A ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir réussi
à instaurer l’économie distributive, Jacques Duboin répondait
: « elle fait son entrée dans le monde, discrètement,
par la porte basse du chômage. Elle est déjà là,
dans les multiples et diverses allocations ».
Il disait aussi qu’à son avis ce serait aux EtatsUnis qu’elle
serait d’abord mise en pratique parce que c’est le pays où les
progrès technologiques sont le plus poussés et où,
par conséquent, les contradictions du capitalisme sont les plus
exacerbées.
Encore une fois, les faits lui donnent raison et en voici une nouvelle
preuve : le syndicat américain de l’acier (U.S.W.) oui compte
un million quatre cent mille adhérents, demande « A VIE,
un REVENU ANNUEL qui ne tienne pas compte des changements pouvant intervenir
dans l’économie nationale, l’industrie de l’acier ou dans une
entreprise donnée et l’emploi même d’un syndiqué
».
C’est donc la garantie du revenu et non plus celle de l’emploi que réclame
ce puissant syndicat. Quand on sait à quel point les syndicats
américains sont intégrés aux institutions capitalistes,
on ne peut que s’étonner d’une telle revendication qui traduit
une sérieuse perte de confiance dans le système de la
libre entreprise. Mais, premières victimes du chômage et
de l’inflation, les ouvriers de l’acier estiment qu’ils doivent eux
aussi bénéficier des clauses de non licenciement déjà
accordées à un certain nombre de cheminots, de dockers
et d’ouvriers de l’imprimerie, en échange de leur accord sur
la modernisation et l’automatisation des entreprises.
Le syndicat entend donner à cette revendication la plus haute
priorité et laisse aux négociateurs le choix des moyens
appropriés pour atteindre ce but : réduction. de la durée
de la semaine de travail, ou création d’un fond permettant d’assurer
aux licenciés un revenu permanent.
De leur côté les compagnies sidérurgiques critiquent
ces revendications, propres, disent-elles, à faire monter le
prix de l’acier ; mais, pragmatiques, les plus importantes d’entre elles
ne réagissent pas de manière entièrement négative
: appréciant l’avantage de disposer d’une main-d’oeuvre qualifiée
et stable, elles semblent prêtes à satisfaire cette revendication
à condition d’en limiter le bénéfice aux ouvriers
ayant une certaine ancienneté.
Ces nouvelles devraient être riches d’enseignements pour les syndicats
français, confrontés, comme ceux de tous les pays industrialisés,
aux mêmes problèmes d’automatisation et de licenciement.
Réalistes et efficaces, les syndicats américains sont
prêts à immoler la sainte libre entreprise sur l’autel
du « revenu à vie », pourquoi les syndicats français
ne sacrifieraient-ils par le droit à l’emploi au droit au revenu
?
LE PANIER DE CRABES
1977 : les municipales ; 1978 : les législatives.
Dans le panier, les crabes s’agitent, cherchent leur ligne de départ.
Les futures Jeanne d’Arc que la France secrète avec une régularité
exemplaire depuis un demi siècle s’apprêtent à sauter
en selle pour un galop historique sur le front de l’inflation avant
de brûler sur le bûcher de l’oubli.
Bienheureux bûcher ! Que se passerait-il s’il venait soudain à
manquer et si, par un malheur inouï, les Français retrouvaient
des bribes de mémoire ?
Car enfin voici effectivement près de 50 ans que pour des motifs
lucidement analysés par Jacques DUBOIN, les monnaies (pas seulement
la nôtre) souffrent de ce mal que les économistes traditionnels
s’obstinent à dénommer inflation, alors que précisément
le fléau de la balance ne demanderait qu’à basculer du
côté de l’offre si des prodiges d’« ingéniosité
» ne réussissaient à maintenir une rareté
relative. Voici près d’un demi-siècle que les sauveurs
se succèdent, avec leurs plans de stabilisation, de relance et
d’austérité ; les hommes nouveaux appliquent sans broncher
les recettes les plus éculées, augmentent le tabac et
l’essence, lancent leurs emprunts exceptionnels, et font succéder,
sur leurs vignettes, la photo du paysan à celle du vieillard.
Et imperturbablement les monnaies poursuivent leur slalom, bloquant
des économies dont elles ne devraient être que la traduction
chiffrée mais fidèle, et piétinant allègrement
les merveilleuses possibilités que les progrès de la science
et de la technique offrent aux hommes d’aujourd’hui.
UNE CONTRE-VERITE
Car attention, je l’ai souvent dit et nous ne le répéterons
jamais assez : le sentiment confus qu’à M. DUPONT de vivre moins
bien que ses parents correspond bien à la réalité,
en dépit des statistiques, de la télé et des embouteillages.
Redisons que notre société saturée de gadgets hautement
rentables, sacrifie les vrais besoins vitaux : qualité de la
nourriture, du logement, des rapports sociaux, de l’environnement. La
meilleure preuve en est le prix relativement très élevé
demandé à ceux qui s’obstinent par exemple à préférer
les aliments traditionnels ; de même la valeur marchande de l’air
pur et du silence. N’oublions donc jamais que les « conquêtes
sociales » des dernières décennies n’ont été
possibles qu’au prix d’un véritable écroulement des vraies
valeurs, aussi bien matérielles que morales.
Sur cette toile de fond, à ne jamais perdre de vue, l’agitation
des marionnettes prête à sourire Giscard ou Chirac ? Barre
ou Mitterand ? Quelle importance pour le sujet qui nous préoccupe
tous et qui prime actuellement tous les autres ? La gauche ne dissimule
pas que si elle arrive au pouvoir son premier souci sera, comme au Portugal,
comme en Allemagne, comme en Angleterre, de lutter à son tour
contre la fameuse inflation « retroussez vos manches » (refrain
connu avec couplets remis au goût du jour) ...
UN SONDAGE REVELATEUR
En attendant, percevant le malaise, ces Messieurs
multiplient les prises de pouls : nous sommes auscultés dans
les plus petits méandres de nos consciences de citoyens et voilà
maintenant qu’on nous accuse ouvertement de cultiver le paradoxe...
pour ne pas dire plus ! Une majorité d’entre nous n’a-t-elle
pas eu assez d’inconscience pour déclarer récemment :
1°) que nous nous sentons mal dans notre peau actuelle et qu’il
fallait que ça change.
2°) que nous ne souhaitions pas opter pour une société
« collectiviste ».
Pour notre part, nous déclarons cette apparente contradiction
parfaitement logique, et elle aurait dû faire éclater aux
yeux les moins dessillés une escroquerie intellectuelle aveuglante
qui dure depuis des lustres : à savoir la confusion savamment
entretenue entre les problèmes économiques et le choix
d’un régime politique. Dans notre système du Profit, en
effet, aucune libéralité ne peut être accordée
à quiconque sans amputer les ressources de quelqu’un. Dans ces
conditions, tous ceux qui possèdent quelques privilèges
se rangent automatiquement dans le clan des conservateurs, tandis que
les lésés, regroupés au sein d’une opposition,
oeuvrent pour que la prise de pouvoir politique leur permette d’intervertir
les rôles. En se faisant les seuls champions d’une suppression
des injustices sociales, les partis politiques trichent, puisqu’aucun
d’eux ne propose de s’évader du système économique
actuel. Pourquoi l’instauration d’une économie des Besoins serait-elle
le monopole de telle ou telle forme de gouvernement ?
LE VRAI CHOIX
Gageons que, bientôt, on va nous seriner à
longueur d’émission de radio et de télévision le
caractère angoissant et définitif des choix que nous allons
être amenés à faire. Belle occasion pour nous tous
de remettre les choses au point ce qui engage fondamentalement l’avenir,
c’est le temps qui s’écoulera avant que le changement de système
économique ne nous permette à nouveau de vivre, au vrai
sens du terme. Car ils pèseront lourd ces mois au cours desquels
nous allons continuer à polluer, à gaspiller les réserves
planétaires, à hypothéquer l’avenir de nos enfants
et peut-être à nous préparer une fin de siècle
d’apocalypse !
J’exagère ?
Comme je souhaiterais en être sûr !..
LES QUESTIONS AGRICOLES
Nous décrirons dans de prochains articles les méthodes de culture biologique, puis les problèmes qui se posent. Car c’est là le point faible des écologistes. Pour les méthodes, il s’agira plutôt d’un rappel, car nous les avions présentées aux lecteurs voici quelques années. Nous attendrons leurs remarques.
Jean Pennaneac’h a écrit dans « La Grande
Relève » de décembre 1976 un article bien documenté
au sujet de la Sécurité Sociale. D’un autre côté,
des lecteurs demandent quelle pourrait être l’agriculture en Economie
Distributive. Ces problèmes paraissent différents à
première vue. Il n’en est rien.
...« On est en droit de se demander si nous sommes bien soignés
» dit Jean Pennaneac’h. Beaucoup de gens - mais pas assez encore
! - se posent la même question.
***
DEPENSES DE SANTE OU DE MALADIE ?
Il est bon de remettre au point ce problème
de la Sécurité Sociale, car trop de mensonges courent
s ce sujet. Mais, en admettant que les dépenses de santé
soient trop fortes pour la nation, là n’est pas le scandale.
Le scandale, c’est qu’il ne s’agit pas de dépenses de santé,
mais de dépenses de maladie !
Ces dépenses ne seraient pas graves, et même bénéfiques,
si elles aboutissaient à une amélioration générale
de la santé française. Est-ce le cas ? Trop souvent non,
hélas ! Et leur augmentation continuelle en est une preuve supplémentaire.
Certes, la chimie médicale et l’abus de la chirurgie ne sont
pas les seuls responsables. En dehors
des maladies « iatrogènes » (causées par les
médicaments) la dégradation des conditions de vie tient
sans doute une plus large place. Il n’en reste pas moins vrai que la
Sécurité Sociale rembourse sans sourciller une quantité
de thérapeutiques inefficaces et refuse de rembourser des soins
de haute valeur (cures de jeûne par exemple).
Nous sommes bien placés pour le savoir. Et si cet ostracisme
a disparu nous aimerions en être informés. Ce ne peut être
que tout récent.
On nous avait répondu à l’époque : « C’est
la faute du contrôle médical et pas de la Sécurité
.. Il paraît que cela ne va pas ensemble [1]. Encore un mystère
de plus, n’est-ce-pas, sauf pour les adhérents du M.F.A. : ils
savent bien qu’il ne faut pas « tuer la poule aux oeufs d’or »,
en l’occurence, l’augmentation de la morbidité.
***
AUGMENTATION DE LA MORBIDITE
Car, cela aussi il faut que nos camarades, trop souvent
fanatiques du « Progrès le sachent ; la baisse de la mortalité
a été compensée par l’augmentation de la morbidité,
c’est-à-dire du nombre de gens malades, pas d’une façon
aigüe et fatale (du moins pas toujours), mais chronique, et obligés
de se soigner constamment.
Les grandes épidémies ont été remplacées
par d’autres maladies : hépatites, cancer, maladies cardio-vasculaires,
mentales, etc...
Les spécialistes du cancer attribuent 80 % des cas à l’environnement
(déclaration faite en particulier par le Pr John Higginson, de
l’Institut International de Lyon). Nous n’avons même pas besoin
de recourir ici aux fanatiques de l’écologie et de la médecine
naturelle pour les mises en garde. Et à côté du
cancer, combien d’allergies, de maladies pulmonaires, digestives ou
autres lui sont imputables ?
L’environnement, bien sûr, c’est l’air, c’est l’eau, mais aussi
nos aliments et notre manière de vivre.
Parmi ces facteurs, notre alimentation est primordiale. Si la production
agricole a battu des records (coupés de fortes baisses, il est
vrai), ces dernières années, sa qualité ne s’est
pas améliorée, au contraire ! Nous posons la question
à nos lecteurs : le progrès consiste-t-il à rendre
les gens malades, puis à inventer des tas de remèdes plus
ou moins complexes pour les soigner, ou bien leur offrir des conditions
de vie qui les empêchent de tomber malades ?
Il nous semble que la réponse est évidente. Inutile de
continuer à polluer l’eau et l’atmosphère avec les rejets
des usines chimiques si l’on peut se passer de leurs produits en médecine
et en agriculture. Et c’est possible. L’expérience le démontre.
***
ECOLOGIE ET ECONOMIE
Depuis que nous étudions l’agriculture biologique,
nous avons eu connaissance de nombreux témoignages, prouvant
l’amélioration de la santé des plantes et des animaux,
mais aussi de la santé des agriculteurs eux-mêmes. (Nous
avons fait des constatations identiques en médecine naturelle).
L’agriculture biologique a donc un double résultat : elle permet
de se passer d’une grande partie de l’énergie employée
par l’agrochimie, tout en améliorant ou rétablissant la
santé des consommateurs. Elle est capable d’atteindre ou même
de dépasser les rendements de l’agrochimie !
Elle fait mieux : ses rendements se maintiennent, alors que ceux des
méthodes courantes, après avoir atteint un sommet, décroissent
ensuite régulièrement (en proportion des fertilisants
employés, mais aussi en valeur absolue).
Exemple : des rendements en blé variant entre 40 et 70 qx/hectare
! Nous connaissons un agriculteur produisant régulièrement
entre 45 et 60 qx/hectare. Ces témoignages ne manquent pas. Si
les adversaires contestent, qu’ils prouvent le contraire.
Notons enfin que le blé du cultivateur précité
est d’une propreté étonnante : peu de graines de plantes
adventices et ce, sans aucun herbicide.
Ce détail a son importance, lorsqu’on sait que l’on utilise,
pour désherber les céréales, des produits à
base de 2-4 D ou 2-4-5-T, comme les défoliants du Vietnam. Ils
renferment de la dioxine, le bon produit de Seveso, et sont interdits
aux EtatsUnis, qui savent à quoi s’en tenir !
Voici encore quelques renseignements supplémentaires :
- après avoir augmenté, l’espérance-vie baisse
de nouveau dans les pays « avancés ».
- les épidémies subsistent, malgré les vaccinations,
dans les pays où règne la misère (variole, choléra,
tuberculose), il y a eu progrès, chez nous, dans ce domaine,
mais la grande bouffe et la pollution alimentaire pourraient bien les
remettre en cause ; et nous n’avons pas éliminé la misère.
[1] Il va de soi que le principe sur lequel est fondé la Sécurité Sociale n’est pas en cause. Il s’agit de la remettre au service des citoyens. Le « cochon de payant » a son mot à dire dans le choix de son traitement.
Un des responsables du Parti Socialiste a fait récemment
un brillant exposé à la télévision sur le
thème : l’impôt, son utilité, les moyens de le rendre
plus juste et d’éviter les fraudes. En tant qu’inspecteur des
Finances, M. Michel Rocard avait toute la compétence voulue pour
traiter un tel sujet.
Il est à craindre cependant que les solutions proposées
ne soient inefficaces, car elles demeurent dans le cadre de l’économie
des prix-salaires- profits.
C’est pourquoi nous lui en proposons une autre : le service social assurant
le revenu social. Celui- ci, distribué avec équité
entre tous les citoyens, ne doit être calculé qu’après
avoir tenu compte des sommes nécessaires à la production.
Pas d’autre impôt à déduire ensuite par ceux qui
acceptent d’accomplir leur service social. Cet impôt de type encore
inédit étant institué, les assujettis comprendraient
très vite que pour diminuer le temps de ce service social, il
faudrait supprimer le gâchis et les gaspillages de toutes sortes.
Finies les productions inutiles engendrées par la recherche vaine
du plein emploi.
Et que d’emplois considérés aujourd’hui comme utiles perdraient
alors leur raison d’être : banques, assurances privées,
appareil policier et judiciaire, intermédiaires, etc., ce qui
réduirait encore le service social.
C’est alors que nous pourrions crier avec notre camarade Carlesse :
Vive l’impôt, mais le nôtre.
Dans « France-Soir » du 9-1-77, François
Gault cherche des armes contre le chômage. Il écrit : «
Plus longue que prévu, la ’crise économique a modifié
la politique industrielle et celle des échanges internationaux.
Dans ces conditions, de nouvelles armes se révèlent nécessaires
pour venir à bout du problème. On ne les connaît
pas encore, mais on les cherche. »
Nous suggérons à F. Gault de s’abonner à «
La Grande Relève » et de nous ouvrir les colonnes de «
France-Soir ».
***
L’automatisation du dessin des circuits intégrés
est maintenant une réalité : associé à un
ensemble de traçage photographique, un calculateur permet d’automatiser
entièrement la phase manuelle de dessin des circuits intégrés
et rend possible la conception de circuits imprimés de grandes
dimensions.
La précision obtenue est de 1/100 de millimètre pour un
carré de 300 mm de côté ou de 2/100 de mm pour une
surface de 500 x 600 mm. La vitesse de tracé est de 100 mm à
la seconde.
***
Depuis quelques temps viennent d’apparaître
sur le marché des testeurs automatiques de composants et de sous-ensembles
électroniques. Permettant d’assurer les contrôles à
la réception, en cours de production et en fin de fabrication,
ils entraînent une amélioration de la qualité du
produit fini et un abaissement des prix de revient.
Les testeurs automatiques apportent des avantages incontestables tant
sur le plan fonctionnel qu’économique : le diagnostic est en
effet beaucoup plus précis et plus rapide (quelques minutes au
lieu de plusieurs heures) que lorsqu’il est est effectué par
des techniciens. Ils permettent d’utiliser un personnel peu qualifié
et rapidement formé.
***
Le véritable motif de la grève qui vient de paralyser le centre informatique de la B.N.P. est la menace de la mise en place d’un vaste plan de restructuration de l’informatique dans les banques, entraînant, de très nombreuses suppressions de postes.
***
Les trois exemples que nous venons d’évoquer
démentent à l’évidence l’affirmation maintes fois
entendue selon laquelle le progrès technologique ne supprime
que des emplois de faible qualification et crée par contre des
emplois exigeant un niveau de connaissance plus élevé.
Désormais, techniciens, dessinateurs, informaticiens, ingénieurs
doivent un peu plus se sentir solidaires des manoeuvres et des O.S.
et exiger avec eux un revenu garanti.
***
Après le Tour de France des chômeurs
en quête d’emploi, Raymond Barre va-t-il proposer le Tour de France
des malades ?
Ses services se plaisent en effet à dire qu’il y a globalement
assez de lits d’hôpital en France mais qu’on ne sait pas les utiliser.
Décidément, il va y avoir bientôt beaucoup de monde
sur les routes !
***
D’ailleurs, tout ce qui est social tracasse notre
Premier ministre :
Après avoir prôné « l’assainissement »
des Entreprises par l’allègement de la main-d’oeuvre (sidérurgie
entre autres exemples), il s’en prend maintenant aux dépenses
sociales : « Si l’on n’y met pas bon ordre, nous courrons à
l’abîme » dit-il à ses proches collaborateurs. Selon
lui, tout système qui tend à garantir à tous et
à chacun un minimum de ressources entraîne l’existence
d’un budget absorbant complètement le montant du produit national.
Nous avons pourtant vu dans le précédent « Fil des
Jours » que le S.M.I.C. à 5 500 francs est parfaitement
concevable dès à présent pour tous les ménages
français.
***
Le revenu minimum garanti n’est pourtant pas une utopie
il est inscrit dans le programme du Parti Québécois qui
vient de remporter les dernières élections législatives
au Québec.
Et il ne s’agissait pas d’une simple promesse électorale puisque
le ministre des Affaires Sociales du nouveau gouvernement québécois
vient de soumettre au Conseil des Ministres un projet de mise en place
progressive du revenu familial garanti.
***
Il faut à tout prix maîtriser l’abondance : la Commission Européenne préconise une réduction des capacités de raffinage de 16,5 % pour l’ensemble de l’Europe des Neuf. Elle recommande pour cela d’arrêter complètement les nouvelles constructions et de mettre hors service définitivement les installations les moins efficaces.
***
Aux Etats-Unis, patrons et syndicats étudient
divers projets concernant l’éventuelle réduction de la
semaine de travail à 32 heures.
En France, le gouvernement et le patronat, toujours en retard d’une
guerre, en sont encore à refuser les quarante heures.
SOIT DIT EN PASSANT
Durant la dernière campagne électorale,
celles des municipales, M. Giscard d’Estaing, histoire de se changer
les idées, qu’il avait plutôt moroses, et de voir d’autres
tronches que celles de ses ministres, est allé visiter le Salon
de l’Agriculture à la Porte de Versailles. Et il en est sorti
tout ragaillardi, le Président. Il en avait grand besoin.
C’est que le métier de président libéral avancé
n’est pas un métier de tout repos. Il y a des cactus. Les adversaires,
de l’opposition, bien sûr, et même ceux de la majorité,
qui vous attendent au tournant. Et il y a les petits amis impatients
qui voudraient prendre la place. Il y a aussi la conjoncture économique,
l’inflation, le chômage, le franc qui se débine, et le
reste. Comment voulez-vous gouverner dans de telles conditions ? C’est
dur, vous savez.
Alors, il faut bien, de temps en temps, pour ne pas sombrer dans la
déprime, aller se remonter le moral, au Salon de l’Agriculture,
par exemple. C’est plus tonique que le Centre Pompidou, croyez-moi.
J’ignore, n’ayant pas été invité à cette
belle cérémonie, si Giscard en est ressorti gonflé
à bloc, comme on l’a dit, ou s’il a seulement fait semblant devant
les photographes et les micros, mais c’était bien imité.
Je dois dire que, vue de la Porte de Versailles, quand le temps est
beau, l’Agriculture et ses deux mamelles de la France, avec ses montagnes
de choux- fleurs, ses tonnes de beurre, ses pyramides de camemberts,
ses ovins primés, ses bovins déprimés, son matériel
modernisé, ses hôtesses, et tout le folklore qui accompagne
ce genre de manifestations, l’agriculture, même pour le visiteur
distrait, offre un visage plutôt réconfortant.
C’est autre chose, j’imagine, que d’aller voir sur place, dans les campagnes,
comment ça marche, que de se trimballer dans des chemins impossibles,
serrer la paluche de tous les culs-terreux qu’on rencontre, souvent
mal embouchés, en souriant, avec un petit mot gentil pour tout
le monde. Surtout quand on n’est même pas foutu de faire la différence
entre une vache landaise et un épagneul breton. Bien heureux
encore quand ces péquenots ne s’amusent pas à barrer les
routes ou à répandre sur la chaussée des artichauts
arrosés de mazout.
Au salon de l’Agriculture tout s’est bien passé pour Giscard.
Il était satisfait. « Quand l’agriculture va tout va, qu’il
a dit, et quand l’agriculture ne va pas, rien ne va ». C’est comme
le bâtiment.
Et puis, sur sa lancée, le Président a annoncé
qu’un délégué aux industries alimentaires sera
prochainement nommé par le gouvernement pour donner un nouvel
élan à cette industrie, et, par contre-coup, à
l’agriculture. Ca fera toujours un chômeur de casé.
Attendez, ce n’est pas fini. Giscard, visiblement en pleine forme, a
ajouté : « Après les trois dernières années
difficiles qu’a traversées l’agriculture, on peut actuellement
prévoir en 1977 une augmentation en volume de la production agricole
française, qui devrait dépasser les niveaux de 1975 et
de 1976 ».
Autrement dit : Tout va pour le mieux et faites-moi confiance. Je tiens
bon la barre.
C’est quand même une bonne nouvelle, non ?
Une bonne nouvelle ?,. Réflexion faite, ce n’est pas certain
du tout. Je le dis, au risque de passer pour un trouble-fête.
On voudrait bien faire confiance au Président, mais dans les
propos pleins d’un si bel optimisme qu’il a tenus, il y a quelque chose
qui me chiffonne Ou bien Giscard se paie notre tête à tous,
ou bien il n’est pas au courant. Il a tellement à faire, cet
homme.
Pourtant il devrait savoir qu’en dépit de toutes les difficultés
qu’a connues l’agriculture depuis trois ans, le mauvais temps, la sécheresse,
le mildiou, le doriphore, et tout, la France, avec le Marché
Commun, n’a pas réussi encore à se débarrasser
de toute sa surproduction. Les stocks de poudre de lait, de beurre et
autres denrées s’entassent un peu partout jusqu’à devenir
encombrants. Et pas le plus mince espoir de les fourguer, même
à perte. (Mais aux frais des contribuables, comme le veut un
usage solidement établi).
Alors, si maintenant la récolte 1977, comme l’annonce Giscard,
se met à être bonne, c’est foutu ! Je ne vois pas comment
le gouvernement, même avec à sa tête le meilleur
économiste français, pourrait nous sortir de ce merdier.
On peut, bien sûr, en demandant un petit effort aux Françaises-Français,
établir, après l’impôt sécheresse un impôt
excédents. Quelqu’un y a sûrement pensé. Mais que
fera-t-on des stocks ?
Giscard d’Estaing, pour être plein d’optimisme, doit bien avoir
sa petite idée là-dessus. Je serais tout prêt à
partager son optimisme s’il voulait bien, un four, venir nous expliquer
son truc.
Je lui promis d’être sage. Et de ne pas aller refiler le tuyau
à Mitterrand.
Etranger
C’est aujourd’hui 25 mars 1977 le vingtième
anniversaire du Traité de Rome par lequel les ministres des Six
(Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) instituèrent
la Communauté Economique Européenne (CEE) et la Communauté
Européenne de l’Energie Atomique (EURATOM).
En janvier 1962, une Politique Agricole Commune vit le jour. Ses deux
grands principes étaient la fixation chaque année de prix
uniques à l’intérieur de la Communauté et une protection
douanière efficace.
A deux reprises, en 1963 et 1975, une convention fut passée avec
des pays du Tiers Monde (accords de Lomé).
En 1970, sur rapport de M. Barre (le même !) la CEE s’octroya
un financement autonome et un fonds de soutien automatique de 2 milliards
de dollars.
Sans nul doute, les intentions des fondateurs de la CEE étaient
pures et généreuses. Vingt ans après, les réalisations
obtenues laissent perplexe. A titre d’illustration voici plusieurs informations
tirées de la très sérieuse revue britannique THE
ECONOMIST dans ses numéros des 26 février, 5 mars et 12
mars 1977.
Le problème majeur de l’Europe verte est sans doute celui de
ses excédents agricoles.
D’abord. les produits laitiers. L’année dernière, alors
que la Communauté détenait déjà des stocks
de 46 000 tonnes de beurre et de 437 000 tonnes de poudre de lait. les
ministres ont accordé une augmentation de 7,5 % du prix du lait,
encourageant la production mais décourageant la demande. Que
les producteurs ne s’inquiètent pas ! La Communauté leur
achète leurs produits au « prix d’intervention ».
A ce titre, le fonds agricole a versé, en 1976. 1 200 millions
d’unités de compte, monnaie conventionnelle en vigueur dans la
Communauté en attendant une monnaie européenne. A titre
d’indication. il faut environ 2 de ces unités pour acheter 1
kilo de beurre européen.
En janvier 1977, les stocks de beurre dépassaient 190 000 tonnes
et ceux de poudre de lait un million de tonnes. Que faire de ces stocks
? Les vendre sur le marché mondial ? Non, car le prix européen
du beurre est environ 4 fois supérieur au prix mondial. Ou alors,
on le vendra à bas prix et la Communauté versera la différence
à l’exportateur. Grâce à ce système, les
Russes viennent d’acheter, à grand scandale, du beurre européen
moins cher que nous le pavons nous-mêmes. Pour apaiser les esprits
on a décidé de ne plus leur en vendre. On va donc continuer
à le stocker en entrepôts réfrigérés
(il n’en coûte que 300 millions d’unités de compte par
an et par tonne !).
Et si on le vendait au Tiers-Monde ? Eh bien, le Tiers-Monde ne s’intéresse
qu’à la matière grasse du lait qu’il faudrait donc traiter,
aux frais de la Communauté, avant de le lui expédier.
Et les hôpitaux, et les écoles ? Ils sont acheteurs à
bas prix, mais qui va payer la différence ? Faute d’action, les
stocks de beurre s’éleveront sans doute à 350 000 tonnes
d’ici la fin de l’année.
Ensuite le vin. La production croît de 2 1/4 %) par an mais la
consommation diminue de 1 %, car les italiens et les Français,
de loin les plus gros buveurs, lèvent moins facilement le coude.
Pourtant, les surfaces cultivées n’ont guère augmenté,
mais, grâce aux engrais et à l’irrigation les rendements,
eux, augmentent. Quel plaisir d’apprendre que les versements du fonds
agricole au secteur du vin ont été multipliés par
plus de 12 entre 1973 et 1976, tant pour le stockage et le transport
que la distillation.
Enfin, le sucre. Grâce à de fortes subventions son prix
est maintenant le double du prix mondial. C’est pourquoi un produit
de substitution, de 10 à 15 % meilleur marché, a vu le
jour. C’est l’isoglucose, tiré du maïs et du blé,
dont l’industrie est très prospère et qui donne satisfaction
sauf qu’on ne peut le cristalliser. Ne me demandez pas pourquoi. Il
ne reste qu’à se défaire des excédents de sucre
européen en versant des indemnités aux exportateurs. Sans
oublier qu’il faut bien laisser entrer quand même les importations
de sucre de canne en provenance des pays signataires de l’accord de
Lomé (1975).
Quand on se rappelle que le blé pose les mêmes problèmes
à l’Europe que le beurre, la poudre de lait, le vin et le sucre,
on a le vertige. Bien sûr, ces chiffres sont complaisamment étalés
par une revue britannique et l’on sait que l’opinion britannique commence
à se mordre les doigts d’avoir dit oui au référendum
concernant son accession au Marché Commun. Depuis ce jour-là,
elle a vu les prix des produits alimentaires monter en flèche,
pour s’aligner sur les nôtres qui en faisaient autant. Et si l’inflation
c’était un peu cela ?
Devant un tel gâchis on est en droit de se dire que nos économistes,
nos experts et nos gouvernants font fausse route en manipulant leur
sacrosaint marché comme ils le font, et qu’une solution de rechange
s’impose de toute urgence. Pourquoi pas l’Economie Distributive ?
A QUI APPARTIENT LA NATURE ?
Selon les lois établies, le code civil et la
justice humaine, on ne possède vraiment quelque chose que si
l’on peut prouver que la personne qui vous l’a vendue en était
légalement propriétaire.
Or, prenons un exemple : Vous possédez une montre en or qui marche
bien. En avez-vous la propriété ?
Quelle est l’origine de cette montre ?
Son boîtier est en or. L’or a été extrait de la
terre. Ceux qui l’ont extrait ne l’ont pas payé. Ils peuvent
avoir acheté le terrain à quelqu’un, mais le premier propriétaire
ne l’a pas acheté : il s’en est emparé... De même,
d’autres hommes se sont emparés du fer de la terre qui fut utilisé
dans la montre sous forme d’acier ; c’est également vrai pour
les petits rubis dans la monture des pignons. A son tour le fabricant
a payé un homme qui savait faire les montres ou bien il a acheté
à quelqu’un un brevet pour leur fabrication.
Ce fut Pythagore qui divisa, le premier, le jour en vingt-quatre heures.
Il fit don au monde de cette idée et de centaines d’autres idées
sur les nombres et sur le temps.
Il n’y a pas une seule partie de la montre qui fut, à l’origine,
achetée à quelqu’un qui en ait eu le droit exclusif, car
personne n’a jamais acheté une seule chose à la nature.
Comment peut-on alors, prétendre en être le possesseur
et avoir le droit de la vendre ? Nous sommes les obligés des
grandes lois de la nature. Même l’inspiration de l’intelligence
humaine est l’effet d’une illumination naturelle.
En réalité, le seul fait de venir dans ce monde nous confère
la propriété indivise de toute la nature et fait de nous
les héritiers de la lignée de savants, de chercheurs,
d’ingénieurs qui nous ont précédés.
Il est impensable qu’un natif de cette terre soit dépourvu de
tout droit sur elle, sa nature et ses fruits et sur les fruits de l’intelligence
et du travail de ses ancêtres et des ancêtres de ses prochains.
Les premiers hommes s’attribuaient mutuellement ce droit. Le régime
féodal ne l’a aliéné que partiellement par ses
dîmes, ses tailles et ses corvées. Seul le régime
capitaliste l’a aboli pour la grande majorité des vivants désormais
voués au prolétariat.
Le but suprême du socialisme est de le rétablir sous une
forme moderne.
Cette forme, pour nous, c’est le revenu social, ou la rente sociale.
Une propriété ne vaut que par les revenus qu’elle procure.
Ces revenus ne peuvent provenir que de ceux qui achètent les
fruits ou la production de la propriété. Ceux qui ont
besoin de cette production tirent leur pouvoir d’achat, en tout cas
la plupart d’entre eux, de la vente de leur travail. Le travail humain
devenant une denrée de moins en moins nécessaire depuis
l’avènement du machinisme, la clientèle s’amenuise. Force
est donc de solvabiliser sous une autre forme les besoins de ceux qui
ne possèdent rien à échanger, même pas leur
capital travail.
***
RENDRE A L’HOMME SES DROITS
Un courant d’idées est désormais dans
l’air.
Un alinéa nouveau dans la déclaration des droits de l’homme
s’impose : « tout citoyen, dès sa naissance, reçoit
une reconnaissance le rendant propriétaire indivis de toute la
production nationale, fruit de la nature et de l’oeuvre des générations
qui l’ont précédé ».
Ce seul certificat l’affranchirait du prolétariat et le rendrait
associé à part entière dans toute entreprise à
laquelle Il apporterait son concours.
La science économique a fait de tels progrès que désormais
on peut, sans expropriation spectaculaire, réaliser le socialisme
de l’abondance.
L’Etat doit reprendre son droit régalien, lui donnant le monopole
de la création monétaire, et chaque citoyen doit pouvoir
se faire ouvrir un crédit, égal pour tous ; c’est la réalisation,
sans brimades, de l’égalité économique, chacun
affrontant la vie avec les mêmes chances et la même sécurité.
Nous avons vu que la propriété d’une usine ou d’un champ
ne confère la richesse que par son revenu. Ce revenu dépend
de son exploitation, donc des sommes investies pour elle.
Si le propriétaire de ces moyens de production doit faire appel
au crédit national, s’il ne peut obtenir suffisamment de crédit
qu’en s’associant à d’autres crédirentiers, son droit
de propriété se borne à une possession nominale
de la nue-propriété, l’usufruit étant partagé
avec ses associés.
***
C’est ce partage de l’usufruit de tous les moyens de production que nous préconisons sous l’appellation de revenu social et, l’utopie, c’est de croire qu’on peut, indéfiniment en ajourner le décret d’application en espérant, par des contorsions, réaliser encore le plein emploi.
« Le progrès technique crée de
l’emploi » affirment les économistes. Si ce principe était
juste, il y aurait de plus en plus d’emplois au fur et à mesure
du développement du progrès, de moins en moins de chômage,
la prospérité économique serait de mieux en mieux
assurée, - si rien ne s’y opposait par ailleurs, bien entendu
-. L’Economie du Gain s’adapterait parfaitement au progrès.
« Le progrès technique supprime de l’emploi », pensons-nous
au contraire. Si ce principe était juste, le travail des machines
de plus en plus automatiques se substituerait de. plus en plus au travail
des hommes. Comme le progrès est illimité et irréversible,
il condamnerait irrémédiablement l’emploi, le salaire
en résultant, puis, en chaîne, le bénéfice,
tous les autres gains et finalement l’Economie du Gain.
DEUX CONCEPTIONS DE LA REALITE
Nous sommes en présence de deux conceptions
fondamentales diamétralement opposées. L’une est juste,
l’autre est fausse. Une seule exprime la réalité. Si c’était
la première, Economie du Gain pourrait subsister jusqu’à
la fin des temps humains. Si c’était la deuxième, il serait
impérieusement nécessaire de remplacer le gain par le
revenu social, et l’Economie du Gain par l’Economie du Revenu Social.
Voilà le problème social le plus important des temps passés,
présents et futurs, car de sa solution dépend l’avenir
de l’économie, de la société, de la civilisation
et de l’humanité. Ce problème est pourtant l’un des plus
méconnus. Rien n’est donc plus important que répondre
à cette question fondamentale, essentielle :
Le progrès technique crée-t-il ou supprime-t-il de l’emploi
?
LE PERFECTIONNEMENT DES MACHINES
Il peut sembler évident qu’il en supprime.
En effet. le progrès conduit à des machines de plus en
plus automatiques qui fabriquent des machines elles-mêmes de plus
en plus automatiques. Nous concevons difficilement qu’un tel processus
crée de l’emploi. S’il en était ainsi. pourquoi donc les
syndicats, les partis et tout le monde réclameraient-ils à
cor et à cri, avec une étonnante obstination, de nouveaux
emplois ? Pourquoi donc le Président de la République
et le gouvernement claironneraient-ils à tout bout de champ,
sans jamais s’en fatiguer, qu’ils vont créer de l’emploi ?
Un industriel se fait livrer et installer une machine moderne, en remplacement
d’une autre, moins élaborée, afin de rendre le prix de
ses marchandises plus compétitif. Il fallait deux hommes pour
conduire l’ancienne machine, il n’en faut plus qu’un avec la nouvelle,
qui, de surcroît, produit deux fois plus. Dans le cadre de cette
entreprise, le progrès diminue l’emploi et augmente la production.
De plus, pour produire la même quantité avec l’ancien matériel,
il faudrait deux machines et quatre hommes. Ce n’est donc pas un seul
emploi qui est supprimé, mais trois, dont deux, tués dans
l’oeuf, ne pourront pas être offerts à deux jeunes travailleurs,
qui seront chômeurs avant d’entrer dans la vie professionnelle,
faute d’emplois éliminés par le progrès technique.
LES EMPLOIS NOUVEAUX
- C’est entendu, nous répond-on, le progrès
élimine de l’emploi, mais il en crée plus qu’il en supprime,
car il faut construire de nouvelles machines, les transporter, les installer,
faire face à d’autres incidences.
Dans le prix d’une marchandise quelconque - que ce soit un objet d’usage
courant, un engin ou une machine - est incorporé le prix de travail
de toutes les personnes qui ont coopéré, de près
ou de soin, directement ou indirectement, à sa fabrication et,
en ce qui concerne la machine-outil, à son installation, car
dans les affaires, personne ne fait de cadeau à personne.
Si le progrès créait plus d’emplois qu’il en supprime,
le prix de la machine de notre industriel, et de son installation, serait
supérieur au prix du travail de trois ouvriers pendant la durée
de fonctionnement de cette machine, soit peut-être pendant une
vingtaine d’années ou plus. On se demande alors pourquoi l’industriel
aurait-il remplacé son outillage ? Pour dépenser plus
d’argent ? Pour rendre ses prix moins compétitifs ? Pour être
mis en faillite, pour perdre ses réserves et ses économies
personnelles ?
Nous avons choisi un exemple simple pour faciliter la démonstration
et la compréhension du sujet, mais la réalité du
fait, sa matérialité dirait un juriste, est rigoureusement
la même dans tous les cas. qu’il s’agisse d’un outil, d’un engin,
d’une chaîne de fabrication ou d’un complexe industriel.
L’EXEMPLE DU CHEMIN DE FER
Pour étayer le principe de la création
d’emplois par le progrès technique, l’argument massue mis en
avant par les économistes est que les chemins de fer ont créé
plus d’emplois qu’il y en avait à l’époque des diligences.
Mais ils oublient d’ajouter que pour assurer avec des diligences et
des charrettes le même trafic de voyageurs et de marchandises
qu’avec les chemins de fer, le nombre des emplois d’éleveurs
de chevaux, de palefreniers, de cochers, d’aubergistes de relais, de
charrons, de bourreliers, de carrossiers, de maréchaux-ferrants,
de cantonniers, etc., serait tellement élevé qu’il dépasserait
énormément la capacité nationale d’emploi. En mettant
toutes nos possibilités de main-d’oeuvre et d’élevage
de chevaux
dans le transport hippomobile, on assurerait sûrement le plein-emploi,
mais aussi un trafic extrêmement inférieur à celui
des chemins de fer. Cela signifie que le progrès technique diminue
l’emploi et augmente la production, le rendement, la productivité.
La conclusion de nos observations, puis de l’ana. lyse de l’argument
des économistes sur les chemins de fer, est que le progrès
technique supprime de l’emploi. Il nous sera impossible de changer d’avis
tant que la démonstration du contraire ne sera pas faite, en
langage clair et sans faux-fuyant. A défaut, nous sommes convaincus
d’avoir raison ; donc nous pensons que les économistes ont tort
sur ce principe fondamental, jusqu’à preuve du contraire. Or,
cette preuve, ils refusent de nous la donner. Ils refusent de passer
notre démonstration au crible de la critique. Ils gardent le
silence le plus absolu sur l’économie distributive et sur tout
ce qui s’y rapporte, sur tout ce qui y conduit. Devant cette attitude
négative, nous ne pouvons que formuler des hypothèses :
POURQUOI CACHER LA VERITE ?
Se trompent-ils sur le principe fondamental ? Mentent-ils
par omission ? Sont-ils obnubilés ?
S’ils se trompent, on se demande comment il est possible que tous les
économistes du monde se trompent, à notre connaissance
du moins, et que seuls les disciples de J. Duboin, notre maître,
appréhendent après lui, une vérité qui leur
semble évidente ?
S’ils mentent, en fait ou par omission, ce ne sont pas des savants,
mais de faux savants, car dans le domaine scientifique sont ainsi considérés
ceux qui ne disent pas la vérité. La première qualité
d’un savant, c’est la sincérité. Il doit dire ce qu’il
croit être la vérité, même si elle ne lui
plaît pas, même si elle ne plaît à personne,
même si elle heurte les convictions les plus profondes. C’est
précisément ce qu’a fait un économiste courageux,
épris de vérité, J. Duboin. Son oeuvre méritait
au moins un examen sérieux, voire une réfutation éventuelle.
Cependant, depuis 1932, soit pendant près d’un demi-siècle,
ses collègues lui ont opposé le silence opâque le
plus méprisant. Nous nous abstiendrons de commenter leur attitude
inqualifiable, tant elle est contraire à la raison, à
la solidarité et à l’esprit scientifique. L’histoire parlera
encore de Jacques Duboin, généreux pionnier de la civilisation,
la vraie, pas celle de l’argent, quand le nom de ceux gui le méprisent
aura été oublié depuis longtemps. Bref, ne pas
dire la vérité, mentir par omission, c’est être
un partisan avant tout au service de son parti, de ses convictions et
de ses préjugés.
Les économistes sont-ils obnubilés par leur propre enseignement,
transmis de génération en génération ? Sont-ils
submergés à leur insu par le préjugé de
la pérennité de l’économie du gain, ce qui paralyserait
leur faculté de penser à cet endroit ?
Sont-ils effrayés inconsciemment par l’envergure du problème ?
Ont-ils peur de se compromettre, de perdre leur situation, de passer
pour des utopistes, des illuminés sans plomb dans la cervelle
et qu’on ne prendrait pas au sérieux ? Bien sûr, s’ils reconnaissaient
publiquement que l’emploi est condamné par le progrès,
il leur faudrait envisager de remplacer le gain qui en résulte
par un revenu social, d’où un changement d’économie, de
société, de civilisation et, finalement, de mentalité.
Il y a de quoi être effrayé, en effet !... Mais il y a
plus effrayant encore, c’est de laisser le monde dans l’ignorance, dans
la nuit, sans boussole pour se diriger, sans but. Là est la cause
de l’extrême confusion qui règne dans les esprits et la
société.
LES CONSEQUENCES
La responsabilité des économistes est
énorme la société leur fait confiance. Elle attend
d’eux d’être renseignée, parce qu’ils sont des professionnels
en la matière, professeurs de faculté, spécialistes,
experts, savants en sciences économiques. Ils sont conseillers
des syndicats, des partis de droite ou de gauche, du gouvernement -
quand ils, ne cumulent pas les fonctions d’économiste et de ministre.
Ils ont largement accès à la presse, écrite ou
parlée. En somme, ils exercent une influence considérable
sur l’opinion publique et particulièrement sur les personnes
ayant des responsabilités. Méritent-Ils la confiance que
tout le monde leur accorde ? Ne trahissent-ils pas leur mission en laissant
dans l’ignorance le monde qu’ils sont chargés d’informer ? Nous
aussi, nous sommes effrayés, mais n’est-ce pas par leur attitude
négative, par leur silence, par leur refus d’examiner sérieusement
le problème fondamental, essentiel, le plus important de tous
les temps et oui est, c’est un comble, de leur seule compétence
!...
De toute façon, « on ne sait pas où on va, mais
on y court !... » a dit quelqu’un. Cette petite phrase exprime
parfaitement l’ignorance et la folie du monde présent. On se
demande à quoi servent les économistes, qui restent aussi
muets que des statues devant cette extrême confusion dans laquelle
le monde s’englue. Cela suscite dans le coeur de tous le vague sentiment
que rien de bon ne peut en résulter, l’humanité accomplit
sa destinée sous les ailes poires de la fatalité contre
laquelle on ne peut rien faire.
A l’inverse de cet abandon dû à la défaite de la
pensée. au manque de courage pu au préjugé des
économistes, la certitude que nous sommes sur la bonne voie,
d’où l’on découvre la merveilleuse perspective d’un monde
nouveau en harmonie avec le travail des machines, soulève notre
enthousiasme, notre espérance et même, en dépit
des apparences, notre confiance en l’humanité. Cette dernière
réaliserait l’économie distributive si elle était
informée comme elle devrait l’être à ce sujet, d’une
importance de loin sans pareille.
Tribune libre
Dans le précédent numéro de «
La Grande Relève » j’ai rappelé la discrétion
de Jacques Duboin à l’égard des activités politiques
partisanes. Il pensait et espérait que la propagande éducative
du « Mouvement Français pour l’Abondance » finirait
par ouvrir les yeux d’un nombre important de Français et notamment
des responsables politiques et syndicaux. Quarante années d’action
opiniâtre n’ont pas permis de réaliser cet espoir.
A l’heure présente, et depuis six ans, nous vivons une profonde
crise de régime. Nous comptons, en France, plus d’un million
de chômeurs résultant de la politique d’un gouvernement
qui entend réduire sensiblement la consommation populaire et
ne pas dépasser les 4 % d’expansion annuelle tout en exportant
massivement pour tenter d’équilibrer la balance commerciale.
Cette politique anti- populaire provoque inévitablement un renforcement
de l’autoritarisme gouvernemental, et le fascisme se profile à
l’horizon.
L’économie capitaliste a atteint ses propres limites mais un
gouvernement aux ordres de la Finance et du grand patronat cherche,
coûte que coûte, à la faire se survivre. Quant à
la Gauche qui demeure fidèle à la vision utopique de ce
« socialisme de la rareté » fustigée à
bon droit par Jacques Duboin, elle serait, de ce fait, incapable de
redresser la situation si les élections législatives la
portaient au pouvoir.
QUE POUVONS-NOUS FAIRE ?
Cette situation provoque l’inquiétude des Français qui réfléchissent. Ils sont de plus en plus nombreux car il n’y a pas que ceux qui, d’un côté, déclarent : « Barrons la route au collectivisme et tout s’arrangera » et, de l’autre côté, ceux qui s’imaginent que si « le Programme Commun de la Gauche » arrivait au gouvernement tous les problèmes seraient résolus.
Nous vivons donc une période historique pendant
laquelle se multiplient les hommes et les femmes qui sont en mesure
de nous entendre. Et ne l’oublions pas. NOUS SOMMES LES SEULS A PROPOSER
DES SOLUTIONS ETUDIEES. Mais ces hommes et ces femmes ne viendront à
nous que si nous descendons de notre Olympe. Nous devons non seulement
leur dire ce que sera une société soutenue et vivifiée
par une économie distributive mais encore leur montrer COMMENT
nous pouvons l’atteindre. C’est là un problème de stratégie
politique qu’il n’est plus possible de négliger... puisque les
partis et les syndicats ont refusé de l’étudier.
IL N’EST PLUS POSSIBLE D’ATTENDRE.
UNE STRATEGIE
Nous devons être attentifs aux avis expérimentés
de Jacques Duboin qui, nous l’avons rappelé, déclarait
que les Parlements sont toujours incapables de mettre en route une véritable
transformation de la société. Ce n’est donc pas dans les
partis politiques que nous devons placer nos espoirs.
Notre appel doit s’adresser à tous les hommes et à toutes
les femmes qui comprennent que « ça ne peut plus durer
», que « les emplâtres sur jambes de bois »
sont plus dérisoires que jamais et qu’il faut mettre en route
une nouvelle société.
C’est A. TOUS que nous devons faire comprendre que l’instrument de cette
transformation est dans les mains de ceux qui tiennent les leviers de
l’économie : les travailleurs.
Même en face d’un gouvernement dictatorial, ils sont les maîtres.
Car si les usines s’arrêtent ce ne sont ni les C.R.S. ni des militaires
qui seront capables de les remettre en marche. Mais, pour qu’une grève
soit suffisamment générale, il faut que les travailleurs
sachent pourquoi ils se battent et ce qui sera fait de leur victoire.
C’est alors que la nécessité de notre action apparaît.
Non seulement nous devons leur apprendre quelle société
doit être MAINTENANT édifiée mais aussi COMMENT
nous la bâtirons ensemble.
Ne leur laissons jamais croire qu’elle pourrait naître spontanément
de la grève générale, sans coordination entre les
entreprises en grève, sans un centre coordinateur de leur action,
sans la conquête du pouvoir politique et sans la mise en route
de la société socialiste et distributive par leurs propres
délégués.
Il faut leur rappeler qu’au cours des 40 dernières années
le pouvoir politique fut plusieurs fois vacant. Il n’y a que neuf ans,
en 1968, il serait tombé aux mains des travailleurs... si leurs
responsables syndicaux et politiques avaient eu une envergure d’hommes
d’Etat révolutionnaire. Mais ils ne l’avaient pas et, au gouvernement,
les responsables syndicaux ou politiques se seraient trouvés
désemparés parce que n’ayant pas pensé préalablement
la transformation écot inique et sociale.
En 1936, Léon Blum et Maurice Thorez eurent bien en mains les
leviers politiques pendant quelques mois, mais « révolutionnaires
sans révolution A, selon le mot de Gaston Bergery, ils ne furent
que u les honnêtes gérants du régime capitaliste
».
Aujourd’hui, la situation économique de la France est autrement
plus détériorée qu’en 1936 et 1968. Notre action
devient beaucoup plus nécessaire et urgente.
L’UNION NECESSAIRE
C’est aux militants pour l’Economie Distributive qu’il
appartient de former H des hommes d’Etat socialistes » qui seront
capables de mettre en route la société nouvelle qui nous
permettra de vivre en sécurité, dans l’aisance et la joie,
cette joie qui naîtra d’une société pénétrée
de l’esprit de liberté et de fraternité.
Mais nous ne serons capables de remplir cette urgente mission que si
nous mettons, très rapidement, un terme à nos divisions.
Ceux qui ont compris la nécessité d’une société
distributive sont aujourd’hui, en France, peu nombreux ; le plus impérieux
de leur devoir est d’unir leurs faiblesses - dans la fidélité
au message de Jacques Duboin - pour en faire une force qui soit en mesure
de réveiller ce pays et de lui montrer la route de son salut.