La Grande Relève
   Mensuel de réflexion socio-économique vers l’Économie Distributive
AED La Grande Relève Articles N° 1031 - avril 2003Rendement et rentabilité

Tribune libre

Rendement et rentabilité

par J.-F. AMARY
avril 2003

La note de la rédaction (GR 1026 p.14) faisant suite à la réponse de M. J. Hamon à mon commentaire sur l’énergie éolienne m’a amené à réfléchir sur le “flux tendu” sur lequel je ne me serais jamais attardé sans son aide. Mais avant de l’aborder, je vous fais part de mon incompréhension quant à son argument selon lequel, du fait que le rendement des éoliennes est proportionnel au cube de la vitesse du vent, 80% du territoire métropolitain sont hors énergie éolienne rentable. Ceci mériterait un petit développement (pas trop technique) pour ignorants que nous sommes*.

* Voici la réponse à cette question :

Le rendement moyen des éoliennes, par rapport à la puissance installée, est fonction du cube de la vitesse moyenne du vent, 40 à 50 mètres au dessus du site d’installation, les pointes de vent étant exclues car les éoliennes se mettent alors en position de sécurité.

Les données météorologiques disponibles, sur lesquelles je me suis basé, suggèrent que moins de 10% du territoire métropolitain permet de produire une électricité éolienne compétitive avec les coûts de production électrique communautaires. Ces données ne peuvent pas tenir compte des accidents de terrain, situés dans l’intérieur des terres, ayant un potentiel éolien notable, d’où ma mention de 20%, pour rester optimiste.

La production électrique éolienne doit être qualifiée.

Tant qu’elle est anecdotique, elle ne contribue en rien à l’équilibre énergétique national, son surcoût étant payé par l’usager.

Si cette production devenait notable, elle entrerait dans le marché spot, n’ayant presque aucune valeur lorsque ce marché est excédentaire, mais valant cher lorsque la demande excède l’offre de la production de base.

Ce qui précède doit être complété car, d’une part, les caractéristiques physiques de l’électricité éolienne ne correspondent pas aux normes industrielles européennes, ce qui exige un calibrage coûteux en énergie et, d’autre part, le réseau national est conçu pour distribuer de l’énergie, non pour en recevoir, d’où d’autres coûts d’ajustement.

Le plus simple serait que chaque ferme éolienne vende son énergie aux consommateurs locaux hors normes industrielles, en étant compétitive avec l’électricité RTE mais, à ma connaissance, aucun producteur éolien n’envisage de ce faire, car qui achèterait des kWh deux fois plus chers que ceux du réseau ?

J. Hamon

***

Il convient d’abord de dissiper toute équivoque entre “rendement” et “rentabilité”. Le premier découle de lois physiques immuables. Je suis bien d’accord avec Jacques Hamon, le rendement d’un moteur éolien est proportionnel au cube de la vitesse du vent, ainsi que d’autres variables comme la longueur des ailes principalement, puis aussi leur largeur, le nombre de pales, leur profil etc. On sait exactement à partir de quel diamètre de volée [1], pour telle vitesse de vent, la vitesse en bout de pales atteint la vitesse du son. Le rendement s’évalue en pourcentage. On dit qu’un moteur, qu’il soit électrique ou thermique, a un rendement de X% lorsqu’il restitue sous forme de puissance utilisable X% de l’énergie qu’il consomme, le reste étant “perdu” sous forme de chaleur, de bruit, de vibrations,…

Pour un moteur éolien, l’énergie absorbée ne comprend que celle nécessitée pour sa fabrication et sa mise en place, alors que pour les moteurs à énergie fossile, il faut ajouter les combustibles.

Le moteur éolien a donc dès le départ un grand avantage. Son handicap, c’est bien connu, c’est l’irrégularité de la source d’énergie, d’où la nécessité de stocker l’énergie produite, que l’on consommera pendant les périodes d’accalmie.

Pour un tel moteur dont le coût en combustible est nul, la notion de rendement est différente de celle considérée pour un moteur à combustible fossile. En effet, le “gaspillage” du vent est sans importance. Il s’en perd des mégawatts tous les jours sans conséquence négative pour l’environnement.

En revanche, le gaspillage des énergies fossiles dilapide par définition un bien accumulé au cours des âges, mais de plus, il contribue par exemple au réchauffement de la planète, à cause des résidus de combustion.

Le rendement, bien qu’évalué arithmétiquement, est donc relatif. Il dépend d’un grand nombre de variables, plus ou moins importantes selon les époques.

La rentabilité d’une entreprise ou de toute activité lucrative est l’aptitude à produire un bénéfice.

Pour ne prendre qu’un exemple, la récupération des vieux métaux ou des cartons peut être très rentable à un moment, et plus du tout à un autre. Concrètement, une association qui ramasse les vieux papiers pour financer telle action d’aide au Tiers Monde peut être amenée à abandonner cette activité quand les cours de la Bourse deviennent défavorables. Paradoxalement il est alors plus “rentable” d’abandonner ou de brûler ces déchets, que de les recycler. Ceci dans un système commercial de type capitaliste, bien entendu.

Mais par rapport à la Nature, c’est différent, et il est évidemment capital de recycler au maximum les déchets. Et surtout d’éviter au départ les gaspillages que sont sur le plan précédemment évoqué les prospectus et affiches publicitaires ou nombre de journaux débiles.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, elles peuvent être rentables ou pas selon les éléments de comparaison avec les énergies fossiles, selon le contexte économique, selon les époques et bien d’autres facteurs ensuite.

L’agriculture en France, pour ne prendre qu’un exemple, n’est pas rentable puisque l’État et l’Europe inondent les agriculteurs de subventions.

On ne demande pas à un flic, un magistrat, un éboueur, un instituteur, d’être rentables. Ils rendent des services plus ou moins indispensables à la collectivité. Notre société serait invivable sans eux.

Personne ne s’inquiète de la rentabilité ou non des armées. Il est plus rentable pour un travailleur de travailler dans une usine d’armement que de rester chômeur. Mais le jour où la guerre éclate et que ses “produits” lui retombent sur la figure, l’est-ce encore ?

La chasse est-elle rentable ? Et la cueillette des champignons ? La pratique amateur d’un sport ou de quelque activité culturelle ?

Avant l’industrialisation de notre société, à peu près toutes les terres étaient habitées, travaillées parfois dans des conditions extrêmes. Une vie misérable de labeur, voilà ce qui attendait les malheureux qui avaient la malchance de voir le jour aux fins fonds de la Lozère, de l’Ardèche ou de la Nièvre. Si aujourd’hui la plupart des régions rurales sont désertées par les humains, c’est parce que ceux-ci ont cru pouvoir bénéficier d’une vie plus facile dans les villes, ce qui a été parfois vrai, mais pas toujours. En contrepartie, les terrasses que leurs ancêtres avaient construites ne sont plus entretenues, la végétation sauvage reprend ses droits et l’érosion aussi. Les cours d’eau ne sont plus faucardés, les digues et berges moins bien entretenues et les inondations deviennent plus menaçantes. Les forêts ne sont plus nettoyées et les incendies sont plus dévastateurs dans ces taillis difficilement pénétrables. On prétend qu’il n’est plus rentable d’entretenir le patrimoine architectural qu’on abandonne donc à un triste sort, quitte à le restaurer ensuite à grands frais au gré des lubies d’un politicien bien en cour.

Là où le prétexte de rentabilité devient monstrueux, c’est lorsqu’on créée en son nom de véritables camps d’extermination pour animaux. Certes, il y a des gens qui se refusent d’admettre qu’on puisse se nourrir sans viande et donc sans provoquer de souffrance. Reconnaissons au moins que le bétail élevé en plein air dans les fermes traditionnelles était moins à plaindre que ces martyrs de l’agro-industrie.

En matière d’énergie, on voit l’exploitation de certains gisements devenir rentable du fait de la rareté nouvelle d’autres combustibles dont les réserves s’épuisent.

Je maintiens donc qu’en dehors du seul système mis en œuvre jusqu’à ce jour (qu’on ne me dise pas que le communisme a échoué, il ne s’agissait que d’un capitalisme d’État) les énergies renouvelables sont rentables quel qu’en soit leur coût de production, la référence ne devant pas être notre portefeuille, mais l’état de la planète que nous devrions nous sentir en devoir de rendre à nos successeurs.

Je dis bien “rendre” car cette planète, nous n’en sommes qu’usufruitiers, ce que les capitalistes oublient trop volontiers.

À mon humble avis, les énergies renouvelables ne sont intéressantes que dans la mesure où leur production peut être décentralisée, et couplée à d’autres sources comme autrefois certains moulins à vent et à eau. Produire de grandes quantités d’énergie avec des éoliennes géantes, c’est raisonner avec un esprit nucléocrate, et ça ne risque que de mener à des imprudences.

Il est sans doute plus rentable de laisser les habitants du Sahel finir de débroussailler leur pauvre sol que de les aider à tirer parti du soleil omniprésent. À court terme peut-être, mais quand il ne restera plus une brindille à brûler pour faire la popotte ? Les Africains sont débrouillards, ingénieux, adroits, ils savent tirer parti de tous les rebuts de la société occidentale. Ils seraient donc très capables de bricoler des fours solaires ménagers, immédiatement rentables. Encore faudrait-il leur montrer comment procéder. Ceci pourrait être un travail des écolos, qui ne pourrait que crédibiliser leur discours.

Serait-ce rentable ?

***

Venons-en au flux tendu. J’ignorais que cette notion pouvait être utilisée dans le domaine de la production d’énergie. Pour moi, il ne s’agissait jusqu’à présent que d’une méthode industrielle, très discutable, de gestion des flux de marchandises. Considérant que le stockage coûtait cher aux entreprises, il a été décidé, pour copier les Japonais si ma mémoire est bonne, de le réduire au minimum. En fait, on a simplement déplacé le problème. Ce ne sont plus les producteurs ni les assembleurs, par exemple, qui stockent, mais les entreprises de transport pompeusement baptisées entreprises de logistique. La preuve, c’est qu’on n’a jamais tant construit de locaux de logistique qu’actuellement. La gestion de tous ces entrepôts s’ajoute aux frais déjà importants des entreprises de transport, si bien que pour rester concurrentielles, elles rognent sur les salaires des chauffeurs, et les contraignent à ne pas respecter les règlements. Le flux tendu a de plus ses inconvénients. On a vu des grèves de transporteurs, chez des équipementiers, voire de douaniers, contraindre des chaînes de montage d’automobiles au chômage technique faute d’approvisionnement.

Les PME et les exploitations agricoles que j’évoquais ne sont généralement pas soumises au flux tendu. Elles restent donc dans « le domaine d’application rentable de l’énergie éolienne ».

M. J. Hamon utilise l’expression “flux tendu” au sujet de la production d’énergie parce que dans le système actuel effectivement, l’énergie produite par les centrales hydrauliques, thermiques ou nucléaires, n’est pas stockée et doit être consommée immédiatement ; il met le doigt sur une faille du dispositif centralisateur de production.

Naguère, le meunier à eau ouvrait la vanne de son bief avant d’entreprendre un travail, et le meunier à vent ouvrait les ailes de son moulin en fonction de deux facteurs : d’une part, l’apparition d’un vent suffisant pour être utilisé, d’autre part la présence d’un travail à effectuer. Avant la domestication de l’eau et du vent, on ne faisait pas tourner esclaves et animaux pour ne rien produire ! D’abord, les meules d’un moulin ne doivent jamais tourner sans grain, et surtout, on avait assez de bon sens pour comprendre l’inutilité de produire de l’énergie à vide.

Il serait malhonnête de se retrancher derrière « le stockage impossible ou trop difficile » de l’énergie. On sait aujourd’hui produire de l’hydrogène avec l’électricité, et utiliser efficacement en toute sécurité ce gaz. On sait aussi utiliser l’air comprimé dans de très nombreux domaines. On pourrait aussi envisager l’élévation de corps lourds ou d’eau, et restituer cette énergie ensuite en laissant à la gravité le soin de les faire redescendre. C’est le principe des poids de nos horloges qui fonctionnent depuis plusieurs siècles. C’est aussi celui des châteaux d’eau et des usines marémotrices.

Par ailleurs, les batteries d’accumulateurs électriques sont très au point. La production en série de véhicules électriques n’est plus qu’une question de temps (et de volonté aussi quelque part). Il ne faut pas oublier que pendant la dernière guerre mondiale, la coopération de Citroën pour les véhicules et de Fenwick pour la motorisation électrique a conduit à la production d’ambulances baptisées Urbel (pour véhicule Urbain électrique). Paris a aussi été équipé de bennes à ordures ménagères électriques bien plus silencieuses que les thermiques.

On sait donc faire et seuls des critères de “rentabilité” et de “lobirinthe” retardent l’avènement du véhicule électrique.

Le flux-tendu dans le domaine énergétique, conduit à éclairer inutilement des autoroutes en Belgique, à chauffer des bâtiments déserts, à laisser tourner à vide des équipements industriels, bref au gaspillage.

La production d’énergie en périodes favorables (vent, soleil, pluies) amène à stocker et conduit plus radicalement à la notion d’économie.

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[1] En termes de meunerie à vent, la volée désigne les ailes, qu’elles soient à voiles, à planches, à jalousies, ou hybrides.