La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 752 - décembre 1977

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N° 752 - décembre 1977

Ne plus gâcher sa vie à la gagner !   (Afficher article seul)

Faites preuve de pensée réfléchie   (Afficher article seul)

Les télécommunications, source d’asservissement ou de progrès ?   (Afficher article seul)

Travailler deux heures par jour   (Afficher article seul)

Les banques et l’Etat refusent les chèques !   (Afficher article seul)

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Qui croire ? Que croire ?   (Afficher article seul)

Au beau pays de la libre entreprise   (Afficher article seul)

La fuite en avant   (Afficher article seul)

A propos du service social   (Afficher article seul)

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Ne plus gâcher sa vie à la gagner !

par M.-L. DUBOIN
décembre 1977

TELLE est bien, en résumé, l’«  utopie » que nous défendons, en l’appuyant par l’analyse des moyens destinés à abolir l’économie de marché, ces conventions de « prix-salaires-profits » d’où viennent, consciemment ou non, tant de criminels gâchis.

Eh bien, voici encore de nouvelles preuves que notre « utopie » est de moins en moins considérée comme telle, et que, par des voies différentes, c’est de tous les côtés que nos contemporains prennent conscience que notre seul tort, comme le disait Jacques Duboin est d’« avoir eu raison trop tôt » !

SALUONS d’abord un bouquin remarquable de courage et de lucidité que nous commentons ci-dessous (1). Intitulé « Travailler deux heures par jour », il est pour nous la preuve que le degré d’absurdité qu’atteignent aujourd’hui les conditions de travail, amène les travailleurs, malgré leur esclavage, à en prendre conscience. Nous aurions évidemment préféré les convaincre tous avant qu’ils en arrivent à ce point. L’important maintenant est qu’ils soient nombreux. Souhaitons donc que ce livre collectif soit beaucoup lu et qu’il fasse partout réfléchir.

Une critique parallèle de notre société est celle de B. Esambert (2) qui montre que sans même le comprendre nous sommes entrés dans la troisième guerre mondiale. Il s’agit d’une guerre un peu différente ; des précédentes puisqu’on se bat aujourd’hui pour vendre alors qu’on se battait autrefois pour prendre aux autres leurs biens. Si cette guerre nouveau style n’a pas été déclarée officiellement, par un porte-parole, c’est qu’elle s’est introduite sous les aspects de la « société de consommation ». Mais ses règles n’en sont pas moins codifiées, même si les anciens Alliés se battent entre eux : l’Europe y apparaît comme une addition d’égoïsmes, une collectivité de marchands avides, conquérants sans âme. Et les misères qu’entraîne cette guerre ne sont ni moins terribles ni moins générales, même si l’un des aiguillons qui lui permet de durer est la peur d’un conflit « ancien style ».

D’un autre point de vue, le sociologue A. Grjebine (3) interprète cette course à la consommation comme la peur de l’homme devant le changement de civilisation que nous annonçons.
On pouvait s’attendre à ce que les économistes distingués soient évidemment les derniers à trouver le chemin de nos thèses. Aussi incroyable que cela soit, même ce dernier bastion du système est ébranlé, comme en témoigne l’anecdote suivante qui vient de m’être rapportée : les 27 et 28 octobre derniers s’est tenu à Bordeaux un colloque pour célébrer le dixième anniversaire de la création des départements de « Techniques de Commercialisation » des Instituts Universitaires de Technologie. L’économiste Guillaume qui est Maître de Conférence à l’Université Paris 9 (Dauphine) et à l’Ecole Polytechnique, intervenant sur « L’évolution de l’environnement économique depuis dix ans » y fut pris à partie par Alfred Sauvy (qui le fut ici-même souvent, il faut le reconnaître) , en ces termes  : « Vous me rajeunissez, vous nous ramenez quarante ans en arrière car je crois en vous écoutant, entendre l’utopie de Jacques Duboin  ». Et Guillaume surprit l’assistance en répondant : «  Il n’a sans doute jamais eu autant raison qu’aujourd’hui »...

C’EST donc de tous les côtés qu’est perçue l’absurdité criminelle de la société-de- consommation-pour-le-profit, que nous n’avons cessé de dénoncer. Elle est condamnée par les travailleurs qui en ont assez d’être asservis à un travail dès lors qu’ils n’en comprennent plus le sens ou n’en admettent pas la finalité. Par les femmes qui n’acceptent plus de sacrifier l’épanouissement de leur famille à la course vers un « avoir plus » qui n’est pas un « être mieux ». Par les agriculteurs qui souffrent de voir détruire leur production quand ils ne peuvent pas la vendre « assez cher  ». Par tous les économiquement faibles qui savent qu’on détruit ces richesses alors qu’eux-mêmes manquent de tout. Par les écologistes qui voient dégrader un patrimoine dont nous devrions tous nous sentir responsables. Enfin par les économistes qui comprennent que l’inadaptation des règles de notre société aux moyens modernes de production est comme le ver qui ronge de l’intérieur le fruit capitaliste. En un mot par tous ceux qui entendent assumer la responsabilité de leurs conditions de_vie et de leur avenir et ne pas demeurer des moutons de Panurge en proie à toutes les publicités.

CETTE abolition du profit, de la publicité et de l’absurdité qu’il entraîne, aucun parti ni aucun syndicat n’en fera son programme si ses électeurs ne le lui réclament pas. C’est donc par une prise de conscience massive que doit passer notre action, et ceci est la tâche à laquelle nous donnons la priorité depuis tant d’années.
Mais il ne suffit pas de l’écrire dans ces colonnes si nous restons toujours les mêmes à les lire.
IL APPARTIENT A TOUS NOS LECTEURS D’EN PARLER AUTOUR D’EUX, à tous ceux qui ont compris, d’informer leurs amis, leurs relations, leurs collègues, de saisir toutes les occasions pour les amener à réfléchir.
Il existe un moyen bien facile d’aborder le sujet : posez autour de vous cette simple question :
« Si demain vous étiez assuré, pour vous et les vôtres, de revenus corrects tout en disposant de beaucoup plus de temps libre qu’actuellement, à quoi utiliseriez-vous ces loisirs  ? »
Envoyez-nous les réponses que vous obtiendrez. Nous les publierons.

(1) Voir page 5.
(2) B. Esambert, « Le 33 conflit mondial », publié chez Plon.
(3) A. Grjebine, « La Société inutile », dans « Le Monde » du28 octobre 1977 (voir page 7 dans «  Le fil des jours »).

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Faites preuve de pensée réfléchie

par A. CHANTRAINE
décembre 1977

« Créons de nouveaux emplois, il y a trop de chômeurs ».
Voici le refrain que nous chantent les dirigeants et les dirigés. Pour cela, il faut exporter coûte que coûte. Curieux raisonnement. Lorsqu’il y avait le plein-emploi, on n’exportait pas plus ni moins qu’aujourd’hui. Tous les pays développés en technique, mais pauvres en pensée réfléchie, disent la même chose. Comment voulez-vous dès lors arriver à une juste répartition. Je dis que l’on ne pourra jamais satisfaire une politique de plein- emploi dans nos pays dits civilisés.
En effet, pour créer de nouveaux emplois, il faudrait créer des usines fabriquant du futile, du médiocre, du nuisible et de l’inutile. Or, pour le moment, nous travaillons déjà dans de telles usines. Ces usines-là profitent uniquement aux industriels et aux puissances financières qui sont responsables du plus révoltant gaspillage et de la plus grande pollution de tous les temps.
Une seule solution s’impose pour bannir le chômage définitivement  : les hommes doivent travailler moins d’heures par jour, chacun disposant d’un revenu social pendant toute sa vie. C’est tout simple mais pour vivre dans cette simplicité, il ne faut plus accepter un système économique- financier basé sur les prix, les salaires et les profits.
Les hommes doivent prendre conscience de l’économie distributive dont la monnaie deviendra l’instrument d’équilibre entre la production-consommation. Cette réalité, cette simplicité, cette logique, cette joie de vivre correctement semblent encore peu claires dans les esprits.
Etudiez donc l’économie distributive et faites preuve de pensée réfléchie.

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TECHNOLOGIE ET POLITIQUE

DANS LE DOMAINE DE LA TELEVISION, COMME DANS TOUT AUTRE, LES MOYENS TECHNOLOGIQUES OFFRENT DES POSSIBILITES A CEUX QUI LES MAITRISENT. CES MOYENS PEUVENT DONC DEVENIR ASSERVISSEMENT OU PROGRES : ASSERVISSEMENT TANT QU’ILS RESTENT ENTRE LES MAINS D’UN POUVOIR CENTRALISE (PUBLIC OU PRIVE), PROGRES DES LORS QU’ILS SONT MIS AU SERVICE DES BESOINS DES POPULATIONS.

Les télécommunications, source d’asservissement ou de progrès ?

par J.-P. MON
décembre 1977

LES moyens de communication modernes ne connaissent pas de frontières. Les nouvelles technologies, dont nous avons donné un aperçu dans le numéro précédent, permettent de distribuer des programmes de radio ou de télévision dans le monde entier, de diffuser informations, éducation, culture ou variétés dans tous les pays et à des peuples de langues et de cultures différentes.
En particulier, les problèmes soulevés par l’éducation des populations isolées sont en voie d’être résolus par l’utilisation de méthodes audiovisuelles (et notamment par la télévision scolaire).
Mais, jusqu’à présent, un des problèmes techniques les plus importants auquel on se heurtait était la difficulté de disposer en des lieux d’accès malaisé de sources autonomes d’énergie électrique. La solution la plus courante consistait à mettre en place des groupes diesel électrogènes dont l’inconvénient majeur était qu’ils nécessitaient un approvisionnement relativement fréquent en carburant et un entretien important.
Les progrès effectués depuis une dizaine d’années dans la fabrication et la fiabilité des cellules solaires permettent maintenant d’envisager leur généralisation comme source d’alimentation autonome. C’est une solution d’autant plus intéressante qu’elle concerne généralement des pays bénéficiant d’un ensoleillement important.
Une première réalisation expérimentale, en ce qui concerne la télévision scolaire, a été faite au Niger dès 1968. Elle a été suivie depuis peu par plusieurs autres.
La télévision scolaire n’est évidemment pas le seul domaine d’application des cellules solaires qui sont maintenant de plus en plus utilisées toutes les fois que l’on a affaire à des installations de télécommunication implantées dans des lieux difficiles d’accès comme c’est souvent le cas pour les réémetteurs de télévision en région montagneuse, les relais hertziens, les balises marines, les balises lumineuses ou radioélectriques nécessaires à la sécurité de la navigation aérienne.
C’est qu’en effet au bout de quelques années de fonctionnement, les cellules solaires deviennent rapidement compétitives, bien que leur coût de fabrication demeure encore relativement élevé.
On a pu d’ores et déjà constater que, sur une période de dix ans, les prix du kilowatt-heure électrique étaient les suivants, selon qu’ils étaient produits par :

- un groupe diesel 16,95 F
- un générateur thermoélectrique 26,05 F
- des cellules solaires 10,50 F

Qui plus est, les recherches actuellement poursuivies sur les cellules solaires utilisant du silicium amorphe (et non plus du silicium cristallisé) permettent d’espérer rapidement une division des coûts par 100 ou 200, ce qui abaissera considérablement le prix de revient du Kilowatt électro- solaire.
Mais si, comme nous venons de le voir brièvement, existent les moyens technologiques pour assurer l’instruction des populations isolées, de nombreux problèmes, politiques eux, subsistent.
En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que communication signifie puissance et que le contrôle des mécanismes et du contenu des systèmes de communication d’un pays permet soit aux pouvoirs publics, soit à des groupes d’intérêts privés, de contrôler d’importants aspects de l’appareil de prise de décisions d’une société humaine ainsi que les symboles culturels et politiques qui unissent cette société.
Quant aux moyens internationaux de communication, il est bien évident qu’ils reflètent les valeurs et les priorités de certaines sociétés d’une manière disproportionnée, les pays les plus avancés en la matière jouant le rôle de gardiens de la communication, ce qui risque, à l’avenir, d’accroître le monopole des pays exportateurs et d’entraver encore plus la liberté des pays importateurs ainsi que leurs possibilités de développer leurs propres systèmes, seuls capables d’exprimer les valeurs culturelles locales.
Comme dans d’autres domaines, c’est donc seulement la volonté politique qui manque pour promouvoir un système réellement décentralisé permettant d’être à l’écoute des véritables besoins des populations.

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Lectures

Travailler deux heures par jour

par M.-L. DUBOIN
décembre 1977

SOUS ce titre est paru, aux éditions du Seuil, un livre collectif qui a l’énorme mérite de poser le vrai problème pour l’immense majorité des travailleurs : l’habitude, la religion du travail ; à tel point que nous y perdons toute personnalité, toute possibilité d’observation critique et que nous arrivons à croire qu’en travaillant plus nous vivrons mieux, ce qui s’avère, réflexion faite, à l’opposé de la réalité.
Plusieurs témoignages courageux permettent de comprendre. C’est d’abord celui d’un ouvrier de la chaussure, astreint au régime des 3 x 8. Travailler 8 heures d’affilée l’avait séduit, parce qu’il s’était imaginé avoir ainsi plus de temps libre. Il a compris quand il s’est aperçu qu’il était tellement fatigué qu’il ne se contrôlait plus : «  Au bout d’un moment », explique-t-il, « tu arrives à être tellement crevé que c’est plus ton esprit qui marche, mais des flashes publicitaires... Intellectuellement, tu ne vaux plus rien, d’abord pour la bonne raison que tu serais incapable d’écouter quelqu’un ». Plus de vie affective, plus de relations humaines  ; la hantise du boulot, la porte ouverte à tous les slogans et à tous les racismes. L’annonce d’une réduction des horaires fut ressentie comme une privation : « On va y perdre tant et tant de fric ». Puis, petit à petit, ce fut la découverte plus ou moins lente, d’une vie meilleure « et la notion de fric a vachement perdu d’intérêt ». Et la réflexion « Si il y a un truc dingue, c’est que d’un côté les mecs bossent et de l’autre, d’autres gaspillent ».
Une ouvrière des chèques postaux décrit son travail idiot. « Si je suis venue au mi-temps », explique-t-elle, « c’est dans l’idée de pouvoir faire un petit peu autre chose, de réfléchir plus... Avoir une chaîne Hi Fi, ça ne m’intéresse pas ; mais ce que le veux c’est avoir du temps pour vivre réellement, être avec les miens, voir des amis avec qui on parle... La majorité des gens ne sont pas prêts à ça et revendiquent ce travail comme la valeur première de leur vie. Ils existent par leur travail, par leur voiture, par leur paraître, mais ils ne pensent pas qu’il y a plein d’autres choses à faire qui ne se voient pas mais qui font qu’on est des êtres humains, sinon on est quoi ? Des espèces de machines complètement hébétées, vides...  » Parlant de son père, « Il n’a existé que par nous » constate-t-elle, « il est lui aussi d’un milieu très pauvre, où on n’a que sa force physique à donner : mais il n’a pas rempli sa tête et maintenant qu’il ne peut plus travailler il est au bord de la dépression ; bien qu’il soit fragile, il veut quand même travailler encore parce que ou on travaille ou on meurt ». Elle a essayé d’amener ses camarades de travail à comprendre, « Mais il y a cette espèce de résignation, cette fatalité du travail, qu’on ne veut pas remettre en question : je crois que c’est parce qu’on ne veut pas SE remettre en question et envisager sa vie autrement, qu’on est tout vide, tout creux. »
Un docker de Saint-Nazaire va plus loin. L’influence, pourtant curieusement inavouée, de Jacques Duboin, apparaîtra à tous nos lecteurs quand ils liront, par exemple : « Dans le mouvement ouvrier, ça doit quand même être un objectif de réduire le temps de travail, mais reste à trouver les moyens pour y parvenir... Avec les machines, la mécanisation, tous les progrès, de la productivité qu’il y a eu depuis 50 ans... c’est sûr qu’on pourrait travailler beaucoup moins... La production s’est mise à croître en même temps que le chômage. D’où la crise... Palliatif : la destruction des marchandises ! Il y a eu 303 décrets votés entre 1929 et 1939 pour détruire les marchandises excédentaires. Votés à l’unanimité, députés de droite et de gauche, pour lutter contre une surproduction généralisée qu’ils n’arrivaient plus à éliminer. Et malgré cette augmentation de productivité, les militants ouvriers ont continué avec les mêmes revendications qu’avant : « garantie d’emploi » au lieu de « dissolution salaire et emploi », et de se battre pour la garantie du salaire... Moi, la mécanisation, je suis pour, je t’assure que je préfère qu’il y ait une machine pour faire mon travail parce qu’autrement le soir, tu sais, il n’y a pas besoin de me bercer ». Et ce camarade montre par des exemples combien de boulots, des plus pénibles, ont disparu déjà grâce aux machines. Il ajoute : « une chose qui nous a frappés, quand on était sur les bateaux à blé, il y avait plus de personnel pour le rendre impropre à la consommation domestique (le « dénaturer  ») que pour charger le navire ! » Et, pour lui aussi «  il n’y a pas d’égalité possible entre les hommes si il n’y a pas au moins une égalité économique au départ  ».
Une secrétaire explique que « réduire à la bonne foi des personnes (parfois inconsciemment) de mauvaise foi, cela a été une lutte personnelle » difficile.
Un retraité, qui commença à quatorze ans un apprentissage de serrurier, remarque « Pourquoi les gens ne réfléchissent plus, pourquoi ne prennent-ils plus de responsabilité ? Parce qu’on leur mâche tout, même les choses les plus simples  ». II omet ici d’ajouter« pour en tirer un profit ». Mais ii conclut « Il y a des gens qui finissent par ne plus avoir aucun intérêt à rien parce qu’on ne fait plus appel à leur intelligence... Une fois qu’ils sont privés de travail... il ne savent plus quoi faire... ils n’ont jamais pensé... à la façon dont ils pourraient occuper leur temps, aux services qu’ils pourraient rendre à la société... Pour l’homme de 1976, être chômeur c’est pire que d’être malade ! » Ce philosophe, plus sain d’esprit que nos économistes et nos politiciens, tous réunis, sait que « Savoir vivre dans un milieu, dans une société, sans en être l’esclave... c’est déjà une richesse ». Il analyse tellement bien le rôle joué par la publicité pour nous pousser à l’aliénation au travail qu’il trouve cet exemple savoureux  : « Bientôt, si on invente un nouveau truc pour se torcher je sais bien quoi, tous ceux qui ne l’auront pas se sentiront malheureux... On esquinte tout pour une production de trucs qui ne sont même pas utiles... quand on pense aux millions de travailleurs asservis bêtement à des choses comme çà ! »
Ces témoignages sont tellement intelligents, tellement bien exprimés, que c’est tout le livre qu’il faut lire et pas seulement ces quelques extraits.

L’un des responsables de ce travail a pris la peine de se documenter, en scientifique, pour voir si oui ou non, il est absurde d’imaginer qu’on pourrait tous ne « travailler que deux heures par jour » et cependant produire assez. Cette recherche, si parallèle aux nôtres, l’a conduit bien évidemment à partager notre « utopie ». Il trouve ainsi le courage d’entrevoir une société sans profit, dans laquelle le travail nécessaire est partagé entre tous. C’est ce qu’il appelle le travail «  lié », le distinguant du travail « libre » dont chacun pourra alors meubler ses loisirs en y trouvant l’épanouissement de sa personnalité. Il ne manque plus à ce projet que l’indication sur les règles économiques rendant possible cette répartition du travail et des revenus et qui constituent l’économie distributive. Mais l’auteur en a défini l’essentiel et a parfaitement compris à quel point sa réalisation passe par le prise de conscience de l’aliénation au sacro-saint PROFIT.

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Les banques et l’Etat refusent les chèques !

par P.-N. ARMAND
décembre 1977

« On n’accepte plus les chèques » ou « On n’accepte les chèques qu’à partir de 100 F », formules déjà vues chez les petits commerçants. Une pièce d’identité étant toujours exigée.
Maintenant, les banques n’acceptent à leurs guichets que les chèques des personnes ayant un comptent chez elles. En refusant les chèques de leurs consoeurs, elles renient, contestent, mutuellement, leur propre mécanisme. Ces organes essentiels du système, que sont les banques, n’ont plus confiance en leur propre institution  !
Le fait paraît si énorme que confirmation en a été demandée à la Banque des Banques, celle de France. Laquelle affirme : « Un créancier n’est pas tenu d’accepter un chèque en paiement ». (Lettre du Secrétaire général, M. P. Strohl, du 11 juillet 1977).
Cependant, l’Etat, l’Etat lui-même, va plus loin. Il refuse, en la personne des P.T.T., les chèques de ses propres C.C.P., à ses guichets. En effet, si pour vous acquitter, par exemple, d’un achat de timbres-poste en gros, vous présentez un chèque C.C.P. assorti de votre carte nationale d’identité, il vous sera refusé. (L’exception à cette règle peut être faite si vous êtes personnellement connu des employés). Cette attitude nouvelle est, paraît-il, exigée par la Banque de France. L’incidence en la matière n’est pas évidente. Ainsi l’Etat, par le ministère des Télécommunications, bloque des fonds que ses clients lui ont confiés, n’acceptant de s’en désaisir que lors de virements internes de compte à compte.
D’autre part, depuis janvier 1976, une disposition légale impose au banquier de « faire figurer l’adresse du domicile sur les formules de chèques ». Une banque va plus loin. Elle annonce, par triomphalisme publicitaire, que sur ses chèques s’imprime la trombine du seul qui lui concède encore un peu confiance : son client.
Dans la même optique, les C.C.P. n’admettent plus de libeller leurs chéquiers avec pour domiciliation une Boîte de commerce (ou postale) ; alors que pour en disposer d’une, moyennant abonnement annuel, il faut satisfaire à une enquête constitutive d’un dossier. L’utilisateur est parfaitement connu. La Poste confond Boîte postale et Poste restante !
Jacques Duboin a comparé notre bien-aimé système capitaliste à une vieille chambre à air se perforant un peu plus chaque jour et sur laquelle les morticoles de la Finance collent rustines sur rustines. Aujourd’hui, il n’y a plus de chambre à air. Ce sont les rustines, surajoutées en couches de plus en plus épaisses qui constituent la chambre.

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Au fil des jours

par J.-P. MON
décembre 1977

Décidément, quoi qu’en pensent certains, nos idées progressent à grands pas.
C’est ainsi que dans la rubrique « Idées » du Monde du 28 octobre dernier, André GRJEBINE, Maître de conférences à l’Institut d’études politiques, après avoir évoqué l’angoisse qui étreint un nombre toujours plus grand de travailleurs de tous ordres à l’idée de l’inutilité, voire de la nocivité, de leur travail, écrit : « une saturation progressive des biens de consommation, l’automatisation, enfin les limites à la capacité du tertiaire d’offrir sans cesse de nouveaux emplois, laissent prévoir une modification de cet état de fait. En revanche, la généralisation des allocations- chômage, voire dans un avenir prévisible celle du maintien du revenu en cas de perte ,d’emploi, devrait rendre moins incertaine la situation économique des sans-emploi. On peut donc penser que, d’ici quelques décennies, le problème majeur sera moins d’être rémunéré que d’avoir une occupation dont on perçoit l’utilité. »
Et d’ajouter plus loin : « Le degré de productivité auquel sont parvenues les sociétés industrialisées doit leur permettre de pourvoir en un minimum de temps à leurs besoins matériels et d’en consacrer toujours davantage à l’épanouissement du défi humain. D’une part, en améliorant sans cesse notre capacité de comprendre et de contrôler l’univers ; d’autre part, en renforçant une solidarité humaine dont l’expérience a montré qu’elle était aussi aléatoire dans la pénurie que dans la consommation acharnée qui caractérise actuellement nos sociétés.  »

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Le 15 novembre dernier, à la demande du Président de la République, le Premier Ministre a réuni les Ministres et Secrétaires d’Etat afin de définir « les objectifs d’action » du gouvernement gui lui succéderait lors de la prochaine législature. Malgré le « rigoureux secret » exigé par R. BARRE, on a pu savoir entre autres choses que Mme Simone Veil avait parlé de la « nécessité d’assurer à chaque citoyen un minimum de ressources, de protection sociale et de soins ».
J. DUBOIN, lui. aurait proposé un « maximum de ressources  » pour tous. Mais n’est-ce pas déjà un bon début de la part d’un ministre d’un gouvernement de droite ?

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Confirmant cette évolution, le ministre du Travail vient d’annoncer que, dès le 1er janvier prochain, la garantie des ressources sera assurée aux handicapés. Cette garantie ira de 90 à 140% du S.M.I.C. suivant la catégorie dans laquelle est classé le handicapé.

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Toujours dans le même esprit. le Conseil des ministres du 30 novembre dernier a chargé le secrétaire d’Etat au Tourisme d’entreprendre une étude sur les possibilités de développement des aides directes aux ménages les moins favorisés pour faciliter leur départ en vacances et notamment sur l’institution d’un titre-vacances.
Si du côté de la garantie des ressources il semble comme on vient de le voir, que nos idées font leur chemin il n’en est pas encore de même en ce qui concerne les problèmes du chômage, de la hausse des prix ou de la surproduction. On nous propose toujours les mêmes remèdes aussi périmés qu’inefficaces.
C’est ainsi que les ministres de l’Agriculture des neuf pays membres du Marché Commun ont décidé d’octroyer aux producteurs de houblon une prime d’environ 10 400 francs (nouveaux !) par hectare arraché, afin de réduire les excédents qui s’élèvent à environ 6 000 tonnes par an.

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Dans le même ordre d’idées, le baptême à St-Nazaire, le 8 octobre dernier, du plus grand pétrolier du monde, (550 000 tonnes, 414 mètres de long) s’est fait dans la plus grande morosité.
C’est qu’en effet on ne sait plus qu’en faire et que sa mise en service amènera le désarmement de trois pu quatre pétroliers ou méthaniers qui iront grossir la flotte des 500 ou 600 navires qui attendent dans les fjords norvégiens un hypothétique frêt.
Quoi qu’il en soit, le « Pierre Guillaumat », (c’est le nom du pétrolier en question qui a coûté 550 millions de francs) est parti le 28 octobre pour le golfe Persique pour ramener sa cargaison de pétrole brut aux raffineurs français dont « on déplore l’inquiétante surcapacité » de raffinage. Ce qui a amené le Président d’Elf Aquitaine à déplorer l’obligation faite aux entreprises de vendre le pétrole raffiné en dessous du prix de revient et à déclarer : « Nous attendons avec confiance les initiatives du gouvernement français pour soutenir notre industrie et préserver l’emploi dans ce domaine ».
Gageons que M. BARRE ne restera pas insensible à cet appel... et déplorera ensuite la hausse du croissant.

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Dans la construction navale, les années 1978, 1979 et 1980 s’annoncent désastreuses. Les experts de la Communauté Economique Européenne proposent donc aux Etats membres une réduction de 40 % du potentiel de production, ce qui se traduira principalement d’ici à 1980 par la mise au chômage de plus de 80 000 travailleurs.
Tout ceci, bien sûr, au nom de la sacro-sainte compétitivité, chère au libéralisme économique.

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Dans ce domaine, comme tant d’autres, l’ennemi n°  1 est le Japon... dont l’appareil de production ne tourne qu’à 80 % de sa capacité.

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A propos de compétitivité, nos dirigeants évitent de nous parler de celle des salaires. Dans un rapport de 1975, demeuré confidentiel, le ministre français du Travail notait que les rémunérations des ouvriers français étaient inférieures de 20 à 30 %à celles des ouvriers allemands.

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Un laboratoire de Caen fabrique un produit appelé métaclotranide et le vend à la Belgique au prix de 100 francs le kilo. De là il part pour la Suisse à qui les Laboratoires Delalande le rachètent à 4 000 francs le kilo pour fabriquer le Primpéran et le revendent aux Normands à 8 000 francs le kilo. Sans ce petit voyage en Europe on l’aurait payé 200 francs au détail !

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Qui croire ? Que croire ?

par A. ESCUDIER
décembre 1977

« L’INFLATION c’est un problème qui nous concerne TOUS » vient de nous dire notre Premier Ministre Monsieur Raymond BARRE.
Cela donne à réfléchir ! Me sentant ainsi mis en cause, dans une certaine mesure (pour Un cinquante millionième) par le plus grand économiste que le Monde entier nous envie, je me suis dit que peut-être... étant donné que... à supposer que Jacques DUBOIN se soit trompé, j’étais en train de participer à la ruine de notre monnaie.
Je me suis donc précipité sur mon « Nouveau Petit LAROUSSE en couleurs » et j’ai trouvé :

INFLATION (du lat. Inflare= enfler). Déséquilibre économique caractérisé par une hausse générale des prix, et qui provient de l’excès de pouvoir d’achat de la nasse des consommateurs (particuliers, Entreprises, Etat) par rapport à la quantité des biens et des services mis à leur disposition.
Augmentation excessive : Inflation de fonctionnaires.

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L’Inflation de fonctionnaires ne pouvant pas être retenue, alors que l’on demande à cor et à cri de créer des emplois, il reste donc la définition claire et précise sur laquelle, hélas, les deux parties mises en cause
sont diamétralement opposées. Les consommateurs (particuliers, Entreprises, Etat) se plaignent, tous, de manquer de pouvoir d’achat...
Les commerçants, dispensateurs de biens et de services se plaignent, tous, de leurs magasins et resserres bourrés de marchandises et du manque ruineux de clients...
Mais le Petit Larousse peut-il être pris en considération par un scientifique de l’Economie ?
Mon petit-fils, Michel, étudiant en Sorbonne, Sciences Economiques  : Licence, Maîtrise, D E A (Diplôme d’Etudes Approfondies) prépare son doctorat. En furetant dans ses livres de cours, je ne devais pas manquer de trouver une explication valable à ce qui devenait, pour moi, un grand mystère. Et j’ai trouvé un tout petit livre, avec un gros titre : - INFLATION -. Ça y est, pensais-je, le mystère va s’éclaircir. L’auteur R. BARRE. Non, je ne dis pas Raymond, car il y a des René, Robert, Raoul, Rodolphe, Roland... mais enfin Raymond ou pas, j’allais être fixé.
1re page, en haut :
« L’Inflation est un phénomène complexe aux aspects variés ».
1re page, au centre :
« Prenons le risque d’un départ abrupt et d’un tour elliptique ».
(Le Petit Larousse se fige).
« L’inflation est un processus de hausse générale des prix, ou, exprimé autrement, une diminution du pouvoir d’achat de la monnaie ».
Plus de relation de cause à effet. (Le P.L. s’évanouit).
2e page :
« La définition que nous proposons pourrait être développée. On désignerait alors par le terme d’inflation, un mouvement de hausse dispersée des prix, qui s’entretient de lui-même, et qui est dû à une insuffisance relative, à un certain moment, des offres spontanées par rapport aux demandes formulées aux prix courants du début de la période d’analyse ».
Et voilà pourquoi votre fille est muette.
(Le Petit Larousse disparaît).
En effet, le départ est abrupt et le tour elliptique, mais je me demande pourquoi R. (Raymond) va chercher plus loin, puisque le mouvement de hausse dispersée des prix... s’entretient de lui-même.
Alors, des deux R, quel est celui qui a raison ?
L’INFLATION nous concernet-elle TOUS ?
Je comprends, à ne considérer que la définition scientifique, que nous soyons nombreux à y comprendre goutte, donc à ne pas nous sentir concernés !

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ETRANGER

Au beau pays de la libre entreprise

par P. SIMON
décembre 1977

L ’ECONOMIE américaine repose sur le dogme de la libre entreprise et les Américains, en toute circonstance, et singulièrement à l’occasion des élections, sont invités à en préserver la pureté. Le dogme ne court pourtant pas grand risque de manquer d’adeptes outre-Atlantique comme le prouvent les fréquentes dénonciations et condamnations d’une bureaucratie stérilisante, juste bonne pour les pays de l’Est. ; Et tout le monde sait qu’ils en crèvent.

Le citoyen américain, cependant, lorsqu’il reçoit ses feuilles d’impôt, ne peut que constater que la facture qu’il paye au gouvernement fédéral, aux bureaucrates de Washington, est au moins aussi élevée que celle qu’il paye au gouvernement de son Etat et à celui de sa ville. Pas plus que son confrère européen, le contribuable n’est heureux.
Il comprendrait mieux son sort et le pourquoi des impôts qu’il paye en rechignant s’il se penchait sur l’article que le « Scientific American », désormais publié en français, a fait paraître en décembre 1976. En voici les points essentiels.

Au pays de la libre entreprise, le secteur public est responsable d’au moins un quart des emplois. Certes, les statistiques officielles se veulent rassurantes et ne reconnaissent que 13 millions et demi de « fonctionnaires » sur une population active d’à peu près 85 millions, soit un sixième environ. Mais si on regarde de plus près on constate que le gouvernement fédéral fait vivre, par ses commandes de fournitures et d’armement, un peu plus de 7 millions d’Américains dont le patron est un chef d’entreprise du secteur privé. Comme les salaires de ces travailleurs proviennent en totalité des fonds publics et puisque leur production va toute entière à la communauté, on pourrait bien ranger ces travailleurs au côté des fonctionnaires et, ainsi, on arriverait à un total de 20 millions et demi d’Américains dépendant entièrement du secteur public, soit environ un travailleur sur quatre.

Et que dire des écoles, des églises (et Dieu sait qu’elles sont nombreuses), des syndicats, des associations, toutes entreprises non lucratives, qui emploient près de 5 millions de personnes et, comme le gouvernement, passent des commandes au secteur privé. Il y a encore les transports, les télécommunications, les fournisseurs d’énergie, l’agriculture, la banque, l’assurance qui tous travaillent sous le contrôle, plus ou moins direct, du gouvernement fédéral, pour montrer, s’il en était besoin, que la libre entreprise ne rend pas compte de la totalité de la production américaine. Quant aux gouvernements d’Etats et aux municipalités, elles ont vu leurs dépenses croître considérablement en peu de temps. Entre 1950 et 1974, le nombre de leurs employés s’est augmenté de 174 % alors que, pour l’ensemble de la nation, le nombre des emplois s’élevait de 46  %.

Il est donc bien clair que le secteur public, ou tout le moins, à but non lucratif, c’est-à-dire, non privé, joue, aux Etats-Unis, un rôle grandissant.
D’abord, parce que le citoyen demande à ce secteur à but non lucratif ce que l’autre ne saurait lui donner faute d’en tirer des profits, à savoir, la défense, l’éducation et la santé. Ensuite, parce que les services tiennent une place de plus en plus importante dans l’économie américaine alors que les autres secteurs (agriculture, mines et industries) voient leur production stagner ou même franchement décroître. Or, les services représentent une activité indispensable qui répond aux besoins du consommateur mais aussi du producteur qui les utilise largement sous forme de publicité, banque, conseil juridique, etc.

S’il est vrai que l’Amérique nous montre la voie, force est de reconnaître que l’activité économique va en se diversifiant, que l’ère d’une production industrielle effrénée est sur le déclin, que l’Etat doit prendre en charge les activités jugées non rentables par le secteur privé et qu’il est temps de refermer le livre où Adam Smith disait que toute activité qui ne débouche pas sur une marchandise est stérile. L’Economie Distributive est- elle encore si loin ?

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LES QUESTIONS AGRICOLES :

Répondant à l’appel de J. MESTRALLET, notre camarade Jean MATEU nous parle des problèmes du midi méditerranéen.
Nous remercions ces camarades d’avoir répondu à notre demande d’engager de tels dialogues dans nos colonnes.
C’est un exemple à suivre !

La fuite en avant

par J. MATEU
décembre 1977

D’EMBLEE je me déclare entièrement d’accord avec J. MESTRALLET en reconnaissant la supériorité de la culture agrobiologique sur la culture agrochimique, son antithèse. Mais est-ce là le problème ? Je ne le pense pas : en effet, quels que soient les mérites des adeptes de l’agrobiologie, et les résultats qu’ils obtiennent, et qui sont évidents, il n’en reste pas moins que la généralisation de la culture agrobiologique butera toujours contre les impératifs de l’économie marchande.
Pour réussir pleinement, la culture agrobiologique, comme toute autre manifestation d’ordre écologique, postule une planification rationnelle - j’entends humaniste, non totalitaire - dont l’avènement n’est pas pour demain. Au surplus, le mal est fait : les oiseaux sont partis, sinon pour toujours, du moins pour très longtemps.
En attendant, le producteur ne voit d’autre solution à ses problèmes que dans la fuite en avant, visant avant toute considération de diététique ou de morale, l’obtention de hauts rendements.
Le Roussillon ne fait pas exception à la règle, en appliquant justement les méthodes de « forcing » en complément du soleil, avantage naturel gratuit, et inappréciable pour une région à vocation primeuriste.
D’où, pour les cultures maraîchères et fruitières, irrigation, engrais à doses massives, traitements polluants intensifs, cultures sous serre, utilisation de toute la gamme des fongicides, tailles appropriées, éclaircissage selon les variétés, etc...
Bref, mise en oeuvre de toutes les techniques visant au même résultat  : précocité des récoltes et production maximale avec de moins en moins de main-d’oeuvre.
Le résultat ? des récoltes optimales.
Le hic, c’est lorsqu’il s’agit de commercialiser une récolte dépassant la capacité d’absorption du marché solvable. C’est cet aspect de la question qui. à mon avis, prime tout.
En ce qui concerne, la vigne, dont les traitements de base restent encore le soufre et le sulfate de cuivre (rien donc de changé quant aux innovations biologiques), il faut distinguer les ténements de faible ou moyenne production mais à haut degré, souvent plantés sur des sols ne se prêtant pas à d’autres cultures, de ceux à haut rendement mais à faible degré, produisant des vins médiocres sollicitant le coupage.
C’est ce dernier secteur de la viticulture, particulièrement, développé dans le midi méditerranéen, qui est le plus touché par l’évolution des progrès techniques. Nous n’en sommes plus à la révolte de 1907 mais Montredon reste trop présent à nos mémoires pour ne pas souhaiter qu’un effort soit fait en vue de populariser nos thèses parmi les viticulteurs.
Nous assistons en effet, et ce depuis longtemps déjà, à une mutation complète des activités rurales sans que les dirigeants des instances professionnelles veuillent bien se donner la peine d’éclairer leurs mandants sur ses conséquences.
Il m’est arrivé de m’adresser à plus d’un représentant qualifié et de lui demander, par exemple, ce qu’il entendait (dans le régime) par « solution socialiste dirigiste ». L’un d’eux écrivait dans un des plus importants quotidiens du Midi : « Dans un univers capitaliste, le sort des hommes est déterminé par les lois du marché fondées sur le profit. Tout le reste est littérature et manipulation. »
Peu après, M. Verdale, à Nîmes, s’exprimait ainsi  : « Nous croyons qu’il est impensable que le marché viticole continue dans la voie du libéralisme. » Je pourrais à l’infini multiplier les citations. A quoi bon ? Tout le monde est d’accord pour condamner un système qui n’apporte qu’insatisfaction quand ce n’est pas le désordre, avec toutes ses conséquences. D’où, pour nous, l’impérieux devoir d’essayer de faire admettre, au plus grand nombre possible, l’idée, qui nous tient à coeur, d’un REVENU SOCIAL.
Des milliers de petits exploitants se trouvent virtuellement exclus du circuit des échanges, ne subsistant nue grâce aux subterfuges propres au système qui vont des prêts aux subventions, en passant par les indemnisations pour cause de sinistre et finissant à la maigre retraite où à l’indemnisation viagère de départ après intervention des S.A.F.E.R., faisant d’eux des assistés permanents. Il faut expliquer à tous ces exclus qu’ils n’ont rien à perdre en troquant leur statut d’exploitant pour celui de fonctionnaire appointé au même titre nue nombre d’autres participants à des activités similaires qui bénéficient, eux, des avantages de la sécurité de l’emploi et d’un traitement garanti.
Un jour de barrage de route et autres aménités, il m’est arrivé de demander : « à quoi rime tout ce gaspillage de forces, ce déploiement de banderoles, ces brimades envers les passants, puisque vous allez vous retrouver gros jean comme devant avec vos chais débordant de vin que vous ne pare venez pas à écouler avec profit ? »
Un brave manifestant de ma connaissance me répondit devant plusieurs de ses collègues : « J’ai souvent pensé à ce que vous me disiez un jour qu’on ne lutte pas contre l’abondance et que ce n’est pas tout de produire mais qu’il faut encore vendre. Et il est évident que, devant des stocks dépassant les besoins solvables, il n’y a rien à faire. » « Sauf distiller, ajoutai-je, et aux frais de tous. Est-ce une solution ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour vous, producteurs, continuer à produire sans souci de débouchés ? En fait de soucis, vous avez déjà ceux, et ils sont sérieux, de faire «  venir une récolte ». Pourquoi devoir y ajouter ceux de son écoulement ? A la collectivité le soin d’y veiller, à vous de produire et c’est tout. En échange, bien entendu, d’un revenu que nous appelons social. Pensez-y ! »
Songeons donc à l’impact que cela produirait si quelques exemplaires de « La Grande Relève » traitant de ces questions pouvaient être diffusés parmi les intéressés, dirigeants compris. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, parmi eux, se trouvent déjà ceux qui ont eu l’occasion de se déclarer « insolidaires » du régime des échanges (sans parvenir, il est vrai, à en tirer les conclusions adéquates). En leur mettant sous leurs yeux leurs propres déclarations suivies de nos arguments, cela permettrait d’attaquer efficacement tout l’arsenal de préjugés et de lieux communs dont ils abreuvent leurs troupes.
Quant au paysan de « base », il répugne à la destruction de denrées, sous forme de distillation pour le vin, de retraits pour les fruits et les légumes. Il a conscience de l’absurdité de tels procédés. Qu’on lui montre, argumentation irréfutable à l’appui, la possibilité d’échapper à cette situation et le voilà devenu réceptif à d’autres solutions. Il va se mettre à réfléchir. Le reste suivra. Fi comme personne d’autre que nous ne peut lui exposer un raisonnement convainquant...
Il y a là un effort à faire.

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Réponses aux objections :

A propos du service social

par R. THUILLIER
décembre 1977

PARMI les objections que l’on oppose à l’Economie Distributive, il en est une que nous devons réfuter : elle concerne le Service Social.
Après avoir constaté que le régime capitaliste devait céder la place à une nouvelle économie, nos interlocuteurs admettent volontiers (puisqu’il ne s’agit plus de produire, mais de distribuer) qu’un revenu social pour tous pourrait constituer la base d’un pouvoir d’achat généralisé.
Cependant, après avoir accepté ce principe, ils estiment qu’il serait difficile de faire fonctionner sa contre-partie : le Service Social obligatoire pour tous.
Nos contradicteurs craignent, en effet, que l’égoïsme qui est à la base psychologique de nos comportements, ne l’emporte de beaucoup sur la raison, et le sentiment d’accomplir une action méritoire pour l’ensemble de la collectivité. Ils estiment surtout que peu de personnes accepteront d’effectuer un travail forcé sans en recevoir u n bénéfice direct et personnel.
Ils craignent, de ce fait, que la production (même effectuée largement par les machines) et surtout la distribution, en soient perturbées. Enfin, ils nous demandent quelles sanctions seraient applicables à ceux qui refuseraient de travailler dans ces conditions.
Tout d’abord nous admettons volontiers que le terme « Service Social » peut choquer beaucoup de citoyens auxquels il rappellerait l’embrigadement de la caserne.
Puisqu’il ne s’agit que d’une formulation, précisons qu’il ne consistera, en réalité (et seulement pour tout citoyen ou citoyenne valide) qu’à fournir des « prestations professionnelles  » selon des modalités tenant compte des capacités de chacun. Files seront modulées dans le temps en fonction des désirs des intéressés et des besoins de la production et... des Services Sociaux ; (ce terme ne choque pourtant personne lorsqu’il s’agit des multiples professions hospitalières ou sociales) !
Certes le salariat, comme tous les autres revenus. sera supprimé. Cependant un revenu complémentaire permettra de récompenser l’émulation et les dévouements.
Le Service Social n’aura pas à craindre l’exploitation de l’homme par l’homme, ou par l’Etat. On travaillera, en effet, dans des conditions économiques et sociales infiniment meilleures que celles dans lesquelles nous sommes contraints de « gagner notre vie » et celle des nôtres.
L’autogestion sera la règle. Les gaspillages, les emplois inutiles

ou superflus étant supprimés, la durée du travail sera limitée et, par ailleurs, pourra être effectuée « à la carte ».
Dans l’esprit de Jacques Duboin, le service social devrait être animé par l’amour-propre et l’esprit de solidarité dans une société socialiste dominée par un véritable humanisme. Il constituerait aussi une sorte de « volonté de puissance » pour ceux chez qui l’ambition de jouer un rôle responsable, ou les honneurs qui pourraient en découler, constitue un moteur d’action plus puissant que celui procuré par le profit.
Celui qui voudrait se dérober à l’obligation du travail effectué dans ces conditions serait vraiment un être associai. A ce titre, des sanctions pourraient légitimement être appliquées à ces refus non motivés, par exemple  : suppression du Revenu Social et des avantages divers dont tout le monde bénéficiera gratuitement : logement, déplacements, etc... A la limite, cet associai pourrait être déchu de ses droits civiques et civils, y compris familiaux. En tout état de cause, la femme au foyer ou chargée de maternité, sera considérée comme accomplissant, de ce fait, son service social.
Quant aux autres arguments qui nous seraient opposés sur ce sujet, il nous suffit de répéter avec Karl Marx : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence mais, au contraire, leur existence sociale qui détermine leur conscience ».
Ce sont les lois et règles du capitalisme qui ont déterminé la mentalité de nos concitoyens : ce sont elles qui les ont adaptés à ce régime devenu réactionnaire, économiquement et politiquement.
Lorsque les structures de l’Economie Distributive seront en place, la mentalité actuelle des hommes se modifiera. D’autant plus que, seule, une Economie Distributive est capable de créer une abondance de biens telle qu’elle supprimera les inégalités criantes et l’incertitude du lendemain, tares du salariat.