Editorial
DANS le « Nouvel Observateur » du 23 mai
dernier, Michel Bosquet, sous le titre « les économistes
communistes ont-ils raison ? », analyse les calculs effectués
par le P.C.F. Il souligne que celui-ci ne fait que « proposer
ce que la gauche a toujours dit : il faut prendre aux riches pour donner
aux pauvres ». Il montre qu’un tel transfert au cours de l’année
qui vient ne représenterait que 9 % du produit national français
; et que d’ailleurs cette somme à verser aux pauvres pourrait
même ne pas être prise aux riches grâce seulement
à « l’élimination de la sous-utilisation du potentiel
productif, une économie accrue des moyens matériels et
une efficacité supérieure des investissements ».
Restent évidemment les modalités de ce transfert. Et comme
pas plus Michel Bosquet que les communistes, n’envisagent de sortir
du système capitaliste des prix-salaires-profits, ils tombent
sur un écueil de taille : l’incompatibilité entre un système
qui repose sur le principe que « l’argent va à l’argent
» et tout idéal d’équité, voire seulement
d’humanité. Alors, pour résoudre cette quadrature du cercle,
Michel Bousquet propose cette solution absolument géniale : il
n’y a qu’à pénaliser les entreprises qui utilisent des
machines capables de remplacer l’homme ! Pourquoi ne proposez-vous pas,
M. Bosquet, à votre directeur, de remplacer l’imprimerie du «
Nouvel Observateur » par quelques centaines de milliers de copistes
? Si un seul quotidien suivait ce bel exemple, le problème du
million de chômeurs serait résolu ! Mais est-ce bien là
ce que vous appeliez plus haut une efficacité supérieure
des investissements ?
Il est tout de même bien triste de voir que les économistes
de gauche, qu’a priori on estime plus libérés du carcan
de l’idéologie capitaliste que ceux du camp adverse, sont tout
aussi incapables de pousser leur raisonnement jusqu’à conclure
: puisque les moyens existent de faire faire par les machines les travaux
pénibles, il faut inventer un système économique
qui permette aux hommes ainsi libérés d’en profiter !
Partout on cherche à inventer, à innover, partout on veut
que l’imagination prenne le, pouvoir... sauf en économie ! Comme
le souligne M. Bosquet, les économistes du P.C.F. formés
à l’INSEE et dans les Grandes Ecoles sont tout aussi technocrates
que les autres et nous nous posons avec lui, mais aussi à propos
de lui-même, la question : ne serait-ce pas précisément
leur formation économique qui les égare ?
M. Bosquet soulève ensuite un autre problème
si l’on donne du jour au lendemain aux pauvres les moyens d’acheter
plus, leur demande, sur le marché, ne correspondra pas à
la production préparée pour les riches. Voilà une
remarque judicieuse. Quel dommage que son auteur ne soit pas allé
jusqu’à chercher la cause de cet écueil qu’il dénonce
: l’économie capitaliste fonctionne pour satisfaire les seuls
besoins SOLVABLES, elle n’est donc pas faite pour satisfaire ceux des
pauvres. C’est bien pour cela qu’elle ne peut pas être équitable.
Ses structures l’en empêchent. C’est bien en cela que démocratie
et capitalisme sont incompatibles. Et c’est pourquoi, Monsieur Bosquet,
il ne peut pas y avoir de vrai socialisme sans changement des principes
mêmes du système économique.
La question est clairement posée : la gauche est- elle prête
à l’entendre ?
En page 5 du « Nouvel Economiste » n°
82 ; deux graphiques provenant de la Société Générale
nous présentent :
- L’un, la progression de l’activité industrielle qui est passée
de l’indice 950 en novembre 1976, à l’indice 1060 en mai 1977.
- La seconde présente le taux de croissance de la consommation
des ménages. Il était de 4 en novembre 1976 et s’effondre
à 0,8 % en mai 1977.
Sachant que dans le même temps le taux de chômage a augmenté
(2 millions de chômeurs prévus et plus sans doute d’après
l’information de l’Organisation Internationale du Travail) on en déduit
:
- Que la production croît malgré la croissance du chômage,
- Que l’expansion est impuissante à assurer l’emploi,
- Que la production solvabilise de moins en moins les consommateurs,
puisqu’elle croît beaucoup plus vite que leur consommation.
Pourquoi accroît-on la production si elle ne peut trouver preneur
? Et alors comment peut-on espérer en tirer encore des bénéfices
?
Les graphiques de la Société Générale et
la courbe croissante du chômage dénoncent la précarité
et la vanité de ces objectifs.
La Société Générale nous démontre,
(qui l’eut crû) comme le répétait Jacques Duboin
: « que nous allons nous trouver les poches vides devant des montagnes
de produits ». Comme cette société sait bien fabriquer
de la monnaie, ne serait-ce trop lui demander de mettre à contribution
les capacités de ses super-comptables pour mettre au point la
création de revenus nous permettant de consommer ce que nous
produisons, c’est-à-dire un revenu social ?
Faisons toujours ce voeu, nous direz-vous, et buvons de l’eau !
DOSSIER : LE CHOMAGE
NOS lecteurs savent depuis fort longtemps que dans les pays industrialisés
le progrès scientifique et technologique a pour conséquence
inéluctable l’augmentation du chômage. Tout se passe pour
nos brillants économistes comme si nous venions à peine
d’être chassés du Paradis Terrestre, et que nous soyions
encore soumis à la malédiction : « Tu gagneras ton
pain à la sueur de ton front ».
Comme depuis ce temps là un certain nombre d’outils d’abord,
de machines ensuite, ont permis à l’homme de produire avec moins
de peine, les soidisant scientifiques que sont les économistes
ont cherché par tous les moyens à justifier et à
péréniser la fameuse malédiction divine.
Refusant de répondre à la question maintes fois posée
: « Est-ce que les machines sont faites pour produire des biens
ou pour donner du travail aux hommes ? », ils imaginent les solutions
les plus farfelues.
C’est ainsi par exemple, que dans les années 30, en Irlande,
on faisait creuser des trous, construire des tours avec les pierres
qu’on en retirait, et le lendemain on faisait détruire ces tours
et combler les trous. Le tout afin de justifier les salaires versés
à ces terrassiers d’un genre nouveau. Les exemples absurdes ne
manquent pas, mais en ce dernier quart de siècle, on fait les
choses de manière un peu moins voyante : on développe
le secteur tertiaire, c’est-à-dire le secteur des services. Des
services, certes, il en faut, mais jusqu’à un certain point.
C’est ainsi que pour justifier l’emploi des gratte-papiers de tous niveaux
hiérarchiques, on met en place une réglementation paperassière,
incompréhensible et le plus souvent inutile, voire nuisible.
Mais cela ne suffit pas, et, surtout, cela ne crée pas toujours
du profit. Alors on a imaginé de fabriquer des armes.
LA fabrication des armes présente des tas d’avantages :
- sauf exception, on ne les vend pas à des particuliers mais
à des gouvernements (et chacun sait que pour acheter des armes,
un gouvernement trouve toujours les finances nécessaires, les
pays exportateurs accordant au besoin les crédits demandés...)
;
- les armes se démodent vite et il faut, c’est bien connu, toujours
suivre la mode sous peine d’être mal considéré (mal
défendu, diraient en l’occurence les militaires). Alors on est
bien forcé d’acquérir ce qu’il y a de plus nouveau ;
- une petite guerre, de préférence par pays sous-développés
interposés, permet en général de réduire
considérablement les stocks...
Ces avantages sont tels que la fabrication des armements est un des
rares secteurs de production à ne pas être touché
par les aléas de la conjoncture. Dans ce domaine, ce sont les
acheteurs qui attendent le bon vouloir des vendeurs. L’économie
rêvée, quoi !
Il n’est donc pas surprenant que dans les pays dont le niveau technologique
est suffisamment élevé pour permettre la fabrication d’armements
très sophistiqués (U.S.A., U.R.S.S., Grande-Bretagne,
République Fédérale Allemande, France), le secteur
de la fabrication des armements joue un rôle moteur dans l’économie.
Aux Etats-Unis, l’économie militaire réalise un chiffre
d’affaires équivalent à celui de Esso-Standard, General
Motors, Ford, Royal Deutch, Shell, Dupont de Nemours et Kodak réunis.
En U.R.S.S., comme aux Etats-Unis, un citoyen sur cinq vit directement
ou indirectement de la production militaire.
En Allemagne, où la fabrication des avions occupe plus de 200
000 personnes mais où l’exportation directe reste, pour le moment,
relativement faible par suite de la volonté du gouvernement d’éviter
que ce secteur devienne un groupe de pression trop influent sur la politique
gouvernementale, les syndicats exigent de plus en plus que des facilités
soient accordées aux industries de l’armement pour favoriser
leur production et par là même assurer un haut niveau d’emploi.
En France, l’emploi dans ce secteur représente environ 280 000
personnes et les pourcentages de fabrication de matériels militaires
dans les exportations sont respectivement de 90 % pour Dassault, 79
% pour la SNECMA, 60 % pour la Thomson-CSF, 85 % pour Matra, 79 % pour
la SNIAS, (1) ...
ON conçoit donc facilement que sans la fabrication
des armements, il y aurait dans les nations industrialisées des
centaines de milliers de chômeurs supplémentaires.
Mais peut-être alors l’économie prendrait-elle, dans son
ensemble, un autre tour ?
Lorsqu’on sait, en effet, que le coût d’un nouveau bombardier,
avec son équipement complet équivaut au salaire de 250
000 instituteurs pendant un an ou à 75 hôpitaux complètement
équipés ou encore à 30 facultés des sciences
comptant 1 000 étudiants chacune (2), on peut facilement imaginer
ce que pourrait être une société dans laquelle les
crédits destinés à la production et à l’achat
des armements seraient utilisés pour améliorer les conditions
de vie des populations et l’on conçoit du même coup que
l’économie distributive de l’abondance n’est plus une utopie.
Alors aussi deviendraient crédibles les propos tenus à
la Conférence générale de l’UNESCO de 1974 selon
lesquels : « La paix ne saurait être uniquement l’absence
de conflit armé. Elle implique essentiellement un processus de
progrès, de justice et de respect mutuel entre les peuples visant
à garantir la construction d’une société internationale
dans laquelle chacun trouverait sa véritable place et aurait
sa part des ressources intellectuelles et matérielles du monde
».
Malheureusement le sentiment nationaliste continue à être
exploité de manière éhontée par les capitalistes
de tous bords qui, cyniquement, n’hésitent pas, afin d’augmenter
leurs profits, à s’associer, pour produire des armes modernes
sur une base multinationale.
Dans le domaine de la fabrication des armements, il s’effectue ainsi
un dangereux transfert technologique des pays traditionnellement producteurs
vers des pays qui ne sont encore qu’importateurs. Il en résulte
un développement de la course aux armements et, par là-même,
un accroissement considérable du risque de guerre.
Comme le souligne très justement L. LAMMERS (1) « Tout
se passe comme si chacun était content de travailler à
l’organisation de sa propre destruction. En tout cas, cela apparait
à beaucoup préférable à la perte de leur
emploi !! ».
Pour nous il n’y a pas de doute, la seule solution possible consiste
à abandonner totalement l’économie de marché.
(1) « Energies » n° 1069, du 8 avril
1977.
(2) « Le Courrier de l’UNESCO », mars 1977.
DOSSIER : LE CHOMAGE
LA sidérurgie lorraine, surclassée par
les installations de Dunkerque et d’ailleurs, n’est plus compétitive.
Ses installations sont donc qualifiées de vétustes, 15
000 emplois vont être supprimés.
Raymond Barre : - Il faut installer de nouvelles entreprises en Lorraine.
- Pour créer quoi, Monsieur le Premier Ministre ?
- Pour créer de l’emploi...
Les nouvelles entreprises devront être rentables. On y fabriquera
des marchandises qui sont déjà abondantes sur le marché,
mais que l’on espère vendre en rendant les prix plus compétitifs,
grâce à des installations modernes produisant plus avec
moins de travail humain. Quelque part, des installations anciennes seront
qualifiées de vétustes, comme présentement en Lorraine,
des emplois seront supprimés ; il faudra en créer de nouveaux,
et ainsi de suite, c’est le mouvement perpétuel, la fuite en
avant, le chômage accru, des installations toujours plus modernes
produisant de plus en plus avec de moins en moins d’emplois.
Où cette fuite aveugle nous conduit-elle ?
Il ne faudrait pas trop tarder à admettre que l’économie
du gain est incompatible avec le travail mécanique et qu’il n’y
a qu’une issue : la remplacer par l’économie du revenu social.
Certes il faut aider et donner aux êtres dans
le besoin, cela ne souffre aucune discussion. Mais, il faut plus encore,
il faut changer notre système économique-financier qui
est le responsable dés misères de l’humanité. Changer
notre système financier, c’est vouloir que l’argent contribue
uniquement à l’équilibre de la production et de la consommation.
C’est produire de l’utile, et non da futile, du médiocre et du
nuisible comme on le fait actuellement.
C’est lutter contre les injustices et contre l’ignorance à la
fois, car la cause des misères est l’injustice, celle-ci n’étant
possible que parce que l’ignorance est répandue dans tous les
milieux.
Voilà pourquoi il ne suffit pas de donner tout
en exportant aux pays du Tiers-Monde l’image imbécile de notre
système économique-financier qui deviendra le leur.
Si l’on ne détruit pas la cause, les oeuvres philantropiques
pourront durer éternellement. C’est le seul moyen de résoudre
les problèmes de Ia faim et de la pauvreté.
Conclusion : apporter une aide sérieuse au Tiers Monde consiste
à changer notre système économique.
DOSSIER : LE CHOMAGE
EUREKA !
Je n’ignore pas, monsieur le Ministre, que vous avez
déjà assez de problèmes avec les seuls travailleurs
en activité - lesquels s’agitent un peu en ce moment - pour occuper
vos journées, vos nuits blanches, et même, s’il vous en
reste, vos heures de loisir.
Le moment paraît donc mal choisi pour s’intéresser à
une autre catégorie de travailleurs, les travailleurs au chômage,
ou, si l’on préfère, les demandeurs d’emploi. On en parle
beaucoup, bien sûr, et depuis longtemps, on les plaint, les pauvres,
et on s’occupe d’autre chose. Il y a tant à faire. Et brusquement
voilà que Giscard réunit, le 17 avril dernier, les quarante
ministres et secrétaires d’Etat à Rambouillet pour chercher
« les moyens de sortir de la crise » — on n’avait pas encore
trouvé ? - avec, en priorité des priorités, le
problème du chômage. C’était donc devenu si urgent
? Y’a tout de même pas le feu !
Si, justement. Je ne vous apprends rien, monsieur le Ministre, les élections
législatives approchent, c’est dans un an, et, si l’on s’en tient
aux résultats des municipales, c’est pas du tout cuit pour la
majorité présidentielle.
Les chômeurs, bien sûr, ça fait du monde, je veux
dire, des voix. Mais comment les avoir ? Avec des promesses ? Cela ne
prend plus. Avec du boulot ? C’est tout le problème. Je ne dis
pas cela pour vous décourager mais la solution au problème
du chômage, dans notre système économique, n’est
pas près d’être trouvée. Figurez- vous que j’ai
une idée. Mais si !
Je tiens toutefois à vous prévenir que je ne suis ni économiste
distingué, ni ancien élève de l’E.N.A., de Sciences
Po et autres fabriques d’hommes d’Etat, ce qui, étant donné
les brillants succès obtenus par ces grosses têtes dans
les différents gouvernements qui se sont succédé
chez nous depuis plus d’un demi-siècle, serait plutôt de
nature à vous rassurer.
Je ne suis, monsieur le Ministre, qu’un modeste employé de la
R.A.T.P., aujourd’hui à la retraite, et médaillé
du Travail, ce qui vaut bien l’Ordre du Mérite, après
trente années de bons et loyaux services dans les sous-sols du
métropolitain. Pas de quoi se vanter, je sais, mais, à
regarder passer les trains, tout seul, à six mètres sous
terre et à faire des trous dans des bouts de carton, des heures
durant, le temps paraît long, et on pense. C’est un avantage sur
les hommes politiques qui, pris par les obligations du métier,
entre l’inauguration d’une tranche d’autoroute, un séminaire
à Rambouillet, la plantation d’un cocotier sur le macadam parisien
et une campagne électorale, n’ont pas le temps de penser. Moi,
avec le peu de jugeote que j’ai, je pense. Plutôt que de laisser
à tous les Guy Lux de la télé, de la radio et de
la grande presse dite d’information le soin de penser à ma place.
Depuis que je suis à la retraite je vois autour de moi des hommes
qui n’ont pas la chance - si l’on peut dire - d’avoir 65 berges, à
la recherche d’un emploi. Et le nombre de ces victimes de notre système
économique grandit sans cesse. J’ai un petit-fils qui, avec son
bac, comme tout le monde, une licence en sciences économiques,
une maîtrise de je ne sais plus quoi, même après
s’être fait couper les cheveux, n’a toujours pas réussi
à trouver du boulot. Je lui ai conseillé d’aller voir
à la R.A.T.P. Poinçonneur du métro c’est tout de
même pas un déshonneur. Sans enthousiasme il y est allé.
Trop tard. J’avais oublié : il y a maintenant des ordinateurs
pour faire ça.
Et c’est alors, soudainement, comme Archimède, que l’idée
m’est venue. J’avais constaté depuis longtemps que, dans tous
les pays modernement équipés la production pouvait croître
en même temps que le chômage, les progrès des sciences
et des techniques permettant, en effet, de produire de plus en plus
avec de moins en moins de main-d’oeuvre. Le système prix-salaires-profit
n’offre aucune issue à l’alternative inflation-chômage.
Il n’y a pas de solution, monsieur le Ministre, et vous le savez. Mais
puisque les élections approchent il faut bien essayer de se démerder
d’une manière ou d’une autre pour en sortir avec le moins de
dégâts possible en 1978.
Je voudrais vous y aider. Il doit bien se trouver encore dans le matériel
au rebut de la R.A.T.P., avec des sifflets de chef de train, quelques
milliers de poinçons qui servaient naguère à faire
des trous dans les billets de métro. On pourrait les distribuer
aux chômeurs, lesquels en feraient des confettis.
Ce que l’on ferait ensuite de tous ces confettis ? On en ferait ce que
l’on a toujours fait jusqu’ici de toutes les denrées «
excédentaires » : on assainirait la production, selon l’expression
consacrée, c’est-à-dire qu’on la détruirait ou,
dans le meilleur des cas, on l’exporterait à perte. Mais aux
frais des contribuables, comme de bien entendu.
LE POINÇONNEUR DU METRO
COMME prévu, la campagne électorale
est ouverte pour 1978.
Avec toute la fouge caractéristique des luttes politiques dans
les pays latins, majorité et opposition ne manquent aucune occasion
de croiser le fer dans la presse, à l’Assemblée, à
la télévision.
Qu’en pense Monsieur Tout le Monde, confronté aux réalités,
c’est-à-dire à la vie chère, à la dégradation
de l’environnement, au chômage ?
TOUS LES MEMES...
UNE constatation de fait ne cesse de me frapper au
cours des discussions individuelles : le désabusement quasi général,
la conviction intuitive qu’il ne servira à rien de changer les
hommes et que les maîtres de demain, quelle que soit leur étiquette,
se heurteront aux mêmes problèmes, adopteront les mêmes
faux remèdes. Il y aurait bien sûr des changements de camp,
certains privilégiés d’hier ou d’aujourd’hui se trouvant
évincés par les vainqueurs ; mais en dehors de ceux qui
espèrent en être les bénéficiaires personnels
directs, ce classique chassé-croisé enfanté par
les révolutions n’apparaît pas aux yeux de l’opinion comme
un objectif hautement souhaitable.
Alors ? Eh bien on laisse aller ; on vit au jour le jour, essayant de
s’aménager dans la jungle une position aussi confortable que
possible, et advienne que pourra, puisque les arguments échangés
renforcent la conviction d’une sorte de fatalité à laquelle
les hommes de ce siècle ne peuvent échapper.
PAS DE SOUS
DES réactions de cette nature ont été
tout particulièrement perceptibles lors de la publication par
le parti communiste de l’évaluation du coût du Programme
Commun et du débat télévisé entre M. Mitterand
et le Premier Ministre.
Qui paiera ?
Les Entreprises, répondent les partis d’opposition. Impossible,
répliquent, chiffres en mains, les représentants des thèses
gouvernementales, et, dans une revue de presse à la radio, j’ai
entendu à peu près textuellement ceci :
« Tout se passe comme s’il existait actuellement en France un Trésor
caché susceptible de résoudre tous nos problèmes
d’un coup de baguette magique. Ce sont les entreprises qui sont accusées
de détenir ce Trésor et, pour le leur arracher, certains
sont décidés à leur faire subir le sort de la poule
aux oeufs d’or. »
Il y a dans ce commentaire le reflet d’une erreur fondamentale et le
germe d’une vraie solution.
Erreur fondamentale si nous restons dans le cadre du système
économique actuel et si le fameux Trésor est un pactole
financier, c’est-à-dire factice, car les crédits, ou les
billets de banque, ne sont qu’un moyen d’exploiter les vraies richesses.
Dans ce domaine il est enfantin de prouver que le Trésor n’existe
pas, et que le financement du Programme Commun ou de tout autre ensemble
de réformes sociales importantes est hors de portée.
Par contre, il est bien ; évident que les entreprises ont en mains
le vrai Trésor : la capacité productive de biens et de
services. Les hommes ont besoin de nourriture (saine), de logements
(humains), de produits de consommation de toute nature (vraiment utiles),
et seules les entreprises sont en mesure de les mettre à leur
disposition.
Elles le font et sont parfaitement capables d’accroître leurs
performances aussi bien en agriculture que dans l’industrie, puisque
nous croulons sous les excédents alimentaires et que toutes les
grandes branches industrielles se plaignent de tourner bien au-dessous
de leurs capacités ! Pour elles, le seul problème est
de VENDRE, c’est-à-dire de trouver des clients. Or les clients
ce ne sont pas seulement des hommes ayant des besoins, ce sont avant
tout des hommes ayant des besoins solvables, donc nantis d’un pouvoir
d’achat susceptible d’absorber, globalement, tout ce potentiel de production.
Malheureusement les entreprises (et qui pourrait honnêtement le
leur reprocher) font ce que fait tout individu sain d’esprit chargé
d’exécuter une tâche : elles recherchent les moyens d’accomplir
cette tâche avec le minimum d’efforts, donc avec le moins possible
d’heures de travail. Et, ce faisant, elles éliminent du même
coup leurs futurs clients.
PAS DE MIRACLE
APPELS à l’Etat, subventions, allocations,
.... déficits budgétaires, inflation monétaire,
hausse des coûts, .... les cycles se succèdent-et se ressemblent
et, dans toutes les sociétés, qu’elles soient de type
collectiviste ou de type libéral, l’économie de marché
accumule les faillites, les carences, les preuves de son impuissance
totale à s’adapter aux progrès techniques.
C’est donc bien elle qui est en cause, et non le type politique de société
auquel on voudrait limiter notre choix. C’est donc bien elle qu’il faut
éliminer et remplacer par l’Economie des Besoins dans laquelle
le Revenu Social devient possible grâce à la réforme
monétaire qui restitue à la monnaie son rôle de
simple instrument de mesure et de répartition des vraies richesses.
Oui, le Trésor existe et il est possible de l’utiliser pour le
plus grand bien de tous sans léser personne. Mais il n’y aura
pas de miracle et notre grande responsabilité est d’en persuader
tous ceux qui n’ont pas encore pris conscience du magistral coup de
projecteur dont Jacques DUBOIN a éclairé la route de notre
avenir.
Un coup d’oeil sur le passé est suffisant pour
nous convaincre que ce sont les besoins primordiaux de chaque époque
de l’histoire, avec les moyens dont disposent les hommes pour y répondre,
qui conditionnent peu à peu et règlent finalement, l’évolution
sociale. Les politiques et les militaires ne jouent qu’un rôle
second, car les superstructures gouvernementales, administratives et
juridiques sont le reflet, beaucoup plus que la cause, du mouvement
des sociétés.
Ainsi voyons-nous le patriarcat correspondre aux exigences de la vie
pastorale et nomade, les premières agglomérations sédentaires
se constitituer autour de points d’eau, la féodalité s’installer
dans l’insécurité du Moyen Age où chacun cherche
refuge auprès d’un protecteur, la monarchie supplanter la féodalité
à l’heure du rassemblement territorial, la bourgeoisie marchande
se faire jacobine quand le développement du commerce s’est heurté
au réglementarisme corporatif, le dirigisme capitaliste puis
étatique, prendre corps quand la fibre concurrence n’a plus été
en mesure de maîtriser les échanges.
sans tomber dans un déterminisme puéril et négateur
de la personnalité humaine, on peut aller plus loin, en constatant
qu’Hitler a été le fruit de la famine allemande.
En fait les vrais révolutionnaires sont les inventeurs et les
techniciens de tous grades (inconnus, parfois et inconscients, le plus
souvent, des effets de leurs découvertes) qui transforment les
conditions d’existence et construisent l’anatomie des sociétés.
De nos jours, il est facile de constater, nue ces techniciens en créant
des possibilités croissantes d’abondance, anéantissent
les profits de la rareté, rendent les hommes plus exigeants et
plus soucieux de loisirs, forcent les responsables à mieux répartir
le pouvoir d’achat pour élargir le marché.
Bon gré, mal gré, avec des détours, des retards
et des maladresses, les appareils sociaux sont contraints de s’adapter
aux conditions techniques nouvelles.
Mais les chercheurs désintéressés - de même
nue les héros et les saints - sont rarement aux leviers de commande.
Ceux-ci échoient, en règle générale, aux
audacieux et aux habiles qui savent tirer parti des belles attitudes
ou des grandes découvertes. Et, comme la loi de moindre effort
oriente la plupart des actes de l’homo economicus, on voit couramment
des pionniers conquérir les premières places grâce
à une activité utile au regard des nécessités
du temps, puis - à la manière des seigneurs de l’Ancien
Régime - s’incruster dans leur fonction, jusqu’à chercher
à en conserver les prérogatives quand sa raison d’être
a disparu. C’est pourquoi la plupart des appareils sociaux nés
pour une période historique donnée, finissent par sombrer
dans le parasitisme. Les organismes périmés s’efforcent,
alors, d’étouffer les forces neuves qui contrarient leur survie.
L’ordre ancien devient, à ce moment, un facteur de désordre,
créateur d’un état révolutionnaire.
Ces considérations expliquent le déphasage de nos superstructures
économiques, sociales et même politiques en face des fulgurants
progrès scientifiques que nous connaissons. D’où les contradictions
qui résultent du retard des institutions sur l’évolution
technique.
De fait, c’est en tous domaines que nous voyons, aujourd’hui, s’amonceler
contresens et non-sens, comme nous le montrerons dans un prochain numéro,
sur des exemples précis.
Trois exemples peuvent illustrer les affirmations qui précèdent.
Premier exemple :
CHAUVINISME CONTRE MONDIALISME
La rapidité et la multiplication des moyens de communication ont presque supprimé les distances. Au XVIIIe siècle, il fallait huit jours pour aller de Paris à Bordeaux. De nos jours, nous faisons le tour du monde en quelques heures et le téléphone relie les antipodes en quelques secondes. Pourtant, depuis la guerre de 1914, le monde n’a cessé de se hérisser de nouvelles frontières et les étatismes nationaux qui ne veulent pas mourir, sont devenus plus arrogants à mesure qu’ils se révèlent plus impuissants devant les sociétés transnationales ou la bombe atomique. L’industrie des armements a même pris une place de choix dans les économies étatiques, au point que celles- ci dépériraient si une telle source de revenus venait à disparaître. Cela, quand tout commande un fédéralisme supranational.
Deuxième exemple :
RESTRICTIONS DANS L’ABONDANCE
Dans les pays développés, les entreprises sont, désormais, en mesure de produire de plus en plus avec de moins en moins de main-d’oeuvre, à telles enseignes que la capacité de production est devenue quasi illimitée, suivant l’expression du président Eisenhower. A l’ère de l’électronique, il est donc utopique de fonder l’équilibre de nos économies sur les profits de la rareté et sur le plein emploi, comme il était normal à l’âge du cheval de trait. Aux prises avec cette évidence, les nations évoluées en sont réduites, pour ne pas modifier leurs structures, à courir après les débouchés intérieurs et extérieurs les plus artificiels ou les plus destructeurs de l’environnement, à cultiver la guerre, à hypertrophier leur bureaucratie, à institutionnaliser les gaspillages de toutes sortes et à stériliser leur potentiel de production par un malthusianisme économique multiforme. On feint de s’étonner, ensuite, de la hausse des prix et, pour i remédier, on prétend mettre chacun à la portion congrue.
Troisième exemple :
DEVELOPPEMENT DES TRUSTS CONTRE AUTOGESTION
Le même progrès technique qui a ratatiné la planète et développé prodigieusement nos possibilités de production a, simultanément, miniaturisé les outillages, dépeuplé les usines, dispersé et multiplié les matières premières, rendu aisé le transport de l’énergie. La décentralisation économique et l’autogestion, sous ses divers aspects, devraient être l’effet de ce bouleversement pacifique. Mais les trusts, les financiers et les technocrates se dressent contre cette évolution qui menace leur règne. Et dans leur effort de résistance, ils nous assujettissent, au contraire, à une concentration accrue, aussi insensée qu’inhumaine.
Bref, sur tous les plans, nous retrouvons l’absurde et odieux paradoxe de la misère dans l’abondance. La cause du mal est évidente. Elle réside dans le fait que les modes d’échange conçus pour les siècles de pénurie sont devenus anachroniques depuis que les rapports classiques entre l’offre possible et la demande solvable se sont inversés. Le mercantilisme primitif doit, donc, désormais, faire place au partage des revenus, du travail et des pouvoirs.
Inscrite dans les faits, cette transformation est inévitable. Malheureusement, au lieu de s’engager dans cette voie coopérative, les économies moribondes se raidissent et nous étranglent. Les partis qui se veulent progressistes (mais qui relèvent, eux aussi, des vieilles superstructures) ne l’ont pas mieux compris que les autres. Ne se donnent-ils pas pour objectif de démocratiser ou de nationaliser une économie marchande qui, ayant fini son temps, fait eau de toutes parts et nous conduit à la ruine !
J’ai toujours eu une estime insondable pour le régime capitaliste, mais j’ai toujours envie de tambouriner le postérieur des gens qui s’ennuient. Quel rapport ?
Oyez plutôt Anne Gaillard dans son émission quotidienne entre 11 et 12 h sur France-Inter. Sans le système financier, cette jolie femme pourrait- elle conduire, tambour battant, des charges chevaleresques contre les myriades de truands quia sévissent tous azimuts ? Et ceux qui prétendent s’ennuyer ici-bas, ne pourraient-ils l’écouter ? Il i a souvent de bons moments à siroter. Exemple une auditrice qui vient conter son aventure. Cette belle a la peau aussi blanche qu’une Diane de 1900, mais ce n’est plus la mode. La publicité X... lui flatte les mérites d’un produit nouveau sensass, à base de carottes, vendu en pharmacie, ma chère, qui, en deux boîtes à 49 francs, la bronzera de la racine des cheveux aux, petits orteils, nombril inclus. « Vous serez transformée », gueulait la pub ! L’a été, la petite poulette. Son visage et ses mains sont devenus jaune d’oeuf, ses tétés sont couverts de boutons blancs et roses. le reste à l’avenant, i compris le nombril qui se défoule en relief. De quoi elle se plaint, la môme ? Elle est plus comme avant. Elle est transformée. Elle-même ne se reconnaît plus. Alors ? Veut pas que la Sécurité Sociale lui rembourse ses 98 balles, non ? Faut pas Charrier, Brigitte.
Tout ça pour vous dire que le système du profit je m’en pourlèche et que ceux qui s’ennuient y z’ont qu’à s’occuper pour s’amuser, à le maintenir à la surface !
DOSSIER : LE CHOMAGE
QU’ILS soient au pouvoir ou dans l’opposition,tous
les partis se disputent l’honneur dedéfendre le plein-emploi.
C’est à qui indiquera le meilleur moyen de créer des emplois
nouveaux pour résorber le chômage. Le P.C. va jusqu’àaffirmer
que grâce à sa panacée il peut prévoirune
augmentation de 2 460 000 emplois avant 1982.
Ils veulent donc tous arrêter le progrès technique et le
machinisme ? Seraient-ils tous devenus à ce point écologistes
?
Prétendre créer des emplois nouveaux à l’ère
de la force nucléaire et de l’automation c’est bien abuser des
Français dont la répugnance pour les questions économiques
est légendaire.
Hitler déjà, en Allemagne, avait eu de telles intentions.
Mais lui au moins connaissait un moyen infaillible de procurer des emplois
à la jeunesse de son pays sans freiner le progrès technique
et même au contraire en le stimulant : c’était de l’enrégimenter
pour préparer la guerre.
Je pense que ce n’est pas à des emplois de ce genre auxquels
on songe pour résorber le chômage en France et qu’on finira
par comprendre qu’on peut trouver d’autres occupations à la jeunesse
qui soient moins suicidaires.
Une nation qui est riche de plus d’un million de chômeurs peut
se permettre d’être très généreuse avec sa
jeunesse laquelle ne demande qu’à démontrer sa propre
générosité et son dévouement à des
tâches nationales et internationales. Car posséder un million
de chômeurs cela veut dire que toute la production nationale a
pu s’accomplir largement sans leur concours. Alors pourquoi vouloir
à tout prix les occuper à un travail productif ? Pour
leur servir un salaire sans lequel ils ne pourront acheter leur part
de la production ? Même ceux qui prétendent lutter contre
« les gachis matériels et financiers » ne voient pas
cet arbre qui leur cache la forêt.
N’est-ce pas plus économique, matériellement parlant,
de subventionner directement des consommateurs que de financer une hypothétique
« relance » qui doit, par ricochets successifs, leur procurer
un salaire ?
A en croire, en effet, l’étude chiffrée par le P.C. du
programme commun, cette relance coûterait 493 milliards de francs
ce qui représente un revenu moyen de près de 50 000 francs
pendant dix ans pour chaque chômeur actuellement recensé.
Plus modeste, M. Barre se contente de 13,3 milliards pour éponger
une faible partie du chômage.
Mais tous sont d’accord pour faire payer la note à ceux qui restent
encore en activité.
Faire payer la note... impôts nouveaux... austérité...
on n’en sortira donc jamais ? Ils ne savent, nos augures en mal d’imagination,
que se complaire dans ce genre d’exercice.
Même en ayant de la répugnance pour les questions économiques,
on doit finir par trouver bizarre qu’à une époque où
la production est telle qu’elle refuse des bras, on doive se priver
pour la répartir.
Or, ce sont les revenus qui répartissent cette production. Et
plus celle-ci est mécanisée, moins elle en distribuée !
Il faut donc servir aux chômeurs la part que la machine a permis
de réaliser.
Ce prélèvement ne peut se faire automatiquement et sans
gêne pour personne que si l’Etat possède la maîtrise
de la création monétaire. Lui seul peut donner à
son volume la mesure exacte de la production et en assurer la distribution
équitable.
Et si on tient absolument à occuper la jeunesse à des tâches utiles justifiant le revenu social ainsi attribué, il ne manque pas d’occasions d’encourager son besoin de s’instruire et de se perfectionner toujours dans la branche professionnelle choisie pour son entrée future dans la vie active.
Si cela est de l’utopie ou du simplisme, que dire des programmes que nous proposent tant les gouvernants que les opposants ? Ils ont en plus le défaut d’être emberlificotés et inutilement contraignants !
Questions agricoles :
NOUS avons montré ici la nécessité
de l’agriculture biologique, laquelle fait d’une pierre deux coups :
production de nourriture et maintien des consommateurs en bonne santé.
Mais avant de leur présenter les diverses méthodes, un
retour en arrière s’impose : il faut comprendre pourquoi s’est
développée l’agrochimie. Le problème est bien simple
: le progrès agricole n’a pas attendu pour exister. La «
révolution verte » (introduction des légumineuses
et des prairies artificielles dans l’assolement) date du XVIIIe siècle
en général, de bien plus tôt dans certaines régions.
Elle a permis une première hausse des rendements, un bétail
plus abondant, donc l’utilisation plus intensive du fumier, et l’augmentation
de la force de traction.
Et l’intéressement à l’effort ne compterait-il pas ? L’abolition
des droits féodaux et le vaste transfert des propriétés
dû à la nationalisation des biens d’Eglise, l’ont rendu
possible en France sous la Révolution. En Angleterre, la noblesse
terrienne disposait de vastes exploitations ; elle voulait en tirer
le plus d’argent possible. Sans doute, les progrès eussent-ils
été plus rapides encore avec une meilleure condition du
personnel salarié. Mais passons...
U NE fois commencée, la recherche du profit (à ce moment
où l’abondance ne sévissait pas encore), donc du rendement,
ne cessa de s’amplifier. D’où l’utilisation des machines et des
engrais artificiels. La fabrication de ceux-ci est la conséquence
des travaux du chimiste allemand Liebig, qui a découvert que
les plantes contenaient trois éléments essentiels : azote,
phosphore et potasse, la fameuse trilogie N.P.K. Il n’y a rien à
redire à cela : Liebig ne pouvait deviner que les plantes réclament
d’autres éléments tout aussi essentiels mais moins abondants
hormis le calcium : magnésium, sodium, fer, cuivre, manganèse...
tous les oligo-éléments.
Ce sera découvert plus tard. Dans son livre « La fécondité
du sol », H.P. Rush nous apprend que Liebig lui-même a mis
en garde ses contemporains contre l’usage abusif de la chimie agricole
et l’abandon des engrais organiques, fournisseurs d’humus. Mais si les
industriels de la chimie ont accueilli avec joie ses premières
découvertes, ils se sont bien gardés de mentionner ses
avertissements !
Donc, si les plantes emportaient l’azote, le phosphore et la potasse,
il fallait les restituer au sol. Cela semblait d’une logique irréfutable.
Et en avant les doses croissantes de N.P.K. I En avant les rendements
élevés à l’hectare ! Rien de plus facile à
comprendre, d’ailleurs : les famines n’étaient pas si loin...
La dernière, en Europe occidentale, celle d’Irlande, qui fit
des centaines de morts, se situe vers 1847.
Les engrais chimiques en eux-mêmes ne constituent pas le pire de l’arsenal. Mais étant trop solubles, ils court-circuitent les processus microbiens du sol, gavent les plantes qui, sous une belle apparence, deviennent fragiles. En même temps que les rendements, s’est accru le parasitisme. Et aujourd’hui on assiste à une création démentielle de produits « phytosanitaires », dont certains, nous l’avons vu, sont particulièrement redoutables. Aux 2-4 D et 2-4-5 T, ajoutons le DDT, qu’on a fini par interdire, l’aldrine, le lindane, etc...
APRES leurs performances spectaculaires, les rendements à l’hectare commencent à baisser ou se maintiennent difficilement, malgré les doses croissantes d’engrais chimiques. En même temps, des super-insectes résistants aux pesticides, font leur apparition, imités par de nouvelles maladies. Quel beau succès ! Nous ne reviendrons pas sur la baisse de la santé générale. Disons simplement qu’elle n’épargne pas non plus le bétail près d’un million de veaux meurent ainsi chaque année !
Devant ces catastrophes, des chercheurs se sont demandé
quelles pouvaient en être les raisons. Leurs conclusions se rejoignent
sur un point : la baisse du taux d’humus dans le sol : en cherchant
à imiter l’industrie et sa sûreté de production
(du moins tant qu’on l’approvisionne en énergie et matières
premières), l’agriculture s’est fourvoyée !
L’industrie manipule de la matière inerte ; l’agriculture de
la matière vivante. On ne traite pas la seconde comme la première.
Un sol est un complexe vivant et pas seulement minéral. Sa vie,
ce sont des milliards de microorganismes présents dans l’humus.
Si l’humus disparaît, il n’y a plus de sol : c’est le fameux «
bol de poussière » américain des années trente
!
(A SUIVRE)
Au colloque organisé par l’Union de l’Europe
Occidentale sur la politique européenne des armements, un des
participants français a déclaré : « Il faut
se rendre à l’évidence, la capacité actuelle des
industries européennes d’armement est bien supérieure
au marché européen et il est indispensable que cette capacité
soit maintenue par des ventes hors d’Europe ».
Un participant italien a souligné’ que « l’apport des industries
de défense à la richesse nationale a contribué
de manière non marginale à éviter un grave fléchissement
de l’économie de quelques nations après l’augmentation
internationale du prix du pétrole ».
Autrement dit : Nous on n’a pas de pétrole mais on fait des armes
!
***
Malgré les plans et rataplans du « premier économiste de France », le problème du chômage n’est pas prêt d’être résolu : en effet, selon l’I.N.S.E.E., les effectifs employés dans l’industrie devraient diminuer cette année de 0,5 % et cela malgré une progression prévisible des dépenses d’investissement de 12 % par rapport à 1976.
***
En attendant des jours meilleurs, le C.N.P.F. lutte G sa façon contre le chômage : il vient de créer soixante délégués départementaux à l’emploi !
***
Un récent rapport de l’O.C.D.E. sur « L’insertion des jeunes dans la vie active » nous apprend qu’il y a plus de deux millions de jeunes chômeurs en Europe et montre « qu’il n’est plus possible de se fier aux mécanismes du marché pour assurer aux jeunes une heureuse transition entre école et vie active ».
***
Selon le « Monde de l’Economie » du 15-2-77,
10 % au moins des grands contrats de vente à l’étranger
seraient payés par les contribuables ; cela représente
plus de 4 milliards de francs compte non tenu des aides aux ventes d’armes
et de navires, de l’exonération de la T.V.A. et des subventions
aux exportations agricoles.
Autrement dit, plus nous exportons et plus nous payons... à la
place des grandes entreprises.
***
Toujours les méfaits de l’abondance : si une partie des EtatsUnis a souffert d’une terrible vague de froid, une autre partie a été victime d’une forte sécheresse. Pourtant cela ne trouble guère les fermiers américains, bien au contraire. Ils savent en effet que, même si toute la récolte de blé de 1977 devait être anéantie (ce qui est improbable) il y aurait encore plus de blé qu’il n’en faut, car les disponibilités atteignent le niveau record de 76 millions de tonnes. Quand on sait que la consommation intérieure des Etats-Unis n’est que de 20 millions de tonnes et que les exportations ne pourront guère dépasser 27 millions de tonnes en 1977 parce que, catastrophe, partout dans le monde la récolte a été bonne en 1976, on comprend que les fermiers s’interrogent sur ce qu’ils pourraient faire de la nou velle récolte. Sa destruction par les intempéries leur épargnerait un surcroît de travail et des frais de moisson et de stockage. Et surtout, cela permettrait de maintenir un prix de vente élevé, évitant ce qu’un journal de Wall Street appelle crûment « la faillite de l’industrie de la famine ».
***
Toujours aux Etats-Unis, le marché de la viande de boeuf est en crise. Entendez par là que la surproduction continue de déprimer les cours.
***
Les industriels peuvent, eux, « maîtriser » plus facilement l’abondance en freinant leur production. C’est ainsi que dans son analyse de conjoncture du 30 avril 1977, le C.N.P.F. note que le rythme de production s’est « adapté » à l’évolution de la demande dont la progression a fléchi depuis quelques semaines.
***
Afin de faire jouer au secteur nationalisé,
éventuellement, un rôle de régulateur de l’économie,
M. Warin, Conseil en entreprises, propose les mesures suivantes :
En cas de ralentissement sectoriel ou général de la demande,
les entreprises nationalisées fabriquant des produits stockables
continueraient à tourner normalement pour alimenter des stocks
tampons jusqu’à une limite fixée à plusieurs mois
de production. L’accroissement des stocks, financés par l’Etat,
contribuerait à soutenir la demande et inversement, une plus
forte demande tendrait par le remboursement au Trésor des stocks
vendus à dégonfler la masse monétaire et à
freiner l’inflation.
Au cas où la limite fixée pour les stocks serait atteinte,
on pourrait procéder à l’arrêt total de certains
centres de production pendant une période donnée, les
autres continuant à fonctionner à leur cadence optimale.
Le personnel des centres arrêtés serait mis en congé
à plein salaire.
C’est là, me semble-t-il, des propositions très voisines
de celles proposées par l’économie distributive.
Etranger
LE « Financial Times » du 2 avril 1977
a consacré un long article aux effets du chômage sur la
jeunesse européenne. En voici la substance. L’Organisation Internationale
du Travail estime à 7 millions le nombre de chômeurs de
moins de 25 ans habitant les pays de l’OCDE. Bien que ne représentant
que 22 % de la population active, ils entrent pour 40 % dans le nombre
total des chômeurs de l’OCDE. Chez les Neuf, ils représentent
un tiers du total des chômeurs et la moitié chez les Britanniques.
Ces chiffres sont tristement éloquents et révèlent
un mal profond, qu’on ne peut même pas espérer guérir
rapidement. En effet, les experts nous annoncent encore au moins dix
ans de chômage massif chez les jeunes. Ils s’attendent même
à ce que certains de ces jeunes ne trouvent jamais d’emploi de
toute leur vie.
Pourcentage des moins de 25 ans parmi les chômeurs :
On pourrait être tenté de faire retomber
la responsabilité de cette situation sur les émirats et
la hausse du prix du pétrole. Eh bien, non ! Ces mêmes
experts s’accordent à dire que le phénomène est
apparu avant la crise de l’énergie. Les statistiques britanniques
sont là pour le montrer. En 1968, au Royaume Uni, il y avait
26 000 jeunes chômeurs de moins de 19 ans ; en 1971, 58 000 ;
en 1975, 175 000 et en 1976, 200 000.
Le fort excédent des naissances observé en 1960 et les
années suivantes, fait actuellement sentir ses effets sur le
marché du travail. Le nombre des jeunes en âge de travailler
va donc croître jusqu’en 1980 beaucoup plus vite que le nombre
des travailleurs en âge de prendre leur retraite, et la baisse
du taux de natalité n’aura pas de répercussion avant 1985.
L’importance du chômage des jeunes est souvent expliquée
par l’absence de formation professionnelle. C’est ainsi qu’on estime
à 1 /3 la proportion des jeunes chômeurs qui ont achevé
leur scolarité obligatoire sans apprendre un métier. Ceux
qui en ont appris un ne sont pas forcément mieux lotis puisque,
dans la proportion de un sur cinq, ils n’ont trouvé que des emplois
de manoeuvres.
QUELS remèdes peut-on essayer d’apporter à
cette situation ? On peut, par exemple, accorder des avantages aux employeurs
qui embauchent des jeunes. D’abord, les effets de ces mesures seront
forcément limités, car il n’y a pas beaucoup d’emplois
à offrir et puis on donnera satisfaction à quelques jeunes
aux dépens d’un nombre équivalent de leurs aînés.
De plus, un jeune travailleur produit moins qu’un travailleur expérimenté
et doit souvent recevoir une formation complémentaire qui coûte
cher au patron. Egalement, les règlements qui protègent
les jeunes travailleurs découragent les employeurs.
Pour lutter contre le chômage des jeunes on peut mettre d’autres
travailleurs à la retraite anticipée. Dans ce cas, l’économie
risque de se priver d’une main-d’oeuvre expérimentée et
rentable. On peut encore prolonger la scolarité obligatoire,
mais pour recevoir quelle formation ? Et aux frais de qui ? Des familles
sans doute.
VOILA ce que dit le « Financial Times ». Le mal vient de très loin. Depuis longtemps déjà le nombre d’emplois que peut offrir l’agriculture, le secteur primaire, ne cesse de décroître. Pendant un temps, la relève est venue de l’industrie, touchée à son tour par le même phénomène. Elle ne peut rester rentable qu’en accroissant sa productivité, donc en réduisant sa main-d’oeuvre. Reste le secteur tertiaire. Les emplois continuent à y croître en nombre, mais leur augmentation n’entraîne pas une augmentation semblable du produit national brut. Pourquoi donc y investir ? D’autant que l’informatique le menace.
Il semble bien qu’il n’y ait pas de solution dans l’économie actuelle. Il va bien falloir que, sous la poussée des faits économiques, on repense toute la question. On ne tardera pas à conclure que seule l’Economie Distributive peut apporter la solution indispensable.
DOSSIER : LE CHOMAGE
J ’AI eu récemment l’occasion de parcourir la
Lozère. C’est une région magnifique, mais chaque jour
plus délaissée. Les vieux y végètent et
souffrent, attachés à leurs terres, que les enfants abandonnent
pour aller s’entasser dans les villes.
Cet exode n’est pas seulement le résultat d’une publicité,
ou d’une mode.
En parlant avec ces fils de paysans, on comprend qu’ils ne sont pas
souvent partis de gaîté de coeur et pour la gloire. La
plupart aiment leur pays plus que tout autre et rêvent d’y revenir.
« Seulement, il faut vivre, disent-ils, et ici il n’y a plus de
quoi nourrir une famille ».
C’est vrai. Il n’y a pas de raison pour que ceux qui sont nés
dans ces villages arides et rudes ne puissent pas, comme les autres,
voir évoluer avec le progrès technique, leurs conditions
matérielles.
Mais le travail qu’ils trouvent en ville, s’ils en trouvent, les satisfait
rarement. Et, s’il est mieux payé, il n’est pas toujours moins
pénible que celui de la terre. Enfin, beaucoup de jeunes ont
conscience d’avoir perdu une certaine « qualité de la vie
».
Je ne puis m’empêcher d’imaginer ce qui se passerait si un revenu
social leur était assuré. Beaucoup reviendraient très
vite au village et y travailleraient sans renâcler, et intelligemment.
« Ecologiquement ». Et tout le monde y aurait avantage !
Quel gâchis, ce capitalisme !
Réponses aux objections
Divers ouvrages économiques sérieux
ont consacré de courtes notices à l’Economie Distributive.
En général, ils en exposent assez clairement les thèses
fondamentales ; cependant les observations succintes dont ils les commentent
sont souvent peu objectives.
C’est ainsi, par exemple, qu’un de nos lecteurs, Jean-Louis Lenclos,
nous transmet l’article consacré par Alfred Sauvy à la
doctrine de l’Abondance dans l’« Histoire Economique de la France
entre les deux guerres » (Payot). Cet article la résume
très bien, en trois propositions, mais il la fait suivre d’assez
longs commentaires critiques.
1°- A. Sauvy approuve entièrement la condamnation du Malthusianisme
economique et de la recherche de la rareté, qui constituent les
bases de départ de l’Economie distributive. Dont acte !
2°- Il admet que la mévente et le chômage résultent
du fait que les hommes, et surtout les salariés, ne reçoivent
pas de pouvoir d’achat suffisant. Il ne confond pas non plus les besoins
réels et les besoins solvables.
Le seul reproche que A. Sauvy fait à J. Duboin c’est l’absence
d’évaluation des besoins objectifs véritables.
Or chacun sait que la notion de besoin est nécessairement floue,
surtout lorsqu’elle s’étend à l’ensemble de la population
et non seulement aux salariés. Il ne s’agit pas tant de les évaluer,
mais de les cerner. D’ailleurs les économistes officiels n’évaluent
que les besoins solvables, les seuls qui intéressent le régime
du profit.
Le nouveau système, l’économie distributive - qui est
un humanisme - le fera lorsqu’il sera en place (1). Jacques Duboin l’avait
d’ailleurs annoncé dans ses ouvrages. On ne peut sérieusement
lui reprocher de ne pas le faire dès à présent !
3°- Les progrès considérables de la machine et de
l’outillage résolvent les problèmes de production. C’est
la distribution des produits qui est malthusianiste tant qu’on produit
pour vendre et non pour consommer.
Sans condamner formellement ces propositions, A. Sauvy estime qu’elles
négligent le personnel « indirect » du secteur tertiaire
qui remplace, en partie, le personnel « direct » de la production
faite par les machines et non par les hommes.
C’est sans doute vrai en partie (2). Mais alors on peut se demander
d’où proviennent les actuels chômeurs ! Ne serait-ce pas
parce que la « fuite en avant », à laquelle est condamné
le capitalisme, ne s’accompagne pas de la solvabilisation des besoins,
souvent artificiels, qu’il crée ?
Nous ne contestons pas le progrès, au contraire, mais nous contestons
le système capitaliste qui ne permet pas de distribuer la production
qu’il permet.
C’est ce qui nous différencie des économistes officiels
qui, par ailleurs, ne proposent aucune explication valable à
la crise qui secoue le capitalisme et qui est institutionnelle.
A. Sauvy finalement estime que l’optimisme est le caractère essentiel
de nos doctrines mais qu’elles présentent un défaut principal
qui est l’anticipation ! Si elles sont redoutées, et discrètement
combattues par les communistes et les socialistes, ce serait parce qu’elles
surenchérissent en, promettant le régime distributif immédiatement,
sans passage par un socialisme constructeur de transition.
Il s’agit là d’un autre aspect du problème. L’essentiel
est que les analyses de J. Duboin, et ses propositions, ne sont ni insuffisantes
ni superficielles comme A. Sauvy l’écrit en conclusion de son
article ; sans doute parce que le bât le blesse !
(1) Puisque c’est la consommation, et non plus la
recherche du profit, qui déterminera la production ((N.D.L.R.).
(2) Mais le devient de moins en moins au fur et à mesure du développement
de l’informatique (N.D.L.R.).
Lectures
[*] Dans cet ouvrage l’auteur situe l’homme, d’une part
dans sa nature physique et biologique, en insistant sur le déterminisme
lié à son patrimoine génétique qui structure
son hérédité individuelle (aspect, morphologie,
caractère, aptitudes...). Chaque individu a sa propre carte d’identité
génétique.
Comparant ce programme à celui des animaux dont les plus simples
n’ont que des comportements strictement stéréotypés,
l’auteur dégage l’aptitude humaine à accéder à
la pensée réfléchie. Or, cette pensée réfléchie
est liée désormais à l’évolution des connaissances,
à l’apport scientifique en biologie, embryologie et aux progrès
techniques de tous ordres agissant sur notre environnement, nos conditions
de vie, « notre milieu ». C’est parce que chez l’homme le
programme du déterminé est incomplet, qu’il est en même
temps plus riche puisqu’il le rend créateur et original.
[*] Par J .DUBOUCHET, Aux éditions Delachaux et Niestlé.