La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève ArticlesN° 1024 - août-septembre 2002

< N° Précédent | | N° Suivant >

N° 1024 - août-septembre 2002

Au fil des jours   (Afficher article seul)

Les méfaits de la privatisation des chemins de fer britanniques ne servent pas de leçon à ceux qui décident en France. Dans sa leçon inaugurale, un Professeur au Collège de France témoigne de plus de conscience qu’un allègre ancien ministre français.

Savoir ce qu’on veut...   (Afficher article seul)

Comment peut-on à la fois dénoncer les excès auxquels l’économie de marché doit sa survie et affirmer qu’il ne faut surtout pas chercher à la remplacer ?

Incohérences   (Afficher article seul)

Smic, emploi des jeunes, croissance, durée du travail : un coup à gauche, un coup à droite, nous sommes toujours pilotés à l’aveuglette.

Lettre à un député de gauche, réélu.   (Afficher article seul)

Un modèle pour d’autres lettres et faire réfléchir la gauche sur son échec.

L’homo œconomicus   (Afficher article seul)

Le cycle humain   (Afficher article seul)

Réflexion sur l’épopée humaine. La période que nous vivons se situe entre l’ère de l’acquisition et celle de la distribution.

Quelles énergies renouvelables pour demain ?   (Afficher article seul)

Le point que vient de faire l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques montre qu’il va falloir changer nos habitudes d’un demi siècle.

^


Chronique

Au fil des jours

par J.-P. MON
août 2002

Suppressions d’emplois

Quoiqu’on vous en dise, n’oubliez pas qu’elles sont inéluctables :

• Le célèbre fabricant de Jeans, Levi’s, a décidé d’abandonner la fabrication de vêtements pour se consacrer au marketing et au développement de produits. Il transfèrera sa production dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère. En conséquence il fermera 6 de ses 8 usines aux États-Unis ce qui s’y traduira par la suppression de 3.300 emplois, soit 20% de ses effectifs. Depuis 1997, le groupe a déjà supprimé 18.500 emplois et fermé 29 usines en Amérique du Nord et en Europe (dont celle de la Bassée, près de Lille) [1].

• Après sa fusion avec Compaq, le président du nouveau groupe Hewlett-Packard a annoncé la suppression de 15.000 emplois au cours des six ou neuf prochains mois. Ce qui représente environ 10% des effectifs du nouveau groupe. En France, ces licenciements toucheront 1.400 personnes [2].

• Le nouveau patron de la Deutsche Bank vient d’annoncer la suppression de 3.770 postes qui s’ajoutent aux 9.200 déjà annoncées en 2001 et aux 1.500 autres dans la branche de gestion des actifs. En un an 13% des effectifs auront ainsi disparu [3].

• Le groupe de services informatiques américain Electronic Data Services va licencier 2.000 salariés « pour s’adapter à la baisse de la demande » [4].

• Selon une étude publiée le 8 juillet par le cabinet de recrutement Challenger, les licenciements dans le secteur des télécommunications pourraient, en 2002, atteindre et même dépasser le record établi en 2001. En effet, depuis le début de l’année, 165.840 emplois ont été supprimés dans le secteur, soit 27% de plus que pendant le premier semestre 20015.

• En Allemagne, les défaillances d’entreprises se succèdent : après celles du groupe de bâtiment et travaux publics Holzmann, du fabricant d’avions Fairchild-Dornier, du groupe de médias Kirch, le groupe centenaire Babcock Borsig, spécialiste des équipements de centrales électriques, vient de déposer son bilan. 22.000 salariés dont 13.000 en Allemagne sont concernés [5].

• Intel, le numéro un mondial des microprocesseurs, en raison du recul de 53% de son bénéfice net par rapport au premier trimestre 2002, va réduire ses effectifs de 5%, ce qui représente 4.000 emplois [6].

***
Aller-retour

Alors qu’en France, les privatisations semblent à nouveau promises à un bel avenir, grâce à Chirac-Raffarin, Railtrack, la société propriétaire de l’infrastructure ferroviaire britannique, va revenir dans le service public six ans après la privatisation de British Railways dont elle est issue [3]. “Héritière” des 40.000 km de voies ferrées et des 2.500 gares de British Rail, Railtrack, victime du sous-investissement de ses actionnaires, n’a pas été à la hauteur de la tâche. Elle a accumulé accidents, retards, manque de confort, pannes… à tel point qu’en octobre 2001, elle a été placée sous administration judiciaire à la demande de la Haute Cour de Londres. Le secrétaire aux transports a annoncé la création d’un fonds d’urgence de 6,2 milliards d’euros destiné à Network Rail, entreprise presqu’entièrement financée par des fonds publics, qui est chargée de reprendre les voies de Railtrack. Une fois encore, le contribuable paiera à la place de l’actionnaire !

***
Allégrement inconscient

Le mammouth de la science, Claude Allègre, s’extasie [7] sur les progrès accomplis par la Chine dans le domaine des technologie du vivant « où se situe l’agriculture de demain ». Puis il s’indigne : « Pendant ce temps, la France […] laisse saccager les champs expérimentaux d’OGM […] Enfin, l’Europe toute entière est paralysée par l’action irresponsable des Verts concernant les OGM et, du coup, le champ est laissé libre aux multinationales américaines et désormais à la Chine. Que ferons-nous quand dans un commerce international dérégulé, la Chine exportera à bas prix les céréales produites suivant des techniques que nous n’aurons pas pu développer ? ». Le raisonnement du cher collègue est classique, du même type que celui qui justifie les ventes d’armes à n’importe quel pays ou celui selon lequel on peut entreprendre n’importe quelle recherche (le clonage humain par exemple) « parce que si nous ne le faisons pas, d’autres le feront à notre place… »

En ce qui concerne les OGM, Allègre devrait savoir que des mesures récentes effectuées au Mexique viennent de confirmer la contamination de variétés locales de maïs par du maïs transgénique [8] et qu’une étude australienne [9] montre que des croisements entre plantes génétiquement modifiées et variétés naturelles peuvent se produire à grande distance (plusieurs kilomètres). Les positions de la Confédération paysanne et celles des Verts ne sont donc peut-être pas aussi irresponsables que le dit Allègre. Il est vrai que pour lui le principe de précaution doit être rétrograde ! Nous préférons, quant à nous, faire nôtre cette réflexion de Spyros Artvanis-Tsakonas, professeur au Collège de France : « En tant que citoyens, en tant que citoyens et démocrates, notre devoir civique est de veiller à ce que le savoir biologique ne soit pas déformé, ni utilisé comme outil par ceux qui détiennent le pouvoir et cherchent des arguments rationnels pour excuser leurs préjugés et leurs passions » [10].

---------

[1] Le Monde, 10/04/2002.

[2] Le Monde, 10/05/2002.

[3] Le Monde, 29/06/2002.

[4] Le Monde, 04/07/2002.

[5] Le Monde, 10/07/2002.

[6] Le Monde, 18/07/2002.

[7] L’Express, 04/07/2002.

[8] Le Monde, 08/05/2002.

[9] Le Monde, 05/07/2002.

[10] Leçon inaugurale, 26/04/2002.

^


Éditorial

Savoir ce qu’on veut...

par M.-L. DUBOIN
août 2002

« Merci beaucoup, mais il vaut mieux me désabonner, je n’ai malheureusement pas le temps de lire d’autres publications. Merci. » Je ne cite pas le nom, très connu, de la personne qui a signé ces lignes sur la dernière bande d’envoi de la GR, parce que son attitude est beaucoup plus honnête que celle d’autres intellectuels “en vue” à qui nous faisons le service gratuit du journal, et dont pas un ne “renvoie l’ascenseur” en nous adressant ses réflexions. Refusant ainsi d’accorder la moindre attention à nos “utopies”, ce qui n’empêche pas certains de les dénigrer en les déformant, est évidemment la façon la plus sûre de ne pas être dérangé par elles. Ce faisant, ils font pourtant preuve, à l’égard de nos propositions, exactement du même autisme que celui qu’ils reprochaient au précédent gouvernement vis-à-vis des leurs !

Attac, par exemple, mène une critique du néolibéralisme qui est très sérieusement fondée, et son souci de participation et d’actions pédagogiques est excellent, mais sa direction manifeste une véritable peur de devoir aller au-delà, d’où ses affirmations sur les mérites de l’économie de marché qui doit rester intouchable car il est impossible de faire mieux. C’est totalement illogique et elle ne pourra pas longtemps critiquer les méfaits du capitalisme actuel sans voir qu’il en est la cause. On ne peut reprendre les airs connus du genre : il faut créer des emplois ou empêcher les licenciements, sans jamais se demander pour quoi produire, ni pour qui. On ne peut décrire la spéculation ou critiquer les paradis fiscaux et autres détournements des capitaux sans remettre en cause le privilège accordé aux banques de créer la monnaie. Bref, si on décide a priori de laisser le renard dans le poulailler, il faut constater qu’il n’est pas possible de le moraliser pour le rendre plus gentil, sans comprendre que pour survivre, il a besoin de manger des poules.

***

D’accord, nous sommes utopistes au vrai sens du terme puisque la démocratie économique dont nous proposons les rouages n’existe nulle part. Si nos propositions font souvent rêver c’est parce qu’elles ont pour but l’épanouissement des êtres humains, mais cela ne signifie pas qu’elles sont bâties sur un rêve. Elles le sont sur la réalité. Nous les défendons par des arguments raisonnés, fondés sur les possibilités actuelles, pour mettre fin à des injustices insupportables et éviter des dangers graves et de plus en plus évidents.

Nous prétendons que ces objectifs ne peuvent être atteints ni par des réformes dans le système actuel, ni par la persuasion pour rendre l’homme meilleur. Nous démontrons que ce sont les principes, sur lesquels fonctionne le capitalisme depuis environ deux siècles qu’il est urgent de changer.

Sans aller dans les détails, on sait que c’est à partir des premières décennies du siècle dernier que l’occident a mis au point des techniques permettant de produire l’essentiel avec de moins en moins de main d’œuvre. N’est-ce pas dans le but de verser moins de salaires que ces techniques ont été appliquées ? N’est-ce pas parce qu’il est posé en principe que tout pouvoir d’achat doit venir de la vente à profit des produits créés, que le chômage et la misère en ont résulté ? N’est ce pas pour maintenir les prix de vente de leurs produits devenus ainsi surabondants, par rapport aux seuls besoins solvables, que les pays qui se disent développés ont entrepris de détruire, au cours des années 30, stupidement mais massivement des denrées essentielles ? N’est-ce pas grâce au chômage qu’Hitler a été porté au pouvoir ?

La Seconde guerre mondiale a permis de relancer les économies (car les États trouvent toujours l’argent nécessaire pour financer une guerre) et résorber le chômage pendant trente glorieuses années. Mais ensuite ? N’est-ce pas la même logique qui a poussé à chercher à tout prix des clients solvables pour être sources de profits dans une économie “prospère” ? Quand les travailleurs remplacés à l’ouest par des machines ont été ainsi privés de leur pouvoir d’achat, quand les produits de première nécessité, trop abondants, n’y ont plus été “rentables”, n’est-ce pas cette logique qui a mené ces pays à cesser de produire ce dont beaucoup de leurs ressortissants manquaient, introduit des quotas, mis les terres en jachère, distribué des subventions pour exporter au maximum, et délocalisé au mépris des besoins locaux ?

Cela demandait des recherches, des matières premières, le développement d’une propagande bien orientée et une organisation mondiale du commerce au service des pays occidentaux. N’est ce pas ce qui explique toute la suite de l’histoire ?

***

Quand les anciennes colonies ont obtenu leur statut “d’indépendance, l’essentiel a été, pour les occidentaux, de les rendre économiquement dépendantes, qu’elles leur fournissent à bas prix leurs matières premières, voire un temps, leur main d’œuvre et qu’elles soient convaincues que se développer c’était pour elles s’équiper en suivant le modèle occidental. Quand les recherches en bien d’équipement n’ont plus amené assez de “débouchés” au commerce intérieur, les foyers solvables ayant tous frigos et machines à laver, d’autres pistes ont été explorées, mais toujours dans le seul et même but : trouver ces “débouchés solvables”. N’est-ce pas dans cette optique que les magazines de la mode et des loisirs ont appris à conditionner leurs lecteurs pour qu’ils achètent ce qu’auparavant ils savaient faire eux-mêmes ? On se souvient des efforts du gouvernement Pompidou pour développer la voiture individuelle, les routes, puis les autoroutes. Tous les nouveaux marchés ont été présentés comme des innovations qu’il fallait acheter sous peine de ne pas être moderne. Même quand il s’agit d’un “plus” évident, la télévision par exemple, un conditionnement est organisé pour pousser tous les foyers à en éprouver le besoin. Mais après ? La question lancinante revient à chaque fois que le marché de la dernière innovation se sature. C’est toujours le même principe : il faut inventer de nouveaux besoins solvables à satisfaire ! Ni les besoins plus vitaux mais insolvables, ni l’environnement, ni les dangers pour l’avenir ne comptent.

La déprime était générale quand un immense espoir de débouchés capitalistes est venu avec les nouvelles technologies : elles allaient être le salut, ce nouveau marché serait inépuisable car il allait falloir absolument tout remplacer, rééquiper le monde entier et tout repenser à l’aide de l’informatique, les profits allaient être faramineux et c’est pour cela que des sommes astronomiques y ont été investies (sommes toujours introuvables pour soulager la misère).

Et puis, plouff ! Le public a su faire le tri ! Le téléphone portable s’est vite et bien développé et des kyrielles de magasins se sont ouverts les uns à côté des autres pour en vendre, mais ils disparaissent l’un après l’autre parce que tous les clients qui pouvaient le faire sont maintenant équipés, et on a beau leur promettre qu’ils vont pouvoir regarder les matches de foot sur leur portable, ils ne “marchent” plus vraiment…

***

S’il ne faut pas s’attaquer au capitalisme parce qu’il est impossible de faire mieux, alors réjouissons-nous de voir qu’il a les moyens de trouver de nouvelles sources de profit. Pour continuer dans le domaine de l’électronique, annonçons que le marché va maintenant s’appuyer, non seulement sur des grands spectacles, mais aussi sur des jeux formidables : d’abord parce qu’ils demandent un matériel de plus en plus sophistiqué, et puis parce que, pendant les heures que les gens, de tous âges, passeront bientôt à s’entretuer virtuellement grâce à ces nouvelles machines, ils ne chercheront pas comment remplacer l’économie de marché.

S’il faut faire comme eux, rassurons-nous en pensant que celle-ci a bien d’autres pistes pour survivre.

D’abord tout ce qui peut être rentable et n’a pas encore été privatisé. Les services publics, par exemple. Réjouissons-nous que leur privatisation soit déjà programmée et disons qu’ils fonctionneront bien mieux en étant assurés par des société privées, parce qu’elles seront plus performantes, sachant cibler une clientèle solvable, elles pourront fournir de bien meilleurs services (surtout si l’État les subventionne quand il le faut). Et les retraites : réjouissons-nous à la pensée que les millards qui servent à financer la retraite par répartition vont bientôt pouvoir être utilisés par les sociétés d’assurance et autres fonds de pension pour investir dans de nouveaux marchés et des entreprises de plus en plus vastes, mais n’interrogeons jamais sur leur raison d’être ou leur utilité.

Enfin, si le capitalisme ne doit pas être remis en cause, soyons rassurés, car la filière armements lui offre un avenir radieux : il existe maintenant des mouvements terroristes et des États “voyous”, il faut par conséquent organiser la lutte contre eux. L’industrie et la recherche de nouvelles armes et de nouvelles défenses contre de nouvelles armes, etc, n’ont pas dit leur dernier mot. Les conflits potentiels à prévoir (ou susciter) constituent une source infinie d’innovations que les États responsables, défenseurs des Droits de l’Homme et démocraties modèles, pourront toujours payer.

Et puis le marché a trouvé de nouvelles filières, tellement généreuses ! Admirez les merveilles que déniche la science quand elle est financée par les sociétés privées à la recherche de nouveaux profits. Parce qu’elles s’appuient sur l’espoir de venir à bout de certaines maladies, les biotechnologies ne feront pas le même plouf que les technologies de la communication. De ce fait les investissements vont maintenat affluer vers elles. Elles apportent la solution au manque de rentabilité de l’agro-industrie : les brevets qu’elles ont déjà pris sur le vivant vont permettre d’éliminer des derniers agriculteurs ringards et bientôt quelques grandes multinationales vont assurer à la fois la nourriture du monde, très facilement grâce aux OGM et avec très peu de terres cultivables. Les autres terres, quand elles ne seront pas exploitées par l’immobilier, serviront à obtenir des plantes pharmaceutiques dont la rentabilité pour les laboratoires ne fait aucun doute.

Il faut être lucide. On ne peut pas à la fois affirmer que le marché est irremplaçable et dénoncer les excès auxquels il doit sa survie. On ne peut refuser de voir où mènent les principes du capitalisme, et rêver qu’ils n’impliquent pas d’explorer tous les moyens de faire du profit, y compris par la dégradation puis la privatisation des services publics, dont celle de l’assurance maladie, de l’éducation, etc. Proclamer qu’il n’y a pas d’alternative au système capitaliste, c’est renoncer à se battre contre “la comédie des fonds de pension”.

Si ceux qui ont entrepris de combattre la pensée unique libérale en ont une autre, tout aussi unique et pas mieux fondée, il ne reste plus qu’à espérer que le capitalisme va s’auto-détruire : la gestion d’entreprises comme celle d’Enron, décourage l’opinion de lui faire confiance…

^


Réflexions

Il paraît difficile d’affirmer que notre système économique et financier progresse dans la sérénité, les récentes affaires Enron et Vivendi sont là pour nous le rappeler. Nous assistons plutôt à une marche forcée, menée à l’aveuglette, avec pour seuls objectifs la rentabilité et le profit : ce serait, dit-on, le gage de notre liberté ...Que ce système, structurellement incohérent, apporte chaque jour son lot d’incohérences n’est pas pour nous étonner.

Incohérences

par J. VANDEVILLE
août 2002

Le Smic augmentera de 2,3 % et ne bénéficiera pas du “coup de pouce” espéré. Par contre les revenus des chefs d’entreprise ont progressé de plus de 30 % en 2001. Place aux chefs et à ceux qui entreprennent ! Les smicards, quant à eux, ne représentent que 11% des travailleurs : à peine plus nombreux que les chefs d’entreprise. Problème d’arithmétique à la portée d’un smicard : J.M.Messier ayant été “remercié” (et non remessié) moyennant un “golden parachute” estimé à 20 millions de dollars (pourquoi des dollars et non des euros ?) combien touchera un smicard à mille euros nets par mois, “balancé” dans la trappe à chômage ?

***

À propos du Smic, la bataille ne fait que commencer entre les représentants du patronat et ceux des salariés. Chacun connaît les données du problème : il existe des Smic à 39 heures et des Smic à 35 heures et, à l’intérieur de chaque catégorie, trois subdivisions : par exemple, et pour faire simple, les Smicards passés aux 35 heures en 1999 perçoivent 1.100,67 euros par mois (soit 7.219,92 F), ceux qui y passent à partir du ler juillet 2002 toucheront 54 euros de plus (soit 7.574 F) et un salarié qui débute à 35 heures recevra, lui, l.035,88 euros (soit 6.795 F brut). Ah ! j’oubliais : pour que tout le monde s’y retrouve, on a créé une garantie de rémunération mensuelle qui comble la différence entre le salaire à 35 heures et le salaire à 39 heures. Ouf ! Je ne suis pas certain d’avoir bien compris, mais si je rencontre Martine je lui demanderai de m’expliquer. Lui, le Smicard, il a compris qu’il était, de toutes façons, victime du phénomène dit du “sandwich”. Ce qu’il ne parviendra jamais à avaler (c’est le cas de le dire) c’est d’être, pour longtemps encore, la tranche de jambon coincée entre deux tranches de pain. La logique voudrait que le Smic soit revalorisé de façon substantielle, 11% selon la CGT (légitime poussée vers le haut), mais les petites entreprises menacent de fermer leurs portes, dit-on, si les charges salariales augmentent, la concurrence venant sanctionner une hausse des coûts du travail (légitime poussée vers le bas). Le lecteur aura compris que les deux tranches de pain symbolisent ces deux “poussées légitimes” contraires. Voilà ce qui arrive quand on veut humaniser une économie inhumaine tout entière asservie à la notion de rentabilité. En économie distributive, les revenus n’ayant plus de liens avec l’emploi, et les prix déconnectés des coûts variant selon la loi toute simple de l’offre et de la demande, le problème ne se pose plus. Peut-être est-ce plus cohérent ?

***

Toujours à propos des bas revenus, certains concitoyens déplorent de voir les membres d’une même famille (cousins compris) vivre ensemble dans le même logement et, grâce à l’accumulation des aides reçues par chacun d’entre eux, recevoir au total un revenu plus élevé que si l’un de ses membres travaillait et percevait le Smic. Raison de plus pour augmenter le Smic et, dans le même temps, remplacer la multitude de ces aides par un revenu minimum garanti accordé à chacun et modulé selon un certain nombre de critères. Ah ! oui, mais “les petites entreprises menacent de fermer leurs portes si… (relire le chapitre précédent).

Conclusion : si les cinq membres d’une même famille (je cite un cas précis que je connais bien) perçoivent, grâce à des aides accumulées, un revenu global légèrement supérieur au revenu de l’un d’entre eux qui travaillerait au Smic, je dis très nettement : tant mieux :

• 1. Ils évitent de justesse la misère : 1.067 euros (7.000 F) d’aides pour 5 personnes pendant un mois leur permettent à peine de survivre.

• 2. Ils ne travailleront plus ? — la belle affaire ! La plupart de ces concitoyens ne sont déjà plus aptes à accomplir un travail tant soit peu régulier (je n’ose pas dire qualifié). Ce qui ne veut pas dire qu’il faut les abandonner à leur sort.

• 3. Un revenu minimum garanti accordé à chacun mettrait à leur disposition un revenu global supérieur à 7.000 F.

• 4. Là encore, nous touchons du doigt les incohérences et les effets pervers de notre système prix-salaires-profits. Quand 2,2 millions d’emplois disparaissent, c’est toute une chaîne économique et humaine mise à mal : mauvaise distribution des revenus, ratés dans l’assiduité au travail, désorganisation des structures familiales et professionnelles, porte ouverte à l’oisiveté et au mal-être… tous ces phénomènes ayant pour conséquences dramatiques la perte du respect d’autrui et l’apparition de l’insécurité et de la violence. Alors on prend l’effet pour la cause et on augmente les mesures de répression. Jusqu’où poussera-t-on l’aveuglement ?

***

Dans la France de 2002, la croissance sera de l’ordre de 1,3%, avec promesse d’un retour aux 3% en 2003. ( Qui peut l’affirmer ? Soit dit en passant, personne). Si ces 3% n’étaient pas atteints, ce serait catastrophique : on ne pourrait plus baisser l’impôt sur le revenu en 2003, les recettes fiscales diminueraient sensiblement et, en conséquence, on aurait beaucoup de peine notamment à sauver les salariés du secteur public - vous savez, ceux qui sont en surnombre et qu’on ne remplacera pas quand ils partiront à la retraite : les médecins et les infirmières des hôpitaux, les magistrats, les enseignants, les agents des secteurs sociaux et des administrations diverses … Au fait, qu’est ce qui empêche la croissance de passer de 1,3% à 3% et même à 5% ? Nous ne manquons ni de matières premières, ni d’énergies, ni de main-d’œuvre. Les revenus du travail et du capital seraient-ils insuffisants pour absorber la production ? Pourtant, selon la doctrine libérale… Alors, pourquoi s’accrocher à un système totalement incapable de réguler sa croissance ? De distribuer correctement sa production ? Que valent ces discours de spécialistes qui ne savent rien de rien ? Quand se décidera-t-on à étudier les moyens de parvenir à un système économique et financier plus cohérent ?

***

Comment résoudre ce casse-tête : plus de 30% de jeunes, sans qualification et qui ont entre 16 et 22 ans, sont au chômage ? Solution du gouvernement Jospin (pour tous les jeunes) : l’embauche de chaque jeune, en CDI ou en CDD, déclenche automatiquement une participation financière substantielle de l’État. Solution du gouvernement Raffarin : les emplois jeunes précédemment créés par le gouvernement Jospin ne seront pas pérennisés (à l’exception de certaines associations) et la prise en charge en CDI de jeunes sans qualification sera effectuée par toute entreprise de moins de 250 salariés qui bénéficiera en retour d’une exonération de charges, ce qui représente, comme la solution précédente, un coût pour l’État, beaucoup moindre cependant. Question : combien d’entreprises à la recherche de performances économiques embaucheront des jeunes sans qualification ? Quelle cohérence trouve-t-on dans une mesure qui, dans le même temps, propose un contrat à durée indéterminée et rompt celui-ci quand le jeune atteint ses 22 ans ? Remarque : quand une bouteille est pleine, il devient difficile de vouloir à tout prix la remplir davantage : quand donc cessera-t-on de régler le problème de l’emploi en injectant de force du travail dans la machine économique qui le rejette ? Alors qu’il faut mettre le problème cul par dessus tête, d’abord régler le problème des revenus, et ensuite seulement celui de l’emploi. Gageons qu’un futur gouvernement imaginera une troisième solution, tout aussi inefficace dans la réduction globale du chômage.

***

« L’été et les 35 heures aggravent la situation des hôpitaux publics » lit-on dans la presse. Pourquoi l’été ? N’était-il pas prévisible que l’été reviendrait chaque année ? Pourquoi les 35 heures ? Ne devaient-elles pas relancer l’emploi ? On reproche à la mesure des 35 heures d’avoir été bricolée. Mais quelle mesure n’est pas bricolée (cf. le paragraphe précédent sur l’emploi des jeunes), c’est-à-dire lancée comme une bouée de sauvetage alors que la distance entre le navire et les naufragés ne fait qu’augmenter ? Pour en revenir à la détresse des hôpitaux publics, n’est-elle pas un exemple de plus qu’il y a incompatibilité de plus en plus grande entre un système économique qui ne vise qu’à la rentabilité et une revendication légitime de tous les citoyens à voir leurs soins pris en charge, ce qui ne sera possible que dans une économie qui ne se donne plus comme objectif la rentabilité et le profit ? Car enfin, tout existe pour assurer des soins efficaces à l’ensemble de nos concitoyens : des matières premières, des entrepreneurs et des ouvriers pour construire et équiper des hôpitaux, et, au moins pour l’instant, des chirurgiens, des médecins, des infirmières et tout un personnel extrêmement dévoué pour les faire fonctionner. Que manque-t-il ? Des moyens financiers distribués par la puissance publique ! Mais le secteur de la santé n’étant pas rentable, nous manquerons de plus en plus d’hôpitaux et de personnel hospitalier. Nous pouvons, hélas, prédire que cette situation ira en s’aggravant.

***

Pour la première fois depuis 1920, on assiste à une baisse de la Bourse américaine alors que l’économie redémarre. C’est cohérent tout cela ?

Bon nombre de salariés-actionnaires du groupe Vivendi vont perdre à la fois leur emploi et leurs économies. Une perspective tristement cohérente.

^


Actions

Lettre à un député de gauche, réélu.

par P. DERUDDER
août 2002
Le…

Monsieur X
Député de la Neme circonscription de Y
Assemblée Nationale
126, rue de l’Université
75007 PARIS

Monsieur le Député,

Je fais partie de ces Français qui ont eu bien du mal à se prononcer, qu’il s’agisse des présidentielles ou des législatives car je ne me suis reconnu dans aucun des projets politiques proposés par les uns et les autres, sauf en Pierre Rabhi, mais le connaissez-vous ? Je suis allé voter toutefois, non pour marquer mon adhésion mais en simple hommage à ceux qui se sont battus hier pour obtenir le suffrage universel et par respect envers ceux qui, dans le monde, sont privés de ce droit.

Je vous ai élu sans pourtant vraiment voter POUR vous, mais vous êtes si prompts les uns et les autres à interpréter, selon ce qui vous arrange, le “message des Français” au travers du bulletin qu’ils ont glissé ou non dans I’urne, que je préfère vous dire clairement mon message. J’ai, en son temps, écrit à Monsieur Jacques Chirac pour lui dire que, de la même façon, je lui avais apporté mon suffrage au deuxième tour, non par soutien à sa politique mais par crainte d’avoir bien pire. Est-ce que cela fait partie de “l’exception française” que d’élire les borgnes pour ne pas être guidés par les aveugles ? J’aimerais me passer d’une telle exception, mais je dois avouer que j’en suis réduit à cela pour le moment, et je tenais à vous le dire, non pour vous blesser mais pour vous éclairer. D’ailleurs, je tiens aussi à préciser que ce sont les actes de la classe politique que je critique, non les personnes que je respecte profondément et chez qui je salue le courage et l’engagement.

Vos amis clament haut et fort que le précédent gouvernement a sans doute été le meilleur de la Vème république et que cette défaite est contradictoire et injuste. Non elle est méritée car en tant qu’électeur de “gauche” je me sens trahi :

Trahi parce que depuis 20 ans que la gauche est majoritairement au pouvoir en France et en Europe vous n’avez pas su définir ce qu’était la gauche aujourd’hui. Je ne me reconnais plus dans ce clivage traditionnel qui voudrait que la gauche soit une force de progrès et la droite de régression. Je vois chez les gens dits de droite autant de générosité et d’humanisme. Le monde s’est déchiré pendant des siècles en se recommandant de Dieu, j’aimerais que les partis politiques cessent de se déchirer la France au nom des valeurs républicaines en se recommandant tous d’elles. Ces mots et ces slogans ne sont que des vases vides que chacun remplit à sa guise. La gauche d’aujourd’hui ne doit plus s’ancrer dans l’ancienne tradition de la défense de l’opprimé contre l’oppresseur. Le choix est bien au dessus de cela. Nous vivons à une époque de l’histoire de l’humanité qui incite à un choix plus existentiel.

Jusqu’à il y a peu de temps encore, les hommes ont vécu dans le manque et la précarité naturelle. Naturelle parce que les hommes n’avaient encore ni les connaissances ni la technologie pour assurer la survie à tous. C’est donc la logique de l’AVOIR qui s’est imposée. Quand on a peur de manquer et donc peur de mourir, l’être humain est porté spontanément à PRENDRE pour survivre et à DOMINER pour avoir accès à ce que plusieurs convoitent au même moment. Cette logique est cruelle car les acquis de l’un se font toujours au détriment des acquis de l’autre, mais dans ce contexte historique de manque, nous lui devons la survie de l’espèce.

Depuis le XlXème siècle, l’homme a développé une masse de connaissances et de techniques qui lui permettraient aujourd’hui, s’il le voulait vraiment, d’assurer à l’ensemble des 6 milliards d’individus qui peuplent la planète, non seulement la satisfaction de leurs besoins essentiels, mais aussi l’épanouissement dans toutes leurs dimensions. Pourtant, non seulement la misère ne régresse pas dans le monde, mais elle s’étend chaque jour un peu plus. Pourquoi ? Parce que nous pensons et gérons l’abondance d’aujourd’hui avec la pensée et les méthodes avec lesquelles nous répondions à la pénurie d’hier. L’inadéquation de nos pensées et de nos actes est responsable de la misère du monde qui de naturelle est devenue artificielle. Oui, hier le défi consistait à produire plus pour avoir plus, condition essentielle à la survie. Héritière de cette tradition la droite est convaincue que pour permettre à l’être humain d’ÊTRE heureux il faut en premier lui permettre d’AVOlR l’environnement matériel propice. C’est pourquoi toute sa stratégie se résume à soutenir la croissance. La défaite de la gauche tient à ce qu’elle défend en parole la suprématie de l’ÊTRE mais enfourche dans les faits le même cheval de l’AVOIR.

L’action de la gauche, au XlXème siècle et au début du XXème a consisté à défendre les droits des travailleurs, à l’époque non reconnus et à créer des conditions de vie globalement plus justes, plus harmonieuses, plus humanistes. Elle avait entièrement sa place et son apport a été déterminant. Mais l’enjeu n’est plus le même aujourd’hui. Nous avons le recul suffisant pour réaliser que la logique de l’AVOIR conduit l’être humain à sa perte. Le dogme de la croissance permet peut-être de créer des emplois (ou de les voir disparaître moins vite) mais est une insulte au bon sens auquel nous invitent pourtant les clignotants écologiques depuis déjà trop longtemps au rouge. La place de la gauche aujourd’hui est d’être fondatrice de la société de l’ÊTRE. C’est ce que vous voulez être, mais c’est là que vous vous prenez les pieds dans le tapis. Le discours est une chose, les actes en sont une autre, et là je me sens trahi.

Je vous reproche, à vous la gauche, d’avoir contribué à faire de la démocratie une caricature. La chambre où vous allez siéger ne représente pas le peuple français, ni dans la forme, ni dans le fond, et quand hier vous étiez aux commandes, vous ne parveniez à entendre que lorsque la foule descendait dans la rue.

Je vous reproche, à vous la gauche, de vous être fait une fierté de conduire les affaires publiques comme s’il s’agissait d’une entreprise privée, au lieu d’expliquer aux gens qu’intérêt collectif et intérêt particulier ne sauraient répondre à la même règle du profit financier. J’attendais de vous que vous aidiez les Français à faire la différence et à se déterminer quant aux règles applicables à chacun.

Je vous reproche, à vous la gauche, d’avoir bradé la souveraineté des États à des organismes supra-nationaux non élus qui, forts des pouvoirs que vous leur avez abandonnés, dirigent maintenant le monde. L’Europe est en réalité dirigée par le lobbying qu’exercent auprès de la Commission de Bruxelles les transnationales européennes, soutenues en cela par les américaines, et inféodée au trio infernal de l’Organisation Mondiale du Commerce, de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International qui est responsable de l’aggravation de la pauvreté, de la détérioration de la planète et du néo-colonialisme qui asservit les pays pauvres par la politique qu’il impose avec les méthodes les plus odieuses.

Je vous reproche, à vous la gauche, d’avoir signé les accords ignominieux pondus par ces organes et qui conduisent pas à pas les États à laisser le droit du commerce l’emporter sur le droit des peuples à s’autodéterminer.

Je vous reproche, à vous la gauche, de n’être porteur d’aucune vision et de ne proposer qu’une façon à peine différente de bouger les pions sur un jeu d’échec dont vous dénoncez pourtant tous les jours l’iniquité. J’attendais de votre part que vous proposiez de jouer à un autre jeu car on sait qu’à celui là, nous perdrons tous à terme. Sans doute que nos retraites, le montant du SMIC, le système de santé ont de l’importance, mais j’attendais de vous que vous nous parliez du voyage plutôt que de ramener le débat au niveau des pièces du moteur. C’est la vision du voyage qui détermine le type de véhicule pas l’inverse. Vous nous avez fait vivre les soucis du mécanicien, pas l’aventure du pionnier.

C’est là votre limite, c’est là le piège dans lequel vous vous êtes englués. Oui, vous êtes des êtres de cœur mais vous l’avez fait passer sous les fourches caudines de l’économique à l’instar de vos rivaux politiques. C’est là que l’imagination et la lucidité vous ont fait défaut. Vous vous êtes laissés prendre au piège du “qui va payer ?”. « Quand on a un marteau dans la tête, disait Maslow, on a tendance à voir tous les problèmes en forme de clou. » Ainsi n’avez-vous pas vu, et ne voyez toujours pas d’ailleurs, d’autre option que celle de la croissance pour financer une politique sociale généreuse. Alors je vous reproche, à vous la gauche, d’avoir plus que jamais abandonné le privilège de la création monétaire aux banques privées. Pourquoi n’avez-vous pas expliqué aux Français que l’argent moderne se crée de rien, qu’il est le sang nourricier du corps de l’humanité et qu’à ce titre il est impensable d’en laisser la création à un organe qui ne peut avoir pour objectif que servir ses intérêts propres. Pourquoi n’avez-vous pas été les porteurs de l’idée que la réappropriation de ce privilège par les peuples démocratiquement représentés leur donnerait le véritable pouvoir de s’assumer eux-mêmes. Vous ne pouviez le faire car pour la plupart d’entre vous vous ne le saviez pas ou ne le vouliez pas. Je vous le reproche en raison des responsabilités que vous aviez à assumer.

Vous voici de nouveau dans l’opposition, une opposition sans doute impuissante si elle se borne à s’exprimer dans l’hémicycle puisque la droite y détient la majorité absolue. Mais qu’importe, de la manière dont le pouvoir est exercé depuis 20 ans, cela revient au même, qu’il soit exercé par l’un ou par l’autre.

Alors je vous interpelle Monsieur le Député ; vous avez 5 ans avec vos amis pour parler un autre langage, pour réinventer la gauche, pour être une source d’inspiration où les êtres humains, quelle que soit leur sensibilité politique aujourd’hui se retrouveront, parce qu’ils sentiront le frisson de la Vie. Cela demandera du courage, car vous allez devoir vous présenter en homme fragile plutôt qu’en politicien qui a toujours les réponses et qui sait toujours mieux que tout le monde ce qu’il convient de faire. L’humanité est en train d’écrire une page cruciale de son histoire. Selon les choix qu’elle va faire elle va mourir ou vivre ; car si l’AVOIR a permis la survie dans le contexte historique du manque, il condamne à mourir dans le contexte d’abondance que nous connaissons. Nos habitudes de confort, notre attachement à “nos acquis” qui ne sont qu’illusion, la sacro-sainte défense de nos intérêts qui ne sont que nourriture d’égocentrismes nationalistes doivent faire place à la vision d’un monde où chacun a sa place, dans la valorisation de la richesse de nos différences. L’AVOIR DOIT SE METTRE AU SERVICE DE L’ÊTRE et l’être c’est d’abord la vision de qui nous sommes et de ce que nous voulons vraiment, pour une humanité sans frontière en connexion avec celle qui nous porte et nous nourrit depuis tant de temps en dépit des souffrances que nous lui faisons subir, la Terre.

Je ne voudrais pas toutefois terminer cette lettre sans vous remercier. Vos trahisons, vos contradictions, votre incohérence m’ont permis de mettre les miennes en lumière. Encore une fois, ce n’est pas l’homme que j’accable, c’est ce à quoi vous et moi nous nous réduisons si souvent par peur d’être confrontés à l’immensité de qui nous sommes. Vous savez fort bien que l’argent, du moins je l’espère, n’est pas le problème ; si nous choisissons de privilégier l’expression de l’ÊTRE, nos connaissances, notre technologie, notre industrie notre commerce et notre finance deviendront ses serviteurs naturels. Les systèmes reflètent les consciences, pas l’inverse.

Il n’y a qu’un choix fondamental à faire, une conviction à avoir, une passion à faire partager : ÊTRE, c’est à dire oser entrer en confiance dans notre dimension d’être humain aimant au lieu de nous contenter de celle d’animal pensant gouverné par ses peurs de perdre sa pitance.

Monsieur de Député, vous et vos amis de la gauche, faites nous vibrer, soyez source d’inspiration, soyez le prétexte à révéler le meilleur en chacun d’entre nous. C’est ce que j’attends de vous, parce que c’est ce que j’attends de moi-même.

En vous souhaitant d’y parvenir, je vous prie de croire, Monsieur le Député, que je vous suivrai sur cette voie sans réserve.

Philippe Derudder.

^


Pour l’action

En nous transmettant sa lettre ci-dessus pour publication, notre ami Philippe Derudder suggèrait que nos lecteurs s’en inspirent pour en envoyer une semblable à un (ou plusieurs) député de gauche de leur choix.

***

Nos lecteurs pourraient aussi soumettre à la réflexion de leur député, ou de leurs voisins de vacances, cette citation de Paul Nizan, retrouvée par R.Poquet dans Aden-Arabie :

L’homo œconomicus

août 2002

L’homo œconomicus se rapproche plutôt des distributeurs automatiques, c’est un appareil qui parle et avance, aussi peu humain que les lampes qui s’allument, que les moteurs qui tournent quand leur courant passe.

Homo œconomicus marche sur les derniers hommes, il est contre les derniers vivants et veut les convertir à sa mort. La grande ruse de la bourgeoisie consiste à rendre les ouvriers actionnaires ou rentiers : ils sont alors conquis à la morale et à la dureté et à la mort d’Homo œconomicus. Il ne sait pas qu’il vous écrase, ni pourquoi il le fait : le capital exige qu’il écrase, c’est comme la loi d’un dieu.

Il embrasse par exemple les causes inventées pour rendre son départ supportable : celles du droit, du devoir, de la loyauté, de la charité, de la patrie. Ces mots eurent du poids en leur temps ... mais ils sont vidés. Ce sont des coquilles qui s’entrechoquent dans les conseils d’administration et les conseils de cabinet où les politiques habillent leurs mauvais coups.

^


Pour la réflexion

Un autre texte retrouvé par un de nos correspondants était ainsi présenté :

« Après les destructions de la guerre, les usines travaillaient, la “production” battait son plein. Les idées “abondancistes” d’une “économie distributive” se faisaient jour, utopiques pour l’actualité politique de ce temps. Certains d’entre nous peuvent s’en souvenir. Marc, cependant, perçoit là une orientation juste, un des signes précurseurs d’une aube nouvelle qui point dans l’histoire humaine, ce grand “cycle humain” géologique et cosmique dont les phases se déroulent sur des centaines de milliers d’années. S.B. »

Il s’agit d’extraits d’un exposé fait il y a une cinquantaine d’années, à Genève, par M.A. Rohrbach, fondateur en 1947 de l’Institution JEAN [*]. Le voici :

Le cycle humain

par M. ROHRBACH
août 2002

Il s’étale sur des centaines de milliers d’années. Trois périodes nous sont perceptibles : celle de la jouissance, celle de l’acquisition et celle de la distribution.

L’humanité ayant été formée au sein d’une nature abondante, l’homme y vivait comme en un paradis. Il jouissait des choses, leur donnait un nom (rudiments de langage) mais n’avait pas de conscience ni de jugement. Au déclin de cette période, apparaît un sentiment qui en précipite la fin et déclenche le mécanisme d’une nouvelle période : celle de l’acquisition. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Dès lors, la conscience “du bien et du mal” doit être acquise, de même que toutes les qualités qui en découlent. Le sentiment du mal est provoqué par la perception de qualités manquantes. La personnalité se développe, ainsi que l’intelligence, les connaissances acquises et les expériences personnelles ou sociales. Mais toute la période est caractérisée par une forme morale constante qui imprègne toutes les civilisations, y compris la civilisation actuelle. La nécessité de l’acquisition entraîne le fait de la concurrence (loyale et déloyale) ; cette période est celle des échanges et du commerce.

Même les religions sont empreintes de commerce à des degrés divers. L’effort deux fois millénaire du christianisme n’y a rien changé, car le christianisme est né au déclin de cette période pour en former une nouvelle : celle de la distribution.

Les événements présents caractérisent donc la période de transition entre l’ère de l’acquisition et celle de la distribution. Le cycle de l’acquisition se termine et s’écroule dans une concurrence destructrice mondiale ; les valeurs morales s’écroulent également ainsi que le respect de la personnalité humaine. Nous assistons à une décomposition littérale de toutes les lois qui régissaient (d’une manière immuable, semblait-il) la période des acquisitions.

Cette décomposition est précipitée par la guerre, accélérée par l’affolement des hommes, accentuée par tous ceux qui s’attachent à ce qu’ils possèdent. Le christianisme, né il y a deux mille ans, présente deux aspects : celui de son existence liée à la période des acquisitions (et, dans ce cas, il a tous les caractères de cette période dont il précipite la chute et qu’il ne sauvera pas) et le caractère de sa réalité propre qui est de préparer l’ère nouvelle où il se déploiera dans toute sa pureté. Cette ère nouvelle est celle de l’économie distributive dont les formes peuvent être intuitivement perçues ou intelligemment déduites du message chrétien.

La responsabilité humaine :
diminuer le temps des épreuves douloureuses

Ce passage d’une phase à l’autre de l’histoire humaine est indépendant de notre volonté. Nous n’y pouvons rien changer ; il est du ressort de la responsabilité divine. Mais les formes et la durée de ce temps de transition dépendent du comportement humain.

Ici, cette étude devient quelque peu délicate parce qu’elle suppose le lecteur au courant des lois qui régissent la vie mentale et spirituelle. Des rapports intimes unissent les pensées des hommes et les événements. Leur évidence découle principalement du sentiment intérieur qui résulte de l’expérience pratique. Un exposé comme celui-ci ne peut que souligner la nécessité de cette expérience ; celle-ci est une transposition sur le plan de l’observation technique de ce qui, dans le christianisme, est présenté sous l’angle de la “foi”. Elle conduit à la conclusion que la personnalité humaine ne s’étend pas seulement dans les limites du corps et de ses actions, mais aussi (et surtout) jusqu’aux limites de tout ce qui peut être perçu, “incluant” donc en elle les événements dont elle est le témoin ou l’acteur. La guerre et ses destructions, le monde nouveau et ses espoirs, sont des faits intérieurs à l’âme humaine, à l’élaboration desquels elle prend une grosse part. Les batailles, les révolutions, les tentatives de reconstruction, sont des effets de cette élaboration intérieure plus ou moins heureuse. La guerre de 1914, comme celle de 1939, sont des transferts sur le plan matériel de conflits admis et nourris au sein de l’âme humaine. Les “chefs” ne pourraient pas déclencher de tels cataclysmes si ces derniers n’étaient pas admis d’avance dans le “cœur” humain, malgré toutes les protestations d’innocence qu’on prodigue pour tenter de masquer nos responsabilités personnelles.

L’expérience individuelle définit la tâche et les responsabilités de chacun. Il est des êtres d’élite qui ont accepté de précipiter les conséquences de la guerre afin de rendre plus évidente sa mission destructrice. Et il est des égoïstes qui s’attachent au monde nouveau parce qu’il est plus riche d’espoir que le monde qui sombre…

Ici encore, il faut se garder de tout jugement qui, dangereusement, classerait les hommes en “bons” et “mauvais” suivant qu’ils paraissent être d’un côté ou de l’autre de la limite qui sépare le monde ancien du monde nouveau.

La pensée humaine, qui a su concevoir la guerre et ses énormités, peut aussi concevoir la paix et ses obligations. Le drame de la génération actuelle ne réside pas dans le fait qu’elle participe à un “changement de monde”, mais bien dans l’incapacité où elle se trouve de s’adapter d’emblée à un changement dans les règles de base qui président à la conduite de la vie.

D’où vient cette incapacité ? Les hommes ont produit des biens matériels innombrables. Au lieu de regarder vers l’avenir afin de comprendre la signification d’une telle abondance, ils ont adoré leur propre production et s’en sont rendus esclaves. L’idée de propriété a surclassé celle d’utilité et, dès lors, la “distribution” n’était plus concevable parce qu’elle s’opposait à l’acquisition du profit. C’est alors qu’il a fallu défendre ce qui n’était plus défendable ; les guerres économiques sont nées, puis avec elles, la guerre brutale des canons et des tanks. Dans le passé, les hommes se battaient parce qu’ils manquaient de produits, nécessaires à leur existence. Mais, ayant obtenu ces produits en surabondance, ils se battent maintenant parce qu’ils ne veulent pas admettre que cette production appartient à tous par le seul fait de sa capacité de satisfaire aux besoins.

L’époque est désormais révolue où l’homme pouvait encore appliquer à lui-même les lois qui président à l’évolution du règne animal. La pensée de l’homme s’est fixée sur sa production au lieu de s’ouvrir à sa destinée magnifique ; elle subit actuellement une crise terrible au cours de laquelle elle apprend à connaître l’ampleur de son erreur et l’immensité merveilleuse de l’espoir qu’elle porte en elle.

---------

[*] J, comme jeunesse d’esprit E, comme éducation de soi-même A, comme ardeur à l’ouvrage N, comme noblesse de comportement.

^


Actualités

…L’évolution de la vie sur terre dépend beaucoup du choix que fait l’homme de l’énergie qu’il utilise. Or l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques vient de faire le point sur nos ressources en énergies renouvelables. Jacques Hamon, que nos lecteurs ont déjà pu apprécier, nous a fait parvenir à ce sujet les informations essentielles qu’il a tirées de la lecture de revues spécialisées, telle que Renewable Energy World. Nous en avons retenu ce qui suit :

Quelles énergies renouvelables pour demain ?

par J. HAMON
août 2002

Qu’elle provienne du soleil ou du noyau terrestre, l’énergie sur notre planète n’a qu’une origine : nucléaire. La consommation mondiale annuelle en est de l’ordre de dix milliards de tonnes équivalent pétrole (tep), soit en moyenne l,67 tep par terrien. Environ 4% proviennent d’énergies renouvelables, le reste est assuré par des énergies fossiles (pétrole 40%, charbon 27%, gaz naturel 23%, uranium 235 6%), et l’on s’attend à un doublement de la demande d’ici 2050. Le prix des énergies fossiles les plus demandées va donc considérablement augmenter, permettant l’exploitation de gisements d’accès difficile, tandis que les émissions de gaz à effet de serre d’origine fossile, déjà trop élevées, pourraient doubler. Une meilleure utilisation de l’énergie et un recours massif aux énergies renouvelables sont donc essentiels.

La France métropolitaine consomme environ 250 millions de tep par an (soit 4,17 par résident), avec 11 % de renouvelables, 39% provenant du pétrole, 31 % du nucléaire, 13% du gaz naturel, et 6 % du charbon. Nous préparer à la disparition commerciale des énergies fossiles conventionnelles et contribuer efficacement à la stabilisation du climat sans chaos socio-économique va demander une réorientation énergétique majeure.

De quoi disposons nous pour ce faire ?

• L’hydrogène

Depuis quelques années, l’hydrogène est présenté comme le carburant de demain. Mais il faut le produire avant de pouvoir l’utiliser dans des piles à combustible, et sa production (dans des centrales thermiques conventionnelles ou nucléaires, ou par électrolyse de l’eau) consomme plus d’énergie que son oxydation n’en produit. L’hydrogène est donc, comme l’électricité, un simple vecteur d’énergie, mais il présente toutefois sur cette dernière la possibilité d’être stocké et transporté à longue distance sans trop de pertes en ligne.

• Les ressources hydrauliques

Environ 90% des ressources hydrauliques françaises sont exploitées. Hors du bassin de la Loire, qui dispose de quelques réserves, la microhydraulique pourrait offrir un potentiel limité d’intérêt local. Les barrages d’altitude pourraient être développés car ils constituent une des solutions éprouvées pour stocker l’énergie électrique lorsque la production excède la demande, et la relarguer lorsque la demande excède l’offre.

• Le bois de feu

Le bois de feu est employé depuis des millénaires et a alimenté des gazogènes il y a 60 ans. Les déchets industriels constituent une ressource de mieux en mieux utilisée. Le potentiel de production de bois peut être augmenté en traitant les espaces boisés non indispensables à d’autres titres. Dans les zones rurales boisées, l’option bois de feu parait la plus rentable. Les autres possibilités sont de plaquetter le bois sur place, pour alimenter des centrales thermiques locales dont chaleur et électricité seraient également rentabilisées, ou de pyrolyser les plaquettes pour obtenir du méthanol, d’autres molécules chimiques recherchées et du charbon de bois destiné à la production de gaz de ville.

Il s’agit là d’hypothèses de travail car la balance énergétique nette reste à établir.

• Ethanol et huiles végétales

Deux catégories de biocarburants liquides sont utilisées, de façon encore très modeste : l’éthanol, produit à partir de betteraves ou de céréales, et les huiles, produites surtout à partir de colza et de tournesol […].

La filière huile parait la meilleure ; avec des co-produits constituant d’excellents aliments du bétail, et des huiles devant pouvoir, à terme, être directement utilisées dans des moteurs de type diesel. Dans ce contexte le rendement énergétique brut est de l’ordre de 1,15 tep par hectare et par an, et le rendement net inférieur à 0,75. Assurer l’approvisionnement de notre présent parc automobile nécessiterait la mise en culture, à cette seule fin, de 80 millions d’hectares alors que la France ne dispose que de 28 millions d’hectares de terres cultivées dont on envisage mal que plus de 25% soient consacrés à la production de biocarburants. Il faudra donc soit renoncer aux avions, aux navires et à l’essentiel du parc automobile (tracteurs et engins de travaux publics inclus), soit utiliser un autre mode de propulsion. […] La production agricole d’éthanol, bien que moins compétitive, pourrait être valorisée par l’utilisation directe de cet alcool dans des piles à combustible associées à un réformeur approprié.

Ces options sont peu compatibles avec le maintien d’exportations agricoles notables. Différents pays utilisent les résidus végétaux solides et des excréments animaux pour alimenter des centrales thermiques. […] On peut utiliser des résidus d’origine animale et végétale pour alimenter des fermenteurs, produire du gaz naturel utilisable localement pour le chauffage ou la production d’électricité, et disposer de fertilisants organiques, la balance énergétique nette de cette approche restant à déterminer. Pour des raisons de sécurité les farines animales paraissent vouées à la production d’énergie thermique.

• L’énergie solaire

L’énergie solaire atteignant le sol français est relativement limitée, de l’ordre de 150 kWh par mètre carré et par an, exploitable partout, mais plus dans le sud que dans le nord et en été qu’en hiver. Le solaire thermique parait très prometteur partout où, au bénéfice d’un petit nombre de personnes, on peut placer une grande surface de panneaux solaires sur des toits ou même sur des murs extérieurs bien exposés ; sous réserve de quelques améliorations techniques et d’efforts de standardisation, il mérite une rapide valorisation. Les panneaux solaires n’ont qu’un modeste rendement car ils sont rarement orientés à la perpendiculaire des rayons : il faut donc suréquiper les surfaces disponibles et stocker les calories pour pallier aux absences d’ensoleillement. Les systèmes les plus simples comportent un liquide caloporteur (chauffé par le soleil et insensible au gel), une pompe électrique, un échangeur transmettant les calories de ce liquide à l’eau douce domestique, aux radiateurs en hiver, et à un volumineux ballon d’eau chaude assurant quelques jours d’autonomie. Un dispositif de chauffage auxiliaire est nécessaire.

Un stockage à long terme de l’énergie solaire est possible, en accumulant en sous-sol les calories des périodes excédentaires, ou en faisant appel, avec un second échangeur, à des solutions salines accumulant à volume égal beaucoup plus de calories que l’eau douce. Le solaire photovoltaïque est défavorisé par le coût très élevé du kwh produit. Sauf pour les sites non reliés au réseau électrique, son avenir dépend de percées techniques, dont certaines paraissent proches, pour réduire le coût de fabrication des panneaux. Il dépendra aussi de l’évolution du prix de l’énergie. Les panneaux solaires, thermiques ou photovoltaïques, peuvent fonctionner des dizaines d’années sans interventions de maintenance majeures.

• L’énergie éolienne

L’énergie éolienne est très inégalement répartie en France. Le rendement des aérogénérateurs varie avec le cube de la vitesse du vent ; en règle générale, les vents de moins de 4 m/s ont une productivité nulle et ceux de plus de 25 m/s entraînent l’arrêt de l’aérogénérateur pour des raisons de sécurité. Les gisements éoliens favorables se situent dans la basse vallée du Rhône, dans les Corbières littorales, le long de l’Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord, du sud de la Bretagne au Pas-de-Calais, et sur des lignes de crêtes, ici et là, à l’intérieur des terres. La technologie des aérogénérateurs a fait d’énormes progrès et, dans les bons gisements, le rendement effectif est de l’ordre de 30 à 45% de la puissance installée. Chaque engin requiert une maintenance, d’où la nécessité de voies d’accès. La stabilisation des pylones exige un contrepoids peu visible, mais notable, pouvant atteindre plusieurs centaines de tonnes de béton pour les engins situées en mer. Les aérogénérateurs ne peuvent pas être trop rapprochés les uns des autres, du fait de la nécessité d’orienter les pales face au vent, et des inévitables remous aériens. Bien entretenus, ces équipement ont une vie escomptée de 20 à 30 ans sur terre. et de l’ordre de 20 ans en mer peu profonde. […] Une puissance installée de l’ordre de 400.000 MW, correspondant à plus d’une centaine de milliers d’éoliennes, pourrait être requise. Assurer l’équilibre du marché sera beaucoup plus difficile qu’avec les centrales thermiques.

• L’énergie géothermique

Notre sous-sol est chaud. L’exploitation de l’énergie géothermique basse température, en cours ici et là, n’utilise qu’une portion des gisements d’eau chaude connus ; on devrait pouvoir faire beaucoup mieux. L’exploitation de l’énergie géothermique haute température à quelques milliers de mètres de profondeur, est expérimentée à Soultz, en Alsace, et pourrait ouvrir l’accès à une source presque inépuisable de chaleur et d’énergie électrique. Les courants marins, la houle et les vagues représentent une énergie pratiquement pas exploitée.

Des dispositifs bien moins lourds que le barrage sur la Rance sont en cours de mise au point et d’évaluation.

***

Les énergies renouvelables précitées fourniront une quantité limitée de biocarburants, un peu de chaleur, et beaucoup d’électricité. Les principaux centres de consommation étant éloignés des bons gisements de vent et des sources éventuelles d’énergie marine, le présent réseau de lignes à haute et très haute tension restera indispensable. La situation la plus critique sera celle des DOM-TOM qui, à l’exception de la Guyane, ne pourront pas assurer leur autonomie énergétique. Peu de pays de la Communauté bénéficient d’autant d’atouts que la France en matière d’énergies renouvelables mais cet avantage ne sera que commercial car l’ouverture du marché de l’énergie implique que chaque production nationale ne constitue qu’un élément de la satisfaction des besoins communautaires

Dans le reste du monde

Dans les régions tropicales l’énergie solaire reçue par mètre carré est deux à trois fois plus importante qu’en France et peut être exploitée directement ou par l’intermédiaire de la biomasse. Comme de nombreuses réalisations le démontrent, solaire thermique, solaire photovoltaïque et fermenteurs de biomasse, isolément ou en association, sont rentables, notamment dans les zones rurales non reliées à un réseau électrique national. Les pompes à chaleur permettent d’assurer une climatisation solaire. Les zones tropicales désertiques conviennent à l’installation de centrales solaires thermiques produisant de l’électricité, le stockage de l’énergie diurne pour assurer les besoins nocturnes essentiels posant encore problème. Les zones tropicales humides peuvent produire des biocarburants, alcool de canne à sucre, huiles d’arachide et de palme, etc...

Les zones soumises au régime des alizés conviennent tout particulièrement à l’énergie éolienne. Il semble en outre que 70% du potentiel hydraulique mondial ne soit pas encore exploité. La géothermie profonde, à haute température, devrait être exploitable ici et là dans bien des pays dès que la technologie requise aura été mise au point. Les pays exportateurs de céréales et d’huiles végétales à des fins alimentaires pourraient exporter des biocarburants. Ceux disposant de gisements de vent exceptionnels ou d’une énergie hydraulique excédentaire pourraient devenir exportateurs d’hydrogène liquide.

Un nouveau monde énergétique reste à construire, très différent de celui dont nous avons pris l’habitude depuis moins d’un demi siècle.

Cette analyse est basée sur le climat de l’an 2002. L’augmentation de 5 à 6°C de la température moyenne escomptée dans le courant du siècle affectera les potentialités agricoles, éoliennes, hydrauliques et sylvicoles, donnant une grande priorité à l’exploitation de la géothermie et de l’énergie marine peu ou pas sensibles aux modifications climatiques. Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une énergie renouvelable au sens habituel de ce terme, le potentiel des filières nucléaires à spallation (éclatement, en de nombreuses particules, du noyau d’un atome sous l’effet d’un bombardement corpusculaire assez intense) n’est pas à négliger, pouvant nous assurer quelques millénaires d’une énergie sans résidus à vie longue, assez de temps pour laisser le climat terrestre revenir à celui que nous connaissons aujourd’hui.