des écoles, des églises (et Dieu sait qu’elles sont nombreuses), des syndicats, des associations, toutes entreprises non lucratives, qui emploient près de 5 millions de personnes et, comme le gouvernement, passent des commandes au secteur privé. Il y a encore les transports, les télécommunications, les fournisseurs d’énergie, l’agriculture, la banque, l’assurance qui tous travaillent sous le contrôle, plus ou moins direct, du gouvernement fédéral, pour montrer, s’il en était besoin, que la libre entreprise ne rend pas compte de la totalité de la production américaine. Quant aux gouvernements d’Etats et aux municipalités, elles ont vu leurs dépenses croître considérablement en peu de temps. Entre 1950 et 1974, le nombre de leurs employés s’est augmenté de 174 % alors que, pour l’ensemble de la nation, le nombre des emplois s’élevait de 46 %.
Il est donc bien clair que le secteur public, ou tout
le moins, à but non lucratif, c’est-à-dire, non privé,
joue, aux Etats-Unis, un rôle grandissant.
D’abord, parce que le citoyen demande à ce secteur à but
non lucratif ce que l’autre ne saurait lui donner faute d’en tirer des
profits, à savoir, la défense, l’éducation et la
santé. Ensuite, parce que les services tiennent une place de
plus en plus importante dans l’économie américaine alors
que les autres secteurs (agriculture, mines et industries) voient leur
production stagner ou même franchement décroître.
Or, les services représentent une activité indispensable
qui répond aux besoins du consommateur mais aussi du producteur
qui les utilise largement sous forme de publicité, banque, conseil
juridique, etc.
S’il est vrai que l’Amérique nous montre la voie, force est de reconnaître que l’activité économique va en se diversifiant, que l’ère d’une production industrielle effrénée est sur le déclin, que l’Etat doit prendre en charge les activités jugées non rentables par le secteur privé et qu’il est temps de refermer le livre où Adam Smith disait que toute activité qui ne débouche pas sur une marchandise est stérile. L’Economie Distributive est- elle encore si loin ?
LES QUESTIONS AGRICOLES :
Répondant à l’appel de J. MESTRALLET,
notre camarade Jean MATEU nous parle des problèmes du midi méditerranéen.
Nous remercions ces camarades d’avoir répondu à notre
demande d’engager de tels dialogues dans nos colonnes.
C’est un exemple à suivre !
D’EMBLEE je me déclare entièrement d’accord
avec J. MESTRALLET en reconnaissant la supériorité de
la culture agrobiologique sur la culture agrochimique, son antithèse.
Mais est-ce là le problème ? Je ne le pense pas : en effet,
quels que soient les mérites des adeptes de l’agrobiologie, et
les résultats qu’ils obtiennent, et qui sont évidents,
il n’en reste pas moins que la généralisation de la culture
agrobiologique butera toujours contre les impératifs de l’économie
marchande.
Pour réussir pleinement, la culture agrobiologique, comme toute
autre manifestation d’ordre écologique, postule une planification
rationnelle - j’entends humaniste, non totalitaire - dont l’avènement
n’est pas pour demain. Au surplus, le mal est fait : les oiseaux sont
partis, sinon pour toujours, du moins pour très longtemps.
En attendant, le producteur ne voit d’autre solution à ses problèmes
que dans la fuite en avant, visant avant toute considération
de diététique ou de morale, l’obtention de hauts rendements.
Le Roussillon ne fait pas exception à la règle, en appliquant
justement les méthodes de « forcing » en complément
du soleil, avantage naturel gratuit, et inappréciable pour une
région à vocation primeuriste.
D’où, pour les cultures maraîchères et fruitières,
irrigation, engrais à doses massives, traitements polluants intensifs,
cultures sous serre, utilisation de toute la gamme des fongicides, tailles
appropriées, éclaircissage selon les variétés,
etc...
Bref, mise en oeuvre de toutes les techniques visant au même résultat
: précocité des récoltes et production maximale
avec de moins en moins de main-d’oeuvre.
Le résultat ? des récoltes optimales.
Le hic, c’est lorsqu’il s’agit de commercialiser une récolte
dépassant la capacité d’absorption du marché solvable.
C’est cet aspect de la question qui. à mon avis, prime tout.
En ce qui concerne, la vigne, dont les traitements de base restent encore
le soufre et le sulfate de cuivre (rien donc de changé quant
aux innovations biologiques), il faut distinguer les ténements
de faible ou moyenne production mais à haut degré, souvent
plantés sur des sols ne se prêtant pas à d’autres
cultures, de ceux à haut rendement mais à faible degré,
produisant des vins médiocres sollicitant le coupage.
C’est ce dernier secteur de la viticulture, particulièrement,
développé dans le midi méditerranéen, qui
est le plus touché par l’évolution des progrès
techniques. Nous n’en sommes plus à la révolte de 1907
mais Montredon reste trop présent à nos mémoires
pour ne pas souhaiter qu’un effort soit fait en vue de populariser nos
thèses parmi les viticulteurs.
Nous assistons en effet, et ce depuis longtemps déjà,
à une mutation complète des activités rurales sans
que les dirigeants des instances professionnelles veuillent bien se
donner la peine d’éclairer leurs mandants sur ses conséquences.
Il m’est arrivé de m’adresser à plus d’un représentant
qualifié et de lui demander, par exemple, ce qu’il entendait
(dans le régime) par « solution socialiste dirigiste ».
L’un d’eux écrivait dans un des plus importants quotidiens du
Midi : « Dans un univers capitaliste, le sort des hommes est déterminé
par les lois du marché fondées sur le profit. Tout le
reste est littérature et manipulation. »
Peu après, M. Verdale, à Nîmes, s’exprimait ainsi
: « Nous croyons qu’il est impensable que le marché viticole
continue dans la voie du libéralisme. » Je pourrais à
l’infini multiplier les citations. A quoi bon ? Tout le monde est d’accord
pour condamner un système qui n’apporte qu’insatisfaction quand
ce n’est pas le désordre, avec toutes ses conséquences.
D’où, pour nous, l’impérieux devoir d’essayer de faire
admettre, au plus grand nombre possible, l’idée, qui nous tient
à coeur, d’un REVENU SOCIAL.
Des milliers de petits exploitants se trouvent virtuellement exclus
du circuit des échanges, ne subsistant nue grâce aux subterfuges
propres au système qui vont des prêts aux subventions,
en passant par les indemnisations pour cause de sinistre et finissant
à la maigre retraite où à l’indemnisation viagère
de départ après intervention des S.A.F.E.R., faisant d’eux
des assistés permanents. Il faut expliquer à tous ces
exclus qu’ils n’ont rien à perdre en troquant leur statut d’exploitant
pour celui de fonctionnaire appointé au même titre nue
nombre d’autres participants à des activités similaires
qui bénéficient, eux, des avantages de la sécurité
de l’emploi et d’un traitement garanti.
Un jour de barrage de route et autres aménités, il m’est
arrivé de demander : « à quoi rime tout ce gaspillage
de forces, ce déploiement de banderoles, ces brimades envers
les passants, puisque vous allez vous retrouver gros jean comme devant
avec vos chais débordant de vin que vous ne pare venez pas à
écouler avec profit ? »
Un brave manifestant de ma connaissance me répondit devant plusieurs
de ses collègues : « J’ai souvent pensé à
ce que vous me disiez un jour qu’on ne lutte pas contre l’abondance
et que ce n’est pas tout de produire mais qu’il faut encore vendre.
Et il est évident que, devant des stocks dépassant les
besoins solvables, il n’y a rien à faire. » « Sauf
distiller, ajoutai-je, et aux frais de tous. Est-ce une solution ? Ne
vaudrait-il pas mieux, pour vous, producteurs, continuer à produire
sans souci de débouchés ? En fait de soucis, vous avez
déjà ceux, et ils sont sérieux, de faire «
venir une récolte ». Pourquoi devoir y ajouter ceux de
son écoulement ? A la collectivité le soin d’y veiller,
à vous de produire et c’est tout. En échange, bien entendu,
d’un revenu que nous appelons social. Pensez-y ! »
Songeons donc à l’impact que cela produirait si quelques exemplaires
de « La Grande Relève » traitant de ces questions
pouvaient être diffusés parmi les intéressés,
dirigeants compris. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, parmi
eux, se trouvent déjà ceux qui ont eu l’occasion de se
déclarer « insolidaires » du régime des échanges
(sans parvenir, il est vrai, à en tirer les conclusions adéquates).
En leur mettant sous leurs yeux leurs propres déclarations suivies
de nos arguments, cela permettrait d’attaquer efficacement tout l’arsenal
de préjugés et de lieux communs dont ils abreuvent leurs
troupes.
Quant au paysan de « base », il répugne à
la destruction de denrées, sous forme de distillation pour le
vin, de retraits pour les fruits et les légumes. Il a conscience
de l’absurdité de tels procédés. Qu’on lui montre,
argumentation irréfutable à l’appui, la possibilité
d’échapper à cette situation et le voilà devenu
réceptif à d’autres solutions. Il va se mettre à
réfléchir. Le reste suivra. Fi comme personne d’autre
que nous ne peut lui exposer un raisonnement convainquant...
Il y a là un effort à faire.
Réponses aux objections :
PARMI les objections que l’on oppose à l’Economie
Distributive, il en est une que nous devons réfuter : elle concerne
le Service Social.
Après avoir constaté que le régime capitaliste
devait céder la place à une nouvelle économie,
nos interlocuteurs admettent volontiers (puisqu’il ne s’agit plus de
produire, mais de distribuer) qu’un revenu social pour tous pourrait
constituer la base d’un pouvoir d’achat généralisé.
Cependant, après avoir accepté ce principe, ils estiment
qu’il serait difficile de faire fonctionner sa contre-partie : le Service
Social obligatoire pour tous.
Nos contradicteurs craignent, en effet, que l’égoïsme qui
est à la base psychologique de nos comportements, ne l’emporte
de beaucoup sur la raison, et le sentiment d’accomplir une action méritoire
pour l’ensemble de la collectivité. Ils estiment surtout que
peu de personnes accepteront d’effectuer un travail forcé sans
en recevoir u n bénéfice direct et personnel.
Ils craignent, de ce fait, que la production (même effectuée
largement par les machines) et surtout la distribution, en soient perturbées.
Enfin, ils nous demandent quelles sanctions seraient applicables à
ceux qui refuseraient de travailler dans ces conditions.
Tout d’abord nous admettons volontiers que le terme « Service
Social » peut choquer beaucoup de citoyens auxquels il rappellerait
l’embrigadement de la caserne.
Puisqu’il ne s’agit que d’une formulation, précisons qu’il ne
consistera, en réalité (et seulement pour tout citoyen
ou citoyenne valide) qu’à fournir des « prestations professionnelles
» selon des modalités tenant compte des capacités
de chacun. Files seront modulées dans le temps en fonction des
désirs des intéressés et des besoins de la production
et... des Services Sociaux ; (ce terme ne choque pourtant personne lorsqu’il
s’agit des multiples professions hospitalières ou sociales) !
Certes le salariat, comme tous les autres revenus. sera supprimé.
Cependant un revenu complémentaire permettra de récompenser
l’émulation et les dévouements.
Le Service Social n’aura pas à craindre l’exploitation de l’homme
par l’homme, ou par l’Etat. On travaillera, en effet, dans des conditions
économiques et sociales infiniment meilleures que celles dans
lesquelles nous sommes contraints de « gagner notre vie »
et celle des nôtres.
L’autogestion sera la règle. Les gaspillages, les emplois inutiles
ou superflus étant supprimés, la durée du travail
sera limitée et, par ailleurs, pourra être effectuée
« à la carte ».
Dans l’esprit de Jacques Duboin, le service social devrait être
animé par l’amour-propre et l’esprit de solidarité dans
une société socialiste dominée par un véritable
humanisme. Il constituerait aussi une sorte de « volonté
de puissance » pour ceux chez qui l’ambition de jouer un rôle
responsable, ou les honneurs qui pourraient en découler, constitue
un moteur d’action plus puissant que celui procuré par le profit.
Celui qui voudrait se dérober à l’obligation du travail
effectué dans ces conditions serait vraiment un être associai.
A ce titre, des sanctions pourraient légitimement être
appliquées à ces refus non motivés, par exemple
: suppression du Revenu Social et des avantages divers dont tout le
monde bénéficiera gratuitement : logement, déplacements,
etc... A la limite, cet associai pourrait être déchu de
ses droits civiques et civils, y compris familiaux. En tout état
de cause, la femme au foyer ou chargée de maternité, sera
considérée comme accomplissant, de ce fait, son service
social.
Quant aux autres arguments qui nous seraient opposés sur ce sujet,
il nous suffit de répéter avec Karl Marx : « Ce
n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence
mais, au contraire, leur existence sociale qui détermine leur
conscience ».
Ce sont les lois et règles du capitalisme qui ont déterminé
la mentalité de nos concitoyens : ce sont elles qui les ont adaptés
à ce régime devenu réactionnaire, économiquement
et politiquement.
Lorsque les structures de l’Economie Distributive seront en place, la
mentalité actuelle des hommes se modifiera. D’autant plus que,
seule, une Economie Distributive est capable de créer une abondance
de biens telle qu’elle supprimera les inégalités criantes
et l’incertitude du lendemain, tares du salariat.