La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 1017 - janvier 2002

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N° 1017 - janvier 2002

Offensive libérale   (Afficher article seul)

JEAN-PIERRE MON prévient : les tenants du libéralisme repartent en campagne afin que les retraites et la sécurité sociale deviennent l’affaire d’entreprises privées, rentables évidemment.

Faut-il prendre parti ?   (Afficher article seul)

JEAN-CLAUDE PICHOT estime que notre journal devait se limiter à dénoncer les attentats du 11 septembre sans critiquer la riposte des États-Unis, ce grand frère de la France en universalisme.

Faut-il suivre ?   (Afficher article seul)

MARIE-LOUISE DUBOIN, doutant de cet universalisme, lui répond en développant les raisons qui l’ont amenée à critiquer la politique de G.W. Bush et souligne combien les gouvernements qui s’inclinent devant lui mettent l’humanité en danger.

La nature a horreur du vide   (Afficher article seul)

L’Américain CLAUDE STEINER voit dans les attentats l’expression de la haine de la Nature envers les déséquilibres incontrôlés par les hommes.

Lettre ouverte reçue de Nouvelle Zélande   (Afficher article seul)

SARAH reproche aux membres du Parlement d’avoir soutenu les méthodes utilisées par le Président Bush.

Les mots cachent les maux   (Afficher article seul)

MARC relie le terrorisme à la compétition parce qu’elle produit incapacité et irresponsabilité.

Accès aux génériques   (Afficher article seul)

Jean Le RIGOLLEUR décrit l’utilité du médicament générique et des difficultés à l’introduire dans les systèmes de santé.

III. Eviter que l’être se fasse avoir   (Afficher article seul)

ALAIN LAVIE poursuit son exposé issu des travaux d’H.Laborit : il rappelle que sans les autres, chacun de nous n’est rien, la civilisation basée sur l’individualisme est donc absurde.

Allez-vous vous réveiller ?   (Afficher article seul)

YVES GOURBEAULT énumère pour les responsables de tous les pays tout ce qui n’est plus supportable.

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ACTUALITE

A l’approche des élections présidentielle et législatives du printemps prochain, une nouvelle offensive “libérale”, propulsée par la Droite et le Centre, relayés sinon précédés par le Medef, va déferler sur la France. Au menu : la réforme des retraites, le démantèlement de la Sécurité sociale, la baisse des impôts, le déficit budgétaire,... en bref, moins d’État et plus pour l’entreprise privée. Quant à la Gauche, pour faire “moderne”, elle se laisse lentement gagner par un libéralisme né il y a plus de deux siècles, dans un monde de rareté !

Offensive libérale

par J.-P. MON
janvier 2002

Avec la remise au Premier ministre du premier rapport du Conseil national des retraites, la réforme des régimes de retraite va redevenir d’actualité. Depuis une quinzaine d’années, en effet, l’opinion publique a été largement alertée des éventuelles difficultés financières que pourraient connaître les divers régimes. En outre, les mesures déjà prises, notamment en 1993, ont été présentées comme des moyens de faire face rapidement à des déséquilibres imminents, mais qui s’avéreraient insuffisantes pour résoudre les problèmes de long terme. Pas étonnant donc que le Premier ministre du moment, l’inénarrable Balladur, vienne de se fendre d’un nouvel article sur le sujet intitulé “Retraites : le temps du courage” [1]. Soulignant avec sa condescendance habituelle « l’initiative heureuse, copiée d’ailleurs sur maints exemples étrangers » qu’a été la création du Conseil national des retraites, il nous avertit : « Le dépôt de ce rapport a simplement pour effet de mettre un terme au temps de l’expertise et de la réflexion et de sonner l’heure de l’action. Celle-ci impose une claire concience des priorités. Elle nécessite que l’on se défie des fausses solutions. Elle implique, de la part des pouvoirs publics, courage et détermination ». Fermez le ban ! Il marque par cette introduction que lui, Balladur, est un homme courageux puisque, en 1993, lorsqu’il était Premier ministre, il a eu le courage de s’attaquer au problème des retraites en imposant l’allongement des cotisations du régime général à 40 ans et le calcul de son montant sur les 25 meilleures années d’activité. Il met en garde contre les “fausses solutions”, sous-entendant que lui connaît les bonnes. Son éminence a la science infuse ! Ce qui ne l’empêche, d’ailleurs pas de se gourrer complètement, comme tant d’autres, lorsqu’il ramène le problème des retraites à un problème démographique : « Aujourd’hui, il y a encore davantage de cotisants que de retraités, et le rapport s’établit à 1,7. Si aucune mesure n’est prise, ce rapport sera, tous régimes de retraite confondus, en constante dégradation et, à terme, il n’y aura plus qu’un cotisant pour un retraité. Cela veut dire que, même dans les hypothèses de croissance et d’évolution de l’emploi les plus favorables - et l’on sait ce que vaut l’aune de telles hypothèses - le déséquilibre financier de l’ensemble des régimes de retraite apparaît en 2005, s’installe jusque vers 2010 et se creuse rapidement ensuite ». Eh bien, il a tout faux, Balamou ! Faux, parce que le “ratio de dépendance démographique” qu’il considère n’a pas de sens en ce qui concerne les retraites et qu’il faut, à sa place, utiliser le “ratio de dépendance économique” [2] ; faux parce qu’il oublie le rôle de la productivité et l’effet de l’augmentation de la production ; faux enfin parce que, quel que soit le système de retraite, les richesses réelles que consommeront demain les retraités devront bien être prélevés sur la production disponible à ce moment là [2]. Ce sont toujours les actifs qui produisent les revenus qui font vivre les inactifs.

Mais notre Balladur ne s’arrête pas à ces détails : il s’indigne maintenant de ce que la durée des cotisations des régimes de fonctionnaires ne soit pas alignée sur celle des régimes du privé et que le montant de leur pension [3] soit indexé sur les traitements des agents en activité alors que les retraites du privé sont indexées sur l’évolution des prix. Il est jobard, Edouard ! : c’est quand même lui qui, courageusement, a pris ces mesures rétrogrades à l’encontre des régimes généraux au lieu de les aligner sur les régimes de fonctionnaires. Ce qui aurait été un vrai progrès social. Plus fort encore : il pense qu’il faudra sans doute porter à 42 ans cette durée minimale de cotisation et, comble de l’audace, « sans modifier l’âge à partir duquel les salariés peuvent demander à faire valoir leurs droits à la retraite ». Comme c’est gentil quand on sait que les entreprises mettent en pré-retraite des salariés de plus en plus jeunes. Autrement dit : vous pourrez prendre votre retraite à 60 ans (ou avant), mais vous ne bénéficierez que d’un taux réduit parce que vous n’aurez pas cotisé 40 ou 42 ans. C’est autant de gagné pour les entreprises. Merci, M. Balladur ! En fait, il est vain de « s’interroger sur des évolutions des conditions d’âge ou de durée d’activité pour l’ouverture du droit à la retraite, sans, dans le même temps, prendre en compte le fait qu’aujourd’hui plus d’une personne sur deux est inactive au moment où elle demande à bénéficier de sa pension de vieillesse » [4].

Monsieur Balladur, vous n’êtes pas crédible, pas plus que tous ceux de vos amis qui, benoîtement, viennent nous parler de modifier les régimes de retraites pour éviter les inégalités entre générations. Il s’agit là encore d’une entreprise hypocrite, destinée à inquiéter les gens et les précipiter vers des régimes privés d’assurance-retraite [5].

En réalité, « les inégalités entre générations ne viennent pas du “problème” des retraites mais de l’emploi. C’est la situation de chômage de masse qu’a connu l’Europe pendant plus de vingt ans qui a contribué à accroître les inégalités de destin entre les générations, certaines ayant eu plus de difficultés que d’autres à s’intégrer par le travail. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’équité intergénérationnelle, nous réglions cette question par l’absurde, en laissant se dégrader le sort relatif des retraités. Or c’est ce que nous sommes en train de faire ou de laisser faire, en ayant accepté que les retraites ne soient indexées que sur les prix et non plus sur les salaires. Nous avons probablement oublié en chemin que nous sommes tous de futurs retraités » [6].

La Sécurité sociale

Dans le même temps, le Medef se lance dans une vaste campagne pour « clarifier la Sécu en l’ouvrant au privé ». Il s’agit ni plus ni moins de mettre fin à la Sécurité sociale, entité publique gérée par les partenaires sociaux. « Selon le Medef, le paritarisme ne se justifie plus que lorsque le lien au contrat de travail est établi : pour la couverture du risque des accidents du travail et des maladies professionnelles, et pour les retraites. Dans ce cas, le financement passe toujours via les cotisations sociales. En revanche, l’assurance maladie (qui est devenue “universelle”) et la famille (qui est du ressort de l’État) n’ont plus vocation à être financées par des cotisations sociales mais par l’impôt » [7]. Pour cela, le Medef propose la création d’une CSG déductible, que l’État pourrait augmenter ... sans peser sur le coût du travail. (Oh les bons apôtres !). Grâce au produit de ce nouvel impôt, le Parlement définirait les grandes lignes de la santé publique et le contenu d’un panier de soins remboursé à 100%. Et devinez comment on se répartirait les rôles ? - C’est très simple : ce qui est rentable au privé, ce qui ne l’est pas au Public ! C’est ainsi que la recherche, la formation des professionnels de santé, etc. seraient assurés par l’État tandis que la “distribution” des soins serait confiée à de « véritables opérateurs de soins », concurrents, qui pourraient être créés par des mutuelles, des instituts de prévoyance, des organismes publics et « pourquoi pas des entreprises », explique Denis Kessler, vice président du Medef et maître d’oeuvre du projet. Chaque opérateur pourrait “acheter” des soins à des médecins libéraux, des laboratoires, des hôpitaux, à l’industrie pharmaceutique et privilégierait la constitutions de réseaux. (Bonjour la liberté de choix du praticien si chère à nos libéraux !). Les entreprises choisiraient leur opérateur après consultation de leurs salariés. (Le projet ne dit rien des personnes qui voudraient s’affilier seules, sans passer par une entreprise, à ces opérateurs). Selon le Medef, on arriverait ainsi à une optimisation des coûts. En effet, comme ces opérateurs seraient financés en fonction du nombre d’assurés, « ils prendront donc soin de ne pas dépenser plus que leur enveloppe ». Comment ? En imposant des contraintes fortes aux médecins ou en rationnant les soins ? On ne le dit pas. Pas plus qu’on ne nous dit comment ces opérateurs privés, mis en concurrence [8], feront mieux que la Sécu ? On sait en effet que, selon la FFSA [9], les frais de gestion des assureurs automobiles privés atteignent 20% des primes, soit quatre fois plus que les frais de gestion de la Sécu ! Le Medef oublie aussi de nous dire qu’aux États-Unis, pays où le secteur privé a le plus d’emprise sur l’assurance maladie, les dépenses de santé, d’ailleurs très inégalement réparties, atteignaient, d’après l’OCDE, 12,9% du PIB en 1998 contre 9,4% en France.

Mais comment croire en la sincérité de telles propositions quand on sait que Denis Kessler est aussi (et surtout) le président de l’Association des assurances françaises ?

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Alors, retraites, Sécurité sociale ?

- Quand on vous en parlera dans les prochaines campagnes électorales, souvenezvous de ce qui précède et dites vous qu’il est urgent de n’y rien changer si ce n’est pour ramener à 37,5 années la durée de cotisations du régime général et des régimes assimilés.

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[1] Le Monde, 12 décembre 2001.

[2] La Grande Relève, N° 989, juin 1999.

[3] Les pensions offertes sont calculées comme un salaire continué. Elles sont financées par le budget de l’État qui intervient en complément des retenues pour pension auxquelles sont soumis les traitements des fonctionnaires.

[4] Conseil national des retraites, décembre 2001.

[5] « Cette inquiétude, en outre, a souvent été véhiculée non seulement dans le cadre habituel de la presse et du débat public, mais par des courriers personnels via banquiers ou assureurs, qui ont régulièrement assis la promotion de produits d’épargne sur un argumentaire faisant appel à l’incertitude sur les retraites. » CNR, déc.2001

[6] Jean-Paul Fitoussi, Le Monde, 6/3/2001.

[7] La Tribune, 21 novembre 2001.

[8] ls auront, entre autres, des frais de publicité.

[9] FFSA = Fédération française des sociétés d’assurance, dont Denis Kessler est le président.

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RÉFLEXION

Dans l’éditorial de notre N° 1015, daté novembre 2001, Marie-Louise Duboin, estimant que c’est folie de croire qu’on peut venir à bout du terrorisme par l’escalade du terrorisme, dénonçait les méthodes employées par le Président G.W.Bush. Elle a même osé écrire : « Notre monde est mené par des fous furieux à la recherche de leurs seuls intérêts ». Cette désapprobation a ému notre ami Jean- Claude Pichot, qui dit ici combien cette attitude l’a gêné :

Faut-il prendre parti ?

par J.-C. PICHOT
février 2002

Je suis de ceux, apparemment nombreux et que je comprends, qui ne se sont pas précipités dès le mois d’octobre pour réagir aux dramatiques événements de septembre et à leurs suites. Non par indifférence, au risque de laisser croire que j’approuvais cet enchaînement infernal ; mais plutôt parce que je me suis retrouvé effectivement comme tétanisé, seule hypothèse valable que je retiens de l’éditorial de M.-L. Duboin dans le numéro 1015 de la GR. Le recul du temps permet de séparer un peu mieux les émotions et les expressions de la raison ; même si l’actualité nous offre chaque jour ou presque des raisons de retarder l’échéance, il faut bien s’exprimer sans trop attendre, en espérant ne pas livrer aux lecteurs de notre revue les résultats d’une psychanalyse de pacotille ou d’une égoïste introspection...

Je me suis déjà exprimé dans ces colonnes au sujet de la complexité croissante de notre monde terrestre, qui ne permet plus d’en identifier clairement les composantes ni de les situer raisonnablement dans une structure cohérente. Après chaque secousse importante, nos subconscients essaient de retrouver dans nos histoires personnelles les souvenirs de références auxquelles chacun croit pouvoir se raccrocher : le temps de la bipolarisation politique du monde, qui permettait d’étiqueter de manière simpliste les pays et les “gens” en bons et en mauvais, est terminé. Ceci n’empêche naturellement pas ceux qui veulent le diriger (et contre ce phénomène, personne ne peut rien sauf crier, ce qui n’est pas si mal si l’on se souvient, dans certains pays, d’époques pas si lointaines “gérées” par la censure et les milices) de tenter d’imposer à chaque instant leur vue manichéenne et égoïste des choses (n’est-ce pas, M. Georges deubeliou ?).

En outre, nous sommes quotidiennement “manipulés” par choix ou omission, ou tout au moins submergés (ce qui revient à peu près à la même chose), par les flots d’informations que seuls nos préjugés personnels et nos croyances semblent légitimement en situation de trier. Comment pourrions-nous, dans ces conditions, débattre sereinement de ces drames et des défis qu’ils soulèvent ? Comment ne pas replonger dans des errements qui tenaient cahin-caha la route il y a 10 ans encore, alors que nous sommes très probablement tous à la fois “bons” et “mauvais”, blancs et noirs suivant les critères ou les moments ?

Par notre histoire, ne sommes-nous pas partie intégrante des pays dits “développés” qui se sont structurés autour des mêmes “paramètres” (pour ne pas dire “valeurs”) et ne sommes-nous pas au moins partiellement coresponsables de ce qui arrive ? “Ceux d’en face” sont-ils de simples irresponsables ballottés au gré d’influences néo-colonialistes ?

Je suis du côté de ceux, nombreux je pense, qui ont horreur de la violence, de la guerre et de la terreur, qu’elle soit le fait de groupes occultes ou de gouvernements, et je considère qu’au lieu de bombarder les différents pays qui ont eu à faire avec l’Histoire récemment (Afrique de l’est, Bosnie, Kosovo etc.) “nos” avions auraient pu larguer aux populations les médicaments, les vivres et les livres qui leur auraient rendu de bien meilleurs services que les armes déversées sur leurs biens et leurs têtes. Mais on ne refait pas l’histoire et “l’homme” ne peut se transformer de luimême du jour au lendemain : c’est généralement le fait des générations. Prendre parti comme semble le laisser croire l’éditorial de la GR de novembre m’a gêné même s’il est utile de rappeler et dénoncer les méfaits de méthodes qui ont des aspects odieux. Si une sainte alliance devait être dénoncée en premier lieu, c’est bien celle du fanatisme d’une secte musulmane, de l’obscurantisme et du terrorisme qui ont froidement condamné et exécuté des milliers de civils qui pouvaient eux aussi prétendre aux droits de l’homme, alors que, lorsque les armées américaines tuent des civils naturellement innocents, ce n’est pas intentionnel. Les hommes qui ont agi le 11 septembre n’étaient pas des pauvres vivant dans la misère de pays exploités. Prendre parti, c’est emboîter le pas à G.W. Bush.

J’en vois d’ici qui vont encore penser que je ne suis qu’un suppôt à peine déguisé du Satan américain. Erreur : je regrette profondément tous les effets pervers du fonctionnement dit “libéral” du grand frère de notre monde occidental et de sa mainmise sur le monde, avec les techniques violentes qui le caractérisent souvent. Mais comment peut-on l’empêcher de faire ce que nous considérons parfois comme des exactions ? Si des lecteurs de la Grande Relève prennent l’initiative personnelle de manifester en public ou de s’associer à des réflexions au sein de la “percolation” mondiale vers un monde plus juste, je leur dis « bravo » et « merci ». Mais je ne trouve plus suffisamment dans les colonnes de la revue ce qui devrait en faire l’outil d’une démarche destinée au plus grand nombre dans un esprit de tolérance et d’acceptation de l’autre.

Probablement me suis-je trompé en voyant une position partisane dans l’éditorial d’octobre alors qu’il ne s’agissait peut-être que de l’expression d’un “dépit”. Les Etats-Unis et la France ne sont-ils pas les deux plus importants pays universalistes au monde, (dés)unis par le « je t’aime moi non plus » ? Il ne me paraît pas nécessaire de rappeler en détail et régulièrement tout ce qui fait la différence en faveur des premiers (aux plans de la puissance économique et de l’hégémonie).

Je suis habité par deux certitudes : l’économie distributive est la solution qui présente les plus grandes vertus au service d’une vraie démocratie durable, mais je ne la verrai jamais mise en application. L’avenir est donc, pour moi et avant tout, celui de nos descendants et successeurs. Les mises en garde face aux errements présents sont nécessaires, mais il est encore plus essentiel que les esprits les plus jeunes soient préparés à une prise de conscience assumée individuellement qui seule permettra la mise en place des règles communes non imposées qui seront celles de leur monde à venir. Leur succès dépendra grandement de la maîtrise de l’organisation de la société mondiale au plan de la production et surtout de la répartition des richesses ; mais ils ne devront pas ignorer que de nombreux autres paramètres d’ordre culturel devront être pris en compte également.

Aux “timorés” de septembre, je peux confirmer, en arrivant à la fin de mon courrier, que cela fait du bien de s’exprimer. Je les incite à le faire à leur tour : je suis persuadé qu’ils ont des choses à dire.

Ah ! J’allais oublier : moi aussi j’ai une émotion à faire partager, celle, peut-être fugitive, que m’ont donnée les visages d’enfants et de femmes de Kaboul après le départ de leurs bourreaux.

(5 décembre 2001).

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REPONSE

Nous avons reçu des réactions fort différentes de celle-ci. Mais nous tenons à remercier Jean-Claude pour sa franchise, car elle oblige Marie-Louise à développer sa pensée, à apporter des arguments, à aller plus au fond des choses :

Faut-il suivre ?

par M.-L. DUBOIN
janvier 2002

Cette émotion devant les visages d’enfants et de femmes de Kaboul après le départ de leurs bourreaux, nous l’avons, c’est évident, tous partagée, et avec nous, je le parie, l’ensemble de nos lecteurs ! Mais cela ne nous a pas fait oublier que c’est l’administration des États-Unis qui a installé ces bourreaux en Afghanistan et que c’est la CIA qui a formé, armé et entraîné le réseau de Ben Laden, la preuve en est que l’homme-clé de cette organisation de renseignement américaine en 1978, Z.Brzezinski s’en est publiquement félicité [1]. L’objectif de G. Deubeliou Bush n’a donc jamais été de permettre aux femmes afghanes de sortir sans la burqa et cette incidente positive n’empêche pas de dénoncer ce que les méthodes déployées par la politique américaine ont, effectivement, d’odieux, comme je l’ai fait dans l’éditorial du N°1015. Comment peut-on transformer cette critique en une prise de parti pour les responsables des abominables attentats du 11 septembre, sinon parce que ledit Mister Dabeliou a déclaré que quiconque n’approuvait pas sa croisade était du parti de ses ennemis ? Faire cette interprétation est donc “emboîter le pas à G.W.Bush ”, et je ne veux pas tomber dans ce piège, il est trop gros, je revendique le droit de n’approuver ni sa politique ni ses méthodes et cela ne signifie évidemment pas que j’approuve celles de son ennemi.

Je n’ai pas pris parti, mais j’ai osé contester les méthodes de Bush ! Ce faisant, je n’ai pas suivi la foule, et cela peut paraître téméraire parce qu’il est difficile aux citoyens que nous sommes, mal éclairés par une information maintenant filtrée sinon truquée, de comprendre ce qui se passe. Mais raison de plus pour se méfier de toute manipulation. Or quand on me suggère d’allumer une bougie à la mémoire des 3.300 innocents assassinés dans les Tours jumelles, je m’étonne qu’on ne m’ait pas fait la même demande pour les millions d’enfants, encore plus innocents, et condamnés à mourir de faim ou directement tués par les interventions américaines. Je condamne également tous ces assassinats parce que je ne vois pas au nom de quoi celui d’un civil Américain, s’il est du Nord, devrait être considéré comme pire que celui d’un autre civil, tout aussi anonyme, qu’il soit Américain du Sud, Palestinien, Israëlien, Irakien, Cubain, Afghan, etc. Je n’adhère pas d’emblée à l’idée qu’il s’agit dans le premier cas « du fanatisme d’une secte musulmane alors que, lorsque les armées américaines tuent des civils naturellement innocents, ce n’est pas intentionnel » [2]. Même quand ils utilisent les bombes à fragmentation ? Ce n’est pas moi qui suis partisane.

*
GOD BLESS AMERICA !

Peut-on affirmer avec Jean-Claude que les États-Unis et la France sont « les deux plus importants pays universalistes au monde » ? On peut, heureusement, trouver des universalistes et des humanistes dans chacun des pays du monde. Mais qualifier ainsi tout un pays implique que les vertus liées à l’universalisme y sont très largement répandues et imprègnent sa politique. Peut-on le dire des États-Unis ? Laissons répondre quelqu’un de particulièrement bien placé pour cela, puisqu’il s’agit du journaliste américain David Halberstam, qui a été très longtemps correspondant à l’étranger du New York Times. Il dit [3] avoir observé dans les années 1990 que ses concitoyens « se moquaient éperdument » des guerres des Balkans, qu’ils se sont « renfermés et ont sombré dans la trivialité. Quand on pense, ajoute-t-il, à la dimension extravagante de l’affaire Lewinski ! Aujourd’hui, ça paraît inconcevable ! Le Goliath, absorbé par ses préoccupations internes et triviales, ne s’occupait, à l’étranger, qu’à promouvoir ses multinationales. » Après avoir énuméré les avantages dont disposent Américains, chez qui il dénonce un « isolationisme viscéral », il conclut : « Tout cela nous fait croire que nous sommes autorisés à connaître très peu de choses du reste du monde » et il précise : « Beaucoup de diplomates étrangers, d’excellents journalistes sont, depuis dix ans, ahuris par l’absence de tout intérêt des Américains pour les non-Américains ». Voilà qui ne plaide guère pour la thèse de l’universalisme des Américains en général.

Mais sous prétexte que la première Déclaration universelle des Droits de l’homme y a été proclamée, les États-Unis se prétendent le pays champion du monde pour deux vertus universalistes, la liberté et la démocratie. Observons d’abord qu’une autre vertu universaliste est systématiquement écartée, alors qu’elle est au moins aussi essentielle et déterminante que les deux autres, je veux parler de la laïcité [4], mais personne n’en parle parce qu’elle est aussi étrangère au Président des États-Unis qu’à son principal ennemi d’aujourd’hui, et de façon plus générale, aussi étrangère à la mentalité américaine qu’à celle de la plupart des autres pays du monde.

À propos de liberté, on n’en finirait pas d’énumérer toutes les atteintes qui sont commises contre la liberté individuelle, sous couvert de l’administration américaine, et dans le monde entier ; Jean-Pierre Mon les passait en revue dans l’éditorial de notre dernier numéro intitulé “De la crise au fascisme ?” Et puisque Jean-Claude fait allusion à ce qui s’est passé « dans certains pays en des époques pas si lointaines, gérées par la censure et les milices » il ne faut pas qu’il oublie le maccarthysme, ni les méthodes actuelles de la CIA, du FBI, de la NSA [5] ni celles les tribunaux américains, les tribunaux militaires en particulier.

À propos de la démocratie, il suffit de se rappeler comment s’est faite l’élection du Président actuel des États-Unis, au prix de 4 milliards de dollars. Je retrouve à ce propos Le Monde du 11 novembre 2000, dans lequel Olivier Duhamel, Professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, observait : « La soumission de la politique à l’argent y corrompt la démocratie par tous les bouts. Elle transforme le responsable politique en une lessive à vendre et, en même temps, elle fait de lui un décideur que l’on achète [...] L’électeur est traité à la fois comme un consommateur qu’il faut séduire et comme un décideur qu’il est utile d’acheter ». Et c’était avant le coup de force qui mit fin aux protestations motivées par des irrégularités flagrantes !

Il est évident que notre monde est de plus en plus complexe et que nous sommes submergés par des informations, invérifiables directement, et qui cachent trop souvent une volonté d’imposer à l’opinion un système de valeurs. Raison de plus pour ne pas être dupes. Il se trouve que j’ai sous les yeux Le Monde du 11 décembre dernier, dans lequel je lis une interview édifiante du photographe gallois P.J. Griffiths, auteur en 1971 “du plus important livre illustré sur la guerre du Vietnam” ; il vient de rééditer cet ouvrage. Pourquoi ? Parce que plusieurs livres américains sont publiés en ce moment sur le thème, qui paraît incroyable, de : “Comment nous avons gagné la guerre du Vietnam”. On comprend alors le titre de son interview : « je veux que le lecteur ne ferme jamais les yeux ». Le citoyen conscient doit donc aussi se garder d’avoir la mémoire courte s’il entend comme Jean-Claude “assumer individuellement sa prise de conscience”. Pas plus que nous ne croyons maintenant que les Américains ont gagné la guerre du Vietnam en 1975, nous n’oublions toutes les dictatures que les États-Unis ont soutenues dans le monde entier, en commençant par l’Amérique latine. Personne ne peut faire semblant d’ignorer leur rôle dans l’assassinat d’Allende et l’installation de Pinochet au Chili puisque les directives de Nixon au Directeur de la CIA d’alors, Richard Helms, ont été rendues publiques [6] ! Du coup, rappelons-nous les termes employés par Reagan en 1980 : il prétendait déjà lutter contre « l’empire du mal » en intervenant au Nicaragua contre le Front sandiniste élu en 1979 ! N’oublions pas que c’est aussi la CIA qui y organisa, entraîna et arma l’opposition. La guerre de l’administration Reagan provoqua 29.000 morts, elle s’est poursuivie contre le gouvernement régulièrement élu en 1984, et la Cour internationale de justice de La Haye condamna en 1986 “cet emploi illégal de la force par les États-Unis”.

La constance dans les méthodes anti-démocratiques de l’administration américaine doit donc faire réfléchir ! On comprend alors qu’il s’agit pour les États-Unis, et depuis plus de 20 ans, par tous les moyens, même criminels, d’installer et de développer des multinationales d’intérêts américains, en exploitant le monde entier à ces fins, sans aucun égard pour les habitants des pays ainsi asservis. Les prétextes avancés pour leurrer les gogos ou faire taire ceux qui profitent de quelques retombées, ne peuvent pas faire douter l’honnête citoyen qu’en fait d’universalisme il s’agit bel et bien d’étendre l’empire des sociétés américaines par des procédés inavouables.

*
QUELS SONT LES VERITABLES BUTS ?

Maintenant qu’on sait qu’il s’agissait en Amérique Latine d’implanter des sociétés du type United Fruit, demandons-nous quels intérêts américains pourraient cacher la politique actuelle des États-Unis au Moyen ou Proche Orient.

Les régions concernées sont proches de ressources connues de pétrole. La fortune des texans Bush est assise sur le pétrole. L’économie américaine a et va avoir de plus en plus besoin de pétrole. D’importantes sociétés pétrolières ont aidé à financer la campagne électorale, si brillament réussie, de Mr. W., et en attendent le retour sur investissement, puisque dans cette “plus grande démocratie du monde” les élections s’achètent, et très cher.

Tous ces indices menant singulièrement vers des sociétés pétrolières, voyons ce qui, dans les informations récentes, incite à confirmer cet aspect de la politique américaine. En utilisant celles du Monde du 13 novembre, on découvre que le nouveau Président des États-Unis est parti pour sa croisade, dite du “Bien contre le Mal”, après avoir mis le lobby pétrolier américain aux manettes. Son vice-président, d’abord, a longtemps dirigé Halliburton, le leader mondial des prestataires de service de toute l’industrie pétrolière. Sa directrice du Conseil national de sécurité, qui supervise le Renseignement, a été pendant neuf ans directrice dans la compagnie pétrolière Chevron où elle était spécialisée dans les dossiers concernant le Kazakhstan. Son secrétaire et son sous-secrétaire au Commerce ainsi que son secrétaire à l’énergie ont fait tous les trois leur carrière dans le pétrole, chez Tom Brown et chez Exxon. Et on ne compte pas les autres professionnels de ce même secteur qui ont été placés dans les cabinets ministériels. S’il est normal aux États-Unis que le Président choisisse son État-major comme bon lui semble, ce qui a choqué c’est que quatre jours, pas un de plus, après l’investiture, si controversée pourtant, de Mr. W., le vice-président a organisé une structure informelle et tout à fait inhabituelle, dont le nom peut se traduire par “corps expéditionnaire pour la politique de l’énergie” [7] et dont les activités intriguèrent beaucoup de monde, sans que le vice-président accepte de s’en expliquer, sinon pour dire que parmi ses priorités figurent le développement de nouveaux partenariats en Asie... Au point que l’Office chargé de l’information au Congrès a adressé, assez sèchement, une requête à la Maison Blanche afin d’obtenir au moins la liste des personnalités participant à un tel programme. Mais c’était le 10 septembre, et les attentats ont interrompu le Contrôleur général de l’Office chargé de l’information auprès du Congrès, prêt auparavant à entamer des poursuites judiciaires. Le 11 septembre, Bush engageait à ses côtés un autre expert pétrolier qui, de 1995 à fin 1998, avait négocié avec les talibans le tracé d’un gazoduc traversant leur territoite...

Alors, quelles sont les intentions de l’administration de G.W. Bush et que s’est-il vraiment passé juste avant le 11 septembre ?

Un livre de A.Rashid [8] intitulé L’ombre des talibans (aux éditions Autrement), avait déjà révélé avec beaucoup de détails que les États-Unis étaient engagés depuis des années dans des tractations avec les talibans (qu’ils ont installés en Afghanistan, ne l’oublions pas) pour répondre aux attentes de compagnies pétrolières américaines. Ce que d’autres informations parues dans la presse américaine ont confirmé. Un autre livre [9], dont les auteurs sont deux spécialistes reconnus des questions et des milieux du renseignement, confirme et complète ceci en ajoutant que pour ne pas gêner ses relations avec les monarchies du Golfe, Washington aurait empêché le FBI d’enquêter en Arabie saoudite et au Yémen sur les commanditaires d’attentats anti-américains. À l’appui de cette thèse, ce dernier livre révèle le témoignage de J. O’Neill, le N°2 du FBI, qui, furieux d’être ainsi bridé dans son action, a démissionné avec éclat en juillet dernier. Ceci expliquerait que le FBI n’ait pas pu prévenir les attentats, mais ouvrirait aussi des horizons quant aux motivations de la diplomatie américaine. L’administration Clinton a longtemps négocié avec les talibans la reconnaissance de leur régime en échange de Ben Laden, accusé d’attentats contre des ambassades américaines en Afrique, mais le mollah Omar refusait cette extradition. Dés février 2001, la nouvelle administration Bush a invité à Washington des talibans pour reprendre ces tractations. Le projet américain était déjà celui de la livraison de Ben Laden contre la convocation d’un conseil des tribus afghanes autour du roi en exil, Zaher Chah, il n’est donc pas issu des diplomaties occidentales au lendemain des attentats : il était préparé depuis des mois à l’initiative de Washington. Était-il accompagné d’une offre financière ou de menaces ? L’ex-ministre Pakistanais, représentant son pays au “Processus de Berlin” en juillet l’affirma le 18 octobre sur FR3 en disant8 « Une fois le gouvernement élargi constitué, il y aurait eu une aide internationale [...] Ensuite le pipe-line aurait pu arriver ». Sinon, ajouta-t-il, les Américains menacaient d’une “opération militaire”. Il se pourrait donc que c’est parce que ces promesses étaient près d’amener les talibans à monnayer l’extradition de Ben Laden que celui-ci a agi...

*
MÉTHODES, PRÉTEXTES ET BUTS AUSSI INDÉFENDABLES

Dans l’éditorial critiqué, je n’ai évidemment pas pris parti pour Ben Laden. Mais pas non plus pour Bush, je les ai mis dans le même sac, comme deux mafieux à qui on peut reprocher à la fois des méthodes criminelles, un intégrisme sans nuance et des objectifs douteux. Chacun d’eux, en effet, a utilisé le pouvoir qu’il doit au fait d’avoir reçu une grosse fortune pour l’utiliser à armer et entrainer ses troupes, pour leur donner l’ordre d’aller assassiner aveuglément des milliers de civils, en se prétendant le justicier chargé de punir le Mal au nom du Bien, mais en cachant ses véritables mobiles. Si ceux de Ben Laden sont encore secrets, ceux de Bush commencent à être découverts, en plus du fait que ce sont les Américains qui sont à l’origine de la mise en place des talibans en Afghanistan, du recrutement, de l’armement et de l’entraînement du réseau Al-Qaida de Ben Laden et que celui-ci a été financé grâce à l’opacité des transactions financières et aux paradis fiscaux que défendent les Américains parce qu’ils sont les premiers à les utiliser. Refuser de constater cette perversité de la politique américaine n’est pas faire preuve de tolérance, c’est avoir peur d’ouvrir les yeux...

Les conséquences du fait que nos gouvernements n’ont pas eu ce courage sont extrêmement graves. Je ne crois donc pas qu’il soit sain d’attendre que d’autres prennent des initiatives, ni de laisser aux générations suivantes le soin d’agir, pour faire évoluer plus tard, et peut-être, l’humanité.

Car donner carte blanche à Bush, comme il donne lui-même son feu vert à Sharon, c’est accepter que se poursuive l’asservissement de populations entières comme celle de la Palestine, occupée et humiliée depuis des décennies. Le suivre, c’est l’encourager à entreprendre, sur la lancée de sa victoire sur les talibans, les actions qu’il a annoncées, en commençant par l’Irak, puits de pétrole intéressant après celui de l’Arabie saoudite, déjà acquis.

Et c’est lui permettre de continuer à mettre son veto intolérable à tout contrôle international sous l’égide de l’ONU, à s’opposer à tout accord contre la pollution de l’environnement terrestre (Kyoto), contre les mines anti-personnel, contre le racisme (Durban), et même de rompre unilatéralement des pactes antimissiles ABM afin de développer sa “guerre des étoiles”, comme il vient de le faire en douce.

Bref, c’est l’encourager à mépriser le reste du monde en chantant avec lui « God Bless America » !

(17 décembre 2001).
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[1] Voir par exemple son interview dans Le Nouvel Observateur N°1732 du 15 janvier 1998.

[2] Le nombre de civils tués par ces “dégâts collatéraux” est pourtant estimé à plus de 1000.

[3] Dans une interview au Monde du 28 novembre dernier.

[4] Rappelons que laïcité ne signifie pas athéisme comme certains l’imaginent souvent. Il s’agit de ne pas mélanger religion et politique.

[5] Voir GR N°1016, p.4 : “On en apprend de belles”.

[6] Voir Le Monde 11/12/1998, p.14.

[7] en Anglais : “Energy Policy Task Force”.

[8] Sur ce qui suit voir : Horizons Le Monde, 13/11/01, p.14

[9] intitulé “Ben Laden, la vérité interdite” paru chez Denoël le 14 /11/2001.

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TÉMOIGNAGE

Voici, écrit le 9 novembre à Berkeley et traduit par Marc Devos, le témoignage d’un Américain, C.Steiner, connu pour avoir collaboré avec Berne à la fondation de l’Analyse Transactionnelle, et participé avec le mouvement de psychiatrie radicale au soutien des opposants à la guerre du Vietnam. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont L’autre face du pouvoir...

La nature a horreur du vide

par C. STEINER, M. DEVOS
janvier 2002

Deux mois ont passé et nous continuons à chercher une signification aux événements du 11 septembre. Ici aux États-Unis, nous avons d’un côté le discours simpliste du châtiment mérité, de l’autre le discours insipide de la masse chauvine : “USA ! USA !! USA !!!” au sujet de ces lâches terroristes qui envient les bons et libres américains !

Entre ces impasses extrêmes, beaucoup de questions se posent. Est-ce un affrontement historique entre cultures ? Est-ce l’Islam qui est en jeu ? Est-ce de l’intégrisme religieux ? Est-ce une conspiration pour déstabiliser le Moyen-Orient ? Est-ce de l’anti-américanisme, justifié ou non ? Est-ce lié au monde moderne ? Est -ce au sujet d’Israël ? De la chrétienté ? Du racisme ? Du mal ?

Blaise Pascal avait remarqué, au 17ème siècle que lorsqu’on faisait le vide d’air dans un récipient, une pression constante se manifestait pour le remplir, et il en avait déduit que : « la Nature a horreur du vide ». L’observation de Pascal peut être généralisée en disant que la Nature va tendre à corriger tout déséquilibre en son sein, et que plus grand est le déséquilibre, plus grand est son effort pour le corriger. Une telle loi, qui vise à réduire tout déséquilibre, opère à tous les niveaux de complexité de la nature, depuis la physique jusqu’aux interactions sociales hautement élaborées. Quand se développent des inégalités, les mécanismes naturels pour les réduire augmentent et l’explosion (ou l’implosion) est d’autant plus forte que les inégalités sont grandes.

D’énormes déséquilibres se sont développés tout au long de l’Histoire et la Nature les a toujours réduits. Les empires s’écroulent inévitablement : l’empire Ottoman a succombé au chaos interne, l’empire Romain sous l’assaut des barbares, l’empire Espagnol à la révolte. Famine, peste, guerre sont des moyens par lesquels s’applique cette loi de l’entropie.

Un déséquilibre de dimension globale s’est créé depuis la fin de l’équilibre “difficile” de la guerre froide. D’un côté, les millions de “possédants” du monde avec toutes les ressources, ayant les plus haut standards de vie, la prospérité et l’abondance, concentrés à l’Occident avec à leur tête les États-Unis. De l’autre coté, les milliards de “non-possédants”, à l’intérieur de l’Occident et dans le reste du monde, qui ont froid, sont malades, désespérés, en colère en tentant de survivre.

La technologie et le capitalisme ont un impact important sur ce processus. Associée au “laisser faire” du capitalisme, la technologie explose et les déséquilibres produits croissent de manière exponentielle. L’inégalité croissante entre riches et pauvres sur cette terre est devenue une évidence sinistre. Bien avant les événements du 11 septembre, beaucoup se sentaient mal à l’aise avec ce développement implacable ; vivre cela était pour moi comme être enfermé dans la cave avec une énorme chaudière chauffée à rouge qui augmentait implacablement sa pression de vapeur : est-ce qu’elle va exploser ou tenir ? Combien de temps avant que ça pète ? Quels seront les dégâts ? Y a-t-il moyen de baisser la pression ? Un triste symptôme de ce déséquilibre était l’arrogance pompeuse et égoïste de certains à la réussite prospère qui semblaient contaminés par une maladie mentale caractérisée par d’énormes voitures tout terrain à 30.000 $, suceuses d’essence et devenues une mode au sein de la classe moyenne de l’Ouest. Cette maladie infiltrait tous les niveaux, d’un côté l’absurde confiance en soi des citoyens moyens qui épuisaient leurs cartes de crédit, de l’autre, le rejet par le gouvernement Bush, sans protestation de la population, des accords de Kyoto sur le réchauffement global, de la conférence de l’ONU sur le racisme, l’abandon par les États-Unis de leurs responsabilités au Moyen-Orient pendant qu’ils refusaient de payer leurs dettes à l’ONU.

Le 11 septembre peut être vu comme la manifestation de la haine que voue la Nature à ces déséquilibres devenus incontrôlés. La violence des événements du 11 septembre révèle moins de choses sur les terroristes, les talibans, l’Islam ou le Moyen-Orient qu’elle n’en révèle sur la pression du déséquilibre qui s’était accumulé et a été réduit, d’une certaine manière, par leur action. Ben Laden est une explication facile pour tout ce qui nous fait mal, mais ce n’est qu’un moyen particulièrement vicieux de la Nature pour remettre de l’ordre. Elle reprend sa place par n’importe quel moyen si nous transgressons trop ses lois. Plus haut on monte, de plus haut on tombera, on dansera dans les rues et on brûlera des drapeaux tout autour du monde.

Tout était allé trop loin : le 11 septembre a été une remise à niveau explosive. Beaucoup ont dit que le sentiment d’arrogance diminue aux États-Unis malgré la campagne de propagande de Bush pour regonfler les Américains en leur demandant de consommer. Mais nous ne pouvons plus dormir, nous nous inquiétons tous, nous restons près de chez nous, nous nous connectons au web, nous nous entraidons, nous réfléchissons, nous sommes concernés, nous discutons, nous écoutons, nous cherchons des réponses et peut-être maintenant pourrons-nous trouver une réponse à la plus vaste question de ce siècle : l’humanité survivra t elle ? Et pas seulement le premier monde. Et si oui, comment ?

Nous, les humains sommes d’étranges créatures. Avec nos cerveaux surdimensionnés nous avons réussi à tromper la nature, à nous reproduire et à survivre avec tant de succès que maintenant nous menaçons d’étouffer la biosphère dont nous dépendons. Instinctivement nous recherchons l’individualisme, la perfection et le contrôle. Ces tendance compétitives naturelles nous conduisent à de grandes inégalités, mais nous pouvons aussi bien choisir consciemment de partager, coopérer et nous soucier des autres.

Notre plus puissant outil de survie est aujourd’hui notre cerveau rationnel. Second en importance après cela vient notre amour pour nous-mêmes et les autres. Le formidable pouvoir de notre esprit avec son besoin de vérité, combiné avec une ferme détermination d’aimer et de préserver la vie est notre seule issue.

Nous pouvons utiliser notre intelligence à contrôler notre recherche constante des inégalités de pouvoir, pour nousmêmes et les autres. Beaucoup a déjà été fait. La démocratie, le système judiciaire, les programmes d’aide publique, l’impôt progressif, la législation anti-monopole étaient tous destinés à modérer la tendance humaine à créer des déséquilibres, avec le désir de prendre soin les uns des autres. En fait, Islam, Christianisme et Judaïsme partagent un de leurs plus importants préceptes : prendre soin des pauvres. Ces mécanismes sont pourtant imparfaits dans tous les pays et n’existent même pas à un niveau global.

Nous sommes conscients des transactions d’abus de pouvoir et des violences qui développent l’inégalité aussi bien que des attitudes coopératives qui la modèrent. Nous pouvons apprendre et enseigner ces outils d’égalité de manière simple, directe et efficace que les gens peuvent acquérir où qu’ils vivent ou qu’ils travaillent. C’est ce dont nous avons besoin à un niveau personnel, national et global et, nous tous, en tant que parents, enseignants, couples, responsables politiques ou religieux, nous pouvons oeuvrer pour que cela se fasse.

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NOS LECTEURS S’EXPRIMENT :

Le second témoignage nous a été envoyé de Nouvelle Zélande. Il s’agit d’une lettre ouverte à l’adresse du gouvernement de ce pays :

Lettre ouverte reçue de Nouvelle Zélande

par S. AYRE
janvier 2002

Sarah Ayre,
Nelson
Nouvelle Zélande

OBJET : Soutien militaire apporté par la Nouvelle Zélande aux Etats-Unis dans sa guerre contre le terrorisme.

Au Premier Ministre,
aux Membres du Parlement de la Nouvelle Zélande

Le 12 octobre 2001.

Messieurs,

Qui ne dit mot consent, dit un vieux proverbe français. C’est parce que je ne veux pas que mon silence puisse être interprété comme un assentiment que je vous adresse cette lettre.

Je vous écris en tant qu’être humain aimant la vie, en tant que simple citoyenne de la Nouvelle Zélande, et aussi, en tant que votre employeur, puisque je vous rémunère pour vos services avec mes impôts et les taxes que je paie. Je suis donc, en fin du compte, responsable, avec l’ensemble de la population de notre pays, des actions du gouvernement : nous avons tous, en effet, à vivre ou à mourir des conséquences de ces actions.

Je regrette profondément et j’ai honte que la Nouvelle Zélande accorde son plein soutien aux méthodes utilisées par le Président Bush pour répondre aux attentats contre le World Trade Centre et le Pentagone le 11 septembre dernier.

Il est tout à fait compréhensible que chaque pays n’ose pas dire tout haut ce qu’il pense tout bas, puisque le Président Bush a annoncé au monde d’une manière très menaçante : "soit vous êtes mon allié, soit vous êtes un terroriste ou, tout au moins, vous soutenez le terrorisme".

Il est cependant irresponsable de soutenir une telle stratégie insensée dont l’enjeu est énorme puisqu’il s’agit de la survie de l’humanité et peut-être même de la planète. Dans quel but s’engouffrer dans des actions du type "oeil pour un oeil..." ? La plupart d’entre nous sait bien que ce genre de stratégie ne fait qu’accentuer le cycle destructif de haines et de rancoeurs ... La politique de Bush, loin de mettre fin au terrorisme, le renforcera. De plus, il utilise lui-même des méthodes terroristes : cherche-t-il ainsi à s’autodétruire ?

Pensons aux millions de vies perdues dans les bombardements et autres actions militaires menées par de nombreux pays au cours du siècle dernier. Nous sommes tous embarqués dans le même bateau, pour le meilleur ou pour le pire.

Il existe pourtant d’autres options pour empêcher le monde de tomber dans l’abime de la destruction, pour l’amener vers un avenir plus sain. Nous pouvons affirmer à Bush que nous n’acceptons pas son diktat selon lequel celui qui n’est pas son allié est un terroriste. Nous pouvons lui dire que nous sommes prêts à l’aider, sous le contrôle des Nations Unies, à identifier les causes profondes des attentats de type terroriste, et à nous attaquer à ces causes dont nous tous sommes peut-être, en partie, responsables. Comme on l’a dit maintes et maintes fois, il ne peut pas y avoir de paix sans justice, surtout sans justice économique. Comment pouvons-nous nous attendre à la paix dans un monde où une très faible minorité possède de plus en plus des richesses, tandis que la vaste majorité, grandissante, vit dans la pauvreté ou en est menacée ? La guerre mène toujours à plus de morts et à plus de pauvreté. Est-ce cela que nous voulons ? Même James Wolfensohn, le président de la Banque Mondiale, a dit tout de suite après les attentats du 11 septembre : "L’éradication de la pauvreté est une quête pour la paix" (Interview avec David Frost, BBC World).

Une voie possible vers la justice économique est l’instauration de systèmes de revenus universels, permettant à chacun de bénéficier de ses droits économiques tels qu’ils figurent dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Nous soutiendrions Bush s’il demandait aux Nations Unies d’obliger les différentes nations, y compris les Etats-Unis et la Nouvelle Zélande, à se conformer à ces Droits économiques.


Cette troisième réaction vient de Grande-Bretagne, elle nous a été communiquée par un abonné de Manchester qui a écrit au quotidien le Gardian :

J’ai lu l’article “Sainte-Alliance contre Droits de l’Homme” (éditorial du N° 1015). Votre sagesse m’a beaucoup encouragé à continuer la lutte contre Bush-Blair. Et en lisant ce matin l’article de Polly Toynbee dans la rubrique “Commentaires” du Guardian du 14/11 au sujet de “notre victoire”, je me suis mis très en colère, et j’ai vivement protesté en écrivant au Guardian la lettre suivante (voir ci-contre). Je précise que dans “methods of barbarism” je cite les paroles du politicien Campbell-Bannerman qui a critiqué la Guerre en Afrique du sud.

I usually ignore Polly Toynbee’s column, but today’s “Victory” article (Comment 14 November) is garbage that deserves to be pissed on publicly : Blair and Bush have innocent blood on their hands, so how can she justify such grotesque triumphalism at the expense of children killed in the bombing ?

In its Manchester Guardian days, your paper condemned “methods of barbarism” : now it seems to be celebrating them with cheap yahoo hack writing. O tempora, o mores.

Kevin, Manchester.

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Les mots cachent les maux

(Suite)
par M. DEVOS
février 2002

Je ne comprends pas comment les personnes qui sont dans un système de pensée compétitif peuvent se plaindre du terrorisme, de la pollution, de la vache folle ou autres gâteries de notre système.

La compétition ne peut produire que des incapables et des irresponsables :

" incapables puisque la compétition est basée sur la comparaison à autrui, tout ce qu’on demande est d’être moins mauvais que l’autre (même si on appelle ça meilleur, je ne vois pas de différence) il n’est nulle part question de compétence ou de capacité, au contraire quand la qualité baisse et que les personnes ne sont plus capables d’avoir un résultat satisfaisant, les normes de pollution admises, ou les règles de dopage, ou les conditions du commerce international sont modifiées pour permettre la compétitivité...

" irresponsables puisque c’est la comparaison qui sert encore de modèle : famines, dégâts collatéraux, catastrophes programmées... : « oui notre système a des défauts mais c’est quand même mieux que si ça avait été pire, nous sommes démocrates et avons besoin de pétrole, ce que nous faisons n’est rien comparé au collectivisme ou au terrorisme qui pourrait encore nous menacer ».

Il ne peut pas être question de responsabilité ou de morale avec des critères figés, puisqu’il faut combattre les autres, qui n’en ont pas.

Il existe des pays “démocratique” où la torture est “légale”, où les armes bactériologiques sont “défensives”... Comme il faut quand même convaincre notre camp, on utilise l’éthique, une sorte de morale à géométrie variable en fonction des nécessités de la compétition.

Je ne vois pas pourquoi Bush peut condamner Ben Laden ou à l’inverse comment Ben Laden peut condamner les Américains : ils utilisent la même logique et tous les deux au nom de Dieu. La seule issue pour ceux qui sont dans ce système de compétition est celle de “Marianne “ : juger Dieu comme criminel, puisque c’est en son nom que tout cela se fait.

Quand allons nous sortir de ce cauchemar ?

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Accès aux génériques

par J. LE RIGOLLEUR
janvier 2002

« Celui qui vole pour vivre tant qu’il ne peut faire autrement ne fait qu’user de ses droits ». Marat a écrit cela il y a plus de deux siècles à une époque où la propriété venait juste de sortir renforcée par cette nuit du 4 août, qui donnait un autre fondement aux privilèges.

L’accès à la nourriture, comme aux soins médicaux, sont des droits inaliénables, ce ne sont pas des marchandises bien que le dogme libéral aimerait nous persuader du contraire.

Mais ce qui est humainement souhaitable doit l’être financièrement, c’est pourquoi les génériques devraient être imposés à chaque délivrance d’une ordonnance, libre à celui qui désire la gélule de son labo favori d’en payer la différence. L’accès aux soins médicaux serait ainsi moins cher et la sécurité sociale en tirerait bénéfice.

Cela reste pour l’instant un voeu pieux, car les laboratoires pharmaceutiques, pour maintenir leur position, n’hésitent pas à utiliser des moyens coercitifs. De plus, l’ambiance guerrière actuelle n’invite pas à manifester contre eux, car curieusement cette lutte anti-terrorisme ratisse large, en empêchant notamment toute remise en cause du système économique ambiant.

L’accès aux génériques, s’il venait à s’imposer dans nos contrées, devrait l’être aussi pour les pays en voie de développement et non leur être refusé sous les fallacieux prétextes soutenus par les laboratoires. Ceux-ci à leur habitude poussent des cris d’orfraie, mais que pèse l’intérêt des actionnaires de ces laboratoires face à une volonté populaire déterminée ? - L’enveloppe d’une gélule !

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ARGUMENTS

Voici la troisième et derniére partie du travail d’Alain Lavie sur l’éclairage qu’apportent les travaux d’Henri Laborit sur les comportements humains, apportant de solides arguments aux distributistes : Sans les autres, le moi n’est rien, c’est pourquoi baser l’organisation de la civilisation sur l’individualisme est absurde. Mais ne pas tenir compte des besoins et des aspirations de chacun ne peut créer que désordre, frustations et violence. Les hiérarchies de valeur doivent donc laisser la place aux hiérarchies de fonctions, à l’instar de tout organisme vivant où chaque cellule, chaque organe, informe les autres du maintien de sa structure, de son homéostatie.

III. Eviter que l’être se fasse avoir

par A. LAVIE
janvier 2002

La civilisation, ou plutôt son organisation, doit être le reflet des aspirations de tous, avec toutes les fluctuations possibles auxquelles il faut s’attendre ; les seules contraintes à respecter étant la gestion des ressources de la planète, le respect de l’environnement (dans lequel nous ne sommes que locataires mais non propriétaires) et des autres espèces habitant la Terre au même titre que nous. La demande par un individu d’un surplus de revenu, par exemple de la part d’un comédien talentueux, d’un sportif exceptionnel, d’un artisan apprécié d’une très nombreuse clientèle, serait justifiée si la performance réalisée provenait exclusivement de l’individu. Nous l’avons vu, le mérite n’existe pas. Tout cela, génétique et informations, chromosomes et apprentissages, fait partie de la construction de la personne par les autres, de la constitution physique et mentale à laquelle l’individu ne peut rien. Cette réclamation serait donc un abus, un manque de reconnaissance vis à vis de tous ceux qui ont participé à sa formation et à ce qu’il est. Sa meilleure récompense n’est-elle pas de jouir de la notoriété ? De plus, dans l’objectif d’assurer le bien-être et la gratification au plus grand nombre, son prestige sera encore plus important quand il divulguera son savoir à des adeptes.

Dans le même registre se situent ceux qui consacrent beaucoup de leur temps à l’exercice d’une activité, professionnelle ou autre. Il faut leur souhaiter qu’il s’agisse d’une dépense d’énergie gratifiante où plaisir et dominance constituent leurs récompenses. « L’homme est un être de désir. Le travail ne peut qu’assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant au premier. Ceux-là ne travaillent jamais [1]. » Souhaitons que, dans ce domaine aussi, nous passions de la rareté à l’abondance. Celui qui réalise des activités en se faisant mal, soit est à plaindre si cette souffrance est non consentie, soit, si elle l’est, doit penser à consulter afin de soigner ce conditionnement nocif et tenter de mettre à jour un traumatisme inconscient.

Le mérite, le dévouement, sont surtout utilisés dans les discours des manipulateurs de population pour leur propre intérêt et pour celui de qui ils reçoivent de grasses rétributions. Il est aisé d’appâter les individus en agissant justement sur les instincts de plaisir et de dominance afin de les rendre dociles et s’attribuer leur service.

L’avènement de l’abondance, même potentielle, représente certainement la plus grande force révolutionnaire puisqu’immanente, enfantée par ce système libéral tant controversé. Grâce à elle la société peut envisager d’élaborer une nouvelle organisation qui satisfasse l’Etre et réduise l’influence de l’Avoir jusqu’à empêcher son retour au premier plan. En comparaison avec l’organisme humain dans lequel l’ensemble des cellules, des organes, s’échangent la totalité des informations reçues, afin que chacun se nourrisse de celles qui lui permetttent de maintenir au mieux sa structure et avec pour objectif l’homéostasie générale, la civilisation formée des individus, des régions, des nations, doit donc favoriser la circulation et la transmission de l’information généralisée. Celleci, bien plus étoffée, plus complète que l’information spécialisée et professionnelle, permet à chacun de trouver à assouvir l’ensemble de ses besoins et à s’exprimer dans les domaines favoris de son imagination.

« La société post-industrielle, la société de connaissance opposée à celle de consommation, la société scientifique pour tout dire, sera d’abord une société des sciences biologiques ou elle ne sera pas. L’homme doit dès maintenant tourner son regard curieux, non plus seulement vers son environnement, mais sur lui-même [2] ». Cette circulation libre de la connaissance permettra l’acquisition de la pluridisciplinarité essentielle à l’avènement de la créativité. Celle-ci représente une caractéristique fondamentale de l’homme, « non pas créatrice seulement de marchandises, mais créatrice de nouvelles structures enrichissant ses connaissances du monde... et celles de ses comportements ». La motivation favorable à cette créativité, chacun la trouve en lui-même par l’expression des instincts de plaisir et de dominance (reconnaissance sociale) en situation sociale et surtout par la conscience de sa fragilité existentielle, « celle que les sociétés hiérarchiques et paternalisantes s’efforcent d’obscurcir.

Dans un système où règnent les hiérarchies de valeurs, la créativité n’a pas sa place, puisqu’elles se protègent par le conformisme. Elles empêchent toute créativité n’aboutissant pas à la création de marchandises » ou de l’objet sur lequel reposent ces hiérarchies. Aujourd’hui on demande à l’individu de reproduire et non pas de créer des structures nouvelles. On lui demande d’apprendre et de réciter et non pas d’inventer, à moins, bien sûr, que son invention se vende et à condition qu’elle ne mette pas en cause le système socio-culturel du moment. Ce qui se vend le mieux, c’est toujours ce qui crée le moins d’inquiétude, à savoir l’expression des lieux communs et des préjugés d’une époque. Aujourd’hui, cette motivation à la créativité est détournée, par l’incitation à la promotion sociale, à gravir les échelons hiérarchiques.

LES NOTIONS ACTUELLES DE TRAVAIL ET DE LOISIR S’ESTOMPENT

Dans une nouvelle civilisation de l’Etre, finies les notions de travail et de loisir. Chacun, à l’aide de la connaissance, agit pour le maintien de sa structure et de celle de l’ensemble dont il dépend en fonctionnant, tel un système ouvert, réceptionnant l’information généralisée, l’enrichissant de son analyse et s’exprimant pour, lui-même, informer. Comment parler de travail et de loisir quand le plaisir et la dominance sont assurés, garantissant de la sorte la gratification essentielle à l’équilibre ? Cependant, la créativité ne s’arrête pas à l’exercice du métier ou de l’art, elle doit aussi s’exprimer dans le domaine politique. De la même façon, la connaissance est primordiale pour l’exercice de la fonction de citoyen. « L’autogestion n’a de chance d’être efficace que si l’information généralisée est largement diffusée et que si, en conséquence, l’on donne à chaque individu le temps nécessaire pour la recevoir et pour l’intégrer [3] ».

« Les nouvelles sociétés ici ou là n’ont jamais envisagé, ni le temps nécessaire à chaque individu, ni le polymorphisme de l’information, ni les structures scientifiques, sociobiologiques, en particulier, dans lesquelles cette information généralisée doit s’inscrire [4] ».

La satisfaction d’un rôle politique réel a besoin de s’exprimer en chacun. Aujourd’hui, conditionné par les médias, par le paternalisme des “supérieurs”, chacun ne peut s’exprimer que par le bulletin de vote dont il choisira la couleur « suivant qu’il est satisfait ou non de sa dominance ».

Une société fondée sur les libertés d’action et d’expression, mais consciente de l’absence de cette “liberté individuelle” (notion clé du capitalisme), ne peut se construire que sur des structures socialistes. Cependant « l’écueil fondamental à [sa] réalisation est avant tout constitué par les hiérarchies, par la distribution du pouvoir économique et politique suivant une échelle de valeurs, elle-même établie en fonction de la productivité en marchandises [5]. ».

Une société, une civilisation, doit être la résultante des expressions de chacun. Le pouvoir n’a pas non plus à être imposé par une caste de privilégiés qui décideront en fonction du maintien de leur dominance. « Tant que les informations seront entre les mains de quelques-uns, que leur diffusion se fera de haut en bas, après filtrage, et qu’elles seront reçues à travers la grille imposée par ceux qui ne désirent pas, pour la satisfaction de leur dominance, que cette grille soit contestée ou qu’elle se transforme, la démocratie est un vain mot, la fausse monnaie du socialisme [6] ».

Il serait une erreur de croire que l’homme n’est fait que pour produire, et même suicidaire. Ce serait nier ses véritables facultés et risquer de passer à côté d’une destination plus digne. L’humain est avant tout fait pour l’imagination et la créativité que peut lui permettre l’existence du cortex cérébral développé, à la différence des autres espèces. Il serait temps qu’il pense à utiliser plus souvent ce formidable outil que l’évolution biologique lui a attribué et qu’il n’en reste pas trop souvent à des réactions hypothalamiques. « Nous entrons dans une ère où toutes les “valeurs” anciennes établies pour favoriser la dominance hiérarchique doivent s’effondrer. Les règles morales, les lois, le travail, la propriété, tous ces réglements de manoeuvre qui sentent la caserne ou le camp de concentration ne résultent que de l’inconscience de l’homme ayant abouti à des structures socio-économiques imparfaites, où les dominances ont besoin de la police, de l’armée et de l’Etat pour se maintenir en place [7] ».

UNE REMISE EN QUESTION PERMANENTE

Certes, il est temps de révolutionner la civilisation, les conditions nous y incitent, abondance et tentative de mondialisation financière et culturelle, c’est-à-dire volonté d’hégémonie du monde occidental. Mais cette révolution sera-t-elle assez lucide pour ne pas aboutir sur un nouveau conformisme et une nouvelle hiérarchie de valeurs ? Pour éviter ce piège, ne faut-il pas parler de révolution permanente, sans but objectif, capable d’une remise en question constante suivant l’évolution de la connaissance, les fluctutations de l’imagination et la créativité ? « Et finalement, n’estce pas souhaitable, car la poursuite d’un but qui n’est jamais le même, et qui n’est jamais atteint, est sans doute le seul remède à l’habituation, à l’indifférence et à la satiété [8] ».

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[1] Henri Laborit, Eloge de la fuite, page 109.

[2] Henri Laborit, L’homme imaginant page 116.

[3] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 272.

[4] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 187.

[5] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 189.

[6] Henri Laborit, La nouvelle grille, page176.

[7] Henri Laborit, La nouvelle grille, page 334.

[8] Henri Laborit, Éloge de la fuite, page 157.

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NOS LECTEURS S’EXPRIMENT :

Allez-vous vous réveiller ?

par Y. GOURBEAULT
janvier 2002

Quand allez-vous vous réveiller et entendre les cris d’alarme de vos peuples ? L’écoeurement que nous ressentons devant votre lâcheté et votre incivisme est arrivé à son comble. Ne croyez pas que je sois un anarchiste. C’est tout le contraire. Ancien HEC, ancien cadre supérieur, malgré mes 80 ans je ne suis pas gâteux. Mais la folie des hommes est arrivée à un tel degré qu’il me faut clamer haut et fort mon ras le bol. Ce qui devient inacceptable :

" La mondialisation à 2 vitesses : les puissants, de plus en plus puissants et de moins en moins nombreux. Les exclus, de plus en plus exclus et de plus en plus nombreux .

" La primauté du marché et de la finance face au mépris affiché de la valeur humaine. Les paradis fiscaux, le blanchiment de l’argent sale sont la honte de notre civilisation.

" Les excès de la science qui ne sait plus se maîtriser avec son cortège de dévoiements : armes de plus en plus destructrices, atteintes à l’intégrité de la planète, problèmes de l’eau et de l’énergie incontrôlés.

Dans la vie courante, une pléthore de situations qui fâchent, je cite au hasard : les salaires extravagants des sportifs professionnels, la délinquance des jeunes et, maintenant, des enfants, les dysfonctionnements de la justice, la désintégration des services publics, les compromissions de toute nature et dans tous les domaines, la désinformation érigée en institution, et j’en passe... Les pages des journaux, les émissions radio et de télé nous en abreuvent quotidiennement, à chaque instant de la journée.

Vraiment trop, c’est trop. Il est grand temps que vous vous ressaisissiez et qu’à vous tous vous remettiez de l’ordre sur la planète, à commencer par le règlement du conflit israëlo-palestinien que votre laxisme coupable a laissé se perpétuer et s’envenimer de puis plus de 40 ans.

Je souhaite que vous receviez des milliers de lettres comme la mienne.

Dernière minute : on nous annonce que les Etats-Unis (le Pentagone en fait) viennent d’expérimenter en Afghanistan des bombes à fragmentation faisant de nombreuses victimes parmi la population civile et notamment des enfants, et, en plus il peut y avoir confusion avec les rations alimentaires : on croit rêver !!

Je ne me sens plus du tout "américain", malgré ce qui s’est passé le 11 septembre, et vous vous honoreriez en vous désolidarisant publiquement de ces actions aussi criminelles qu’inutiles.

Cela n’excuse évidemment pas les fanatiques de toutes les religions qui dénaturent et trahissent fondamentalement les messages des prophètes.